COMMENT LES MODES DE TRADUCTION INFLUENCENT-ILS LA TRADUCTION DES COGNATS?
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COMMENT LES MODES DE TRADUCTION INFLUENCENT-ILS LA TRADUCTION DES COGNATS? UNE EXPERIENCE COMPARANT LES INTERPRETES ET LES TRADUCTEURS EN FORMATION Aantal woorden: 14.904 Ine Desmet Studentennummer: 01405202 Promotor: Prof. dr. Gert De Sutter Leescommissaris: Prof. dr. Guy Rooryck Masterproef voorgelegd voor het behalen van de graad master in het Tolken Met talencombinatie Nederlands – Frans – Duits Academiejaar: 2018 – 2019
COMMENT LES MODES DE TRADUCTION INFLUENCENT-ILS LA TRADUCTION DES COGNATS? UNE EXPERIENCE COMPARANT LES INTERPRETES ET LES TRADUCTEURS EN FORMATION. Aantal woorden: 14.904 Ine Desmet Studentennummer: 01405202 Promotor: Prof. dr. Gert De Sutter Leescommissaris: Prof. dr. Guy Rooryck Masterproef voorgelegd voor het behalen van de graad master in het Tolken Met talencombinatie Nederlands – Frans – Duits Academiejaar: 2018 – 2019
Verklaring i.v.m. auteursrecht De auteur en de promotor(en) geven de toelating deze studie als geheel voor consultatie beschikbaar te stellen voor persoonlijk gebruik. Elk ander gebruik valt onder de beperkingen van het auteursrecht, in het bijzonder met betrekking tot de verplichting de bron uitdrukkelijk te vermelden bij het aanhalen van gegevens uit deze studie.
Abstract Résumé en français. La présente étude porte sur des interprètes et des traducteurs en formation qui se voient confrontés aux cognats (mots apparentés). Afin d’effectuer cette étude, 14 cognats partiels et un faux-ami ont été sélectionnés. A l’exception de ce faux- ami, tous les mots peuvent être traduits soit par un mot non-apparenté, soit par un cognat, tout dépendant du contexte. Comme le mot apparenté a également un synonyme non- apparenté, cela peut s’avérer intéressant de voir ce qu’en font les participants. Pour les deux options de traduction par cognat partiel, des phrases authentiques ont été cherchées dans différentes sources, et devant chaque phrase, le contexte est donné entre parenthèses. Avant que la moitié des 18 participants ait livré une interprétation simultanée et la moitié en ait fait une traduction, les participants ont été soumis à un test LexTALE de vocabulaire en français et en néerlandais. Il en résulte que les interprètes sont plus forts en vocabulaire français en ce qui concerne ce test. Quant aux résultats de l’expérience- même, il s’avère que les deux groupes optent majoritairement pour une traduction non- apparentée, mais les interprètes y ont plus souvent recours (39,3%) que les traducteurs (31,5%), parfois de manière incorrecte, entre autre à cause du temps restreint. Les traducteurs, en revanche, ont plus de temps pour livrer la traduction et optent plus souvent pour une traduction non-apparentée, même si la traduction apparentée est une solution correcte. La différence entre les traducteurs et les interprètes en formation peut s’avérer significative (p=0,054) mais par le biais d’une étude sur plus grande échelle, la conclusion tirée dans la présente étude peut être confirmée. (263 mots) Samenvatting in het Nederlands. In deze studie wordt aan de hand van een experiment onderzocht hoe tolken en vertalers in opleiding cognaten vertalen. Om inzicht te krijgen in dit onderwerp werden 14 partiële cognaten en één valse vriend geselecteerd. De valse vriend buiten beschouwing gelaten, kunnen die 14 woorden allemaal op twee mogelijke manieren vertaald worden: ofwel door de cognaatvertaling, ofwel door de niet- cognaatvertaling. Aangezien de cognaatvertaling ook telkens een synoniem heeft, kan het interessant zijn om te zien wat de deelnemers aan het experiment met die optie aanvangen. Bij elke mogelijke vertaling van de geselecteerde woorden, werd een passende authentieke zin gezocht in verscheidene bronnen en voor elke zin werd de context geëxpliciteerd. Alvorens de 18 deelnemers het experiment aflegden, ondergingen ze een LexTALE-test om hun kennis van het Nederlands en het Frans te testen. Uit die testen blijkt dat de tolken een betere kennis hebben van de Franse woordenschat uit de proef. De resultaten van het eigenlijke experiment tonen aan dat beide groepen eerder kiezen voor een niet-cognaatvertaling. De tolken nemen echter vaker een cognaat over (39,3%) dan de vertalers (31,5%), soms ook foutief, wegens tijdsgebrek. De vertalers daarentegen hebben meer tijd om de vertaling te leveren en opteren vaker voor een niet-cognaat, ook al is de cognaatvertaling correct. Het verschil in keuze tussen de vertalers en tolken in opleiding kunnen we beschouwen als significant (p=0,054), maar een onderzoek op grotere schaal kan de conclusie van dit onderzoek verder staven. (238 woorden)
Mot de remerciement Avant de débuter ce travail empirique, je veux prendre un moment pour remercier toutes les personnes qui m’ont aidée et soutenue au cours de ce méticuleux travail de rédaction. En premier lieu, je tiens à remercier tous les professeurs et tous les chargés de cours qui m’ont assistée pendant le projet. Merci à vous, Dr. Lore Vandevoorde, vous qui m’avez aidée à établir et cerner les premières étapes de mon expérience. Un grand merci à vous, professeur De Sutter, mon promoteur, d’avoir accepté de m’accompagner pendant le reste de la rédaction : vous qui répondiez toujours rapidement aux e-mails pour prendre rendez- vous, vous qui m’avez accompagnée sans cesse dans le processus de réflexion, vous qui étiez toujours si enthousiaste. Merci à vous, professeur Rooryck, de m’avoir assistée dans le processus linguistique de mon mémoire de master. Il est évident que tous les autres professeurs et chargés de cours de la faculté méritent un moment d’honneur : grâce à vous qui m’avez guidée à travers le parcours de la Linguistique Appliquée, je peux clôturer mes années à l’université avec de nombreuses qualités acquises par vos soins, ainsi qu’avec une certaine confiance en moi. En deuxième lieu, je tiens à remercier toutes les personnes qui ont participé de manière active et passive à mon expérience : les dix étudiants en interprétation et les neuf étudiants en traduction : il n’est pas évident pendant la dernière année des études de consacrer du temps aux mémoires d’autres étudiants. Mes amis ont également été de grande valeur. Merci Samuel, de m’avoir aidée à approcher le sujet d’un œil critique ; merci Marie-Astrid, d’avoir relu ma thèse pour adapter mes maladresses en français et d’avoir suggéré des formulations en français. Un grand merci est attribué aussi à vous, mes amis de la faculté : Aline, Louise, Virginie, Dennis, et tous les interprètes de ma classe... Être dans le même bateau a beaucoup allégé le travail. En dernier lieu –ce qui est souvent le plus important- je veux remercier ma famille. Un grand merci à mes grands-parents, qui m’ont toujours soutenue et qui ont fait autant de sacrifices pour me donner le meilleur futur possible. Même si vous n’êtes plus tous là, je tiens à vous remercier de tout mon cœur. Merci à ma famille de m’avoir aidée à élargir mon horizon en m’offrant toutes les possibilités. Merci maman, d’avoir lu et relu ce mémoire jusqu’à ce que tu puisses le présenter toi-même. Merci papa, Ben et Niek. Même si vous ne comprenez pas ce dont il est question, vous étiez toujours là pour me remonter le moral. Il ne reste qu’une personne à remercier mille fois : toi, mon amour, Sasja. Tandis que tu ne parles pas français, tu es toujours à l’écoute de mes explications. Merci de me remonter le moral après de longues journées de travail et de me donner de l’énergie pour continuer. Merci de me distraire avec de la bonne nourriture, de la musique, des plantes et de petites promenades au coucher du soleil. Si jamais j’ai oublié une personne, ne m’en veuillez pas, s’il vous plaît. Je vous assure que je vous mentionnerai dans mon prochain projet.
Contenu 1 INTRODUCTION .............................................................................................................1 2 ETAT DE LA QUESTION ................................................................................................... 3 2.1 QU’EST-CE QU’UN BILINGUE ? ............................................................................................3 2.2 LE LEXIQUE DES LANGUES DIFFÉRENTES ................................................................................. 5 2.3 LE FAUX-AMI, LE COGNAT ET L’INFLUENCE DES DEUX SUR LA LANGUE ............................................7 2.4 L’APPRENTISSAGE D’UNE LANGUE, FACILITÉ PAR DES COGNATS ? ............................................... 13 2.5 LES COGNATS EN INTERPRÉTATION ET EN TRADUCTION ........................................................... 16 2.6 LA PRÉSENTE ÉTUDE ....................................................................................................... 18 3 MÉTHODOLOGIE .......................................................................................................... 21 3.1 LA SÉLECTION DES COGNATS............................................................................................. 21 3.2 LES PARTICIPANTS ......................................................................................................... 24 3.3 L’EXPÉRIENCE ............................................................................................................... 25 4 RÉSULTATS .................................................................................................................. 29 5 CONCLUSION ET DISCUSSION ....................................................................................... 38 6 BIBLIOGRAPHIE............................................................................................................ 43 7 ANNEXES ....................................................................................................................... I 7.1 ANNEXE 1 : LES PHRASES À TRADUIRE ................................................................................... I 7.2 ANNEXE 2 : LES DONNÉES ................................................................................................ VI
Liste des images et des tableaux - Tableau 1 : Exemple d’un faux-ami, d’un cognat et d’un cognat partiel en français- néerlandais - Tableau 2 : Les cognats partiels utilisés dans l’expérience, accompagnés de leur traduction apparentée et de leur autre traduction - Tableau 3 : La manière de compter le résultat obtenu pour le test LexTALE français - Image 1 : Les résultats du test LexTALE comparant le niveau en vocabulaire français des interprètes et des traducteurs - Image 2 : Les résultats du test LexTALE comparant le niveau en vocabulaire néerlandais des interprètes et des traducteurs - Image 3 : Les résultats comparant l’estime de soi des traducteurs et des interprètes - Tableau 4 : Le nombre de mots traduits par les interprètes et par les traducteurs - Tableau 5 : Les résultats présentant le nombre de traductions apparentées utilisées par les interprètes et par les traducteurs - Tableau 6 : Les résultats présentant le nombre de traductions correctes, incorrectes et douteuses utilisées par les interprètes et par les traducteurs, comptés par colonne - Tableau 7 : Les résultats présentant le nombre de traductions correctes, incorrectes et douteuses employées par les interprètes et par les traducteurs, comptés par ligne
1 1 Introduction Du fait de la mondialisation, il existe de plus en plus de personnes multilingues et le besoin de personnes ayant des compétences accrues en linguistique est en constante augmentation. Cela induit le fait qu’il y a des traducteurs et des interprètes. Ce sont des personnes qui sont capables de faciliter la communication entre deux partis ne parlant pas les mêmes langues. Mais la question se pose de savoir si la connaissance linguistique d’une de leurs langues n’est pas trop influencée par la connaissance de leur autre langue. L’étude qui suit cherche à comparer les différentes méthodes de traduction du français vers le néerlandais au sujet des cognats et des faux-amis. Des cognats sont décrits comme étant des mots qui se ressemblent dans leur forme orthographique et/ou phonologique et dans leur signification (maman – mama) (Crystal, 1997 ; de Groot et de Keijzer, 2000 ; Dijkstra, Graigner et Van Heuven, 1999 ; Van Hell et De Groot, 1998 ; De Bot, Cox, Ralston, Schaufeli et Weltens, 1995). Les faux-amis se ressemblent également dans leur forme mais ont une signification différente (NL : alimentatie = FR : pension alimentaire >< FR : alimentation = NL : voeding). Dans de nombreux cas, le cognat peut être traduit de manière différente : en tant que cognat et en tant que synonyme de ce mot cognat. Dans le cas du mot français apprécier, il existe la traduction apparentée néerlandaise appreciëren et la traduction synonyme à cette traduction apparentée waarderen. Comme le mot apparenté est le mot qui est évoqué plus facilement à cause de la ressemblance, cette dernière option, qu’est l’utilisation du synonyme, est moins évidente dans une traduction parce que le cognat est évoqué le plus vite. Cet effet s’appelle « the cognate facilitation effect » (Costa, Caramazza et Sébastien-Galles, 2000). Dans la présente étude, les objets étudiés ne sont pas de simples cognats. Ce sont des cognats qui, dans des contextes spécifiques, ne peuvent pas être traduits avec leur mot homologue en néerlandais. Le mot apprécier se traduit par exemple dans un contexte de mathématiques et de distance par inschatten (mesurer, calculer). La présente étude démontrera par le biais d’une expérience qu’il existe une différence dans le nombre de mots apparentés utilisés par les interprètes, vis-à-vis de l’utilisation qu’en font les traducteurs. Il convient de préciser que l’expérience est ici menée auprès de traducteurs et interprètes en formation, des personnes qui ne sont pas encore actives dans le milieu professionnel.
2 Cette étude essaie de formuler une réponse aux questions suivantes. Premièrement : dans quel mode les participants ont-ils tendance à employer le plus de cognats : dans le mode d’interprétation ou dans celui de la traduction ? Deuxièmement : quelle en est la cause ? Dans l’état de la question, la définition de « la personne bilingue » est donnée (2.1), ce qui aidera à comprendre ce qui se passe dans le cerveau d’une personne bilingue. Tout en se basant sur cette description, la sélection des participants peut être effectuée. Deuxièmement, cette étude démontre comment le lexique dans le cerveau d’un bilingue est assimilé (2.2) avant d’expliquer ce qu’est effectivement un cognat (2.3). Ce qui suit, c’est une élaboration de la littérature sur l’apprentissage d’une deuxième langue, facilitée par les cognats (2.4). L’état de la question est conclu par une élaboration de la différence entre les interprètes et les traducteurs quant à la traduction des cognats (2.5). Les études déjà effectuées y sont présentées pour bien établir le point de départ de la présente étude (2.6). Ce mémoire de master est poursuivi par la méthodologie (chapitre 3) dans laquelle la sélection des mots apparentée est élaborée (3.1), ainsi que les participants (3.2), suivi par l’expérience en elle-même (3.3). Avant d’arriver à la conclusion et la discussion (chapitre 5), les résultats de notre expérience sont élaborés (chapitre 4).
3 2 Etat de la question Dans l’état de la question, la compréhension de la définition de « la personne bilingue » (expliqué dans 2.1) est cruciale afin de mieux comprendre ce qui se passe dans le cerveau d’un tel bilingue dans le sous-chapitre qui suit. Dans le sous-chapitre suivant (2.2), les différentes perceptions sur le lien mental des deux langues du répertoire d’une personne sont parcourues : les deux langues que parle une personne sont-elles séparées de sorte qu’une des langues ne puisse pas exercer une influence sur l’autre ou les deux langues ont-elles quand même une influence l’une sur l’autre parce qu’elles sont enregistrées dans un même système linguistique ? Ici est ajouté comment la littérature fait une distinction entre le lexique et la conceptualisation comme étant les deux parties dans le mental d’un bilingue. Ensuite, dans le sous-chapitre 2.3, la différence exacte entre un faux-ami, un cognat et un cognat partiel est expliquée. Quelques études françaises utilisant le mot « cognat » sont évoquées afin d‘expliquer pourquoi la présente étude parle du mot « cognat » au lieu de « mot apparenté » avant de contraster différentes définitions de ce qu’est exactement un cognat. Les études se focalisant sur « the cognate facilitation effect » (Costa, Caramazza et Sebastian-Galles, 2000) démontrent comment le bilingue peut être influencé ou même être distrait par un cognat. Dans le chapitre suivant (2.4) est établi comment le cognat peut avoir une influence sur l’apprentissage d’une langue étrangère et ainsi se présente aussi l’effet du cognat dans les premiers stades du bilinguisme. L’avant-dernier sous-chapitre (2.5) montre la différence entre les interprètes et les traducteurs quant aux cognats. Le chapitre clôturant l’état de la question (2.6) décrit comment Schlesinger et Malkiel (2005) ont déjà effectué une étude similaire à la présente étude auprès des traducteurs et des interprètes. 2.1 Qu’est-ce qu’un bilingue ? A travers les siècles, la personne « bilingue » a connu différentes définitions. Tout au début de la littérature étudiant le bilinguisme, Darcy (1953) juge chaque personne comme une personne bilingue quand elle a un nom de famille étranger ou quand elle est issue de la migration. Dans ses études, Darcy prétend que l’intelligence verbale de ces personnes bilingues serait moins élevée que celle des enfants monolingues (Darcy, 1953 dans Appel et Muyskens, 2005 : 108). Cette définition n’est pas applicable ici parce que ses
4 participants n’étaient pas de vrais ‘bilingues’, c’est-à-dire qu'ils n’avaient pas un bon niveau dans leur deuxième langue, ils avaient seulement une origine étrangère. Qui plus est, leurs résultats étaient moins élevés à cause de leur situation socio-économique non favorable, un facteur qui n’était pas tenu en compte dans l’étude de Darcy. Peal et Lambert disent que les vrais bilingues sont des bilingues compétents dans les deux langues qu’ils parlent (Peal et Lambert 1962 dans Hakuta et Diaz, 2014 : 320) tandis que les autres bilingues, c’est-à-dire les « pseudo-bilingues » sont, selon eux, des personnes qui connaissent les deux langues mais qui n’ont pas atteint le même niveau pour leur deuxième langue que pour leur langue maternelle. Les chercheurs démontrent que le mental du bilingue est plus flexible car il change souvent de langue, ce qui entraîne son cerveau. Dans des études plus récentes, il est accepté de manière générale que les bilingues sont des personnes qui se servent régulièrement de leurs deux langues mais qui n’ont pas nécessairement le même niveau dans chacune d’entre elles (Verreyt, De Letter, Hemelsoet, Santens et Duyck, 2013). Leurs deux langues se voient activées en même temps et de ce fait, ils doivent les maîtriser de sorte qu’ils éteignent la langue dont ils n’ont pas besoin à ce moment donné (Kroll, Bobb et Wodniecka, 2006). Cette activation est plus élaborée dans le sous-chapitre (2.2) qui suit. Le bilingue change de langue dépendant du contexte dans lequel il se trouve (Woumans, 2015). Il existe cependant plusieurs sortes de bilingues : des bilingues qui ont appris les deux langues à la fois à un jeune âge et des bilingues qui apprennent leur deuxième langue à un âge plus mature (sequential bilingualism). « Balanced bilinguals » (Carranza, 2009), c’est-à-dire des bilingues balancés, sont des personnes ayant à peu près le même niveau dans leurs deux langues. « Unbalanced bilinguals », des bilingues non-balancés, ne maîtrisent pas aussi bien leurs deux langues et ont un niveau plus élevé dans une des deux. La présente étude porte sur des bilingues balancés qui ont appris la deuxième langue (le français) à l’âge de dix, onze ans et qui ont un niveau de la langue plutôt élevé, c’est-à- dire qu’ils doivent à peu près avoir le même niveau dans les deux langues. Le niveau des deux langues est contrôlé dans le premier stade de notre expérience par un test LexTALE (chapitre 3.3).
5 2.2 Le lexique des langues différentes Dans le domaine du bilinguisme, il existe deux hypothèses sur la relation entre les deux langues du répertoire d’une seule personne. La première hypothèse est celle de la « séparation » : les différentes langues sont mémorisées séparément et le seul moyen d’obtenir dans la langue L2 une idée se trouvant dans la partie de la langue L1 est en traduisant cette idée (Kolers, 1963). Le lien cognitif entre les deux lexiques est donc inexistant. Ce concept de séparation est appelé aussi « the language-specific store » (Van Hell et De Groot, 1998 : 193). Selon cette hypothèse, renforcée par Tulving et Colotla (1970), toutes les langues que parle une personne sont des systèmes linguistiques différents qui sont enregistrés dans la mémoire acquis de manière indépendante. Cette hypothèse a cependant été rejetée dans de multiples études (Caramazza et Brones, 1979 ; Dijkstra, Graigner et Van Heuven, 1999 ; Dijkstra, Timmermans et Schriefers, 2000 ; Macnamara, 1967). Il semble, en effet, que les bilingues sont plus aptes à reconnaitre facilement et rapidement les mots interlinguistiques que d’autres mots. Cette découverte indique que les deux systèmes cognitifs se recoupent au moins partiellement. Les participants participant à l’étude de Dijkstra et al (2000) par exemple n’étaient pas capables d’éteindre leur lexique d’une langue, même si cette suppression mènerait à une meilleure performance dans leur autre langue. Les deux langues sont donc connectées dans le mental du bilingue. Ceci mène à la deuxième hypothèse, non celle de la séparation des systèmes linguistiques dans la mémoire, mais celle du partage : « the shared hypothesis » (Lopez et Young, 1974 ; Young et Navar, 1968) qu’on appelle aussi « the language-independent view » (Van Hell et De Groot, 1998 : 193). Cette hypothèse prétend que toutes les langues que connaît une personne sont sauvegardées dans une seule mémoire sémantique. La langue à laquelle appartient le mot sauvegardé dans la mémoire est indiquée par un label, une sorte de marque mentale qui montre à quelle langue appartient le mot indiqué. Selon cette hypothèse, toutes les connaissances d’une personne se trouvent dans la même partie de la mémoire sous forme des idées et des concepts. Selon cette hypothèse, il se peut par conséquent, que la personne parlant une de ses deux langues est influencée par la langue qu’il connaît mais qu’il ne parle pas à ce moment-là. On parle d’interférence. Le model « BIA + » ou « bilingual interactive activation + » est un modèle théorique qui implique que les mots des deux langues se trouvent ensemble dans un seul lexique. Ces deux
6 langues sont activées en même temps quand un mot est prononcé ou lu dans une des deux langues. Cette activation dans la mémoire dépend de la ressemblance des deux mots quant à l’orthographe, la phonologie et la représentation sémantique (Dijkstra et Van Heuven, 2002). Si les mots se ressemblent plus, l’activation sera plus grande avec de plus grandes conséquences. Ces conséquences sont plus élaborées dans le sous-chapitre suivant au sujet des cognats et des faux-amis (2.3). Cependant, Diller (1970) a évoqué l’idée que tous les bilingues ne possèdent pas cette même mémoire partagée parce que tous les bilingues n’acquièrent pas leur deuxième langue de la même manière et par conséquent, ils n’ont pas (encore) atteint le même niveau dans leurs deux langues. Il existe donc plusieurs groupes de bilingues ayant des niveaux de langues différents. Dans les années 50, Ervin et Osgood (1954) ont divisé les bilingues en deux groupes : les bilingues « compound » (littéralement « composés ») et les bilingues « coordinated » (littéralement « coordonnés ») (Ervin et Osgood, 1954 dans Diller, 1970). Le premier groupe comprend les personnes qui n’ont jamais appris une langue indépendamment de leur langue maternelle. De ce fait, ce groupe ne possèdera jamais deux systèmes grammaticaux séparés. Le groupe des bilingues coordonnés comprend des personnes qui ont appris les deux langues qu’ils maîtrisent dans des contextes différents et possèdent -contrairement au premier groupe- deux systèmes de grammaire individuels. Il s’agit par exemple d’enfants parlant le français à la maison et le néerlandais à l’école, c’est-à-dire dans des contextes indépendants et distincts. Diller (1970) a rejeté cette hypothèse distinguant les bilingues composés et coordonnés. Mais même si cette hypothèse est rejetée, il est accepté de manière générale dans les études de traduction qu’il existe deux parties dans le mental d’un bilingue : le lexique et la conceptualisation (De Groot, 1993 ; Kroll et De Groot 1997 : 34 ; Francis, 1999 ; Kroll et Stewart, 1994). Dans la première partie, c’est la forme des mots qui est sauvegardée, c’est-à-dire la phonologie et l’orthographe. Dans la deuxième partie se trouvent les significations des mots, les concepts. Étant donné que différentes études, présentées ci- dessus dans le sous-chapitre 1.3., démontrent qu’une personne bilingue est plus apte à produire des mots apparentés que des mots non-apparentés, à retenir des mots concrets que des mots abstraits et à traduire plus correctement des substantifs que des verbes (Van Hell et De Groot, 1988), il se peut que des mots apparentés ainsi que des mots concrets et des substantifs partagent une représentation conceptuelle qui fait de sorte qu’une
7 personne les retienne et produise plus facilement, contrairement à ce qui se passe pour les mots abstraits, non-apparentés et les verbes, qui ne partagent pas cette représentation conceptuelle. Van Hell et De Groot (1998) précisent dans leur étude que les mots ayant la même signification partagent aussi leur représentation conceptuelle dans la mémoire. Plus la forme (orthographique et/ou phonétique) se ressemble dans les deux langues, plus la représentation conceptuelle sera forte. Qui plus est, si un mot représente un objet concret et est également un cognat (définition de ce qu’est un « cognat » dans le sous- chapitre suivant) et un substantif, la représentation partagée sera la plus large possible (néerlandais - anglais : appel – apple) 2.3 Le faux-ami, le cognat et l’influence des deux sur la langue Dans des langues différentes, il existe souvent des mots qui se ressemblent morphologiquement ou phonétiquement. Comme le chapitre précédent l’explique déjà, la forme des mots différents est sauvegardée dans une partie du mental, la conceptualisation des mots se trouve dans une autre partie (De Groot, 1993 ; Kroll et De Groot, 1997 : 34 ; Francis, 1999 ; Kroll et Stewart, 1994). Ce phénomène exerce une certaine influence sur la manière de réflexion du bilingue. Ici, il faut faire la distinction entre les mots qui se ressemblent et qui signifient la même chose et les mots qui se ressemblent mais qui ont une signification différente. Les mots qui peuvent être classés dans le dernier groupe, appartiennent à la catégorie des faux-amis. Selon le dictionnaire contrastif utilisé dans notre expérience (chapitre 3), il est dit que les faux-amis « constituent une difficulté lexicale majeure pour les apprenants. Ce sont des homonymes (de forme semblables ou identique apparentés ou non d’un point de vue étymologique, mais de sens totalement ou partiellement différent. » (Theissen, Hiligsmann et Rasier, 2013 : 7) Il se peut aussi que ces mots aient la même signification dans les deux langues et font donc référence au même objet. Ce ne sont pas des faux-amis puisqu’ils ont la même signification. On parle des mots transparents ou des mots apparentés : des cognats. « Cognate » est un mot anglais qui se traduit par « mot apparenté » selon le dictionnaire Larousse et le dictionnaire Van Dale. Cependant, dans les études françaises, l’on préfére
8 se référer à l’anglicisme « cognats », afin de se référer à ces mots apparentés. (Kraif, 1999 ; Laxén, Lavaur et Aparicio, 2011 ; Manolescu et Jarema, 2018). Kraif considère tous les mots ayant au moins « quatre lettres en commun comme cognats potentiels », des mots, ajoute-t-il, qui se ressemblent sur le plan « sémantique et graphique » (Kraif, 1999 : 4). Comme le mot « cognat » a une connotation plus importante dans les ouvrages spécialisés que la notion « mot apparenté », la présente étude parlera dorénavant de « cognat ». David Crystal (1997) décrit un « cognat » comme étant « une langue ou une forme linguistique qui partage historiquement la même forme linguistique ou langue source » (Crystal 1997 : 67). Cette définition décrit l’usage d’un cognat dans le contexte des sciences de la traduction et met donc en avant l’étymologie et l’origine commune des mots pour les définir comme cognats. La définition qui est employée dans le domaine de la psycholinguistique diffère un peu de cette description. En psycholinguistique, en effet, les mots apparentés sont décrits de la façon suivante : « cognate words share (parts of) their orthographic and/or phonological form with their translations, whereas non-cognate words are dissimilar in form to their translations (de Groot et de Keijzer, 2000 : 3) ». Pour la psycholinguistique, les mots apparentés sont donc des mots qui se ressemblent dans leur forme (leur orthographe et/ou leur phonologie) et signifient la même chose. Cette définition ne met pas l’accent sur l’importance de la phonologie du mot apparenté, tandis que la phonologie joue vraiment un rôle considérable sur la perception des cognats (Dijkstra, Grainger et Van Heuven, 1999). Van Hell et De Groot (1998) formulent la définition différemment : « the activation patterns of the two words in a concrete cognate noun translation pair may be nearly identical due to the high overlap in conceptual, as well as orthographic and phonological elements » (Van Hell et De Groot, 1998 : 208). Selon leur définition, un mot apparenté est donc un équivalent en traduction qui ressemble pour une grande partie à son équivalent dans l’autre langue en forme orthographique et phonologique. De ce fait, la traduction apparentée est activée dans le mental quand on lit ou entend le cognat. Même si la définition paraît assez claire, il n’existe pas de consensus sur ce qu’est exactement un cognat : certaines études considèrent des mots comme des cognats quand ils se ressemblent dans leur prononciation et leur orthographe, comme par exemple height et hoogte (traduction : hauteur) ou police et politie qui ont aussi la même origine (De Groot, Nas : 1991). De Bot, Cox, Ralston, Schaufeli et Weltens (1995) emploient le terme
9 « semi-cognat » pour décrire des mots dans les deux langues qui signifient la même chose mais qui ne partagent pas la même phonologie et qui ont aussi une orthographe différente, comme les mots height et hoogte dans l’étude de De Groot et Nas (1991) (De Bot, Cox, Ralston, Schaufeli et Weltens, 1995 dans Dijkstra, Graigner et Van Heuven, 1999 : 497). Partant de l’idée que ‘les cognats sont des équivalents dans deux langues qui ont une forme similaire’, Duyck, Van Assche, Drieghe et Hartsuiker (2007) ajoutent que les mots apparentés sont plus faciles à reconnaître que les mots non-apparentés. Cet effet s’appelle « the cognate facilitation effect », l’effet facilitant des cognats, un concept introduit en 2000 par Costa, Caramazza et Sebastian-Galles. Afin de prouver que cet effet existe, les chercheurs ont soumis leurs participants à deux tâches : ils devaient dans un premier temps nommer des images dont le nom est transparent dans leurs deux langues (le catalan et l’espagnol), c’est-à-dire nommer des images représentant des réalités ayant dans les deux langues des mots apparentés. L’image d’un chat (gat en catalan) devait être ainsi nommée par son homologue espagnol gato. Dans un second temps, ces participants bilingues devaient faire la même chose pour des images ne possédant pas de cognat dans les deux langues. La comparaison de ces résultats avec ceux d’un groupe unilingue montre une différence considérable entre les deux groupes : pour la première expérience, le temps de réaction du groupe bilingue est considérablement plus court que le temps du deuxième groupe (Costa, Caramazza et Sebatian-Galles, 2000). Il est évident que la psycholinguistique met davantage l’accent sur l’effet qu’ont les mots apparentés, donc sur le processus mental d’une personne apprenant une langue. Cette approche semble plus importante pour la présente étude que l’origine que partagent certains mots apparentés. Dans différentes études, les chercheurs utilisent différentes sortes de cognats, en fonction de ce qu’ils désirent étudier. Ainsi, Caramazza et Brones (1979) se concentrent par exemple sur les cognats qui ont une orthographe identique, mais qui sont prononcés d’une autre manière (comme general en anglais [ ˈdʒen.ər.əl ] et general en espagnol [ xe ne 'ral ]). De ce fait, ils ont voulu étudier la différence en temps de réflexion dans les langues L1 et L2 et ils ont trouvé que le cerveau arrive à traiter plus rapidement la langue dominante que la langue la plus faible. Ils ont découvert également que des bilingues réagissent plus vite aux mots apparentés dans la langue L2 grâce à l’activation du lexique dans la L1. Ils sont donc plus aptes à reconnaître les cognats que
10 les non-cognats. Cette étude de Caramazza et Brones (1979) se focalise sur la reconnaissance des mots apparentés « en isolation », sans contexte. De nombreuses études traitent le même sujet : les mots apparentés en isolation. Comment les bilingues reconnaissent-ils des mots apparentés présentés sans contexte ? Dijkstra, Graigner et Van Heuven (1999) par exemple ont trouvé que la reconnaissance des mots L2 dépend du degré de chevauchement quant à l’orthographe, la signification et la phonologie. Si les mots dans les deux langues ne se ressemblent que phonétiquement, ils sont reconnus moins rapidement. Plusieurs chercheurs ont ultérieurement reproduit cette étude et ont confirmé que le temps de réaction des bilingues est en effet plus rapide si les trois conditions de ressemblance (à savoir la signification, l’orthographe et la phonologie) sont remplies (Lemhöfer et Dijkstra, 2004 ; Schwartz, Kroll et Diaz, 2007). Une autre méthode utilisée afin de trouver comment des bilingues reconnaissent les mots apparentés est celle du « eye-tracking ». C’est une méthode par laquelle on enregistre et analyse les mouvements des yeux des participants. Marian et Spivey (1999, 2003) ont trouvé de manière expérimentale que les deux langues d’un bilingue sont toujours activées, peu importe dans quelle situation se trouve le sujet et quelle langue il entend ou parle à ce moment-là. Dans leur étude, les participants se trouvaient dans une salle avec plusieurs objets. Pour l’expérience, la phrase « pick up the… » (traduction : prenez le…) suivi du nom d’un objet dans la salle était prononcée et les bilingues devaient regarder cet objet. Les participants regardaient cependant souvent l’objet dont le nom dans leur langue L1 ressemblait au mot prononcé dans la langue L2 : le cognat. Ils regardaient par exemple le marquueur (marker en anglais) au lieu du timbre après avoir entendu le mot marka (timbre en russe). Les personnes monolingues ne souffraient pas de cette distraction. Cependant, ces monolingues étaient distraits par les objets dont le nom ressemble à un autre nom dans la même langue (candy – candle). Cette étude démontre que le cerveau d’un bilingue est influencé par les cognats et par les faux-amis. Weber et Cutler (2004) ont proposé une autre étude utilisant la méthode eye-tracking. Ils ont comparé des bilingues qui ont la combinaison des langues néerlandais et anglais à des monolingues anglais. Les participants bilingues étaient distraits par les objets dont le nom ressemblait à un mot néerlandais. Contrairement aux résultats présentés par Marian et Spivey (1999 ; 2003), Weber et Cutler (2004) n’ont pas trouvé d’interférence pour les personnes monolingues exerçant une tâche similaire à celle de Marian et Spivey (1999),
11 dans laquelle les participants devaient regarder l’objet dont le nom est prononcé. D’autres études utilisant le « eye-tracking » ont révélé qu’un lecteur ne va pas lire les mots qu’il peut prédire dans une phrase et qu’il essaiera de prédire les mots qui vont suivre dans une phrase qu’il est en train de lire. (Balota, Pollatsek et Rayner, 1985 ; Ehrlich et Rayner, 1981 ; Rayner et Well, 1996 ; Rayner, 1998). Les lecteurs bilingues se serviront donc de leur connaissance dans les deux langues quand ils sont en train d’analyser une phrase. Comme indiqué dans le paragraphe ci-dessus, à peu près dans toutes les études recherchant l’influence d’une langue sur l’autre, les auteurs se sont penchés sur les mots apparentés dans un état isolé. (Caramazza et Brones, 1979 ; Lemhöfer et Dijkstra, 2004 ; Schwartz, Kroll et Diaz, 2007 ; Marian et Spivey, 1999, 2003 ; Weber et Cutler, 2004). Des mots apparaissent par contre rarement sans contexte. Par conséquent, quelques chercheurs se sont penchés sur les mots apparentés dans un contexte de phrase. Le nombre d’études dédiées à ce sujet est très bas. Comme mentionné dans les paragraphes ci-dessus, van Hell et de Groot (1998) ont trouvé que l’effet facilitant des mots apparentés (cognate facilitation effect) se produit seulement dans des phrases « low-constraint » et non dans des phrases « high-constraint ». Les résultats de l’étude de Balling (2012) ajoutent qu’il est plus facile et naturel de lire des cognats qui se trouvent dans des paragraphes ou dans des textes entiers que dans des cas isolés ou dans des phrases indépendantes. Qui plus est, les lecteurs vont avoir moins de difficultés à lire les mots apparentés dans des phrases authentiques que dans des phrases fabriquées (Van Assche, Drieghe, Duyck, Welvaert et Hartsuiker, 2011). Le but de l‘étude de Duyck et al., mentionné plus haut (2007) est de voir comment une langue L1 peut influencer la pensée d’une personne bilingue lorsqu’elle exerce une tâche dans sa langue L2. Comme « the cognate facilitation effect » est moins important dans la langue maternelle, les chercheurs ont décidé de travailler avec la langue L2. Pour l’étude, ils ont surtout sélectionné des mots qui sont presque identiques (schip - ship) et ils ont ajouté quelques cognats, des mots identiques quant à l’orthographe et à la phonologie. Ainsi, les mots ne sont pas ambigus dans le contexte unilingue, ils sont seulement ambigus dans un contexte bilingue. Ils ont fait trois expériences, commençant avec « a lexical decision task », inspiré par Van Hell et Dijkstra (2002) avec des mots isolés et ensuite « a lexical decision task » avec des mots de contrôle et des mots apparentés. Ces deux expériences ont démontré que les participants sont plus aptes à reconnaitre des
12 cognats que d’autres mots (les mots de contrôle). Ce « cognate facilitation effect » est en effet plus grand avec des cognats identiques qu’avec des cognats non-identiques. L’étude démontre ainsi que la lecture dans un contexte L2 unilingue est influencée par la connaissance de L1. Le troisième volet de cette étude, la méthode eye-tracking est utilisée. Ils se sont concentrés sur des phrases low-constraint pour créer une atmosphère authentique pendant la lecture. Cette partie de l’étude démontre que « the cognate facilitation effect » qui a été aperçu dans le cas des mots isolés comme dans les deux premières expériences ne s’applique pas pour les mots non-identiques dans des phrases « low-constraint », ce qui est une spécification non mentionnée dans les études de Van Assche et al. (2011). Elston-Güttler, Gunter et Kotz (2005) ont inclus des cognats (en anglais comme en allemand) dans une phrase unilingue anglaise. La moitié des participants a regardé la version allemande d’un film avant de commencer l’expérience, l’autre moitié a regardé la version anglaise pour que les chercheurs puissent regarder l’effet de ce contexte global. Il en résulte que les participants ayant regardé la vidéo en allemand répondent plus vite aux cognats dans la première partie de l’expérience d’après. L’autre étude de Elston- Güttler, menée avec Paulmann et Kotz (2005), a démontré comment des bilingues avec un niveau acceptable souffrent moins d’interférence que des bilingues avec un niveau de base. Les bilingues expérimentés sont capables de s’adapter plus vite dans la langue L2 et qui plus est, ils comprennent plus efficacement le contexte dans lequel se trouve le mot apparenté. Pour conclure ce sous-chapitre, les points les plus importants sont établis ci-dessous. Comme il n’existe pas différents lexiques dans le mental d’un bilingue pour chacun des langues, il existe un lien entre elles (2.2) De ce fait, les mots qui se ressemblent dans deux langues sont perçus de manière différente que les mots qui ne se ressemblent pas. Parfois, ces mots ont une signification différente, c’est un faux-ami (2.3) et parfois, les significations chevauchent (le cognat). Il est évident que ces mots exercent une influence considérable au mental du bilingue. Il n’existe pas encore de consensus sur la véritable définition du « cognat », mais en grandes lignes, le cognat (mot apparenté) est défini comme un mot qui se ressemble dans sa forme et sa signification dans deux langues (de Groot et De Keijzer, 2000 ; Van Hell et De Groot, 1998). Ce genre de mots est reconnu plus vite que d’autres mots, grâce à son « cognate facilitation effect » (l’effet facilitant
13 des cognats) (Costa, Caramazza et Sebastian-Galles, 2000 ; Duyck, Van Assche, Drieghe et Hartsuiker, 2007). Cet effet implique que le bilingue est capable de dénommer plus vite un objet ayant un nom apparenté qu’un autre. Plus les deux mots se ressemblent, moins de temps aura besoin le bilingue pour les reconnaître (Caramazza et Brones, 1979). De nombreuses études ont été effectuées sur l’effet des cognats se trouvant en isolation (Caramazza et Brones, 197 ; Lemhöfer et Dijkstra, 2004 ; Schwartz, Kroll et Diaz, 2007 ; Marian et Spivey, 1999 ; Weber et Cutler, 2004). Tandis que des mots ne se trouvent que rarement en dehors d’un contexte, le nombre d’études dédiées à ce sujet est très bas. Celles qui ont été effectuées sur le sujet démontrent que les cognats sont plus faciles à lire et à reconnaître correctement dans des contextes authentiques (Van Hell et De Groot, 1998 ; Balling, 2012 ; Van Assche, Drieghe, Duyck, Welvaert et Hartsuiker, 2011). Qui plus est, tous les cognats sont reconnus plus vite, mais le temps de réaction est encore moins long quand il s’agit des cognats identiques (Duyck, Van Assche, Drieghe et Hartsuiker, 2007). 2.4 L’apprentissage d’une langue, facilité par des cognats ? L’effet facilitant des cognats se révèle important aussi dans l’apprentissage d’une langue étrangère parce qu’en apprenant cette nouvelle langue, l’étudiant va se baser sur le processus d’apprentissage qu’il a expérimenté au cours de l’apprentissage de sa langue maternelle. Les réseaux neuraux qui se sont développés pendant ce premier processus ainsi que « the language control network » sont donc réutilisés lorsqu’on apprend une nouvelle langue (Abutalebi et Green, 2007 : 253). Ceci ne veut pas dire que les processus d’apprentissage sont identiques l’un à l’autre. La grammaire, la syntaxe, la phonologie… tous les aspects de la langue L2 doivent être appris et ainsi, le système neural s’adapte. Les mots apparentés peuvent justement faciliter la « production » et la « traduction » du mot (Duyck et Brysbaert, 2008 : 3). Dans le processus d’apprentissage, il est également important que le professeur ne traite pas séparément la langue maternelle et la nouvelle langue (Cook 1992). Cook dit que, en effet, chaque étudiant consulte ses connaissances de sa L1 en apprenant une nouvelle langue. Cohen et al. (1995) ajoutent la réflexion suivante : les personnes multilingues changent assez souvent entre les langues de leur répertoire. Parfois elles font cela sans
14 vraiment le vouloir mais elles aperçoivent qu’il est plus facile pour elles de réfléchir dans une autre langue. D‘autres fois, elles le font par exprès, par exemple en expliquant les structures de l’autre langue. Dans une étude suivante, il est affirmé que des personnes bilingues utilisent leurs connaissances de la langue maternelle afin de comprendre des informations dans la langue étrangère. De cette manière, il dit qu’il y en a beaucoup qui « perform the metalinguistic tasks exclusively in the L1 » (Cohen 2014 : 248). De nombreux participants effectuent donc leur tache en réfléchissant seulement en leur langue dominante. Quand une personne apprend une nouvelle langue, elle va donc souvent se baser sur ses connaissances linguistiques du répertoire qu’elle possède déjà. Upton et al. (2001) ont trouvé que la langue maternelle est toujours active quand des étudiants lisent un texte dans leur deuxième langue et surtout quand ils sont encore dans un stade d’apprentissage précaire. Comme l’étudiant ne peut pas négliger sa langue maternelle pendant le processus d’apprentissage, ce sera beaucoup plus facile pour lui de mémoriser un mot dans la langue étrangère qui ressemble phonétiquement et sémantiquement à un mot qu’il connaît déjà. Ceci mène à un « transfer positif » (Ringbom, 2007 : 31), c’est-à-dire au moment où un apprenant d’une nouvelle langue assume correctement que les deux langues sont similaires dans un certain aspect. La signification du « transfer négatif » (Ringbom, 2007 : 30) est alors facilement déductible : l’apprenant assume incorrectement que les langues sont similaires dans un certain aspect, mais comme cette similitude n’existe pas, il commet une erreur. Les deux transfers peuvent s’effectuer sur trois niveaux, à savoir le mot de vocabulaire, le système linguistique et troisièmement l’image totale (Ringbom, 2007 : 54). La présente étude se focalise surtout sur le premier niveau de similarité en vocabulaire. De Groot, Delmaar et Lupker (2000) ont constaté que les deux langues ne sont pas seulement activées pendant la traduction d’une langue vers une autre, mais aussi quand le bilingue cherche dans son mental un mot qu’il veut employer dans une des deux langues qu’il parle. Cette idée a déjà été évoquée dans le sous-chapitre précédent (2.3). Un individu est cependant plus capable de nommer rapidement des objets et de reproduire des mots dans la langue maternelle, et non dans sa deuxième langue. Pour nommer ces mêmes objets dans leur autre langue, les bilingues ont besoin d’un peu plus de temps. Si le bilingue est donc plus doué dans sa langue L1, cette langue L1 va être plus activée pendant sa réflexion en L2 qu’inversement. Dans ce cas, la langue L2 est moins activée quand le bilingue réfléchit ou parle dans sa langue L1 (De Groot, Delmaar et Lupker,
15 2000). Hermans, Bongaerts, de Bot et Schreuder (1998) se sont posé la question pourquoi ceci est le cas. Leur expérience a révélé qu’une langue ne peut pas être désactivée entièrement quand elle est utilisée fréquemment et que la plupart des bilingues réfléchissent dans leur langue maternelle dans un premier stade d’apprentissage. De ce fait, il est presque impossible de désactiver la langue dominante. Comme élaboré plus en détail dans le sous-chapitre précédent (2.3), Van Heuven et al. (1998) ont découvert que les deux lexiques (néerlandais – anglais) sont activés quand les bilingues devaient faire un choix lexical dans leur L2 (anglais). Ce choix a largement été influencé par « the orthographic neighborhood » (Van Heuven et al., 1998 : 466), c’est- à-dire combien de lettres partagent le mot anglais et son équivalent néerlandais. Qui plus est, les deux phonologies des langues que parle le bilingue sont activées en même temps, même si la personne bilingue ne parle ou ne réfléchit dans une seule langue à ce moment- là (Jared et Kroll, 2001). Le fait qu’un bilingue a toujours ses deux langues en tête a inspiré Lemhöfer, Dijkstra et Michel (2004) à chercher si un multilingue aperçoit ces mêmes effets pour toutes les langues de son répertoire. Eux aussi, ils ont travaillé avec des cognats. Comme Dijkstra a découvert dans une autre étude avec van Hell (2002) que des personnes trilingues sont plus aptes à reconnaître un mot qui est en relation avec leur deuxième ou leur troisième langue par un cognat, ils savaient déjà que toutes les langues que connaissent une personne, jouent un rôle dans le processus de compréhension d’une langue. Mais comme cette étude a été effectuée avec des cognats qui correspondent à la langue maternelle et une des deux autres langues, Lemhöfer, Dijkstra et Michel (2004) voulaient regarder de près aussi les mots qui sont des cognats dans les trois langues différentes et non seulement dans deux des trois langues. Il ressort de cette étude que des trilingues réagissent plus vite à des cognats dans toutes les trois langues qu’à des mots qui n’existent que dans une ou deux des langues étrangères. Qui plus est pour les trilingues, lorsqu’un mot a la même signification dans les trois langues, le temps de réaction est encore plus court. La notion la plus importante est la suivante : les deux langues étrangères ont aussi une influence l’une sur l’autre quand il s’agit de la compréhension des mots.
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