L'Ukraine existe-t-elle ? L'histoire au secours de l'actualité - Union des Français de l'Étranger - 17 mars 2022
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Union des Français de l’Étranger - 17 mars 2022 L’Ukraine existe-t-elle ? L’histoire au secours de l’actualité Franck Michelin Université Teikyô, Département d’Économie internationale 1 © Franck Michelin 2022
J’aimerais remercier M. Pierre Mustière et tous les membres de l’Union des Français de l’Étranger pour m’avoir donné cette occasion de donner cette conférence. Je tiens également à remercier l’Académie des Sciences d’Outre-Mer, les Amies de la Langue française, et toutes les personnes qui se sont inscrites et ont fait connaître cette conférence. 2 © Franck Michelin 2022
Pourquoi cette conférence C’est en tant qu’historien généraliste que je tente aujourd’hui une synthèse sur la question de l’histoire de l’Ukraine en relation avec l’invasion russe actuelle. Il est essentiel de réfléchir aux deux principaux arguments avancés par la propagande russe : l’Ukraine n’existe pas en tant que nation distincte de la Russie les Ukrainiens, et surtout leur dirigeants, sont des nazis. 3 © Franck Michelin 2022
Objet ou sujet ? Une grande partir de ces erreurs sont en fait de l’intox produite par la Russie elle-même. Mais elles proviennent également de préjugés nourris par les grandes puissances : comme pour la plupart des pays n’appartenant pas au club des grandes puissances, l’Ukraine a été — et reste pour une large part — vue comme un enjeu d’intérêts. 4 © Franck Michelin 2022
Le discours poutinien et l’histoire Le contrôle de l’histoire constitue un moyen mis en œuvre par Vladimir Poutine pour justifier sa politique. Homme de l’ex-KGB, son plus grand regret est la disparition de l’URSS, pas en tant qu’état socialiste, mais en tant qu’empire. Poutine glorifie les tsars et, surtout, le plus terrible d’entre eux : Staline ! L’interdiction de l’association Memorial est la conséquence de la glorification de Staline. 5 © Franck Michelin 2022
Un projet impérial Le projet impérial de Poutine ne fait guère de doute. Il vise : le rétablissement des zones d’influence russes/ soviétiques. un anschluss à la russe, visant à réunir tous les russophones dans un état russe : Ukraine, Biélorussie, une partie des états baltes, du Kazakhstan etc. peut-être la reconstitution de l’URSS 6 © Franck Michelin 2022
« La nation ukrainienne n’existe pas » La raison principale avancée par Poutine pour tâcher de satelliser, voire d’annexer l’Ukraine est qu’il ne croit pas à l’existence d’une nation ukrainienne distincte. C’est la raison principale des déconvenues russes : Poutine et les Russes soumis à sa propagande croyaient que les Ukrainiens russophones les auraient accueillis les bras ouverts et les autres se seraient soumis sans grande difficulté. Cependant, la résistance est forte, y-compris dans les régions majoritairement russophones. 7 © Franck Michelin 2022
« Les Ukrainiens sont des nazis » Un argument répété sans relâche : les dirigeants ukrainiens, voire le peuple ukrainien, serait nazi ou dominé par les nazis. Cela s’appuie sur la mémoire de la « grande guerre patriotique », car des Ukrainiens ont collaboré avec les nazis pendant la Seconde Guerre mondiale, notamment au sein d’unités de supplétifs (Hiwis). Or, ces collaborateurs n’étaient pas uniquement ukrainiens et beaucoup d’entre eux étaient motivés par les massacres commis par Staline. 9 © Franck Michelin 2022
Une contradiction totale et banale Pour Poutine et son conseiller Vladimir Medinsky, l’Ukraine : n’existe pas en tant que nation et État tout en ayant un projet génocidaire à l’encontre des Russes. 10 © Franck Michelin 2022
Vieille nation, jeune État L’Ukraine n’a pas eu d’État, hormis une courte période au moment de la révolution de 1917, jusqu’en 1991. L’Ukraine fait partie des vieilles nations qui n’ont pas eu d’État pendant longtemps ou par intermittence (Pologne, Italie, Allemagne,Norvège, états baltes et d’Asie centrale, Biélorussie, Finlande, Slovénie et Croatie, Irlande, Algérie…) ou n’en ont toujours pas à ce jour (Kurdistan, peuples touaregs, minorités birmanes etc.). 11 © Franck Michelin 2022
Une longue histoire À la différence de la Russie, l’Ukraine est entrée très top dans la sphère d’influence des grandes civilisations. La longue histoire longue et riche est malheureusement occultée par l’absence d’état indépendant du XIII au XX s. e e 12 © Franck Michelin 2022
Un peu de géographie L’Ukraine peut être grossièrement divisée entre : la côte de la mer noire, en relation étroite depuis l’Antiquité avec les cités grecques : c’est de là que vient la civilisation méditerranéenne (écriture, christianisme, réseaux commerciaux…) l’intérieur qui est avant tout le monde de la steppe, avant de devenir plus tard celui des terres à blé les rives des fleuves, et notamment du Dniepr où les Varègues sont passés et ont fondé le premier état ukrainien. 13 © Franck Michelin 2022
Carte topographique de l’Ukraine 14 © Franck Michelin 2022
La steppe Une grande partie de l’Ukraine appartient à la steppe, et relie ainsi la Mongolie, l’Asie centrale et la Hongrie. Cela lui a donné un rôle de voie de passage pour les peuples nomades en direction de l’Europe. 15 © Franck Michelin 2022
La steppe 16 © Franck Michelin 2022
Le pays du cheval L’importance des étendues herbeuses en fait l’environnement idéal du cheval. On a longtemps pensé qu’il avait été domestiqué en Ukraine, mais certaines découvertes archéologiques récentes situerait cette domestication plus à l’est, au Kazakhstan. Pendant longtemps, l’Ukraine a été le domaine de peuples nomades ou semi-nomades, par définition difficiles à contrôler. 17 © Franck Michelin 2022
Une frange et une route Ainsi, l’Ukraine a constitué une frange du monde « civilisé » et une route pour les migrations- invasions en direction du Moyen-Orient et de l’Europe. L’Ukraine a vu des peuples et des royaumes se former et disparaître sans que l’on ait d’information précise sur eux en raison du manque de sources écrites. 18 © Franck Michelin 2022
Les Scythes Le peuple qui historiquement a été associé le plus tôt au territoire de l’actuelle Ukraine est celui des Scythes. Ils sont mieux connus aujourd’hui grâce à l’archéologie, mais ils n’ont été connus pendant longtemps que grâce aux récits biaisés de leurs voisins perses, grecques etc. Les Scythes et d’autres peuples, connus à l’origine grâce à Hérodote, font partie de l’imaginaire de l’heroic fantasy : Conan le Barbare est un Cimmérien, le méchant dans le film Highlander porte le nom de Kurgan (nom des tumulii du sud de l’Ukraine). 19 © Franck Michelin 2022
Cimmériens et Scythes 20 © Franck Michelin 2022
Le pays du blé La Mer Noire est le Pont-Euxin de l’Antiquité. Les Grecs y viennent pour s’y ravitailler en blé. Les comptoirs de la Mer Noire tiennent une place importante dans le réseau commercial grec, ce qui explique la présence d’importantes communautés grecques sur le littoral ukrainien jusqu’au XX s. e Les terres noires de l’Ukraine restent aujourd’hui une des principales régions exportatrices de céréales. 21 © Franck Michelin 2022
La diaspora grecque dans l’Antiquité 22 © Franck Michelin 2022
Les grandes invasions La steppe est une zone de turbulence qui amène plusieurs peuples à menacer les frontières romaines ou à pousser d’autres peuples devant eux : Alains, Sarmates, Goths, Huns… Ces vagues de peuples continuent jusqu’au Moyen- Âge : Avars, Khasars, Bulgars, Petchénègues, Coumans, Magyars… 23 © Franck Michelin 2022
Les grandes invasions (IV-V s) e 24 © Franck Michelin 2022
Une matrice Au début du Moyen-Âge se forme peu à peu un État par la rencontre de plusieurs peuples venant de deux contrées : les Khazars du sud-est, peuple nomade les Scandinaves, « Varègues » venus de l’actuelle Suède. Un chef varègue semi-légendaire du nom de Riourik fonde le 1er État autour de Novgorod, au nord de l’actuelle Saint-Pétersbourg. 25 © Franck Michelin 2022
La Rus de Kiev La Rus de Kiev voit le jour vers 880, se développe peu à peu en soumettant et unifiant un certains nombre de peuples slaves et finnois. Sous Oleg, l’État est assez fort pour menacer Constantinople. La conversion au christianisme fait entrer l’État dans le monde chrétien byzantin : l’Ukraine future sera orthodoxe et utilisera l’alphabet cyrillique. Plus ancien État russe, il est à l’origine de la civilisation russe. 26 © Franck Michelin 2022
La Russe de Kiev en 1054 27 © Franck Michelin 2022
Anne de Kiev Plus grand État d’Europe au XIs, la Rus donne à la e France une reine, Anne, épouse du roi capétien Henri I en 1051. er Fille du prince Iaroslav de Kiev et d’Ingigerd de Suède, elle donne naissance au futur roi Philippe Ier. C’est elle qui fait entrer le nom Philippe à la cour de France, car elle était réputée descendante de Philippe de Macédoine. 28 © Franck Michelin 2022
Déclin L’État kiévien se désagrège, se divise en de nombreuses principautés. La prise de Constantinople par les croisés en 1204 aurait accéléré ce déclin en coupant les routes commerciales. La principauté de Moscou ne naît qu’en 1276. 29 © Franck Michelin 2022
L’invasion mongole Les invasions mongoles accélèrent ce déclin, car Kiev est sur leur route. Centre du 1 er État russe, la région de Kiev subit un déclin certain, alors que les rives de la Mer Noire, liées au commerce méditerranéen, maintiennent leur prospérité, mais sous tutelle mongole. 30 © Franck Michelin 2022
Les invasions mongoles et la Rus de Kiev 31 © Franck Michelin 2022
Peste et Pax Mongolica La Mer Noire, voie importante du commerce reliant l’Europe du nord au Levant et à la Méditerranée devient l’un des principaux piliers de la puissance commerciale de Gênes. C’est par là que la peste, probablement d’abord active en Chine, est transmise à l’Europe. 32 © Franck Michelin 2022
La puissance commerciale 33 génoise (XIII-XVII e s) © Franck Michelin 2022
Moscou et les Mongols Alors que le sud du monde russe périclite et est soumis aux Mongols, et notamment à la horde d’Or et ses héritiers que l’on nommera sous le nom de « Tatars », Moscou, qui a l’intelligence d’accepter leur domination, étend peu à peu sa puissance. Les descendants d’Alexandre Nevski en fait une principauté indépendante, protégée des cavaliers mongols par la forêt et sur les routes commerciales. Le côté autoritaire, voire tyrannique, de la plupart des régimes russes est à relier à l’héritage mongol, dont la Moscovie est en partie l’héritière. 34 © Franck Michelin 2022
La Moscovie Moscou qui a « collaboré » avec les Mongols pour soumettre sa rivale, Tver, prend en suite la tête de la très longue lutte qui opposent Russes et Mongols/Tatars. L’ascension de Moscou s’appuie également sur la légitimité byzantine : Ivan III revendique pour Moscou le rang de « 3e Rome » par son mariage avec Zoé Paléologue, nièce du dernier empereur byzantin. En 1547, Ivan IV « le terrible » prend pour la 1e fois le titre de tsar (césar). Moscou devient officiellement l’empire de Russie en 1721 : naît alors la volonté hégémonique sur tous les peuples russes ou supposés tels. 35 © Franck Michelin 2022
Moscovie de 1300 à 1598 (Larousse) 36 © Franck Michelin 2022
Au carrefour des empires L’Ukraine, victime de sa position stratégique au carrefour des empires : Empire ottoman, Lituanie, Pologne, Autriche, Suède, Russie. Elle est notamment l’objet d’une rivalité aux XVI-XVII e y s entre le royaume de Pologne-Lituanie et la Russie. Elle est alors coupée en 2 entre la côte — le khanat de Crimée, vassal des Ottomans — et l’intérieur polono- lituanien. 37 © Franck Michelin 2022
Le royaume de Pologne- Lituanie à la fin du XVIIe s 38 © Franck Michelin 2022
Les Zaporogues Face aux Tatars de Crimée, la Pologne recrute des supplétifs, les cosaques Zaporogues. Afin de s’adapter au terrain de la steppe et de lutter contre les cavaliers tatars, les cosaques adoptent les techniques de ces derniers. 39 © Franck Michelin 2022
Aux origines d’une conscience nationale Ils jouent un rôle de résistance et constituent l’embryon d’une conscience nationale ukrainienne à partir du XVII e s. Leur assemblée, la rada, est à l’origine du nom que porte le parlement ukrainien aujourd’hui. Encore aujourd’hui, la mémoire cosaque joue un rôle fondamentale dans la conscience historique ukrainienne, notamment avec son importance accordée à la liberté. 40 © Franck Michelin 2022
Les cosaques Zaporogues écrivant une lettre au sultan de Turquie (Répine, 1891) 41 © Franck Michelin 2022
De Carybde en Scylla Face à la pression polonaise, l’hetman Bogdan Khmelnitski demande l’aide de la Russie. Sa révolte voit les 1 ers massacres de Juifs de la région. Par le traité de Pereïaslav, en 1654, la Russie place la plus grande partie de l’Ukraine sous sa domination. Par la suite, les Zaporogues se révolteront sans succès. 42 © Franck Michelin 2022
Les partages de la Pologne Un autre tournant majeur est constitué par les 3 partages de la Pologne, de 1772 à 1795, qui voient : la plus grande partie de l’Ukraine polonaise annexée par la Russie une petite partie par l’empire d’Autriche (la région de Lviv) : cette partie a toujours été la plus rétive à la domination russe, car soumise à une régime plus libéral sous l’autorité des Habsbourg. 43 © Franck Michelin 2022
Les partages de la Pologne (1772-1795) 44 © Franck Michelin 2022
Une marge La plus grande partie de l’Ukraine est alors russe. Devenue l’une des grandes puissances, l’Ukraine n’est plus qu’une marge, certes importante d’un point de vue culturel, historique et agricole, de l’empire. Le nom « Ukraine » signifie d’ailleurs « marge », « pays frontalier ». 45 © Franck Michelin 2022
Naissance d’une conscience nationale Un début de conscience nationale ukrainienne (ou « petite russe ») se développe dans le courant du XIX s, comme dans la plupart des nations d’Europe e non indépendantes. Alors que la plupart des locuteurs ukrainiens sont des paysans, une valorisation de la langue, de la culture et de l’histoire ukrainiennes voit le jour. 46 © Franck Michelin 2022
Gogol et Chevtchenko Les deux principaux écrivains « nationaux ukrainiens » en sont des vecteurs et des symboles : Taras Chevtchenko de langue ukrainienne Nicolas Gogol, d’expression russe mais qui met en avant l’héritage historique ukrainien des cosaques Zaporogues, notamment à travers Taras Boulba. 47 © Franck Michelin 2022
Slavophilie et panslavisme En Russie, l’empire reste partagé entre deux tendances : une occidentaliste et une autre « slavophile ». La slavophilie mute en pan-slavisme à mesure que les contestations intérieures et les tensions extérieures alimentent un nationalisme instrumentalisé par le pouvoir visant à placer tous les Slaves sous la tutelle russe. 48 © Franck Michelin 2022
La russification forcée Les Ukrainiens sont la cible d’une politique de russification culturelle, notamment par l’interdiction de la publication d’ouvrages en ukrainien en 1863, en raison : de la volonté d’unifier le monde russe sous la houlette du tsar des soupçons de séparatisme nés des révoltes polonaises : l’Ukraine, proche de l’Europe occidentale, est suspecte de trahison, d’être le vecteur du séparatisme et de la division. 49 © Franck Michelin 2022
Le monde ashkénaze Chassés d’Europe occidentale à partir du XIVe s, les Juifs migrent à travers l’Europe en direction d’une zone géographique qui, au début du XXe s, va des pays baltes au sud de l’Ukraine et englobe la Pologne, l’est de l’empire austro- hongrois etc. Une autre thèse, minoritaire, de leur origine serait la conversion du peuple turc khazar au judaïsme (cf. Shlomo Sand) ou bien d’un mélange. Naît alors une culture originale fondée sur le rabinisme et la langue yiddish. 50 © Franck Michelin 2022
51 © Franck Michelin 2022
Les discriminations dans l’empire russe Avec la conquête de l’Ukraine et de la Pologne, la Russie hérite d’une grande population juive qui est discriminée et interdite de séjour en Russie proprement-dite. Ce sont ces discriminations religieuses à l’origine qui amènent de nombreux Juifs à rejoindre des mouvements révolutionnaires. 52 © Franck Michelin 2022
Le temps des pogroms Le semi-échec des réformes du tsar Alexandre II et son assassinat en 1881 poussent son fils, Alexandre III, dans une politique de persécution sous la forme de « pogroms » : des « incidents » supposés spontanés visant les Juifs sont montés par la police politique (l’okhrana). Plusieurs vagues de pogroms font des milliers de victimes, en particulier en Ukraine : environ 60 000 morts plus de 600 000 Juifs émigrent, notamment aux États-Unis, mais également en France où ils sont mal accueillis. 53 © Franck Michelin 2022
« Terres de sang » Entre 1881, et surtout entre la période qui sépare la Première Guerre mondiale et l’après Seconde-Guerre mondiale, la région de l’est de l’Europe qui va des pays baltes à l’Ukraine en passant par la Biélorussie, la Pologne, la Roumanie connaît une succession de violences successives et sans aucun équivalent dans l’histoire : pogroms avant et pendant la révolution russe 1e Guerre mondiale révolution russe et guerre civile dékoulakisation et purges staliniennes shoah reconquête soviétique et nouvelles purges… 54 © Franck Michelin 2022
Timothy Snyder, Terres de sang 55 © Franck Michelin 2022
Une Ukraine tiraillée La fin de l’empire russe voir une Ukraine tiraillée : sa partie ouest est annexée par la Pologne à la suite de la guerre polono-soviétique les armées blanches y combattent les rouges en commettant des pogroms les Allemands cherchent à détacher l’Ukraine rouges et anarchistes combattent le mouvement nationaliste ukrainien guidé par Simon Petlioura. 56 © Franck Michelin 2022
L’Ukraine partagée De 1919 à 1921, la Pologne et l’URSS s’affrontent. La raison est que la Pologne refuse les limites de la « ligne Curzon » de la SDN qui prennent pour critère les limites linguistiques, car elle désire revenir aux frontière de la « Grande Pologne » d’avant les partages. La Pologne obtient la partie occidentale de la Biélorussie et de l’Ukraine. Au sein de l’URSS, l’Ukraine bénéficier pour la 1e fois d’une certaine autonomie administrative et culturelle. 57 © Franck Michelin 2022
La Pologne de 1922 à 1938 58 © Franck Michelin 2022
La dékoulakisation Le grand tournant pour l’Ukraine est celui de la collectivisation imposée par Staline aux paysans. Pays de petits propriétaires, grenier à blé de l’Europe grâce à ses fameuses « terres noires », l’Ukraine voit ses paysans résister farouchement à la collectivisation. Celle-ci, qui tourne à l’élimination des « koulaks » à partir de 1929, c’est à dire des petits propriétaires. Environ 2 millions sont déportés vers l’est, 600 000 au moins disparaissent. 59 © Franck Michelin 2022
Holodomor La principale conséquence est une famine provoquée sciemment par Staline de 1932 à 1933 qui voit la mort de peut-être 5 millions de paysans, dont une majorité d’Ukrainiens. Ce crime de masse par la faim constitue un pilier de la conscience nationale ukrainienne. Le créateur du concept de génocide, le juriste Raphael Lemkin, a qualifié l’holodomor de génocide. 60 © Franck Michelin 2022
L’enfer stalinien À la dékoulakisation, à la famine orchestrée par le pouvoir et aux purges particulièrement sanglantes s’ajoutent l’intégration de la totalité de l’Ukraine à l’URSS. Avec l’invasion soviétique de la Pologne en 1939, la partie occidentale de l’Ukraine autour de la ville de Lviv/Lvov/ Lvov/Lemberg qui n’avait jamais appartenu à la Russie. La terreur stalinienne est tellement féroce à l’encontre des Ukrainiens qu’on en est arrivé à se demander s’il n’y avait pas un racisme particulier de Staline à leur encontre. 61 © Franck Michelin 2022
Barbarossa Le 22 juin 1941 commence l’opération Barbarossa : l’Allemagne envahit l’URSS. L’Ukraine devient l’un des principaux champs de bataille de la Seconde Guerre mondiale. Outre les combats, elle tient une place particulière pour 2 raisons : le nombre particulièrement important des Juifs le ralliement de certains Ukrainiens aux Allemands par anti-soviétisme. 62 © Franck Michelin 2022
La shoah par balles L’Ukraine, aux côtés de la Biélorussie, est le théâtre par excellence de la « shoah par balles », l’élimination de millions de Juifs par les einsatzgruppen : des unités spéciales chargées de « nettoyer » l’arrière des lignes allemandes. 2 faits importants : une partie de ces massacres sont commis par des supplétifs, souvent ukrainiens les 2 plus grands massacres « par balles » de Juifs et de Tziganes ont lieu en Ukraine : Babi Yar (près de Kiev) et Odessa. 63 © Franck Michelin 2022
Des collaborateurs ? Les souffrances causées par les Soviétiques jouent un rôle dans l’accueil par certains ukrainiens des armées allemandes. Les Allemands recrutent des Ukrainiens pour : faire le sale boulot : ils confient souvent chasse aux Juifs et aux résistants, la garde des camps de concentration à des des supplétifs (Hiwis) pour former de véritables unités combattantes. 64 © Franck Michelin 2022
L’Ukraine unifiée sous le giron soviétique La victoire soviétique voit de nouveau l’intégration totale de l’Ukraine à l’URSS : pour cela, la Pologne est déplacée vers l’ouest aux dépens de l’Allemagne. En 1954, Khroutchev donne la Crimée à l’Ukraine : c’est un symbole à l’occasion du 100 anniversaire de e la bataille de Sébastopol et parce que la Crimée a besoin de l’Ukraine pour son approvisionnement, notamment en électricité. 65 © Franck Michelin 2022
Atome et indépendance L’Ukraine joue un rôle involontaire dans la chute de l’URSS en raison de la catastrophe nucléaire de Tchernobyl, en 1986. En 1991, l’Ukraine devient indépendante à la chute de l’URSS. Se pose le problème des armes nucléaires qu’elle possède en abondance. 66 © Franck Michelin 2022
OTAN et armes nucléaires Deux problèmes se posent à la Russie : le risque de voir l’Ukraine rejoindre le camp occidental, et notamment l’OTAN le statut des armes nucléaires basées en Ukraine. Concernant l’OTAN, des promesses verbales auraient été faites d’une non-extension aux frontières soviétiques, mais c’était avant la chute de l’URSS et l’indépendance des républiques. À Budapest, en 1994, l’Ukraine accepte de céder ses armes nucléaires en échange d’une promesse de protection en cas d’agression russe. 67 © Franck Michelin 2022
UE, OTAN, irrédentisme Comme les chercheurs sur la shoah ont pu le constater, la mémoire de la Seconde Guerre mondiale et l’identité séparent l’ouest ukrainophone — dont une partie appartenait à la Pologne et à l’Autriche —, et l’est russophone rattaché plus fortement à la Russie. La question d’une adhésion à l’UE, voire à l’OTAN, a divisé le pays et fait monter les pressions russes qui craint peut-être pour sa sécurité militaire, mais surtout politique : peur du modèle européen démocratique. 68 © Franck Michelin 2022
Euro-Maïdan En 2014, un mouvement populaire à Kiev provoque la chute du président pro-russe Ianoukovitch, qui avait décidé de renoncer à l’adhésion à l’UE. Le mouvement est avant tout populaire, pacifique et démocratique, mais la présence d’extrémistes de droite est utilisée par la Russie pour réveiller en Russie le spectre d’une Ukraine nazie. Poutine peut compter sur la russophilie de certaines populations à l’est (Dombass) et au sud (Crimée). 69 © Franck Michelin 2022
La Crimée Entre le 20 février et le 28 mars 2014, la Russie provoque la séparation de la Crimée de l’Ukraine et son rattachement à la Russie : par l’intervention de soldats russes sans signes distinctifs (les « petits hommes verts ») en lançant un référendum sous fond d’occupation militaire. C’est la première annexion forcée depuis 1945 et le début de sanctions économiques sévères contre la Russie. 70 © Franck Michelin 2022
La Crimée est-elle russe ? L’argument avancé par Poutine est l’histoire : donnée par Khroutchev à l’Ukraine, la Crimée serait russe. Or, il oublie de dire qu’elle est majoritairement peuplée aujourd’hui de russophones parce que : elle a été prise aux Ottomans en 1792 elle a été vidée de ses habitants tatars par Staline pendant la Seconde Guerre mondiale. Les Tatars, dont seule une partie est revenue en Crimée à la suite de la chute de l’URSS, s’opposent à l’annexion, mais ils sont devenus minoritaires dans leur propre pays. 71 © Franck Michelin 2022
Une ballade militaire qui tourne mal L’invasion russe de l’Ukraine aurait dû être une ballade militaire car : l’Ukraine n’existant pas, les Ukrainiens ne sauraient résister à leur grande sœur russe le pouvoir russe croyait que les russophones les accueilleraient à bras ouverts, or ils résistent comme les autres. Bref, c’est dans la guerre que les Ukrainiens prouvent leur existence en tant que nation, ainsi que leur préférence pour la vie en démocratique. 72 © Franck Michelin 2022
L’Ukraine existe-t-elle ? L’Ukraine existe parce que les Ukrainiens croient en leur existence en tant que nation distincte de la Russie. La conception de Poutine de la nation est celle de Bismarck : tous les peuples russophone seraient russes et devraient être réunis au sein d’un même État. Or, les Alsaciens parlaient un dialecte allemand mais se sentaient profondément français en 1870. 73 © Franck Michelin 2022
Les Ukrainiens sont-ils des nazis ? La seconde question est celle d’un État ukrainien dominé par des nazis. Il est certain que ces gens existent, mais il en est de même presque partout dans le monde. N’étant même plus représentés à la Rada, ils sont moins influents que l’extrême-droite en France. 74 © Franck Michelin 2022
L’histoire est une arme de destruction massive Depuis l’Antiquité, l’histoire a toujours joué un rôle de légitimation des États et de leurs politiques. Au XIX es, les historiens russes insistent sur la continuité entre la Rus de Kiev et l’empire russe, tout en niant les particularismes locaux. Les historiens ukrainiens qui vivent dans la partie austro-hongroise voient les choses différemment. 75 © Franck Michelin 2022
Poutine et l’histoire Poutine lui accorde une importance primordiale : il exerce une pression directe sur l’enseignement et la recherche, utilise l’histoire pour en faire une arme projetant des arguments irréfutables comme autant de missiles. Ainsi, les bolchéviques auraient créé l’Ukraine, Staline et les Russes auraient sauvé le monde des nazis, les nazis ukrainiens menaceraient l’existence de la Russie, justifiant ainsi une guerre d’auto-défense ! 76 © Franck Michelin 2022
Et l’avenir ? Il est impossible à prévoir, comme le montrent 2 faits qui nous surprennent : Poutine a pris le risque d’une invasion de grande envergure l’Ukraine résiste depuis plusieurs semaines et ce dans l’ensemble du pays, prouvant son existence en tant que nation Une chose est sûre : l’Europe et le monde ne seront plus jamais les mêmes, quelle que soit l’issue du conflit. Outre l’Ukraine, c’est l’UE qui prend conscience d’elle-même et du monde, ses pays membres comprennent enfin que leur destin est lié. 77 © Franck Michelin 2022
Pour en savoir plus Le cours de l’histoire sur France Culture : 4 émissions sur l’histoire de l’Ukraine : https:// www.franceculture.fr/emissions/le-cours-de-l- histoire/l-histoire-ukrainienne-vue-du-kremlin On peut conseiller les ouvrages d’Hélène Carrère d’Encausse, mais son statut de spécialiste médiatique l’amène souvent sur une pente dangereuses pour tout historien : la prévision… 78 © Franck Michelin 2022
D’autres auteurs La plupart des travaux en français portent sur la Russie et incidemment sur l’Ukraine. Des historiens à suivre : Pierre Gonneau sur la Rus de Kiev Sophie Cœuré, Thomas Chopard sur l’Ukraine et l’URSS sur les questions contemporaines, les ouvrages d’Alexandra Goujon, Anne de Tinguy 79 © Franck Michelin 2022
Le cinéma Films et séries : Le Cuirassé Potemkine de Sergueï Eisenstein (1925) Taras Bulba de J. Lee Thompson (1962) pour le divertissement Vent d’Est de Robert Enrico (1993) sur l’armée du général blanc Boris Smyslovski qui a fui au Liechtenstein en 1945 la série Tchernobyl (2019). 80 © Franck Michelin 2022
Je vous remercie de votre attention Vous pouvez me suivre : sur mon site : franckmichelin.com sur Facebook : franck.michelin.9 sur Twitter : @michelinfranck 81 © Franck Michelin 2022
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