L'ALIMENTATION, FAIT TOTAL DE LA SOCIETE DE COMMUNICATION PLANETAIRE1
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L’ALIMENTATION, FAIT TOTAL DE LA SOCIETE DE COMMUNICATION PLANETAIRE1 Paul Rasse, Frank Debos Si l’Anthropologie s’intéresse aux sociétés disparues, c’est moins pour leur économie interne, domaine de l’Ethnographie, ou pour leur propre histoire et les relations qu’elles entretiennent avec leurs voisins, domaine de l’Ethnologie, que pour ce qu’elles nous enseignent sur l’histoire de l’humanité tout entière et sur le mouvement des civilisations ; depuis les premiers chasseurs cueilleurs, vivants en clan isolés les uns des autres par le désert, la mer, la jungle ou la forêt amazonienne et par la guerre perpétuelle qu’ils se livrent entre eux, jusqu’à notre civilisation mondiale, pétrie par l’essor des moyens des communication, brassant les hommes et les cultures comme jamais auparavant. Autrement dit, si l’on accorde à l’anthropologie culturelles les objectifs que lui assignent Lévis Straus et Héritier d’engager une réflexion sur les principes qui régissent l’agencement des groupes et la vie en société sous toutes ses formes et à toutes les époques, on voit se dessiner la perspective d une anthropologie culturel de la communication qui utilise les connaissances accumulées sur les mondes éteignent pour penser les mutations actuelles liées à l’essor de moyens de communication2. En effet, l’anthropologie constitue un formidable panoptique du savoir, au sens ou l’entendent Foucault ou Latour, a mobiliser pour donner du relief à notre monde actuel écrasé par l’uniformisation des modes de vies. À partir de matériaux accumulés par elle sur l’histoire des civilisations, elle peut nous permettre de prendre la mesure de mouvements imperceptibles et de présager de leurs conséquences, là où on ne les attendait généralement pas. Là, une ethnographie de terrain rencontre une anthropologie qui se souvient des mondes éteint, qui utilise le matériel accumulé par les ethnologues sur une multitude de sociétés et de civilisations disparues pour penser les mutations, leur donner du relief, prendre la mesure de ce qui se perd, de ce qui s’invente, et de ce qui peut se comparer et s’interpréter à la lumière de pratiques séculaires aujourd’hui abandonnées. L’alimentation est un bel objet pour ressaisir les mutations du monde liées à l’essor des processus de communication. L’anthropologie, qui se souvient de la diversité des sociétés disparues et garde la trace des anciennes matrices culturelles qu’elles constituaient, nous permet permettent de mettre en évidence quelques caractéristiques de notre modernité, notamment les processus de fluidification et d’uniformisation des modes de vie, pour accélérer la circulation des individus dans les réseaux formatés. 1 Cet article est, en partie, issu d’un chapitre de livre publiées in Paul Rasse, La rencontre des mondes, Diversité culturelle et communication, Armand Colin 2006. 2 Levi-Strauss Claude, Anthropologie structurale, Presses pocket, 1990 (1ère édition chez Plon 1958), p. 411 et suivantes. Le point de vue à été repris plus récemment par Françoise Héritier in : Héritier Françoise, Masculin / féminin, la pensée de la différence, Ed. Odile Jacob 1996, p.32 et suivantes 1
Unité et diversité des pratiques alimentaires L’alimentation ne peut se réduire à la couverture de simples besoins physiologiques3, les pratiques qu’elles suscitent constituent un élément essentiel de la diversité des cultures. L’ingestion de nourritures crues ou cuites, grillées, bouillies, revenues, amères ou douces, sucrées ou salées, revêt une forte charge symbolique, qui suscite plaisir ou dégoût et s’accompagne de multiples croyances, tabous ou injonctions. Dans les sociétés traditionnelles, les repas réactualisent quotidiennement la complexité des formes d’organisation sociale ayant conduit à produire et à préparer les aliments servis à ce moment-là. Ils cristallisent les rapports sociaux, les jeux de pouvoir ; on y restaure la place des uns et des autres dans la société, les clivages hommes et femmes, parents et enfants, maîtres et sujets ; on y affirme son statut et on s’y donne en représentation s’il y a des hôtes ; on y règle la vie sociale, la coordination des tâches au quotidien. La société y assume son existence et son économie interne. On y partage les fruits du travail collectif, des communautés familiales arc-boutées sur un territoire pour produire tant bien que mal les éléments nécessaires à leur existence. Chacune, en chaque endroit, s’ingénie à en tirer le meilleur parti, en fonction des possibilités climatiques et géophysiques, en fonction de son expérience, de son inventivité, de ses croyances. Vaille que vaille, aurait dit Braudel, en ne comptant jamais que sur ses propres forces. Va pour la belle saison et les moments d’abondance, mais il faut encore assumer les périodes de disette, les hivers interminables, ailleurs la sécheresse ou les automnes pourries qui vident les greniers et limitent considérablement les possibilités de varier les repas. Car à partir du moment où l’homme se sédentarise, où il renonce à son errance sans fin de chasseur cueilleur toujours en quête de nourriture, il n’a plus le choix, l’espace se referme sur lui, il devient prisonnier du milieux qu’il habite, du territoire où il s’est installé, il doit produire l’essentiel de ce qui est nécessaire à son existence quotidienne en exploitant au mieux les ressources du milieux qu’il habite désormais. Et l’on ne vit pas de la même façon selon que l’on s’est installé au bord de la mer ou à l’intérieur des terres, dans des zones clémentes, fertiles et arrosées, où arides et désertiques. Dans l’identité de la France, mais aussi dans ses ouvrages consacrés à la méditerranées, Braudel raconte longuement comment la diversité des milieux à forgée la diversité des cultures. L’alimentation en ce qu’elles cristallise les façon de vivre ensemble est bel exemple de ces caractéristiques et leur mutations. Les comportements alimentaires des sociétés traditionnelles relèvent de ces phénomènes que Marcel Mauss qualifie de « fait social total », qui ne peuvent s’appréhender que par une approche holiste prenant en considération la société dans sa globalité. Et cela permet de mieux comprendre comment la diversité des sociétés dispersées de par le mondes a produit l’immense diversité des pratiques alimentaires qui ont tant intrigué et fasciné les voyageurs, avant que les ethnologues ne s’efforcent de les recenser, comme un traits caractéristiquement 3 Martine Garrigues-Cresswell, Marie Alexandrine Martin, « L’alimentation entre mondialisation et pratiques identitaires », Techniques et cultures, n° 31-32, janvier-décembre 1998, p. 1. 2
des sociétés étudiées. Mais attention ! la diversité n’est pas fantaisie, elle ne s’appréhendent qu’au plan global, car au plan local au contraire, l’alimentation met en jeu, pour chaque société, des règles stables, des rituels, des formes d’organisation bien spécifiques, toutes liées entre elles, et qui jusque-là évoluaient peu, car même si elles pouvaient changer en fonction des activités du moment, du rythme saisonnier, de l’alternance des fêtes, elles revenaient dans un ordre immuable. Dynamique et limites des échanges dans les sociétés traditionnelles Si les pratiques alimentaires doivent probablement, aujourd’hui, se penser à l’échelle d’une société planétaire, elles étaient jusque-là l’expression de microsociétés, isolées les unes des autres, contraintes à l’autarcie ; ce qui pour autant ne signifie pas qu’il n’y ait pas eu d’échanges entres-elle Les plantes, les graines, les animaux domestiques, comme les savoirs et les religions voyagent lentement, mais ils voyagent. À la différence des denrées alimentaires, qui une fois consommées doivent être réapprovisionnés, ce qui les réservait aux plus puissants, les espèces, les semences une fois adaptées font souches et se reproduisent sur place. Même quand les contacts entre les sociétés sont rares, et même quand certaines s’efforcent d’en garder le secret, à la fin, un jour, il leur échappe et les voisins adoptent les nouveaux éléments tant bien que mal, souvent avec réticence, avant qu’ils ne s’imposent, au final, s’ils leur permettent de mieux vivre. À survoler l’histoire de l’humanité, on voit bien qu’il n’y a pas d’élément original caractéristique de l’alimentation de telle nouvelle société, toutes les cuisines sont faites d’emprunts continuels aux unes et aux autres, mais chaque fois refondus dans un contexte culturel et environnemental. Ainsi les agrumes sont-ils arrivés depuis l’Inde, à partir d’un citron, le cédrat. Au Moyen-Âge, nous dit Aymard, l’Europe emprunte au Proche-Orient les asperges, les laitues, les aubergines, les courges et les melons, les poires et les prunes, les pêches, la canne à sucre et le mûrier, les roses de Damas. Ils arrivent moins par les croisades, que par les jardins des horticulteurs musulmans en Sicile et en Andalousie, qui les ont acclimatés, en même temps qu’ils ont perfectionné les systèmes d’irrigation4. La découverte de nouveaux mondes a non seulement permis la diffusion de la pomme de terre et du maïs, mais encore de la citronnelle, de la patate douce, du piment, alors qu’inversement le continent américain a bénéficié de la pastèque, du café originaire d’Afrique et de diverses cucurbitacées importées d’Asie. Ainsi, par exemple, les composants de la cuisine niçoise et de sa fameuse salade viennent des quatre coins du monde. La tomate d’abord, originaire d’Amérique du Sud, que les conquistadors trouvent déjà acclimatée dans les jardins de Mexico et qu’ils ramènent en Europe, où elle a bien du mal à s’imposer, en raison, dit-on, de 4 Maurice Aymard, « Migrations », in Fernand Braudel, Georges Duby (sous la dir. de), La Méditerranée, Paris, Flammarion, 1986, p. 153. 3
sa robe rouge, diabolique, si bien qu’elle sera longtemps consommée exclusivement cuite ; trop de superstitions l’entouraient pour oser la goûter crue. L’oignon, lui, serait parvenu du Moyen-Orient et des côtes de Palestine, où persistent des variétés endémiques. Quant à la fève, légume merveilleux en dépit de ses qualités gustatives et nutritives médiocres (c’est une légumineuse qui a le mérite d’enrichir le sol, mais aussi de permettre la soudure, en fournissant un complément nutritionnel frais au sortir de l’hiver, tandis qu’on peut aussi la conserver toute l’année séchée et l’ajouter aux soupes), originaire d’Asie Centrale, elle était fort appréciée des Babyloniens et des Romains. L’ail a, lui aussi, été importé par les Romains, qui avec l’oignon le réservaient à la plèbe et aux armées. L’artichaut, gros chardon sauvage d’Afrique du Nord, aurait transité par la Sicile à la fin de l’Antiquité ; quant au basilic, originaire de Chine, il serait parvenu en Occident par les routes de la soie ou des épices5. On oppose fréquemment cette circulation des plantes comestibles et des animaux domestiqués aux revendications identitaires, qui font de la cuisine traditionnelle un emblème de leur culture menacée par la globalisation. La critique n’est pas justifiée. Bien sûr, les sociétés ont toujours emprunté aux autres, aucune n’aurait trouvé en elle, la force et l’ingéniosité pour se débrouiller seule. Mais les apports extérieurs étaient peu nombreux, ils ajoutaient des possibilités nouvelles, des facilités, et finissaient par vaincre les habitudes, la routine, les craintes, jusqu’à trouver leur place au sein des cultures préexistantes. Ils les modifiaient sans doute, mais en même temps étaient saisis par elles, car l’ensemble tient toujours mieux que l’intrus, elles lui faisaient une place, mais au final l’entouraient. Le tout s’en trouvait enrichi, sans pour autant se dissoudre et perdre sa cohérence. Et la cuisine y gagnait en saveurs, sans perdre ses caractères, car la dissémination des nouveaux aliments a toujours été lente. Il a fallu chaque fois dépasser les réticences, mais aussi acclimater les plantes et les animaux domestiques, à force de sélection, de reproduction intuitive des éléments jugés les mieux adaptés aux contraintes environnementales, écologiques ou économiques, jusqu’à créer des variétés nouvelles, et des méthodes culturales tirant le meilleur parti des conditions particulières du milieu. Pouvaient encore s’ajouter de nouvelles techniques (outillage ou façons de faire), pour accroître le rendement, ou mieux conserver les récoltes, et parfois de nouveaux débouchés pour les surplus, qui dynamisaient l’ensemble, tout en maintenant la culture dans sa totalité. De la sorte chaque région a pu produire ses meilleures recettes et finalement révéler le meilleur de la cuisine de terroir. Mutation de l’agroalimentaire Jusque-là, quelques denrées de base composaient l'essentiel des produits disponibles pour l’alimentation quotidienne des populations. Durant les longs mois d'hiver, ou pendant les saisons sèches, elles devaient s'accommoder de quelques rares ingrédients qu'elles parvenaient à stocker en quantité suffisante. Ici le blé, là le riz, le chou, la pomme de terre, le manioc, la farine de châtaigne ou la semoule de maïs… Il fallait des trésors d’ingéniosité pour varier la 5 André Giordan, « La Salade niçoise », Alliages, n°24-25, automne-hiver, 1995, pp.145 et suiv. 4
cuisine quotidienne. Sans doute les gens étaient-ils habitués à manger toujours les mêmes choses. Seuls, les fêtes et le rythme des saisons permettaient de varier les menus. Les progrès des moyens de transport, les nouvelles technologies de conservation comme la salaison, la stérilisation, la pasteurisation, le froid, puis la congélation, ont progressivement permis de développer les filières agro-industrielles, qui, après avoir éloigné les affres de la famine, ont enrichi la palette du cuisinier de nouvelles saveurs. Peu nombreux au début, les apports de l’extérieur se sont multipliés de façon exponentielle, comme autant de coups de boutoir, qui ont fini par faire exploser les ensembles culturels préexistants, construits et stabilisés dans l’isolement. L’introduction d’éléments nouveaux, formidables par leur simplicité d’usage ou leur facilité de conservation et leur coût, a profondément transformé les régimes alimentaires des pays riches, comme celui des régions les plus pauvres et les plus reculées. Aujourd'hui, l'agroalimentaire offre à une part croissante de la population une multitude de possibilités, inimaginables il y a de cela encore quelques décennies. Les cuisines locales continuent de s'enrichir de ces apports ; mieux, il est possible dans n'importe quelle ville du monde de manger chinois, niçois, italien, américain, maghrébin. Et pourtant, cet incomparable enrichissement de la diversité au plan individuel masque un appauvrissement irréversible au plan de l'humanité, à l'échelle du monde. Prenons les linéaires des grandes surfaces qui fournissent la majorité des biens de consommation d'une part croissante de l'humanité. Leur contenu, notamment les fameux 20/80 (20 % des produits de grande consommation représentant 80 % des ventes), est presque identique d'un bout à l'autre de la planète. Le mouvement semble encore s’amplifier avec le succès des supermarchés hard discount, qui ont réduit leur achalandage à 10 % de ce que proposent les hypermarchés, c’est- à-dire à une sélection de produits relevant des fameux 20/80, en nombre limité, sans marque, identiques dans tous les magasins de la même chaîne. En quelques années, ils ont séduit une majorité de la population européenne, pour le prix des denrées et la possibilité de faire ses courses en peu de temps, comme en témoigne l’expansion rapide de ces chaînes. Bien sûr, on peut relever la persistance de quelques différences dérisoires ( la formes et la couleur des emballages, la taille d’un hamburger, l’épaisseur de la pâte à pizza, le sucré de la sauce ketchup, l’arôme d’un coca ou d’un chocolat…) qui enthousiasment et rassurent les chantres de la modernité nous assurant que la diversité des cultures n’est pas menacée, seulement en train de se recomposer. Et si chaque consommateur a maintenant à sa disposition une variété de fruits et de légumes comme jamais auparavant, il n'en demeure pas moins, à l'échelle de la Terre, que chaque jour la diversité des variétés cultivées se réduit comme une peau de chagrin. Il y avait, par exemple, jusqu’à présent, une infinité de pommiers, alors qu'on ne trouve jamais dans les supermarchés que trois ou quatre variétés de pommes, toujours les mêmes. Ce sont les meilleures, c'est-à-dire ici aussi celles qui correspondent aux nouvelles normes de production, de stockage, de distribution et de consommation. Mais les variétés plus traditionnelles, qui ont 5
mis des siècles à se distinguer les unes des autres, en fonction des caractéristiques de chacun des terroirs sont abandonnées, écrasées par la supériorité commerciale de la Golden ou de la Starking, merveilleuses par le rendement des arbres qui les produisent, leur facilité de conservation, leur aspect sur l’étalage des commerçants. Si bien que pour préserver la diversité de l’espèce, il a fallu envisager de développer des conservatoires du pommier6. Les processus d’uniformisation s’ajoutent les uns aux autres, convergent, se développent sur la base d’une destruction, d’une implosion des anciens modes de vie holistes, engagés en Occident voilà un siècle et demi, mais se généralisant au monde entier, à une vitesse croissante, au fur et à mesure de l’essor des réseaux de communication et de la baisse des coûts de transport. La fin du cuisinier Pendant des millénaires les habitants de la terre ont, dans leur immense majorité, consommé ce qu’ils produisaient eux-mêmes, au sein de petites communautés se nourrissant de leurs propres récoltes, de leur élevage, de la pêche ou de la chasse des hommes du clan. Aujourd’hui la majorité des populations, y compris les plus pauvres dépendant de l’aide alimentaire mondiale, vit en ville et se nourrit de productions médiatisées par l’échange monétaire, fournies en grande partie par les industries agroalimentaires de masse. Les rapports directs à la terre, au terroir, au travail collectif que les populations entretenaient en ingérant le produit de cette activité disparaissent, au profit d’une nourriture dont la production et la distribution se font à l’échelle mondiale, en fonction d’impératifs industriels fordiens. Cette nourriture ne parvient sur les étalages qu’après avoir été réduite en poudre, en carrés, en bâtonnets, après avoir été lyophilisée, congelée, réfrigérée, pasteurisée, mise en boite, en sac, en portions pour être livrée prête à manger, sans que le consommateur n’en sache rien, si ce n’est qu’elle correspond aux normes de qualité, de composition, d’hygiène affichées sur le paquet. Au mieux, la nourriture moderne ne renvoie jamais qu’à un imaginaire collectif, onirique, vague, enrichi par les spots publicitaires, avec ses paysans rustiques, ses bergers plein de sagesse, ses moines débonnaires et gastronomes, ses verts pâturages, ses sources pures, où se mêlent encore des nymphes sensuelles, des jeunes filles sportives, des ménagères heureuses et leurs gentils polissons …. À l’échelle de la planète, les industries lorgnent sur un marché potentiel de cinq milliards de consommateurs à rassasier, que leur ouvre le libéralisme, au fur et à mesure qu’il ruine les anciens équilibres socio-économiques, par des importations massives de denrées alimentaires, et autres produits de consommation, à des prix toujours plus bas. L’une des premières préoccupations des multinationales de l’agroalimentaire et de la restauration collective est celle de la standardisation des produits, aux différentes étapes de leur transformation, depuis 6 Par exemple, de la même façon, pour lutter contre une tendance forte à l’uniformisation du vin, l’Inra conserve au domaine de Vassal (Hérault) 8000 espèces de vignes, dont 2300 cépages identifiés, et notamment le gouais blanc, un vieux cépage abandonné depuis longtemps parce qu’il était jugé médiocre alors que son croisement avec le Pinot noir est à l’origine de certains des cépages réputés comme le chardonnay ou le gamay. 6
la fourniture de semences ou d’ambrions, jusqu’à leur consommation de masse, en passant par leur transformation, et leur distribution. De bout en bout de la chaîne opératoire, les produits doivent respecter des normes strictes de façon à : 1. circuler de pays en pays, conformément aux règlements établis par les plus exigeants d’entre eux ; 2. pouvoir être transformés par une main-d’œuvre sans qualification particulière ; 3. correspondre aux exigences des consommateurs, elles-mêmes formatées par leurs précédentes expériences de ces produits. Autrement dit, le principe d’assurer la qualité des aliments, conduit à les standardiser, conformément aux goûts et aux attentes des consommateurs, ce qui, en retour, formate leurs habitudes alimentaires. Un cuisinier traditionnel est obligé de varier sans cesse ses recettes en fonction des saisons, de la qualité des produits disponibles qu’il a pu trouver en faisant son marché, tout en restant dans des formats de coûts acceptables. En mitonnant ses plats, il doit à tout moment modifier les procédures opératoires, le temps de cuisson, les assaisonnements, pour tenir compte de la diversité des aliments qu’il incorpore dans sa cuisine, selon qu’ils sont plus ou moins tendres, frais ou parfumés. Pour cela, il lui faut du talent, de l’intuition, mais surtout de l’expérience, des savoir-faire difficiles et longs à acquérir, sur la base de quoi il est toujours en position favorable, pour négocier ses conditions de travail et de salaire. Gare au cuisinier en colère qui laisse tomber son employeur en pleine saison, en pleine cuisson, gare au mauvais cuisinier sans expérience, il aura vite fait de ruiner la réputation du restaurant. Pour résoudre le problème, la cuisine technologique s’efforce de pouvoir être mise en œuvre par des employés sans qualification précise, qui se contentent de respecter des procédures formelles, de sorte qu’en les appliquant à des aliments, dont la consistance est elle-même standardisée, ils obtiennent toujours les mêmes résultats. Et cette main-d’œuvre, à l’inverse du cuisinier compétent mais exigeant et difficile à recruter, a l’avantage d’être toujours disponible en masse, de pouvoir être embauchée et licenciée, sans que cela ne pose de problème à l’entreprise. Mac Donald’s, notamment, excelle dans l’emploi de chômeurs ou d’étudiants (60% des employés), vite formés (une visite du restaurant et le visionnage d’une cassette- vidéo), vite pressés, vite jetés (le turnover atteint 75%)7. Les processus de taylorisation de la cuisine visent à se passer des savoir-faire qui faisaient et défaisaient la réputation et la personnalité de la cuisine traditionnelle, en échange de compétences très générales, que tout jeune travailleur normalement scolarisé a acquises (savoir compter, lire, prendre une commande, taper sur les touches d’une machine à calculer, ou cuire des frites, et surtout être capable d’ingurgiter rapidement l’ensemble des procédures de fabrication, simples mais nombreuses). « Car travailler chez Mac Donald’s, raconte cette ancienne employée devenue cadre, consiste essentiellement à appliquer des normes. »8 7 Hélène Weber, Du Ketchup dans les veines. Pourquoi les employés adhèrent-ils à l’organisation de Mac Donald’s ? Ramonville- Saint-Agne, Éres, 2005, pp. 35 et suiv. 8 Ibid., p. 35. 7
La recherche technologique à grande échelle est pilotée par les multinationales de l’agroalimentaire, de la distribution ou de la restauration collective, en fonction de leurs priorités de standardisation, de simplification et de normalisation du travail ; elles seules ont les moyens, soit de la financer directement, soit d’acheter les brevets des innovations produites pour elles. Pour amortir les coûts, elles imposent ensuite leurs technologies à l’ensemble des entreprises franchisées ou filialisées du groupe et les commercialisent à d’autres chaînes. Finalement, la restauration traditionnelle en profite, mais est à son tour transformée par elles9. La recherche, les technologies, les procédures managériales convergent pour industrialiser et standardiser la cuisine. Cette situation trouve même un écho au niveau du Gotha culinaire ou après la nouvelle cuisine des années 1970 et son insistance sur le respect des produits ; nous voyons se développer une cuisine technologique avec comme chef de file l’espagnol Ferran Adrià10. L’essor de cette cuisine internationale « branchée » est fondée sur des découvertes neurophysiologiques récentes11 qui font de plus en plus appel au toucher et à la vue des sens dont la science nous dit qu’ils sont bien plus forts, plus riches et plus rapide que le goût et l’odorat et donc plus accessible aux jugements du consommateur pressé. Ceci entraîne un effacement progressif du produit, défini par ses qualités gustatives, pour en faire un des ingrédients, au profit de la virtuosité technique. Standardisation et fluidité des nouvelles façons de manger Si l’alimentation est un fait social total, il faut donc la penser maintenant comme un fait social caractéristique des nouveaux modes de vie planétaires, même si nous n’en sommes là qu’aux prémices et que partout demeurent les habitudes vivaces, des survivances réactualisées à l’occasion des fêtes, comme le signalent, à juste titre, les anthropologues, qui en traquent les vestiges12. En fonction des cultures, les hommes, assis par terre, à genoux, accroupis ou couchés, mangeaient dans des bols, des écuelles, des calebasses, des feuilles, ou dans un plat commun, en se servant avec la main, des baguettes, une cuillère... Le modèle occidental avec ses manières de table : assiettes, verres et couverts, s’impose progressivement à l’humanité tout entière (au moins aux fractions urbanisées). Si une société holiste planétaire est en train de se mettre en place, on peut prendre la mesure de sa progression, dans la cuisine. Chacun peut aussi, en fonction de ses envies du moment, se rendre dans un restaurant tunisien italien, indien, chinois, pakistanais, japonais, vietnamien et déguster les cuisines de ces pays- 9 Voir Claire Houdayer, « La Restauration rapide peut-elle influencer la restauration traditionnelle ? », Culture technique, n°16, juillet, 1986, pp. 350 et suiv. 10 Cerin ???, La grande cuisine : de la technique plus des produits, L’avenir Côte d’Azur, n°1748, 2006, pp 56- 57. 11 Bénédict Beaugé, « Aventures de la cuisine française », Editions du Nil, Paris,1999. 12 Voir par exemple : Annie Montigny, « Retour à la tradition au mois du ramadan », Christian Escallier, « Mode de consommation et manières de table dans les Alpes du Sud », Robert Castellana, « Les nourritures de l’identité, convivialité et pratiques culinaires festives dans les Alpes de Méditerranée », Gilbert Harmonic, « Manger entre traditions pluriethniques et marchés internationaux », Technique et culture, n° 31/32, janvier- décembre 1998. 8
là, revues et corrigées pour les rendre acceptables, plaisantes, moins épicées, plus sucrées, et avec des manières et dans un cadre plus fantaisistes que réalistes, censés rappeler le pays d’origine, mais ne pas choquer les goûts et le confort de la clientèle. Colin et Levenstein racontent comment aux États-Unis, après le succès de la pizza dans les années 1950 (bien avant que l’Europe ne la découvre), les fast-foods ethniques mexicains se sont imposés, à partir des années 1980, en proposant une parodie de tortillas roulées, fourrées de sauce tomate et de fromage fondu, plus sucrée que pimentée, ressemblant étrangement à la sauce napolitaine des pizzas et sans rapport avec la cuisine traditionnelle mexicaine13. Ainsi, les cuisines ethniques tendent à se mêler les unes aux autres pour le plaisir de tous. Mais qu’en restera-t-il quand les terroirs d’origine, où elles puisent leurs caractères et où elles peuvent encore se régénérer, auront disparu ? Jusqu’au siècle dernier, la première préoccupation de l’humanité (à l’exception à la rigueur des élites) était de se nourrir chaque jour ; les façons que chacun avait de produire, de répartir, de préparer les aliments et de les manger étaient un facteur de cohésion interne et de distinction des sociétés entre elles. Aujourd’hui, l’alimentation représente à peine un dixième du budget des ménages des pays riches, elle a perdu sa place centrale dans l’existence des gens14. Le repas lui-même tend à disparaître. Dans les sociétés traditionnelles, il est un moment de présence, que la communauté de vie et de travail s’accorde à elle-même, où elle s’arrête, se rassemble, se retrouve, restaure le lien. Et cela dure encore dans la société fordienne, quand le souper et le repas dominical rassemblent la famille, heureuse de se retrouver et de goûter aux prodiges de la société de consommation, d’autant que les aînés ont encore en mémoire les privations de la guerre ou de la condition ouvrière. Même dans l’usine, à Peugeot Sochaux, raconte Hatz Feld, la chaîne s’immobilise, devient silencieuse pour la pause déjeuner, les groupes se constituent par affinités, reproduisant ou défaisant les distinctions construites dans le travail15. Dans les nouvelles usines à flux tendu, aux caisses des supermarchés, les machines ne s’arrêtent plus, les employés vont en pause les uns après les autres, au fur et à mesure qu’ils sont remplacés par des salariés tournants. Les restaurants traditionnels, qui ouvrent et ferment leurs portes à heures fixes, continuent d’imposer un minimum de rythme collectif, ce que ne font plus les fast-food, ouverts sans interruption jusque tard dans la nuit, où chacun vient se restaurer en fonction de ses envies et de son propre rythme d’activité. 13 Harvey Levenstein, Joseph Colin, « Les Habitudes alimentaires des immigrants italiens en Amérique du Nord, Étude de la persistance d’une culture culinaire et de la montée des fast-foods en Amérique du Nord », Culture technique, n° 16, juillet, 1986, pp. 32 et suiv. 14 En 1960, les Français consacraient encore 23% de leur budget aux produits alimentaires et aux boissons non alcoolisées, en 2003 ce rapport est tombé à 11,4%. 15 Nicolas Hatz feld, « La pause casse-croûte, quand les chaînes s’arrêtent à Peugeot-Sochaux », Terrain, n°39, mars, 2001, p. 36. Xavier Terlet, « Le plaisir garanti ou la naturalité sécurisante », La Revue des Marques, n° 32, Octobre 2000 , pp 6-8 Jean Watin-Augouard et Eric-Marie Boullet (Octobre 2003), « Le développement durable, une différenciation stratégique chez Nestlé », La Revue des Marques n°44, pp 35-38. Franck Riboud, « Danone, un groupe à l’esprit challenger », La revue des Marques n°43, Juillet 2003, pp 6-10. 9
La société postmoderne globale, développe, organise et lubrifie la circulation, le glissement, la mobilité solitaire, atomisée de chacun dans les réseaux. L’alimentation devient un plaisir rapide, individualisé, fluide, que les fast-foods, les cafétérias, les viennoiseries, les sandwicheries, les selfs services excellent à satisfaire et à promouvoir, mais dont l’économie propre gagne sur les habitudes domestiques, d’une proportion croissante d’habitants de la planète. Les repas deviennent au mieux un moment de présence à soi. « Toujours plus rapide, toujours plus pratique, toujours plus sain » annonce l’Agence internationale de marketing « TNS media intelligence », chargée de suivre l’évolution de la demande pour les industries alimentaires. « Le must de la praticité en 1960 était les plats industriels standard ; en 1990, il s’agit des plats pré préparés qui associent convenience (produits nouveaux, à la mode, surprenant et pratiques) et qualité ; en 2005 on parlera de repas just-in-time : comme je veux, quand je veux, où je veux »16. En France, la consommation de plats cuisinés frais aurait ainsi progressé de 60% entre 2000 et 2004, les salades traiteur de 97%, aux dépens des aliments traditionnels, exigeant un minimum de préparation : la viande (-11%), la volaille (-15%)17. Et de prédire un bel avenir et des marchés en pleine expansion au food on-the-go, notamment pour ce qu’ils appellent l’impulse snacking (la friandise achetée au coin de la rue), ou le meal snacking, (les plats tout prêts), mieux encore la finger food, la restauration que l’on consomme en marchant, en conduisant sa voiture, en surfant sur le net, qui ne nécessite aucun couvert, aucune assiette, juste une main, et une seule pour déchirer un sachet et tenir le wrap : pain, galette de maïs, pita, crêpe, pâte feuilletée, voire feuille de salade (en vogue aux États- Unis), enserrant une garniture à base de mayonnaise (même si l’on voit cependant apparaître des sandwiches végétariens ou allégés en matières grasses, des pains complets, beaucoup de crudités, de poulet...). Car, si les Français se disent volontiers réticents aux fast-foods, les points de vente continuent -toujours d’après le même institut de marketing- à se développer à un rythme très important, grâce au recours massif au système de franchises. Et si chacun apprécie d’arrêter le temps, l’espace d’un bon repas en famille ou entre amis, de redécouvrir et d’apprécier une cuisine jugée plus authentique, pour l’essentiel de leur vie quotidienne les consommateurs postmoderne préfèrent le just-in-time, les plats préparés, le hard discount qui conviennent le mieux possible à la fluidité des existences circulantes. Aux plats collectifs d’une cuisine familiale traditionnellement pauvre et peu diversifiée, s’oppose une diversité de portions individualisées, prêtes à consommer. Exposées sur les présentoirs des self-services, dans les rayons chauds ou froids des supermarchés, sur les claies du réfrigérateur de la maison, ou dans les casiers des congélateurs, en images sur les murs ou les menus illustrés des fast-foods, elles s’offrent au désir du consommateur pressé, toutes en séduction, rehaussées par la publicité, le packaging, les diffuseurs d’ambiance parfumée, l’éclairage. Il hésite un instant devant cette profusion, que choisir ? Mais il doit aller vite, déjà la file des consommateurs qui le suit s’allonge, exerçant une pression souple mais puissante, 16 « Perspectives du food on-the-go : toujours plus rapide, toujours plus pratique, toujours plus sain », Extraits de Food on-the-go, Paris, TNS media intelligence, 2004. 17 « Produits bruts / produits convenience, un mouvement inéluctable ? » in Le non-consommateur, Extraits du Marketing Book 2005, Paris, TNS media intelligence, 2005. 10
qui le pousse à aller de l’avant. Il choisit, à l’instinct, au désir, en fonction de l’effort à fournir qui l’attend, de ses craintes du moment, de son régime diététique, de l’état de son compte en banque, de ses dernières lectures sur l’hygiène alimentaire, des spots publicitaires récents… Son plateau glisse le long du rail prévu à cet effet, il passe à la caisse, déjà les terminaux saisissent et font remonter l’information. Un flux part vers l’appareil bancaire qui débitera son compte, une autre remonte le réseau industriel jusqu’aux fournisseurs, jusqu’au bout du monde, là où sont produits les aliments nécessaires, pour recomposer le stock minimal exigé à chaque étape de la production agroalimentaire, à flux tendu, de son repas. Encore quelques instants, si nécessaire, devant le four à micro-ondes et il sera à table, pour un moment de bonheur furtif, si vite préparé, si vite avalé. Déjà, les reliefs abondants de son repas sont triés dans des poubelles séparées (aluminium, papier, verre, matières organiques) préparant les flux nécessaires à leur recyclage planétaire. Dans quelques minutes, il sera reparti vaquer à ses occupations. Et même s’il a décidé de ne pas s’attabler devant un écran, de ne pas grignoter tout en surfant sur le Web, il sera de toute façon bientôt happé par les réseaux de communication digitaux, autoroutiers ou métropolitains, reprenant sa glisse en fonction d’un projet qui n’appartient qu’à lui. En définitive, les façons de produire l’alimentation convergent, autant que les diverses pratiques alimentaires cristallisées dans le repas disparaissent avec lui, dans les économies ruinées des pays pauvres, comme dans les pays riches, tellement affairés et individualisés. La diversité apparente, extraordinaire des possibilités offertes à chacun, et par lesquelles chacun vit et exprime son individualité, masque une homogénéisation progressive des pratiques alimentaires des habitants de la planète, que les ethnic food (fast ou slow) ne peuvent compenser, surtout quand elles procèdent d’un pillage des cuisines traditionnelles. À la diversité des cuisines pauvres, rudimentaires, trop souvent aux limites de la pénurie, mais collectives et profondément cohérentes, se substitue une cuisine individualisée, abondante (pour ceux qui en ont les moyens), calorique, fantaisiste et solitaire, mais sur le fond, standardisée, unidimensionnelle, caractéristique des nouveaux modes de vie planétaires, fluides, organisés pour la circulation des individus solitaires et cependant reliés, connectés aux autres par les réseaux télématiques. Le rapport c’est inversé : à la diversité des pratiques saisies au plan global et à leur unité au plan local, se substitue progressivement la diversité de l’offre au plan du sujet et l’unification des pratiques à l’échelle mondiale. Bien sûr, on relèvera ici et là d’abondantes formes de résistance, de quête d’une nourriture plus authentique, de retrouvailles familiales ou festives ; mais, cependant, les formes essentielles du repas comme espace de convivialité, de cristallisation de la vie communautaire, tendent à disparaître, deviennent plus occasionnelles, toujours plus exceptionnelles et finalement s’estompent peu à peu. Cette standardisation et fluidité de l’alimentation renforcent le sentiment d’anxiété, d’incertitude et de peur au niveau de l’acte alimentaire. Dans nos sociétés post modernes le risque alimentaire ne se traduit plus par des problèmes de pénuries, mais plutôt de toxicité 11
(additifs, colorants, pesticides, pollution, etc …) entraînant une méfiance généralisée à l’égard des aliments dont le consommateur ne maîtrise plus ni l’origine, ni les processus de transformation, confronté qu’il est, à ce que Fischler appelle, des « Objets Comestibles Non Identifiés ou OCNI »18. Or, le développement de la grande distribution alimentaire via les hypermarchés, les supermarchés et les hard discount ; l’internationalisation des sociétés de restauration rapide ainsi que des produits de grignotage standardisés et des « Techno-aliments » (OGM, Alicaments, Cosméto foods etc …) ont comme conséquences une plus grande méconnaissance des produits que nous mangeons malgré le développement d’un étiquetage qui se veut plus complet et plus sécurisant. La multiplicité des produits et des marques disponibles au sein des grandes surfaces alimentaires, les nombreux discours contradictoires dans ce secteur (médicaux, diététiques, commerciaux, sectaires…), la disparition des cultures culinaires traditionnelles, déstabilisent les consommateurs. Cette absence de règles, de codes stables associés à un individualisme prononcé, à une importante liberté de choix ainsi qu’a la médiatisation très forte des « scandales alimentaires » (depuis le poulet aux hormones en 1970) rendent plus difficile la résolution de ce que Fiscler encore, appelle le « paradoxe de l’omnivore » c'est-à-dire l’équilibre entre tradition et modernité culinaire. Les entreprises « mondiales » sans cesse plus fortes (2006 étant annoncé une année de fusions et d’acquisitions importantes dans tous les secteurs économiques) développent des stratégies géocentriques qui ont des conséquences jusque dans notre intimité alimentaire. Le fait que le « Big Mac » devienne pour les altermondialistes le symbole culinaire de la marchandisation de l’économie internationale et de ses conséquences en est une preuve tangible19 In fine, l’antagonisme entre ; d’un côté les principes universels observés dans les attitudes envers la nourriture et de l’autre sa fabrication ainsi que sa commercialisation dans nos sociétés post modernes brouille les repères du consommateur. Celui-ci voit disparaître progressivement son cadre et ses codes socio culturels alimentaires au « profit » d’une uniformité et d’une fluidité dans ses rapports avec l’acte de manger ; vecteur d’une plus grande déstabilisation et d’un renforcement de ses peurs alimentaires. 18 Fischler Claude, « L’Homnivore », Edition Odile Jacob, Paris 1990. Fischler Claude, La peur est dans l’assiette Revue Française du Marketing, n°183/184, 2001 pp 7-10. 19 Darrigrand 2001). 12
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