À Kassel Documenta 5 Jean-Loup Bourget - Vie des arts - Érudit
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Document generated on 07/10/2022 4:19 p.m. Vie des arts À Kassel Documenta 5 Jean-Loup Bourget Number 69, Winter 1972–1973 URI: https://id.erudit.org/iderudit/57865ac See table of contents Publisher(s) La Société La Vie des Arts ISSN 0042-5435 (print) 1923-3183 (digital) Explore this journal Cite this review Bourget, J.-L. (1972). Review of [À Kassel : documenta 5]. Vie des arts, (69), 64–67. Tous droits réservés © La Société La Vie des Arts, 1972 This document is protected by copyright law. Use of the services of Érudit (including reproduction) is subject to its terms and conditions, which can be viewed online. https://apropos.erudit.org/en/users/policy-on-use/ This article is disseminated and preserved by Érudit. Érudit is a non-profit inter-university consortium of the Université de Montréal, Université Laval, and the Université du Québec à Montréal. Its mission is to promote and disseminate research. https://www.erudit.org/en/
Jean-Loup BOURGET A Massai Pendant la majeure partie de son his- toire, l'Allemagne a été célèbre pour sa décentralisation, pour le grand nombre de ses centres culturels qui étaient pro- vinciaux dans le sens géographique et documenta non péjoratif du terme. Kassel était jadis l'un de ces centres. C'est là qu'au début du 18e siècle, le landgrave de Hesse invita l'architecte italien Giovanni Fran- 5 cesco Guerniero à dessiner un vaste et magnifique parc baroque; la silhouette de l'Hercule (copie de l'Hercule Farnèse) qui couronne une superbe pièce d'eau, domine toujours la v i l l e . C'est à Kassel encore que les frères G r i m m furent bibliothécai- res municipaux. Cette tradition culturelle a été t i m i d e - ment renouée depuis la dernière guerre, surtout grâce à la création d'une exposi- t i o n d'art contemporain appelée D o c u - menta. Documenta se tient tous les qua- tre ans depuis 1 9 5 5 , et a progressivement acquis la réputation d'être la principale exposition d'art moderne en Europe, plus audacieuse que la Biennale de Venise. Cette année (30 juin-8 octobre). Docu- menta 5 allait plus loin que ses prédéces- seurs. Elle avait pour a m b i t i o n d'explorer les frontières de l'art, au lieu de se con- tenter de montrer des oeuvres q u i , fus- sent-elles d'avant-garde, sont reconnues comme artistiques. Documenta 5 explorait le rapport entre l'art et le monde réel, entre l'illusion et la réalité, entre la représentation de la réalité et la réalité de la représentation. Son but n'était donc pas de fournir un 1. Mario MERZ Igloo, 1972. Néon, métal, tissu. 2. John DE ANDREA Arden Anderson et Nora Murphy, 1972. Polyester peint. 3. Giuseppe PENONE Rovesciore i propri occhi, 1970. 64
panorama exhaustif des tendances con- d'une copie (voir S / Z ) — ce qui est indé- d ' A n d r é Thomkins. temporaines, mais plutôt de laisser s'ex- niablement le cas i c i . Mais le visiteur n'aura pas manqué de primer librement celles q u i , par leur Comme on l'imagine sans peine, un tel s'attarder dans les sections documentai- nature, s'inscrivent naturellement à l'in- réalisme n'est pas le monopole des pein- res proprement dites de l'exposition, q u i , térieur de telles préoccupations. C'est tres, et les sculpteurs à leur tour se sont prenant comme point de départ la « réa- ainsi que l'un des deux bâtiments qui emparés du concept. En effet, la qualité lité de la représentation », confrontent abritaient l'exposition — le Fridericianum tridimentionnelle de leurs oeuvres les l'art et ses fonctions sociales ou anti- dont le nom rappelle le souvenir de Fré- rend encore plus ressemblantes que leurs sociales, retracent la frontière mal définie déric Il de Prusse — était consacré en équivalents picturaux. Un artiste est assis entre l'art et d'autres activités socio- grande partie à l'art conceptuel et à ses sur une chaise, et tous les visiteurs sont culturelles. C'est ainsi qu'auprès des ar- succédanés. Une pincée d'art conceptuel gênés car ils sentent que le mannequin tistes réalistes, une longue galerie est égaie, mais des salles entières en devien- de polyester et de fibre de verre va lever consacrée au réalisme trivial ou à l'emblé- nent bientôt répétitives et assommantes, sur eux son regard derrière ses lunettes matisme trivial du Kitsch — assiettes quoique d'une légèreté, ou plutôt d'une cerclées d'or; des épaves humaines du peintes portant les portraits de J . F. Ken- insignifiance, absolue. «Je signe tout », Bowery dorment leur sommeil d'ivrognes nedy ou de Jean XXIII, nains et lutins qui annonce fièrement le Niçois Ben Vautier; parmi des bouteilles vides et toutes sortes hantent souvent les jardins des banlieues ou bien encore: « This is my statement », de détritus (deux oeuvres du New-Yorkais allemandes, et ainsi de suite. Une section répète 81 fois son ami George Brecht. Duane Hanson). Citons aussi le couple assez semblable est consacrée plus parti- Mieux valait donc ne pas s'attarder au nu, enlacé, de John De Andrea. culièrement à l'art religieux du type Fridericianum, qui justifiait les pires c r i - Lourdes ou Oberammergau. Ces figures d'un nouveau musée de tiques adressées à Documenta 5, et se cire peuvent être aussi macabres que Ailleurs, les organisateurs de Docu- diriger vers la Neue Galerie. Là règne le celles du Musée Grévin. A i n s i , Five Car menta 5 examinent une autre variété de réalisme, ou plutôt l'hyper-réalisme. Voici S t u d , d'Edward Kienholz, qui occupe un propagande, mettant à jour la continuité d'abord un ensemble remarquable de ta- énorme gonflable et dépeint la castration frappante qui existe dans les affiches bleaux de l'école américaine. Basés sur par une bande de Blancs d'un Noir améri- anti-communistes allemandes depuis la des photographies, ils reproduisent avec cain — dont le buste est un réservoir République de Weimar et Hitler jusqu'à une fidélité hallucinante les reflets de lu- d'eau où flottent les lettres NIGGER. L'é- nos jours, ou analysant les composantes mières au néon, ou d'un soleil californien, clairage est délibérément théâtral, les visuelles et idéologiques qui sont à l'oeu- sur un alignement de façades ou sur les membres du gang portent des masques vre dans les couvertures du magazine Der flancs d'un cheval. Sont notamment pré- grotesques; l'atmosphère mélodramatique Spiegel. Une aile de la Neue Galerie abri- sents le New-Yorkais Richard Estes et les rappelle maint film américain sur le Deep te des exemples de science-fiction du 19e Californiens Robert Cottingham, Ralph South, comme Doux oiseau de jeunesse et du 20e siècles, montrant dans quelle Goings, Richard McLean. Signalons éga- ou La Poursuite impitoyable. Ici encore, la mesure la science-fiction reflète le pré- lement les gigantesques visages de Chuck réalité du Sud est passée par la copie sent en même temps que le futur. Ceci Close, dont l'un appartient à l'Art Gallery hollywoodienne avant d'aboutir à la ver- permet naturellement d'imaginer qu'à leur of Ontario; et un immense Paul Sarkisian sion qu'en donne Kienholz: on a bien af- tour, nos incursions et nos projections noir et blanc, tendant plus clairement, par faire, selon le mot de Barthes, à « une dans le Kitsch, la propagande politique, sa composition, vers l'informel. enfilade de copies ». la science-fiction . . . demeureront en tant L'art des hyper-réalistes semble viser Ce sont des environnements d'un tout que témoignages valides sur notre pro- à l'objectivité totale, à cacher l'artiste, autre genre que l'amusant « Maus M u - pre c i v i l i s a t i o n ; c'est aussi là un moyen l'auteur, aussi entièrement que possible, seum » de Claes Oldenburg — en f o r m e de justifier la présence côte à côte d'art derrière la prouesse technique d'une sur- de Mickey Mouse, et rempli de petits contemporain et de documents dans l'en- face qui ressemble au glacé d'un cliché objets, d'odeurs et de cris de souris — semble de l'exposition. photographique. Les réalistes américains et que l'Arche-Pyramide de l'Américain Disons pour conclure un mot de l'ex- oublient s i m p l e m e n t — o u font mine d ' o u - Paul Thek. Il s'agit là d'une sorte de cellente section consacrée à l'Art Brut, blier — que la photographie elle-même temple voué à la paix et à l'éclairage aux « peintres à l'esprit malade », comme interprète la réalité, et aussi qu'en imitant tamisé. Couverte de feuillage et de papier on dit en allemand. Ce domaine encore la photographie, la peinture ne perd rien journal, la Pyramide est érigée en bordure mal exploré est ici représenté par la de son caractère p i c t u r a l . En effet, aux d'une mer de sable, piquée de flammes cellule, les dessins, les manuscrits, les yeux de beaucoup, ces toiles produisent de chandelle, et sur laquelle repose, lé- meubles peints du Suisse A d o l f W ô l f l i — l'effet de compositions abstraites ou mê- gère, l'Arche. Tandis qu'on se promène ainsi que par les dessins et les machines me informelles. Remarquons d'ailleurs que dans la pénombre, on découvre des o i - de son compatriote Heinrich Anton M û l - l'exploration du thème « représentation de seaux et d'autres animaux empaillés, ler. Nous contemplons ici l'envers de la la réalité » par les hyper-réalistes confir- biches, lapins blancs, ainsi qu'un homme propagande: un art qui ne se soucie nul- me curieusement les analyses de Roland mort qui gît parmi des oignons; bref, lement d'aucun public; un art qui n'a pas Barthes sur le réalisme du 19e siècle, à toute une atmosphère franciscaine. L'ar- été reconnu comme tel avant l'entrée en savoir que le réalisme n'est jamais copie che est dédiée par son Noé à Daniel et scène des surréalistes et de Dubuffet, directe de la réalité, mais toujours copie Philip Berrigan, à Ann W i l s o n et à Susan mais q u i , n'étant plus l'objet d'étude des Sontag. seuls psychologues, s'avère parfois très Peu d'environnements semblables, Mai- proche de beaucoup de notre art le plus sons de rêve, etc., sont aussi réussis que délibéré et le plus conscient. celui-ci. Il appartient à la section (un Documenta 5 apporte donc plus de peu fourre-tout, il faut l'avouer) des questions que de réponses, mais cette « Mythologies individuelles », parmi les- attitude est somme toute salutaire. La 1. Vettor PISANI quelles il convient également de mention- jouissance artistique au sens traditionnel L'Eroe da camera. ner l'admirable et p r i m i t i f Shaman de demeure présente; le piquant du question- Performance du 28 juin 1972. Nancy Graves, et aussi (pour revenir un nement est donné par surcroît. A Kassel, instant au Fridericianum) les livres brû- le visiteur découvre que l'univers de l'art 2. Edward KIENHOLZ lés, surréalisants, de Hubertus Gojowczyk est en expansion. ^ Q Five Car Stud, 1969-1972. et les dessins trompeusement mécaniques 67
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