L'approche du processus de l'Université de Boston et la méthode scientifique
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L’approche du processus de l’Université de Boston et la méthode scientifique Dr Guy M. DELEU Mars 2013 Selon Eric Latimer de Montréal, « … les quelques études faites sur l’approche du processus de l’Université de Boston n’ont pas réussi à démontrer son efficacité… », ce qui n’est évidemment pas l’opinion de Marianne Farkas de Boston. « L’approche du processus de l’Université de Boston, encore appelée l’approche Choisir-Obtenir-Garder, est un processus guidant l’interaction entre un professionnel et une personne souffrant d’une maladie mentale sévère. Basée sur une méthodologie, constituée de phases et d’activités, l’approche est centrée sur le client, fondée sur les forces, et vise à aider la personne à construire des relations sociales positives, à encourager l’auto-détermination des objectifs, à connecter la personne aux services et soutiens dont elle a besoin, et à fournir un entraînement direct des habiletés afin de maximiser l’indépendance » (extrait du Registre National du SAMHSA des Programmes et Pratiques basées sur les preuves, septembre 2011). Dans le livre Où nous mène la Réhabilitation Psychiatrique, je décris cette approche du processus dans la chapitre 2. J’explique qu’elle est une approche généraliste de la Réhabilitation dans le sens où elle aide la personne, en fonction de ses priorités, à trouver ou retrouver un rôle social valorisant dans le domaine résidentiel (un lieu pour vivre), éducatif (un environnement pour apprendre), professionnel (un environnement de formation ou de travail) et celui de la socialisation (construire des relations sociales soutenantes, mener des activités enrichissantes). Dans le chapitre 3, je décris ce que l’on appelle le soutien à l’emploi, et plus particulièrement le modèle IPS du Soutien à l’Emploi, et j’explique comment l’approche du processus s’applique au Soutien à l’Emploi et à des objectifs dans le domaine du travail. Eric Latimer de Montréal a eu l’amabilité de réaliser un commentaire sur mon livre en août dernier, dans lequel il égratigne quelque peu l’approche de Boston. Moi-même intrigué, j’ai transmis ce commentaire à Marianne Farkas qui réagit à la remarque faite par Eric Latimer sur l’absence d’efficacité démontrée de l’approche du processus de l’Université de Boston.
Vous trouverez la réponse de Marianne Farkas après le commentaire d’Eric Latimer sur mon livre, suivi de quelques remarques personnelles. Commentaire d’Eric Latimer sur Où nous mène la Réhabilitation Psychiatrique, Montréal, Québec, août 2012 Pr Eric Latimer, chercheur, Institut Douglas, Professeur agrégé, Département de psychiatrie, Université McGill , Membre associé, Département d’épidémiologie, de biostatistiques et de santé au travail, Université McGill, Montréal, Québec « J’ai aimé globalement le livre du Dr Guy Deleu, témoignage nuancé d’un psychiatre guidé par des valeurs humanistes, qui s’est engagé dans un voyage d’exploration au travers du monde de la réadaptation psychiatrique. Ses réflexions, ainsi que celles de Marianne Farkas, sur les liens entre l’approche de l’école de Boston, en particulier l’approche Choisir-Obtenir-Garder (COG), et les pratiques fondées sur les preuves, particulièrement le modèle Individual Placement and Support (IPS), m’ont semblé particulièrement intéressantes. J’aurais apprécié toutefois que son livre mette mieux en relief le fait que les quelques études faites sur l’approche COG n’ont pas réussi à démontrer son efficacité, tandis que le modèle IPS s’avère systématiquement plus efficace que les alternatives auxquelles il est comparé, et ce non seulement en Amérique du Nord, mais aussi dans des pays d’Europe munis de protections sociales considérables. Les valeurs de l’école de Boston en ce qui concerne le processus de réadaptation sont louables, mais elles sont largement partagées par les tenants d’IPS aussi ; et l’efficacité dans l’atteinte de résultats n’est-elle pas aussi une valeur importante ? Malgré ces quelques réserves, ce livre court, bien écrit et réfléchi me semble sans conteste mériter une lecture attentive de lecteurs francophones qui s’intéressent au champ de la réadaptation psychiatrique. » Août 2012. Réactions au commentaire d’Eric Latimer de Marianne Farkas, Directrice de la Formation, de la Dissémination et de l’Assistance Technique du Centre pour la Réhabilitation Psychiatrique de l’Université de Boston, 30/08/12 Pourrais-je suggérer à Eric Laimer de consulter la description du Modèle du Processus de Réhabilitation Psychiatrique dans le Registre National du SAMHSA des Programmes et Pratiques basées sur les preuves à l’adresse suivante : http://www.nrepp.samhsa.gov/ViewIntervention. aspx?id=241 Premièrement, s’il est vrai qu’il y a eu très peu d’essais randomisés contrôlés sur l’approche Choisir-Obtenir-
Garder de la Réhabilitation Psychiatrique, il y en a quand même eu, la plus récente ayant été effectuée par Wilma Swildens et son équipe aux Pays-Bas et publiée en 2011 dans le Canadian Journal of Psychiatry (Swildens, 2011). Deuxièmement, il est erroné d’affirmer qu’aucun résultat n’a été démontré dans le sens de l’efficacité de l’intervention (Rogers, 2006, 2006a). Troisièmement, bien que quelques-unes des valeurs de la Réhabilitation Psychiatrique recouvrent celles présentent dans le modèle IPS – elles ont après tout été développées à proximité les unes des autres –, l’approche Choisir-Obtenir-Garder dote les professionnels de compétences pour mettre les valeurs en place, au-delà de leur donner des cadres organisationnels et des principes directeurs. Enfin, une des premières études sur le modèle IPS, en fait, portait sur l’intégration de l’IPS avec l’approche de la Réhabilitation Psychiatrique proposée par l’Université de Boston (Drake, 1996). Remarques personnelles du Guy M. Deleu sur l’approche du processus de l’Université de Boston et la méthode scientifique Le psychologue William Anthony (photo ci-contre) et son équipe n’ont jamais contesté la valeur de l’approche scientifique (empirique) en Réhabilitation Psychiatrique (voir Chapitre 3, Aperçu de la recherche, situation actuelle, dans La Réhabilitation psychiatrique, Socrate Editions Promarex, 2004). Pourquoi alors n’y a-t-il que si peu d’études empiriques sur l’approche du processus de l’Université de Boston alors qu’il y a une foison d’études sur le modèle IPS du Soutien à l’Emploi et cela à travers le monde ? L’explication vient sans doute des positions personnelles de William Anthony, Directeur du Centre de Boston jusqu’en 2011, et d’un modèle IPS du Soutien à l’Emploi qui s’est confronté dès sa conception à la méthode scientifique. Bill Anthony et ses collègues ont mené à bien pendant trois décennies de multiples travaux et recherches (études qualitatives, recherches-actions, enquêtes sur les attitudes de la société, les besoins et le point de vue des usagers, les services, le processus de réhabilitation et la méthologie qui la favorise, avec un accent particulier sur les valeurs, le Rétablissement, le leadership dans les services de santé mentale…), ont produit de très nombreuses publications (articles, livres, manuels pédagogiques…) et ont développé de multiples initiatives qui ont largement contribué au développement de la Réhabilitation Psychiatrique telle que nous la connaissons aujourd’hui. Eric Latimer, lui-même, m’écrivait en novembre dernier : « Le groupe de Boston a eu une influence majeure et, il me semble, très positive sur le champ de la réadaptation psychiatrique. Entre autres, le principe de respecter le choix de la
personne a fortement influencé le modèle IPS, le modèle Housing First, et la réflexion sur les meilleures pratiques en réadaptation, en général ». Dans l’optique de Bill Anthony et de ses collaborateurs, ce qui est devenu prioritaire c’est d’une part la qualité de la relation d’aide entre le client et son praticien en réhabilitation et d’autre part que ce dernier utilise dans son travail d’accompagnement les étapes importantes du processus qui garantissent le mise en place rélle des valeurs de la Réhabilitation (orientation vers la personne, intégration, choix, partenariat et individuation). L’échelle de fidélité à l’approche de Boston porte sur ces éléments. Ce seraient aussi selon Anthony et ses collaborateurs ces priorités qui offriraient le contexte le plus favorable au processus de rétablissement du client. La méthode scientifique et notamment les études randomisées en double aveugle sont complexes et coûteuses à mener. Bill Anthony était très strict sur l’origine des fonds pour leurs travaux et leurs recherches, refusant tout fond qui pouvait provenir de firmes pharmaceutiques. Au début des années 2000, une campagne de promotion des approches basées sur les preuves en soins de santé mentale était menée par le ministère fédéral aux USA. Bill Anthony aurait suggéré à cette époque à ses collaborateurs, pour qu’ils puissent consacrer leur ressources à leurs propres travaux et recherches, de laisser l’initiative à ceux qui utilisent leur méthologie aux USA et de par le monde de mener des études de validation sur cette méthologie. Ce qui a été fait, mais dans une petite mesure. Le modèle IPS du Soutien à l’Emploi, a, dès le début de sa conceptualisation, été soumis à des études de validation par le groupe du psychiatre Robert Drake, au Dartmouth Medical School, University du New Hampshire. À partir de 2001, plusieurs études randomisées en double aveugle avaient déjà démontré son efficacité pour l’accès et le maintien des personnes avec une incapacité psychiatrique sévère dans un emploi compétitif et permis sa reconnaissance comme une Evidence-Based Practice par le monde scientifique. Depuis, les études sur ce modèle se sont multipliées, aux USA et dans le monde, facilitées notemment par une échelle de fidélité au modèle très concrète et très opérationnelle et des objectifs de recherche facilement quantifiables et mesurables. Dans l’optique de Drake et de ses collaborateurs, la priorité est de respecter les principes organisationnels du modèle. Plus votre service est proche de la fidélité aux principes du modèle, plus de chances auront vos clients d’accéder et de se maintenir dans un emploi compétitif dans le monde ordinaire du travail. L’efficacité est une valeur primordiale de ce modèle. De plus, selon les défenseurs de ce modèle, ce serait le fait d’obtenir et de garder ce statut de travailleur ordinaire qui entraînerait un changement identitaire chez la personne et qui favoriserait ainsi son rétablissement.
Marianne Farkas ne conteste pas du tout le bien-fondé et l’efficacité du modèle IPS du Soutien en Emploi. Elle regretterait même que trop peu de personnes avec une incapacité psychiatrique sévère puisse bénéficier de ce type de service aux USA. Ses réserves portent sur certains aspects de l’application des valeurs et aussi sur cette focalisation sur l’emploi compétitif dans le monde ordinaire de l’emploi comme intervention prioritaire. En résumé L’approche du processus de l’Université de Boston a démontré dans quelques études son efficacité pour aider le client à réaliser des objectifs de réhabilitation, autodéterminés, définis en termes de rôles sociaux dans des environnements préférés (résidentiels, éducatifs, professionnels, de socialisation). En ce qui concerne l’emploi compétitif dans le milieu ordinaire du travail, le modèle IPS du Soutien à l’Emploi s’avère plus efficace. Bibliographie Anthony, W., Cohen, M., Farkas, M. et Gagne, Ch. (2002). Psychiatric Rehabilitation, Center for Psychiatric Rehabilitation, Boston University, (2004) traduction française, La Réhabilitation psychiatrique, Socrate-Promarex Editions, Charleroi. Deleu, G. (2012), Où nous mène la Réhabilitation Psychiatrique, Socrate Editions Promarex, Charleroi. Drake, Robert E., McHugo, Gregory J., Becker, Deborah R., Anthony, William A., Clark, Robin E. (1996). «The New Hampshire study of supported employment for people with severe mental illness », Journal of Consulting and Clinical Psychology, Vol 64(2), Apr 1996, 391-399. Latimer, E. (2008). Le soutien à l’emploi de type « placement et soutien individuels » pour les personnes atteintes de troubles mentaux graves: sa pertinence pour le Québec. Monographie. AETMIS MO-2008-01:1-73. Rogers, E., Anthony, W., & Lyass, A. (2006). « A randomized clinical trial of psychiatric vocational rehabilitation », Rehabilitation Counseling Bulletin, 49(3), 143 – 156 Rogers, E. Sally, Anthony, William A., Farkas, Marianne, (2006). « The choose-get- keep model of psychiatric rehabilitation: A synopsis of recent studies », Rehabilitation Psychology, Vol. 51(3), Aug. 2006, 247-256. Swildens, Wilma W. et al. (2011). « Effectively working on rehabilitation goals : 24-month outcome of a randomized controlled trial of the Boston psychiatric rehabilitation approach », Journal of Canadian Psychiatry, 56(12) : 751-60 (2011).
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