L'auDition augmentée Développer - ENS Louis-Lumière
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Mémoire de fin d’études et de recherche appliquée Son 2012 Alexandre Saunier développer l’audition augmentée sur plateforme mobile D i re c t i o n Thierry Coduys Guillaume Jacquemin Jury Alan Blum Thierry Coduys Guillaume Jacquemin Ecole Nationale Supérieure Louis Lumière Promotion 2009-2012
R emerciements Pour commencer, merci à mes directeurs de mémoire, Thierry Coduys et Guillaume Jacquemin, pour les conseils et l’aide apportés lors de ce mémoire. De même, merci à Cécile le Prado, pour m’avoir présenté ses travaux et nourri ma réflexion concernant ma partie pratique, et Antonin Fourneau, pour m’avoir présenté Oterp et fait partager sa passion, mélange d’art et de jeux-vidéo. Je tiens à remercier l’ensemble des professeurs et intervenants de l’établissement qui, durant ces trois dernières années, m’ont fait découvrir le monde du son et conforté dans ce choix de métier. De façon plus personelle, merci à mes parents et ma famille pour m’avoir toujours encouragé dans cette voie. Ce mémoire leur doit beaucoup. Merci particulièrement à Marion et Antoine pour le temps passé à partager des pauses, mais également à travailler à nos mémoires. Merci également à Hélène et Yohan qui ont affronté les pages de cet écrit et l’ont éclairé de leurs conseils. Enfin, un remerciement spécial aux créateurs du First Person Tetris qui, s’il ne m’a pas aidé à rédiger, a une fois de plus trouvé sa place sur mon bureau. 2
R ésumé La réalité augmentée a pour but d’introduire des éléments virtuels dans le monde réel par le biais d’un système informatique. Bien plus que tout autre support, elle permet de toucher l’ensemble des sens du spectateur. En particulier, elle permet d’imaginer un emploi du son original et interactif. Récemment, l’arrivée sur le marché des smartphones a fourni à la réalité augmentée une plateforme adaptée, mais aussi un regain d’intérêt auprès du grand public. Ce mémoire a pour but d’offrir des pistes de réflexions quant à l’augmentation du son par l’emploi de smartphones. Si les applications sont nombreuses, nous n’observerons que l’emploi qui en est fait dans le monde de l’art. Nous y puiserons la matière nécessaire à une réflexion sur le potentiel de la réalité augmentée sonore. Nous observerons aussi les caractéristiques des technologies smartphones avant d’en étudier le potentiel dans une application au domaine du son. M ots clés : Réalité augmentée, Audition augmentée, Smartphone, Réalité virtuelle, Programmation, interactivité, Immersion 3
A bstract Augmented reality aims to insert virtual components into the real world by means of computing. Above all mediums, it gives the opportunity to reach each senses of the participant. In particular, it gives the opportunity to imagine original and interactive ways to use sound. Recently, smartphones gave augmented reality an appropriate platform along with a new interest among the general public. This dissertation intends to feed the reflexion on the subject of ssmartphone augmented hearing. Though applications à numerous, we will concentrate on those found in the world of art. From there, we will find the arguments necessary to a reflexion on the potential of augmented sound reality. In addition, we will observe the characteristics of smartphones before studying their interest to the world of sounds. K ey W ords : Augmented reality, Augmented hearing, Smartphone, Virtual reality, Programming, Interactivity, Immersion 4
T able des matières Introduction 8 Partie I. La Réalité augmentée 12 1. Concepts et définitions 13 1.1. Continuum réel-virtuel et réalité mixte 13 1.2. Réalité virtuelle 14 1.3. Réalité augmentée 15 1.4. Virtualité augmentée 16 2. Histoire de la réalité augmentée 17 2.1. La Réalité virtuelle, origine de la réalité augmentée 17 2.2. Histoire de la réalité augmentée dans l’art 20 3. Réflexions sur la réalité augmentée 24 3.1. Perception de l’augmentation : la sensation de présence 24 3.2. Pratiquer la réalité augmentée mobile 28 4. L’Audition augmentée 29 4.1. Différentes oeuvres 29 4.2. Qu’est-ce qu’augmenter l’audition? 31 Partie II. La Technologie smartphone 33 1. Généralités 34 1.1. Histoire 34 1.2. Marché 35 2. Systèmes d’exploitation 38 2.1. Google Android 38 5 2.2. Apple iOS 40 2.3. Symbian 40
2.4. Microsoft Windows Mobile Phone et Windows Phone 41 2.5. RIM BlackBerry 41 2.6. Autres systèmes 41 3. Fonctionnalités 42 3.1. Puissance de calcul 42 3.2. Réseaux 42 3.3. Géopositionnement 43 3.4. Capteurs: accéléromètre, gyroscope et magnétomètre 45 3.5. Son 47 3.6. Energie 47 4. Développer pour un smartphone 48 4.1. Contraintes techniques 48 4.2. Prendre en compte l’utilisateur 49 Partie III. Application de la réalité augmentée aux smartphones 51 1. Contexte 52 1.1. Pourquoi utiliser des smartphones? 52 1.2. Exemples de travaux 53 2. L’Audition augmentée 56 2.1. Les Smartphones, une Plateforme propice à augmenter l’audio 56 2.2. Un Exemple de jeu en audition augmentée 57 Partie IV. Concernant la partie pratique 59 1. Projet et approche de l’environnement 60 1.1. La scénarisation 60 1.2. Un aspect collaboratif 62 1.3. Choix software et hardware 63 2. Développer un module 65 6 2.1. Guider le joueur 65
2.2. La gestion des effets sonores 66 2.3. Programmation à l’aide de libpd 67 Conclusion 69 Annexes 71 7
I ntroduction « This is not like “TV only better” ! This is life. » Strange Days de Kathryn Bigelow « This is not like “TV only better” ! This is life. » Voila ce vers quoi tend la Réalité Augmentée. Comme la réalité virtuelle, avec laquelle elle partage les mêmes origines, elle s’adresse au spectateur dans son intégralité. L’art a sans cesse cherché à toucher, faire se questionner, faire ressentir : la peinture et la photographie en s’adressant à la vue, la musique à l’ouïe, la littérature et la poésie à l’imagination du lecteur. Quant au théâtre, à l’opéra et au cinéma, ils touchent autant la vue que l’ouïe et mélangent différents modes d’expression. La réalité augmentée permet tout cela et bien plus. Elle donne la possibilité de mélanger les médias : musique, image, texte... Elle cherche à solliciter tous les sens : l’audition et la vision mais aussi le toucher et parfois l’odorat et le goût. Surtout, elle fournit des outils puissants en terme d’immersion et de sensation de présence. Réalité augmentée et réalité virtuelle sont avant tout des technologies ayant une application pratique, surtout dans le domaine militaire et médical. Mais comme tout procédé technique le monde de l’art ne les a pas laissés de côté. La science fiction et la culture cyberpunk en ont fait deux de leurs thèmes de prédilection : Neuromancer a définit le concept de « cyberespace », The Matrix nous envisage comme les habitants d’un monde virtuel, et nous en trouvons la trace dans de nombreuses autres oeuvres : Tron, Avalon, Minority Report, Rainbow’s End... Quant aux artistes comme Jeffrey Shaw, Maurice Benayoun, Char Davis, ils ont fait appel à ces technologies dans leurs œuvres. Encore relativement jeune et en plein essors la réalité augmentée est sans doute un 8 médium qui, comme cela a été le cas pour les livres ou le cinéma, permet de créer de
nouvelles oeuvres, de nouveaux types d’histoires, de véhiculer des idées et surtout, de toucher le public. « You’re there. You’re doing it, seeing it, hearing it... feeling it. » Voici les mots qu’utilise Lenny Nero, antihéros du film Strange Days, lorsqu’il présente « the wire » : un concentré de technologies que l’on place sur sa tête et dont les capteurs établissent un contact direct avec le cerveau. Dans son mode d’enregistrement « the wire » capte toutes les sensations de la personne qui le porte, ce qu’elle vit, entend, voit, ressent, éprouve. En mode lecture il retransmet l’ensemble de l’expérience enregistrée : « You’re there. You’re doing it, seeing it, hearing it... feeling it. » On vit une expérience immersive incomparable : au delà des sens qui sont tous touchés, les émotions et les sensations sont transmises. La puissance de cette technologie tient au fait que l’expérience vécue est indissociable du réel : on la ressent comme si l’on y était. Il s’agit là du phénomène de « présence ». Peut- on, et de quelle façon, donner au participant la sensation de vivre une expérience réelle et non un simulacre virtuel? Voici l’enjeu principal de la réalité virtuelle et de la réalité augmentée qui, plus que tout autre procédé, fait appel au monde virtuel pour l’incruster ou le substituer au monde réel. Si le domaine de la réalité augmentée m’intéresse, c’est aussi qu’une technologie permettant de l’exploiter et de la porter au grand public se développe depuis quelques années : celle des smartphones. Jusqu’à récemment la réalité augmentée était réservée à des cercles restreints, principalement de chercheurs, disposant de la technologie nécessaire – capteurs, ordinateurs, casques de vision stéréoscopique... Les systèmes développés étaient coûteux, encombrants, souvent peu maniables et hors d’atteinte du grand public, sauf pour quelques oeuvres présentées occasionnellement, comme The Golden Calf de Jeffrey Shaw. L’année 2007 a marqué un tournant dans le monde de l’informatique mobile en voyant apparaître sur le marché des smartphones disposant d’une puissance de calcul et de graphismes auparavant inaccessibles à cette technologie. Ces appareils réunissent dans un boitier ultra-portable, et à un prix abordable, des outils puissants en terme 9 d’interaction et de création numérique. Ainsi, la barrière qui existait entre le public et la
réalité augmentée a disparue. Deux aspects de la réalité augmentée peuvent être développés grâce à l’utilisation des smartphones. Leur portabilité donne la possibilité d’introduire le virtuel dans tout type d’environnement et permet la création d’une réalité augmentée mobile accompagnant l’utilisateur à tout instant de sa vie. Surtout, ces téléphones sont particulièrement adaptés à l’augmentation du son. Au travers de ce mémoire nous chercherons à mettre en avant ce que l’on pourrait appeler l’« audition augmentée » et la façon dont les smartphones permettent de la créer. Qu’il s’agisse d’incrustations et d’effets sonores ou encore de génération de musique en temps-réel, il est possible de modifier notre perception et créer des univers sonores augmentant le réel. Parmi les différentes applications qui peuvent en être faites, nous n’aborderons que celles liées aux pratiques artistiques et employant le temps réel. C’est à dire l’utilisation qui peut en être faite dans le cadre d’installations ou de performances et, dans une certaine mesure, de jeux en réalité augmentée. Dans un premier temps nous observerons donc ce qu’est la réalité augmentée. Ses origines et les concepts qui la soutiennent avant de donner un aperçu d’oeuvres réalisées. En plus de l’état de l’art, cette partie met en avant certains points et questions récurrents dans tous projets mêlant réel et virtuel. La deuxième partie sera consacrée aux smartphones. Nous présenterons ce qui se fait en matière de plateformes et d’outils : afin de les exploiter il est nécessaire d’avoir connaissance des différentes technologies qu’ils proposent. Viendra ensuite une partie explorant le croisement réalisable entre réalité augmentée et smartphones. Il s’agit d’en observer les aspects technologiques et artistiques avant d’aborder l’emploi de ces plateformes pour l’augmentation du son. 10
Enfin nous verrons en pratique la façon dont une telle augmentation sonore peut être réalisée sur une plateforme Android. Cette plateforme est celle employée pour la partie pratique de mémoire et permettra de donner quelques clés concernant la création d’une application d’« audition augmentée ». 11
P artie I. L a R éalité augmentée 12
1. Concepts et définitions 1.1. Co n t i n u u m r é e l - v i r t u e l e t r é a l i t é m i x t e La réalité virtuelle prend naissance dans les années soixante. Elle est définie comme un environnement entièrement synthétique dans lequel est plongé le spectateur. Afin de mettre en relation le spectateur avec ces mondes immatériels de nombreuses interfaces ont été développées. Les Head Mounted Display (HMD) en particulier sont à l’origine de la création d’états intermédiaires originellement regroupés sous le nom de réalité augmentée. L’absence de classification claire de ces états a mené au début des années 90 à la définition d’un concept : celui de Continuum Réel-Virtuel. Ce continuum voit à ses extrémités l’environnement réel – le monde tel que nous le connaissons – et l’environnement virtuel – généré par informatique. Entre les deux existe une zone où cohabitent les objets réels et virtuels : la réalité mixte – cette dernière englobe la réalité augmentée et la virtualité augmentée. Afin d’aborder ce concept de continuum réel-virtuel, Paul Milgram considère deux questions1 : −− L’environnement principal est-il réel ou virtuel ? −− L’augmentation, les objets insérés, sont-ils réels ou virtuels ? La réalité augmentée désigne donc un environnement réel auquel sont superposés des éléments virtuels. Wikitude World Browser2 est un exemple explicite : cette application combine les fonctions de GPS et de compas des smartphones afin d’associer des informations à des lieux en les incrustants dans l’image issue de la caméra. Au contraire, la virtualité augmentée est un environnement virtuel dans lequel 1 MILGRAM P., TAKEMURA H., UTSUMI A., KISHINO F., Augmented Reality : « A class of displays on the 13 reality-virtuality continuum », Proceedings of Telemanipulator and Telepresence Technologies, pp. 2351- 34, 1994 2 Voire annexe 2
sont surajoutés des éléments réels. OpenSimulator3, par exemple, permet une telle augmentation en donnant la possibilité d’inclure des vidéos provenant du monde réel. Fig.1 Continuum Réel-Virtuel simplifié Le continuum présenté ici (Fig. 1) est une version simplifiée de celui définit par Paul Milgram. Dans son intégralité, trois critères sont considérés : reproduction fidelity – qualité des objets et stimuli virtuels – extent of world knowledge – degré de prise en compte et d’implication de l’environnement réel – et enfin extent of presence – façon dont les stimuli sont perçus et degré d’immersion du participant. La classification qui est mise en place a pour but de permettre la comparaison et la mise en relief de similarités et différences entre projets. Si elle est fondée sur des interfaces visuelles, elle n’en reste pas moins un outil pertinent pour aborder les tenants et aboutissants de tout travail faisant cohabiter réel et virtuel. 1.2. Réalité virtuelle La réalité Virtuelle consiste en la génération d’un environnement numérique dans lequel est immergé le participant. Cet environnement peut imiter les propriétés du monde réel – cas des simulateurs de vols. Au contraire, il peut outrepasser les lois de la physique et créer un monde où le temps, la gravité et les propriétés des objets n’ont plus 14 3 http://opensimulator.fr
les mêmes effets – Osmose de Char Davis4 par exemple. L’espace ainsi créé permet au spectateur d’interagir, y évoluer et vivre des sensations aussi convaincantes que possible. Il a pour but de tromper le spectateur afin de remplacer le monde réel. Howard Rheingold, auteur d’un des premiers livres sur le sujet, résume la réalité virtuelle à l’aide de ces trois notions interdépendantes : « One is immersion, being surrounded by a three dimensional world ; another one is the ability to walk around in that world, choose your own point of view ; and the third axis is manipulation, being able to reach in and manipulate it. »5 L’objectif étant une immersion maximale, elle fait appel à des interfaces particulières. On emploie ainsi fréquemment des casques virtuels HMD, des gants ou des combinaisons haptiques, ainsi que des capteurs de position ou du tracking vidéo. La principale difficulté à laquelle ces interfaces doivent faire face est l’établissement d’une lien précis entre les mouvements du participant et l’environnement virtuel. le spectateur doit pouvoir se déplacer et modifier son point de vue, ressentir et agir sur les objets, sans subir de latence ou de sensation de manque de correspondance entre ses actions et leurs transpositions dans l’univers virtuel. De la qualité de ces interfaces dépend ce qui sous- tend toute expérience de ce type : l’immersion et la sensation de présence6. 1.3. Réalité augmentée Plutôt que de remplacer le monde physique, la réalité augmentée en crée une extension, un enrichissement. Elle consiste en l’inclusion d’éléments virtuels dans le monde réel et désigne l’ensemble des procédés le permettant. 4 Voir chapitre 1.2.1. 5 « La première [notion] est l’immersion, c’est à dire être plongé dans un monde en trois dimensions; une autre est la capacité de déplacement dans ce monde, celle de choisir son propre point de vue; et le 15 troisième axe est celui de la manipulation, être capable d’y atteindre des objets et de le manipuler. » RHEINGOLD H., Virtual Reality,Touchstone Edition, Etats-Unis d’Amérique, 1992 6 Voir chapitre 1.3.1.
Une première définition fut donnée en 1994 par Paul Milgram et Fumio Kishino lorsqu’ils définirent le concept de continuum réel-virtuel. Il s’agit alors de l’ensemble des cas dans lesquels des éléments graphiques générés par informatique sont superposés à l’environnement réel. Seuls les systèmes de HMD permettant de voir le monde alentour, soit par l’intermédiaire de caméras soit par transparence, sont abordés. L’autre définition fréquemment employée est celle que Ronald T. Azuma donne dans A Survey of Augmented Reality7. La réalité augmentée doit alors répondre aux trois caractéristiques suivantes: −− Combiner réel et virtuel −− Etre interactive et en temps réel −− Etre effectuée en trois dimensions Azuma cherche par là une définition plus générale et surtout, indépendante de la technologie employée. Ainsi, elle s’applique autant à la vue, à l’audition, au toucher et dans une bien moindre mesure, malgré les recherches effectuées, à l’odorat et au goût. Donner une définition précise de la réalité augmentée n’est pas chose aisée. Selon les auteurs elle peut inclure, ou exclure, les systèmes en temps différé – l’incrustation d’image de synthèse dans des films par exemple – ou encore nécessiter le recours à une technologie précise. Cela est rendu d’autant plus difficile par la richesse des interactions réel-virtuel. Le terme de réalité augmentée est ainsi fréquemment employé dans des cas où il serait plus juste de parler de réalité mixte. 1.4. Vi r t u a l i t é a u g m e n t é e A l’inverse, la virtualité augmentée voit l’insertion d’objets réels – non modélisés – dans un environnement numérique. 16 7 AZUMA R., « A Survey of Augmented Reality », Presence : Teleoperators and Virtual Environments 6, Aout 1997, p. 355-385
Moins répandue que la réalité augmentée on en trouve de nombreux exemples dans le jeux vidéo. L’image du joueur se trouve par exemple insérée dans l’écran et agit sur les objets qui s’y trouvent. 2. Histoire de la réalité augmentée 2.1. L a R é a l i t é v i r t u e l l e, o r i g i n e d e l a r é a l i t é a u g m e n t é e On peut situer l’origine de la réalité virtuelle à 1965 quand Ivan Sutherland publia son article The Ultimate Display. Durant les trois années suivantes, il développa le premier HMD, nommé The Sword of Damocles, pour la Bell Helicopter Company ; il est à noter que ce projet bénéficiait du financement de l’armée américaine. Les avancées majeures dans ce domaine datent cependant des années 80. Jaron Lanier, un des pionniers en la matière, inventa le terme pour distinguer les environnements numériques immersifs des simulations informatiques. Sa société, VPL Research, commercialisa en 1984 le premier gant de données (Data Glove) permettant la navigation et l’interaction avec les environnements virtuels ainsi qu’un dispositif de réalité virtuelle en réseau dès 1989. D’autres types d’interfaces ont aussi été développées afin de naviguer dans les mondes virtuels. On peut citer The Legible City, de l’artiste australien Jeffrey Shaw. Dans cette œuvre de 1989, le spectateur monte sur une bicyclette fixe pour se déplacer à l’intérieur d’une ville dont les bâtiments sont faits de textes rappelant New-York et Amsterdam. La visite est alors dirigée par l’intermédiaire du pédalier et du guidon, permettant au spectateur de suivre les histoires racontées sur les murs ou de créer son propre parcours. En 1991, afin de s’affranchir des systèmes encombrants pour le spectateur, Tom DiFanti et Dan Sandin développent le Cave Automatic Virtual Environnement (CAVE). Cette technologie de réalité virtuelle est un cube dans laquelle une rétro-projection 17 3D polarisée est effectuée sur trois de ses faces et munie d’une diffusion sonore « 3D » immersive. Il suffit alors aux spectateurs de se munir d’une paire de lunettes polarisée
pour prendre part au CAVE. Un visiteur « leader » est muni d’un capteur de position et d’une « baguette interactive » afin de contrôler l’interaction avec l’univers présenté. De nombreux artistes ont utilisé la technologie du CAVE. C’est le cas de Maurice Benayoun et Jean-Baptiste Barrière pour l’installation World Skin qui remporta un prix aux Ars Electronica de 1997. Cet univers immersif présente un monde ravagé par la guerre, peuplé de soldats, de tanks et autres ruines. Armés d’un appareil, les visiteurs peuvent photographier les éléments de ce décor. Mais chaque photographie prise fait disparaître son sujet du paysage : « Nous prenons des photos et ici la photographie est une arme pour effacer. […] Chaque fragment photographié disparaît de l’écran et est remplacé par une silhouette noire. Avec chaque déclenchement de l’obturateur, une partie du monde disparaît. »8 Entre 1992 et 1994 le Banff Center met en place The Art and Virtual Environments Project. Neuf projets, souvent considérés comme les premières œuvres de réalité virtuelle, sont alors développés. On peut citer Barcode Hotel de Perry Hberman, Virtual Reality on 5 Dollars a Day de Ron Kuivila et Dancing with the Virtual Dervish : Virtual Bodies de Tacov Sharir et Diane Gromala. La première œuvre achevée est Placeholder de Brenda Laurel et Rachel Strickland qui reçut un très bon accueil. A l’aide de onze ordinateurs, dont les Apple Powerbook de l’époque, et plus de 25 000 lignes de codes, Brenda Laurel explore le rôle de la narration dans les environnements virtuels. Osmose (1995) de Char Davies est un classique en ce qui concerne l’immersion totale dans un monde virtuel. Equipé d’un HMD et d’une combinaison munie de capteurs (Fig. 2), le spectateur vit un voyage à travers trois espaces successifs dans un univers rempli d’éléments organiques. Osmose se distingue par deux aspects : son esthétique et son interface. Avant d’utiliser des ordinateurs, Char Davis était peintre. Ainsi, très loin des graphiques 3D fondés sur les polygones et propres à l’informatique, l’esthétique repose sur des structures organiques complexes et un jeu prononcé sur la transparence 18 8 BENAYOUN M., « World Skin Documentation », http://www.benayoun.com
et la luminosité. La charte graphique est fondée sur le désir de bousculer les perceptions du spectateur dans le but d’augmenter son attention et de lui faire percevoir son corps et ses sensations de façon nouvelle. Comme Char Davis l’explique : « in Osmose we used transparancy and luminous particles to “desolidify” things and disolve spatial distinctions. »9. Il en va de même pour l’interface. Si elle emploie un casque de réalité virtuelle, elle fait surtout appel à une combinaison spécialement conçue pour l’oeuvre. Celle-ci permet de suivre la respiration et l’inclinaison du spectateur en recueillant les informations de déformation et de torsion de la cage thoracique10. On se déplace alors en se penchant d’un côté ou d’un autre, s’élevant ou descendant au rythme de sa respiration. Décrite comme « mystique » par certains visiteurs, Osmose permet de vivre une expérience où l’on est amené à flotter au sein d’un univers onirique. Fig.2 Spectateur muni d’un HMD prenant part à Osmose 9 « Dans Osmose nous avons utilisé la transparence et des particules lumineuses afin de “dé-solidifier” les choses et dissoudre les distinctions spatiales. » DAVIS C., « Changing Space : VR as an Arena of Being », http://www.immersence.com/immersence_ home.htm 10 Pour plus d’informations sur l’élaboration de l’interface, son fonctionnement et ses méthodes de 19 tests, se référer à l’excellente publication : SEFFAH A., BENN J., MAMAR H. H., « A Low-Cost Test Environmen for Usability Studies of Head- Mounted Virtual Reality Systems », Journal of Usability Studies, Vol. 3, Issue 2, février 2008, pp. 60-73
Fig.3 Osmose, univers souterrain 2.2. H i s t o i r e d e l a r é a l i t é a u g m e n t é e d a n s l ’a r t Bien que la réalité augmentée ne se soit réellement développée qu’à partir des 20 années quatre-vingt-dix, elle partage son origine avec la réalité virtuelle : l’une des versions du Sword of Damocles permettait de voir le monde réel au travers de la visière servant
d’écran. Ce casque fut le premier système permettant d’insérer des éléments virtuels dans le monde réel ; conçu pour des pilotes d’hélicoptères, il permettait l’incrustation d’informations utiles au pilotage sous la forme de figures polygonales. Il faudra attendre 1992 pour que Tom Caudell et David Mizell inventent le terme « réalité augmentée » alors qu’ils travaillaient chez Boeing à la conception d’un HMD. Le système développé pautorisait la superposition de diagrammes sur des objets physiques afin d’améliorer les méthodes de fabrication des avions. Le premier système visant l’interaction de l’utilisateur avec des éléments virtuels est Videoplace créé en 1975 par Myron Krueger. Ses mouvements sont analysés à l’aide de caméras vidéo afin de générer une silhouette. Cette silhouette est alors projetée sur un écran et entre en interaction avec des objets virtuels. Dans le monde de la performance, l’emploi de la technologie débute dès les années soixante. En 1966, une trentaine d’ingénieurs des laboratoires Bell s’associèrent à neuf artistes pour créer 9 evenings. Cet ensemble de pièces est la première collaboration d’envergure entre les mondes de la science et de la performance et pose les bases de l’augmentation aussi bien dans le théâtre que dans la danse. Par la suite, on attribue à Julie Martin la première performance en réalité augmentée telle que nous l’avons définie. En 1994, Dancing in Cyberespace permet à des danseurs et des acrobates de jouer avec des objets virtuels projetés dans le même espace physique qu’eux et réagissant en temps réel. L’emploi de la réalité augmentée, en vidéoprojection, n’a ensuite cessé de se développer dans le monde du spectacle vivant. Parmi les créations récentes, nous pouvons citer Glow de la compagnie australienne Chunky Move, une performance où les mouvements de la danseuse solo donnent naissance à l’environnement vidéo qui l’entoure : « In Glow, light and moving graphics are not pre-rendered video playback, but rather images constantly generated by various algorithms responding to movements. […] The machine sees the performers and responds to their actions. »11 21 11 « Dans Glow, la lumière et les mouvements graphiques ne sont pas des rendus vidéo effectués au préalable et lus en playback mais au contraire, des images générées constamment par des algorithmes sensibles aux mouvements. […] La machine voit les interprètes et réagit à leurs actions. »
Dans un autre domaine, Jeffrey Shaw présente en 1994 Golden Calf, que l’on pourrait voir comme l’une des premières sculptures en réalité augmentée. Cette installation consiste en un écran de la taille d’une feuille de papier dans lequel est visible une idole païenne. L’image diffusée est synchronisée avec les mouvements et la position de l’écran par rapport à l’idole afin de permettre au spectateur de l’inspecter sous tous ses angles en se déplaçant autour d’elle. Si l’idole n’est pas présente physiquement, c’est la médiation technologique qui permet de la faire apparaître. Le critique d’art Toshiharu Itoh commente l’approche de Jeffrey Shaw de la façon suivante : « Shaw emphasize the creativity of the border region where one foot rests in the real world, and the other in the world of fantasy. »12 Ici, l’augmentation n’a pas pour but d’immerger le spectateur dans un monde factice, mais de le placer à la frontière entre réel et virtuel pour faire émerger de nouvelles narrations et expériences. En 1999 Hirokazu Kato présenta ARToolKit, ensemble d’outils informatiques dédiés à la réalité augmentée. Il s’agit de la première bibliothèque libre permettant de résoudre deux problèmes : le suivi du point de vue de l’utilisateur et l’interaction entre objets virtuels. Cette bibliothèque est aujourd’hui l’une des plus utilisées au monde. La même année le logiciel Virtools13 fait son apparition sur le marché. Son interface de programmation graphique très intuitive permet de créer des applications de 3D temps réel. Malgré la concurrence, Virtools est encore une référence et se trouve au cœur de nombreux projets de réalité augmentée ou virtuelle, notamment du CAVE. ARQuake développé par Bruce Thomas à University of South Australia en 2000 met en scène le jeu vidéo Quake dans l’environnement réel. Afin d’y prendre part le joueur est équipé d’un HMD et d’un système employant la localisation GPS, des magnétomètres OBARZANEK G., http://reviews.media-culture.org.au/modules.php?name=News&file=article&s id=4103 12 « Shaw met l’accent sur le potentiel créatif de la zone frontière où un pied reste dans le monde réel, 22 et l’autre dans le monde de l’imagination » WILSON S., Information Arts, The MIT Press, Massachusetts Institute of Technology, 2001, Réed. 2003 13 www.virtools.com
et des gyroscopes reliés à un ordinateur. Les données récoltées permettent de naviguer dans l’univers généré par l’équipe de recherche. Pour cela un modèle informatique du campus universitaire a été créé permettant d’y faire errer les différents monstres et d’y insérer des obstacles. Le joueur voit ainsi l’univers de Quake superposé à celui, physique, du campus dans lequel il se déplace. Comme pour la plupart des travaux de réalité augmentée la principale difficulté est la superposition des mondes virtuels et réels : «to make the quake world know where the user is much more complex. We are using combinations of digital compasses, inclinometers, GPS tracking and pattern recognition technologies just to work out exactly where we are in the real world, then tell quake about it. […] There are issues of alignement of the two worlds, accurate tracking in the outside world and lighting problems to solve. »14 L’apparition d’ARToolKit ouvre la voie à la réalité augmentée sur plateforme mobile. Des 2001, BatPortal de Joseph Newman exploite un PDA afin de proposer une alternative aux HMD. Mathias Möhring de son coté, propose en 2004 un système de repérage de marqueurs 3D sur téléphone portable15. Les projets alors développés se concentrent sur l’augmentation visuelle et font fréquemment appel à des appareils préparés, notamment par l’ajout de capteurs de mouvements. A partir de 2007, les nouvelles générations de smartphones donnèrent les outils permettant un développement plus aisé d’applications de réalité augmentée. Les artistes Sander Veenhof et Mark Skwarek tirèrent profit afin de faire entrer la réalité augmentée au MoMA (Museum of Modern Art) à New York en octobre 2010. A l’aide d’une application nommée Layar16 qu’il télécharge, le spectateur peut déambuler à la recherche de sculpture en réalité augmentée (Fig. 4). En fonction de sa position dans le musée et à l’aide d’un repérage de forme il lui 14 « Informer le monde de Quake d’où se trouve l’utilisateur est beaucoup plus complexe. Nous utili- sons une combinaison de compas numériques, d’inclinomètres, de repérage GPS et de reconnaissance de forme pour trouver exactement où nous nous situons dans le monde réel, puis en informer Quake. […] Il y a des problèmes d’alignement des deux mondes, de précision de repérage dans le monde réel et d’éclairage à résoudre. » wearables.unisa.edu.au/projects/arquake/ 15 MOHRING M., LESSIG C., BIMBER O., « Video See‐Through AR on Consumer Cell‐Phones », ISMAR ‘04 23 Proceedings of the 3rd IEEE/ACM International Symposium on Mixed and Augmented Reality. USA: IEEE Compute, 2004 16 Voir annexe 1
est alors possible de voir sur l’écran de son smartphone les sculptures virtuelles liées ou non à des sculptures physiques. Fig.4 Augmented Reality Art Invasion ! , MoMA, octobre 2010 Opérant un métissage complexe entre réel et virtuel, le groupe d’artistes Blast Theory est particulièrement actif dans l’usage des médias interactifs et des nouvelles technologies. Sous forme de jeux à l’échelle d’une ville, les œuvres Can You See Me Now ? (2001) et Uncle Roy All Around You (2004) mettent en relation des participant présents dans la ville physique avec d’autre présents dans une ville virtuelle. A la frontière avec la réalité augmentée, leurs ouvres explorent en profondeur les possibilités de la réalité mixte. 3. Réflexions sur la réalité augmentée 3.1. Pe r c e p t i o n d e l ’a u g m e n t a t i o n : l a s e n s a t i o n d e p r é s e n c e On peut voir dans les trompe-l’oeil un précédent artistique à la réalité augmentée. Cette volonté d’imiter et de modifier le réel est une tendance récurrente dans l’art. Il existe d’ailleurs plusieurs histoires de personnes ne pouvant distinguer un tableau de la réalité. Encore mieux, certaines légendes racontent que des animaux eux mêmes se sont fait prendre au piège d’une œuvre trop naturelle. Quand on regarde de plus près, 24 on s’aperçoit que les grandes périodes du trompe-l’oeil ont eu lieu à la Renaissance – période où l’on découvrait les lois mathématiques de la perspectives – et au XVIIème
siècle – période de développement des sciences de l’optique. En plus de leur lien avec le développement de la science, les trompe-l’oeil ont cette particularité de ne pas s’appliquer qu’au seul cadre académique de la peinture mais au contraire d’investir l’environnement du spectateur en trouvant leur place sur des bâtiments, murs, portes... Dans un trompe- l’oeil les notions de réalité et de virtualité deviennent floues et tout concourt à jouer avec le spectateur, l’induire en erreur, questionner sa perception du réel. De même la réalité augmentée met au défi la perception de son utilisateur. Suivant l’usage qui en est fait le soin accordé au réalisme des éléments virtuels et à leur intégration est plus ou moins grand, jusqu’à les rendre indissociables des éléments réels. Contrairement au trompe-l’oeil limité au seul sens de la vue, la réalité augmentée s’adresse à tous les sens: la vue, l’ouïe, le toucher et dans une moindre mesure, car encore peu explorés, le goût et l’odorat. Le défi proposé est alors d’autant plus grand que cette technologie dispose d’un potentiel immersif extrêmement fort: si plusieurs sens sont stimulés en même temps de façon réaliste, comment est-il possible de discerner le virtuel du réel? Par ailleurs, la réalité augmentée signifiant l’intégration du virtuel dans le réel, une télévision diffusant un dessin animé peut-elle être considérée comme de la réalité augmentée ? Bien qu’elle permette cette intégration il lui manque un élément essentiel : l’augmentation nécessite un lien fort avec le réel. Dans son ouvrage The Ultimate Display, souvent considéré comme le fondement de la réalité virtuelle, Ivan Sutherland écrit : « The ultimate display would, of course, be a room within which the computer can control the existence of matter. A chair displayed in such a room would be good enough to sit in. Handcuffs displayed in such a room would be confining, and a bullet displayed in such a room would be fatal. With appropriate programming, such a display could literally be the Wonderland into which Alice Walked. »17 25 17 « L’écran parfait serait, bien sur, une pièce dans laquelle un ordinateur contrôle l’existence de la matière. Une chaise exposée dans une telle pièce permettrait de s’y assoir. Des menottes exposées dans
Contrairement aux moyens de diffusion comme la télévision, Sutherland insiste sur le fait que l’« interface ultime » doit permettre l’immersion et l’interaction. Dans la réalité augmentée, comme dans la réalité virtuelle, il doit donc exister un lien fort entre les objets insérés et la réalité qui leur sert de support. La notion d’immersion fait appel aux stimuli générés numériquement et dénote leur capacité à nous faire ressentir le monde virtuel. Pour Frank Biocca et mark Levy, elle se définit de la façon suivante : « the degree to which a virtual environment submerges the perceptual system of the user. »18 Pour obtenir cela, Jonathan Steuer19 définit deux caractéristiques nécessaires aux systèmes hardware : −− « breadth » : le nombre de sens stimulés −− « depth » : la résolution de l’interface Ensembles, ils permettent d’obtenir l’immersion. Si la réalité augmentée ne fait pas appel à un univers entièrement synthétique, ces deux critères restent néanmoins nécessaires afin de permettre le contact avec les objets virtuels incrustés. D’autre part Steuer définit trois critères propre à permettre l’interaction : −− « speed » : la vitesse à laquelle le système peut assimiler et traiter les informations −− « range » : la quantité d’actions qu’il peut potentiellement effectuer −− « mapping » : la capacité du système à réagir de façon naturelle aux changements une telle pièce seraient entravantes , et une balle matérialisée dans une telle pièce serait mortelle. Avec une programmation adéquate, une tel écran pourrait littéralement être le Pays des Merveilles dans lequel Alice s’est aventurée. » I. E. Sutherland, « The Ultimate Display », Proceedings of IFIP’65, 1965, pp. 506–508 18 « le degré auquel un environnement virtuel submerge le système perceptif de l’utilisateur. » 26 BIOCCA F., LEVY M.R., Communication in the Age of Virtual Reality, Hillsdale, 1995 19 STEUER J., « Defining Virtual Reality : Dimensions Determining Telepresence », Journal of Communi- cation 42, 1992, pp. 73-93
qu’il perçoit En d’autres termes, il s’agit ici d’observer la façon dont l’utilisateur peut se déplacer et interagir avec les éléments insérés. Ainsi l’immersion correspond à la vraisemblance des informations sensorielles tandis que l’interaction est le lien établi entre l’utilisateur et le virtuel. La réunion des deux donne naissance à ce qui est nommé la sensation de « présence ». Bien qu’elle soit définie de différentes façons, on peut la décrire de manière simple comme « the sense of being in an environment »20, l’illusion de ne pas subir de médiation technologique21. Au contraire de l’immersion et de l’interaction qui sont fondées sur une expérience physique, la présence intègre des paramètres psychophysiques. Elle prend naissance dans la perception du spectateur et présente des composantes psychologiques et subjectives, en plus de celles objectives et physiques. Pour en donner un exemple, nous pouvons prendre une expérience réalisée par Ivan Sutherland avec son premier système de HMD22. Un volontaire fut atteint d’une crise de panique alors que le HMD lui diffusait les images d’un précipice. Pourtant au cœur du laboratoire, cette personne était persuadé d’être sur le point de tomber et ne put se calmer qu’une fois le dispositif retiré. Bien que cette expérience n’ai pas une dimension immersive et interactive aussi importante qu’avec les systèmes actuels, la sensation de présence, violente, qu’a éprouvé cette personne témoigne de sa dimension psychologique et démontre le potentiel d’une telle technologie. 20 « La sensation d’être présent dans un environnement » GIBSON J., The Ecological Approach to Visual Perception, Houghton Mifflin, Boston, 1979 27 21 Pour plus de précision concernant la notion de présence : WAGNER I., « On the rôle of Presence in Mixed Reality », Presence, vol.18, n°4, 2009, pp. 249-276 22 GRAU O., Virtual Art From Illusion to Immersion, MIT Press, 2003, p.163
3.2. Pr a t i q u e r l a r é a l i t é a u g m e n t é e m o b i l e Dans un premier temps après l’apparition de la réalité augmentée la majorité des systèmes développés ont concerné des applications en intérieur. De tels environnements sont aisément contrôlables et soumis à peu de contraintes – variation d’intensité lumineuse par exemple. Les avancées effectuées récemment en matière d’informatique mobile – principalement les smartphones et tablettes – rendent possible le développement de programmes plus complexes permettant d’employer la réalité augmenté en extérieur. La mise en œuvre de tels systèmes présente plusieurs enjeux23 : −− La mobilité de l’utilisateur dans un environnement non restreint et non préparé rend sa localisation difficile24 −− La quantité d’informations auxquelles il est nécessaire d’accéder, en temps réel, implique une gestion optimisée des ressources de traitement, de stockage et de communication −− La prise en charge de l’interaction avec les objets virtuels est à penser suivant les fonctionnalités des différents hardwares utilisés Ainsi il est nécessaire d’explorer la synergie entre réalité augmentée et informatique mobile afin de mettre au point des architectures – matérielles et logicielles – adaptées aux environnements extérieurs. L’une des difficultés d’un environnement non préparé est l’insertion géographique des objets virtuels. Comme nous l’avons vu avec ARQuake, un modèle informatique de l’espace où se déroule l’expérience est nécessaire afin d’y faire évoluer les personnages. Ce modèle est garant de la crédibilité de l’augmentation : en effet, un monstre traversant un 23 ZENBJEBIL I. M., ABABSA F., DIDIER J.-Y., VAIRION J., FRAUCIEL L., HACHET M., GUITTON P., DELMONT 28 R., « Réalité Augmentée en Extérieur : Enjeux et Etat de l’Art », 10th ACM/IEEE Virtual Reality International Conference, Laval, 2008 24 Nous reviendrons sur les problèmes de géolocalisation dans les parties 2.3. et 2.4.
mur serait une aberration et décrédibiliserait ARQuake. De tels gabarits sont fréquents afin de tirer le meilleur parti des éléments virtuels. En plus d’améliorer l’insertion, ils permettent de rendre la géolocalisation du participant plus précise en définissant des zones où sa présence est impossible – bâtiments par exemple. En contrepartie l’expérience est alors limitée à un lieu précis et balisé. Antonin Fourneau n’a pas souhaité que son projet Oterp25, jeu musical en réalité augmentée, subisse de contrainte de lieu. Pour cela, le jeu est scénarisé de façon à ce que de tels modèles ne soient pas nécessaires ; le joueur peut acquérir des pouvoirs lui permettant d’attraper à distances les objets, résolvant le problème de ceux inaccessibles physiquement. Une autre solution consiste en l’emploi de marqueurs disséminés dans la scène réelle. Cela peut permettre de renseigner le système sur la position de l’utilisateur dans les cas où la localisation par GPS est inexploitable et celle issues de réseaux GSM ou WIFI trop peu précise26. C’est notamment l’application qui en est faite en muséologie où la présence d’une balise, fréquemment un QR Code – code barre à deux dimensions – permet d’accéder au contenu d’un audioguide. L’utilisation de balises s’est largement répandue suite au succès de la bibliothèque ARToollKit. Celle-ci propose des marqueurs carrés aux bords noirs sur fond blanc à l’intérieur desquels un pattern permet de les identifier. 4. L’Audition augmentée 4.1. D i f fé r e n t e s o e u v r e s Comme nous l’avons vu la réalité augmentée s’est principalement développée autour de son aspect visuel, les différents systèmes ayant permis l’utilisation des sons comme sujets augmentables mais toujours en lien avec une image. Il existe malgré tout des exemples de réalité augmentée uniquement sonore. 29 25 Voir chapitre 3.2.2. 26 Voir chapitre 2.3.3
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