Le Kosovo et Les couLoirs européens

 
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Le Kosovo et les couloirs européens

                  Gilles TROUDE*

La déclaration unilatérale d’indépendance du Kosovo du 17 février
2008 soulève la question de la position géostratégique de ce nouvel Etat en Europe,
ainsi que des motivations géopolitiques des 41 Etats sur 203 dans le monde qui ont
cru bon de le reconnaître à ce jour (31 mai 2008).

    Alors que l’île de Chypre, bien que membre de l’Union Européenne, est tou-
jours divisée en deux depuis 1974 (la partie septentrionale étant toujours occupée
par la Turquie, qui interdit ses ports à la République grecque méridionale), et que le
conflit de l’Ulster entre l’Irlande et la Grande-Bretagne -tous deux pourtant mem-
bres de la même Union- n’a pu trouver une solution qu’au bout de quarante ans,
quelle urgence poussait la France, l’Allemagne, l’Italie et la Grande-Bretagne, bien-
tôt suivis par les Etats-Unis d’Amérique, à reconnaître avec une telle précipitation
cette indépendance autoproclamée ?

    En 1997, à Helsinki, la IIIème Conférence des ministres des Transports d’Eu-
rope avait retenu dix couloirs – rail, route et navigation. Or, il se trouve que le
Kosovo, province déshéritée de la République de Serbie, est au carrefour de trois
couloirs européens, les corridors IV, VIII et X. Le couloir européen X, en direction
Nord-Sud, qui va de Salzbourg en Autriche à Thessalonique en Grèce, suit la voie
traditionnelle danubienne entre Vienne, Budapest, et Belgrade, et rejoint la Mer
Egée, via la vallée du Vardar. Le couloir IV, partant de Berlin, rejoint la Mer Noire
via Belgrade et Niš en Serbie, et Dimitrovgrad en Bulgarie. Le corridor VIII, moins
connu -car abandonné pendant plus d’un siècle pour des raisons géopolitiques-
en direction Est-Ouest, joint la Mer Noire (Burgas) à l’Adriatique (Dürres) via la
Bulgarie, la Macédoine (FYROM) et l’Albanie.

   Ce couloir VIII européen est d’autant plus stratégique que le projet d’oléoduc
Trans-Balkans AMBO (Albanian, Macedonian and Bulgarian Oil Corporation), dont

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le siège social est situé à Pound Ridge dans l’Etat de New-York, suivra cet itiné-
raire passant par le Kosovo1. Cet oléoduc acheminera le pétrole des gisements de
Kashagan au Nord de la Mer Caspienne (Fédération de Russie). Or, selon Richard
Giragossian, de l’Institut Asie centrale - Caucase à l’Université américaine John
Kopkins « Kashagan serait aussi vaste, voire surpasserait les réserves de pétrole de la
Mer du Nord ». Le groupe français Total-Fina-Elf (associé à l’ENI italienne) est en
compétition pour les gisements de la Mer Caspienne avec British Petroleum et les
groupes américains Amoco, Texaco et Chevron.

   L’Union Européenne projette d’investir plus de dix milliards d’Euros dans ce
couloir VIII (oléoduc, voie ferrée et autoroute) dans les années à venir. Pour l’ins-
tant, seuls deux tronçons d’autoroute sont achevés sur cet axe : l’un reliant Sofia à
Plovdiv en Bulgarie (150 km), et l’autre entre Skopje et Tetovo en Macédoine (40
km). La traversée de l’Albanie, totalement sous-équipée en raison de son long isole-
ment géopolitique, exigerait des investissements très importants.

    L’oléoduc Trans-Balkans AMBO a fait l’objet d’une étude de faisabilité par la
compagnie Brown and Root, basée à Houston au Texas, filiale d’Halliburton, dont
Dick Cheney était le directeur avant d’être élu vice-président des Etats-Unis. Ce
projet est également l’œuvre de la Trade and Development Agency, agence fédérale
pour le commerce et le développement, créée en 1981 par le Président Reagan pour
favoriser les exportations américaines. La TDA déclarait en 1999 avoir investi dans
les quatre dernières années plus de 22 millions de dollars dans le Sud des Balkans.
Or, la TDA a été très impliquée dès l’origine dans la conception du corridor VIII, et
elle a décidé en 1998 de financer spécifiquement les études de faisabilité des travaux
de modernisation des ports de Burgas en Bulgarie et Constantza en Roumanie : les
études ont été effectivement réalisées en 2000 et 2002. Ce n’est pas un hasard si la
Bulgarie a annoncé en 2003 qu’elle mettait à la disposition des troupes anglo-amé-
ricaines le port de Bargas, point d’arrivée du corridor VIII .

    Cet axe militaro-énergétique fortement contrôlé par les Américains ne fait pas
seulement concurrence aux Européens : en évitant le passage par la Serbie, le cor-
ridor IV est un moyen pour la Bulgarie de devenir un carrefour entre l’Ouest -dé-
bouché de Bari en Italie- et l’Est -la Mer Noire.

   Il fait concurrence également à la Turquie, le détroit du Bosphore étant ainsi
court-circuité ; d’une part, pour une raison technique, parce que les supertankers

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pétroliers de 300.000 tonnes ne peuvent plus emprunter le Bosphore, seule voie
congestionnée de sortie de la Mer Noire, où les tankers sont maintenant limités à
150.000 tonnes ; d’autre part, sur le plan stratégique à long terme, dans l’hypothèse
où les fondamentalistes prendraient le pouvoir à Ankara -ce qui ne paraît pas im-
possible dans l’avenir, puisqu’un parti islamiste est déjà au pouvoir-, il paraît pru-
dent aux puissances occidentales d’envisager une voie de substitution… Toutefois,
sur le plan politique, ce vaste projet risque de susciter le mécontentement des diri-
geants politiques de la Turquie.

    C’est dans ce cadre géostratégique qu’il faut comprendre les raisons de la
construction par l’armée américaine de la base géante de Camp Bondsteel (« Lien
d’acier » en anglais) au Kosovo, sa principale base dans les Balkans : située près
d’Uroševac, dans le secteur Est du Kosovo, près de la frontière macédonienne, elle
couvre 750 hectares (confisqués aux habitants locaux) et peut abriter jusqu’à 7.000
soldats (les trois quarts des soldats américains stationnés au Kosovo). Elle est consti-
tuée de 300 bâtiments en dur, 25 km de routes asphaltées, 52 pistes d’envol, et 55
hélicoptères. Elle est défendue par une enceinte fortifiée en ciment et en terre de 14
km de long -dont l’érection a exigé l’arasement de deux collines environnantes et le
comblement d’une vallée- et par 84 km de barbelés, avec 11 tours de guet. Il s’agit
d’une véritable cité américaine au cœur de l’Europe, avec trois zones urbaines, des
cinémas, des salles de sport disponibles 24 h sur 24, deux églises, et une bibliothè-
que. On y trouve également un Burger King, ainsi que l’hôpital militaire le mieux
équipé d’Europe2.

    Cette base militaire est si grande que, dans la population locale, circule une
plaisanterie : à la question : « Que voit-on de la Lune sur le globe terrestre ?» on vous
répond : « La Muraille de Chine et Camp Bondsteel » !

     Camp Bondsteel a été conçue comme une enclave autosuffisante, dotée de toutes
les réserves en cas de guerre : toutes les fournitures qui lui sont nécessaires (ali-
mentation, eau, électricité, transports, pompiers etc.) ont été sous-traitées par le
Pentagone à une société privée, Brown and Root Services, filiale d’Halliburton, que
nous avons déjà mentionnée à propos du projet d’oléoduc AMBO, et qui avait
déjà construit des bases en Somalie en 1992, et à Haïti en 1994 pour 18.000 hom-
mes. Durant sa phase de construction, Brown and Root était le principal employeur
du Kosovo, avec l’embauche de 7.000 Albanais encadrés par 1.700 techniciens et
1.000 ex-militaires américains.

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    Que la création de cette base dépasse le cadre étroit du Kosovo paraît une évi-
dence. Cette vision n’a d’ailleurs pas échappé à l’éditorialiste du Washington Post,
qui écrivait candidement, dès janvier 1999, que « le Moyen-Orient devenant de
plus en plus fragile, nous avons besoin de bases et de droits de survol aérien dans
les Balkans pour protéger le pétrole de la mer Caspienne ». D’ailleurs, selon le
colonel Mac Lure, commandant la 1ère Division d’infanterie U.S., « les plans de
sa construction avaient été dressés des mois avant que la première bombe ne soit
larguée »3, c’est-à-dire bien avant la Conférence de Rambouillet, dont l’échec a été
le prétexte à l’intervention de l’OTAN.

   Un officier supérieur britannique a confirmé au Washington Post que « cette
base est la preuve évidente que les Américains s’engagent à fond dans les Balkans et
entendent y rester ».

    Certains analystes supputent que Camp Bondsteel , par son ampleur, aurait été
conçu pour remplacer la base aérienne d’Aviano en Italie, dans le cadre de d’une
réorientation de la stratégie américaine autour de la Mer Noire4. Deux bases ont
déjà été construites par l’armée américaine depuis 2001 en Bulgarie, et pas moins
de quatre en Roumanie en cinq ans (2002-2007), dont deux sur le verrou de
Constantza (débouché de l’axe Rhin/Main/Danube sur la Mer Noire).

    On remarquera que le projet américain d’oléoduc AMBO -qui suppose un re-
tour au calme au Kosovo et en Albanie, ce qui n’est pas pour demain- est concurrent
du tracé de l’oléoduc « South Stream » (« Courant Sud ») prôné par les Russes, qui
font un grand retour dans la région. Ce dernier suivrait un tracé beaucoup plus sûr,
et donc moins coûteux, puisqu’il passerait par la Bulgarie, la Serbie et la Croatie,
avec lesquelles des accords ont déjà été passés (en février 2007 en ce qui concerne la
Croatie, pays qui n’est pourtant pas réputé comme russophile).

   Déjà, en mars 1999, alors que les avions de l’OTAN bombardaient la Serbie, le
général britannique Michael Jackson, qui commandait les troupes en Macédoine,
expliquait au journal italien Sole 24 Ore :

    « Les circonstances que nous avons créées ici ont changé. Aujourd’hui, il est
absolument nécessaire de garantir la stabilité de la Macédoine et son entrée dans
l’OTAN. Mais nous resterons ici longtemps pour garantir aussi la sécurité des cor-
ridors énergétiques qui traversent ce pays ».

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   Et le journal italien d’ajouter :
   « Il est clair que Jackson se réfère au Corridor VIII, l’axe Est-Ouest qui doit se
combiner à l’oléoduc amenant les ressources énergétiques de l’Asie centrale aux
terminaux de la Mer Noire et de l’Adriatique, reliant ainsi l’Europe à l’Asie centrale.
Cela explique pourquoi les grandes et moyennes puissances, et avant tout la Russie,
ne veulent pas être exclues des règlements de compte dans les Balkans »5.

Le Kosovo, plaque tournante du trafic de la drogue en Europe

    Cet intérêt géostratégique du Kosovo est malheureusement contrebalancé par
la place importante qu’il tient dans le trafic de drogues et la prostitution : selon un
rapport de l’Observatoire Européen des Drogues et Toxicomanies (Europol), sur les
125 tonnes d’héroïne consommée en Europe, 80% (100 tonnes) transiteraient par
le Kosovo ; le trafic d’héroïne y serait passé de 2/3 tonnes par an avant l’an 2000 à
8-10 tonnes entre 2000 et 2005, ce qui représente, sur la base d’un prix de vente
de 50.000 $ le kg et 40% de taux de profit, 123 millions $ de bénéfice mensuel
environ (1.476 millions $ par an) 6. En provenance de l’Afghanistan (6.110 tonnes
d’opium produites en 2006), et traversant la Turquie, le circuit de l’héroïne ali-
mente l’Europe occidentale via l’Albanie et l’Italie du Sud, où vit une importante
colonie albanaise, liée à la maffia italienne.

     Ces chiffres sont à rapprocher de ceux du commerce extérieur du Kosovo : avec
968 millions d’Euros d’importations pour 36 millions d’Euros d’exportations en
2003, le déficit commercial représentait 125% du PIB, entièrement couverts par
l’aide internationale et les transferts privés (envois des expatriés). Mais, à lui seul, le
trafic de la drogue, converti en Euros (1,476 millions de US dollars = 922 millions
d’Euros) était égal à 95% du chiffre du commerce extérieur…

    Quant à la prostitution, le Kosovo serait, selon un rapport de l’O.I.M., la pla-
que tournante d’un trafic de très jeunes filles (âgées de moins de 25 ans pour les
deux-tiers, et même de moins de 18 ans pour 15% d’entre elles) en provenance sur-
tout de Moldavie (53%), de Roumanie (23%) et d’Ukraine (13%), et à destination
de l’Ouest via l’Adriatique7 . Elle serait liée au trafic de drogues, et emprunterait les
mêmes circuits, les bénéfices obtenus par les trafiquants de drogues étant réinvestis
dans l’achat « d’esclaves sexuelles » (et inversement).

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    Grâce au programme de reconstruction entrepris par l’UNMIK, le PIB du
Kosovo a augmenté en moyenne de 4,3% entre 2000 et 2004, et s’élève à 790
dollars par habitant contre 400 dollars dix ans auparavant. Néanmoins, selon le
rapport d’information au Sénat fait au nom de la Commission des Affaires étran-
gères, le Kosovo demeure l’une des zones les plus pauvres d’Europe, avec 36% de la
population vivant sous le seuil de pauvreté (1,65 dollars par jour et par habitant).
Le chômage touchait officiellement 47,2 % de la population active en 2002 - chif-
fre à corriger compte tenu de l’existence d’une économie souterraine et informelle,
qui réduirait en fait le chômage dans une fourchette allant de 20% à 30%, ce qui
donnerait tout de même 36% à 39% de chômeurs réels -.

     L’extrême pauvreté (moins de 2.100 calories par jour et par adulte) affecterait
même 15% de la population, touchant plus particulièrement les enfants, les adultes
illettrés et les handicapés. Enfin, avec 35 enfants sur 1.000 qui décèdent avant leur
5ème anniversaire, le taux de mortalité infantile est, d’après l’UNICEF, le plus élevé
d’Europe8.

    Pourtant, le Kosovo n’est pas dénué de ressources naturelles, avec d’importan-
tes réserves de plomb, de zinc et de cuivre : 7.500.000 tonnes de minerais à des
teneurs exceptionnelles (20% pour le plomb, et 3,5% en cuivre, contre 0,9% en
moyenne dans le monde). Avant les évènements de 1999, le complexe de Trepča,
près de Mitrovica, constituait l’un des tout premiers complexes miniers en Europe,
combinat de type soviétique pratiquant l’intégration verticale (du minerai au pro-
duit métallurgique fini)9. Rappelons que, durant la Deuxième guerre mondiale, le
complexe de Trepča couvrit la plus grande partie des besoins du IIIème Reich en
plomb, indispensable pour la fabrication des balles de fusil. Il employait encore
9.500 ouvriers en 1998. Ce complexe a subi d’importants dégâts lors des bombar-
dements de 1999 ; les mines, faute d’entretien, ont été noyées, et leur remise en
marche exige de très gros investissements. C’est pourquoi le combinat s’est recon-
verti depuis 2001 dans le recyclage de métaux usés (ferrailles), ce qui a permis de
réembaucher 4.000 ouvriers, qui perçoivent des salaires très bas, et de plus à un
rythme irrégulier (en fait, il s’agit de chômage technique déguisé).

    Le Kosovo dispose également d’importantes réserves de lignite : en 1988, l’autre
complexe d’Obilić, près de Priština, fournissait 11 millions de tonnes de lignite par
an, exploité à ciel ouvert, qui fournissaient l’énergie permettant de produire 11%
de la production d’électricité yougoslave. Pourtant, actuellement, pour fournir le

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courant à 2 millions d’habitants, seule la centrale « Kosovo B » a été réhabilitée, avec
un financement de l’Union Européenne, mais avec de fréquentes coupures10 .

   Dans l’ensemble, le Kosovo reste essentiellement un pays agricole, l’agriculture,
qui occupe les deux tiers de la population active, représentant en 2005 un tiers du
PIB et 18% de la valeur des exportations (fruits et légumes, textile, nickel). Il s’agit
en moyenne d’exploitations de petite taille (70% ont 3,5 hectares de superficie au
maximum).

    Mais c’est sur le plan de la justice que la situation est la plus alarmante : sur
18.000 plaintes enregistrées par des Serbes ou des Roms dont les maisons ont été
confisquées ou détruites depuis 1999, seules quelques dizaines ont été traitées à ce
jour, les enquêtes des juges nommés par la MINUK étant entravées par la pression
des mafias locales sur les citoyens, qui usent de la menace pour les empêcher de
témoigner. Plus grave, entre 1999 et 2004, 1.197 non-Albanais ont été assassinés,
et 2.300 kidnappés11 .

    C’est le lieu de mentionner les rumeurs de trafics d’organes de non-Albanais
répandues par l’ancien procureur du TPI Carla del Ponte : dans son livre « la Chasse,
moi et les criminels de guerre » paru en Italie le 3 avril 2008, l’auteur indique que,
durant les enquêtes qu’elle a lancées concernant les crimes de guerre commis par
l’Armée de Libération du Kosovo (KLA) contre des Serbes ou d’autres non-Alba-
nais, le bureau du procureur fut informé que des personnes qui avaient disparu du-
rant le conflit du Kosovo auraient été utilisées pour des opérations de prélèvement
d’organes.

    Le même bureau recueillit des informations selon lesquelles des enquêteurs et
des officiels de la MINUK auraient appris que des Albanais du Kosovo auraient
transféré 300 otages Serbes et autres non-Albanais dans des camions vers le Nord de
l’Albanie durant l’été 1999. Ces prisonniers furent d’abord détenus dans des camps
tels que Kukes et Tropoje. Les détenus les plus jeunes et les plus valides furent exa-
minés par des docteurs, bien nourris et ne furent pas battus. Après quoi, un groupe
de prisonniers fut transféré dans une « maison jaune » à quelque 20 km au Sud de
Burel, déclare l’ancien procureur. Une salle dans la « maison jaune » servit de salle
d’opération, dans laquelle les médecins extrayaient les organes des prisonniers ; on
y a retrouvé des seringues et des traces de sang. Après quoi, les organes étaient via
l’aéroport de Rinas près de Tirana vers l’étranger, où ils étaient utilisés pour des
transplantations à des patients qui payaient pour cette opération.

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  De plus, l’actuel Premier Ministre du Kosovo, Ashem Thaçi, serait personnelle-
ment impliqué dans ce trafic d’organes.

    L’ex-procureur du TPI a conclu que les enquêteurs ont dû abandonner leurs
investigations sur ce cas parce que des recherches approfondies s’étaient révélées
« impossibles », les témoins ayant tous disparu depuis neuf ans.

    Un des dirigeants de l’O.N.G. « Human Rights Watch », Fred Abrahams, qui
travaille dans les Balkans depuis plusieurs années, semble accréditer cette thèse en
déclarant qu’il n’y a plus aucun doute en ce qui concerne les enlèvements de jeunes
Serbes en 1999 et leur transfert en Albanie, entre 100 et 300. Il a eu entre les mains
des documents s’y rapportant. Concernant le trafic d’organes, le document des
enquêteurs du TPI est encore un peu mince, mais sa propre enquête le confirme.
Abrahams reconnaît au départ avoir été très sceptique, mais ensuite de plus en plus
intéressé selon que les informations se confirmaient.

   Le dirigeant kosovar Ramuz Haradinaj, ancien chef militaire de l’U.C.K., a lui-
même annoncé le 16 mai 2008 qu’il « soutenait » une enquête sur le trafic d’organes
de Serbes disparus au Kosovo en 1999.

   Le représentant permanent de la Russie près de l’OTAN à Bruxelles, Dimitri
Rogozin, a tout de suite saisi la portée géopolitique des révélations de Mme del
Ponte en déclarant le 14 mai 2008 à la « Komsomolska Pravda » que :
    « La communauté internationale a toujours su que des gens étaient enlevés au
Kosovo pour prendre leurs organes, comme il est écrit dans le livre de l’ancien pro-
cureur du T.P.I., Carla del Ponte, mais, de la part de l’Occident, reconnaître de tels
faits aurait signifié la destruction des plans de partition de la Serbie, le changement
de la répartition des forces dans les Balkans, et la renaissance de l’influence de la
Russie. Ce sont des faits connus de tous ceux qui s’intéressaient au Kosovo, et, en
plus de tout, ce sont des preuves très sérieuses qui discréditent Taçi », qui était, selon
lui, « l’interlocuteur privilégié de l’Occident. Tout le monde savait ce qu’était que
l’U.C.K. -une organisation terroriste que finançait la narco-mafia ». Et il ajoute
que « ses partenaires avec lesquels il communique à Bruxelles appellent cela « la
politique réaliste »12 .

   Ceci justifierait, semble-t-il, le jugement abrupt de l’ex-ambassadeur du Canada
James Bissett -peu suspect de serbophilie- qui estimait néanmoins que « parmi tous

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les peuples du monde qui luttent pour leur indépendance, les Albanais du Kosovo
sont ceux qui le méritent le moins »13 .

    Sans porter un jugement aussi abrupt, un observateur objectif ne peut nier que,
compte tenu de la situation économique et sociale du Kosovo, ce pays sera encore
pendant de longues années à la charge de la communauté internationale -réalité qui
n’est pas niée d’ailleurs par les diplomates occidentaux, qui parlent d’une « indépen-
dance sous supervision internationale » pendant une phase intérimaire, dont la durée
n’est pas fixée. On notera que, sur le plan juridique, ces termes sont totalement
antinomiques.

Le Kosovo et l’axe Moscou-Belgrade

    Etant donné que la plupart des grandes puissances occidentales -à l’exception
notable de l’Espagne, on le verra- sans tenir compte du délabrement de la situation
locale au Kosovo, se sont empressées de reconnaître sa déclaration unilatérale d’in-
dépendance dans les jours qui ont suivi le 17 février 2008, la Serbie, qui s’oppose au
détachement de 15% de son territoire, est tentée de se retourner vers la Russie, al-
liée traditionnelle de par les origines (slaves) et la religion (chrétienne orthodoxe).

     On remarquera que le président serbe Boris Tadić, bien que favorable à l’entrée
de la Serbie dans l’Union Européenne, et de tendance modérée (D.S.), s’oppose
-comme tous les partis politiques serbes pour une fois unanimes- à cette reconnais-
sance de l’indépendance du Kosovo, et a reçu, lors d’un voyage à Moscou, l’appui
officiel du président russe Vladimir Poutine avant les élections législatives de mai
2008 en Serbie.

    Jusqu’où ira cet appui russe ? C’est toute la question. Les leçons de l’histoire
nous apprennent que l’alliance entre la Russie et la Serbie, contrairement à l’opi-
nion répandue, a connu des hauts et des bas : soutien à l’insurrection serbe de
Karageorge en 1807, mais abandon par Koutouzov en 1810, « la Serbie n’étant pour
lui qu’un théâtre d’opérations secondaire, trop éloigné des frontières de l’Empire russe » ;
appui en 1830 au Prince Miloš Obrenović face aux Ottomans ; envoi de 5.000
volontaires russes en 1876, avec le général Tchernaïev, lors d’une nouvelle guerre
commune contre l’Empire Ottoman. Au Congrès de Berlin de 1878, la Russie
obtient l’indépendance complète du Royaume de Serbie, mais abandonne le sort

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des Serbes de Bosnie-Herzégovine à l’Autriche-Hongrie, à laquelle est confié un
« mandat international » sur cette province ottomane, qu’elle annexera purement et
simplement en 1908, sans que la diplomatie russe n’élève de protestation14.

    Durant les guerres balkaniques (1912-1913), on remarque que la Russie soutient
davantage la Bulgarie, pays slave et chrétien orthodoxe également, mais mieux placé
sur le plan stratégique que la Serbie, puisqu’elle est la voie d’accès à Constantinople
et aux Détroits, objectif constant de la diplomatie russe.

    Durant la Première guerre mondiale, l’Empire des Tsars vient le premier au se-
cours de la Serbie attaquée par l’Autriche-Hongrie après l’attentat de Sarajevo, mais
les Bolcheviks abandonnent la Serbie à son sort en 1917.

    En octobre 1944, c’est bien l’armée du « grand frère » soviétique qui libère
Belgrade, conjointement avec les Partisans de Tito, mais en juin 1948, Staline ex-
clut brutalement la Yougoslavie du Kominform , pour des raisons obscures, et c’est
le « schisme » qui durera jusqu’à la visite de Nikita Sergheïevitch Khrouchtchev en
1955.

    Enfin, au Kosovo, personne n’aura oublié le « coup » de l’aéroport de Priština :
dans la nuit du 12 juin 1999, un contingent blindé russe, provenant de l’I.F.O.R.
en Bosnie-Herzégovine, arrive le premier sur la zone aéroportuaire, afin de préparer
le terrain à l’arrivée de 1.500 parachutistes en provenance de Russie. Mais le prési-
dent russe Boris Elstine, affaibli par la crise financière, n’exploite pas cet avantage
sur le plan diplomatique, et la Russie n’obtient même pas l’attribution d’un sec-
teur d’occupation au Kosovo, contrairement à l’Allemagne et à l’Italie, absents des
Balkans depuis 194515.

   Actuellement, il est néanmoins certain que la diplomatie russe voit d’un très
mauvais œil la naissance de ce qu’elle appelle un « Etat-OTAN » en plein cœur
des Balkans. Selon Natalia Narotchinskaïa, vice-présidente de la commission des
Affaires étrangères de la Douma :
    « Le Kosovo fait partie intégrante de la stratégie militaire et politique eurasienne
des Etats-Unis, et l’opération visant à détacher des provinces de la Serbie sert leur
volonté d’atlantisation de tous les processus européens ; leur objectif est de faire de
l’Europe une tête de pont des intérêts américains ».

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Le Kosovo et les couloirs européens

    Le directeur du Centre d’études politiques comparées de l’Académie des Sciences
de Moscou, expert reconnu pour les questions balkaniques, est plus précis, et en-
trevoit les conséquences d’une reconnaissance de l’indépendance autoproclamée du
Kosovo sur l’équilibre européen en ces termes :
    « Reconnaître l’indépendance du Kosovo va freiner l’évolution démocratique de
la Serbie, influencer les séparatistes basques, ceux de la Transylvanie roumaine et de
l’espace post-soviétique. Cela creusera encore le fossé entre la Russie et l’Occident,
et contraindra Moscou à des choix politiques vis-à-vis de plusieurs républiques non
reconnues. Les Tatars de Crimée sont d’ailleurs très attentifs à la manière dont pro-
gresse la situation au Kosovo » 16.

    En ce qui concerne l’Espagne, cette conséquence de la reconnaissance prématu-
rée de l’indépendance du Kosovo est confirmée de la manière la plus officielle par
le ministre des Affaires étrangères Miguel Angel Moratinos, selon lequel « la pro-
clamation d’indépendance du Kosovo du 17 février 2008 ne respecte pas le droit inter-
national », puisque contraire à la Résolution 1244 des Nations Unies de 1999, qui
reconnaissait la souveraineté de la Yougoslavie (Serbie-Monténégro) sur la Province
Autonome du Kosovo, et aux Accords d’Helsinki dans le 1er principe du Décalogue
(« Respect des droits inhérents à la souveraineté »), et le 6ème (« Non-intervention
dans les affaires intérieures d’un Etat souverain ») signés par tous les pays d’Europe
de l’Est comme de l’Ouest, les Etats-Unis et le Canada en 1975.

    En France, un sondage publié par Le Figaro révèle que 53 % des Français se-
raient opposés à cette reconnaissance hâtive, qui risque d’encourager les mouve-
ments séparatistes en Corse et au Pays Basque.

    Remarquons qu’à ce jour (31 mai 2008), seuls 41 pays sur 203, malgré de très
fortes pressions américaines, ont reconnu l’indépendance du Kosovo. La majorité
des 2/3 des pays membres des Nations Unies étant nécessaire pour que cette in-
dépendance soit juridiquement valable, soit 135 pays, il resterait encore 94 voix à
trouver avant la réunion de l’Assemblée Générale de l’O.N.U. en septembre 2008.
La presse finlandaise constate que « beaucoup moins de pays que prévu ont reconnu
l’indépendance unilatérale, illégitime et auto-proclamée du Kosovo, et que l’on
n’avait pas prévu que la Russie serait si active à l’O.N.U. contre cette indépen-
dance ».

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    Les pays les plus peuplés du monde, représentant 3 milliards d’habitants, l’ont
refusée : la Chine, à cause de Taïwan, du Thibet et du Sin-Kiang musulman, l’Inde,
en raison du problème du Cachemire, la Russie, le Pakistan, le Brésil, l’Indonésie,
l’ont refusée.

    Fait surprenant, la plus grande partie des pays musulmans, notamment les plus
influents, à savoir, outre l’Indonésie déjà citée, l’Egypte, l’Iran et l’Algérie, n’ont
pas reconnu la sécession des Albanais du kosovo. De tous les pays africains, seul le
Sénégal l’a fait, et, en Amérique Latine, aucun. Il est évident que l’application du
principe de la révision des frontières internationales en fonction de critères ethni-
ques aurait des effets catastrophiques sur le continent africain, où la quasi-totalité
des pays sont multiethniques, le tracé des frontières datant de l’époque coloniale.

    En Europe, outre l’Espagne, la Grèce, amie traditionnelle de la Serbie, ainsi
que deux autres pays orthodoxes, membres de l’Union européenne, la Slovaquie et
Chypre, et bien entendu la Russie, l’Ukraine et la Biélorussie, ont refusé de recon-
naître l’indépendance du Kosovo. Un bloc slave-orthodoxe, par réaction, tend ainsi
à se reconstituer.

     En sens inverse, la remise en cause des frontières internationales déclenchée par
cette sécession pourrait jouer en faveur des minorités ethniques, de grands pays
incluses, contre leur gré, dans les frontières d’Etats qui ont proclamé récemment
leur indépendance. Ainsi, le président Vladimir Poutine a déclaré récemment « qu’il
considérait le Kosovo comme un précédent valable pour la Transnistrie, l’Abkhazie, l’Os-
sétie du Sud et le Nagorni-Karabakh », lesquels pourraient, après référendum, faire
sécession de leurs Républiques respectives, au cas où l’indépendance de la Province
Autonome du Kosovo par rapport à la République de Serbie serait autorisée par les
instances internationales.

    Rappelons qu’en 1991, dans le Caucase, le gouvernement de la Géorgie, nouvel-
lement indépendante lors de l’éclatement de l’Union Soviétique en 15 Républiques,
a aboli le statut d’autonomie dont jouissaient l ‘Abkhazie, à l’Ouest, et l’Ossétie
du Sud, peuplées de minorités ethniques de religion orthodoxe et dont la langue
s’écrit en cyrillique : 500.000 habitants pour l’Abkhazie, au bord de la Mer Noire,
et 100.000 habitants pour l’Ossétie du Sud, qui n’est séparée de l’Ossétie du Nord
russe que par le col de Darial.

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Le Kosovo et les couloirs européens

     L’Abkhazie et l’Ossétie du Sud ont immédiatement réagi en proclamant leur
indépendance, laquelle n’a pas été reconnue par les Nations Unies. Depuis 1994,
ces deux régions sont des protectorats de fait de la Russie à qui l’O.N.U. a confié la
mission de maintien de l’ordre.

    Le conflit s’est envenimé en 2004 avec l’arrivée au pouvoir, suite à une « révo-
lution de couleur » (rose) comme en Ukraine (orange), du président ouvertement
pro-américain et anti-russe Saakachvili (âgé de 35 ans, et formé dans une université
américaine).

    Dans les deux semaines qui ont suivi la proclamation de l’indépendance du
Kosovo du 17 février 2008, l’Abkhazie et l’Ossétie du Sud ont demandé que leur
sécession soit reconnue officiellement par les Nations Unies et le Conseil de l’Eu-
rope. Le 20 avril 2008, suite au survol de l’Abkhazie par un drone géorgien, abattu
par un avion russe (ou abkhaze, selon les versions), même Washington a demandé à
la Géorgie « de ne pas provoquer la Russie ». Celle-ci a massé des renforts, portant
à 3.000 hommes l’effectif de la « force de paix » russe en Abkhazie, chargé de faire
respecter le cessez-le-feu de 199417.

    De même, le Nagorni-Karabakh, enclave arménienne chrétienne-orthodoxe au
sein de l’Azerbaïdjan musulman, pourrait être tenté de rejoindre la République
d’Arménie, et la Transnistrie russophone quitter la Moldavie de langue roumaine
pour rejoindre la Fédération de Russie. Ceci constituerait un grave revers pour les
Etats-Unis et l’O.T.A.N., la Géorgie et l’Azerbaïdjan ayant déjà déposé leur candi-
dature à l’entrée dans l’Alliance Atlantique, curieusement étendue jusqu’à la Mer
Caspienne...

   En Espagne, un dirigeant basque, membre du Parlement, a d’ores et déjà indiqué
que la méthode adoptée par les chefs albanais du Kosovo « constituait un excellent
exemple de la marche à suivre pour le Pays Basque », qui revendique son indépendance
non seulement dans sa partie espagnole, mais aussi dans sa partie française, l’ethnie
basque s’étendant, comme l’on sait, de part et d’autre des Pyrénées.

    En Amérique du Nord même, la Province francophone du Québec, qui a déjà
obtenu 49 % de voix favorables à l’indépendance lors d’un référendum populaire,
et imposé l’usage obligatoire de la langue française en 1976, se dit intéressée par
ce processus, et menace de faire sécession de la Fédération du Canada à majorité

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anglophone. « Il faut se réjouir qu’un nouveau peuple devienne libre », a déclaré le
18 février Daniel Turp, porte-parole du Parti Québecois en matière de relations
internationales.

     En Extrême-Orient, Taïwan (l’île de Formose), qui ne constitue qu’une « en-
tité » en droit international, non reconnue par les Nations Unies depuis que le siège
de la Chine est occupé par le régime de Pékin, mais dont la réussite économique
est incontestable, pourrait être tenté par la même démarche, de même que le Tibet,
où les évènements récents ont rappelé au monde qu’il était peuplé d’une minorité
non-chinoise (Han).

    Au Sri-Lanka (ex-Ceylan), les Tamouls, minorité ethnique hindouiste dans un
pays berceau du bouddhisme (25% de la population, d’ailleurs importée du conti-
nent indien par les Britanniques au XIXe siècle pour travailler sur les grandes plan-
tations!), en rébellion depuis plusieurs dizaines d’années contre le gouvernement de
Colombo, pourrait suivre la même voie, etc. etc.

     La liste des pays dans le monde concernés par l’indépendance autoproclamée
du Kosovo est interminable et n’épargne pas la Grande-Bretagne (Ecosse, Ulster), la
Belgique (Flandre), l’Italie (Haut-Adige, Padanie), et, dans les Balkans, la Roumanie
et la Slovaquie (minorités hongroises).

     Enfin, dans les pays issus de l’éclatement de l’ex-Yougoslavie, les revendications
de la minorité albanaise de Macédoine (30% de la population) ont déjà provoqué
la dissolution du gouvernement de Skopje. Le Monténégro, la Serbie (vallée de
Preševo) et la Grèce (Epire) sont également menacés par la tentative de reconsti-
tution d’un « Grand Kosovo » comme à l’époque glorieuse de Mussolini, durant
la Deuxième guerre mondiale, qui avait créé une « Grande Albanie » vice-royaume
italien18.

     En guise de conclusion, on peut remarquer que le jeu dangereux joué par les
Etats-Unis en Europe pour des raisons géostratégiques (protection des « corridors
européens », et accès au pétrole et au gaz de la Mer Caspienne) a été décrit avec
une rare clairvoyance par le dernier président de l’U.R.S.S. Mikhaïl Gorbatchev -à
qui le monde doit être infiniment reconnaissant d’avoir permis la chute du Mur
de Berlin- dans une interview publiée le 15 mai par le journal britannique Daily
Telegraph:

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Le Kosovo et les couloirs européens

    « Les Américains avaient promis que l’OTAN ne s’étendrait pas au-delà des
frontières de l’Allemagne après la fin de la guerre froide. Résultat, la moitié des Etats
d’Europe centrale et orientale sont désormais membres de l’Alliance Atlantique, ce
qui montre bien ce que sont devenues ces promesses. Cela prouve qu’on ne peut
pas leur faire confiance. (…). Nous disposions de dix ans, après la fin de la Guerre
froide, afin d’édifier un nouvel ordre mondial. Ces dix ans ont été gaspillés, sans
aucun résultat », a-t-il fait remarquer.

    M. Gorbatchev a dénoncé le caractère « infondé » des déclarations des dirigeants
américains qui accusent la Russie dans une rhétorique agressive entraînant derniè-
rement une dégradation des relations avec l’Occident, Washington étant, selon lui,
responsable de l’augmentation de la tension dans le monde.

    « Le problème, ce n’est pas la Russie. La Russie n’a pas d’ennemis, et n’a pas
l’intention d’entrer en guerre contre les Etats-Unis ou contre qui que ce soit. On
a parfois l’impression que Washington souhaite guerroyer avec le monde entier »,
a déclaré l’ancien président de l’U.R.S.S., en référence aux déclarations du chef
du Pentagone, évoquant la menace présentée « par le cheminement incertain de la
Chine et de la Russie ».

    M. Gorbatchev a par ailleurs qualifié l’éventuel déploiement en Europe orien-
tale (Pologne et Roumanie) d’éléments du bouclier anti-missiles de « démarche
dangereuse, qui relance à un niveau inédit la course aux armements ».

    Ce n’est que dans ce cadre très large, nous semble-t-il, que peuvent s’expliciter
les pressions américaines pour une reconnaissance hâtive de l’indépendance auto-
proclamée de « l’Etat-OTAN » du Kosovo.

* Docteur en Histoire des relations internationales contemporaines.

Notes

1. Diana JOHNSTONE, « La Croisade des fous », Paris, Le Temps des Cerises, 2005, traduction
de l’édition originale « The Fool’s Crusade », Pluto Press, Londres, pp. 287-288.
2. « Bondsteel, la forteresse américaine », Balkans-Infos n°117, janvier 2007, pp. 10-11.
3. Paul STUART, « Bondsteel : la puissance américaine au cœur de l’Europe et le pétrole de la
Caspienne, traduit par Maurice Pergnier, Balkans-Infos n° 67, juin 2002.

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4. Alexis TROUDE, « Le Kosovo : un quasi-Etat dans la nouvelle guerre froide », Diplomatie
n° 32, mai-juin 2008, pp. 57-59.
5. « Bondsteel, la forteresse américaine », Balkans-Infos n°117, op. cit., p. 11.
6. Xavier RAUFER, « La Mafia albanaise », Editions Favre, Lausanne, 2000, et « Instabilité et
problèmes sécuritaires », in « Kosovo, danger ! », Institut de Sécurité des Balkans, Bruxelles, 2006,
pp. 41-52, site www.institusb.org, et Email : institusb@yahoo.fr
7. Enquête de l’O.I.M. sur 300 femmes victimes de la traite de 2000 à 2002, in : Xavier RAUFER,
op. cit., pp. 42-43.
8. Extrait du Rapport d’information n° 316 (2003-2004) au Sénat, de MM. Jean-Marie
POIRIER et Didier BOULAUD « Serbie, Monténégro, Kosovo, ensemble ou séparés vers l’Union
Européenne ? », fait au nom de la Commission des Affaires étrangères, déposé le 19 mai 2004.
9. Gilles TROUDE, « Conflits identitaires dans la Yougoslavie de Tito (1960-1980) », Association
Pierre Belon, diff. de Boccard, Paris, décembre 2007, p. 158 (réf : Ministère des Affaires étrangères,
Série Europe 1966-1970, boîte 2722, réf. 37-29-5, note du 20 août 1966, p. 3).
10. Alexis TROUDE, Diplomatie n° 32, mai-juin n° 32, op.cit., p. 56.
11. Rapport 2006 OSCE, Vienne, 2006.
12. Komsomolska Pravda, Moscou, 14 mai 2008.
13. « Reconsidering Kosovo », The American Council for Kosovo, Washington D.C., USA, 28
septembre 2006.
14. Ernest WEIBEL, « Histoire et géopolitique des Balkans de 1800 à nos jours », Ellipses, Paris,
2002, pp. 157-170.
15. Alexis TROUDE, « Géopolitique de la Serbie », Ellipses, Paris, 2006, p. 169.
16. Xenia FOKINA, PROFIL, Moscou, in : « Moscou contre un futur « Etat-OTAN », Courrier
International n° 890, 22-28 novembre 2007, p. 37.
17. Fabrice NODÉ-LANGLOIS, « La Russie déploie des renforts contre la Géorgie », Le Figaro
du 3 mai 2008, p. 6.
18. Francis BERTIN, « L’Europe de Hitler », Tome II « La Marche vers l’Est », Librairie Française,
1977, pp. 25-33.

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