L'action citoyenne, Commissariat général au développement durable
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T H Analyse É M A Commissariat général au développement durable L'action citoyenne, accélératrice de transitions vers des modes de vie plus durables AVRIL 2019
L'action citoyenne, accélératrice de transitions vers des modes de vie plus sommaire durables 04 – Avant propos, par Laurence Monnoyer-Smith et Dominique Bourg 06 – Introduction et carte des initiatives explorées 09 – Partie I : Caractéristiques et état des lieux des Initiatives citoyennes: une transition sociétale en actions 26 – Partie II : Les initiatives citoyennes : laboratoire d'un nouveau modèle de société plus durable et plus inclusive ? 42 – Partie III : Les initiatives citoyennes, « perturbatrices institutionnelles » ou accélératrices d’innovation publique ? 52 – Partie IV : Recommandations et propositions pour soutenir le développement des initiatives citoyennes 68 – Conclusion 70 – Annexes et remerciements Document édité par : Le Commissariat Général au Développement Durable – Direction de la Recherche et de l’Innovation Coordination scientifique et technique : Marion Gust, Cheffe de mission Réseaux, Mobilité et Modes de vie Remerciements à tous les membres du groupe de travail et aux porteurs d'initiative citoyenne pour leur engagement et leurs contributions (voir la liste en annexe). Ce document n'engage que ses auteurs et non les institutions auxquelles ils appartiennent. L'objet de cette diffusion est de stimuler le débat et d'appeler des commentaires, critiques et enrichissements. 2 - L'action citoyenne, accélératrice de transitions vers des modes de vie plus durables
coordinateurs KL Karine Lancement Chef de projet Participation citoyenne et Transitions au Cerema SL Stéphane Lévêque Chef de projet Planification territoriale au Cerema Contributeurs Chercheurs Dominique Bourg Olivier Soubeyran Luc Gwiazdzinski Cerema Régis Cadre Marine Huet Chloé Eyssartier Voir également les remerciements en annexe L'action citoyenne, accélératrice de transitions vers des modes de vie plus durables - 3
avant-propos Chaque jour, un nombre croissant de personnes, soucieuses de l'état de LMS monde qu'elles vont léguer aux générations futures, changent leur mode de vie, adoptent des comportements plus respectueux de l'homme et de la nature, se forment et s'engagent dans des collectifs citoyens, coopératives, tiers lieux, pépinières ou associations au service des transitions. Partant des expériences vécues par des porteurs d'initiatives de transition, cette étude salue la richesse et l'inventivité de ces citoyennes et citoyens engagés, en donnant à voir leur parcours, leurs besoins, leurs forces et fragilités. Elle explore le rapport qu'ils entretiennent ou souhaiteraient entretenir avec l'institution et propose des pistes pour renforcer les coopérations et le faire ensemble pour accélérer les transitions. Comme le montre cette étude, les initiatives citoyennes sont à la fois des formes d'innovation sociale et territoriale, des processus poussés de participation citoyenne et des projets concourant à la défense de biens communs. Ancrées sur le terrain, elles sont l’expression d’une encapacitation de communautés locales qui prennent en charge leur avenir au plus près des besoins des habitants. Dans son article 4, la Charte de la participation du public pour améliorer l'efficacité et la citoyenneté des décisions ayant un impact sur le cadre de vie, stipule que la participation du public doit permettre d'encourager le pouvoir d'initiative du citoyen. Agir en intelligence collective et complémentarité, accompagner sans institutionnaliser, relier sans uniformiser, faire confiance sans sous-traiter, laisser expérimenter sans créer d’inégalités, les enjeux sont nombreux pour les institutions et passent principalement par un changement de regard et de posture. La transition écologique et solidaire nécessite la mobilisation et la participation de tous, elle nécessite, partout et pour tou(te)s, le renforcement du pouvoir d'agir. Habitants, salariés, agriculteurs, industriels, fonctionnaires, élus... il est urgent d'apprendre et de développer ensemble de nouveaux modes de faire en commun nos transitions, pour le bien être de tou(te)s et des générations futures. Que l'ensemble des participants et contributeurs à cette étude en soit pleinement remerciés. Laurence Monnoyer-Smith COMMISSAIRE GÉNÉRALE AU DÉVELOPPEMENT DURABLE 4 - L'action citoyenne, accélératrice de transitions vers des modes de vie plus durables
avant-propos Les grands accords internationaux paraissent au rebours des initiatives DB citoyennes de transition, tout du moins quand il s’agit de transition écologique et non de facilitation du commerce international. Les premiers visent le plus grand nombre mais sont laborieux, incertains dans leur mise en œuvre et d’une efficacité lente et molle quant à leurs objectifs. Les secondes, le plus souvent, touchent un petit nombre d’acteurs, atteignent leurs objectifs et satisfont ceux qui y participent. L’action des Etats sur ces mêmes sujets de durabilité ressemble à celle des grands traités. Seules des collectivités territoriales semblent pouvoir faire mieux et avec généralement des relations de plus grande proximité aux citoyens concernés. Et pourtant, il ne convient pas de les opposer, mais au contraire de les mettre en relation. Il n’est de l’intérêt de personne de s’éloigner de la cible des 2 degrés d’augmentation de la température moyenne d’ici à la fin de ce siècle, par rapport à celle du 19ème. L’étude du Cerema propose de nombreuses pistes pour aller dans cette direction. Elle montre en premier lieu que ces initiatives se multiplient et se diversifient ; en second lieu qu’elles constituent un contrepoids puissant à l’individualisme impulsé par le marché, et tout particulièrement par l’essor du numérique. Elles contribuent ainsi à maintenir le ciment social et national que l’Etat semble parfois défaire en raison d’une grande proximité aux intérêts des grands acteurs de l’économie et du marché. Ces initiatives manifestent encore un plaisir du collectif, le refus d’un consumérisme destructeur, et semblent souvent pallier un Etat absent ou insuffisamment présent. Mais ce ne me semble pas la meilleure lecture. Les initiatives en question me paraissent plutôt faire renaître la sphère des activités autonomes et collectives – celle que les travaux d’Elinor Ostrom ont remis en valeur, mais aussi celle prônée par l’écologie politique des années 1970 et suivantes, André Gorz au premier chef –, sphère qui n’a nullement vocation à se substituer au marché ou à l’Etat, mais en revanche à croître en importance. Elle donne sens à la vie des citoyens et leur permet de s’orienter vers des objectifs communs exigeants, à commencer par ceux attachés à la durabilité forte. Le développement de cette sphère d’autonomie collective appelle d’évidence une évolution des missions de l’Etat. Je me bornerai à rappeler les pistes qui figurent dans cet excellent rapport : celles d’un Etat labellisateur et accompagnateur, sachant mettre en relation des expérimentations voisines et convergentes, sachant s’inspirer de ces expérimentations pour faire évoluer la loi en faveur d’une durabilité plus forte et partagée. Dominique Bourg PRÉSIDENT DES CONSEILS SCIENTIFIQUES DU PROGRAMME MOVIDA ET DE LA FONDATION POUR LA NATURE ET L’HOMME, PROFESSEUR À L’UNIVERSITÉ DE LAUSANNE L'action citoyenne, accélératrice de transitions vers des modes de vie plus durables - 5
Introduction Introduction Le programme de recherche sur les modes de vie durables « Movida », coordonné par Dominique Bourg, a souligné l’apport des démarches ascendantes – à l’initiative des citoyens – dans l’évolution des modes de vie. A la suite de ce programme, le service de la recherche du Ministère de la Transition Ecologique et Solidaire (MTES) a confié au Cerema une étude exploratoire « Deqlic : définir et questionner les initiatives citoyennes ». A partir d'un panorama des initiatives citoyennes de transition qui se développent de façon accélérée en France depuis quelques années, l'objet est d'interroger les origines et facteurs d'émergence de ces initiatives, leurs grandes caractéristiques, leur parcours, mais aussi les facteurs de réussite, les besoins et difficultés rencontrées par les porteurs de projets citoyens, et les relations entretenues (ou non) avec les acteurs publics. Le premier comité de pilotage de Deqlic, le 9 février 2016, a permis de préciser la problématique, qui s’articule autour de la relation entre initiatives citoyennes et institutions, afin d'interroger la capacité de ces dernières à intégrer l'innovation citoyenne dans leurs approches et organisations. L’objectif de l’étude est quant à lui de proposer des pistes pour la recherche et l'action publique : « Deqlic permet d’identifier les questionnements de recherche avec un objectif de transformation du logiciel des politiques publiques vers plus de droit à l’expérimentation et vers un système plus ouvert : comment aller au-delà du système « de la carotte et du bâton » pour promouvoir des démarches plus agiles, plus « bottom-up », et une logique de coopération ascendante ? Quand des initiatives citoyennes vont dans le sens du développement durable et sont positives, comment l’État peut ne pas mettre de bâton dans les roues, ne pas empêcher, et comment peut-il plutôt valoriser, légitimer et soutenir, accompagner et relier les initiatives ? »1 La méthode de travail de Deqlic a été la suivante : • un travail bibliographique et de veille sur les études, rapports et projets de recherche récents ; • un recensement des bases de données et plateformes en ligne recensant et capitalisant les initiatives citoyennes ; • l’analyse d’une quinzaine d’initiatives sélectionnées pour leur hétérogénéité (statuts, thèmes d'intervention, lieux, ancienneté...) pour dresser un premier panorama (cf. carte en page 8) ; • des entretiens d'approfondissement avec des chercheurs et personnes ressources (cf. liste des acteurs associés en annexe), dont Dominique Bourg, président des Conseils scientifiques du programme Movida et de la Fondation pour la Nature et l’Homme, professeur à l’Université de Lausanne ; Olivier Soubeyran et Luc Gwiazdzinski, professeurs à l'Institut de Géographie Alpine ; 1 Extrait du compte-rendu du Comité de pilotage Deqlic 6 - L'action citoyenne, accélératrice de transitions vers des modes de vie plus durables
Introduction • la tenue d’ateliers participatifs pour déterminer, avec les porteurs d'initiatives citoyennes, les enjeux, besoins et difficultés rencontrées et des pistes d’action (cf. liste des participants en annexe). Pendant toute la durée de l’étude qui s'est déroulée de février 2016 à juin 2018, la volonté a été de s'ancrer au plus près des problématiques quotidiennes des initiatives citoyennes, en partant du vécu, de la parole et des expériences de ceux qui les imaginent et les portent au quotidien. Nous tenons à les remercier pour le temps précieux qu'ils nous ont accordé lors des ateliers ou des entretiens (cf. liste en annexe). Le présent rapport rend compte des éléments produits au cours de ce travail exploratoire. Son objectif est de restituer les enjeux et les propositions capitalisées tout au long des échanges, en les reliant à des travaux déjà réalisés et à des références bibliographiques. En premier lieu, la définition et la caractérisation des initiatives citoyennes permettent de préciser le périmètre de l’étude et d’en identifier l’objet. La deuxième partie analyse l'apport des initiatives citoyennes dans une logique de transition, puis la troisième décrit leur rapport avec les institutions et les besoins exprimés par les porteurs d'initiatives. Enfin, des propositions sont faites sur le changement de posture nécessaire au développement des initiatives citoyennes pour accélérer les transitions, et sur les suites à donner à Deqlic, ainsi que les pistes de recherche à approfondir. L'action citoyenne, accélératrice de transitions vers des modes de vie plus durables - 7
Introduction 8 - L'action citoyenne, accélératrice de transitions vers des modes de vie plus durables
Partie 1 Caractéristiques et état des lieux des initiatives citoyennes : une transition sociétale en actions >
Partie 1 : Etat des lieux des initiatives citoyennes : une transition sociétale en actions Si les résultats de recherche nous conduisent à nous interroger sur les initiatives citoyennes, il est en premier lieu nécessaire de définir le périmètre de notre exploration. Qu’est-ce qu’une initiative citoyenne ? Comment repérer ces initiatives ? Où sont-elles et comment émergent- elles ? Lesquelles analyser ? Cette première partie donne des éléments de définition, ainsi que quelques caractéristiques communes aux initiatives citoyennes, dans l’acception que nous en avons. Loin d’être une définition unique, ces éléments permettront cependant de circonscrire le domaine de travail. Initiatives citoyennes : des habitants moteurs au cœur de l’action Pour approcher l’objet « initiative citoyenne » et en comprendre le contour, voici deux récits de création. La Ressourcerie verte L’association « la Ressourcerie Verte » est née d’un collectif d’habitants de Romans-sur-Isère, motivés pour agir dans le domaine de la réduction des déchets et de la sensibilisation du grand public au gaspillage. Ce collectif a organisé un premier événement, « Faites de la récup' », en novembre 2009 qui a rassemblé plus de 800 personnes. Après une formation auprès du réseau national des ressourceries en 2010, le collectif d'habitants a réalisé une étude de faisabilité et un diagnostic de territoire en 2011, avec la participation active d'une trentaine de bénévoles et des partenaires locaux. Ils ont mobilisé tous les partenaires du réemploi sur Romans en 2012 (Emmaüs, la régie de quartier Monnaie Services, la Plateforme d'insertion par l'humanitaire et la coopération, l'ex-communauté d'agglomération du pays de Romans) et ont collectivement défini un projet associatif. C’est ainsi qu’est née la Ressourcerie verte qui a ensuite constitué un groupement solidaire des acteurs du réemploi, la recyclerie coopérative Nouvelle R, pour développer des actions visant la réduction des déchets et le développement de la réutilisation des objets. Composée aujourd’hui de 400 habitants adhérents, l'association fonctionne selon une gouvernance sociocratique2 très partagée avec des cercles participatifs, des techniques d'animation mobilisant l'intelligence collective et des prises de décision par consentement. Pour l'animatrice du projet, « la participation est un axe majeur et fondateur du projet : il est essentiel de prendre le temps de rencontrer tous les acteurs existants pour faire avec tous et faire mieux tous ensemble »3. > En savoir plus : http://www.recyclerie-nouvelle-r.fr/ et http://laressourcerieverte.com 2 La sociocratie est « un mode de prise de décision et de gouvernance qui permet à une organisation de se comporter comme un organisme vivant, de s’auto-organiser », cf. John A. Buck, Gérard Endenburg, La sociocratie – les forces créatives de l'auto-organisation, 2004. « Fondée sur la cybernétique et la théorie des systèmes, la sociocratie est une approche qui mobilise l'intelligence collective de tous les membres d'une organisation et assure une prise de décision sans objection garantissant une efficacité optimale », cf. http://www.sociocratie.net/ 3 Entretien avec Karine Charles – coordonnatrice du projet- Mai 2016 10 - L'action citoyenne, accélératrice de transitions vers des modes de vie plus durables
Partie 1 : Etat des lieux des initiatives citoyennes : une transition sociétale en actions Les Incroyables comestibles C’est à Todmorden en 2008 qu’est né le mouvement des « Incroyables comestibles ». Dans cette ville de Grande-Bretagne touchée par la crise, le poids et les effets négatifs du système économique se font fortement ressentir. « Soucieux de l'état du monde que nous allions léguer aux générations futures, nous savions qu'il fallait trouver rapidement un nouveau mode de vie. »4 Pamela Warhurst et Mary Clear, deux habitantes, ont souhaité recréer du lien entre les habitants de la ville, avec la volonté d'agir concrètement pour changer les modes de vie. « Alors nous nous sommes demandé s'il était possible de trouver un langage universel, un langage qui transcenderait les différences (…) Un tel langage existe : la nourriture »5. Si la nourriture constitue le lien potentiel entre les habitants, c'est l'action, le faire-ensemble, qui devient le moyen de créer et développer ce lien : « finis les discours, finie l'inertie (…) il est temps d'agir »6. Le projet est alors de permettre à tous de jardiner collectivement les espaces de la ville : au départ, un simple jardin dont les murs écroulés invitent au partage, et, petit à petit, même la police jardine l'espace public. Les policiers-jardiniers de Todmorden (source : Flickr - Incroyables Comestibles Poissy, consulté en septembre 2016) Si la prise de conscience individuelle, le regroupement des bonnes personnes et des bonnes compétences au bon moment, ainsi que la démonstration par l'action ont permis de transformer Todmorden, les difficultés ne sont pas absentes. C’est en particulier le cas du lien difficile avec les institutions, et des craintes des habitants qu’il faut convaincre. Le mouvement est aujourd'hui international : des collectifs locaux des incroyables comestibles installent des bacs de « nourriture à partager » un peu partout dans le monde. 4 cf. Pam Warhurst, Les Incroyables Comestibles, Mai 2015, Actes Sud – Colibris. 5 cf. Pam Warhurst, Les Incroyables Comestibles, Mai 2015, Actes Sud – Colibris. 6 cf. Pam Warhurst, Les Incroyables Comestibles, Mai 2015, Actes Sud – Colibris. L'action citoyenne, accélératrice de transitions vers des modes de vie plus durables - 11
Partie 1 : Etat des lieux des initiatives citoyennes : une transition sociétale en actions Définition et origines des initiatives citoyennes : le besoin d’agir et d’innover à son échelle Ces deux premiers exemples nous permettent de cerner un peu plus l'objet de l'étude notamment en indentifiant des points communs : la présence d'habitants moteurs, le besoin de changement, l’importance de l’action et du collectif. Les différents exemples cités, et mis en regard avec des réflexions théoriques, nous permettent à présent de proposer une définition et un périmètre pour l'objet de nos travaux. Point d’entrée : l’innovation par et pour les citoyens dans un but de transition Les initiatives citoyennes seront donc entendues comme des démarches ascendantes portées par des individus en dehors de l'action institutionnelle et des politiques publiques. Plus précisément, dans cette étude, on s'intéresse aux initiatives qui : • témoignent d'une évolution des modes de vie vers plus de durabilité (agriculture urbaine, habitat participatif, monnaies locales…) ; • portent une visée transformatrice de la société (lien avec les transitions écologique, énergétique, et solidaire) ; • sont plutôt en construction d'une alternative qu’en opposition à un projet institutionnel ; • permettent aux citoyens de faire, d'agir directement. Les initiatives citoyennes ainsi caractérisées constituent alors des formes d'innovation sociale et territoriale, définie comme suit par le Conseil supérieur de l’économie sociale et solidaire (CSESS) : « L’innovation sociale consiste à élaborer des réponses nouvelles à des besoins sociaux nouveaux ou mal satisfaits dans les conditions actuelles du marché et des politiques sociales, en impliquant la participation et la coopération des acteurs concernés, notamment des utilisateurs et usagers. Ces innovations concernent aussi bien le produit ou le service, que le mode d’organisation, de distribution, dans des domaines comme le vieillissement, la petite enfance, le logement, la santé, la lutte contre la pauvreté, l’exclusion, les discriminations… »7. Dans son rapport intitulé L’innovation au pouvoir, Akim Oural insiste sur sa visée transformatrice, son ancrage et son adaptation au contexte local, ainsi que sur sa dimension participative ; il définit l’innovation territoriale comme une « réponse nouvelle à une problématique et/ou un besoin identifiés collectivement dans un territoire, en vue d’apporter une amélioration du bien- être et un développement local durable », « l'innovation pour et par le territoire »8. Lydie Laigle et Nathalie Racineux, dans une précédente étude sur le sujet, retiennent la notion « d'initiatives citoyennes de transition socio-écologique » qui « relèvent d’une mise en capacité d’agir collective et locale d’une diversité d’acteurs (citoyens, milieux associatifs et économiques…) partageant des compétences, savoir-faire et expérimentations, afin de mettre en 7 Rapport de synthèse du groupe de travail Innovation sociale, CSESS, décembre 2011 8 Akim Oural, Rapport « L'innovation au pouvoir ! Pour une action publique réinventée au service des territoires », Avril 2015 12 - L'action citoyenne, accélératrice de transitions vers des modes de vie plus durables
Partie 1 : Etat des lieux des initiatives citoyennes : une transition sociétale en actions lien leurs manières de vivre et de produire sur leur territoire (leurs manières d’habiter, de se déplacer, de se nourrir…) »9 ; elles impliquent aussi un véritable changement social, « une dynamique d’action collective (…) et des formes de coopération plus soutenues entre l’État, les collectivités locales et les acteurs de la transition ». Selon les auteures, « Insister sur le lien entre le social et l’écologie consiste à reconnaître que ces initiateurs de transition s’appuient sur le lien social et une économie plus coopérative pour poursuivre des visées écologiques. Cela consiste aussi à veiller à ce que la transition ne soit pas inégalitaire, c’est-à- dire qu’elle n’évince pas les plus pauvres et les plus précaires, ni ne mette à l’écart de la transition certains territoires »10. Les initiatives citoyennes au cours du temps Historiquement, l'origine des initiatives citoyennes concourant à la transition remonte au début du 20ème siècle, avec le Mouvement des « castors » autoconstructeurs. Leur développement s'accélère depuis les années 1970 et 1980, avec notamment : • le développement des mouvements prônant le retour à la terre : émergence de la permaculture, et 1er écovillage créé en 1976 en Australie ; • la création des premières sociétés anonymes à participation ouvrière en 1981 ; • le mouvement altermondialiste pour une autre économie en 1984 ; • les mouvements de l’Économie sociale et solidaire ; • les Slow Food en 1989 ; • la naissance des premiers SEL (Systèmes d’échange locaux) en France en 1994. En 2008, la publication du Manuel de la Transition par Rob Hopkins11 engendre une deuxième accélération de ces initiatives citoyennes, avec notamment la création du Mouvement des villes en transition en 2009, et les premières monnaies locales en Grande-Bretagne en 2010 12. En 2007, la création du Mouvement Colibris, fondé par Pierre Rabhi et Cyril Dion, donne une nouvelle dimension aux initiatives citoyennes en proposant de les relier. Sa mission est en effet d’« inspirer, relier et soutenir les citoyens qui font le choix d’un autre mode de vie »13. On retrouve dans cette expression la notion de changement et de transition. Après les films d’alerte et catastrophistes sur le changement climatique, le cinéma change d’approche et s’empare du sujet des initiatives citoyennes de transition. Dès 2010, le film Solutions locales pour un désordre global de Coline Serreau témoigne des alternatives déjà mises en œuvre dans le monde. En 2015, le film Demain, de Cyril Dion et Mélanie Laurent, sous-titré « parcourir le monde des solutions », donne à voir de nombreuses initiatives, dans une vision systémique. A travers le prisme de l'énergie, de l'alimentation et de la finance, le scénario du documentaire permet en effet de lier les différentes initiatives. 9 L. Laigle, N. Racineux, Rapport Théma « Initiatives citoyennes et transition écologique : quels enjeux pour l'action publique ? » - CGDD Juin 2017 10 Ibid. 11 Rob Hopkins, Manuel de transition – De la dépendance au pétrole à la résilience locale, 2010 12 O. Galibert, F. Dubois, Rapport final Villes en Transition –- Movida, Juillet 2014 13 cf. https://www.colibris-lemouvement.org/mouvement (consulté le 20/09/2016) L'action citoyenne, accélératrice de transitions vers des modes de vie plus durables - 13
Partie 1 : Etat des lieux des initiatives citoyennes : une transition sociétale en actions Les raisons de l’émergence des initiatives citoyennes Selon plusieurs experts, les initiatives citoyennes naissent et se nourrissent d'un contexte paradoxal qui voit grandir un rejet et une crise des institutions, qui engendrent, dans le même temps, le développement de l'auto-organisation des citoyens et un regain d'initiatives citoyennes. Plus précisément, certaines initiatives peuvent émerger dans le but de répondre à des enjeux qui semblent non pris en compte par les institutions. « Pourquoi l’innovation sociale a-t-elle pris autant d’importance depuis une décennie ? En premier lieu, parce que les structures et les politiques existantes se sont montrées incapables de répondre à certains des principaux défis de notre époque, tels que le changement climatique, l’épidémie mondiale de maladies chroniques, et l’accroissement des inégalités. »14 Ces initiatives correspondent à une prise de conscience éco-citoyenne, au développement d'une société plus collaborative, accélérée par le numérique et à une volonté d'agir autrement face à la crise. Pour le journaliste Pierre-Henri Allain, nous sommes face à « l'émergence, dans nos sociétés contemporaines, d'une envie de consommer autrement : moins, mais mieux et en partageant ou en échangeant avec d'autres. Ce temps du partage a pris largement racine dans la violente crise économique de ces dernières années, qui a poussé nombre de consommateurs à trouver d’autres moyens de satisfaire leurs besoins. Mais ses racines vont beaucoup plus loin, dans une prise de conscience des abus de la surconsommation et surtout de ses méfaits sur nos organismes et sur la planète. »15 Pour Robin Murray, l'essor des initiatives citoyennes date de mai 1968 et subit une accélération ces dernières années avec un aspect nouveau : la reprise en main par des habitants de politiques publiques jugées inefficaces ou non durables : « Nés sur les brûlis de Mai 68, les essais de prise en charge par des groupes de citoyens de fonctions jusque-là dévolues à l’État se sont multipliés ces dernières années. Les exemples foisonnent : là où le ministère de l’agriculture organisait la production, le contrôle qualité et la distribution, les AMAP16 cherchent le circuit court du paysan aux consommateurs. Il en va de même pour le ministère du budget vis-à-vis des SEL 17. Les innombrables associations humanitaires d’aide aux nécessiteux font le travail naguère dévolu au ministère des affaires sociales ; les associations de lutte contre l’illettrisme ou de soutien scolaire celui du ministère de l’Education Nationale ; les fêtes des voisins ou les flashmobs n’attendent pas que le ministère de la culture organise les choses ; le covoiturage s’organise sans l’appui du ministère des transports ; le crowdfunding se substitue à l’action du ministère du développement industriel… Les exemples pourraient ainsi être multipliés. Même dans les domaines les plus régaliens, les plus consubstantiels à l’action de l’État, les citoyens s’auto-organisent. »18 14 Robin Murray, Julie Caulier-Grice, Geoff Mulgan, The Open Book of Social Innovation, Nesta / Young Foundation, 2010 15 cf. Article de Pierre-Henri Allain, « le non marchand des possibles », paru dans Libération du 27/12/2015 : http://www.liberation.fr/planete/2015/12/27/le-non-marchand-des-possibles_1423142 (consulté le 20/09/2016) 16 AMAP : Association pour le Maintien d'une Agriculture Paysanne 17 SEL : Système d'Echanges Local 18 Robin Murray, Julie Caulier-Grice et Geoff Mulgan, The Open Book of Social Innovation, Nesta / Young Foundation,2010 14 - L'action citoyenne, accélératrice de transitions vers des modes de vie plus durables
Partie 1 : Etat des lieux des initiatives citoyennes : une transition sociétale en actions Un autre moteur de l’initiative réside dans la déception du politique : l’initiative citoyenne peut alors émerger pour faire (re)vivre la démocratie. Le chercheur Clément Mabi, dans le rapport du Think tank Renaissance numérique, dresse ce constat : « Nos démocraties se retrouvent aujourd’hui dans une situation paradoxale : le niveau de défiance des citoyens grandit comme l’attestent les niveaux records d’abstention atteints lors des dernières élections. Dans le même temps, ce rejet des institutions cohabite avec une exigence toujours plus forte de démocratie. Les initiatives citoyennes se multiplient à travers l’Europe (Podemos en Espagne, Syriza en Grèce) ou en France, à l’exemple du village de Saillans qui a entièrement repensé sa gouvernance grâce à l’implication de citoyens profanes. »19 Selon lui, les initiatives citoyennes se développent dans un contexte de quintuple crise de notre système politique : « crise de la participation symbolisée par la montée de l’abstention ; [crise] de la représentation rendue visible par la montée des extrêmes ; [crise] de la légitimité des mandataires qui se voient constamment remise en cause ; [crise] des institutions devenues illisibles et [crise] du résultat, dans la mesure où les citoyens considéreraient de moins en moins la politique comme un levier de transformation de nos sociétés »20. Selon un sondage de mars 2016 (Sondage réalisé par Harris Interactive pour le mouvement citoyen « Le Réveil de la France »)21, deux Français sur trois considèrent que les politiques sont « incapables d’apporter des solutions efficaces » et pour y remédier plus de huit sondés sur dix se disent en outre favorables à une démocratie « collaborative ». 19 C. Mabi, « Démocratie : mise à jour - 13 propositions pour une version améliorée de l’État, sa posture et son équilibre démocratique » – Rapport de Renaissance numérique, Avril 2016, http://www.lagazettedescommunes.com/telechargements/LB_DEMOCRATIE_MAJ.pdf (consulté le 15 septembre 2016) 20 Ibid. 21 Ibid. L'action citoyenne, accélératrice de transitions vers des modes de vie plus durables - 15
Partie 1 : Etat des lieux des initiatives citoyennes : une transition sociétale en actions FOCUS SUR... des initiatives qui répondent aux enjeux des politiques publiques de transition Se saisir du changement climatique pour construire un projet de territoire avec les habitants : l’exemple d’ECOLOCAL L’association d’habitants ECOLOCAL s’est créée à Narbonne, territoire en prise à des transitions multiples entre risques inondations, submersions marines et très paradoxalement des sécheresses tout aussi sévères qu’inattendues, ainsi que des grands projets comme la ligne à grande vitesse Montpellier-Barcelone ou les parcs éoliens. ECOLOCAL a décidé de s’emparer de ces questions à partir de la problématique suivante : « et si le changement climatique était l’opportunité de repenser nos lieux de vie ensemble ? ». L’objectif visé est l’écriture de nouveaux récits du territoire et de la ville, par les habitants eux-mêmes. Cela pourrait se traduire par un SCOT-CH, c’est-à-dire le « schéma de cohérence territorial dit création des habitants » qui pourra alimenter le SCoT institutionnel. En savoir plus : http://www.narbona.org/ Reconquérir le foncier pour une agriculture respectueuse de l’environnement : Terres de Liens Accès au foncier agricole pour les petites exploitations, promotion de l’agriculture biologique : l’action de Terres de Liens se situe clairement dans les politiques publiques de l’État et des collectivités. L’association a trois moyens d’action et intervient dans toute la France - une foncière dans laquelle les citoyens peuvent épargner, la fondation ouverte aux dons, et l’association – ce qui lui permet de racheter des fermes pour permettre l’installation d’agriculteurs, en maintenant ainsi l’activité agricole là où elle est menacée. En savoir plus : https://www.terredeliens.org/ La pension de famille Les Thermopyles La prise en charge de la construction d'une pension de famille par une association de citoyens d’un quartier de Paris créée des difficultés de compréhension et de dialogue avec les institutions (notamment l’OPAC). Le projet développé a plusieurs aspects « décalés » : travail avec un café associatif, bénévolat des habitants du quartier qui le souhaitent, activités associatives ouvertes aux pensionnaires... En savoir plus : http://maisondesthermopyles.fr/ 16 - L'action citoyenne, accélératrice de transitions vers des modes de vie plus durables
Partie 1 : Etat des lieux des initiatives citoyennes : une transition sociétale en actions Les initiatives citoyennes : des individus engagés ; un processus d'empowerment en plusieurs étapes Répondre à un besoin ou à un manque de la société « en faisant », c’est ce qui semble constituer le moteur des initiatives citoyennes. Mais au-delà de l’action même, l’initiative citoyenne apporte aussi au citoyen en tant qu’individu. Porteuses de sens et de transformation positive, les initiatives citoyennes sont portées par des individus très impliqués, militants, bénévoles, éducateurs, animateurs … qui cherchent un nouveau sens à leur action et souhaitent contribuer personnellement, par leur implication, à un projet collectif de transformation. Dans la majorité des initiatives rencontrées, équivalence des acteurs et points de vue, écoute et bienveillance, intelligence collective et travail collaboratif fondent les règles du jeu collectif : chaque personne est considérée avec respect, pour ce qu'elle est et pour ce qu'elle fait. Cette expérience collective implique souvent un parcours préalable de transformation personnelle, un travail sur soi, et dans tous les cas, un fort engagement personnel, voire intime, de chacun : « Sois le changement que tu veux voir dans le monde » est l'un des principes de Gandhi le plus cité et appliqué par les porteurs d'initiatives citoyennes. Du citoyen « consommateur » au citoyen « faiseur » Pour Robin Murray, les habitants ne se contentent plus d’attendre de l'Etat qu'il fasse tout : ils s'auto-organisent pour pallier les manques des politiques publiques ou accélérer leur évolution. « Ce phénomène est nouveau. Il correspond à des sociétés dans lesquelles le niveau d’instruction est élevé, et où les individus ne souhaitent plus subir mais prétendent, à leur niveau et avec leurs proches, bâtir leur propre destin. Il est puissamment appuyé, dans son passage à la réalisation concrète, par les moyens nouveaux de communication (internet, mails, réseaux sociaux, smartphones, etc. »22 Le Mouvement Do it yourself avec l’explosion du nombre de tiers lieux (« fablabs », « repair café », ateliers de coworking ou autres) en est une illustration. Cela témoigne du passage de l’État providence à « l'âge du faire citoyen » selon la formule d'Alexandre Jardin, créateur du mouvement Bleu Blanc Zèbre. La charte du mouvement interpelle notamment les politiques en revendiquant le pouvoir d’agir citoyen : « Laissez-nous faire, nous les Faizeux, celles et ceux qui agissent au quotidien pour trouver des solutions performantes aux maux qui rongent notre société. »23 De même, la co-fondatrice des Incroyables Comestibles décrit les principes de son mouvement avec les expressions suivantes : « de l'action, pas des discours », « nous ne sommes pas des victimes » et « ne pas se refiler la patate chaude »24. 22 R. Murray, J. Caulier-Grice, G. Mulgan, The Open Book of Social Innovation, Nesta / Young Foundation (2010) 23 cf. http://www.bleublanczebre.fr/bbz-c-est-quoi/l-appel-des-zebres (consulté en mars 2017) 24 Pam Warhurst, Les Incroyables Comestibles, Mai 2015, co-édition Actes Sud – Colibris. L'action citoyenne, accélératrice de transitions vers des modes de vie plus durables - 17
Partie 1 : Etat des lieux des initiatives citoyennes : une transition sociétale en actions Plusieurs facteurs expliquent ainsi cette dynamique d'émergence d'initiatives citoyennes qui semble fonder un nouveau rapport entre l’individu et la société 25 : • la perte de confiance entre le citoyen et les politiques, la défiance envers les institutions, • le développement du partage et de la société collaborative comme alternative et complément à la consommation individuelle, • une revendication grandissante de citoyenneté plus active et de démocratie plus participative, • les opportunités offertes par le numérique : réseaux sociaux, espaces collaboratifs, open source, big data, open data, MOOC… FOCUS SUR... des citoyens qui accompagnent et qui « font » Si les exemples précédents sont également caractérisés par l’action et la production par les citoyens, les trois suivants montrent des initiatives citoyennes qui en accompagnent d’autres via des actions concrètes, et jouent ainsi un rôle de facilitateur et de mise en réseau que pourrait tenir une collectivité. Le guide « Agir à Lyon » par Anciela L’association Anciela a pour but d’accompagner gratuitement les initiatives citoyennes écologiques et solidaires, notamment via une pépinière d’initiatives. En 2015, Anciela a réalisé un guide recensant 400 façons d’agir à Lyon et ses alentours. De la participation au Conseil de développement à l’action de collectifs comme Les Incroyables Comestibles, toutes les dimensions de la participation et de l’action citoyennes sont présentes. En savoir plus : http://www.anciela.info/guide/ L'association « La marmite » du pays de Questembert en Bretagne Centre d'échange et de ressources associatif co-géré par 16 habitants co-présidents réunis en bureau collégial, il accompagne les porteurs de projets, d'idées et d'initiatives individuelles ou collectives, qui peuvent être des personnes en recherche d'emploi, en reconversion ou en situation Extrait du guide Anciela, les façons d'agir précaire, des nouveaux arrivants, des agriculteurs futurs cartographiées- www.anciela.org cédants de leur exploitation en milieu rural. Il met également en place un programme de sensibilisation des habitants du territoire aux transitions écologiques et sociétales26. En savoir plus : http://www.association-la-marmite.fr/ Rues du développement durable (RDD) 25 cf. Ministère de l’Écologie, du Développement durable et de l’Énergie, « Penser autrement les modes de vie en 2030, Cahier des signaux faibles », Décembre 2014 18 - L'action citoyenne, accélératrice de transitions vers des modes de vie plus durables
Partie 1 : Etat des lieux des initiatives citoyennes : une transition sociétale en actions L’association RDD a pour objet la dynamisation du quartier du Crêt de Roch à Saint-Étienne via l’accompagnement de projet solidaires, artistiques, etc. Espace de co-working, garage à vélo partagé, installation d’activités : l’action de RDD revitalise les rez-de-chaussées du quartier. En savoir plus : http://www.ruesdudeveloppementdurable.fr/ Le pouvoir d’agir, un processus Les initiatives citoyennes font écho à une expérience vécue par les individus qui les conduisent et les mettent en œuvre. Le résultat de l’initiative n’est alors que la partie visible d’un processus d’émancipation des individus, de questionnement individuel et de dynamique collective. Ce processus a été décrit par un travail de recherche mené par l’association Anciela 27, qui définit différentes « trajectoires d’engagement citoyen ». Que ce soit pour porter un projet propre, décliner dans la vie citoyenne des compétences professionnelles, agir dans le sens de ses convictions, chaque participant à une initiative citoyenne inscrit son action dans son histoire personnelle. Le travail d’Anciela permet aussi de distinguer deux étapes dans l’engagement citoyen : • les déclics ou les ruptures de vie qui amorcent l’engagement (tel un ciné-débat qui donne envie d’agir) ; • l’intégration d’un groupe (qui permet d’agir). EXEMPLES AVEC... Les Incroyables Comestibles, une aventure humaine avant tout Si le mouvement des Incroyables Comestibles est connu pour proposer des bacs à jardiner et de la nourriture à partager, sa naissance dans la ville de Todmorden est issu d’un processus qui n’est pas – au départ – axé sur l’agriculture urbaine. Pam Warhurst – co-fondatrice du mouvement – explique en effet que, dans un contexte de crise industrielle, sa volonté était de retisser du lien social et de la solidarité, l’alimentation étant utilisée comme un « langage commun ». En savoir plus : http://lesincroyablescomestibles.fr/causes/livres/ La SCOP Les Amanins : tout un parcours de formation à la transition Les Amanins est un centre agroécologique qui regroupe une ferme, un centre d'accueil éco- construit et une école primaire, créé par Pierre Rahbi et Michel Valentin. Plusieurs stages d'accompagnement des transitions individuelles vers la transition collective sont proposés : « Ecole de la nature et des savoirs – stage piloter sa transition », « Atelier école du colibri et pédagogie de la coopération », etc. En savoir plus : http://www.lesamanins.com/ 26 cf. http://www.bastamag.net/Produits-bios-librairie-brasserie-theatre-ebullition-d-alternatives-en-milieu 27 cf. Article « L’engagement des citoyens en faveur de la transition écologique et citoyenne et des alternatives sociales », Anciela, 2014 : http://www.millenaire3.com/ressources/l-engagement-des-citoyens-en-faveur-de-la-transition-ecologique- et-citoyenne-et-des-alternatives-sociales (consulté en juin 2017) L'action citoyenne, accélératrice de transitions vers des modes de vie plus durables - 19
Partie 1 : Etat des lieux des initiatives citoyennes : une transition sociétale en actions L’action collective, l'ancrage territorial et la mutualisation comme points communs Ancrées au territoire (quartier, hameau, village …), les initiatives citoyennes mobilisent l'expertise d'usage des habitants, et répondent ainsi à des enjeux qui sont bien identifiés par les personnes qui s’intéressent à la vie de leur quartier ou territoire : enjeux d'animation, de développement du lien social, de promotion de la capacité des habitants à s’impliquer. Elles revendiquent une vision positive de la participation des habitants et défendent l'intérêt du renforcement du pouvoir d'agir citoyen. Ce qui les caractérise, « c’est leur dimension collective, et une organisation portée par des habitants, avec ou pour d’autres habitants : • Organisation d’actions conviviales, permettant la rencontre et l’échange dans les quartiers : carnaval, repas des voisins, apéritifs de bas d’immeuble, ateliers manuels, fêtes d’îlot, animation de jardins partagés, groupes d’échanges de savoirs … sont les actions les plus fréquemment soutenues ; • Réponse à des besoins considérés comme insuffisamment pris en compte par ailleurs : gardes d’enfants, covoiturage, épicerie sociale … ; • Interpellation des responsables politiques ou des professionnels pour faire entendre une parole citoyenne, faire remonter des mécontentements ou des propositions ... »28 Ces initiatives réhabilitent l'habitant en tant qu'acteur et auteur d'un nouveau service ; ce dernier n'est plus considéré comme un simple usager, bénéficiaire ou client-consommateur d'un bien ou service mais comme co-créateur de celui-ci : elles partent de l'habitant-expert d'usage, le place au centre de l'action et le mettent en mouvement en activant son pouvoir d'agir. C’est bien l’action qui est au cœur de fonctionnement collectif de l’initiative. Basées et fécondées par l'intelligence collective, la coopération entre habitants, la mutualisation des savoirs et savoirs faire de chacun, elles se nourrissent de l’énergie et de l’inventivité des citoyens. 28 « Le soutien aux initiatives d'habitants- Etat des lieux et perspectives » - Actes de la Rencontre du 1er juillet 2014 organisée par l'APRAS à Rennes 20 - L'action citoyenne, accélératrice de transitions vers des modes de vie plus durables
Partie 1 : Etat des lieux des initiatives citoyennes : une transition sociétale en actions FOCUS SUR... initiatives citoyennes et intelligence collective pour agir Anciela donne des formations sur les outils pour les porteurs d’initiatives citoyennes, comme « Remue-méninges et imagination d’idées » ou encore « Animer les débats, les réunions et les dispositifs participatifs ». Les Dialogues en humanité témoignent également d'un esprit d'échange et de partage : « Dans un cercle, sur un thème, chacun ôte sa "casquette", écoute, parle vrai, témoigne et propose, dans le respect mutuel et l'ouverture. » La Fabrik à Déclik, événement qui vise à donner des perspectives d'actions aux jeunes, utilise aussi fortement les outils de l'intelligence collective : ateliers d'inspiration et d'introspection, méthode SPIRAL, etc. En savoir plus : fabrikadeclik.fr Dans le supermarché coopératif La cagette, chaque coopérateur s’engage à participer au fonctionnement du magasin, à hauteur de 3 heures par mois, ce qui lui donne accès aux produits du magasin et au droit de vote (une personne = une voix) à l'AG de la coopérative de consommation. En savoir plus : http://lacagette-coop.fr/ L’habitat partagé Habiterre a choisi une gouvernance participative. La création de la SCI a été complétée par une « charte coopérative » qui promeut notamment le principe « une personne = une voix ». Une montée en compétence dans l’empowerment Au-delà d’une trajectoire personnelle qui trouve à s’incarner dans une action collective, c’est aussi une prise de confiance et une montée en compétence qu’acquièrent les participants à une initiative citoyenne. L'initiative citoyenne, comme la capacité d'agir individuelle, constituent en effet un processus d'apprentissage en plusieurs étapes touchant à différentes dimensions. Selon l'étude réalisée par Marie-Hélène Bacqué et Carole Biewener 29, ce processus peut être modélisé comme suit : • Tout d’abord le développement de « compétences et des savoir-être individuels (…) : la prise de parole en public, l’argumentation et les capacités d’organisation et de gestion du temps ». • Ces premières compétences permettent au citoyen de prendre confiance en lui, et de développer ensuite « la capacité (...) à « agir sur » ou « agir avec » et in fine à s’inscrire dans une démarche collective. (…) Les citoyens apprennent de manière progressive à s’organiser entre eux (…). » ce qui leur permet de dialoguer avec les institutions. • « La dernière dimension du pouvoir d’agir citoyen est politique. Elle renvoie à la capacité des individus et des groupes à penser et à mener des actions destinées à changer la société. » 29 BACQUE Marie-Hélène et BIEWENER Carole, L’empowerment. Une pratique émancipatrice, Paris, La Découverte, 2013, pp.21-31 L'action citoyenne, accélératrice de transitions vers des modes de vie plus durables - 21
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