La Corée du Nord : décryptage géostratégique
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TRIBUNE n° 1325 La Corée du Nord : décryptage géostratégique Hervé COURAYE Docteur en sciences politiques de l’Université Paris I – Panthéon-Sorbonne, diplômé de la Fondation nationale des sciences politiques. Co-fondateur du Japan-Europe Forum on Sustainable Gastronomy in Society (SGS). Cet article a été mis à jour après l’annonce, le 29 septembre 2021, du tir de missile hypersonique de la Corée du Nord « Hwasong-8 ». C omme l’écrivait Mao Tsé-toung, dans une lettre qui nous fait penser à l’attitude de Pyongyang lorsque l’on parle de la course aux armements faisant face à des ruptures technologiques : « Une étincelle peut mettre le feu à toute la plaine » (1). Allons tout de suite au fond des choses de cette précaire Corée du Nord qui déstabilise l’équilibre sécuritaire de cette région et érode la crédibilité de posture de non-prolifération par l’objet d’une dynamique action-réaction avec ses voisins. Afin de montrer l’importance de cette tendance, nous reviendrons sur les enjeux de désescalade au fil du temps, des initiatives de contrôle des armements et des échecs. À l’heure où l’architecture de sécurité nucléaire mondiale est remise en cause par des changements géostratégiques, braquons le projecteur sur la prolifération balistique et nucléaire qui menace cet ordre. Mais ici, un train peut en cacher un autre. La course aux armements entre la Chine et les États-Unis rend la réalité stratégique plus complexe, il faut dépasser l’analyse de la simple posture stratégique de Pyongyang, je m’y suis moi-même exercé, en plusieurs articles successifs, à tracer deux positions de rivalité et de force, de nature à bouleverser l’actuel ordre inter- national. Cet article s’inscrit pleinement dans la logique des précédents, en cherchant d’un enjeu à l’autre, à dérouler le fil de la bobine stratégique, où tous les acteurs se trouvent à présent impliqués à leur corps défendant. Le contexte perdu des États-Unis Dans un article déjà ancien (2), je décrivais l’attitude du régime de Pyongyang, loin d’être irrationnelle, tirant une partie de sa force de nuisance à des degrés variables, de l’affaiblissement relatif des États-Unis. Vue sous cet angle, la (1) Lettre du 5 janvier 1930, adressée aux membres du Parti communiste (https://lafabrique.fr/). (2) COURAYE Hervé, « La crise nord-coréenne et l’alliance nippo-américaine », RDN, n° 692, décembre 2006. www.defnat.com - 20 octobre 2021 1
conclusion d’un pacte faustien avec le régime nord-coréen, ne peut se résumer à l’ambition, nullement secrète au demeurant, de garantir la sécurité de Pyongyang, en contrepartie d’une dénucléarisation du nord de la péninsule. Bien que tenant compte de la sagacité stratégique des États-Unis et de l’ensemble de ses partenaires, leur champ de vision géopolitique n’a cessé de se rétrécir et deux décennies de négociations n’ont jamais résolu cette question majeure. Le timon de la diplomatie du chantage est, et reste, entre les mains du régime. Dans le cas nord-coréen actuel, on doit remonter plus loin dans la chrono- logie : à la fin de l’année 1985, la Corée du Nord rejoint le régime de non- prolifération et ratifie le traité de non-prolifération (TNP). Ici, le premier acte symbolique de ce contexte ressemble beaucoup à la situation qui s’ouvrait en 1991, avec le retrait des armes nucléaires américaines de la Corée du Sud suite à l’accord entre le président George H. Bush et le leader soviétique Mikhaïl Gorbatchev, connu sous le nom de traité initial START, réduisant le déploiement d’armes nucléaires offensives à l’étranger. Ici encore, partons des faits contextuels. Nous observons avec l’accord des deux Corées de dénucléariser la péninsule en janvier 1992 (3), un premier paradoxe qui, depuis lors, piège la stratégie américaine. Malgré la solution politique de 1992 et un contexte de tension suite au rejet de Pyongyang des inspections de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), sur lesquels l’intérêt supérieur des parties prenantes, parvient cependant à la visite historique d’un président américain à Pyongyang. Le caractère incomplet de l’accord conduit à une reprise du dialogue bilatéral entre Jimmy Carter et le leader Kim Il-sung en juin 1994. À cette phase non encore pleinement déterminée des tensions à venir, la Corée du Nord et les États-Unis marchent ensemble pour signer, à Genève, un accord qui gèle le programme nucléaire du régime (4). Ici, toutes les apparences sont pour les Américains et leurs alliés. Nous assistons, à Tokyo, comme à Moscou, à un consortium de bonnes intentions pour mettre en œuvre et financer l’Organisation pour le développement énergétique de la péninsule coréenne (KEDO) en août 1997 (5) et la Corée du Nord de Kim Jong- il, bien dorlotée, n’oppose pas de fin de non-recevoir au moratoire sur les essais de missiles à longue portée suite à des pourparlers avec les États-Unis. Cet accord conduit instantanément à un assouplissement des sanctions économiques, une première depuis la guerre de Corée en 1950. Pourtant, le paradoxe ne va que s’accélérer, au moment où l’on assiste à l’élection présidentielle américaine, qui contrairement à toutes attentes prévues en Floride, conférait le pouvoir décisif à (3) Déclaration conjointe entre les deux Corées, 19 février 1992 (https://media.nti.org/). (4) AGENCE INTERNATIONALE DE L’ÉNERGIE ATOMIQUE (AIEA), Accord-cadre entre les États-Unis et la Corée du Nord, Genève, 21 octobre 1994 (www.iaea.org/). (5) MINISTRY OF FOREIGN AFFAIRS OF JAPAN, 1997 Diplomatic Bluebook. Voir la partie 3, article D (https://www.mofa.go.jp/) ; et pour approfondir sur le sujet, voir le site du KEDO (www.kedo.org/). 2
TRIBUNE George W. Bush. Dans son discours sur l’État de l’Union, il provoquait en retour un durcissement politique fondé sur le slogan des néoconservateurs et de la stratégie « Axe du mal » qui incluait la Corée du Nord, l’Irak et l’Iran (6). Pour cela, de nouvelles sanctions sont imposées, le cadre convenu de Genève vole en éclat et fige les avancées des membres en une longue crise suraiguë depuis l’année 2001. Nous ne sommes pas encore au point d’orgue de cette chronologie, qui voit simultanément l’échec des négociations de dénucléarisation de la péninsule de Corée, et l’attitude dictatoriale des dirigeants du Nord en apparence à l’intérieur du pays, conciliante et prête à tromper de facto ses interlocuteurs, y compris américains. À partir de l’année 2003, trois ans après la rencontre entre le président Bill Clinton et le général nord-coréen Jo Myong-rok aux États-Unis en geste de bonne volonté sur les pourparlers du programme de missiles balistiques et des exportations de technologies de missiles, la Corée du Nord se retire unilatéralement du TNP. Pire, Pyongyang déclenche comme deux coups de tonnerre successifs la violation des accords intercoréens et, quelques mois plus tard, la mise en œuvre d’un programme secret d’enrichissement de l’uranium, nécessaire pour développer des armes nucléaires. Tel est l’arrière-plan véritable de l’ouverture de la première série de pourparlers à 6 durant l’été 2003. Mentionnons que cette initiative politique se déroule à Pékin avec une sympathie de circonstance, mais aucune per- cée n’aura lieu. Dès lors, la communauté internationale accuse le coup, suite au premier essai nucléaire de la Corée du Nord le 9 octobre 2006 (7). Lors de cet essai, un nouveau rapport géopolitique s’établit, à partir des tests réussis de sept missiles balistiques à courte, moyenne et longue portée, réalisés en juillet 2006 (8). Le Conseil de sécurité de l’ONU qui ne veut pas la confrontation, ne l’exclut pas tout à fait en adoptant la résolution 1718 (9), avec son lot de condamnations unanimes et de sanctions commerciales. À son avantage, la Corée du Nord n’est pas un casus belli, Pyongyang reste fréquentable, même si chacun garde ses distances dans cette diplomatie nucléaire. La menace que le monde redoutait tant, vers le début des années 2000, de la prolifération en matière de missiles balistiques, remet fortement en cause les liens avec la péninsule coréenne, cède bientôt la place, à partir de 2013, à une menace non conventionnelle, celle de la progression du programme nucléaire malgré l’isolement de Pyongyang. Cette décennie se traduit au demeurant par de nombreux gestes de défi au droit international et au plus grand ennemi de la Corée (6) BUSH George W., « Discours sur l’état de l’Union », 29 janvier 2002 (https://georgewbush-whitehouse.archives.gov/). (7) Liste des essais nucléaires de la Corée du Nord (https://infogalactic.com/). (8) CENTER FOR STATEGIC AND INTERNATIONAL STUDIES (CSIS), « Missiles of North Korea », Missile Threat - CSIS Missile Defense Project, mis à jour le 14 juin 2021 (https://missilethreat.csis.org/). (9) CONSEIL DE SÉCURITÉ DES NATIONS UNIES, « Security Council Condemns Nuclear Test By Democratic People’s Republic Of Korea, Unanimously Adopting Resolution 1718 (2006) », 14 octobre 2006 (www.un.org/). 3
du Nord, donnant à Kim Jong-un, d’être traité d’égal à égal et de brûler ses vaisseaux. Le choix se révèle payant pour Pyongyang. Côté américain, l’investiture en janvier 2017 du président Donald Trump fait basculer la politique américaine à l’égard de la Corée du Nord. Kim Jong-un, a les coudées plus franches encore, et se vante de pouvoir atteindre le sol américain avec ses missiles balistiques inter- continentaux à pointe nucléaire. C’est sur la base d’une égale crainte de Washington de voir émerger de cette crise une Corée du Nord plus affûtée à mener une politique erratique, que Donald Trump se prépare à infliger une défaite rhétorique au leader nord-coréen, lors de sa déclaration à l’Assemblée générale des Nations unies, le 19 septembre 2017 : « Rocket Man est en mission suicide pour lui- même et pour son régime » (10). Donald Trump menace d’une frappe militaire. Ce sera peine perdue. Car au beau milieu de ces attaques verbales, entrent en scène la Corée du Sud et son conseiller à la sécurité nationale, agissant comme intermédiaire entre Washington et Pyongyang pendant une grande partie des pourparlers. En parvenant à confirmer le sommet intercoréen, et faisant de Kim Jong- un le premier dirigeant nord-coréen à traverser la frontière sud pour une visite avec Moon Jae-in dans le village de Panmunjeom. C’est là que l’accord d’armistice mettant fin aux hostilités de la guerre de Corée de 1953 a été signé (11), où les deux leaders se sont engagés à convertir l’armistice en un traité de paix. Une rencontre haute en symboles et l’aboutissement de l’engagement du président Moon Jae-in avec Pyongyang. Il était auparavant chef de cabinet présidentiel lors du dernier sommet intercoréen de 2007, de l’ex-président sud-coréen Roh Moo-hyun traversant à pied la ligne de démarcation avec la Corée du Nord. Puis, dans ces conditions, le premier sommet historique entre les États-Unis et la Corée du Nord du 12 juin 2018 dans la cité-État de Singapour. Le leader nord-coréen est arrivé de Chine, à bord d’un Boeing 747 d’Air China, utilisé par le président Xi Jinping et entreprenant son premier voyage à l’étranger autre que la Chine depuis sa prise de pouvoir en 2011. Les symboles comptent autant que le reste. À Singapour, l’analogie ne s’est pas arrêtée là : elle a aussi gagné les mots. Les deux leaders ont signé une déclaration commune et réaffirmé : « l’engagement à rechercher une paix durable et la dénu- cléarisation complète de la péninsule coréenne », ce que voulait avant tout Donald (10) TRUMP Donald, « Discours à l’Assemblée générale des Nations unies », 19 septembre 2017 (www.youtube.com/). (11) Voir l’accord d’armistice coréen, 1953 (https://upload.wikimedia.org/). 4
TRIBUNE Trump dans ce changement de ton, c’était une Corée du Nord prévisible. Le para- doxe est en train de se dénouer, avec une logique d’équilibre des puissances. Mais il manque une dernière pièce au puzzle chronologique : une observation un peu plus détaillée des pourparlers Trump-Kim s’impose ici pour mieux comprendre la capacité nord-coréenne à différer sans cesse de quoi il retourne. L’acceptation de Pyongyang de démanteler les installations de production nucléaires et de matières fissiles en échange d’un allégement complet des sanctions. Pour accroître l’optimisme, des promesses de nouveaux pourparlers lors du second sommet, au Vietnam. Il fallut bien vite déchanter, dès lors que les deux dirigeants quittèrent Hanoï plus tôt que prévu. L’enfer, on le sait, est pavé des meilleures intentions, et il n’y a aucune raison de ne pas penser que Donald Trump pensait bien faire, en étant le premier Président américain en exercice à traverser la frontière qui sépare la Corée du Nord et la Corée du Sud au mois de juin 2019. Les négociations sont au point mort et Kim Jong-un s’extirpe de cette situation par d’autres mensonges, plus gros encore. D’emblée, on pense pêle-mêle au chantage du régime nord-coréen, de cette tactique sans précédent « du faible au fort », rendu possible par la crainte d’un conflit nucléaire généralisé. C’est désormais au tour de la sœur de Kim Jong-un de hausser le ton et de menacer l’administration américaine. Bientôt commence une nouvelle étape verbale : détachée de son cordon avec le régime de son frère, Kim Yo-jong fait de moins en moins dans le domaine diplomatique, et prévient alors le secrétaire d’État, Antony Blinken, lors de sa première visite en Asie en mars dernier : « Les États-Unis feraient bien de ne pas répandre une odeur de poudre, s’ils veulent éviter une riposte à en perdre le sommeil. » En ce moment même, en 2021, a lieu le lancement d’un missile balistique lancé d’un sous-marin lors du défilé militaire à Pyongyang et d’un Kim Jong-un qui nargue inlassablement Washington, lequel affirme qu’il ne changera pas sa position. Une vraie victoire stratégique pour la Corée du Nord. Les implications stratégiques du 38e parallèle Malheureusement, la Corée du Nord apparaît le principal acteur de la prolifération balistique. On passe d’un risque qui avait une vocation régionale, à une portée universelle. Pour ne rien arranger, la perte de crédibilité conduit à une prolifération horizontale qui, par son cours déstabilisant, nous rapproche du seuil de voir un nouvel État se nucléariser. Nous retrouvons ici les inquiétudes bien décrites par John F. Kennedy dans les années 1960, pour la situation de menace des rapports de force traditionnels et les conséquences de l’augmentation du nombre de puissances nucléaires dans un conflit d’ici une décennie. Assurément, il ne s’agissait pas de voir l’Iran ou la Corée du Nord y succomber mais naturellement en Europe, l’Allemagne et en Asie, le Japon. Rien de tel, on le sait, ne se produisit : les alliances sécuritaires des États-Unis ayant demeuré à cette période comme le 5
facteur fondamental de non-prolifération nucléaire. Ce facteur considérable a également eu une autre causalité historique, au sens de la résilience des traités de non-prolifération. Tout a un prix : ce qui vaut pour les États-Unis vaut aussi pour la Corée du Nord et cette crédibilité repose sur des bases technologiques cruciales de faire évoluer et de tester, ce qui représente le pilier de la dissuasion militaire. Les tirs de deux missiles balistiques en mars 2021, au beau milieu des préparatifs de la première conférence de presse de Joe Biden, démontrent la détermination du leader nord-coréen à se faire reconnaître comme puissance nucléaire par les États- Unis. Il y a donc bien une kyrielle de situations où la Corée du Nord a, seule ou avec un appui extérieur pour parer les coups, concouru à endormir la communauté internationale, à dissimuler ses velléités nucléaires militaires, en les résumant à une complexe histoire des relations entre les deux Corées, histoire des frères ennemis. Que penser de la Corée du Sud, en délicatesse avec la Corée du Nord, et ne comptant que sur elle-même, pour relever le défi que lui lance ainsi le régime de Pyongyang. Séoul développe un programme de missile balistique ambitieux avec son arme à courte portée Hyunmoo-4, dont le champ d’action atteint en partie le continent chinois. Au fond, l’intensification de la course aux armements entre les deux Corées, représente un avertissement adressé tous azimuts aux puissances de la région. On comprend de ce tour d’horizon combien le retour de la prolifération balistique aggrave le dilemme en matière d’escalade militaire car, lorsque les capa- cités conventionnelles de frappe croissent, les chances de leur utilisation en cas de conflit augmentent pareillement. C’est parce que la nature défensive, ou offensive, d’un missile tend à se réduire qu’en cas de lancement, plus aucune question ne permet de déterminer si un missile balistique est armé d’une ogive conventionnelle ou nucléaire jusqu’à ce qu’il atteigne sa cible. Il est temps de jeter un bref coup d’œil sur la situation sécuritaire en Asie, avant de redescendre ensuite, en quelques lignes, sur la rivalité sino-américaine qui empêche de réfléchir avec optimisme au moyen de réduction des risques straté- giques. On assiste à une course aux armements, d’abord rampante, puis quasi officielle de Séoul à Sydney : Tokyo ne s’interdit plus le débat de déploiement de missile courte portée, et on établit des ponts de coopération à investir dans des capacités de défense compatibles entre Taïwan et Washington, pour déployer des missiles à longue portée dans un réseau de frappe de précision le long de la première chaîne d’îles. Quant à ces îles, elles s’étendent du nord de la côte russe de l’Extrême-Orient aux Philippines. Pas besoin d’être grand clerc pour, sans doute ici, dire que Washington, en coopération avec ses alliés, entend bien disposer d’un rayon d’action situé dans les eaux revendiquées par la Chine. Il s’agit notamment de la mer de Chine méridionale, ainsi que de la mer de Chine orientale, à l’ouest d’Okinawa. De cette brève perspective, émerge ainsi la constatation suivante : la plupart des traités de contrôle 6
TRIBUNE des armements sont un héritage de la guerre froide, la Chine n’en fait pas partie. Puis, le changement de décor géopolitique est aussi anxiogène que mondialisé, ce qui nous fait rapidement entrer dans notre futur proche. Quelles garanties du statu quo ? Lors de la conférence de presse du groupe d’experts du 23 janvier 2021, il a été jugé de garder à 100 secondes avant minuit l’horloge de l’apocalypse, soit le niveau le plus critique de son histoire (12). Laissons la décision à un des spécialistes du The Bulletin of Atomic Scientists, car la question des technologies militaires de rupture peut saper le statu quo. Un des champs majeurs de la guerre du futur est l’hypervélocité. Sur toute cette technologie bien inquiétante, la Russie, les États-Unis, la Chine et d’autres nations développent cette technologie dite du « futur missile hypersonique », AMDF en abrégé militaire, Avangard, Minuteman III, DF-17. Commençons donc par Avangard. Ce missile hypersonique intercontinental constitue, selon Moscou, l’arme absolue. Sur ce point, il est capable d’atteindre n’importe quel point de la planète à une vitesse de 33 000 km/h. La Russie a toujours été en pointe, comme l’atteste le test réussi du missile de croisière hyper- sonique Zircon, son arme de frappe asymétrique, comme l’a prétendu le ministère russe de la Défense. Ce qui, dans ce contexte de prolifération, est potentiellement déstabilisant, la possibilité d’un usage nucléaire de missile demeurant très envisa- geable. Que penser de la seconde composante de la triade invincible, M comme Minuteman III ? Là aussi, le Pentagone a confirmé avoir testé « avec succès » un missile balistique intercontinental (ICBM) équipé de trois ogives. L’ogive de ce missile sol-air contient des têtes nucléaires et on connaît d’ores et déjà son successeur à l’horizon 2027 : le programme de dissuasion du XXIe siècle en phase d’essais : le GBSD (Ground Base Strategic Deterrent) du groupe de défense Northrop Grumman (13). Quant à la troisième composante, il s’agit du DF-17 chinois dont les autorités sont ravies de donner l’impression que ce missile hypersonique peut couler un porte-avions. À la veille du 70e anniversaire de la République populaire de Chine, le 1er octobre 2020, Pékin a montré la parfaite évidence lors de ce défilé militaire de la modernisation de ses forces nucléaires et de la course aux missiles, à l’heure où le regain de la prolifération balistique et nucléaire menace de transformer l’équilibre des forces. Là-dessus intervient face à ces ruptures technologiques, la réalité de la puissance à des fins de dissuasion. La triade – dans l’attente que son nombre s’accroît –, révèle le rôle des protagonistes dans le gage de supériorité de terrain : de la mer de Barents à la mer de Chine méridionale, les théâtres d’opérations ne (12) Bulletin of the Atomic Scientists, janvier 2021 (www.youtube.com/). (13) Voir le site de l’entreprise Northrop Grumman (https://www.northropgrumman.com/GBSD/). 7
manquent pas de cibles. S’il paraît hautement improbable que les lignes du statu quo bougent, il demeure que, malgré un nombre de traités davantage bilatéraux que multilatéraux pour définir les mécanismes de régulation et de désarmement, s’ouvre une nouvelle ère militaro-stratégique. Loin d’être attachés à cet héritage, Washington et Pékin se trouvent face à une résurgence du monde d’avant, à la seule différence que chacun estime ne pas devoir céder, dans l’état actuel de leur rivalité. La césure qui s’installe est loin d’être passagère ou dépassable par le dialogue stratégique, comme l’espère encore à ce jour l’ensemble de la commu- nauté internationale. Le sommet d’Anchorage de mars 2021 en a montré la réalité fondamentale, et a soudainement mis fin à l’optimisme des diplomates. Dans leur confrontation, les États-Unis et la Chine sans se faire de cadeau, misent sur leur stratégie en place pour faire face aux défis : le futur de leur compétition, comme ce fut le cas hier entre Washington et Moscou avec la parité stratégique sur le plan des mécanismes sécuritaires. Un constat fort simple : la bombe nucléaire a été conçue avant que la création des institutions et traités soient rendus possibles. On comprend mieux dès lors la bataille en cours et les clés de cette rivalité. À la veille d’innovation technologique matérialisée par de nouveaux armements et dans d’autres domaines (songeons au cyberespace), il est question de bâtir dans le calme ce tournant fondamental de façonner les normes et régulations pour asseoir son leadership du monde. Un beau rêve. Entre ces deux puissances, pas d’acteur intermédiaire, sinon la Corée du Nord, qui, la première, a compris les gains sécuritaires et existentiels dans son ambition et attitude de défi sur les questions nucléaires. Cette politique aveugle ne s’expliquait pas seulement par quelques sombres intentions, ou par un contexte historique que nous avons rappelé. De toutes, c’est le raisonnement cynique, mais vital, de conforter son antiaméricanisme, d’accélérer le complexe nucléaire et couronner le tout par un dialogue actif avec la Chine, en cherchant des crosses à Séoul sans précipiter une réconciliation de la péninsule. La confusion qui a résulté de l’intervention de l’Otan en Libye et la chute de Mouammar Kadhafi au mois d’octobre 2011, a débarrassé Tripoli de son dictateur qui gouvernait d’une main de fer depuis 42 ans ; mais les vidéos qui ont circulé de son exécution sommaire, avec une communauté internationale qui s’est réjouie ouvertement de sa chute, n’a pas changé la donne de Pyongyang. Tout dictateur qui ne souhaite pas périr, ne doit pas abandonner son offensive nucléaire. Aujourd’hui, le monde du présent se tranquillise quelque peu, avec une attitude « wait and see » ; mais tout peut basculer, car nos dirigeants ne disposeront que d’un délai de « 10 minutes » pour la mise en œuvre de la riposte en cas d’attaque nucléaire d’un missile capable de voler, à 5 fois la vitesse du son ! w 8
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