L'évaluation des traductions coréennes du style indirect libre dans Madame Bovary
←
→
Transcription du contenu de la page
Si votre navigateur ne rend pas la page correctement, lisez s'il vous plaît le contenu de la page ci-dessous
L’évaluation des traductions coréennes du style indirect libre dans Madame Bovary Sunheui PARK [선희 박] & Sung-Gi JON [성기 전] Université Korea [고려대학교] Corée du Sud Abstract The purpose of this article is to evaluate the translations of the Free Indirect Style(FIS) in the Korean versions of Madame Bovary, a novel written by Flaubert. After distinguishing within the FIS the reproduction of the characters’ speech, thought, perception, etc. we will focus on the translation problems regarding the reproduction of the ‘speech’ of the characters and assess whether the polyphonic ambiguity that creates the stylistic effect of the FIS is properly restored in the Korean versions or not. The five Korean translations that we selected for our evaluation cover a long period from the 1950s to the 2000s; thus they reach from the first Korean translation of this work to the most recent one. Therefore we will be able to examine the diachrony of the Korean translations of the FIS through this evaluation. In addition, we will examine closely in which various forms the ‘speech’ of the FIS is being represented in the Korean translations, what strategies and methods the translators of each period have chosen in order to translate it, and whether their methods have succeeded to restore the polyphonic ambiguity of the FIS. I. Introduction Le SIL 1 utilisé par Flaubert dans Madame Bovary est un des 1 Certains chercheurs appellent parfois le SIL « Discours Indirect Libre »(DIL). Nous utiliserons pour cet article les abbréviations suivantes : DD (Discours Direct), DI (Discours Indirect), SIL (Style Indirect Libre), SDL (Style Direct
2 Sunheui PARK & Sung-Gi JON points essentiels de l’écriture de Flaubert, souvent évoqué comme l’un des moments majeurs de l’histoire de la littérature. L’effet stylistique du SIL est subtil et provient surtout de l’ambiguité polyphonique. Par conséquent la question de la restitution de la polyphonie du SIL dans sa traduction constituera un des enjeux majeurs à la restitution de la littérarité de ce roman. L’ambiguité polyphonique 2 du SIL naît de ce qu’on peut entendre les voix de plusieurs personnes à un endroit particulier du texte sans signe formel permettant de distinguer les voix du narrateur et du (des) personnage(s). On ne peut pas reconnaître le SIL à la structure formelle de la phrase, mais en s’appuyant sur le contexte et sur différents indices présents à l’intérieur et autour de la phrase. Surtout, c’est du fait que le SIL n’a pas recours, à la différence du DD ou du DI, à aucun signe indicatif particulier d’un discours rapporté, qu’il tient cette ambiguité formelle. Autrement dit, la question de savoir comment est restituée la spécificité formelle du SIL en tant qu’instrument servant à la constitution de l’ambiguité polyphonique jouera un rôle important dans l’évaluation de la traduction du SIL. Notre étude se propose donc d’aborder la question de la traduction du SIL dans les traductions coréennes de Madame Bovary (1950-2000), qui est sans doute l’un des romans français les plus traduits en Corée. Le SIL permet de représenter les paroles, pensées et perceptions du (des) personnage(s) dans l’œuvre, mais nous nous attacherons plus particulièrement à la traduction des « paroles » dans le SIL afin d’évaluer si l’ambiguité polyphonique a été bien restituée. Libre), NA (Narration), DR (Discours Rapporté), DIL (Discours Indirect Libre), DDL (Discours Direct Libre). 2 La polyphonie telle que la définit O. Ducrot est la co-existence à l’intérieur d’une même phrase des voix du locuteur et de l’énonciateur. J. Ryncher considère la polyphonie comme le cœur du SIL, et l’appelle le ‘discours double’ (voir Bruña Cuevas 1989 : 4).
L’évaluation des traduction coréennes 3 2. Recherches sur le SIL et sa traduction 2.1. Les recherches à l’étranger Dans cette partie, nous nous proposons de revoir les principales recherches effectuées à l’étranger autour de la question du SIL et de sa traduction. Tout d’abord, Guillemin-Flescher (1981) distingue le DIL 3 représentant une parole et le « discours intérieur libre » représentant une pensée. Si l’on s’en tient à cette distinction, on pourra retenir le terme de DIL pour notre étude puisqu’elle s’attache à la représentation de la « parole » du (des) personnage(s). Par ailleurs, Guillemin-Flescher souligne le fait que dans les traductions anglaises et françaises, le DIL est en général traduit soit par le DD soit par le DIL (Guillemin-Flescher 1981 : 435-441). Rosier (2008 : 90-98) distingue dans le DIL un « DIL mimétique » et un « DIL narratif ». Le premier identifie le DIL en fonction de la modalité, et le second en fonction du (con)texte encadrant. Ainsi, par rapport au « DIL mimétique », le « DIL narratif » est plus difficile à distinguer de la NA. Par ailleurs, Rosier présente les formes mixtes en français en différenciant le discours direct avec « que », le discours indirect sans « que », et le discours indirect marqué typographiquement ou mimétique. Taivalkoski-Shilov (2006) considère, parmi les types de discours qu’elle analyse, que le Discours Indirect Mimétique (DIM) 4 et le DIL mêlent les voix du narrateur et du (des) personnage(s). De plus, elle estime que les « types de discours mixtes » (DIM, DIL, DDL,...) soulèvent de nombreux problèmes 3 Dans cette partie, nous retenons la terminologie employée par chacun des chercheurs. 4 Elle définit le DIM comme une forme de discours mixte : « un discours indirect contenant des indices de la « voix » du personnage (idiolecte, décalages déictiques, guillemets) ». Parmi les exemples du DIM, on compte le « DI avec guillemets » qui relève du DI mimétique de Rosier ; Cf. Taivalkoski-Shilov (2006 : 55, 245), Rosier (2008 : 97).
4 Sunheui PARK & Sung-Gi JON pour la traduction et provoquent plus de «glissements» que les types non mixtes, ce qui explique que les études sur les « glissements » de types de discours se concentrent principalement sur la traduction du DIL et du DDL. On trouve le DIL dans plusieurs langues, mais du fait de différences structurelles entre les langues, l’hétérogénéité énonciative de la langue de départ a tendance à être réduite au cours de la traduction pour « glisser » vers l’homogénéité énonciative de la langue d’arrivée. Par ailleurs, il arrive qu’on passe à l’homogénéité énonciative en fonction de circonstances extratextuelles, notamment dans les cas où les types mixtes ne sont pas familiers aux lecteurs de la langue d’arrivée ou au traducteur lui-même. Par exemple, Kullmann explique que le DIL ait été traduit par le DD dans la première traduction allemande de Madame Bovary par le fait que cette traduction date d’avant que la «découverte» du DIL en Allemagne. Ensuite, Kittel affirme que l’homogénéisation énonciative dans la langue d’arrivée s’explique aussi par les normes littéraires et les conditions de travail du traducteur contraint de travailler dans des délais très brefs avec des rémunérations très faibles. Enfin, les traducteurs ont tendance à simplifier la structure énonciative du texte d’arrivée. Selon Blum- Kulka, une traduction tend à devenir plus redondante et explicite que le texte original (Taivalkoski-Shilov 2006 : 66-73). 2.2. Les recherches en Corée Voyons à présent les traits pertinents relatifs au SIL coréen. Pour ce faire, prenons un exemple de représentation de la « parole » au SIL dans un roman coréen des années 1920. Cet exemple a en effet le mérite de nous montrer que le SIL existait dans les œuvres littéraires coréennes bien avant sa « découverte » par certains linguistes coréens. 남은 우선 지참봉의 입을 막아놔야겠기에 모두 자기의 짓이라 거짓자백하였다. 그리고 정말 자기도 오몽냬가 아쉽다. 어떤 놈의 짓인지, 이 밤으로, 거리의 술집을 뒤지고 서수라나 웅기까지 가더라도 기어이 오몽냬를 찾아내고 싶었다. 남순사는 지참봉에게 오늘 밤으로 오몽냬를 데려온다고 장담하고
L’évaluation des traduction coréennes 5 나왔다. Comme il fallait d’abord faire taire Jichambong, Nam fit un faux aveu et dit que tout était sa faute. Omongnye lui manquait vraiment. Il avait envie de la retrouver, quitte à aller fouiller toutes les tavernes cette nuit-même, pour savoir qui était responsable. L’inspecteur Nam sortit en assurant à Jichambong qu’il ramènerait Omongnye dans la soirée. (Lee Tai-Jun, 오몽냬, 1925 : 26). 5 Nous saisissons que le passage que nous avons souligné représente les « paroles » du personnage Nam grâce aux signes d’ouverture (남은 […] 거짓자백하였다 « Nam fit un faux aveu ») et de clôture (남순사는 […] 장담하고 나왔다 « L’inspecteur Nam sortit en assurant que... ») du SIL qui entourent ce passage. De plus, les expressions orales à l’intérieur du passage souligné (‘ 정말’ , ‘ 어떤 놈의 짓인지’ , ‘ 이 밤으로’ ‘ 기어이’ , etc.) sont autant d’indices internes de la « parole » du personnage. Toutefois, les terminaisons employées pour les « paroles » du personnage (‘ ~다’ , ‘ ~ ㅆ다’ ) sont les mêmes que celles utilisées dans les signes d’ouverture et de clôture qui relèvent de la NA. Par conséquent il est difficile de différencier le SIL de la NA en se fiant à la seule forme du passage. C’est par le contexte et certains indices que l’on apprend lors de la lecture qu’il s’agit de la « parole » du personnage. Les terminaisons et le temps au passé nous fait entendre la voix du narrateur, mais en même temps les expressions orales nous font entendre la voix du personnage. Autrement dit, ce passage contient bien une ambiguité polyphonique. Ce n’est que récemment que l’on a commencé à étudier concrètement la question de la traduction en coréen du SIL français. Chung (1996) et Chang (2002) ont souligné le fait qu’il est en réalité difficile de trouver une tournure qui corresponde au DIL français en coréen étant donné certaines différences entre les 5 Cité par Jon (2005 : 246).
6 Sunheui PARK & Sung-Gi JON deux langues dans l’emploi des pronoms et des temps verbaux 6 . Kang (2001) affirme quant à elle que le coréen utilise le « discours libre », c’est-à-dire le DIL et le DDL, beaucoup plus librement, beaucoup plus fréquemment et beaucoup plus naturellement que le français. Jon (2005) présente les divers indices du SIL tel qu’il apparaît dans les textes littéraires coréens et pose la question de leur traduction en français. Park (2007, 2008) remarque que les « paroles » dans le SIL français sont souvent traduites en coréen sous la forme du DI, causant de fait la disparition de l’ambiguité polyphonique du texte original puisque la distinction entre locuteur et énonciateur devient évidente. Toutes ces études antérieures n’analysent qu’une traduction par œuvre ou se bornent à évaluer quelques traductions contemporaines. Par conséquent il est impossible d’observer le développement et les transformations dans l’histoire de la traduction du SIL en coréen. C’est la raison pour laquelle notre étude envisage une approche diachronique de la traduction du SIL, contribuant de façon originale à l’étude générale de la traduction du SIL français en coréen. 3. Choix de corpus pour le travail évaluatif Madame Bovary fut traduit pour la première fois en coréen en 1954 par YANG Won-Dal ; depuis, on compte pas moins d’une soixantaine de traductions, dont la plupart furent effectuées dans le sillage de la vogue des publications d’œuvres complètes et de livres de poche dans les années 1970. Le traducteur qui produisit le plus grand nombre de versions différentes du texte de Flaubert est MINE Hi-Sik, qui publia entre 1973 et 2007 pas moins de 13 volumes différents. Mais ces traductions comportent de graves 6 En français, l’imparfait et le pronom à la troisième personne servent d’indice permettant de reconnaître la parole ou l’énoncé du narrateur, mais comme en coréen on n’a autant de temps verbaux au passé qu’en français, on n’a pas de temps verbal déterminé capable de jouer ce rôle indicateur du SIL, d’autant plus que l’on peut encore omettre le pronom dans la phrase coréenne.
L’évaluation des traduction coréennes 7 problèmes : problèmes de plagiat, problèmes de réédition d’une même traduction chez un éditeur différent, problèmes de réédition à peine corrigée d’une traduction antérieure, problèmes portant sur l’identité des auteurs d’une traduction, etc. Ce n’est que très récemment qu’on s’est mis en Corée à évaluer les traductions de manière systématique et à aborder concrètement ces problèmes propres à la traduction en coréen des œuvres littéraires françaises. Pour notre étude évaluative, nous avons retenu les premières traductions de YANG Won-Dal (1954), KIM Bung-Ku(1970), MINE Hi-Sik (1973), KIM Ki-Bong (1974) et KIM Hwa-Young (2000). Chacune de ces traductions fut l’objet de rééditions et de corrections, mais comme il n’est pas toujours possible de savoir si ces corrections furent l’œuvre des traducteurs eux-mêmes ou des éditeurs, nous avons décidé de sélectionner les premières versions publiées de chaque traducteur. Ce corpus de traductions présente l’avantage de s’étendre de la première traduction de Madame Bovary jusqu’à sa traduction la plus récente, permettant d’envisager de manière diachronique l’évolution de la traduction du SIL en coréen. Nous analyserons d'abord les stratégies traductives propres à chaque traducteur devant le SIL, et nous tenterons ensuite de voir, par l’analyse diachronique et la comparaison, comment ces stratégies ont évolué dans la période couverte par notre corpus de traductions. Enfin, nous tenterons de voir si ces différentes stratégies traductives face au SIL parviennent à rendre l’ambiguité polyphonique du texte original. 4. Analyse et évaluation des traductions coréennes du SIL français Pour notre étude, nous avons sélectionné dans le texte de Madame Bovary une centaine de phrases où apparaissent les « paroles » du SIL, puis nous avons comparé les traductions correspondantes tirées des cinq traductions que nous avons retenues pour notre corpus. Afin de voir et d’évaluer si l’ambiguité polyphonique qui préserve la « parole » du SIL a été correctement
8 Sunheui PARK & Sung-Gi JON restituée dans la traduction, nous avons employé les critères suivants : 1) les indices du SIL ont-ils bien été rendus dans la traduction ? 2) Le rapport de «tension» existant entre les voix mélangées du narrateur et du (des) personnage(s) a-t-il été préservé ? 7 3) Si le SIL traduit s’apparente par la forme à la NA, est-ce qu’on peut bien ressentir à la lecture un décalage avec de la NA ? 8 4.1. Traits du SIL dans les traductions coréennes 4.1.1. Diverses manières de lier les phrases Dans les traductions coréennes du SIL, on a pu trouver un procédé de traduction très libre, constitué de « formes mixtes », dans lequel se trouvent mélangés divers modes de discours. Ce style mixte se manifeste de diverses manières, sous la forme du « SIL+DI » ou d’un « SDL+terminaison de DR », et a souvent recours à la virgule plutôt qu’au point pour lier les phrases entre elles. Charles l’interrompit : il avait mille inquiétudes, en effet; les oppressions de sa femme recommençaient. Alors Rodolphe demanda si l’exercice du cheval ne serait pas bon. (p. 161) 거기에서 샤를르가 말을 가로막으면서, 사실 자신도 여러가지로 걱정을 하고 있다,(SIL) 아내의 가슴 답답한 증세가 또 시작되었다고 말했다.(DI) 그래서 로돌프는 승마가 좋지 않겠냐고 물었다. (KIM Wha-Young (2000 : 228) Dans le texte original, la phrase « Charles l’interrompit » sert de signe d’ouverture du SIL, indiquant que ce qui suit est la 7 Dans le DIL mimétique, c’est la voix du personnage qui ressort plus, tandis que dans le DIL narratif, c’est la voix du narrateur qui est plus saillante. Dans la traduction, l’ajout d’explications du narrateur ou d’expressions orales du personnage peut rompre le rapport de ‘tension’ existant entre les voix mélangées du SIL. 8 Surtout dans le DIL narratif, ces passages qui ont la forme de la NA mais qui ne se lisent pas comme de la NA peuvent être l’indice trahissant la « parole » du SIL. Ce décalage entre la NA et le SIL traduit sous la forme de la NA est ce qui permet, avec le contexte, d’identifier le SIL.
L’évaluation des traduction coréennes 9 « parole » du personnage. Donc la partie que nous avons soulignée représente la « parole » de Charles au SIL. Dans la traduction, la première phrase au SIL ‘ 사실 자신도 여러가지로 걱정을 하고 있다 (il avait mille inquiétudes)’ est reliée par une virgule à la phrase suivante qui est terminée par la terminaison ‘ -다고 말했다(Il a dit que~)’ qui est une marque du DI. Cette manière particulière de lier les deux phrases non par une conjonction mais par une simple virgule permet de faire comprendre qu’il s’agit de la « parole » du personnage en la situant entre le signe d’ouverture du SIL et le DI. On peut également trouver certains passages au SIL traduits par une suite de phrases terminées par la terminaison verbale ‘- ㅆ다’ et un point. Elle[Emma] réussit d’abord à éconduire Lheureux ; enfin il perdit patience : on le poursuivait, ses capiteaux étaient absents, et, s'il ne rentrait dans quelques-uns, il serait forcé de lui reprendre toutes les marchandises qu'elle avait. (p.194) 엠마는 처음에 뤼르를 적당히 쫓아 버리는 데 성공하였지만, 드디어 그는 참을 수가 없게 되었다. 그는 고소당하고 있었다. 그는 자본이 모두 떨어졌다. 그래서 만일 무엇으로든지 회수하지 못하는 경우에는 그는 엠마가 가진 물건을 모조리 다시 찾아 가지 않으면 안되었다. (Bung-Ku KIM 1970 : 171) Le passage que nous avons souligné dans le texte original représente au SIL les propos énervés de Lheureux qui « perdit patience ». Tout le passage est constitué de propositions reliées par des virgules et un « et » qui sont traduites en autant de propositions finies (par la terminaison verbale -ㅆ다) mises les unes à la suite des autres. Cet enchaînement de terminaisons -ㅆ다, par son manque de naturel, indique qu’il faut lire ce passage comme du SIL et non comme de la NA. Par l’emploi du pronom personnel à la troisième personne ‘그’ et des terminaisons verbales du passé ‘있었다’, ‘떨어졌다’, ‘안되었다’, on entend la voix du narrateur, tandis que le contenu de ces phrases qui dépeignent la situation délicate où est plongé Lheureux nous fait entendre la voix du personnage dans le
10 Sunheui PARK & Sung-Gi JON même temps. 4.1.2. La traduction au présent On a relevé à plusieurs reprises la traduction du SIL en coréen par le présent. Plus particulièrement, dans le cas de phrases modales, autrement dit, dans le cas du DIL mimétique, les traducteurs coréens traduisent pour la plupart le SIL par le présent comme dans l’exemple ci-dessous : Alors il[Charles] écrivit à sa mère pour la prier de venir, et ils eurent ensemble de longues conférences au sujet d’Emma. À quoi se résoudre ? que faire, puisqu’elle se refusait à tout traitement ? — Sais-tu ce qu’il faudrait à ta femme ? reprenait la mère Bovary. (p.129) 그는 어머니에게 와 달라는 부탁 편지를 썼다. 그리고 그들은 엠마의 일에 대해서 오랫동안 의논하였다. 어떻게 하면 좋을 것인가? 그녀는 어떠한 치료도 받지 않겠다고 고집을 부리고 있으니 어떻게 할 수 있으랴...... 「네 아내를 어떻게 했으면 좋겠느냐고 묻는 거냐 ?」하고 보봐리 노부인은 말했다. (Hi-Sik MINE 1973 : 92) Dans le passage souligné, la « parole » de Charles qui s’inquiète de la santé de sa femme est représentée par deux phrases interrogatives. Dans le texte original, la voix du narrateur se fait entendre par la présence de l’imparfait (« elle se refusait »), mais dans la traduction, tous les verbes sont mis au présent, c’est-à-dire au temps de la « parole » du personnage. En revanche, la voix du narrateur est indiquée par l’usage de la terminaison écrite et non orale (‘~것인가 ?’, ‘~있으랴.....’). Ce choix de traduction s’explique sans doute par le fait que dans la langue coréenne ce type de phrases modales au passé serait peu naturel ; il relève donc de la stratégie des traducteurs pour produire des phrases naturelles dans la langue d’arrivée. 4.1.3. La traduction par le pronom ‘자기’ Enfin Charles, ayant fermé la porte, le [Léon] pria de voir lui-
L’évaluation des traduction coréennes 11 même à Rouen quels pouvaient être les prix d’un beau daguerréotype ; c'était une surprise sentimentale qu'il réservait à sa femme, une attention fine, son portrait en habit noir. (p.120) 이윽고 샤를르는 문을 닫더니 루앙에 가거든 손수 은판 사진의 가격이 어떤지 알아봐 달라고 부탁하는 것이었다. 그것은 검은 예복을 입은 자기 사진을 찍어서 자기 부인을 깜짝 놀라게 해주려는 섬세한 배려에서 나온 것이었다. (Ki- Bong KIM 1974 : 101) Le passage que nous avons souligné présente au SIL la « parole » de Charles demandant à Léon de se renseigner sur « les prix d’un beau daguerréotype ». Dans la traduction de ce passage, le traducteur a opté pour l’expression ‘자기’ en dépit de l’existence d’un équivalent en coréen (그의) pour traduire les adjectifs possessifs dans « à sa femme » et « son portrait ». L’expression ‘자기’ est une sorte d’indice particulier utilisé à l’intérieur du passage au SIL dans le texte coréen (Chung 1996 : 1186-1188 ; Jon 2005 : 259). Le mot ‘ 자기’ n’a pas d’équivalent convenable en français. Il est proche, approximativement, du ‘soi-même’ français. 4.2. Stratégies utilisées par chaque traducteur pour traduire le SIL Dans cette partie, nous présenterons les divers moyens utilisés par chaque traducteur à chaque époque pour traduire la « parole » du SIL dans le texte français et nous tenterons de relever les problèmes que ces moyens peuvent poser. 4.2.1. La traduction des années 1950 : Won-Dal YANG (1954) Dans la toute première traduction en coréen de Madame Bovary par Won-Dal YANG, on remarque une tendance à faire ressortir les énoncés des personnages par le recours à un style oral et l’emploi de signes typographiques. Le bruit des pas lui faisait mal; on s'en allait, la solitude lui devenait odieuse, renenait-on près d'elle, c'était pour la voir mourir, sans doute. (p.12) 발자국 소리만 들려도 기분이 상하였고, 사내가 나간 뒤에 혼자 있는 것을
12 Sunheui PARK & Sung-Gi JON “지긋지긋하게” 싫어하였다. 당신이 내 옆에 돌아왔을 적에는 나는 틀림없이 죽어 있을게라고까지 하였다. (Won-Dal YANG 1954 : 1-68) Dans l’exemple ci-dessus, le traducteur a inséré entre guillemets ‘지긋지긋하게’ afin de faire ressortir plus clairement l’énoncé du personnage dans cette situation. Mais on pourra déplorer le fait que ce genre d’ajouts affaiblit inutilement la polyphonie du narrateur et du (des) personnage(s). À l’inverse, il arrive au traducteur d’ajouter des explications supplémentaires aux énoncés du narrateur afin de présenter les « paroles » du (des) personnage(s) comme citées ou rapportées par le narrateur. Ce procédé n’est pas exclusif à Won-Dal YANG et se retrouve dans d’autres traductions. Il arrive fréquemment, dans la traduction de Won-Dal YANG, que les indices d’énonciation du (des) personnage(s) à l’intérieur d’un passage au SIL ne soient pas restitués correctement. – Ah bien, oui ! calmer Vinçart ; vous ne le connaissez guère ; il est plus féroce qu’un Arabe. Pourtant il fallait que M. Lheureux s’en mêlât. – Ecoutez donc ! il me semble que, jusqu’à présent, j’ai été assez bon pour vous. (p. 291) 『아아, 좋은 생각입니다마는......「뱅싸아르」씨를 진정시킨다...... 그건 부인이 모르는 말씀이지. 그는「아라비아」사람보다도 잔혹한 사내거든요.』 그러나 「뢰뢰」로서도 전혀 모른 체할 수도 없는 일이었다. 『제 얘길 좀 들어 보십쇼 ! 저는 오늘 날까지 부인께 꽤 잘 해드린 줄로 생각합니다마는.』 (Won-Dal YANG 1954 : 2-249) Dans le texte original qui est un dialogue entre Lheureux et Emma, Flaubert insère une phrase au SIL (que nous soulignons), qui exprime la « parole » d’Emma, entre deux phrases au DD. Dans cette scène, Emma qui se trouve dans une situation financière difficile, vient demander de l’aide à Lheureux qui refuse. La mention de « M. Lheureux » dans la phrase soulignée suffit à nous faire deviner qu’il s’agit non pas d’un passage narratif mais de la « parole » d’Emma. Alors que Lheureux a toujours appelé Emma
L’évaluation des traduction coréennes 13 « Madame », celle-ci lui donne du « Monsieur » pour lui demander une faveur. Cependant la traduction de Won-Dal YANG manque à restituer la singularité de cette expression particulière, qui a notamment pour fonction de faire connaître qui est l’énonciateur, en ne traduisant que « Lheureux » (「뢰뢰」). Par ailleurs, en traduisant la conjonction « pourtant » non pas par ‘하지만’ mais par ‘그러나’ (mais), cette phrase se lit comme faisant partie de la NA. Ce dernier exemple nous laisse à penser que Won-Dal YANG n’a pas su reconnaître les indices du SIL à l’intérieur de ce passage. Mais c’est un problème que nous retrouvons également dans les traductions ultérieures de Bung-Ku KIM, Hi-Sik MINE et Ki-Bong KIM. 4.2.2. Les traductions des années 1970 : Bung-Ku KIM (1970), Hi-Sik MINE (1973) et Ki-Bong KIM (1974) Dans les traductions des années 1970, on a pu relever un cas où l’emploi du présent et du mode honorifique servait à marquer la « parole » des personnages : La bonne ouvrit la lucarne du grenier et parlementa quelque temps avec un homme resté en bas, dans la rue. Il venait chercher le médecin; il avait une lettre. Nastasie descendit les marches en grelottant, et alla ouvrir la serrure et les verrous, l’un après l’autre. (p.13) 하녀가 다락방의 찬장을 열고는 아랫쪽의 한길에 서 있는 어느 남자와 오랫동안 이야기를 주고 받았다. 그 남자는 의사인 샤를르를 모시러 편지를 가지고 온 것이다. 나스따지는 벌벌 떨면서 층계를 내려가서 자물쇠와 빗장을 차례차례 열었다. (Bung-Ku KIM 1970 : 25) Dans l’exemple ci-dessus, la phrase soulignée correspond à la « parole » au SIL de l’« homme » mentionné dans la phrase précédente. Bung-Ku KIM fait comprendre qu’il s’agit bien de la « parole » de cet homme en utilisant dans sa traduction le mode honorifique du verbe « chercher » (모시러). Par ailleurs, si la traduction respecte le temps du passé de l’original dans les passages de NA qui entourent la phrase au SIL, cette dernière est terminée en coréen par une terminaison du présent (온 것이다). Ce
14 Sunheui PARK & Sung-Gi JON changement du temps verbal distingue clairement ce passage des phrases de NA qui l’entourent. Toutefois il faut remarquer encore que le passage souligné comporte deux « paroles » d’un personnage séparées par un point-virgule dans le texte original ; or la traduction de Bung-Ku KIM réunit ces deux phrases en une seule phrase. Si la traduction avait respecté le découpage présent dans le texte original, le contexte aurait permis de saisir qu’il s’agit ici de la « parole » d’un personnage, et ce sans recours au présent ou au mode honorifique. Hi-Sik MINE, dans sa traduction, a souvent recours au mode honorifique et aux expressions orales, notamment pour accompagner l’emploi des terminaisons de DR, afin de faire ressortir la modalité de l’énoncé du (des) personnage(s). C’est une tendance que l’on retrouvera dans la traduction de Hwa-Young KIM. Les traducteurs des années 1970 ont encore pour trait commun de ne pas conserver dans leurs traductions les signes de ponctuation des phrases modales (points d’exclamation, d’interrogation, de suspension). Ces signes de ponctuation sont également des indices du SIL, faisant apparaître les émotions ou les hésitations des personnages, mais les traducteurs ont tendance à ne pas en tenir compte. Par ailleurs, on a pu relever des énoncés du narrateur qui n’existaient pas dans le texte original. Ces ajouts ont certes pour but de mettre en évidence la « parole » du (des) personnage(s) dans un passage au SIL, mais ce faisant, ils entravent l’effet d’ambiguité polyphonique du SIL comme dans l’exemple suivant : La mère de Charles venait les voir de temps à autre ; mais, au bout de quelques jours, la bru semblait l’aiguiser à son fil ; et alors, comme deux couteaux, elles étaient à le scarifier par leurs réflexions et leurs observations. Il avait tort de tant manger ! Pourquoi toujours offrir la goutte au premier venu ? Quel entêtement que de ne pas vouloir porter de flanelle ! (p. 20) 샤를르의 어머니는 그들 내외를 보기 위하여 가끔 오고는 하였으나, 며칠만
L’évaluation des traduction coréennes 15 지나면 며느리는 도끼눈을 하는 것이었다. 그렇게 되면, 두 여자는 마치 두 자루의 칼과도 같이 서로를 비난하며, 서로의 단점을 찾아 내어 샤를르를 못 살게 구는 것이었다. 그 여자는 트집잡기를, 너무 먹기 때문에 안된다는 둥, 어째서 처음 찾아 오는 손님에게 항상 술을 대접하느냐는 둥, 프란넬 옷을 입고 싶어하지를 않는 것은 너무 고집이 세어 그렇다는 둥 하였다. (Bung-Ku KIM 1970 : 31) Dans le passage souligné par nous, on trouve un bel exemple d’ambiguité polyphonique puisqu’il met en présence non pas les voix mélangées du narrateur et d’un personnage, mais les voix entremêlées du narrateur et de deux personnages (la mère de Charles et sa femme). Etant donné qu’il s’agit encore d’un DIL mimétique constitué de phrases modales, la (les) voix du (des) personnage(s) se fait entendre plus fort que celle du narrateur (« Il avait... »). Cependant cette (ces) voix du (des) personnage (s) comporte une ambiguité fort « séduisante » puisqu’on ne peut pas distinguer la « parole » de la mère de Charles de celle de sa femme. D’une certaine façon, on pourrait même interpréter cette ambiguité comme un reflet de l’image stéréotypée des femmes (mère ou épouse) qui harcèlent leur homme (fils ou époux) de reproches ou de commentaires superflus (voir Bart 1989 : 139). Or la traduction insère une phrase narrative (그 여자는 트집잡기를« Elle geignait ») qui donne une explication et réduit ce passage à la voix d’une femme. On peut voir là une lacune dans la compréhension de ce passage de la part du traducteur. 4.2.3. La traduction des années 2000 : Hwa-Young KIM (2000) De la même manière que Hi-Sik MINE, la traduction de Hwa-Young KIM opte souvent pour l’emploi d’expressions orales et du mode honorifique afin de faire ressortir les énoncés des personnages. Toutefois, à la différence de ses prédécesseurs, Hwa- Young KIM respecte la plupart du temps les indices d’énonces des personnages à l’intérieur d’un passage au SIL. Cette particularité de la traduction de Hwa-Young KIM montre que le traducteur comprend et tente de restituer la spécificité stylistique du SIL.
16 Sunheui PARK & Sung-Gi JON L’officier de santé, chemin faisant, comprit aux discours de son guide que M. Rouault devait être un cultivateur des plus aisés. [...] Il [Rouault] n'avait avec lui que sa demoiselle, qui l'aidait à tenir la maison. (p. 70) 샤를르는 길을 가면서 안내자의 말을 듣고 루올 씨가 대단히 부유한 농부이리라는 것을 알았다. [...] 식구라고는 그를 도와 집안 일을 보살피는 딸 하나밖에 없었다. (Ki-Bong KIM 1974 : 14) 공의는 길을 가는 동안 안내인이 하는 말을 듣고 루오 씨가 가장 잘사는 농장주들 한 사람이라는 것을 알게 되었다. [...] 식구라고는 그를 도와 집안 살림을 맡고 있는 그 집 아씨뿐이었다. (Wha-Young KIM 2000 : 27) Dans le texte original, « demoiselle » est un indice du SIL puisqu’il reprend tel quel la marque de politesse utilisée par le guide. Si l’on compare les traductions de Ki-Bong KIM et Hwa- Young KIM, on constate que la première traduit « sa demoiselle » 9 par « sa fille (딸) », détruisant le rôle d’indicateur de la parole du guide que comportait l’appellation honorifique « demoiselle », tandis que la seconde reste proche de l’original en choisissant l’appellation honorifique ‘아씨’ pour conserver à ce mot son rôle d’indice du SIL. 5. Synthèse provisoire sur les traductions en langue coréenne du SIL français Nous avons tenté de relever et de classer les différentes méthodes descriptives pour traduire en coréen le SIL du texte original en nous appuyant sur nos analyses des différentes traductions de Madame Bovary. Tout d’abord, nous avons reconnu les cas de traduction de la « parole » du SIL mise entre guillemets avec des terminaisons de DR, comme des traductions au DD, et les cas de traduction terminée par des terminaisons de DR 10 , sans 9 Au sujet de ce mot, notons que LEE Hui-Young en 1973 souligne déjà qu’il convient de traduire « sa demoiselle » non pas par 딸 (sa fille) mais par les appellations honorifiques 아가씨 ou 따님. Voir Chang (2002 : 3-4). 10 Dans le cas des traductions au DI, les terminaisons utilisées sont très variées :
L’évaluation des traduction coréennes 17 guillemets, comme des traductions au DI. Par ailleurs, nous avons considéré comme étant des traductions au SDL les cas de traduction où la « parole » au SIL est traduite comme un énoncé direct du (des) personnage(s) avec des terminaisons du style oral. Comme il n’y a pas d’indice formel permettant de distinguer le SIL de la NA 11 , nous nous sommes appuyés sur le contexte. Ainsi dans le cas de traduction où le contexte fait penser qu’il s’agit de la « parole » du (des) personnage(s), nous avons considéré qu’il s’agissait d’une traduction au SIL. Dans les cas où la traduction ne laisse pas penser qu’il puisse s’agir de la « parole » d’un personnage mais explique une situation ou donne l’opinion du narrateur, nous avons considéré qu’il s’agissait d’une traduction à la NA. Lorsque la traduction procède par un enchaînement de propositions séparées par des points ou des virgules, lorsqu’elle a recours au pronom ‘자기’, aux terminaisons du présent, au mode honorifique et/ou aux expressions orales, nous l’avons classée parmi les traductions au SIL, malgré le fait qu’elle nuise à l’ambiguité polyphonique en faisant trop ressortir l’énoncé du (des) personnage(s). Enfin, lorsque le passage traduit se termine par une explication du narrateur, ou bien lorsque les indices du SIL à l’intérieur du passage ne sont pas restitués convenablement, nous avons classé ces traductions parmi les traductions à la NA. Le résultat de cette classification se résume au tableau suivant 12 : ‘-다고(라고) 말했다’, ‘-다는(라는) 것이었다’, ‘다고(라고) 했다’, ‘-다느니’, ‘-라는 둥’, ‘- 다는가’, ‘-다면서’, ‘-다고(라고)’, etc. Ce phénomène est dû à la richesse des terminaisons existant dans la langue coréenne. 11 Dans le cas de traduction par le SIL et la NA, les terminaisons utilisées sont ‘ - ㅆ다’ , ‘ -ㄴ 것이었다’ pour les phrases déclaratives, ‘ -있을까’ , ‘ -한가’ , ‘ - 느냐’ pour les phrases interrogatives, et ‘ -리라’ , ‘ -니까’ , ‘ -구나’ pour les phrases exclamatives. La langue coréenne ne fait de distinction entre le SIL et le NA au niveau des terminaisons verbales. 12 Etant donné qu’une phrase du texte original peut se retrouver divisée en plusieurs phrases dans sa traduction, ou inversement, le décompte des phrases
18 Sunheui PARK & Sung-Gi JON Traducteurs DD DI SIL SDL NA YANG Won-Dal 0 52 36 1 16 KIM Bung-Ku 0 42 47 0 17 MINE Hi-Sik 1 68 30 3 4 KIM Ki-Bong 0 43 50 0 16 KIM Wha-Young 0 52 48 8 0 Parmi les cinq types descriptifs mentionnées dans le tableau ci-dessus, toutes, à l’exception de la NA, montrent que les traducteurs ont conscience de traduire, dans les passages concernés, non pas de la narration (NA) mais des « paroles » du (des) personnage(s). Hi-Sik MINE et Hwa-Young KIM, plus particulièrement, traduisent le SIL du texte original par les DD, DI, SIL et SDL, ce qui montre qu’ils reconnaissent la possibilité qu’il s’agisse dans ces passages au SIL des « paroles » du (des) personnage(s). De plus, le tableau révèle que les traducteurs rendent le SIL de l’original par le SIL en coréen ou, souvent, par le DI. Chez les trois autres traducteurs, YANG Won-Dal, KIM Bung- Ku et KIM Ki-Bong, on trouve également des circonstances où la « parole » du SIL est traduite en NA, c’est-à-dire en explication de situation ou comme l’opinion du narrateur. Les traductions coréennes qui, pour traduire la « parole » du SIL, choisissent les terminaisons de DR, le mode honorifique ou l’ajout d’expressions orales, séparent les voix du narrateur et du (des) personnage(s), ou bien font ressortir clairement la « parole » du (des) personnage(s). De ce fait, on peut dire que les auteurs de ces traductions n’ont pas pris en pleine considération l’ambiguité polyphonique du SIL. Cela n’est pas sans rapport avec le fait que les discussions sur le SIL ont été entamées concrètement en Corée dans les années 1990. Par conséquent, il était difficile aux traducteurs d’avant cette période de prendre pleinement conscience donné dans notre tableau ne correspond pas forcément au nombre de phrases retenus pour notre corpus.
L’évaluation des traduction coréennes 19 de la spécificité stylistique du SIL et de chercher une stratégie traductive pour restituer son effet. C’est encore pour cette raison que, dans les traductions des années 1950 et 1970, les indices du SIL ne sont pas correctement restitués. Considérant encore que les traductions des années 1970 et d’avant ne restituent pas toujours les divers indices qui marquent la présence du SIL dans un passage, on peut en déduire que les traducteurs d’alors n’avaient pas conscience de la spécificité de ces indices. Il faut attendre la traduction de Hwa-Young KIM en 2000 pour voir les indices du SIL traduits fidèlement. Cependant on peut regretter que, même dans cette traduction, l’importance de l’ambiguité polyphonique du SIL soit passée outre du fait du recours fréquent au mode honorifique et aux expressions orales. 6. Conclusion Nous avons étudié la question de la traduction de la « parole » du SIL dans les traductions coréennes de Madame Bovary des années 1950 jusqu’aux années 2000. Nous avons analysé sous quelles formes diverses et variées le SIL apparaissait dans les traductions coréennes, les stratégies et les méthodes traductives employées pour rendre la « parole » du SIL du texte original à chaque époque (de traduction), et enfin nous avons cherché à savoir si ces différents procédés réussissaient à restituer l’ambiguité polyphonique du SIL. Nous avons ensuite donné les résultats de notre analyse dans un tableau. On peut affirmer que la traduction en coréen du SIL s’est développée avec le temps, mais qu’elle manque encore à restituer toute la littérarité du texte original qui passe notamment par l’ambiguité polyphonique. La traduction du SIL relève de ce que Meschonnic (1995) appelle une traduction du rythme. Pour parvenir à une telle traduction, il faut auparavant qu’une étude sérieuse soit menée par une lecture approfondie de l’œuvre pour découvrir la dynamique des indices et des conditions externes et internes constitutifs de la polyphonie du SIL, et pour savoir
20 Sunheui PARK & Sung-Gi JON comment se crée ce rythme capable de faire entendre simultanément dans un même passage la voix de plusieurs personnes. Alors il faudra tenter de nouvelles techniques, de nouveaux procédés créatifs de traduction, différents des méthodes utilisées jusqu’aujourd’hui, afin de restituer pleinement ce dynamisme rythmique dans la langue coréenne. Références BART Benjamin (1989), «Le style indirect libre chez Flaubert : Madame Bovary et les richesses de l’indéterminé», Flaubert, L’autre, Lyon : Presses Universitaires de Lyon, p. 138-144. BRUÑA CUEVAS (1989), «Changer l’appellation «style indiret libre» ?», Romania, vol. 110, p 437-438 (p. 1-39). CHANG In-Bong (2002), « Sur la traduction du discours indirect libre français », Colloque organisé par la Société coréenne de langue et littérature françaises (communication en coréen). CHUNG Ji-Young (1996), « La technique polyphonique dans Les Thibault et le problème de la traduction en coréen », Bouleo- boulmunhak-yeongu (Étude de langue et littérature françaises), vol. 33, n° 2, Société coréenne de langue et littérature françaises, p. 1181-1192. GUILLEMIN-FLESCHER Jacqueline (1981), Syntaxe comparée du français et de l’anglais : problèmes de traduction, Paris : Ophrys. JON Sung-Gi (2005), «Le style indirect libre en coréen», Peurangseu-eomun-gyoyuk (Enseignement de Langue et Littérature Françaises), vol. 20, Société coréenne d’enseignement de langue et littérature françaises, p. 243- 277. KANG Yi-Yon (2001), «Étude stylistique des discours rapportés direct et indirect libres dans le coréen et le français modernes et problématique de la traduction», Bouleo-boulmunhak- yeongu (Étude de langue et littérature françaises), vol. 48,
L’évaluation des traduction coréennes 21 Société coréenne de langue et littérature françaises, p. 499- 514 (en coréen). MESCHONIC Henri (1995), «Traduire ce que les mots ne disent pas, mais ce qu’ils font», Meta, vol. 40, n° 3, p. 514-517. PARK Sunheui (2007), «Le style indirect libre de Madame Bovary et ses traductions », mémoire de maîtrise, Université Korea (en coréen). PARK Sunheui (2008), «La critique des traductions du style indirect libre dans Madame Bovary – le cas des traductions de la ‘parole’», Peurangseu-munhwa-yeosul-yeongu (Études de la culture française et des arts en France), vol. 23, Association d’étude de la culture française et des arts en France, p. 145- 181 (en coréen). ROSIER Laurence (2008), Le discours rapporté en français, Paris : Ophrys. TAIVALKOSKI-SHILOV Kristina (2006), La tierce main : le discours rapporté dans les traductions françaises de Fielding au XVIIIe siècle, Arras : Artois presses université. Textes et traductions FLAUBERT Gustave (1971), Madame Bovary, Paris : Édition Garnier Frère. FLAUBERT Gustave (1954), Madame Bovary, tr. YANG Won-Dal, Séoul : Minjungseokwan. FLAUBERT Gustave (1970), Madame Bovary, tr. KIM Bung-Ku, Séoul : Dongwhachulpangongsa. FLAUBERT Gustave (1973), Madame Bovary, tr. MINE Hi-Sik, Séoul : Dongseomunwhasa. FLAUBERT Gustave (1974), Madame Bovary, tr. KIM Ki-Bong, Séoul : Daeyangseojeok. FLAUBERT Gustave (2000), Madame Bovary, tr. KIM Wha-Young, Séoul : Mineumsa.
Vous pouvez aussi lire