Les entreprises québécoises face à la mondialisation : la voie des alliances
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Les entreprises québécoises face à la mondialisation : la voie des alliances par Alain Noël Alain Noël, Ph.D., est professeur Il se passe peu de jours sans que tenez en main un objet dans la con- agrégé de stratégie à l’École des l’on entende parler des effets de la ception duquel la compagnie a Hautes Études Commerciales de mondialisation sur nos entreprises. englouti plus de 175 millions de Montréal et membre du Centre Mais qu’entend-on exactement par dollars US en recherche et déve- d’études en administration inter- mondialisation? L’image peut-être la loppement, pour lequel elle a obtenu nationale (CETAI). plus frappante pour illustrer ce phéno- plus d’une vingtaine de brevets mène est le rasoir Sensor récemment s’appliquant à la seule tête pivotante, mis en marché par la compagnie et dont la campagne mondiale de Gillette. Peu importe l’endroit où vous lancement a entraîné à l’hiver 89 des écoutiez la télévision l’hiver dernier, investissements de 110 millions de peu importe aussi la salle de cinéma dollars US. La «perfection dans la où vous alliez voir un film, au Canada, mondialisation» est donc aussi syno- aux États-Unis, en France, en nyme de pouvoir investir 285 millions Hollande, en Allemagne ou partout de dollars US pour mettre au point et dans le monde, on essayait de vous commercialiser un produit de convaincre que la «perfection au consommation courante coûtant moins masculin» passait par le Sensor. de cinq dollars. Le retour sur inves- tissement pour le consommateur est Ce qu’il faut noter de cette cam- énorme. Pour les concurrents poten- pagne de publicité, c’est que le thème tiels, la barrière à l’entrée vient musical accompagnant les logos, qui cependant d’être fixée à près de sont évidemment produits dans la 300 millions de dollars, ce qui en langue de chaque pays, est partout élimine plusieurs. À la limite, on peut semblable; il en va de même pour la s’interroger sur le bien-fondé de succession d’images nous présentant consacrer tant de ressources à un pro- des hommes sportifs bien en santé : duit destiné avant tout à... cannibaliser d’origine noire, blanche ou asiatique, les autres produits de Gillette! Une tous sont conviés à s’identifier aux analyse détaillée démontre cependant mêmes modèles bien rasés de que la marge de profit récoltée sur les perfection masculine. La standar- nouvelles lames est le double de celle disation à l’échelle du globe d’une des anciennes. On prévoit que le thématique publicitaire est une Sensor contribuera au tiers environ des caractéristique importante des assauts ventes de Gillette en 1989 (estimées à de mondialisation. 3,8 milliards de dollars) et à 50 pour cent de ses profits (estimés à Il y a d’autres éléments importants. 285 millions de dollars). Bref, Gillette Le fait, par exemple, que le rasoir peut pourrait récupérer avec les profits de s’obtenir en promotion pour moins de la première année les investissements quatre dollars dans les grandes chaînes colossaux consacrés à ce produit. pharmaceutiques. À ce prix, vous Voilà ce que veut dire la 46 Gestion – Septembre 1990
mondialisation : en jouant un marché travers le monde. Dans les quatrième tuellement à exporter. En effet, l’ajout planétaire, une entreprise peut rendre et cinquième parties, nous chercherons sur un nouveau territoire d’un réseau difficile, sinon impossible, l’émer- à identifier où se trouvent les par- de vendeurs payés au pourcentage des gence de tout concurrent sérieux pour tenaires potentiels auxquels nos ventes réalisées coûte en général son produit; il ne reste alors aux autres entrepreneurs pourraient tenter de moins cher et s’avère moins risqué que qu’à changer de créneau et à se s’allier pour développer des stratégies le changement de compétences spécialiser, à fuir en avant en ayant de recentrage régional, et sur quelles qu’entraînerait le lancement de nou- recours à l’innovation, ou enfin à similitudes les entreprises pourraient veaux produits sur le marché national forger des alliances pour combattre le se baser pour engager ces alliances. d’origine. dinosaure. Nous conclurons enfin sur quelques conseils pour aborder ces stratégies À ce jeu, les entreprises atteignent Parler de mondialisation, c’est d’alliances régionales qui permettront cependant un niveau où tout accrois- constater que des entreprises comme à des entreprises de taille moyenne de sement du réseau des ventes rend Gillette peuvent dépenser des sommes se doter de capacités de production ou caduques les installations de pro- aussi colossales pour des produits de encore de réseaux de distribution plus duction nationales et justifie consommation courante ou pour des étendus pour faire face à l’entente de éventuellement la décentralisation des fins industrielles. Nous aborderons libre-échange entre le Canada et les centres de production à l’étranger dans cet article l’impact de la mon- États-Unis, à l’Europe des Douze ou afin de réduire les coûts de transport et dialisation des activités économiques encore à la Maison Européenne de de profiter des divers avantages de leur sur les stratégies des entreprises. S’il Gorbatchev. localisation multiple : coûts de est facile de constater que de grandes financement, de main-d’œuvre ou de entreprises multinationales ont tout matières premières avantageux, avantage à intégrer leurs opérations à subventions et programmes gouver- la grandeur de la planète, il est moins nementaux divers, etc. Au chapitre des facile de faire la même recomman- UN DÉTOUR CONCEPTUEL : stratégies déployées, ces firmes dation à des entreprises de taille plus L’ÉVOLUTION CLASSIQUE DES répètent souvent à l’étranger les modeste, comme celles que l’on ENTREPRISES stratégies adoptées dans leur pays trouve en général au Québec. Dans les d’origine. Cette phase repose donc pages qui suivent, nous leur proposons presque toujours sur des stratégies de d’adopter des stratégies régionales. croissance nationale déployées de Par ce terme, nous entendons des Avant de pousser plus loin notre façon autonome dans plusieurs pays stratégies qui s’attaqueront à des réflexion, il est important de constater (NS). Les objectifs stratégiques régions géographiques bien définies : que les entreprises ont évolué en poursuivis ici sont du même type que la Côte ouest américaine, la région suivant un cheminement assez ceux de la première phase, à savoir Rhône-Alpes (recouvrant partielle- prévisible (voir tableau 1). Ainsi, la établir des compétences distinctives ment la France, la Suisse et l’Italie du première phase d’évolution, que nous différentes dans plusieurs pays en Nord) ou encore les Balkans, pour appelons la croissance nationale, s’ajustant sélectivement aux demandes donner quelques exemples. Il est consiste pour une entreprise à nationales exprimées dans chacun. important de noter que notre utili- déployer ses forces sur un marché sation du qualificatif régional ne décrit national donné. Toutes les tactiques pas des subdivisions d’un pays mais déployées pour réaliser une stratégie La quatrième phase commence désigne plutôt des parties de con- dite nationale (N) visent le même lorsque l’entreprise se met à tinents, faisant des régions des réalités objectif : favoriser le façonnement consolider ses opérations inter- transnationales. d’une compétence distinctive unique nationales. La croissance des ventes sur laquelle la firme pourra ensuite connaît alors un ralentissement relatif Dans les première et deuxième tabler pour assurer son développement. alors que la rentabilité tend à parties de ce texte, nous aborderons de augmenter. Constamment en quête façon conceptuelle l’évolution des Celles qui réussissent peuvent alors d’efficience, les entreprises main- entreprises et les impacts de la mon- accélérer leur croissance en passant à tenant multinationales essaient de dialisation sur leurs stratégies. Puisque la seconde phase, soit le recours à réaliser des économies d’envergure en notre intérêt porte sur les options qui l’exportation pour réaliser une procédant à des exportations croisées s’offrent aux entreprises québécoises, stratégie toujours considérée comme de produits finis ou de composantes et que celles-ci sont en général de étant nationale (N). La réalisation entre la maison-mère et ses filiales taille moyenne, nous allons accorder d’économies d’échelle est importante (échanges multidomestiques), cela beaucoup d’importance aux intentions pour toute entreprise, grande ou afin d’optimiser l’utilisation des stratégiques des dirigeants. Nous moyenne; les études de stratégie sources d’avantages qu’elles possèdent appuyant sur l’hypothèse que les pdg démontrent assez clairement que les à travers leur réseau. Toutes les ont un impact majeur sur la stratégie entreprises à plus fort volume sur un stratégies qui demandent d’équilibrer de leur entreprise (Noël, 1984; 1989), créneau donné sont normalement les des objectifs d’efficience nationale nous allons dans un troisième temps plus profitables 1. Pour pouvoir aug- dans plusieurs pays et d’efficience livrer les résultats d’une enquête menter le volume de toute unité de globale de l’entreprise tombent dans la comparative portant sur les intentions production, une entreprise doit élargir catégorie des stratégies multi- stratégiques de trois cents pdg à son marché, ce qui l’amène éven- domestiques (M). Gestion – Septembre 1990 47
Tableau 1 ÉVOLUTION CLASSIQUE DES ENTREPRISES 5 Volume des 4 ventes 3 2 1 N N NS M I Temps PHASES STRATÉGIES ET OBJECTIFS 1. Croissance nationale Stratégie nationale (N) pour établir une compétence distinctive 2. Exportation Stratégie nationale (N) pour augmenter le volume et réaliser des économies d’échelle 3. Production à l’étranger Stratégies nationales (NS) pour établir des compétences différentes dans divers pays 4. Échanges Stratégies multidomestiques (M) pour réaliser des économies multidomestiques d’envergure tout en équilibrant des objectifs d’efficience nationale et d’efficience globale 5. Mondialisation Stratégie d’intégration mondiale (I) pour coordonner de façon planétaire la recherche et le développement, la production et les ventes Lors de la dernière phase connue de développement, la fabrication et la taille que sont les États-Unis (220 cette évolution, les entreprises distribution de certains produits ou millions de consommateurs) ou le multinationales décident de procéder à services standardisables sur de grands Japon (112 millions) ont favorisé une mondialisation de leurs opé- marchés. Le facteur-clé permettant ces depuis dix ans l’émergence de telles rations. Favorisées par une innovation stratégies d’intégration mondiale (I) stratégies. Ce n’est en effet qu’après technologique, des réseaux de distri- est l’existence de marchés de grande s’être fait la main sur de grands bution exceptionnels, des capacités de taille dans lesquels les entreprises marchés intérieurs que les entreprises production inégalées, le support de peuvent standardiser leurs opérations. multinationales ont entrepris de certains gouvernements ou, à tout le Si des entreprises multinationales ont s’intégrer mondialement. moins, l’absence de contraintes pu apprendre à la phase multi- gouvernementales dans certaines domestique à standardiser leurs opé- industries, ces firmes entreprennent de rations entre divers pays, il reste que coordonner au niveau mondial le les marchés homogènes de grande 48 Gestion – Septembre 1990
entreprises de grande taille peuvent qui peuvent adopter des stratégies plus rapidement accroître leur poten- multidomestiques (M) caractérisées, L’ÉMERGENCE DES RÉGIONS tiel concurrentiel sur des marchés nous l’avons vu, par une plus grande subitement plus vastes, comment des efficience de production doublée entreprises de plus petite taille d’une bonne capacité d’effectuer des Le cheminement que nous venons pourront-elles se doter des avantages ajustements nationaux. On trouve au de décrire a été suivi depuis le début des firmes déjà multinationales sans centre du schéma une plage n’appar- du siècle par la majorité des entre- avoir le luxe du temps pour y arriver tenant en propre à aucun type prises mondiales occidentales de façon progressive? Avant de d’entreprise mais où toutes peuvent se d’aujourd’hui. Ce fut notamment le répondre à ces questions importantes rencontrer, une sorte de no man’s cas de Gillette. Lancé aux États-Unis, pour la survie de l’entreprise québé- land, une zone de combat (Z) où le rasoir de sûreté a été envoyé aux coise moyenne, nous allons simplifier luttent surtout les entreprises soldats américains qui combattaient à la description des champs de bataille multinationales et celles intégrées travers le monde. Ce rasoir plaisait aux sur lesquels se déploieront les stra- mondialement. Cette plage est le lieu officiers car il était beaucoup moins tégies d’entreprise des années à venir, des stratégies dites multifocales (Doz, dangereux que celui d’antan. Ayant vu en développant la notion d’espace 1986) ou transnationales (Bartlett, ses lames distribuées aux soldats à stratégique. Goshal, 1989) : on y trouve les luttes travers le monde, Gillette s’est ensuite de marché et les attaques et contre- installée à divers endroits pour De nos jours, la construction de attaques les plus forcenées de l’espace produire et distribuer ses produits au l’espace stratégique repose sur la stratégique car c’est le lieu des enjeux meilleur coût possible. De fil en reconnaissance que les entreprises en les plus grands et les plus risqués pour aiguille, elle est parvenue au stade que concurrence doivent subir deux formes les firmes multinationales. Enfin, à nous connaissons, à savoir celui d’une de pressions très différentes : des l’extrême gauche supérieure du entreprise fortement intégrée mon- pressions pour une plus grande schéma se trouve la plage consacrée dialement. coordination mondiale et d’autres aux stratégies d’intégration mondiale pour des ajustements nationaux. (I), une zone où se sont positionnées Dans la dynamique de déve- D’une part, les exigences de coor- par exemple Gillette, IBM ou Sony. loppement des firmes nationales ou dination mondiale traduisent la multinationales, toute création de nécessité d’une plus grande efficience Dans les années 90, l’effet premier blocs économiques vient réduire les associée à l’élargissement des et immédiat de la création des trois difficultés que les firmes devraient marchés; c’est par exemple le cas des blocs économiques sera la formation normalement encourir pour agrandir ordinateurs personnels. D’autre part, très rapide de trois grands marchés leur marché par la voie de l’expor- des exigences d’ajustement national homogènes. L’impact que cela aura tation. Toute standardisation sur un plus ou moins fortes peuvent s’exercer sur les entreprises québécoises et plus grand marché des demandes selon les pays et les industries; on étrangères sera semblable dans les faites aux entreprises permet à celles comprendra par exemple que les États trois cas. Les menaces et les occasions qui ont les plus fortes capacités de exercent de fortes pressions d’exclu- varieront notamment en fonction de la production de desservir plus rapide- sivité sur les entreprises en con- taille relative actuelle des entreprises ment et à meilleur coût ces nouveaux currence dans l’industrie de la défense sur les marchés en question. Le marchés homogènes. Économies militaire. Ces deux formes de schéma b) du tableau 2, portant sur la d’échelle – associées à de plus gros pressions s’opposent toujours, quoique poussée de mondialisation engendrée volumes de production – et économies à des degrés divers selon les par la création des trois blocs d’envergure – associées à une plus industries, et les entreprises peuvent y économiques, illustre l’effet immédiat grande efficience des opérations et aux répondre différemment par leurs de ces changements sur l’espace nouvelles synergies entre produits – se stratégies. C’est ce que cherche à stratégique des entreprises. trouvent donc décuplées pour les décrire l’espace stratégique présenté firmes capables de desservir ces au tableau 2, qui peut être divisé en On constate que la plage réservée marchés de plus grande taille créés par plusieurs plages qui prendront ou aux entreprises nationales se rétrécira, la volonté politique des États. On perdront de l’importance suite aux alors que les firmes en voie d’inté- comprend tout de suite que l’effet ententes transnationales dont nous gration mondiale repousseront la zone immédiat de l’Europe des Douze, avons parlé plus haut. de combat (Z) vers la plage qui était d’une Europe de l’Est unie mais occupée par les entreprises déployant ouverte ou encore de l’entente de À l’extrême droite inférieure du des stratégies multinationales (M). En libre-échange entre le Canada et les schéma a) du tableau 2 décrivant la effet, l’impact à court terme de toutes États-Unis sera de créer de vastes situation actuelle, on trouve la plage les mesures de normalisation sur marchés homogènes de 340 millions des entreprises nationales qui lesquelles se penchent actuellement de consommateurs (CEE et RDA), 375 poursuivent des stratégies de les dirigeants, entre autres ceux de la millions (Europe de l’Est) et croissance nationale (N) très sensibles CEE, sera d’augmenter de façon 250 millions (Canada et États-Unis), aux pressions demandant des ajus- presque immédiate la taille des sur lesquels il sera plus facile de tements nationaux. Ce sont les firmes marchés «standardisables». Les déployer des stratégies d’intégration. situées à la première étape du tableau 1. entreprises appartenant à l’un ou Elles sont actuellement fortement l’autre des pays membres pourront Mais s’il apparaît évident que les menacées par les firmes plus grandes désormais desservir de la même façon Gestion – Septembre 1990 49
Tableau 2 ÉVOLUTION DE L’ESPACE STRATÉGIQUE Coordination mondiale Schéma a) Situation actuelle I Z M N Ajustements nationaux Schéma b) Coordination mondiale Poussée de mondialisation I Z M N Ajustements nationaux Schéma c) Coordination mondiale Recentrage I régional Z M R N Ajustements nationaux Légende I : Intégration mondiale N : Nationale Z : Zone de combat R : Recentrage régional M : Multidomestique Poussées concurrentielles tous les marchés de la CEE. Cela stade de la multidomesticité, ces nationaux où elles pourraient démon- donnera donc, dans un premier temps, nouveaux marchés élargis viendront trer à court terme plus de facilité à un très net avantage aux entreprises augmenter les pressions pour une plus réaliser des ajustements nationaux capables d’une plus grande coor- grande coordination de leurs opé- qu’à augmenter leur niveau de coor- dination de leurs activités et favorisera rations et pour la quête d’une plus dination mondiale. Bref, la lutte les économies d’échelle et d’en- grande efficience, et donc pour une devrait se déplacer sur le terrain des vergure, ce qui agrandira la plage plus forte intégration mondiale de ajustements nationaux, au détriment disponible aux stratégies d’intégration leurs activités. À défaut de pouvoir y peut-être des entreprises nationales. mondiale (I). répondre, les entreprises multi- domestiques seront repoussées de la Selon le modèle de Michael Porter Pour les firmes ayant déjà atteint le zone de combat vers les créneaux (1982), ce sont les pressions exercées 50 Gestion – Septembre 1990
combat (Z) devrait rétrécir lorsque des Tableau 3 entreprises poursuivant des stratégies EFFETS DES PRESSIONS CONCURRENTIELLES de croissance nationale (N) se doteront des moyens leur permettant de déployer des stratégies régionales (R), forçant les entreprises multi- nationales à augmenter leurs capacités de coordination pour mener une lutte plus âpre aux entreprises adoptant des Concurrents actuels stratégies d’intégration mondiale (I). Distributeurs Ce que ce schéma suggère, c’est l’émergence éventuelle d’une autre Fournisseurs Intégration étape d’évolution, inexistante au mondiale tableau 1, qui permettrait aux entre- prises nationales de devenir régionales sans avoir à prendre le temps de Produits substituts traverser les étapes deux à cinq. Nouveaux concurrents Au Canada, cela signifierait notamment que les entreprises du Ajustements Québec ou de la Colombie Britannique Clients nationaux pourraient être mieux positionnées que les autres firmes canadiennes de même Groupes de pression taille moins capables de différen- Gouvernements ciation régionale. On devrait aussi assister en Europe de l’Ouest à une redéfinition des marchés autour de nouveaux pôles régionaux. On pour- rait penser à un découpage où on retrouverait la région sub- méditerranéenne (sud de l’Espagne, par les concurrents actuels, les four- ayant des objectifs aussi divers que la Portugal et Afrique du Nord), la nisseurs, les distributeurs, les nou- protection de l’environnement, les région méditerranéenne (sud de la veaux concurrents et les produits droits des jeunes, ceux des aînés ou France et nord de l’Espagne), la région substituts, qui forceront un recours encore le respect des différences Rhône-Alpes (Suisse, nord de l’Italie, aux stratégies de coût minimal et culturelles ou religieuses, il est plus Alpes et Jura français), la région favoriseront les entreprises capables que probable que des pressions crois- allemande, la région Atlantique (nord d’un plus grand volume de production. santes s’exerceront pour que les de la France, Grande-Bretagne et La partie supérieure du tableau 3 entreprises s’ajustent encore plus à des Wallonie belge), les Pays-Bas et la illustre l’impact de ces variables sur caractéristiques locales, nationales ou Belgique flamande, le bloc Scandinave, les stratégies d’intégration mondiale. régionales. Ces pressions, qu’illustre etc. En ce qui a trait au rêve de Gérer stratégiquement devient par la partie inférieure du tableau 3, Gorbatchev de créer une Grande ailleurs de plus en plus complexe. On devraient nous mener à la prochaine Maison Européenne de l’Oural à doit désormais identifier de façon phase évolutive de l’espace straté- l’Atlantique, on constate que la seule beaucoup plus prudente et plus large gique, le recentrage régional. grande demeure de l’Est, avec ses les acteurs stratégiques. Qu’on lise 375 millions d’habitants, ressemble Freeman (1984) ou encore Pasquero Le schéma c) du tableau 2 porte sur actuellement plus à une maison de (1988), on prévoit de plus en plus que ce recentrage régional prévisible chambres qu’à une maison uni- les stratèges de demain devront avant la fin du siècle. Il est peu pro- familiale. On ne sait pas encore quels prendre leurs décisions en tenant bable que les entreprises très intégrées seront les liens entre les divers États et davantage compte des facteurs perdent à court terme beaucoup de groupes nationaux de l’Est, mais il sociaux, politiques et culturels carac- terrain, quoique des dinosaures soient n’est pas difficile de prévoir des térisant leurs marchés. Il est alors toujours susceptibles de disparaître. regroupements régionaux. raisonnable de croire que les États- Ce qui risque de se produire, c’est une nations, sous la gouverne des poli- revalorisation des différences de En résumé, on devrait assister d’ici ticiens qui les dirigent, rechercheront marchés, non pas en fonction des dix ans à deux mouvements stra- des solutions favorisant leurs citoyens territoires nationaux du passé, qui tégiques importants : une forte électeurs respectifs, et ce même dans correspondaient souvent impar- croissance des entreprises s’intégrant le cadre des nouvelles ententes faitement aux regroupements naturels mondialement pour jouir d’avantages économiques créant de grands blocs des populations, mais plutôt en de taille reliés à de plus grands commerciaux. Si l’on prend aussi en fonction des caractéristiques régio- marchés, suivie d’une contre-poussée considération la montée de plus en nales propres à de nouveaux marchés d’ajustements aux différences plus marquée des groupes de pression en voie de définition. La zone de nationales et surtout régionales. Les Gestion – Septembre 1990 51
jeux sont presque faits pour ceux qui d’Amérique du Nord, d’Europe et de pour la Grande-Bretagne et le reste voudraient s’intégrer mondialement : quelques pays en voie de de l’Europe l’écart important qui les firmes multinationales ont déjà développement. existe entre cette option et celle qui fourbi leurs armes. Pour ce qui est de constitue leur second choix, à la phase suivante, celle du recentrage Nous avons tenté, dans cette étude, savoir l’extension à de nouveaux régional, tout reste possible. Pour les de comparer les caractéristiques des marchés; firmes québécoises de taille modeste, dirigeants, des processus décisionnels, tout comme pour les firmes nationales des entreprises et des facteurs con- – l’extension à de nouveaux marchés des divers pays européens de l’Ouest currentiels dans différents pays. Nous domine par ailleurs la liste des et de l’Est, la partie ne fait que avons de plus cherché à relier ces options en France et en Allemagne commencer. Elles doivent se doter le caractéristiques aux grandes recom- de l’Ouest. On peut aussi constater plus rapidement possible des mandations stratégiques des grilles de la similitude des profils français et caractéristiques leur permettant d’être type BCG, McKinsey ou A.D. Little 3 : allemand : l’extension, la péné- des joueurs régionaux, capables de maintenir une position, croître ou tration et la croissance interne y ont meilleurs ajustements nationaux et désinvestir. Le tableau 4 présente, pour sensiblement la même importance. régionaux que les entreprises multi- l’ensemble des trois cents entreprises Dans notre enquête, les Allemands domestiques. Le grand défi demeure recensées, l’intérêt relatif des neuf et les Français sont les plus tournés, d’acquérir les avantages de la loca- intentions stratégiques les plus tout comme les Nord-Américains et lisation multiple sans prendre le temps classiques associées à ces trois grands les Scandinaves, vers une que les multinationales ont mis pour y types de recommandations. croissance à l’extérieur de leurs arriver graduellement (tel qu’illustré frontières; au tableau 1). C’est ici que les On constate d’abord que les alliances stratégiques prendront toute intentions stratégiques ne présentent – les Français manifestent un grand leur importance : elles pourront per- pas toutes le même intérêt pour les attrait pour une croissance par mettre aux firmes nationales de gestionnaires interrogés. De façon acquisitions, attrait que ne par- devenir rapidement régionales sans générale, on observe que les stratégies tagent pas les Allemands, pourtant devoir traverser seules les étapes de de croissance attirent le plus l’atten- semblables à eux dans les autres l’exportation et de la production à tion des dirigeants, surtout l’option de options. Il y aurait par contre une l’étranger avant d’arriver à une autre pénétration du marché actuel, suivie similitude entre les Allemands, les forme de multidomesticité. par l’extension à de nouveaux mar- Anglais et les pdg du reste de chés. Si on se réfère au tableau 1, cette l’Europe qui ne retiennent pas cette préférence confirme l’attrait pour les option, tandis que les Scandinaves stratégies de croissance nationale (N) y trouvent autant d’intérêt que les dans le pays d’origine, suivies du Français, suivis de peu par les recours à l’exportation (phases 1 et 2 Suisses et les Autrichiens et enfin SE DÉVELOPPER traditionnelles). Les stratégies de repli, par les Nord-Américains; RÉGIONALEMENT : de diversification non reliée et les LES ALLIANCES STRATÉGIQUES fusions sont les options qui intéressent – en Amérique du Nord, il est le moins les pdg étudiés. intéressant de noter les différences plus nettes entre les diverses Les alliances stratégiques sont donc Si l’on pousse plus loin l’analyse, options; on trouve enfin dans le primordiales pour la survie des on constate que des différences reste de l’Europe, c’est-à-dire les entreprises de taille moyenne des trois nationales existent, ce qui tend à Pays-Bas, la Belgique, l’Italie, blocs économiques qui nous occupent. confirmer notre vision non mono- l’Espagne, la Grèce, etc., un intérêt Par ailleurs, peut-on présumer que les lithique des continents européen et pour la stratégie de maintien, soit modes de croissance que privilégieront américain. En ne retenant, au tableau 5, de protection de leur positions les pdg de ces entreprises donneront que les stratégies les plus attrayantes peut-être plus vulnérables. lieu à de telles alliances? L’attrait de pour la France, la Grande-Bretagne, diverses options stratégiques pourrait l’Allemagne de l’Ouest, la Suisse alle- On peut donc conclure que les aussi varier d’un pays à l’autre à cause mande et l’Autriche, la Scandinavie, entrepreneurs des divers pays étudiés de différences culturelles nationales. l’Amérique du Nord et le reste de présentent des profils d’intentions Les études comparatives entreprises à l’Europe, on constate des différences différents. Chaque cas mérite alors la suite des travaux de Hofstede d’intentions selon les pays : d’être étudié un à un en fonction des (1983) ou les récents travaux de Porter partenaires partageant la même (1990) démontrent en effet à quel – l’option de pénétration des marchés intention stratégique. Notons enfin que point des différences nationales actuels prend une grande impor- les stratégies plus agressives mais peuvent marquer les attitudes des tance dans cinq cas sur sept, soit en aussi plus risquées de fusion ou encore gestionnaires face aux problèmes et Amérique du Nord, en Scandinavie, de diversification non reliée n’ont pas aux solutions de gestion. C’est dans ce en Grande-Bretagne, en Suisse et su attirer l’attention de nationalités contexte que nous avons entrepris une en Autriche et dans le reste de particulières ni d’ailleurs celle des étude comparative 2 des intentions l’Europe, où les dirigeants privi- répondants en général (tableau 4). Or stratégiques de trois cents dirigeants légient cette stratégie de croissance rappelons que ce sont ces stratégies d’entreprises de taille moyenne nationale. Il est intéressant de noter qui favorisent le plus l’accélération de 52 Gestion – Septembre 1990
Tableau 4 OPTIONS STRATÉGIQUES CLASSIQUES Échelle d’intérêt de 1 (minimum) à 7 (maximum) 7 6 5 4 3 2 1 1 2 3 4 5 6 7 8 9 Légende : A) MAINTIEN B) CROISSANCE C) DÉSINVESTISSEMENT 1. Même taille mais plus de profits 2. Pénétration du marché actuel 8. Vente et redémarrage 3. Extension à de nouveaux marchés 9. Vente et retraite 4. Consolidation interne des opérations 5. Fusions 6. Acquisitions reliées 7. Diversification non reliée Gestion – Septembre 1990 53
Tableau 5 STRATÉGIES LES PLUS ATTRAYANTES PAR PAYS 7 ; ; ;; 6 ;;;;;;;;;;;; ;; ;; ;;;;; ;;; ; ;; ;; ; ;;;;;; ;; ; ; ;; ;;;;;;;;; ; ;;;;;;;;;;;;;; ; 5 ; ;;;;;; ;; ;;; ; ;;;; ;; ; ;; ;; ;; ;; ;;;; ;;;; ;; ;;; ; ;;;; ; ;;;;;; ;; ;;; ; ;;;; 4 ;; ;;; ;;;; ;;;; ;; ;; ;; ;;;;;; ;; ; ; ;; ;; ; ; ;; ;; ;; ;; ; ; ; ;; ;; ;; ;; ;;;; ;;;; ;; ; ; ;; 3 ;; ;; ;;;;;; ;; ;;; ; ;;;; ; ; ;; ;; ;; ;; ;; ;; ;;;; ;;;; ;; ;;; ; ;;;; ;; 2 ;;;;;; ;; ;;; ; ;;;; ;; ;; ;;;;;;;; ;; ; ; ;; ; ;; ;; ; ;; ;; ;; ;; 1 France Grande- ;; ;; Allemagne Suisse et ;Suède, ; ;; Autres pays Canada et ; Bretagne Autriche Norvège, européens États-Unis Danemark confondus ;; ;; Légende ;; ;; Maintien Pénétration Extension Interne Acquisition la croissance d’une firme et qui lui entreprises privilégiant des stratégies entreprises recensées privilégient des permettent de rattraper le plus de croissance solitaire (la pénétration, options de croissance par alliances. Le rapidement ses concurrents multi- l’extension et la consolidation interne) tableau 6 indique la répartition domestiques. et celles préférant les stratégies de nationale de ces entreprises-types pour croissance par alliances (les fusions, des stratégies de recentrage régional. À défaut de trouver de grandes les acquisitions reliées et la diver- similitudes entre les pdg des différents sification non reliée). Cette analyse On dit souvent qu’une image vaut pays sur la base des neuf stratégies nous permet de constater que 24 pour mille mots. Celle que nous laisse ce étudiées, et puisque notre analyse cent des entreprises recensées tableau est fort révélatrice des indique que l’avenir sourira aux préfèrent nettement les stratégies de différences nationales au chapitre des entreprises capables d’alliances pour croissance solitaire; près de 30 pour chercheurs d’alliances. Les Québécois se recentrer régionalement, nous avons cent de toutes les firmes allemandes se arrivent en tête de liste avec 53 pour cherché à savoir s’il était possible retrouvent d’ailleurs dans ce sous- cent des pdg du Québec recensés d’établir une différence entre les groupe. Par ailleurs, 21 pour cent des recherchant une forme ou une autre 54 Gestion – Septembre 1990
Tableau 6 LES CHERCHEURS D’ALLIANCES* % des répondants 60 50 40 30 20 10 0 QC SCA S/A EUR PVD GB FR USA ALL * 23 % de l’échantillon total d’alliance. Ils sont suivis par les doit nous sensibiliser au danger de sont, et c’est heureux compte tenu de Scandinaves, les Suisses et les croire trop rapidement à de grandes la dynamique d’évolution de l’espace Autrichiens, les pdg du reste de similitudes continentales. stratégique, de grands chercheurs l’Europe, des pays en voie de déve- d’alliances. Mais où sont donc nos loppement (PVD) et les Britanniques. alliés potentiels? Lesquels présentent À l’inverse, il faut noter que les les profils les plus compatibles au Allemands arrivent bons derniers avec nôtre pour développer des stratégies à peine 13 pour cent des entrepreneurs OÙ SONT LES ALLIÉS DES de recentrage régional? Lorsqu’on intéressés par ces options, précédés de FIRMES QUÉBÉCOISES? constate que moins de 20 pour cent peu par les Américains (16 pour cent) des firmes américaines cherchent des et les Français (17 pour cent). Encore alliances, on peut déduire que ce n’est une fois, la très grande différence L’analyse que nous venons de faire pas au sud du 45e parallèle qu’il sera le entre les Américains et les Québécois mène à constater que les Québécois plus facile de trouver des alliés. Gestion – Septembre 1990 55
Les Québécois rêvent souvent Britanniques que nous avons le plus de rience. Nous avons de plus, comme d’établir plus de rapports avec les similitudes, surtout au plan orga- eux, les besoins de réalisation et de entreprises françaises. Bien qu’il y ait nisationnel. C’est ensuite aux Français pouvoir les plus élevés de tout des réussites dans ce domaine, on que nous ressemblons le plus, majo- l’échantillon retenu. C’est cependant compte aussi beaucoup d’échecs, ritairement au chapitre de notre lecture dans le domaine des caractéristiques chose moins surprenante lorsqu’on de l’environnement. Nos deux peuples organisationnelles que les ressem- constate le fort attrait des Français fondateurs semblent donc avoir laissé blances sont les plus déterminantes : pour les acquisitions (tableau 5) et leur des traces assez visibles, surtout la les deux groupes décentralisent le faible propension aux alliances en conquête anglaise. Il est par contre plus, formalisent le plus aussi leurs général (tableau 6). Il en va de même intéressant de noter que c’est aux modes de gestion et ont le plus recours pour l’Allemagne de l’Ouest : bien Américains que nous ressemblons le à des mécanismes de liaison divers que plusieurs rêvent d’un partenaire moins. pour gérer. Enfin, en ce qui a trait aux allemand pour s’attaquer à l’Europe de processus décisionnels, nous par- l’Est, minces semblent être les Si nous analysons plus en détail ces tageons avec les Anglais la plus forte chances de réussite des alliances avec résultats, nous voyons que ce sont les propension à assumer des risques. des firmes ouest-allemandes. Il n’y a Québécois qui perçoivent leur envi- Bref, si nous analysons l’envi- en fait que les Anglais, parmi les ronnement économique comme étant ronnement comme des Français, il partenaires majeurs de la CEE, qui le plus hostile et qui évaluent les semble que nous gérions plus comme présentent un quelconque potentiel facteurs de rivalité et les menaces des Anglais. d’alliances, potentiel doublé du fait générales qui se présentent à eux qu’ils démontrent dans notre enquête comme étant les plus élevés. Ce sont Les autres comparaisons sont le plus haut niveau d’intérêt pour des les Français qui se rapprochent le plus moins significatives. Notons tout de stratégies de repli, une indication qu’il de notre vision très méfiante de même que nous tolérons l’ambiguïté et y aurait plus d’entreprises à vendre en l’environnement concurrentiel, et c’est recherchons l’autonomie comme les Angleterre qu’ailleurs en Europe. d’ailleurs le point qui recoupe 60 pour Allemands, que nous avons des cent de nos ressemblances. Français et modèles de réussite non-parentaux Enfin, il est intéressant de noter que Québécois sont semblables aussi quant comme les Américains, que nos la majorité des pdg privilégiant les à leur orientation volontaire, les grands-parents nous ont influencé alliances ne se trouvent pas dans des Québécois étant légèrement plus comme c’est le cas en Suisse et en pays de l’Europe des Douze (sauf le introdéterminés que les Français, mais Autriche, et enfin que l’influence des Danemark). Ils sont en Scandinavie moins que les Américains qui le sont parents et notre besoin d’affiliation (Suède, Norvège et Danemark), en le plus dans notre échantillon. Au sont semblables à ce que l’on trouve Suisse, en Autriche ou dans le reste de chapitre des processus décisionnels, en Scandinavie. Au plan de l’analyse l’Europe. Il reste alors à savoir si les nous sommes comme les Français, de l’environnement, après les profils des entreprises québécoises et ceux qui accordent le plus d’impor- Français, c’est aux Suisses et aux de celles de ces pays sont semblables tance à l’analyse de l’environnement. Autrichiens que nous ressemblons le et compatibles. Bref, les pdg des deux groupes se plus dans notre préoccupation à ressemblent beaucoup dans la lecture différencier nos produits et dans Pour répondre à cette question, qu’ils font de leur environnement l’évaluation de l’incertitude envi- nous avons comparé les entreprises concurrentiel. ronnementale. Au plan organisa- selon 26 dimensions différentes. Au tionnel, nous partageons avec les total, onze indices décrivaient des Nous ressemblons malgré tout Allemands le recours à la spécia- caractéristiques des pdg, tandis que les beaucoup plus aux Anglais. Ainsi, les lisation des tâches et aux mécanismes propriétés de l’environnement, les chercheurs d’alliances Anglais et de contrôle. Enfin, au chapitre des caractéristiques organisationnelles et Québécois ont, dans les deux cas, un caractéristiques décisionnelles, nous les modes de décision étaient mesurés peu moins de 44 ans et ils ont terminé analysons les problèmes comme les par cinq indices chacun. Le tableau 7 leurs études autour de 23 ans : ils ont Scandinaves, nous planifions comme démontre que c’est avec les donc en moyenne vingt ans d’expé- les Américains, et nous anticipons les phénomènes comme les Suisses et les Autrichiens. Tableau 7 PROFILS COMPARATIFS Ces résultats sont pour le moins excitants, mais rien ne nous dit quelles seraient les meilleures combinaisons. INDICES FR ALL GB USA S/A SCA Par contre, on peut dès maintenant Entrepreneur (11) 1 2 4 1 1 2 prévoir que les efforts à déployer dans la réalisation d’alliances ne devront Environnement (5) 3 2 pas porter sur les mêmes points selon Organisation (5) 2 3 les alliés pressentis. En nous rappelant Processus de que les plus grands chercheurs décision (5) 1 1 1 1 1 d’alliances, après les Québécois, sont les Scandinaves, nous ne devons pas Total (26) 5 4 8 2 4 3 oublier que nous avons peu de choses 56 Gestion – Septembre 1990
en commun avec eux. Cela peut rendre les structures industrielles euro- croissance qu’ils peuvent générer pour nos ententes très complémentaires péennes pour que les membres de la leurs citoyens, et les campagnes pourvu qu’on soit sensible au besoin CEE ne cherchent pas à protéger électorales d’aujourd’hui se font plus de discuter mutuellement de nos certains acquis ou encore à compenser sur un fond de développement éco- visions différentes. Si nous cherchons certaines inégalités. Les exigences nomique que sur une plate-forme des partenaires suisses ou autrichiens, d’ajustements nationaux (tableau 2) purement sociale ou culturelle. Les nous arriverons peut-être assez vite à devraient donc devenir plus fortes et entreprises doivent alors comprendre nous entendre sur l’analyse de favoriser les entreprises nationales ou qu’elles peuvent infléchir leurs gou- l’environnement. Si nous envisageons régionales. Plusieurs débats en vernements pour les amener à établir une aventure britannique, nous Europe, comme ceux sur la Sécurité des ententes de réciprocité. pouvons espérer peu de problèmes de Sociale ou encore sur les subventions gestion à cause de nos très grandes à l’agriculture ou au développement L’Europe de 1993 sera ouverte aux similitudes organisationnelles. Sachant régional, illustrent bien cette entreprises québécoises qui sauront que les Français recherchent très peu problématique. offrir des partenariats croisés à des les alliances, nous devrons nous firmes européennes désireuses rappeler que celles qui seront tentées Bien entendu, ne serait-ce que d’accéder, par la même formule, au mettront face à face deux méfiants. parce que le Japon est très fermé, que marché américain. Cela permettra aux Pour ce qui est de l’entente de libre- les États-Unis et le Canada ont dressé deux partenaires de mieux se préparer échange, le faible intérêt des la barrière, en réalité très faible mais ensemble pour se recentrer régio- Américains pour les alliances, doublé néanmoins présente, de l’accord de nalement sur la Grande Maison de leur faible ressemblance avec les libre-échange, il y aura sans doute en Européenne. Nous avons identifié les entrepreneurs québécois, incite peu à 1993 une certaine fermeture des partenaires les plus évidents; il reste à se redéployer régionalement en frontières européennes aux entreprises savoir quelles devraient être les règles Amérique du Nord avec eux. étrangères qui n’auront pas eu la à suivre pour établir ces alliances. sagesse de s’y installer auparavant. Tout porte à croire cependant que c’est Cette dernière question est peut- la règle de la réciprocité qui prévaudra être la plus facile à aborder dans la dans l’Europe de demain : on ouvrira mesure où elle commande une réponse les portes à ceux qui ouvriront les théorique. Dans un premier temps, les SACHEZ FRÉQUENTER... leurs. Quant à l’Europe de l’Est, nous entreprises d’ici et de là-bas devront se y jouissons d’une certaine estime à la fréquenter, un peu comme les jeunes fois parce que comme Canadiens, gens de bonne famille d’antan. Plus Dans un contexte de mondiali- nous sommes les représentants d’une qu’ici encore, il faut en Europe faire sation, il est encourageant de conclure terre d’accueil, et que comme partie d’un réseau pour faire de bonnes que nos entreprises québécoises sont Québécois, nous parlons le français, affaires. Faire partie d’un réseau du peloton de celles qui recherchent le qui a depuis longtemps été associé à signifie avoir des entrées auprès des plus les alliances stratégiques. À notre l’élite culturelle de plusieurs pays dont banquiers, des distributeurs, des avis, cela augure très bien pour la par exemple la Russie, la Roumanie, la fournisseurs, des conseillers et des phase de recentrage régional qui Tchécoslovaquie et la Pologne. membres de la classe politique. Dans marquera aussi bien l’Amérique du son comportement, l’entrepreneur Nord que l’Europe de l’Est ou de Voilà donc de belles ouvertures de européen établit d’abord une relation : l’Ouest. Les Allemands et les Français négociation pour plusieurs firmes il faut savoir gagner sa confiance par essaieront sans doute de faire cavaliers québécoises rêvant de s’installer en de nombreuses fréquentations avant seuls pour se concurrencer sur le Europe et pour des entreprises euro- d’établir des ententes... qu’il faut être territoire européen. Cela se produit péennes qui rêveraient de s’installer en prêt à renégocier. Nos entrepreneurs déjà face aux pays est-européens, où Amérique. Face à cette option, nous doivent donc s’empresser d’aller en Allemands et Français rivalisent avons une longueur d’avance sur le Europe pour établir des liens mais d’astuce pour s’attirer les faveurs des reste du continent dans la mesure où le prendre leur temps avant de signer des entreprises. Par ailleurs, tout cela Québec, quand ce n’est pas tout le ententes. Une fois trouvé le partenaire semble se faire sur une toile de fond Canada par extension, est perçu recherché, le mariage gagnera à être où les normes allemandes sont en voie comme étant le territoire le plus euro- formalisé, même si tout le monde sait de s’imposer, les Français ayant déjà péen d’Amérique. Après les provinces qu’il faudra, comme dans une vie de abandonné cette lutte dans plusieurs maritimes, c’est le Québec qui est couple, procéder à des réaménage- secteurs. géographiquement le plus près de ments ultérieurs de l’entente. l’Europe. C’est aussi avec nous que la Tout indique que l’Europe, bien proximité historique est la plus Un partenariat croisé réussi deman- qu’unifiée, ne sera pas monolithique, grande, tant avec l’Angleterre qu’avec dera aux deux parties de satisfaire à et que des dynamiques régionales la France. Bien entendu, les entre- six grandes conditions : elles éta- reprendront le dessus. La vision d’un prises ne pourront à elles seules créer blissent des relations importantes; marché européen parfaitement ouvert la réciprocité dans les ententes entre elles s’entendent pour procéder à des n’est pas très réaliste : il y a encore pays; c’est le rôle des gouvernements investissements avec une perspective trop de divergences dans les priorités, de s’y attaquer. Par ailleurs, ces temporelle étendue sur plusieurs dans les niveaux d’enrichissement et derniers sont très sensibles à la années; elles s’assurent d’une inter- Gestion – Septembre 1990 57
dépendance équivalente des par- Doz, Y., Strategic Management in Pasquero, J., «Gérer stratégiquement dans tenaires de l’entente; elles se dotent Multinational Companies, Pergamon une économie politisée», Gestion, vol. d’une organisation intégrée commune Press, Oxford, 1986. 14, no 3, septembre 1989, pp. 116-128. pour gérer le partenariat; elles infor- Freeman, E.R., Strategic Management: A Porter, M.E., Choix stratégiques et ment constamment leur partenaire des Stakeholder Approach, Pitman, concurrence, Economica, Paris, 1982. gestes qu’elles posent; et surtout, elles Boston, 1984. Porter, M.E., The Competitive institutionnalisent sous une forme Hax, A., Majluf, N., Strategic Mana- Advantage of Nations, The Free Press, quelconque cette alliance croisée. gement: an Integrative Perspective, New York, 1990. Prentice Hall, Englewood Cliffs, 1984. Ces alliances sont le meilleur Prahalad, C. K., Doz, Y., The Multi- moyen pour les firmes nationales Hofstede, G., «National Culture in Four national Mission, The Free Press, New Dimensions», International Studies of York, 1987. européennes et québécoises d’accéder Management and Organizations, vol. à des marchés d’échanges régionaux, 13, 1983, pp. 97-118. plus vastes et similaires à ceux qui font la force des sociétés Noël, A., Un mois dans la vie de trois Présidents : préoccupations et occu- NOTES multinationales. Ces firmes devien- pations stratégiques, thèse de doctorat dront ainsi les acteurs-clés de la pro- non publiée, Faculty of Management, chaine ère des stratégies régionales. McGill University, Montréal, 1984. 1. Les études de PIMS, les travaux du BCG ou encore la stratégie dite du coût total minimum de Porter Noël, A., «Les modèles de décision et leur soutiennent tous cette hypothèse. Pour plus de détails application à la diversification par voir Hax et Majluf (1984) et Porter (1982). RÉFÉRENCES acquisitions ou fusions», Gestion, vol. 2. Je tiens ici à remercier le département de la 12, no 3, septembre 1987, pp. 40-50. recherche de l’INSEAD, à Fontainebleau (France), ainsi que le Centre d’Études en Administration Noël, A., «Strategic Cores and Internationale des HEC (Montréal), le CETAI, qui ont Magnificent Obsessions: Discovering tous deux rendu possible et apporté leur support Bartlett, C.A., Goshal, S., Managing financier à cette étude. Across Borders: The Transnational Strategy Formation Through Daily 3. Pour plus de détail, voir Hax et Majluf (1984) et Solution, Harvard Business School Activities of CEOs», Strategic Noël (1987). Press, Boston, 1989. Management Journal, vol. 10, 1989, pp. 33-49. 58 Gestion – Septembre 1990
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