L' INFLUENCE DE LA MUSIQUE AU CINEMA - Romain Coudert 3IS Section Son 2006/2007

 
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L' INFLUENCE DE LA MUSIQUE AU CINEMA - Romain Coudert 3IS Section Son 2006/2007
L' INFLUENCE DE LA MUSIQUE AU CINEMA

Romain Coudert                       Directrice de mémoire
3IS Section Son                             Béatrice Thiriet
2006/2007

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L' INFLUENCE DE LA MUSIQUE AU CINEMA - Romain Coudert 3IS Section Son 2006/2007
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Je tiens à remercier Phillippe d'Aram pour tout le soutien qu'il m'a apporté ainsi que la
documentation; Séverine Abhervé, coordinatrice de l'UCMF*; pour avoir répondu avec
courtoisie à mes questions et m'avoir invité à la conférence d'Antoine Duhamel; Antoine
Duhamel pour son accueil et son envie de partager son expérience ; et Béatrice Thiriet qui m'a
écouté et beaucoup éclairé. Merci beaucoup. Je souhaitais faire ce mémoire pour comprendre
la façon dont le compositeur apporte du sens au film, mettre en lumière le fait que c'est un
travail de l'esprit et du coeur qui est essentiel au plaisir du spectateur.

*Union des Compositeurs de Musique de Film

1 Utilisation de la musique au cinéma p7

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A Qu'est-ce que la musique de film? p 7

Définition p 7
La musique de film est un procédé subliminal p 9

B Au début du cinéma p 10

le temps du muet p 10
l'arrivée du son p 12
Max Steiner et King Kong p 13

C Comment intégrer la musique au film p16

Le leitmotive p 17
Exemples d'intégration de la musique dans le cinéma de Stanley Kubrick p 18
L'utilisation du Leitmotiv dans "Dr Follamour " de Stanley Kubrick, 1963 p 19
Analyse détaillée de la place de la musique dans Eyes wide Shut ( 1999) p 22

2 Le processus de création p 27
avec l'aimable participation d'Antoine Duhamel

A Le dialogue avec le réalisateur p 27

"Pierrot le fou"1965. p 29
S'adapter aux situations et résoudre les problèmes p 31

B La thématique et le timbre p 32

"L'écriture dérivative" p 32
Que faire avec cela? p 34

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3 «Lady Chatterley » p 36
avec l'aimable participation de Béatrice Thiriet

A Une éclatante réussite p 38

B Comment avoir de la créativité sur tous les plan p 40

C Comment la musique trouve t elle sa place dans le récit ? p 41

D Quelle est l'évolution de la musique dans le récit? p 42

4 Les nouvelles possibilités techniques p 43

A MIDI et home studio p 44

B En quoi ce matériel est-il utile au compositeur de cinéma ? p 45

C Ordinateur et synthèse du son p 46

D Reason p 47

5 Travaux personnels

A "L'homme d'en face" p 50
B "Jeanne" p 53

Conclusion : p 55

"Le manuscrit trouvé à Saragosse » De Wojciech J. Has p 55

"Dead Man" Jim Jarmusch p 57

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L' INFLUENCE DE LA MUSIQUE AU CINEMA - Romain Coudert 3IS Section Son 2006/2007
1 Utilisation de la musique au cinéma

A Qu'est-ce que la musique de film?

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Définition

Cinéma:      1 procédé d'enregistrement et de projection de vues photographiques
             animées.
             2 Art de réaliser des films: spectacle que constitue la projection d'un
             film.

Film         1 Pellicule, couche très mince d'une substance
             2 Bande mince d'une matière souple (acétate de cellulose ou
             polyester), recouverte d'une couche sensible, émulsion servant à fixer
             des vues photographiques ou cinématographiques.
             3 Par extension l'oeuvre cinématographique que l'on enregistre sur le
             film.

Oeuvre:       1 Ce qui est fait, produit par quelque agent et qui subsiste après l'action
[...]         Ouvrage littéraire, production artistique.

Art :               1 Activité humaine qui tend à la création d'oeuvre exprimant un
             idéal de beauté, d'harmonie. Les chef-d'oeuvre de l ' art. Spécial.
             (excluant la production littéraire [...] Cinéma d'art et d'essai
             2 Chacun des domaines dans lesquelles les facultés créatrices de
             l'homme peuvent exprimer un idéal esthétique

Musique:     1 Art de combiner les sons selon certaines règles. [...]
             5 Suite de sons qui produisent une impression agréable.

Récit :       1 Narration orale ou écrite de faits réels ou imaginaires

Action: I     1 Ce que fait une personne qui réalise une volonté, une pulsion. La
              moindre de ses actions est guidé par le but qu'il s'est fixé.
              2 Le fait d'agir ( par opposition à la parole, la pensée)
              3 Affrontement, lutte. L'action s'engage.
II            1 Ce qui occasionne une transformation détermine un effet
              quelconque. [...]
III           2 Déroulement des événements qui forment la trame d'une fiction.

Influence:    1 Action supposée des astres sur la destinée humaine.
              2 Action exercée sur quelque chose ou quelqu'un.

 (définitions extraites du dictionnaire Hachette ed.1989)

"La musique [...] n'est pas à proprement parler un art représentatif, ou une technique
de représentation ; sa valeur "représentative", et même sa valeur "expressive", sont
hautement conventionnelles, et dépendent strictement de considérations historiques
et culturelles incessamment variables."

Jacques Aumont / Michel Marie "L'Analyse des films" p.150

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B La musique de film est un procédé subliminal

Pierre Berthomieu commence son ouvrage « La musique de film » en évoquant les
correspondances entre l’océan et la musique, apparemment marqué par l’ouverture
des "Contrebandiers de Monfleet" de Fritz Lang, où les vagues viennent se briser
contre les rochers, alors qu’une ballade de Mikloz Rozsa illustre parfaitement ces
formes et ouvre la perception du spectateur à la dimension poétique de l’océan.
C’est une comparaison judicieuse car en approchant la musique de film de cette
manière on peut toucher au plus vrai de la cohésion entre la musique et le cinéma à
savoir le mariage de formes et de symboliques :

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« Musique et cinéma se retrouvent dans leur embrassement du temps, de la
mémoire et de l’éternité en un mariage du sensible et de l’impalpable. »

Pierre Berthomieu "La musique de film"p 16

D’une part il y a le mouvement des flots, calme et chaotique ; et la forme musicale,
en tant que cycle établi dans le temps s’y greffe et trouve par hasard des points de
synchronisme avec l’image cinématographique.
D’autre part il y a la signification plus profonde de ce que l’océan évoque chez nous,
le langage des peintres ou poètes est guidé par ces sensations, ainsi la musique en
tant que discours poétique peut être le moyen de transcender l’océan, de l’inclure au
récit et à la part d’imaginaire proposé au spectateur.

"La musique de film installe chez le spectateur un procédé plus subliminal que
conscient"

Pierre Berthomieu "La musique de film"p 39

La musique apparaît alors simplement comme un moyen de plus d’évoquer un
ressenti chez le spectateur de façon non consciente, au même titre que le jeu
d’acteur, l’éclairage, la composition. Le réalisateur peut s’en servir pour développer
une idée qui n’apparaît pas à l’écran, d’autant plus que la musique peut comme le
cinéma évoquer des sensations, jouer avec les symboles de l'image et créer une
intensité dramatique.

                                                               " Le mépris" Jean-Luc
                                                                       Godard 1963

B au début du cinéma
Le temps du muet

Les premières projections des films des frères Lumières n'intègrent pas de musique.
Ce ne sont pas des séances commerciales, le spectateur sont admiratifs devant
"l'arrivée d'un train en gare de la Ciotat", "les baigneurs", "le déjeuner de bébé".
Attraction de foire, le cinématographe commence à captiver de ville en ville à son
apparition. La photographie animée suscite l’admiration, les scènes du quotidien
sorties de leur contexte et vues à travers l’objectif photographique prennent une
nouvelle dimension. On peut imaginer les réactions du public, interpellant l'image,

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marquant l'étonnement où la satisfaction, riant, un guide sonore amenait donc les
spectateurs à partager un moment de plaisir, de distraction.

  Un pianiste apparaît vite pour peut-être masquer le bruit de l'appareil
cinématographique et canaliser l'attention du public, mais surtout car le cheminement
du procédé vers le spectacle est une évidence. Le cinéma prend place dans les
music-halls, café- concerts. Les artistes parfois même chantent, dansent devant les
images. Les productions sont nombreuses et créées pour coller aux désirs du
spectateur. La réalité saisie et retranscrite dans son immédiateté laisse place à la
réalité transformée pour devenir un récit fictionnel.

Le pianiste doit improviser, exposer des motifs appris au fil des projections en
glissant des clins d'oeil qui soulignent l'image (air populaire, par exemple marche
nuptiale).Le musicien est sans doute peu conscient du changement qu'il apporte à la
perception du film.

C'est ainsi qu'en 1909, les films Edison éditent "Suggestion for Music", un catalogue
dans lequel chaque action ou émotion est associée à une ou plusieurs mélodies
extraites du répertoire classique. De même, "Playing to Picture" ( W.T. George, 1912),
"Sam Fox Moving Picture Music Volumes" (J.S. Zamacki, 1913), "Motion Pictures
Moods for Pianists and Organists : A Rapid-Reference Collection of Selected Pieces"
(Ernö Rapee, 1924) sont des ouvrages musicaux qui classent minutieusement les
pièces classiques et les compositions originales.

Le pianiste de salle dispose donc d'un catalogue d' "incidentaux" qui lui permet
d'adapter l'accompagnement au registre du film. Etape décisive car c'est le début de
l'interactivité récit filmique / musique, de l'utilisation de la musique comme un langage
du film.

Exemple d'un sommaire de catalogue (dans "histoires des musiques du
cinéma français"Dans "les musiques du cinéma français" de Alain Lacombe et
François Porcile

1 – Ambiance
    a - Catastrophe (Variétés diverses) ;
    b- Très dramatique (agitato)
    c- Atmosphère solennelle, mystère de la nature
2 – Action (misterioso)
   a- Nuit, atmosphère sinistre
   b- Nuit atmosphère menaçante
   c- Folie (agitato)
   d- Magie, apparition

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e- péripéties, "quelque chose va arriver"
3 – Action(agitato)
   a- Poursuite, fuite, hâte
   b- Lutte
   c- Combat héroïque
   d- Bataille
   e- Trouble, inquiétude, terreur
   f- Foule agitée, tumulte
   g- Trouble de la nature : orage, tempête, feu
4 – Ambiance (appassionato)
   a- Désespoir
   b- Lamentation passionnée
   c- Paroxysme de la passion
   d- Euphorie
   e- Triomphe
   f- Bacchanale

C'est l'époque où la gestuelle doit être apparente en musique. L'interprète fait alors
des bruitages en rapport avec l'action, mime la musique du bal à l'écran, il peut
mélanger les sources d'inspirations du catalogue.

Les musiciens jouant pendant la projection d'un film sont exposés à de nombreux
problèmes : fluctuations dans la vitesse de déroulement des films, état des copies
qui se détériorent très vite, etc. Ceci oblige les musiciens à achever ou sauter
précipitamment un morceau. La synchronisation entre le son et les images est un
vrai problème au début du siècle.

L'arrivé du parlant

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En 1927 est arrivé le cinéma parlant avec le film "The Jazz Singer" de Alan
Crossland. Le son peut alors être enregistré en direct sur le plateau auquel cas il fait
bien partie de l'action. L a musique peut alors être enregistré sur une bande optique
collée à la pellicule. C'est la fin des problèmes de synchronisme du film avec
l'orchestre de salle, car c'est malheureusement la fin des orchestres de salles.

Le son est craint au début:

"L'apparition du son est pour le cinéma une véritable déchirure. Aucun art n'a jamais
subi une transformation aussi radicale à la suite d'une simple découverte technique.
C'est au moment où le muet culmine dans ses œuvres les plus abouties, où l'art neuf
du cinéma atteint un sommet, que le parlant s'impose comme une mauvaise
surprise. Le son paraît à beaucoup indésirable et incongru parce qu'il vient
désorganiser l'échange filmique, anéantir le travail du cinéaste ainsi que la lente
éducation du public."

Cinématographe 1979

Pourtant le cinéma s'accapare vite ce deuxième flux d'informations qui fait parler
l'image. Une forme de rapport de musique au film, qui sera à la base de toute la
musique de cinéma américain approche à pas de géant.

Max Steiner et King Kong

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Maximilian Raoul Walter Steiner plus connu sous le nom de Max Steiner (né le 10
mai et décédé le 28 décembre 1971) est un compositeur de musique de film austro
états-unien. Il naît à Vienne en Autriche dans une famille baignant dans le milieu
artistique, son père était ainsi directeur d'un théâtre et son parrain était Richard
Strauss. Très jeune il montre des talents de compositeur prodige. Il étudie la musique
et reçoit l'enseignement de Gustav Mahler et Johannes Brahms. A 16 ans il écrit une
opérette. Travaillant au Royaume Uni en 1914, il obtient malgré sa nationalité des
papiers pour partir aux Etats-Unis grâce au parrainage du duc de Westminster.
Pendant 15 ans il travaille à New York comme chef d'orchestre ou arrangeur à
Broadway.

En 1929 il rejoint Hollywood, initialement pour l'orchestration du film "Rio Rita" pour
la RKO Radio Pictures. Sa carrière est lancée par la bande originale de "King Kong"
en 1933. Il a composé pour des dizaines de films parmi lesquels "Casablanca",
"Arsenic et vieilles dentelles", "Le rebelle" ou "Autant en emporte le vent". Max
Steiner a été nominé 26 fois aux oscars, les recevant à trois reprises. Il a eu à titre
posthume son étoile sur le Walk of Fame (1551 Vine Street).

Hollywood est à l’origine d’une forme symphonique de la musique au cinéma qui
devient très répandue grâce à son efficacité alliée à l’ « entertainment »,
divertissement en anglais, principe sacré sur lequel est basée l’industrie
cinématographique outre-atlantique .

En effet, c’est une écriture nourrie par les post-romantiques européens, Richard
Strauss et Piotr Tchaïkovsky notamment. Un genre narratif et rhétorique avec un
goût prononcé pour la mélodie, élaboré par Max Steiner et les compositeurs qui lui
sont contemporains : Alfred Newman, Erich Wolfgang Korngold , Victor Young, Franz
Waxman, Mikloz Rosza, Dimitrei Tiomkin, Hugo Friedhofer. Bien que cette forme se
détache de l’évolution de la musique, c’est à dire le virage pris par la musique
contemporaine, l’impressionnisme, l’atonalité, le cinéma use largement de cette
forme au langage rassembleur, qui peut se mélanger aisément avec des styles
populaires ou folkloriques. On trouve des traces de l’impressionnisme à travers
Bernard Hermann, Roy Webb en 1930- 40 ; plus tard, de l ‘atonalité avec Jerry
Goldsmith par exemple.

La musique romantique hollywoodienne donne une marque de fabrique aux films de
l’époque dite classique du cinéma américain. La reprise du thème principal avec une
ouverture positive sur le « happy end » au moment du générique est par exemple
pour nous un moyen de reconnaissance de la catégorie et de l’époque du film, mais
surtout de l’esprit bon enfant des films grands publics de l’époque.

1933 est une date repère pour cette forme canonique de la musique de film, avec
« King Kong “ ( Merian Cooper ), un parfait exemple de ce que la musique apporte
au cinéma Hollywoodien de l'époque.

Alors que le film était déjà près des étapes de postproduction le président de la RKO
de l’époque B.B Kahane doutait de la réception du film par le public et ne souhaitait
pas investir beaucoup dans la musique. Il demanda alors à Max Steiner d’utiliser
d’anciennes productions. Le réalisateur était d’un autre avis, désirant au contraire

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s’appuyer fortement de ce renfort, le musicien eût son financement et ils travaillèrent
en étroite collaboration.

Cette musique est pleine de qualités. En effet elle tient solidement accrochée
l’attention du spectateur, humanise les personnages, dramatise et renforce l’action.
Elle s’illustre à travers des choix précis, comme celui de ne pas souligner le début du
film, c’est à dire la description du contexte de la dépression. Ni la séquence du long
voyage en bateau. Elle se présente lorsque la réalité bascule vers le fantastique. Au
moment où l’embarcation approche de l’île du crâne par exemple. L’équipage tente
d’apercevoir la côte à travers le brouillard, la musique apparaît naturellement
reflétant le mystère du récit et de l’image. Elle ajoute une atmosphère appropriée
grâce à une thématique légère et une cellule de développement courte.

 Profitant de la présence d’une tribu sur l’île, les tam-tams apparaissent à l’intérieur
et autour de la musique. La couleur illustre le fantastique et la découverte d’une terre
vierge, les rythmes tribaux scandent la présence du danger sur l’île du crâne. Basé
sur des thématiques liés aux personnages et aux lieues comme dans l’opéra
Wagnérien, ici un thème pour Kong, un pour Ann Darow, un pour le capitaine et son
équipe. Ceux-ci sont invoqués de façon récurrente dans le film, plus ou moins
développés. Parfois même rapidement cités, les crescendo et decrescendo rapides
s’adaptent au montage et les séquences thématiques s’enchaînent, se déclinent
habilement suivant des variations de hauteurs et d’orchestration. Nous entraînant
dans une poursuite au rythme haletant, ponctuée de rugissement des cuivres, de
combat de géants illustrés à grands renforts de pics d’intensité dramatique ; soudain
la musique s’efface dans un lyrisme contenu pour regretter un personnage chutant
dans le vide, révélant alors le poids du silence, du déroulement du temps du récit.

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A d’autres instants du film, les chutes ( car on tombe beaucoup dans ce film) sont
soulignées par la musique, la technique dite du « mickey-mousing » consiste à
représenter par la musique les sonorités du monde. Son nom lui vient du dessin
animé et de la célèbre petite souris. Ainsi, les descentes d’escaliers se transforment
en descentes harmoniques et d’intensité ; l’arrivée de Kong devient une montée
inquiétante. L’utilisation de cette technique alliée à l'élégance des virages dans la
narration, l’imbrication d’éléments évocateurs dans la musique de Steiner permet de
coller avec virtuosité aux films. Exemple d’éléments évocateur, Kong est vaincu, on
passe de l’île du crâne à Broadway pour être témoins du triomphe de l’équipage sur
scène accompagné de la bête captive. La musique se teinte de sonorités
américaines de l’époque, rappelant les comédies musicales ce qui évoque le lieu
avant qu’on ait pu constater cette ellipse. Comme le thème et l’entrain de cette
séquence à la musique évoquent la gloire, nous sommes conscients immédiatement
de l’enjeu de la scène. D’autre part, le caractère paisible de ce moment ne trompe
personne, nous attendons dès lors le thème de Kong qui reviendra pour illustrer la
panique mais cette fois en plein théâtre, lieu de prestance et de tenue sociale, ce
que nous évoque également la musique à ce moment là.

 Cette oeuvre est aujourd’hui l’une des préférés de Max Steiner qui l’apprécie pour
sa modernité.

 Ce travail doit son efficacité à l’habileté du choix des points d’entrées et de sortie, au
synchronisme et à la richesse d’évocation des thèmes et couleurs.

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Comment intégrer la musique au film ?
Son diégétique et extra diégétique: le hors champs

on distingue :

   Le son diégétique : son faisant partie de l'action, pouvant être entendu par les
    personnages du film ;
   le son extra diégétique : son ne faisant pas partie de l'action, comme la musique
    "d'ambiance".

La mise en scène peut déterminer un point de vue sur le son. A travers la prise de
son et le mixage, les choix sont faits en accord avec la réalisation afin de lui attribuer
un intérêt narratif ou poétique.

Le son hors champs est un outil plus libre et flexible pour le réalisateur car il peut
être enregistré en différé, donc en dehors des contraintes de l'image. Puis monté
sans risque de perdre la synchronisation, contrairement aux sons directs,"in", surtout
s'ils contiennent des dialogues.

Le hors champs c'est surtout la possibilité pour le son de se décoller de l'image pour
avancer un autre discours. Par-là, le cinéma peut sortir de son modèle de
représentation immédiate de la réalité, pour affirmer la liberté de disposition du temps
et d'agencement des éléments qui dispose le récit. Par exemple, "Mystic River" de
Clint Eastwood commence avec un point de vue aérien sur un quartier résidentiel. Au
son, l'appel anonyme qui prévînt la police d'un meurtre, passé par des adolescents
sous le choc. Le son est ici utilisé comme élément narratif, code du récit policier en
nous faisant connaître les éléments de l'enquête, il accroche également le spectateur
en introduisant un élément qui semble authentique et provoque l'inquiétude.

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La voix-off est un élément extra diégétique, représente les pensées d'un personnage
au moment de l'action ou non. La forme narrative du flash-back utilise souvent ce
procédé, le personnage évoque un moment de sa vie et on le retrouve en situation.
La voice-over, c'est uniquement lorsqu'un personnage à l'image partage ses
pensées, formulées hors champs, avec le spectateur.

Passage diégétique -extra diégétique : on peut avoir une musique extra diégétique,
disons d'ambiance, qui devient diégétique lorsqu'on aperçoit l'appareil de
reproduction sonore (dont les propriétés viennent souvent s'ajouter à la musique,
grésillements ou défauts). Dans certains lieux de rencontre ou de divertissements :
Dancing, auto- radio , bar ; la musique est souvent présente et véhicule un contexte
socioculturel. Ce qui peut ajouter à l'authenticité d'un lieu.

La musique joue de cette idée de champs et hors champs, assume une multitude de
rôle dans le récit. Elle est présente dans le quotidien est à ce titre peut être un
élément de la réalité des personnages mis en scène par le cinéma. Elle peut être au
même instant un élément de décor réaliste, un indice sur un personnage, le principal
outil du suspens. Elle travaille à figurer dans le film et en dehors.

Le Leitmotiv

Un leitmotiv est une phrase, une formule qui revient à plusieurs reprises dans une
œuvre littéraire. Le mot vient de l'allemand, il est apparu au XIXe , d'abord appliqué
en musique pour désigner un motif musical conducteur dans une œuvre. Richard
Wagner en a beaucoup fait usage dans ses opéras, ainsi que Weber, Berlioz et Liszt.
L'inventeur du leitmotiv n'est pas Wagner contrairement à une idée répandue, ni
Giacomo Meyerbeer, compositeur allemand du XIXe qui participa considérablement
à l'enrichissement de la construction de l'opéra mais un critique nommé
VonWolzogen qui mis le doigt sur sa fonction structurelle. Passant outre cette mise
au point, le terme " Leitmotiv " figure dans le vocabulaire de la littérature, du cinéma
et en musique, reste profondément rattaché à l’opéra wagnérien. Pour la musique du
7ème art, l’expression désigne donc depuis longtemps un thème mélodique qui fait son
apparition avec tel personnage, objet, situation et l’accompagne fidèlement à
chacune de ces récurrences. Si Claude Debussy trouvait les leitmotivs Wagnériens
trop indicateur, ceux du cinéma le sont plus encore. S'il n'y a pas toujours beaucoup
d’invention musicale dans le traitement des leitmotivs cinématographiques, cela
n’empêche pas le procédé de fonctionner très bien pour un public qui n’a pas une
grande exigence d’autant que le cinéma n’a pas vocation de faire écouter de la
musique savamment construite.

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" Le système répétitif des Leitmotive construit une cohérence et une familiarité
auditive."

"Le retour des thèmes en correspondances avec les résolutions dramatiques et les
effets de conclusion, produit une sensation de clôture, une satisfaction de
cohérence"

Pierre Berthomieu p 41

Exemples d'intégration de la musique dans le cinéma de Stanley Kubrick

                            « Un film est – ou devrait être – beaucoup plus proche de
                            la musique que du roman. Il doit être une suite de
                            sentiments et d’atmosphères. Le thème et tout ce qui est à
                            l’arrière-plan des émotions qu’il charrie, la signification de
                            l’œuvre, tout cela doit venir plus tard. Vous quittez la salle
                            et, peut-être le lendemain, peut-être une semaine plus
                            tard, peut-être sans que vous vous en rendiez compte,
                            vous acquérez quelque chose qui est ce que le cinéaste
                            s’est efforcé de vous dire. »

                     Stanley Kubrick, Holiday, 1964

 Stanley Kubrick se distingue par son utilisation des musiques préexistantes.
Il utilise également des bandes originales, par exemple celle de Jocelyn Pook
dans "Eyes Wide Shut", (1999).

Kubrick n'était pas très enclin à révéler la signification profonde de ses films. Il
ne supportait pas l'exercice de l'interview. Préférant laisser le spectateur
continuer d'explorer le film après visionnage, car il reste des questions sans
réponses, une part de mystère non éclaircie, d'importance négligeable qui
pourtant semble contenir une clé d'interprétation du récit. Par exemple la
présence inexplicable, surnaturel du personnage de Jack Nicholson dans "The
Shining" (1979 ) à un bal dans l'hôtel bien longtemps avant l'action.

Le cinéma de Stanley Kubrick revêt beaucoup de formes, il n'est pas
immédiatement identifiable à travers une signature bien définie. Ce n'est pas
un manque de personnalité de l'ensemble de ses films, peut-être que ce sont
les défis formels et les connexions entre les éléments qui figurent son monde
qui sont une marque de fabrique. De même qu'une grande inventivité de mise
en scène. Il y a chez Kubrick un goût de l'originalité, de la surprise, du
changement.

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Par-là il a une conscience du rôle de la musique pour le spectateur (exemple
diégétique ou non, populaire, grandiose) et le sens de tirer profit de l'impact
de la modernité. avec l'utilisation de la musique de Ligeti dans trois oeuvres
majeures ( "The Shining", "2001, L'odyssée de l'espace", "Eyes wide shut"
1999 ), de Krystof Pendercki dans "The Shining" également.

L'utilisation du Leitmotiv dans "Dr Follamour " de Stanley Kubrick, 1963

La seule comédie de Stanley Kubrick apparaît juste après la guerre froide.
L'humour est cinglant, le général semble complètement fou et donne l'ordre de
larguer une bombe nucléaire sur le territoire russe. Les pouvoirs publics sont
dans une position embarrassante.

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L’action se situe pendant la guerre froide. Paranoïaque et dépressif, le général
américain, Jack D. Ripper envoie ses B 52 atomiques bombarder l’URSS. Il
ne sait pas que les Russes ont mis au point un système automatique de
riposte, le " Jugement Dernier " et que si ce système entre en action, les
conséquences seront désastreuses. Le Pentagone et le Kremlin vont tout
mettre en œuvre pour stopper les bombardiers. Pourtant, l’un d’eux ne
recevra pas l’ordre de retour, échappera à toutes les poursuites, lâchera sa
bombe atomique et déclenchera ainsi la tragédie finale. Tout au long du film, le
spectateur va donc suivre les péripéties de ce bombardier.

Un Leitmotiv poursuit cet avion et son équipage. Il s'agit d'une mélodie
clairement mémorisable qui porte des caractères musicaux transférables à
l’objet narratif auquel elle se rapporte, qui peut se prêter à des variations. Son
utilisation en fait un élément narratif à part entière.

L’équipage du B 52 vient de recevoir l’ordre tant redouté de la guerre
atomique, quand apparaît pour la première fois ce motif qui s'apparente à une
musique militaire type western « When Johnny Comes Marching Home ».
Après confirmation de l’ordre, le commandant met en œuvre la procédure.
Roulements de tambours. Nous reconnaissons la mélodie arrangée de
différentes manières. Le point d'entrée du Leitmotiv est bien choisi, c'est le
moment où le Commandant tire d'un coffre-fort estampillé " top secret " un
chapeau sudiste. Vient ensuite rapidement, un thème mélodique, exposé à la
trompette, rappelant par-là le clairon associé à la guerre comme le tambour.

Ce Leitmotive semble être attaché à la fois aux personnages, à l'avion et à la
situation. Voyons comme les formes qu'il prend au fil du récit:

Lors de la lecture des consignes d’attaque le thème est chanté par un chœur
d’hommes, unité, esprit de corps anime cet équipage.

Le Commandant fait l’inventaire d'une trousse de secours. L'harmonica qui
expose ce thème semble jouer de l'archétype de l'américain, vue à travers les
objets qu'il énumère. Effet renforcé par son fort accent texan

Lorsque le carburant vient à manquer, le sol apparaît à l'image le thème est
repris au trombone, marquant la gravité de la situation.

Tout à coup, une attaque par un missile est annoncée. Aussitôt le Leitmotiv au
trombone disparaît. Il apparaît à ce moment que les chances d'honorer la
mission soit en péril. La reprise du Leitmotiv viendra confirmer le retour du B
52 dans sa marche vers sa cible.

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La musique semble donc simplement marquer un esprit cocasse dans le vol
de l'avion, elle apparaît lors de moment d'humour et à un rôle dans ses
mécanismes.

Lorsque le commandant décide de changer de cible, marquant la perte de
communication avec les ordres, donc l'errance, la possibilité d'être descendu
en vol par l'ennemi ou pour trahison: la musique est coupée "cut".

Cette rupture de contact trouve donc un écho dans la musique au travers de ce
procédé. Le contexte est différent dès lors et nécessite le passage au silence.

Les variations de ce motif s'accordent donc naturellement aux péripéties que
traversent l’avion et son équipage et à l'esprit ironique de l'oeuvre.

Analyse détaillée de la place de la musique dans Eyes wide Shut

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Jocelyn Pook, Gyorgy Ligeti, Chris Isaak, Dmitri Chostakovitch…

En 1994, Stanley Kubrick fait appel au romancier Frederic Raphael afin qu’il adapte
un roman psychanalytique de Schnitzler, « Traumnovelle ». Ce récit des fantasmes
d’un couple de la haute société autrichienne est transposé de nos jours, à New York,
pendant les fêtes de Noël.

Après une soirée mondaine un peu mouvementée, Alice avoue à son mari le Dr Bill
Bradford qu’elle a eu du désir pour un jeune officier de la marine alors qu’ils étaient
déjà mariés . Ce qui le perturbe beaucoup, il se sent trahi et va chercher à la tromper
mais quelque chose le retient toujours. Un ami pianiste lui indique le mot de passe
pour une soirée luxueuse qui s'avère être décadente et ritualisée : Fidelio.

 EYES WIDE SHUT est souvent vu comme un testament filmique involontaire pour
Kubrick Son treizième film semble faire le point sur la façon dont il utilisa la musique
dans ses oeuvres.

Tous les genres présents dans ses films sont représentés :

 Le jazz (« Strangers In The Night »), musique originale (Jocelyn Pook), le rock
(« Baby Did A Bad Thing » Chris Isaak ), musique contemporaine (« Musica
Ricercata » de Ligeti), la Valse (« Waltz II » de Chostakovitch), et indirectement la

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musique classique (le mot de passe est « Fidelio », unique opéra du compositeur, et
la fille des Harford veut regarder « Casse Noisette »).

Diane Morel écrit que « Kubrick réduit les bruits de son univers filmique au strict
minimum » (3) et que la musique est du coup privilégiée par rapport aux bruitages.
"EYES WIDE SHUT", comme "2001, A SPACE ODYSSEY" illustre cette tendance.
Mais elle ajoute que « la musique ne fonctionne pas en relation avec un code narratif
établi à l’intérieur du film ou même selon un code préétabli, admis d’avance par le
spectateur. Elle est un élément sensoriel, et non rationnel » (4). Elle montre ainsi que
comme dans 2001 les moments calmes sont caractérisés par une valse viennoise et
les moments d’angoisse par une musique de Ligeti.

"Eyes wide shut ou l'étrange labyrinthe", Diane Morel, Etudes littéraires recto verso,
PUF,

Musique préexistante

La « Waltz II » de Chostakovitch introduit le film avec légèreté, semble nous
annoncer le bonheur du couple au quotidien mais le personnage de Bill éteint la
chaîne brusquement.

Le film se termine sur cette valse, le couple a alors surmonté leur problème,
bénéficie d'une nouvelle dynamique.

La musique jazz est synonyme de fête dans les films de Kubrick. Il évoque
également la dangereuse tentation. C’est un pianiste de jazz qui introduit Bill à la
soirée qui peut le perdre. En fond, on entend le morceau diégétique « Strangers In
The Night », chanté par Frank Sinatra. Une chanson jazzy qui, par ailleurs, appuie
sur le déguisement des convives nus et masqués (étrangers dans la nuit)

Une chanson pop-rock de Chris Isaak, « Baby Did a Bad Thing » intervient après la
réception lorsque le couple fait l'amour. Ici les paroles insistent sur la culpabilité
d'Alice qui s'est laissée aller au jeu de la séduction avec le Hongrois, le désir paraît
donc se traduire sur son mari, la scène devient un jeu dangereux. Bill peut
également se sentir coupable heureux d'être au bras de deux jolies femmes.
Evidemment, la musique à ce moment là participe très clairement à la dynamique
érotique de la scène.

Musique originale

La scène de jalousie qui suit à une importance fondamentale dans la suite de leur vie
de couple. Alice fait l'aveu de son fantasme.

La musique de Jocelyn Pook (« The Dream ») monte progressivement : une pédale
aux cordes dans l’aigu, participe à la dramatisation de. Cette texture tonale quasi-
statique introduit au drame qui doit se jouer. Il semble que la musique fasse le lien
entre l'aveu d'Alice et le fantasme de Bill. En effet, on entendra sa variation (« The
Naval Officer ») à chaque fois que Bill imagine sa femme avec l’officier (ralenti en
noir et blanc)..

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Cette musique reprend lorsqu'Alice raconte son rêve à la fin du film. Rêve dans
lequel le même officier se moque d'elle puis lui fait l'amour.

Si la musique de Jocelyn Pook est utilisée pour les séquences érotiques révélant la
jalousie qui ronge le personnage de Bill, elle est également utilisée pour les scènes
au château. L’ouverture à la fête libertine où prend place la musique de Jocelyn Pook
est devenue célèbre : Elle dresse un impressionnant contraste entre la morale
religieuse et la débauche. Gestes lents, soutane, encens, nudité et masque
baroques vénitiens.

Jocelyn Pook a composé un hymne solennel, des litanies chantées dans une langue
qui nous est inconnue (un texte sacré hindou ce qui a provoqué l'indignation
d'ailleurs ! : « Pour la protection des vertueux, pour la destruction du mal et le solide
établissement du Dharma (la droiture), je nais et m’incarne dans la terre, d’âge en
âge »

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La musique contemporaine : le « Musica Ricercata N°2 » de Ligeti

Le « Musica Ricercata » de Ligeti a été écrit en 1950, alors que le compositeur était
en Hongrie. D'après le compositeur, Kubrick a parfaitement compris la dimension
dramatique de cette musique « interdite », semblable à un « cri », à un « couteau
dans le cœur de Staline ».

Cette musique apparaît dans la seconde moitié du film, Bill est alors en proie à une
peur paranoïaque.

Le « Musica Ricercata N°2 » Intervient lorsque Bill, intrus, est jugé par tous le
masques. D’abord, le thème inquiétant est entendu dans le grave, les martèlements
aigus paraissent le précipiter dehors.

Le sentiment de paranoïa est également représenté par la musique de Ligeti lorsqu'il
retourne au château et qu'on lui remet la lettre mystérieuse. Il se rend à la morgue
pour voir le corps d'une femme dont il pense qu'elle a été assassinée. Cette musique
apparaît, marquant le fait qu'il soit conforté dans cette idée lorsqu'il se penche sur le
corps. S'il a bel et bien raison, alors il y a des chances qu'il soit tué à son tour pour lui
éviter de parler, la peur augmente, la musique a donc une raison d'être, mieux, elle
participe à la mise en scène dans cette action de se pencher sur le corps. La
musique nous révèle ce qu'il a conclu, ce qui peut influer sur son action, elle fait donc
partie de la narration.

Lorsqu'il se retrouve auprès de sa femme, les martèlements aigus accompagnent la
présence d'un masque sur l'oreiller.

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Stanley Kubrick utilise également ce morceau dans "The Shining" (1979) et "2001
"l'odyssée de l'espace" (1968) où elle semble représenter le mystérieux monolithe.
C'est une musique qui appelle au fantastique, à l'expression d'une hantise inconnue.

A travers sa place dans le récit, son genre ou plus naturellement son effet sensoriel
la musique peut alors donner du rythme et focaliser le spectateur sur des éléments
importants qui le maintiennent accroché à l’histoire ; c’est le coté spectacle,
nécessaire au cinéma. L’autre vision de la musique au cinéma, plus fine, est
d’apporter un propos qui n’est pas dans l’image mais qui la complète ; comme les
deux discours se mêlent et évoluent face au spectateur, si le choix de musique est
pertinent les personnages s’étoffent, le récit se couvre de mystère et de poésie, la
présence de musique distille l’attention du spectateur, nourrit son émotion.

La musique constitue d’ailleurs un outil de maîtrise du temps pour le cinéma, alliée
au montage elle s’approprie les coupes entre les plans, les affine. Joue avec les
silences, de sorte de hiérarchiser les évènements et écouter l’histoire.

La maîtrise de l’intensité dramatique, l’ajout d’évocations poétiques, la possibilité de
lier l’ensemble du film à travers une esthétique musicale pensée ; ces qualités font
de la musique un attribut essentiel de ce cinéma.

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2 Le processus de création
A Le dialogue avec le réalisateur

Le compositeur doit être clairvoyant et saisir l’esprit du film. Sur quelle base s’appuie-
t-il pour créer un univers qui va venir compléter l’œuvre ?

J’ai rencontré Antoine Duhamel afin de lui demander quelle était la place de la
musique dans les films auxquelles il a participé et de quelle façon il parvenait à
collaborer avec le réalisateur.

Antoine Duhamel est né le 30 juillet 1925 à Paris. Elevé dans un milieu artistique
(son père est Georges Duhamel). Il hésite dans le choix de son domaine, entre
peinture et musique. Ravel et Messiaen apparaissent alors comme une révélation. Il
fait des études musicales au conservatoire de Paris où il suit l'enseignement d'Olivier
Messiaen et René Leibowitz aux cotés de Pierre Henry ou Pierre Boulez. La musique
y est pensée comme en rupture avec l'école académique. La modernité apparaît
comme une conscience du discours, l'idéologie se radicalise et chacun suivra des
choix différents. Antoine Duhamel est enthousiaste face à la perspective de
composer pour le cinéma, certains de ses contemporains trouvent l'écriture pour le
film sans intérêt car soumise au propos d'un autre, sans engagement musical. Et de
plus elle est dénigrée, rabaissée au rang de simple travail d'artisan répondant à une
commande, autrement dit un travail alimentaire; au lieu de servir un dogme qui
l'intellectualise.
La première musique de film écrite par Antoine Duhamel est un projet en association
avec Alain Resnais un court métrage sur le peintre Hans Hartung. La finalisation du
film s'éternise et la pièce originale d'avant garde ne sera finalement pas utilisée pour

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le film, mais, plus tard dirigée par Jean Prodomidès au festival de Darmstadt en
1949.
Il compose pour la publicité (école de la précision et de l'efficacité), dessin animés,
séries télévisés, des oeuvres pour orchestre. Il signe les musiques des feuilletons de
Claude Barma: "Le Chevalier de la maison Rouge" et "Belphégor" par exemple.

Le noyau dure de sa collaboration avec le cinéma est pour lui sa rencontre avec ces
sept réalisateurs: Jean-Daniel Pollet, Jean-Luc Godard, Bertrand Tavernier, Jean-
François Adam, Phillipe Condroyer, Patrice Leconte et Fernando Trueba

Il écrit pour "Méditerranée"de Jean Daniel Pollet une de ses oeuvres capitales. Un
film rapportant des images de méditerranée dans une logique avant-gardiste, sans
récit, où la musique à une place importante. Reflétant le poids du passé, la jeunesse
et la mort. Mélange de dodécaphonisme, de climat méditerranéen avec notamment
une ballade grecque au bouzouki amené par le réalisateur comme source
d'inspiration, adapté pour guitare électrique dans un élan de modernité

Il travaille ensuite pour Jean-Luc Godard avec "Pierrot le fou" et "Week-end",
François Truffaut avec "Baisers volés", La sirène du Mississipi", L' Enfant sauvage",
"Domicile conjugal", Bertrand Tavernier "Que la fête commence !", "La mort en
direct", "Daddy Nostalgie", Patrice Leconte "Ridicule".

En dehors du domaine cinématographique il écrit neuf opéras, musique de scènes,
de concerts par exemples concertos pour alto, violon, contrebasse, vibraphone. Il est
soucieux de la transmission et évoque volontiers son activité. Il anime pendant
plusieurs années un conservatoire à l'esprit ouvert à Villeurbanne.

Plus récemment, il compose la musique des Destinées sentimentales d'Olivier
Assayas qui ne sera pas utilisé pour ce film mais aura une seconde chance avec le
succès de "Depuis qu'Otar est parti" de Julie Bertucelli. Il signe également la
musique de "Laissez-passer" de Bertrand Tavernier.

Antoine Duhamel a exploré les domaines musicaux soucieux d'y apporter une
dimension moderne. Considéré comme un musicien populaire, sans mauvaise
connotation, il se revendique de la liberté.

Le film qui m'a le plus marqué comportant une musique d'Antoine Duhamel est
"Pierrot le fou"1965.

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"Au moment du pré montage il m'a simplement précisé : " Vous voyez, Antoine, Il me
faudrait deux ou trois thèmes dans le genre Schumann."Ce qui était assez troublant :
la dualité du personnage principal Ferdinand - Pierrot, correspondait parfaitement à
la schizophrénie de Schumann. J'ai donc bâti ma partition autour de cette idée de
dualité, Ferdinand et Pierrot, l'émotion et la violence. Pour la première fois de ma
carrière j'ai travaillé en toute liberté et sans aucun souci de minutage, totalement
affranchi du chronomètre. Derrière certaines pirouettes burlesques et provocations,
Pierrot le fou est un film d'amour et de mort. C'est de cette dimension dont j'ai voulu
parler."
Dans conversations avec Antoine Duhamel" de Stéphane Lerouge

Jean-Luc Godard semble utiliser le cinéma comme un moyen de penser. Selon Gilles
Deleuze, son apport au cinéma est de ne plus considérer le discours intérieur
comme guide de la mise en scène. La liberté semble être à l'origine de ce film, elle
se manifeste constamment à travers le ton de la voix de Jean Paul Belmondo qui
évoque la peinture, fait le pitre. La liberté de dresser des ponts entre la peinture et le
cinéma, de jouer sur les couleurs. La liberté de casser la cohérence du récit par
moments avec une séquence "comme dans un film noir" où la musique d'Antoine
Duhamel semble jouer le jeu. Mais ce n'est pas simplement un jeu de pitreries,
lorsque la musique révèle les personnages c'est l'ensemble des éléments qui est
imprimé car la ligne de conduite de cette liberté repose sur le maniement des outils
du cinéma. Jean Luc Godard aux commandes.

Extrait de la voix off dans "Pierrot le Fou" 1965

La traversée de la Durance

Lui "Chapitre huit:
Elle une saison en enfer
Lui  Chapitre huit
Elle nous traversâmes la France
 Lui comme des apparences.
Elle comme un miroir "

Cette séquence devient pour moi une icône, j'ai l'impression que c'est un peu comme
les vagues de Monfleet, non seulement la forme des flots est habitée par la musique
mais l'eau en tant que symbole paraît également habiter la musique. La rivière
caractérise l'aventure, Ils marchent près l'un de l'autre, le cadre les suit de droite à
gauche. Leurs jambes s'enfonçant dans l'eau semblent les attirer dans une sorte de
rêve.
 Un destin tragique ; la mort face à la liberté. Ils brûlent leurs traces, voiture et argent,
traversent la rivière.

Peu de temps après, le cinéaste se sert de la musique de façon très visible. Les
personnages se livrent à un jeu autour de la belle voiture américaine qui est
lentement soulevée mécaniquement, la musique faite d'attaques vives de cordes,

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marquant une intrigue soutenue représente le tour que les deux complices exercent
pour repartir en voiture. La musique s'arrête d'un coup marque un silence puis
reprend, rythmant ainsi la scène par cette utilisation, le rapport entre la gestuelle et la
musique est très étroit. La conscience des possibilités picturales du cinéma est aiguë
chez Godard, ici le contexte de la station service, l'automobile américaine qui
s'élèvent et brille, on dirait un jeu avec le pop art. Ce qui se ressent également avec
l'utilisation des images de bandes dessinées s'apparentant beaucoup aux tableaux
de Roy Liechtenstein, peintre américain, célèbre dans les années 60, connu pour
emprunter le style graphique de la bande dessinée.

Ce qui m'a intéressé ici c'est la fusion des deux écritures, le compositeur remarque
qu'il fût inspiré par une séquence du film pour écrire la musique, et qu'elle s'y
retrouva sans qu'ils en aient discuté au préalable. D'autre part, l'idée que le
compositeur soit libéré des contraintes de minutage, le pousse à s'exprimer plus sur
l'univers du film que sur l'utilisation de la musique comme liant de l'intensité
dramatique.

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"Pierrot le fou" Jean-Luc
                                                                           Godard 1965

Lorsque je demande à Antoine Duhamel ce qui lui plaît dans la composition de
musique de film, en plus de composer pour un sujet, un support il me répond que
c'est de s'adapter aux situations et résoudre les problèmes.

Deux exemples,

"L'acrobate" de Jean-Daniel Pollet
"Laissez-passer" de Bertrand Tavernier

      "L'acrobate" de Jean-Daniel Pollet

Il y a dans ce film un concours de tango. Les acteurs ont bien - sûr dansés sur de la
musique. Mais il a fallu réécrire de nouveaux tangos et donc s'adapter à plusieurs
tempos pour reproduire des tangos de compétition. C'est un travail de documentation
sur un genre de musique.

      "Laissez-passer" de Bertrand Tavernier

Pour la séquence du long parcours à vélo, Bertrand Tavernier souhaitait utiliser "les
chanteurs de perles" de Bizet interprété par Tino Rossi. Le morceau ne convenait
pas assez, il fallait pouvoir mieux en jouer, broder autour. Antoine Duhamel a écrit un
arrangement pour orchestre symphonique pour venir se fondre à la musique,
l'amener et accompagner sa fin. L'enregistrement se fit en donnant une oreillette au
chef d'orchestre pour contrôler la chanson en dirigeant au bon tempo.

B La thématique et le timbre

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