Le Dictionnaire critique de la Méditerranée - Dictionnaire critique en sciences humaines et sociales

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Le Dictionnaire critique de la Méditerranée

 Dictionnaire critique en sciences humaines et sociales

              Note à l’intention des éditeurs

                         Juin 2009
Document de présentation de DicoMed – juin 2009

                                           Présentation

  Il s’agit, à travers ce projet de Dictionnaire de la Méditerranée, de donner forme au
domaine des études méditerranéennes.
   A partir d’une approche trans-nationale et trans-disciplinaire, rendue possible par le réseau
Ramses², l’objectif est de publier un ouvrage de référence, en trois ou cinq langues, à
l’horizon 2010.
   Ce Dictionnaire de la Méditerranée sera un dictionnaire critique, en sciences humaines et
sociales. Il n’a pas une visée encyclopédique et ne présentera donc aucun caractère exhaustif.
Dictionnaire raisonné et critique, le Dictionnaire de la Méditerranée a vocation à être un outil
de travail : d’abord pour les étudiants et les chercheurs, également pour les acteurs et les
décideurs, qui interviennent dans le monde méditerranéen et qui ont besoin de références et de
repères, enfin pour l’ensemble des lecteurs curieux et du grand public pour qui la
Méditerranée est un monde à la fois étrange et familier, qui reste en tout cas une question
ouverte.
   Appuyé sur l’ensemble des travaux de recherche produits par le réseau Ramses² et adossé
aux institutions scientifiques qui composent ce réseau d’excellence, le Dictionnaire de la
Méditerranée sera une œuvre collective. Mais comme toute œuvre collective, cela repose pour
commencer sur un noyau éditorial : Thierry Fabre et Mohamed Tozy assurent la direction
scientifique du Dictionnaire. Ils sont assistés de Marie-Laure Boursin, qui assure le secrétariat
éditorial, et d’Abdelmajid Arrif, qui fait le lien entre le projet de Dictionnaire de la
Méditerranée (ou Dico-Med) avec la Bibliothèque de la Méditerranée (ou Bib-Med). Il est en
effet apparu indispensable de bien articuler la réflexion et la construction des savoirs sur la
Méditerranée avec un vaste travail documentaire et d’identification des sources.
   Ce noyau éditorial sera lui-même enrichi par les travaux et les avis d’un Comité éditorial,
composé principalement de chercheurs issus du réseau Ramses² et de personnalités
scientifiques extérieures. Il s’appuiera également sur la contribution du pôle éditorial du
réseau.
   Le dispositif ainsi mis en place est à la fois simple, clair et opérationnel.
   Sur un plan pratique, relatif à la fabrication de Dico Med, une charte éditoriale sera
clairement établie de façon à bien préciser les formats, les délais et les angles des textes
demandés aux auteurs.
   Sur un plan intellectuel, l’objectif de ce Dictionnaire est de réunir les éléments pour établir,
instituer et dessiner un « plan de consistance » (selon l’expression de Gilles Deleuze)
des études méditerranéennes.
   Comment y parvenir ? Comment approcher cet objet incertain, fugitif et volontiers
insaisissable nommé « Méditerranée » ?
    De nombreux travaux ont été réalisés à ce sujet, dans différentes disciplines. Il s’agit de
tirer parti de ces acquis, mais sans en être prisonniers car l’idée est bien de faire œuvre
nouvelle. La méthode d’élaboration du Dictionnaire est en elle-même originale dans la mesure
où elle permet, à partir du réseau Ramses², de conjuguer de nombreux champs disciplinaires,
des échelles de temps et d’espace, des sensibilités, des regards et des langues différentes. Une
approche polycentrique, ou pour le dire avec les mots du poète Kateb Yacine, de « polygone
étoilé », devrait nous permettre de composer un dictionnaire écrit à partir de plusieurs facettes
et de plusieurs prismes, dont la résultante fait sens et œuvre commune.

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Document de présentation de DicoMed – juin 2009

   Il s’agit donc, à travers ce projet éditorial de composer un ensemble qui soit polyphonique
ou polychrome et non cacophonique ou monochrome! Cela suppose avant toute chose un sens
de l’écoute et une mise en cohérence des différentes contributions demandées aux auteurs du
Dictionnaire.
   Cette méthode d’élaboration du Dictionnaire devrait permettre, sur le plan intellectuel, de
n’être ni généraliste ou globaliste, ni idiosyncratique ou localiste. Elle répond à un sens de
l’ouvert, à une traversée des langues et des systèmes de pensée qui s’inscrit dans ce que
Barbara Cassin a appelé les « intraduisibles », c'est-à-dire ce que l’on ne cesse pas de traduire,
de remettre sur le métier, de tenter de penser en commun. Peut-être y a-t-il là quelque chose
qui répond au désir et à l’ambition de ce Dictionnaire : contribuer au domaine des études
méditerranéennes et ainsi apporter une petite pierre à la construction de la Méditerranée
comme monde de significations communes.
   L’objet Méditerranée résulte d’une construction intellectuelle, il n’est pas l’expression
d’une évidence ou la simple désignation d’un territoire. Pour saisir cet objet encore incertain
dans un Dictionnaire, un abécédaire ne suffit pas. Il s’agit de déplier de nombreuses strates de
savoirs accumulés, de remonter des généalogies, d’histoires, de récits et de mémoires, car la
Méditerranée est sans doute avant toute chose un « territoire d’écriture ». Mais il s’agit
également d’interroger les figures qui ont fait la Méditerranée, à la fois comme figures
emblématiques et comme figures intellectuelles, sans oublier bien sûr la Méditerranée dans sa
singularité spatiale, de mer entre les terres, qui est composée par un ensemble de paysages, de
lieux et de milieux qu’il s’agit de décrire, d’analyser et de raconter dans ce Dictionnaire.

Il comptera ainsi quatre à cinq grandes parties :
1/ Des figures
2/ Des savoirs
3/ Des histoires, des récits et des mémoires
4/ Des lieux, des milieux, des paysages.
5/ Des arts de faire, des arts de vivre

                                                                    Thierry Fabre, Mohamed Tozy

                                                                                                 2
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                                          Des figures

  Deux grands types de figures seront retenus dans le cadre de Dico-Med, des figures de la
connaissance et des figures emblématiques.
   Donner de la consistance au domaine des études méditerranéennes suppose de leur donner
un visage, de faire connaître, découvrir et comprendre ceux qui ont construit et enrichi ce
domaine de la connaissance. Les généalogies sont nombreuses et variées, selon les traditions
disciplinaires et intellectuelles, et selon les sources géographiques.
   L’approche suggérée dans Dico-Med se propose de conjuguer les champs disciplinaires et
les origines géographiques pour faire apparaître les figures les plus significatives qui ont
contribué de façon notable au domaine des études méditerranéennes.
  A partir de choix assumés et de priorités affirmées, il s’agit de proposer une constellation
de figures de la connaissance qui sont autant de repères pour comprendre le monde
méditerranéen : de Germaine Tillion à Jacques Berque, de Shlomo Goiten à Taha Hussein, de
Halikarnas Balikcici à Michel Chiha ou d’Henri Pirenne à Fernand Braudel…
   Une liste précise de ces figures de la connaissance sera établie par le comité éditorial. La
question reste posée pour les figures historiques de la connaissance, telles qu’Averroès, Al
Idrissi ou Ibn Khaldun, mais aussi Homère, Héraclite ou Eschyle, Cicéron, Marc Aurèle ou
Saint Augustin… La liste pourrait ainsi s’étendre à l’infini et prendre un caractère
encyclopédique qui n’est pas la vocation ni la raison d’être de ce dictionnaire critique. Une
orientation plus contemporaine donnée à ces figures de la connaissance pourrait être une
façon possible de tracer des limites et de mieux établir la liste des notices.
   Le 2ème type de figures retenu dans le cadre de Dico-Med relève de ce qui pourrait être
qualifié de figures emblématiques, dont le nom fait signe et fait sens. Figures légendaires ou
mythologiques, comme la Déesse-Mère, Démeter, Lilith ou la Mamma ; figures éponymes qui
donnent un nom et instaurent une forme de généalogie historique ou spirituelle, Abaraham,
Jésus, Mahomet ou Fatima. Mais là encore se pose la question des figures historiques,
emblématiques en ce qu’elles ont marqué leur temps et laissé une empreinte profonde et
durable dans l’histoire de la Méditerranée. Frédéric II de Hohenstaufen, Saladin ou Soliman le
magnifique, ou plus contemporains, Abd el Kader, Mustapha Kemal Atatürk ou David Ben
Gourion… mais le statut de ces figures contemporaines restent à préciser.
   Un important travail de délimitation et de définition reste à accomplir autour de ces figures
appelées à composer le Dictionnaire de la Méditerranée. Si l’on retient par exemple comme
emblématique une figure qui a toujours valeur de symbole dans le monde méditerranéen
contemporain, une forme possible de délimitation pourrait se dessiner. Reste que cette valeur
de symbole est variable selon le lieu d’émission et de réception de la figure en question. Un
travail d’interprétation, de prise en compte de regards différenciés voire renversés devrait
permettre au comité éditorial de produire une forme d’intelligence collective à même
d’apprécier la « valeur de symbole » de la figure retenue comme notice de Dico-Med.
   La méthode d’élaboration du Dictionnaire de la Méditerranée, à partir du réseau RAMSES2
et de son approche à la fois trans-nationale et trans-disciplinaire, devrait être un réel atout et
permettre de croiser et de conjuguer les regards.
                                                                                   Thierry Fabre

                                                                                                3
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                                           Des savoirs

   Il aurait été plus facile de traiter de l’état des savoirs dans un dictionnaire même critique
consacré à une discipline comme l’ont fait les anthropologues (Izard et Bonte), les
sociologues (Boudon, Bourdieu), les géographes (Levy et Lussault). Le projet est relativement
clair quelles que soient les sensibilités éditoriales. On a en gros le choix entre : proposer des
cadrages épistémologiques qui positionnent la discipline par rapport à une chapelle ou un
courant théorique, ou se contenter dans un élan philanthropique de faciliter la tâche aux
apprenants voire aux curieux en cherchant à être à la fois neutre et exhaustif.
   La partie « Des savoirs » de Dico-Med est un projet tout autre, relativement risqué parce
qu’il propose une entrée à partir d’un lieu ou d’un domaine, la Méditerranée, lui-même
chargé et controversé, à la fois paradis promis et perdu, projet politique et espace singulier.
Comment alors faire l’inventaire des savoirs sur et en Méditerranée sans tomber dans la
polémique ou le stéréotype? Comment éviter l’arrogance d’un inventaire, un état des lieux
aux allures taxinomiques, sans tomber dans le piège d’une revue des savoirs faussement
humble et faussement neutre qui refuse le parti pris critique parce qu’engagé ?
   Nous avons choisi d’abord de revendiquer le choix d’un éclectisme réfléchi qui renonce à
l’exhaustivité, nous avons aussi opté pour un état des lieux des savoirs et aussi des savoir-
faire qui ont pris pour objet particulier la Méditerranée ou qui l’ont rencontré au point d’en
être transformés.
   La Méditerranée convoque souvent l’intention subjective pour la construction d’un
objet/lieu controversé, espace d’un comparatisme en jeu de miroir dont la légitimité est très
disputée par les sciences sociales. D’emblée, les éditeurs revendiquent un parti pris qui est
aussi un pari stratégique sur l’avenir sans pour autant se fourvoyer sur toute une série de
présupposés et préjugés que la pratique scientifique a révélé au travers d’une rétrospective
d’une cinquantaine d’années. Ce parti pris tend paradoxalement à dédramatiser le choix du
lieu en évacuant tout contenu identitaire ou toute recherche de spécificité. Il s’agit de se saisir
de la Méditerranée pour faire un exercice d’épistémologie censé poser les enjeux d’une
pratique académique, mais aussi sociale et politique, elle même controversée et culpabilisée
du fait de ses compromissions réelles ou supposées avec le nationalisme, le colonialisme, du
fait aussi de ses choix méthodologiques.
   Les matériaux qui constituent les notices sont à la fois des concepts, des notions mais aussi
des stéréotypes que les sciences sociales, mais aussi le sens commun, ont accolé à la
Méditerranée au point d’acquérir le statut d’une vérité indiscutable.
   Le projet de notice devrait en principe partir d’une définition située disciplinairement puis
rendre compte de la pluralité des usages et des formes d’appropriation y compris en dehors du
champs de la recherche, identifier les filiations scientifiques sans pour autant s’interdire d’en
déconstruire les présupposés, faire état des joutes mais aussi des migrations des concepts qui
rendent compte de la dynamique pan ou trans-méditerranéenne.

Exemple d’un choix de notice : le bazar
       Le bazar est un lieu, un espace commercial méditerranéen ou oriental avec son
       histoire propre et ses codes de fonctionnement qui a proposé une solution inédite à la
       spatialisation de la concurrence dans une économie de marché avant le capitalisme,
       mais aussi un adjectif stigmatisant qui renvoie au désordre, une caractérisation
       anthropologique d’une forme culturelle d’échanges qui renvoie à la mobilisation d’un

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       réseau de parenté réelle ou fantasmé pour s’assurer contre les aléas de transactions
       incertaines.

   L’exercice de la transversalité est difficile, il peut être réalisé à une ou plusieurs mains,
mais il n’est pas nécessaire de faire à chaque fois une énumération des usages par discipline
au détriment d’un état des lieux problématisé qui déconstruit les usages en les confrontant aux
enjeux politiques et culturels et qui soit à la fois désinvolte et profond, synoptique et non
exhaustif.

                                                                                Mohamed Tozy

                                                                                              5
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                          Des histoires, des récits et des mémoires

   Des quatre thématiques qui organisent Dico-Med, celle qui se propose de mettre ensemble
les mémoires et les histoires de la Méditerranée est la plus difficile à expliquer. Cette
démarche englobante vise à forcer l’intimité des deux postures, histoires/mémoires, en leur
imposant le récit comme façon de raconter.
   L’équipe éditoriale ne souhaite pas écrire l’histoire de la Méditerranée mais donner à
réfléchir sur les façons de faire pour rendre compte du passé. Ces façons de faire autant que le
choix des faits et des événements historiques pourraient nous éclairer sur les lieux de tension
comme sur les lieux communs au sens le plus noble du terme, c'est-à-dire des lieux partagés.
Elle permet de rendre compte, à travers une reconstitution des traces (Paul Ricœur), de
temporalités partagées dans le long cours.
   Les notices obéiront à un mouvement pendulaire qui d’un côté convoque une trame
d’ensemble évoquant la longue histoire braudélienne et de l’autre s’accommode comme le fait
Michel de Certeau de la multiplication de récits atomisés et contradictoires. Notre seul souci
est d’essayer de capter « le murmure des sociétés… »
   Le projet propose d’ignorer momentanément le débat sur les relations tendues que peuvent
entretenir les concepts d’histoire et de mémoire, et de rendre possible un passage raisonné des
mémoires concurrentes voire antagoniques vers une histoire voire des histoires sans que l’on
soit emprisonné par l’impératif de vérité, encore moins par celui de légitimité, risquant un
dérapage vers des ostracismes inutiles où un consensualisme de façade.
   Certes, les différences entre les deux démarches ne peuvent pas être ignorées : la mémoire
suggère l’émotion, intègre le droit au souvenir mais aussi à l’oubli, il n’y a pas de mimésis
sans amnesis, alors que l’histoire est d’abord une science sociale parée de toutes les vertus
d’une construction réfléchie et réglée. A défaut d’ignorer ces différences, on peut au moins en
atténuer les effets sur la constitution des imaginaires.
   Ce long préliminaire veut souligner les difficultés de notre volonté de rendre compte dans
un ensemble de notices des récits mémoriels et de l’histoire qui fondent la Méditerranée en
faisant le pari de raconter les différences et les ressemblances, les tensions et les consensus,
les mythes de la discorde autant que ceux de la convivencia.
   Le défi d’écrire une histoire à plusieurs mains et à plusieurs voix commence dès le choix
des entrées, c’est une question difficile à résoudre à ce stade du projet. On peut toutefois
souligner notre souci de :
   -   veiller à ce que le choix des événements respecte un certain équilibre entre le Nord et
       le Sud
   -   utiliser le format récit sans faire de concession à la précision des faits
   -   traiter aussi bien de grands événements que de faits divers constitutifs de nos
       mémoires en miroirs
   -   ne pas évacuer le côté tragique et conflictuel de l’histoire de la Méditerranée : ses
       guerres, comme ses génocides.

Exemple de choix de notice : la course

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Prenons à titre d’exemple la course en Méditerranée. Ce thème soulève plusieurs
questions depuis la fin du XVe siècle. L’histoire savante y côtoie des récits fabuleux
dont le caractère surréaliste contraste avec la contribution à forger des identités
irréductibles. Jusqu’à une date récente, l’histoire a souvent confondu course et
piraterie. La ligne de fracture lexicale ne passe pas nécessairement entre chrétiens et
musulmans, même quand les uns évoquent la notion de djihad maritime et les autres
celle de piraterie des côtes barbaresques. Elle traverse aussi les savoirs produits à
l’intérieur de chaque civilisation. En effet, à quel moment peut-on parler de course
conjuguée à une forme supplétive de la grande guerre (Braudel) ou de simple
banditisme ? Comment s’insère l’histoire des corsaires de Salé comme une expression
d’une tentation républicaine sur les rives de oued Bou Regreg dans la grande histoire
de la monarchie marocaine qui voudrait se projeter sans discontinuité dans un temps
qui va du VIIIe s. jusqu’à nos jours ?
Des dizaines de livres et d'articles ont été écrits par exemple au sujet des corsaires de
Salé. La plupart d'entre eux ont accentué le rôle des renégats dans l'organisation et la
conduite de la piraterie. Sans doute, certains éléments divers, provenant d'autres cités
de corsaires de la Méditerranée furent attirés vers le Bou Regreg. La religion à part,
il y avait beaucoup de ressemblance entre la structure sociale et économique des trois
Républiques, Alger, Tunis et Tripoli, et ceux de Gênes, Pise, Livourne et Barcelone, à
la même période.
Si de nombreux et récents travaux scientifiques ont contribué à approfondir notre
connaissance de ces jeux de puissances en Méditerranée, rares sont les textes courts
qui se sont proposés de revisiter, préciser, explorer en un seul lieu toutes ces
dimensions

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                                                                                       7
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                             Des lieux, des milieux, des paysages

  La Méditerranée présente une évidence spatiale inscrite dans sa dénomination : la mer au
milieu des terres.
   Au vingtième siècle, Fernand Braudel a fait de cette évidence simplement localisante le
fondement d’un « système » méditerranéen. Celui-ci se charge de propriétés distinctives,
essentialisantes, que l’historien nous décrit avec une précision de peintre : un art de vivre avec
les ressources procurées par la mer, des paysages marqués par l’alliance étroite de la mer et de
la montagne et une géologie tourmentée, la culture de la vigne et de l’olivier, le climat, facteur
« unificateur par excellence »…. Ce paysage, qui par sa permanence offrirait le plus sûr
témoignage de l’histoire, serait le socle et la charpente de l’unité méditerranéenne : « dans son
paysage physique et dans son paysage humain, la Méditerranée carrefour, la Méditerranée
hétéroclite se présente dans nos souvenirs comme une image cohérente, comme un système
où tout se mélange et se recompose en une unité originale. Cette unité évidente, cet être
profond de la Méditerranée, comment l’expliquer. » (La mer, l’espace et l’histoire, p. 10)
   Cette vision méditerranéenne – il s’agit bien d’une vision, puisqu’elle échappe presque à
toute tentative de rationalisation – a façonné le regard de générations d’historiens, de
géographes et d’anthropologues, francophones ou anglophones. Mais elle enferme également
l’écho de l’imagerie méditerranéenne de tout un chacun. N’est-ce pas là le grand
enseignement du texte de Braudel ? En nous proposant une approche proprement visionnaire,
d’une subjectivité assumée, il nous dit que la Méditerranée ne peut être saisie autrement que
de manière phénoménologique. L’on ne peut décrire l’espace méditerranéen, même dans ses
dimensions proprement biophysiques, sans immédiatement faire entrer dans la description de
la mémoire, de l’imaginaire, de l’expérience sensible, de l’idéel.
   A rebours des positionnements critiques récents, qui tendent à dénier toute spatialité à la
notion de Méditerranée, ou de la pratique courante, qui consiste à se contenter d’une
définition minimale (la mer et ses rivages), le Dictionnaire ne renonce pas à donner à l’espace
méditerranéen une consistance propre. Afin de ne jamais dissocier la matérialité spatiale des
multiples dimensions de l’expérience humaine qui l’accompagne, le choix peut être fait d’une
approche uniquement relationnelle, s’efforçant d’articuler fortement l’espace biophysique et
l’espace social. Ce type d’approche est traduit, dans certaines traditions scientifiques
respectivement francophones et anglophones, par les termes synonymes de milieu et
d’environnement.
   Dans cette perspective, les matériaux des notices identifient des contraintes spatiales
spécifiques, dont la description et l’analyse offrent une propriété explicative aux dynamiques
sociales et historiques (ex: archipels, eau, mer, montagnes, déserts). A l'inverse, ils peuvent
partir des pratiques qui permettent d'appréhender ces contraintes (ex.: pastoralisme, cueillette,
pêche, culture en terrasse, irrigation...).
   Ils définissent également les motifs autour desquels se construisent, dans les
représentations (et de manière évolutive), une « identité culturelle » de l’espace
méditerranéen. Ce peut être des éléments du paysage naturel ou construit ; des configurations
spatiales (ex : la ville, le jardin) ; des lieux porteurs d’une expérience sociale (ex : le café),
symbolique ou encore temporelle particulière (ex. : la ruine).
   Dans l’écriture des notices, quel que soit l'angle de départ, l’on veillera à articuler les
différents niveaux de la matérialité spatiale, du champ de la représentation ou de la figuration
(à travers les œuvres artistiques, littéraires ou scientifiques notamment, mais aussi les

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Document de présentation de DicoMed – juin 2009

productions ordinaires), et enfin des pratiques sociales et culturelles concrètes (ex. :
production et entretien des paysages, choix d’aménagement, d’urbanisme, tourisme…).

Exemple de choix de notice : la forêt
       Milieu naturel spécifique, offrant des ressources et donnant lieu à des usages et des
       représentations, dont on peut certes décrire certaines spécificités constantes en
       Méditerranée, mais surtout souligner la diversité. Mais aussi un concept, la « forêt
       méditerranéenne », soit un objet socialement, économiquement et politiquement
       construit, dont on peut retracer l’histoire depuis le 19e siècle et souligner les enjeux
       matériels et symboliques actuels (économie du loisir, enjeux patrimoniaux, écologie,
       mythe d’une unité méditerranéenne…).

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                                    Des arts de faire, des arts de vivre

   Comment saisir la culture au quotidien, les formes régulières, répétées qui dessinent une ou
des manières de vivre dans le monde méditerranéen ?
   « Le but serait atteint si les pratiques ou « manières de faire » quotidiennes cessaient de
figurer comme le fond nocturne de l’activité sociale […] », observait Michel de Certeau dans
son livre sur « Les arts de faire »1.
    Le but de cette partie du Dictionnaire de la Méditerranée vise justement à éclairer ce « fond
nocturne » et à apporter des éléments qui illustrent les arts de faire et de vivre qui témoignent
du monde méditerranéen dans sa réalité complexe et multiforme. Nul essentialisme dans une
telle approche, bien au contraire. Il s’agit d’appréhender des trajectoires, de retracer des
mouvements ou des styles qui composent une ou des formes d’être au monde qui nous
paraissent significatives et nous disent quelque chose de singulier du rapport à la
Méditerranée. S’agit-il d’un « propre », « victoire du lieu sur le temps » qui permet de
dessiner une forme d’extériorité ? Peut-être…
   Les lignes de partage demeurent souvent incertaines et elles varient avec le temps. Ce qui
en tout cas ne relève pas de cette partie du Dictionnaire de la Méditerranée, c’est de chercher
à identifier un « pur » méditerranéen. Perspective illusoire qui s’inscrit dans une approche
identitaire, avant tout idéologique et qui nous semble dépourvue de toute signification
intellectuelle et de pertinence scientifique.
   Les « mythologies » du quotidien sont intéressantes à raconter et à révéler, à condition de
ne pas être prisonnier de leur évidence ou de leur mystère.
   Au-delà de ce que peut suggérer le titre « arts de faire, arts de vivre », cette partie élargit la
focale pour toucher à ce que la littérature anthropologique appelle les techniques
vernaculaires, enchâssées dans le quotidien. Il est question à chaque fois de déployer la
densité sociale et intellectuelle de ces techniques et de ces arts de faire, de leur donner une
place dans la vie intellectuelle et sociale des hommes.
   Nous-nous inscrivons résolument dans ce dictionnaire dans une perspective critique, ce qui
permet de prendre une certaine distance avec les « évidences » et de déconstruire les formes
installées.
   Ce qui peut se dessiner, à partir d’une telle approche centrée sur les arts de faire et de
vivre, c’est ce que Paul Ricœur appelle une « identité narrative », mise en récits du quotidien
qui produit une singularité et désigne une ou des formes d’appartenance.
   La multiplicité qui caractérise les manières de faire du quotidien dans le monde
méditerranéen est sans fin. Chaque geste, chaque rite ou chaque déplacement pourrait faire
l’objet d’une entrée dans le Dictionnaire.
   Nous serons donc amenés à faire des choix, à ne retenir dans cette partie dédiée aux arts de
faire et de vivre, que des éléments qui nous semblent saillants et qui peuvent être partagés. Ce
qui reste isolé ou par trop souterrain ne pourra dans ces conditions pas figurer dans cet
ensemble, qui à aucun moment ne vise à l’exhaustivité.
                                                                                               Thierry Fabre

1   Michel de CERTEAU, L’invention du quotidien. 1. Arts de faire, Paris, Folio essais, 2004, p. XXXV

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