L'apport du débit à l'étude du rythme phonétique à l'aide des mesures rythmiques : une étude de deux variétés du français laurentien - Brill

La page est créée Éric Delage
 
CONTINUER À LIRE
L’apport du débit à l’étude du rythme phonétique à
     l’aide des mesures rythmiques : une étude de deux
                         variétés du français laurentien

                                                              Svetlana Kaminskaïa*

1. INTRODUCTION

   Les paramètres prosodiques participent à l’identification géographique et
sociale des locuteurs (Schaeffler et Summers 1999, parmi d’autres). L’étude des
particularités rythmiques et intonatives régionales et sociales contribue donc au
portrait descriptif d’une langue donnée et sert à la modélisation de sa prosodie.
Ainsi, les caractéristiques communes permettent d’identifier les éléments de la
grammaire prosodique, alors que les formes régionales et sociales représentent
les variantes possibles de la réalisation de cette grammaire. La prosodie des
variétés régionales du français a fait l’objet de plusieurs études récentes (Simon
2012, parmi plusieurs d’autres). Cependant, le rythme du français au Canada
reste insuffisamment étudié malgré une longue tradition d’études phonétiques.
Notamment, il n’existe pas encore d’étude comparée du rythme du français
minoritaire parlé en contact intense avec l’anglais en Ontario et du français parlé
au Québec. Cet état de choses doit être motivé par le fait que l’identité des
caractéristiques prosodiques du français québécois et des variétés qui en sont
issues n’a pas été contestée pendant longtemps, de façon que les études du
français en Ontario aient contribué traditionnellement aux caractéristiques
générales du français canadien (Léon 1968). Les études antérieures du rythme
menées sur les données québécoises mentionnent que les syllabes accentuées sont
plus courtes et les syllabes inaccentuées plus longues qu’en français «standard»1
(Boudreault 1968), ce que confirment les tests de perception (Ménard 1998). En
français de l’Ontario, en plus d’observer les mêmes caractéristiques, les
chercheurs constatent l’absence de rythme fixe (Robinson 1968) et la
proéminence de la pénultième (Vinay 1955).
   Cependant, dans une situation du contact linguistique, on s’attend à ce que la
langue minoritaire subisse l’effet de la grammaire de la langue majoritaire. En
effet, des interférences prosodiques sont propres aux langues en contact (voir

* Université de Waterloo, Ontario, Canada ; Courriel : skaminskaia@uwaterloo.ca
Nous remercions tous les participants de cette étude et les évaluateurs anonymes. Cette
étude a été subventionnée par le Conseil de recherche en sciences humaines du Canada,
projet #410-2010-0822 (2011).
1 Il s’agit du français métropolitain de Paris.

                                                           Downloaded from Brill.com07/16/2022 09:32:56AM
                                                                                            via free access
162                                                                     Svetlana Kaminskaïa

section 2.3). L’effet possible de l’anglais sur la prosodie du français minoritaire
se manifeste dans la présence de la ligne de régression de la fréquence
fondamentale (F0) chez les locuteurs bilingues2 (Cichocki et Lepetit 1986), dans
l’usage des contours interrogatifs en tant que continuités au milieu des énoncés
déclaratifs, dans l’abondance de tons complexes (Tremblay 2007) et dans un taux
important des contours descendants de continuité (Kaminskaïa 2013). Toutes ces
caractéristiques sont propres à l’anglais, et leur présence ou leur fréquence élevée
en français en contact en comparaison avec le français hors contact peuvent
témoigner de l’interférence de la langue majoritaire.
   Le rythme risque également d’être affecté par l’anglais. Le présent article
propose donc une comparaison du rythme phonétique dans deux variétés du
français laurentien (Côté 2010) : le français québécois et le français ontarien
parlé en contact intense avec l’anglais. L’objectif principal de l’étude est de
vérifier si, par rapport aux participants du Québec, les locuteurs ontariens
présenteraient un rythme plus anglais sous l’influence de la prosodie de la langue
majoritaire. L’analyse est menée sur les enregistrements faisant partie de la base
de données du projet international Phonologie du français contemporain
(Durand et al. 2002, 2009), corpus ville de Québec3 et corpus Windsor4. Menée
sur des données spontanées, cette analyse se situe parmi les études, assez rares,
qui utilisent la parole naturelle pour l’examen du rythme phonétique. L’utilité de
l’examen des données de ce type se rapporte non seulement aux faits que la
prosodie de la parole lue et de la parole spontanée est différente (Howell et Kadi-
Hanifi 1991, parmi d’autres) et que le rythme phonétique dans les styles de
parole varie (Arvaniti 2012a), mais surtout au fait que, dans une situation du
contact intense des langues, les locuteurs plus âgés qui ont été peu scolarisés et
qui n’ont pas assez d’expérience avec la lecture à haute voix lisent parfois avec
de la difficulté, ce qui peut affecter les résultats de l’analyse. Finalement, les
résultats de cette étude contribuent à enrichir nos connaissances sur les variétés
du français canadien et à stimuler la discussion sur l’application des mesures
rythmiques pour l’étude du rythme.

2 La régression de F0 ne caractérise pas normalement le parler français mais elle est
propre à l’anglais.
3 La présence anglophone autrefois importante dans la ville de Québec a beaucoup

diminué depuis le 19e siècle : «an English-speaking population that once made up more
than one-third of the Québec City region and dominated its economic life took on a much
more distinct minority status. At the turn of the 20th century, approximately 15 per cent of
Québec City’s population was Anglophone; this dropped to 12 per cent in the 1930s and
to four per cent in the 1970s.» (Chambers et Heisler 1999 : 25) Selon le recensement
2011, seulement 1,4 % de la population de cette ville a déclaré l’anglais comme sa seule
langue maternelle (Statistics Canada). Le contact avec l’anglais existe ici, mais il n’aurait
pas d’influence sur la langue française : au contraire, c’est l’usage de l’anglais qui paraît
touché par le français (Poplack 2008). Pour distinguer le français d’un milieu aussi
majoritairement francophone comme la ville de Québec de celui d’un milieu
majoritairement francophone comme à Hearst et à Hawkesbury, en Ontario, nous référons
ici au français de Québec comme étant «hors contact».
4 Selon le recensement 2011, le taux de locuteurs du français langue maternelle à Windsor

est de 2,6 % (Statistics Canada).

                                                               Downloaded from Brill.com07/16/2022 09:32:56AM
                                                                                                via free access
Rythme phonétique dans deux variétés du français laurentien                               163

  Dans ce qui suit, nous présentons d’abord le contexte de l’analyse, ensuite, le
corpus et les méthodes de recherche, puis, les résultats et les conclusions.

2. CONTEXTE
  Compte tenu de la complexité de la notion de rythme, son étude se voit
abordée de plusieurs angles : cognitif, psychologique et physique. Dans cette
section, nous nous attardons sur la notion de rythme et sur les études qui traitent
de sa dimension temporelle qui est au centre de cette analyse.

2.1. Notion de rythme et objet d’étude

   La notion de rythme fait référence à un éventail de faits, aussi réels
qu’abstraits : la proéminence des unités, la régularité avec laquelle les
proéminences apparaissent, la structure des périodicités qui se crée à partir de
cette régularité, mais aussi l’accentuation et la structure abstraite qui rend compte
de l’organisation des unités linguistiques se caractérisant par une saillance
relative, c’est-à-dire la hiérarchie et les regroupements des unités. On distingue
donc le rythme phonétique et le rythme phonologique, ou bien le rythme et le
mètre. Cet article traite du rythme et considère notamment son aspect qui a trait à
la durée des unités, c’est-à-dire le timing (Arvaniti 2009) ou la rythmicité.

2.2. Rythme en français et classification rythmique des langues

   Le français ne possède pas d’accent lexical et est décrit comme une langue à
accent final de groupe avec une fonction démarcative. D’après sa nature, c’est un
accent de durée : en français «standard», la syllabe finale accentuée est à peu près
deux fois plus longue que la syllabe inaccentuée (Léon 1992). En français
canadien, la différence entre les durées des syllabes inaccentuées et des syllabes
accentuées est moindre (étant donné que les syllabes accentuées sont plus courtes
et les inaccentuées, plus longues). Le français québécois (Cedergren et Perreault
1995) et le français ontarien (Williams et Poiré 2007) relèvent de l’accent de
durée.
   L’accent final est obligatoirement présent dans un groupe rythmique (si celui-
ci n’est pas tronqué), mais il n’est pas le seul type d’accent rythmique que le
français possède. En effet, dans les limites d’un groupe rythmique, on observe
souvent une proéminence initiale (Pasdeloup 1991, parmi d’autres) de nature
mélodique et dont la présence ou l’absence n’affecterait pas les rapports de durée
entre les éléments accentués et inaccentués.
   Les syllabes inaccentuées en français donnant l’impression de régularité, on
décrit cette langue comme une langue à rythmicité (isochronie ou chronométrage)
syllabique, tout comme l’espagnol et le mandarin. Ces langues s’opposent aux
langues comme l’allemand et l’anglais où l’on observe une régularité des
intervalles entre les accents et qui sont caractérisées comme des langues à
isochronie accentuelle. Cette classification, établie par Pike (1945), a été enrichie

                                                          Downloaded from Brill.com07/16/2022 09:32:56AM
                                                                                           via free access
164                                                               Svetlana Kaminskaïa

par le chronométrage moraïque (le japonais, Abercrombie 1967) et par le
chronométrage mixte (le catalan, le polonais, Nespor 1990). Plusieurs analyses
ultérieures ont essayé de classifier les langues comme appartenant à un de ces
types de chronométrage. Il faut préciser cependant que la majorité de ces
analyses n’a pas réussi à démontrer l’existence des différents types d’intervalles
isochroniques dans les langues naturelles (Dauer 1983).
   Dans ce contexte, et considérant des observations sur les propriétés des
langues à rythmicité accentuelle (réduction des voyelles et structures syllabiques
plus complexes, tout d’abord) qui s’opposent aux propriétés des langues à rythme
syllabique (absence de réduction, syllabes du type CV, entre autres), Dauer
(1983) a proposé l’idée d’un continuum rythmique dans lequel les langues
comme le français et l’espagnol se situeraient à un bout du continuum, et
l’anglais et l’allemand, à l’autre bout.

2.3 Approches à l’étude du rythme phonétique : mesures rythmiques
   L’utilité d’un tel continuum a été développée par Ramus et al. (1999) qui ont
démontré que la perception du rythme est basée sur la distinction entre les
intervalles vocaliques et consonantiques. Cela veut dire que les caractéristiques
acoustiques des intervalles devraient permettre de différencier les langues
représentant des classes rythmiques différentes. Ainsi, dans les langues à
isochronie accentuelle qui démontrent la réduction des voyelles, la différence
entre les intervalles vocaliques (c.-à-d., l’écart-type de durée, ∆V) serait plus
grande que dans les langues à chronométrage syllabique. Il en est de même pour
les intervalles consonantiques, qui démontreraient une plus grande variabilité
(∆C) dans les langues à rythme accentuel dans lesquelles on trouve des syllabes à
attaques et codas complexes. À l’opposé, les langues comme le français
indiqueraient des mesures (appelées mesures rythmiques – rhythm metrics) plus
petites, alors que la proportion des intervalles vocaliques (%V) comparée aux
consonantiques y serait plus grande que dans les langues comme l’anglais.
L’analyse menée par Ramus et al. (1999) sur les données des langues
représentant trois types de rythme a confirmé ces hypothèses et a démontré
l’efficacité de distinction particulièrement marquée de la combinaison des
mesures %V et ∆C.
   Dans les données plus naturelles (opposées aux corpus contrôlés du point de
vue du contenu segmental et du débit), la microprosodie et surtout la variabilité
de la vitesse d’élocution intra-individuelle et interindividuelle affectent la durée
des intervalles et entraînent une variabilité importante dans les valeurs des
intervalles et donc des écarts-types ∆V et ∆C. Cela mène à des résultats fautifs et
demande une neutralisation de l’effet du débit. Par conséquent, des mesures
normalisant le débit ont été proposées pour permettre une comparabilité des
résultats. Dellwo (2006) a introduit VarcoC (Variation Coefficient for
consonantal intervals, soit ∆C divisé par la durée moyenne des intervalles
consonantiques et multiplié par 100) et, en comparant les résultats entre ∆C et
VarcoC, l’auteur a observé qu’avec l’accélération du débit, la valeur de la mesure
non normalisée diminuait, alors que la mesure normalisée restait plus stable,

                                                         Downloaded from Brill.com07/16/2022 09:32:56AM
                                                                                          via free access
Rythme phonétique dans deux variétés du français laurentien                               165

permettant ainsi une meilleure différenciation entre les classes rythmiques. White
et Mattys (2007) ont utilisé dans leurs analyses VarcoV (Variation Coefficient for
vocalic intervals, ∆V divisé par la durée moyenne des intervalles vocaliques et
multiplié par 100) et l’ont jugé plus adéquat que ∆V pour l’étude du rythme.
Dans leur étude, la mesure non normalisée ∆V a démontré que les apprenants
hispanophones de l’anglais ont parfaitement maîtrisé le rythme de la langue cible,
alors que les apprenants anglophones de l’espagnol ne se sont pas du tout adaptés
au rythme de la langue apprise. En revanche, la mesure normalisée VarcoV a
permis d’établir une différence entre le rythme L1 et L2 en espagnol et en
anglais.
   Entre temps, une autre mesure rythmique, l’Indice de Variabilité des Paires
(Pairwise Variability Index, PVI), a été largement utilisée dans les analyses
rythmiques depuis Low (1998). Le PVI exprime la variabilité entre les durées des
intervalles consécutifs (vocaliques ou consonantiques) et peut également être
normalisé pour le débit de la parole (Grabe et Low 2002) : nPVI-V pour les
intervalles vocaliques et nPVI-C pour les intervalles consonantiques. L’efficacité
de distinction particulièrement marquée de cette mesure (toute seule ou en
combinaison avec d’autres) a été démontré par Asu et Nolan (2005) et par White
et Mattys (2007), parmi plusieurs d’autres.
   L’application de certaines ou de toutes ces mesures rythmiques a permis aux
chercheurs de comparer les langues, les dialectes, les langues premières et
secondes et les langues en contact. Selon les résultats, le rythme de la langue
seconde ou de la langue minoritaire en contact se révèle souvent influencé par la
langue dominante (première ou majoritaire). Par exemple, l’influence de la
langue maternelle sur le rythme L2 a été démontrée par White et Mattys (2007) à
partir de leur étude des locuteurs de l’anglais et de l’espagnol L1 et L2.
Également, lors de l’examen du rythme des locuteurs monolingues et bilingues de
l’espagnol et de l’anglais, Carter (2005) a observé «Spanish substrate influence
on the English of the Hispanic group» (p. 73), ce qui a été manifesté par les
résultats intermédiaires démontrés par les locuteurs bilingues. O’Rourke (2008) a
étudié le rythme de l’espagnol au Pérou hors contact et en contact avec la langue
locale, le quechua, et a conclu que les locuteurs bilingues démontraient un rythme
différent par rapport aux hispanophones monolingues. D’autres cas d’interférence
prosodique entre les langues sont décrits par O’Rourke (2005), Simonet (2010),
Boula de Mareüil et al. (2012), parmi d’autres.
   Parmi les mécanismes qui sont derrière les changements prosodiques, citons
les calques, soit le transfert des clichés mélodiques, par exemple, et la
convergence, c’est-à-dire la préférence d’une forme qui existe dans les deux
langues qui se trouvent en contact au détriment d’autres formes propres à la
langue dominée (comme c’est le cas des contours mélodiques en français de
l’Ontario) et avec une modification possible de son fonctionnement. Du côté
rythmique, pensons au déplacement de l’accent et au changement de la nature de
l’accent qui peuvent affecter la structure durative et la rythmicité. L’interférence
est également possible du point de vue de la réduction vocalique et de la structure
syllabique (par exemple, l’ajout ou l’effacement des segments) qui sont aussi
directement liées au chronométrage. Cependant, nous sommes loin de

                                                          Downloaded from Brill.com07/16/2022 09:32:56AM
                                                                                           via free access
166                                                              Svetlana Kaminskaïa

comprendre comment l’interférence prosodique se passe exactement et, à notre
connaissance, une modélisation de l’interaction des systèmes prosodiques n’a pas
encore été proposée. Cela dit, la description et la comparaison détaillées de la
prosodie des langues et de leurs variétés sont des étapes nécessaires à toute
réflexion sur les raisons possibles des différences identifiées.

2.4. Études du rythme phonétique en français

   L’étude du rythme du français à l’aide des mesures rythmiques connaît un
certain élan depuis quelques années. Par exemple, Fagyal (2011) a mené une
étude comparée des adolescents francophones bilingues et monolingues afin de
voir si on observerait l’influence de la langue ethnique à rythmicité accentuelle
dans la parole des participants du premier groupe. Ses résultats, cependant, n’ont
pas démontré une telle influence : les valeurs de ∆V, ∆C et %V étant similaires
dans les deux groupes et suggérant un rythme typiquement français.
   La comparaison du rythme en français suisse et en français standard par
Cumming (2011) n’a pas plus établi de différence significative entre les deux
groupes de participants. Ce qui est intéressant dans cette étude, c’est que
l’auteure a proposé une façon d’inclure dans la quantification du rythme produit
l’importance relative des aspects acoustiques (F0 et durée) pour la perception de
la proéminence dans les dialectes et les langues différents.
   Des variétés «standard» et régionales du français européen, y compris des
variétés en contact (en Europe et en Afrique), ont fait objets d’étude chez Obin et
al. (2012). Les auteurs ont utilisé le PVI (normalisé et brut) calculé à partir des
durées des groupes accentuels, %V et ∆C et ont conclu qu’aucune des mesures
rythmiques conventionnelles n’amène à la distinction des variétés du français
conforme à la classification attendue. Cependant, c’est la combinaison du débit
avec les deux types de PVI qui arrive à mieux trancher entre les (groupes des)
variétés. Les variétés en contact ont démontré le débit le plus lent et les valeurs
PVI les plus élevées par rapport aux autres variétés.
   Pour ce qui est des variétés du français canadien, l’étude du rythme phonétique
apparaît chez Tennant (2011), qui a exploré la parole des adolescents franco-
ontariens en situation minoritaire et en situation majoritaire et des apprenants du
français L2 à l’aide du nPVI-V. Cette étude n’a pas révélé de différence
significative entre les trois groupes de participants.
   Kaminskaïa et al. (2013), dans une étude préliminaire de la parole franco-
ontariennes spontanée, ont comparé le rythme en situation majoritaire et
minoritaire à l’aide des mesures nPVI-V, %V et ∆C et ont identifié une faible
tendance chez les locuteurs minoritaires vers une rythmicité moins syllabique.
Cette étude a aussi suggéré que les caractéristiques sociales des locuteurs
influenceraient les résultats : les participants plus jeunes et les hommes ont
montré un rythme plus anglais que les locuteurs plus âgés et les femmes.
   Finalement, dans notre étude récente (Kaminskaïa 2014), nous avons appliqué
un éventail de mesures rythmiques pour examiner le rythme du franco-ontarien en
milieu minoritaire dans le style de lecture. Une série de contradictions
importantes entre les résultats est ressortie dans cette analyse. Une des approches

                                                        Downloaded from Brill.com07/16/2022 09:32:56AM
                                                                                         via free access
Rythme phonétique dans deux variétés du français laurentien                               167

adoptées dans cette étude (Control and Compensation Index (CCI), Bertinetto et
Bertini 2010) a paru réconcilier les contradictions et a classifié le rythme franco-
ontarien comme étant intermédiaire. Cette analyse a aussi démontré que les
résultats contradictoires sont mieux compris si les phénomènes tels que la liaison,
l’enchaînement, la fusion vocalique et la simplification des groupes
consonantiques sont pris en considération.
   La présente analyse ajoutera à la description non seulement du français
ontarien en situation minoritaire mais aussi à la description du français
québécois, grâce à la comparaison de la variété en contact avec la variété mère.

2.5. Vers le choix des méthodes adoptées
   Dans leur ensemble, les analyses utilisant les mesures rythmiques ont révélé
que l’efficacité de distinction de ces méthodes varie et que les résultats peuvent
être influencés par le style de la parole et par la composition segmentale
(phonotactique) des énoncés. Qui plus est, les mesures indiquent parfois des
tendances contraires. Les résultats variables démontrés par les mesures
rythmiques peuvent provenir de la taille et du contenu segmental des corpus
analysés; de plus, souvent, ces corpus ne paraissent pas représentatifs parce que
plusieurs études sont limitées à la lecture de quelques phrases faite par une
personne seulement (Turk et Shattuck-Hufnagel 2013). Il y a donc besoin d’un
corpus adéquat. Un tel corpus serait formé, à notre avis, des données spontanées
provenant de plusieurs locuteurs. En plus, l’application des méthodes les plus
performantes, c’est-à-dire les plus stables à l’égard de la variation du débit et de
la composition phonotactique, doit contribuer au succès de l’analyse.
   Ainsi, White et Mattys (2007), ayant comparé la capacité des différentes
mesures rythmiques de distinguer les langues à rythme accentuel (l’anglais et le
néerlandais) des langues à rythme syllabique (le français et l’espagnol), ont
conclu que nPVI-V, VarcoV et %V sont les méthodes les plus efficaces. En
même temps, la même étude a aussi démontré que %V et VarcoV étaient les plus
susceptibles de différencier le rythme en L1 et L2. L’analyse de Prieto et al.
(2012) a permis aux chercheurs d’établir que nPVI-V et VarcoV ont montré le
plus de stabilité. Russo et Barry (2008), en mettant à l’épreuve la validité et la
fiabilité des mesures rythmiques dans le contexte du débit changeant, sont arrivés
à la conclusion que %V était la mesure la plus stable parmi les mesures
rythmiques et la plus différenciatrice entre les langues.
   Étant donné les résultats des études antérieures et en prenant en considération
la variabilité du débit dans la parole spontanée utilisée dans la présente étude,
nous retenons pour cette analyse les mesures rythmiques nPVI-V, VarcoV et %V,
car non seulement elles neutralisent l’effet du débit, mais elles démontrent des
résultats stables tout en saisissant les différences rythmiques pertinentes.
   Bien que les trois mesures rythmiques retenues soient toutes normalisées pour
le débit, celui-ci n’est pas omis de l’analyse, car il peut jouer un rôle important
dans la discrimination des langues et des dialectes. Comme le démontrent les
études d’Avanzi et al. (2012), d’Obin et al. (2012) et de Schwab et Racine
(2013), le débit des variétés régionales des français de France, de Suisse et de

                                                          Downloaded from Brill.com07/16/2022 09:32:56AM
                                                                                           via free access
168                                                                        Svetlana Kaminskaïa

Belgique est plus lent en comparaison avec les variétés standard correspondantes,
qui, à leur tour, démontrent également un débit plus lent par rapport au français
métropolitain de Paris. Également, selon l’analyse des variétés du français parlé
en contact avec l’allemand en Suisse et avec des langues locales en Afrique, leur
débit est le plus lent sur ce continuum (Obin et al. 2012). Finalement, c’est
notamment la combinaison du débit avec nPVI qui a permis à ces auteurs de
différencier les variétés «standard» du français, les variétés régionales et les
variétés en contact. Alors, en retenant ce paramètre rythmique, nous visons à
présenter un portrait rythmique qui tient compte de la nature des données et
cherche à éliminer les différences individuelles de production, tout en
reconnaissant le rôle du débit dans la création du rythme.
   Les études citées dans le paragraphe précédent sont basées sur la parole lue et
font référence au débit de la parole (le nombre de syllabes/durée globale de la
parole) ainsi qu’à la vitesse d’articulation (le nombre de syllabes/durée de la
parole sans pauses). Puisque dans la parole spontanée la distribution des pauses
entre les participants du dialogue n’est pas souvent évidente, ce n’est que la
vitesse (ou le débit) d’articulation qui est prise en considération dans cette
analyse.5

3. MÉTHODOLOGIE
  Pour tester les hypothèses formulées plus haut, nous avons mené une analyse
dont la démarche est présentée ci-dessous.

3.1. Données et participants
   L’analyse se base sur les entrevues libres des corpus Québec (FQ, pour
«français de Québec») et Windsor (FW, pour «français de Windsor») faisant
partie de la base de données du projet international Phonologie du français
contemporain (PFC, Durand et al. 2002, 2009).
   Tous les participants ontariens sont nés dans des familles francophones dans la
région de Windsor ou dans la ville même, et y ont passé presque toute leur vie,
avec un déplacement d’un à trois ans pour des études postsecondaires, s’il y a
lieu. Dans le sous-corpus Windsor, il y a six femmes (Vanessa6, 84 ans; Lucie, 74
ans; Éliane, 65 ans; Debbie, 43 ans; Claire, 42 ans et Rémie, 17 ans) et six
hommes (Raymond, 74 ans; Roland, 66 ans; Chris, 46 ans; William, 41 ans;
Patrice, 33 ans et Mathis, 21 ans). Comme on remarque, l’âge des participants
varie, mais il y en a six de moins de 45 ans et autant de plus de 45 ans. Cette
distribution en groupes d’âge ne suit pas la tradition sociolinguistique, mais
permet d’avoir deux groupes équilibrés. Également, les études antérieures
menées sur le corpus Windsor ont fourni des résultats cohérents (Kaminskaïa
2013, 2014), ce qui nous encourage à maintenir cette distribution des locuteurs.

5   Ici, nous utiliserons les termes «vitesse d’articulation», «débit d’articulation» ou «débit».
6   Pour garder l’anonymat des participants, nous utilisons des pseudonymes.

                                                                  Downloaded from Brill.com07/16/2022 09:32:56AM
                                                                                                   via free access
Rythme phonétique dans deux variétés du français laurentien                                   169

   Les professions et le niveau de formation des participants ontariens sont
variables, ainsi que le nombre d’années d’études faites en français. Par exemple,
Raymond et Lucy ont seulement fait l’école primaire en français, alors que
Roland a fait six ans de scolarisation en français. Le reste des participants a
poursuivi toutes les années d’école en français, et Éliane, Debbie, Claire,
Vanessa et Mathis ont une formation postsecondaire en français (terminée ou en
cours) de durée variable. Pour la majorité, le français reste la langue de
communication en famille. William, qui est marié à une anglophone, parle
l’anglais au foyer; Mathis, qui est son fils, le fait aussi. Les liens familiaux
unissent aussi d’autres participants : Lucie et Raymond, Éliane et Roland, Debbie
et Chris sont des époux, alors que Vanessa, Claire et Rémie représentent des
générations différentes d’une famille. Patrice est le beau-fils d’Éliane et de
Roland. Pour la majorité de nos participants, l’anglais est la langue du travail, des
médias et de la communication hors famille ou avec la famille étendue. De cette
façon, ils utilisent l’anglais régulièrement dans la vie quotidienne. Cependant, le
niveau de leur restriction linguistique (Mougeon et Béniak 1991) ne peut pas être
établi de façon certaine pour mesurer directement son impact sur la production
linguistique de nos locuteurs. C’est la comparaison avec le rythme du français
hors contact qui permettrait de juger de l’influence possible de l’anglais sur le
rythme dans les données de Windsor, si des différences rythmiques sont repérées
entre les deux sous-corpus.
   Dans le sous-corpus québécois, il y a six femmes (Caroline, plus de 45 ans7;
Sabrina, 29 ans; Gabrielle, 28 ans; Milène, 26 ans; Mireille, 26 ans et Jeanne, 25
ans8), alors que le nombre d’hommes est de trois (Charles, plus de 45 ans; Jules,
29 ans et Philippe, 25 ans). Jules et Sabrina sont frères et sœurs, mais il n’y a pas
de lien de parenté entre les autres locuteurs. Les deux participants plus âgés sont
professeurs universitaires, alors que les autres sont des étudiants des cycles
supérieurs. Tous les participants viennent de la région de Québec et vivent en
français bien qu’ils connaissent l’anglais et l’utilisent, au besoin, dans leur vie
professionnelle.
   Le même seuil d’âge de 45 ans est adopté dans ce sous-corpus par analogie et
pour comparabilité. Cela résulte en un corpus non équilibré : deux locuteurs plus
âgés (une femme et un homme) et six participants (voir les notes 7 et 8) plus
jeunes (quatre femmes et deux hommes). Cela a certainement eu un impact sur le
choix des tests statistiques appliquées lors de l’analyse (voir section 3.2).
Évidemment, les résultats pour les facteurs sociaux dans ce sous-corpus devront
être considérés avec précaution et ne sont que d’ordre descriptif.
   L’objectif principal de cette recherche est de considérer la variation régionale.
Cependant, on ne peut pas ignorer que les autres facteurs sociaux peuvent
affecter le rythme, surtout dans la variété franco-ontarienne, où le contact de la
jeune génération avec la langue et la culture anglaises est beaucoup plus grand en
comparaison avec les locuteurs plus âgés. En même temps, il est possible que les
7 L’âge exact des participants Caroline et Charles n’apparaît pas dans les enregistrements.
Cependant, il est possible de les classifier dans le groupe des «plus de 45 ans» car ce sont
des personnes publiques.
8 Cette participante a été exclue de l’analyse, voir la note suivante.

                                                              Downloaded from Brill.com07/16/2022 09:32:56AM
                                                                                               via free access
170                                                                Svetlana Kaminskaïa

femmes adhèrent à un modèle supralocal et plus standard par rapport aux
hommes (Milroy et Gordon 2003). De cette façon, nous prenons aussi en
considération les caractéristiques sociales des locuteurs. Il faut tout de même dire
que l’exploration de l’impact des variables âge et sexe porte, sur cette étape, un
caractère descriptif et ne pourra qu’indiquer des tendances qui devront être
testées sur des corpus plus représentatifs.
   En suivant Obin et al. (2012), nous nous attendons à ce que, par rapport au
sous-corpus québécois, le sous-corpus du français en contact démontre un débit
d’articulation plus lent et une rythmicité moins syllabique qui se manifesterait par
des valeurs plus élevées des mesures nPVI-V et VarcoV, et une valeur %V plus
basse. Cela indiquerait, d’un côté, une plus grande variabilité des intervalles
vocaliques et, de l’autre, une moindre proportion des voyelles – les
caractéristiques des langues à rythmicité accentuelle, comme l’anglais.
Également, en suivant les résultats de l’étude de Schwab et Racine (2013), nous
supposons une articulation plus rapide chez les hommes que chez les femmes. En
raffinant l’hypothèse initiale sur le rythme plus anglais en FW et en suivant
Kaminskaïa et al. (2013), nous supposons que, dans ce sous-corpus, les hommes
et les locuteurs plus jeunes montreraient les valeurs des mesures rythmiques près
des valeurs anglaises. Les femmes et les participants plus âgés montreraient un
rythme plus syllabique français, les premières, en adhérant au modèle «standard»
et les deuxièmes, à cause de la dominance du français dans leur enfance qu’ils
ont appris comme une seule langue. Quant à la variété québécoise, il n’y pas de
raison linguistique ou sociale pour supposer que les locuteurs plus jeunes
tendraient vers le rythme plus anglais. En d’autres mots, on s’attend à trouver
plus de variation dans les données ontariennes que dans les données québécoises.

3.2. Analyses

   L’analyse acoustique a été effectuée sur des tours de parole (descriptions,
narrations, opinions, etc.) de durées variables, avec l’objectif principal d’obtenir
le minimum nécessaire de 200 indices nPVI-V pour chaque locuteur9. Le
traitement des signaux s’est effectué dans Praat (Boersma et Weenink 2013),
avec la segmentation des données à l’aide de EasyAlign (Goldman 2011) qui a
été suivie par une vérification manuelle basée sur les contrôles auditif et visuel
selon les critères de Peterson et Lehiste (1960). Les glissantes, les voyelles
dévoisées sans formants et l’aspiration des occlusives dévoisées ont été
considérées comme (faisant partie) des consonnes, ce qui suit White et Mattys
(2007). Les coups de glotte, réalisés souvent pour éviter la liaison ou
l’enchaînement, ou apparaissant au début d’un groupe après une pause, ont été
considérés comme des consonnes. Tous les allophones de /R/ ont été traités
comme des consonnes. Après l’identification des segments vocaliques et

9 Pour la locutrice Jeanne dans le corpus FQ, nous avons obtenu seulement 157 indices.
Pour rester systématique dans notre démarche, nous avons décidé de l’exclure de
l’analyse. Les tableaux des résultats pour FQ contiennent donc les chiffres pour huit
locuteurs.

                                                          Downloaded from Brill.com07/16/2022 09:32:56AM
                                                                                           via free access
Rythme phonétique dans deux variétés du français laurentien                                 171

consonantiques, les intervalles respectifs – les suites de deux ou plus voyelles ou
consonnes – ont été identifiés, et les pauses et les effets de la parole naturelle
(troncations, hésitations, alternances codiques, etc.) ont été exclus de l’analyse.
   Par la suite, nous avons extrait dans Excel les paliers avec les segments, et les
intervalles et leurs durées, pour chaque participant. À partir du nombre de
voyelles (voire de syllabes) et de la durée du signal analysé (sans pauses,
hésitation, etc.), la vitesse d’articulation a été calculée (syll/sec). À partir des
durées des intervalles, les mesures rythmiques suivantes ont été calculées :
   %V : la proportion des intervalles vocaliques dans le total des consonnes et des
          voyelles analysées;
   VarcoV : ΔV divisé par la durée moyenne des intervalles vocaliques et multiplié par
          100;
   nPVI-V : ces indices ont été calculés selon la formule en (1) (Grabe et Low 2002) :

   (1)
                  m–1
                            dn – dn+1
                  Σ                             / (m – 1)           x 100
                  n=1       (dn + dn+1) / 2

           où     d = durée d'une nième voyelle;
                  m = nombre de voyelles dans la séquence.

Ainsi, dans chaque suite de parole entre les pauses (Thomas et Carter 2006), pour
chaque paire d’intervalles vocaliques, la valeur absolue de la différence entre
deux intervalles consécutifs a été divisée par leur durée moyenne. La somme de
ces résultats a été divisée par le nombre de différences dans la séquence. Le tout
a été multiplié par 100. Par la suite, pour chaque locuteur, les valeurs médianes,
plutôt que moyennes, ont été recherchées, ce qui, selon Thomas et Carter (2006)
est plus approprié pour la parole spontanée : «[u]sing an overall [value] works
better for spontaneous speech, for which utterances vary widely in length, the
determination of the beginnings and endings of utterances is often debatable»
(p. 339).
   Les valeurs obtenues ont été comparées entre les sous-corpus et avec les
chiffres rapportés dans les études antérieures menées sur les données du français
et de l’anglais et résumés dans le Tableau 1. Notons que toutes les valeurs pour
l’anglais américain dans ce tableau sont plus hautes que pour l’anglais européen,
y compris %V. Finalement, il faut se rappeler que ces études utilisent les valeurs
moyennes nPVI-V qui sont d’habitude plus hautes que les valeurs médianes
(Thomas et Carter 2006). Alors, pour la comparabilité avec les résultats
antérieurs, nous avons aussi calculé les moyennes nPVI-V. Elles sont citées dans
les tableaux de résultats, mais ne sont pas rapportées en détail étant donné
qu’elles suivent les tendances exprimées par les valeurs médianes.

                                                            Downloaded from Brill.com07/16/2022 09:32:56AM
                                                                                             via free access
172                                                                     Svetlana Kaminskaïa

   Tableau 1. Valeurs nPVI-V (moyennes), VarcoV et %V obtenues dans les études antérieures
                                 sur le français et sur l’anglais
    Français «standard»,     Moyenne nPVI-V (Grabe et Low 2002,
   régional, en contact  10 Meisenburg 2013, Obin et al. 2012, White        39-51,5
      (style de lecture)                  et Mattys 2007)
                             %V (Fagyal, 2011, Meisenburg 2013,
                              Obin et al. 2012, Ramus et al. 1999,          43,6-49
                                     White et Mattys 2007a)
                              VarcoV (Meisenburg 2013, White et              50-58
                                            Mattys 2007)
   Français «standard» et    Moyenne nPVI-V (Meisenburg 2013)              46,5-49,5
          régional
     (parole spontanée)              %V    (Meisenburg    2013)             46,5-48
                                   VarcoV (Meisenburg 2013)                54,5-66,5
   Anglais «standard» et     Moyenne nPVI-V (Grabe et Low 2002,         55-73 (standard)
         américain          Prieto et al. 2012, White et Mattys 2007,  59-67 (américain)
                                            Yoon 2010)
                              %V (Ramus et al. 1999, Prieto et al.    38-42,2 (standard)
                              2012, Tortel et Hirst 2010, White et     45-54 (américain)
                                    Mattys 2007, Yoon 2010)
                             VarcoV (Tortel et Hirst 2010, White et     62-64 (standard)
                                    Mattys 2007, Yoon 2010)            65-91 (américain)

   À cause du déséquilibre dans le sous-corpus québécois, il n’est pas possible de
mener le type d’analyse qui permettrait de tester la variation intra et
interdialectale en même temps (c’est-à-dire de prendre en considération les trois
variables externes – dialecte, âge et sexe), car le groupe des locuteurs plus âgés
dans FQ serait réduit à une personne de chaque sexe. Dans ce contexte, pour
tester l’hypothèse sur les différences entre les variétés et examiner la variation
rythmique entre les deux variétés, nous avons d’abord mené les tests non
paramétriques Mann-Whitney pour toutes les mesures calculées. Par la suite,
pour examiner les tendances entres les groupes d’âge et de sexe et leur
dépendance au sous-corpus, nous avons mené les tests de variance à deux
facteurs (2x2 ANOVA : dialecte et âge; dialecte et sexe), chacun à deux niveaux
(FW et FQ; plus jeunes et plus âgés; hommes et femmes). La validité de
l’application des tests de variance a été confirmée par l’examen de la distribution
des résidus dans chaque cas et pour chaque variable.11

4. RÉSULTATS
   Les résultats moyens de l’analyse sont présentés dans le Tableau 2. Les
résultats individuels paraissent dans l’Annexe, Tableaux 5 et 6.

10 Toutes les variétés apparaissent ensemble à cause de grands chevauchements des

valeurs rapportées.
11 Nous remercions Erin Harvey du département des statistiques et des sciences

actuarielles de l’Université de Waterloo pour l’aide professionnelle avec les tests
statistiques.

                                                               Downloaded from Brill.com07/16/2022 09:32:56AM
                                                                                                via free access
Rythme phonétique dans deux variétés du français laurentien                                                     173

4.1. La vitesse d’articulation
   Selon les valeurs individuelles rapportées, le débit d’articulation dans le sous-
corpus Windsor varie de 4,25 syll/sec chez Chris à 5,65 syll/sec chez Mathis
(Tableau 5). Dans le sous-corpus Québec, le débit le plus lent de 5,42 syll/sec a
été observé chez Caroline, et le plus rapide, chez Charles (6,73 syll/sec)
(Tableau 6). En moyenne (Tableau 2), les participants québécois articulent plus
rapidement (6,05 syll/sec) que les participants ontariens (5,10 syll/sec), ce qui est
confirmé statistiquement (test Mann-Whitney, p < 0,001).
                                           Tableau 2. Résultats moyens
                                        Débit,    Médiane
                                                             Moyenne nPVI-V       VarcoV        %V
                                       syll/sec   nPVI-V
                    Windsor             5,10       42,30            47,60           49,39      54,35

               Écarts-types             0,378      4,479            5,395           6,896      1,951

                    Québec              6,05       41,39            46,95           50,89      52,83

               Écarts-types             0,378      1,784            1,183           3,209      1,829
           Test Mann-Whitney
                                        0,000      0,521            1,000           0,473      0,115
                 (p = )

   L’observation des résultats entre les groupes d’âge dans les sous-corpus a
révélé la même tendance : les deux groupes articulent plus lentement dans la
variété en contact (plus jeunes : 5,15 syll/sec et plus âgés : 5,04 syll/sec) que dans
la variété québécoise (plus jeunes : 6,04 syll/sec et plus âgés : 6,08 syll/sec)
(Tableau 3).
Tableau 3. Résultats pour les groupes d’âge. ANOVA désigne l’interaction des facteurs dialecte et âge
                         Windsor             Québec            Total                    ANOVA
                       Age-   Age+         Age-  Age+       Age-   Age+              (dialecte x âge)
    Débit, syll/s      5,15    5,04        6,04    6,08     5,60      5,30     F (3, 16) = 0,124; p = 0,729

   Méd nPVI-V          44,17   40,43      41,86    40,00    43,01    40,32     F (3, 16) = 0,293; p = 0,596

   Moy nPVI-V          50,98   44,21      47,43    45,50    49,20    44,53     F (3, 16) = 1,997; p = 0,177
      VarcoV           54,46   44,31      49,82    54,11    52,14    46,76    F (3, 16) = 12,903; p = 0,00212

        %V             53,81   54,90      53,01    52,27    53,41    54,24     F (3, 16) = 0,880; p = 0,362

   La variabilité des valeurs individuelles trouvées dans les Tableaux 5 et 6 (cf.
l'annexe) suggère l’absence de tendance claire entre les groupes d’âge dans les
sous-corpus. Le test de variance à deux facteurs (ANOVA 2x2, dialecte et âge) a
confirmé l’absence d’effet du facteur âge sur la vitesse d’articulation et n’a pas
révélé d’interaction entre les deux variables externes, confirmant donc
l’importance du facteur dialecte.
   La comparaison des résultats entre les hommes et les femmes (Tableau 4),
dans l’ensemble des données, a fourni les moyennes similaires (5,45 et 5,50
12 Effet du facteur dialecte : F (3, 16) = 1,646; p = 0,218; effet du facteur âge : F (3, 16) =

2,125; p = 0,164.

                                                                             Downloaded from Brill.com07/16/2022 09:32:56AM
                                                                                                              via free access
174                                                                                Svetlana Kaminskaïa

syll/sec, respectivement). Cependant, ces moyennes résultent des tendances
contraires entre les groupes dans les deux sous-corpus.
                     Tableau 4. Résultats pour les hommes (H) et les femmes (F).
                      Windsor          Québec              Total                       ANOVA
                                                                              (dialecte; sexe; dialecte et
                     H       F       H          F    H              F                    sexe)
                                                                                   F (3, 16) = 4,719;
  Débit, syll/sec   4,99    5,20    6,37    5,86    5,45           5,50
                                                                                       p = 0,04513
                                                                                   F (3, 16) = 5,072;
  Méd nPVI-V        45,36   39,24   41,47   41,34   44,06      40,19
                                                                                      p = 0,03914
                                                                                   F (3, 16) = 2,284;
  Moy nPVI-V        50,16   45,04   46,67   47,12   48,99      45,98
                                                                                       p = 0,150
                                                                                   F (3, 16) = 0,043;
      VarcoV        50,67   48,10   53,21   49,51   51,52      48,74
                                                                                       p = 0,839
                                                                                   F (3, 16) = 3,935;
       %V           54,62   54,09   51,11   53,86   53,45      53,98
                                                                                        p = 0,065
   Ainsi, en FW, ce sont les femmes qui articulent plus rapidement (5,20 syll/sec)
que les hommes (4,99 syll/sec), alors qu’en FQ, c’est le contraire qui est
observé : les hommes produisent 6,37 syll/sec, tandis que les femmes produisent
5,86 syll/sec. Selon le test de variance (ANOVA 2x2, dialecte et sexe),
l’interaction entre les variables dialecte et sexe est ressortie marginalement
significative (F (3,16) = 4,719; p = 0,045), en confirmant l’importance de la
différence plus grande entre les moyennes dans le sous-corpus FQ.
   Les résultats concernant la vitesse d’articulation vont de pair avec les
observations sur le débit plus lent dans les variétés en contact (Obin et al. 2012),
et sur l’articulation plus rapide chez les hommes (Schwab et Racine 2013).

4.2. Les mesures rythmiques
   Selon les résultats individuels (Tableaux 5 et 6), les valeurs médianes nPVI-V
varient de 35,80 (Vanessa) à 47,88 (Mathis) en FW, et de 40,00 (Charles,
Caroline, Mireille) à 44,30 (Philippe) en FQ. Les valeurs VarcoV varient de
38,34 (Vanessa) à 61,21 (Mathis) en FW, et de 45,52 (Mireille) à 56,06 (Charles)
en FQ. Finalement, le taux des intervalles vocaliques en FW va de 51,58 (Claire)
à 57,48 (Rémie), et en FQ, de 49,71 (Charles) à 54,90 (Gabrielle).
   En moyenne (Tableau 2), les valeurs de Windsor, comparées à celles de
Québec, sont à peine plus hautes pour nPVI-V (42,30 contre 41,39) et pour %V
(54,35 contre 52,83). Pour VarcoV, les valeurs dans les deux sous-corpus sont
très proches; celles du FW étant légèrement plus basses qu’en FQ : 49,39 contre
50,89. Les différences observées paraissent négligeables et, en effet, elles ne sont
significatives pour aucune des trois mesures rythmiques (test Mann Whitney : p
≥ 0,115). Ce qui est curieux, c’est que ces résultats, quoique très proches,
indiquent des tendances opposées : les valeurs plus élevées nPVI-V en FW
13 Effet du facteur dialecte : F (3, 16) = 39,025; p = 0,000; effet du facteur sexe : F (3, 16)

= 0,852; p = 0,370.
14 Effet du facteur dialecte : F (3, 16) = 0,444; p = 0,515; effet du facteur sexe : F (3, 16)

= 5,520; p = 0,032.

                                                                          Downloaded from Brill.com07/16/2022 09:32:56AM
                                                                                                           via free access
Rythme phonétique dans deux variétés du français laurentien                               175

traduisent une plus grande variabilité des intervalles vocaliques et donc la
tendance vers une rythmicité moins syllabique dans cette variété, alors que la
valeur plus basse de VarcoV et la valeur plus haute de %V suggèrent le contraire.
   On note d’autres contradictions quand on considère la variation entre les
groupes sociaux dans les sous-corpus. En FW, la variabilité des intervalles
vocaliques est plus grande chez les participants plus jeunes que chez ceux plus
âgés, ce qui est manifesté par les valeurs nPVI-V et VarcoV : 44,17 contre 40,43
et 54,46 contre 44,31 (Tableau 3). Ce résultat exprime la tendance vers une
rythmicité plus accentuelle (anglaise) chez les participants plus jeunes. La même
tendance peut être reconnue à partir des valeurs %V, bien que les résultats soient
très similaires entre les deux groupes d’âge : 53,81% (groupe des plus jeunes) et
54,90% (groupe des plus âgés).
   Dans le sous-corpus Québec, les valeurs médianes nPVI-V suggèrent la même
tendance vers la rythmicité moins syllabique chez les participants plus jeunes, car
elles sont plus grandes par rapport aux locuteurs plus âgés : 41,86 contre 40,00
(Tableau 3). Cependant, %V et VarcoV suggèrent une tendance opposée, avec un
taux plus grand des intervalles vocaliques chez les plus jeunes (53,01 contre
52,27) et une plus grande variabilité des intervalles chez les locuteurs plus âgés
(54,11 contre 49,82). N’oublions pas, cependant, le déséquilibre dans le sous-
corpus Québec, ce qui fait considérer ce résultat avec prudence.
   Dans l’ensemble des données, on constate la tendance des jeunes à une
rythmicité moins syllabique à partir des moyennes plus élevées de nPVI-V (43,01
contre 40,32) et de VarcoV (52,14 contre 46,76) et la valeur légèrement plus
basse de %V (53,41 contre 54,24) comparativement aux locuteurs plus âgés.
   La validité de ces observations a été testée à l’aide de l’analyse de variance
(ANOVA 2x2, dialecte et âge) pour voir si cette tendance était générale ou si elle
découlait de l’impact considérable d’un des deux sous-corpus. Le test a révélé
qu’une interaction significative entre les variables existe pour VarcoV (F (3,16)
= 12,903; p = 0,002), sans effet majeur des variables individuelles. Cela veut dire
que la variation observée entre les groupes d’âge pour VarcoV est présente dans
un des sous-corpus seulement, notamment en FW. Les autres tendances n’ont pas
été confirmées statistiquement (Tableau 3).
   Selon le Tableau 4, dans le corpus Windsor, les femmes démontrent une
tendance vers une rythmicité plus syllabique que les hommes car leurs valeurs de
nPVI-V (39,24 contre 45,36) et de VarcoV (48,10 contre 50,67) sont plus basses
que celles des hommes. Les taux des intervalles vocaliques sont presque
identiques chez les deux sexes en FW : 54,09 (femmes) et 54,62 (hommes).
   Dans le sous-corpus québécois, les femmes démontrent également la tendance
vers une rythmicité plus syllabique que les hommes, à en juger à partir des
valeurs plus hautes de %V (53,86 contre 51,11) et selon des valeurs plus basses
de VarcoV (49,51 contre 53,21), alors que les valeurs nPVI-V sont presque
identiques dans les deux groupes (41,34 chez les femmes et 41,47 chez les
hommes) (Tableau 4).
   Dans l’ensemble des données, la différence entre les sexes est présente pour
toutes les mesures et indique la tendance des femmes vers une rythmicité plus
syllabique par rapport aux hommes : valeurs plus basses de nPVI-V et de VarcoV

                                                          Downloaded from Brill.com07/16/2022 09:32:56AM
                                                                                           via free access
Vous pouvez aussi lire