Les entreprises québécoises face à la mondialisation : la voie des alliances

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Les entreprises
                                    québécoises face
                                    à la mondialisation :
                                    la voie des alliances
                                    par Alain Noël

Alain Noël, Ph.D., est professeur      Il se passe peu de jours sans que       tenez en main un objet dans la con-
agrégé de stratégie à l’École des   l’on entende parler des effets de la       ception duquel la compagnie a
Hautes Études Commerciales de       mondialisation sur nos entreprises.        englouti plus de 175 millions de
Montréal et membre du Centre        Mais qu’entend-on exactement par           dollars US en recherche et déve-
d’études en administration inter-   mondialisation? L’image peut-être la       loppement, pour lequel elle a obtenu
nationale (CETAI).                  plus frappante pour illustrer ce phéno-    plus d’une vingtaine de brevets
                                    mène est le rasoir Sensor récemment        s’appliquant à la seule tête pivotante,
                                    mis en marché par la compagnie             et dont la campagne mondiale de
                                    Gillette. Peu importe l’endroit où vous    lancement a entraîné à l’hiver 89 des
                                    écoutiez la télévision l’hiver dernier,    investissements de 110 millions de
                                    peu importe aussi la salle de cinéma       dollars US. La «perfection dans la
                                    où vous alliez voir un film, au Canada,    mondialisation» est donc aussi syno-
                                    aux États-Unis, en France, en              nyme de pouvoir investir 285 millions
                                    Hollande, en Allemagne ou partout          de dollars US pour mettre au point et
                                    dans le monde, on essayait de vous         commercialiser un produit de
                                    convaincre que la «perfection au           consommation courante coûtant moins
                                    masculin» passait par le Sensor.           de cinq dollars. Le retour sur inves-
                                                                               tissement pour le consommateur est
                                       Ce qu’il faut noter de cette cam-       énorme. Pour les concurrents poten-
                                    pagne de publicité, c’est que le thème     tiels, la barrière à l’entrée vient
                                    musical accompagnant les logos, qui        cependant d’être fixée à près de
                                    sont évidemment produits dans la           300 millions de dollars, ce qui en
                                    langue de chaque pays, est partout         élimine plusieurs. À la limite, on peut
                                    semblable; il en va de même pour la        s’interroger sur le bien-fondé de
                                    succession d’images nous présentant        consacrer tant de ressources à un pro-
                                    des hommes sportifs bien en santé :        duit destiné avant tout à... cannibaliser
                                    d’origine noire, blanche ou asiatique,     les autres produits de Gillette! Une
                                    tous sont conviés à s’identifier aux       analyse détaillée démontre cependant
                                    mêmes modèles bien rasés de                que la marge de profit récoltée sur les
                                    perfection masculine. La standar-          nouvelles lames est le double de celle
                                    disation à l’échelle du globe d’une        des anciennes. On prévoit que le
                                    thématique publicitaire est une            Sensor contribuera au tiers environ des
                                    caractéristique importante des assauts     ventes de Gillette en 1989 (estimées à
                                    de mondialisation.                         3,8 milliards de dollars) et à 50 pour
                                                                               cent de ses profits (estimés à
                                       Il y a d’autres éléments importants.    285 millions de dollars). Bref, Gillette
                                    Le fait, par exemple, que le rasoir peut   pourrait récupérer avec les profits de
                                    s’obtenir en promotion pour moins de       la première année les investissements
                                    quatre dollars dans les grandes chaînes    colossaux consacrés à ce produit.
                                    pharmaceutiques. À ce prix, vous           Voilà ce que veut dire la

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mondialisation : en jouant un marché        travers le monde. Dans les quatrième       tuellement à exporter. En effet, l’ajout
 planétaire, une entreprise peut rendre      et cinquième parties, nous chercherons     sur un nouveau territoire d’un réseau
 difficile, sinon impossible, l’émer-        à identifier où se trouvent les par-       de vendeurs payés au pourcentage des
 gence de tout concurrent sérieux pour       tenaires potentiels auxquels nos           ventes réalisées coûte en général
 son produit; il ne reste alors aux autres   entrepreneurs pourraient tenter de         moins cher et s’avère moins risqué que
 qu’à changer de créneau et à se             s’allier pour développer des stratégies    le changement de compétences
 spécialiser, à fuir en avant en ayant       de recentrage régional, et sur quelles     qu’entraînerait le lancement de nou-
 recours à l’innovation, ou enfin à          similitudes les entreprises pourraient     veaux produits sur le marché national
 forger des alliances pour combattre le      se baser pour engager ces alliances.       d’origine.
 dinosaure.                                  Nous conclurons enfin sur quelques
                                             conseils pour aborder ces stratégies
                                                                                           À ce jeu, les entreprises atteignent
    Parler de mondialisation, c’est          d’alliances régionales qui permettront
                                                                                        cependant un niveau où tout accrois-
 constater que des entreprises comme         à des entreprises de taille moyenne de
                                                                                        sement du réseau des ventes rend
 Gillette peuvent dépenser des sommes        se doter de capacités de production ou
                                                                                        caduques les installations de pro-
 aussi colossales pour des produits de       encore de réseaux de distribution plus
                                                                                        duction nationales et justifie
 consommation courante ou pour des           étendus pour faire face à l’entente de
                                                                                        éventuellement la décentralisation des
 fins industrielles. Nous aborderons         libre-échange entre le Canada et les
                                                                                        centres de production à l’étranger
 dans cet article l’impact de la mon-        États-Unis, à l’Europe des Douze ou
                                                                                        afin de réduire les coûts de transport et
 dialisation des activités économiques       encore à la Maison Européenne de
                                                                                        de profiter des divers avantages de leur
 sur les stratégies des entreprises. S’il    Gorbatchev.
                                                                                        localisation multiple : coûts de
 est facile de constater que de grandes
                                                                                        financement, de main-d’œuvre ou de
 entreprises multinationales ont tout
                                                                                        matières premières avantageux,
 avantage à intégrer leurs opérations à
                                                                                        subventions et programmes gouver-
 la grandeur de la planète, il est moins
                                                                                        nementaux divers, etc. Au chapitre des
 facile de faire la même recomman-
                                             UN DÉTOUR CONCEPTUEL :                     stratégies déployées, ces firmes
 dation à des entreprises de taille plus
                                             L’ÉVOLUTION CLASSIQUE DES                  répètent souvent à l’étranger les
 modeste, comme celles que l’on
                                             ENTREPRISES                                stratégies adoptées dans leur pays
 trouve en général au Québec. Dans les
                                                                                        d’origine. Cette phase repose donc
 pages qui suivent, nous leur proposons
                                                                                        presque toujours sur des stratégies de
 d’adopter des stratégies régionales.
                                                                                        croissance nationale déployées de
 Par ce terme, nous entendons des               Avant de pousser plus loin notre
                                                                                        façon autonome dans plusieurs pays
 stratégies qui s’attaqueront à des          réflexion, il est important de constater
                                                                                        (NS). Les objectifs stratégiques
 régions géographiques bien définies :       que les entreprises ont évolué en
                                                                                        poursuivis ici sont du même type que
 la Côte ouest américaine, la région         suivant un cheminement assez
                                                                                        ceux de la première phase, à savoir
 Rhône-Alpes (recouvrant partielle-          prévisible (voir tableau 1). Ainsi, la
                                                                                        établir des compétences distinctives
 ment la France, la Suisse et l’Italie du    première phase d’évolution, que nous
                                                                                        différentes dans plusieurs pays en
 Nord) ou encore les Balkans, pour           appelons la croissance nationale,
                                                                                        s’ajustant sélectivement aux demandes
 donner quelques exemples. Il est            consiste pour une entreprise à
                                                                                        nationales exprimées dans chacun.
 important de noter que notre utili-         déployer ses forces sur un marché
 sation du qualificatif régional ne décrit   national donné. Toutes les tactiques
 pas des subdivisions d’un pays mais         déployées pour réaliser une stratégie         La quatrième phase commence
 désigne plutôt des parties de con-          dite nationale (N) visent le même          lorsque l’entreprise se met à
 tinents, faisant des régions des réalités   objectif : favoriser le façonnement        consolider ses opérations inter-
 transnationales.                            d’une compétence distinctive unique        nationales. La croissance des ventes
                                             sur laquelle la firme pourra ensuite       connaît alors un ralentissement relatif
     Dans les première et deuxième           tabler pour assurer son développement.     alors que la rentabilité tend à
 parties de ce texte, nous aborderons de                                                augmenter. Constamment en quête
 façon conceptuelle l’évolution des             Celles qui réussissent peuvent alors    d’efficience, les entreprises main-
 entreprises et les impacts de la mon-       accélérer leur croissance en passant à     tenant multinationales essaient de
 dialisation sur leurs stratégies. Puisque   la seconde phase, soit le recours à        réaliser des économies d’envergure en
 notre intérêt porte sur les options qui     l’exportation pour réaliser une            procédant à des exportations croisées
 s’offrent aux entreprises québécoises,      stratégie toujours considérée comme        de produits finis ou de composantes
 et que celles-ci sont en général de         étant nationale (N). La réalisation        entre la maison-mère et ses filiales
 taille moyenne, nous allons accorder        d’économies d’échelle est importante       (échanges multidomestiques), cela
 beaucoup d’importance aux intentions        pour toute entreprise, grande ou           afin d’optimiser l’utilisation des
 stratégiques des dirigeants. Nous           moyenne; les études de stratégie           sources d’avantages qu’elles possèdent
 appuyant sur l’hypothèse que les pdg        démontrent assez clairement que les        à travers leur réseau. Toutes les
 ont un impact majeur sur la stratégie       entreprises à plus fort volume sur un      stratégies qui demandent d’équilibrer
 de leur entreprise (Noël, 1984; 1989),      créneau donné sont normalement les         des objectifs d’efficience nationale
 nous allons dans un troisième temps         plus profitables 1. Pour pouvoir aug-      dans plusieurs pays et d’efficience
 livrer les résultats d’une enquête          menter le volume de toute unité de         globale de l’entreprise tombent dans la
 comparative portant sur les intentions      production, une entreprise doit élargir    catégorie des stratégies multi-
 stratégiques de trois cents pdg à           son marché, ce qui l’amène éven-           domestiques (M).

Gestion – Septembre 1990                                                                                                       47
Tableau 1
                                  ÉVOLUTION CLASSIQUE DES ENTREPRISES

                                                                                                5

       Volume
        des                                                               4
       ventes

                                                      3
                                          2

                           1

                                N             N         NS                 M                        I

                                                                                              Temps
         PHASES                           STRATÉGIES ET OBJECTIFS

         1. Croissance nationale          Stratégie nationale (N) pour établir une compétence distinctive

         2. Exportation                   Stratégie nationale (N) pour augmenter le volume et réaliser
                                          des économies d’échelle

         3. Production à l’étranger       Stratégies nationales (NS) pour établir des compétences
                                          différentes dans divers pays

         4. Échanges                      Stratégies multidomestiques (M) pour réaliser des économies
            multidomestiques              d’envergure tout en équilibrant des objectifs d’efficience nationale
                                          et d’efficience globale

         5. Mondialisation                Stratégie d’intégration mondiale (I) pour coordonner de façon
                                          planétaire la recherche et le développement, la production
                                          et les ventes

    Lors de la dernière phase connue de   développement, la fabrication et la       taille que sont les États-Unis (220
cette évolution, les entreprises          distribution de certains produits ou      millions de consommateurs) ou le
multinationales décident de procéder à    services standardisables sur de grands    Japon (112 millions) ont favorisé
une mondialisation de leurs opé-          marchés. Le facteur-clé permettant ces    depuis dix ans l’émergence de telles
rations. Favorisées par une innovation    stratégies d’intégration mondiale (I)     stratégies. Ce n’est en effet qu’après
technologique, des réseaux de distri-     est l’existence de marchés de grande      s’être fait la main sur de grands
bution exceptionnels, des capacités de    taille dans lesquels les entreprises      marchés intérieurs que les entreprises
production inégalées, le support de       peuvent standardiser leurs opérations.    multinationales ont entrepris de
certains gouvernements ou, à tout le      Si des entreprises multinationales ont    s’intégrer mondialement.
moins, l’absence de contraintes           pu apprendre à la phase multi-
gouvernementales dans certaines           domestique à standardiser leurs opé-
industries, ces firmes entreprennent de   rations entre divers pays, il reste que
coordonner au niveau mondial le           les marchés homogènes de grande
48                                                                                                      Gestion – Septembre 1990
entreprises de grande taille peuvent        qui peuvent adopter des stratégies
                                            plus rapidement accroître leur poten-       multidomestiques (M) caractérisées,
 L’ÉMERGENCE DES RÉGIONS
                                            tiel concurrentiel sur des marchés          nous l’avons vu, par une plus grande
                                            subitement plus vastes, comment des         efficience de production doublée
                                            entreprises de plus petite taille           d’une bonne capacité d’effectuer des
    Le cheminement que nous venons          pourront-elles se doter des avantages       ajustements nationaux. On trouve au
 de décrire a été suivi depuis le début     des firmes déjà multinationales sans        centre du schéma une plage n’appar-
 du siècle par la majorité des entre-       avoir le luxe du temps pour y arriver       tenant en propre à aucun type
 prises mondiales occidentales              de façon progressive? Avant de              d’entreprise mais où toutes peuvent se
 d’aujourd’hui. Ce fut notamment le         répondre à ces questions importantes        rencontrer, une sorte de no man’s
 cas de Gillette. Lancé aux États-Unis,     pour la survie de l’entreprise québé-       land, une zone de combat (Z) où
 le rasoir de sûreté a été envoyé aux       coise moyenne, nous allons simplifier       luttent surtout les entreprises
 soldats américains qui combattaient à      la description des champs de bataille       multinationales et celles intégrées
 travers le monde. Ce rasoir plaisait aux   sur lesquels se déploieront les stra-       mondialement. Cette plage est le lieu
 officiers car il était beaucoup moins      tégies d’entreprise des années à venir,     des stratégies dites multifocales (Doz,
 dangereux que celui d’antan. Ayant vu      en développant la notion d’espace           1986) ou transnationales (Bartlett,
 ses lames distribuées aux soldats à        stratégique.                                Goshal, 1989) : on y trouve les luttes
 travers le monde, Gillette s’est ensuite                                               de marché et les attaques et contre-
 installée à divers endroits pour              De nos jours, la construction de         attaques les plus forcenées de l’espace
 produire et distribuer ses produits au     l’espace stratégique repose sur la          stratégique car c’est le lieu des enjeux
 meilleur coût possible. De fil en          reconnaissance que les entreprises en       les plus grands et les plus risqués pour
 aiguille, elle est parvenue au stade que   concurrence doivent subir deux formes       les firmes multinationales. Enfin, à
 nous connaissons, à savoir celui d’une     de pressions très différentes : des         l’extrême gauche supérieure du
 entreprise fortement intégrée mon-         pressions pour une plus grande              schéma se trouve la plage consacrée
 dialement.                                 coordination mondiale et d’autres           aux stratégies d’intégration mondiale
                                            pour des ajustements nationaux.             (I), une zone où se sont positionnées
    Dans la dynamique de déve-              D’une part, les exigences de coor-          par exemple Gillette, IBM ou Sony.
 loppement des firmes nationales ou         dination mondiale traduisent la
 multinationales, toute création de         nécessité d’une plus grande efficience          Dans les années 90, l’effet premier
 blocs économiques vient réduire les        associée à l’élargissement des              et immédiat de la création des trois
 difficultés que les firmes devraient       marchés; c’est par exemple le cas des       blocs économiques sera la formation
 normalement encourir pour agrandir         ordinateurs personnels. D’autre part,       très rapide de trois grands marchés
 leur marché par la voie de l’expor-        des exigences d’ajustement national         homogènes. L’impact que cela aura
 tation. Toute standardisation sur un       plus ou moins fortes peuvent s’exercer      sur les entreprises québécoises et
 plus grand marché des demandes             selon les pays et les industries; on        étrangères sera semblable dans les
 faites aux entreprises permet à celles     comprendra par exemple que les États        trois cas. Les menaces et les occasions
 qui ont les plus fortes capacités de       exercent de fortes pressions d’exclu-       varieront notamment en fonction de la
 production de desservir plus rapide-       sivité sur les entreprises en con-          taille relative actuelle des entreprises
 ment et à meilleur coût ces nouveaux       currence dans l’industrie de la défense     sur les marchés en question. Le
 marchés homogènes. Économies               militaire. Ces deux formes de               schéma b) du tableau 2, portant sur la
 d’échelle – associées à de plus gros       pressions s’opposent toujours, quoique      poussée de mondialisation engendrée
 volumes de production – et économies       à des degrés divers selon les               par la création des trois blocs
 d’envergure – associées à une plus         industries, et les entreprises peuvent y    économiques, illustre l’effet immédiat
 grande efficience des opérations et aux    répondre différemment par leurs             de ces changements sur l’espace
 nouvelles synergies entre produits – se    stratégies. C’est ce que cherche à          stratégique des entreprises.
 trouvent donc décuplées pour les           décrire l’espace stratégique présenté
 firmes capables de desservir ces           au tableau 2, qui peut être divisé en          On constate que la plage réservée
 marchés de plus grande taille créés par    plusieurs plages qui prendront ou           aux entreprises nationales se rétrécira,
 la volonté politique des États. On         perdront de l’importance suite aux          alors que les firmes en voie d’inté-
 comprend tout de suite que l’effet         ententes transnationales dont nous          gration mondiale repousseront la zone
 immédiat de l’Europe des Douze,            avons parlé plus haut.                      de combat (Z) vers la plage qui était
 d’une Europe de l’Est unie mais                                                        occupée par les entreprises déployant
 ouverte ou encore de l’entente de              À l’extrême droite inférieure du        des stratégies multinationales (M). En
 libre-échange entre le Canada et les       schéma a) du tableau 2 décrivant la         effet, l’impact à court terme de toutes
 États-Unis sera de créer de vastes         situation actuelle, on trouve la plage      les mesures de normalisation sur
 marchés homogènes de 340 millions          des entreprises nationales qui              lesquelles se penchent actuellement
 de consommateurs (CEE et RDA), 375         poursuivent des stratégies de               les dirigeants, entre autres ceux de la
 millions (Europe de l’Est) et              croissance nationale (N) très sensibles     CEE, sera d’augmenter de façon
 250 millions (Canada et États-Unis),       aux pressions demandant des ajus-           presque immédiate la taille des
 sur lesquels il sera plus facile de        tements nationaux. Ce sont les firmes       marchés «standardisables». Les
 déployer des stratégies d’intégration.     situées à la première étape du tableau 1.   entreprises appartenant à l’un ou
                                            Elles sont actuellement fortement           l’autre des pays membres pourront
    Mais s’il apparaît évident que les      menacées par les firmes plus grandes        désormais desservir de la même façon

Gestion – Septembre 1990                                                                                                      49
Tableau 2
                                        ÉVOLUTION DE L’ESPACE STRATÉGIQUE

                                          Coordination mondiale
            Schéma a)
            Situation actuelle
                                                                       I
                                                                                            Z
                                                                                                                M
                                                                                                                              N

                                                                                                           Ajustements nationaux

            Schéma b)
                                          Coordination mondiale

            Poussée de
            mondialisation
                                                                       I                          Z
                                                                                                                     M

                                                                                                                                      N
                                                                                                           Ajustements nationaux

            Schéma c)
                                          Coordination mondiale

            Recentrage                                                 I
            régional
                                                                                        Z
                                                                                                           M             R
                                                                                                                                  N
                                                                                                           Ajustements nationaux
         Légende
         I : Intégration mondiale   N : Nationale
         Z : Zone de combat         R : Recentrage régional
         M : Multidomestique              Poussées concurrentielles

tous les marchés de la CEE. Cela                                  stade de la multidomesticité, ces        nationaux où elles pourraient démon-
donnera donc, dans un premier temps,                              nouveaux marchés élargis viendront       trer à court terme plus de facilité à
un très net avantage aux entreprises                              augmenter les pressions pour une plus    réaliser des ajustements nationaux
capables d’une plus grande coor-                                  grande coordination de leurs opé-        qu’à augmenter leur niveau de coor-
dination de leurs activités et favorisera                         rations et pour la quête d’une plus      dination mondiale. Bref, la lutte
les économies d’échelle et d’en-                                  grande efficience, et donc pour une      devrait se déplacer sur le terrain des
vergure, ce qui agrandira la plage                                plus forte intégration mondiale de       ajustements nationaux, au détriment
disponible aux stratégies d’intégration                           leurs activités. À défaut de pouvoir y   peut-être des entreprises nationales.
mondiale (I).                                                     répondre, les entreprises multi-
                                                                  domestiques seront repoussées de la         Selon le modèle de Michael Porter
     Pour les firmes ayant déjà atteint le                        zone de combat vers les créneaux         (1982), ce sont les pressions exercées
50                                                                                                                        Gestion – Septembre 1990
combat (Z) devrait rétrécir lorsque des
                           Tableau 3                                                  entreprises poursuivant des stratégies
            EFFETS DES PRESSIONS CONCURRENTIELLES                                     de croissance nationale (N) se doteront
                                                                                      des moyens leur permettant de
                                                                                      déployer des stratégies régionales
                                                                                      (R), forçant les entreprises multi-
                                                                                      nationales à augmenter leurs capacités
                                                                                      de coordination pour mener une lutte
                                                                                      plus âpre aux entreprises adoptant des
                   Concurrents actuels                                                stratégies d’intégration mondiale (I).
                       Distributeurs                                                  Ce que ce schéma suggère, c’est
                                                                                      l’émergence éventuelle d’une autre
                       Fournisseurs                              Intégration          étape d’évolution, inexistante au
                                                                  mondiale            tableau 1, qui permettrait aux entre-
                                                                                      prises nationales de devenir régionales
                                                                                      sans avoir à prendre le temps de
                    Produits substituts                                               traverser les étapes deux à cinq.
                  Nouveaux concurrents
                                                                                         Au Canada, cela signifierait
                                                                                      notamment que les entreprises du
                                                                Ajustements
                                                                                      Québec ou de la Colombie Britannique
                           Clients                               nationaux            pourraient être mieux positionnées que
                                                                                      les autres firmes canadiennes de même
                   Groupes de pression                                                taille moins capables de différen-
                     Gouvernements                                                    ciation régionale. On devrait aussi
                                                                                      assister en Europe de l’Ouest à une
                                                                                      redéfinition des marchés autour de
                                                                                      nouveaux pôles régionaux. On pour-
                                                                                      rait penser à un découpage où on
                                                                                      retrouverait la région sub-
                                                                                      méditerranéenne (sud de l’Espagne,
 par les concurrents actuels, les four-    ayant des objectifs aussi divers que la    Portugal et Afrique du Nord), la
 nisseurs, les distributeurs, les nou-     protection de l’environnement, les         région méditerranéenne (sud de la
 veaux concurrents et les produits         droits des jeunes, ceux des aînés ou       France et nord de l’Espagne), la région
 substituts, qui forceront un recours      encore le respect des différences          Rhône-Alpes (Suisse, nord de l’Italie,
 aux stratégies de coût minimal et         culturelles ou religieuses, il est plus    Alpes et Jura français), la région
 favoriseront les entreprises capables     que probable que des pressions crois-      allemande, la région Atlantique (nord
 d’un plus grand volume de production.     santes s’exerceront pour que les           de la France, Grande-Bretagne et
 La partie supérieure du tableau 3         entreprises s’ajustent encore plus à des   Wallonie belge), les Pays-Bas et la
 illustre l’impact de ces variables sur    caractéristiques locales, nationales ou    Belgique flamande, le bloc Scandinave,
 les stratégies d’intégration mondiale.    régionales. Ces pressions, qu’illustre     etc. En ce qui a trait au rêve de
 Gérer stratégiquement devient par         la partie inférieure du tableau 3,         Gorbatchev de créer une Grande
 ailleurs de plus en plus complexe. On     devraient nous mener à la prochaine        Maison Européenne de l’Oural à
 doit désormais identifier de façon        phase évolutive de l’espace straté-        l’Atlantique, on constate que la seule
 beaucoup plus prudente et plus large      gique, le recentrage régional.             grande demeure de l’Est, avec ses
 les acteurs stratégiques. Qu’on lise                                                 375 millions d’habitants, ressemble
 Freeman (1984) ou encore Pasquero            Le schéma c) du tableau 2 porte sur     actuellement plus à une maison de
 (1988), on prévoit de plus en plus que    ce recentrage régional prévisible          chambres qu’à une maison uni-
 les stratèges de demain devront           avant la fin du siècle. Il est peu pro-    familiale. On ne sait pas encore quels
 prendre leurs décisions en tenant         bable que les entreprises très intégrées   seront les liens entre les divers États et
 davantage compte des facteurs             perdent à court terme beaucoup de          groupes nationaux de l’Est, mais il
 sociaux, politiques et culturels carac-   terrain, quoique des dinosaures soient     n’est pas difficile de prévoir des
 térisant leurs marchés. Il est alors      toujours susceptibles de disparaître.      regroupements régionaux.
 raisonnable de croire que les États-      Ce qui risque de se produire, c’est une
 nations, sous la gouverne des poli-       revalorisation des différences de             En résumé, on devrait assister d’ici
 ticiens qui les dirigent, rechercheront   marchés, non pas en fonction des           dix ans à deux mouvements stra-
 des solutions favorisant leurs citoyens   territoires nationaux du passé, qui        tégiques importants : une forte
 électeurs respectifs, et ce même dans     correspondaient souvent impar-             croissance des entreprises s’intégrant
 le cadre des nouvelles ententes           faitement aux regroupements naturels       mondialement pour jouir d’avantages
 économiques créant de grands blocs        des populations, mais plutôt en            de taille reliés à de plus grands
 commerciaux. Si l’on prend aussi en       fonction des caractéristiques régio-       marchés, suivie d’une contre-poussée
 considération la montée de plus en        nales propres à de nouveaux marchés        d’ajustements aux différences
 plus marquée des groupes de pression      en voie de définition. La zone de          nationales et surtout régionales. Les

Gestion – Septembre 1990                                                                                                      51
jeux sont presque faits pour ceux qui      d’Amérique du Nord, d’Europe et de              pour la Grande-Bretagne et le reste
voudraient s’intégrer mondialement :       quelques pays en voie de                        de l’Europe l’écart important qui
les firmes multinationales ont déjà        développement.                                  existe entre cette option et celle qui
fourbi leurs armes. Pour ce qui est de                                                     constitue leur second choix, à
la phase suivante, celle du recentrage        Nous avons tenté, dans cette étude,          savoir l’extension à de nouveaux
régional, tout reste possible. Pour les    de comparer les caractéristiques des            marchés;
firmes québécoises de taille modeste,      dirigeants, des processus décisionnels,
tout comme pour les firmes nationales      des entreprises et des facteurs con-         – l’extension à de nouveaux marchés
des divers pays européens de l’Ouest       currentiels dans différents pays. Nous         domine par ailleurs la liste des
et de l’Est, la partie ne fait que         avons de plus cherché à relier ces             options en France et en Allemagne
commencer. Elles doivent se doter le       caractéristiques aux grandes recom-            de l’Ouest. On peut aussi constater
plus rapidement possible des               mandations stratégiques des grilles de         la similitude des profils français et
caractéristiques leur permettant d’être    type BCG, McKinsey ou A.D. Little 3 :          allemand : l’extension, la péné-
des joueurs régionaux, capables de         maintenir une position, croître ou             tration et la croissance interne y ont
meilleurs ajustements nationaux et         désinvestir. Le tableau 4 présente, pour       sensiblement la même importance.
régionaux que les entreprises multi-       l’ensemble des trois cents entreprises         Dans notre enquête, les Allemands
domestiques. Le grand défi demeure         recensées, l’intérêt relatif des neuf          et les Français sont les plus tournés,
d’acquérir les avantages de la loca-       intentions stratégiques les plus               tout comme les Nord-Américains et
lisation multiple sans prendre le temps    classiques associées à ces trois grands        les Scandinaves, vers une
que les multinationales ont mis pour y     types de recommandations.                      croissance à l’extérieur de leurs
arriver graduellement (tel qu’illustré                                                    frontières;
au tableau 1). C’est ici que les              On constate d’abord que les
alliances stratégiques prendront toute     intentions stratégiques ne présentent        – les Français manifestent un grand
leur importance : elles pourront per-      pas toutes le même intérêt pour les            attrait pour une croissance par
mettre aux firmes nationales de            gestionnaires interrogés. De façon             acquisitions, attrait que ne par-
devenir rapidement régionales sans         générale, on observe que les stratégies        tagent pas les Allemands, pourtant
devoir traverser seules les étapes de      de croissance attirent le plus l’atten-        semblables à eux dans les autres
l’exportation et de la production à        tion des dirigeants, surtout l’option de       options. Il y aurait par contre une
l’étranger avant d’arriver à une autre     pénétration du marché actuel, suivie           similitude entre les Allemands, les
forme de multidomesticité.                 par l’extension à de nouveaux mar-             Anglais et les pdg du reste de
                                           chés. Si on se réfère au tableau 1, cette      l’Europe qui ne retiennent pas cette
                                           préférence confirme l’attrait pour les         option, tandis que les Scandinaves
                                           stratégies de croissance nationale (N)         y trouvent autant d’intérêt que les
                                           dans le pays d’origine, suivies du             Français, suivis de peu par les
                                           recours à l’exportation (phases 1 et 2         Suisses et les Autrichiens et enfin
SE DÉVELOPPER
                                           traditionnelles). Les stratégies de repli,     par les Nord-Américains;
RÉGIONALEMENT :
                                           de diversification non reliée et les
LES ALLIANCES STRATÉGIQUES
                                           fusions sont les options qui intéressent     – en Amérique du Nord, il est
                                           le moins les pdg étudiés.                      intéressant de noter les différences
                                                                                          plus nettes entre les diverses
   Les alliances stratégiques sont donc       Si l’on pousse plus loin l’analyse,         options; on trouve enfin dans le
primordiales pour la survie des            on constate que des différences                reste de l’Europe, c’est-à-dire les
entreprises de taille moyenne des trois    nationales existent, ce qui tend à             Pays-Bas, la Belgique, l’Italie,
blocs économiques qui nous occupent.       confirmer notre vision non mono-               l’Espagne, la Grèce, etc., un intérêt
Par ailleurs, peut-on présumer que les     lithique des continents européen et            pour la stratégie de maintien, soit
modes de croissance que privilégieront     américain. En ne retenant, au tableau 5,       de protection de leur positions
les pdg de ces entreprises donneront       que les stratégies les plus attrayantes        peut-être plus vulnérables.
lieu à de telles alliances? L’attrait de   pour la France, la Grande-Bretagne,
diverses options stratégiques pourrait     l’Allemagne de l’Ouest, la Suisse alle-         On peut donc conclure que les
aussi varier d’un pays à l’autre à cause   mande et l’Autriche, la Scandinavie,         entrepreneurs des divers pays étudiés
de différences culturelles nationales.     l’Amérique du Nord et le reste de            présentent des profils d’intentions
Les études comparatives entreprises à      l’Europe, on constate des différences        différents. Chaque cas mérite alors
la suite des travaux de Hofstede           d’intentions selon les pays :                d’être étudié un à un en fonction des
(1983) ou les récents travaux de Porter                                                 partenaires partageant la même
(1990) démontrent en effet à quel          – l’option de pénétration des marchés        intention stratégique. Notons enfin que
point des différences nationales             actuels prend une grande impor-            les stratégies plus agressives mais
peuvent marquer les attitudes des            tance dans cinq cas sur sept, soit en      aussi plus risquées de fusion ou encore
gestionnaires face aux problèmes et          Amérique du Nord, en Scandinavie,          de diversification non reliée n’ont pas
aux solutions de gestion. C’est dans ce      en Grande-Bretagne, en Suisse et           su attirer l’attention de nationalités
contexte que nous avons entrepris une        en Autriche et dans le reste de            particulières ni d’ailleurs celle des
étude comparative 2 des intentions           l’Europe, où les dirigeants privi-         répondants en général (tableau 4). Or
stratégiques de trois cents dirigeants       légient cette stratégie de croissance      rappelons que ce sont ces stratégies
d’entreprises de taille moyenne              nationale. Il est intéressant de noter     qui favorisent le plus l’accélération de

52                                                                                                       Gestion – Septembre 1990
Tableau 4
                                                  OPTIONS STRATÉGIQUES CLASSIQUES

        Échelle d’intérêt de 1 (minimum) à 7 (maximum)

        7

        6

        5

        4

        3

        2

        1
                    1             2               3        4             5             6         7           8           9
            Légende :
            A) MAINTIEN                                B) CROISSANCE                                 C) DÉSINVESTISSEMENT
            1. Même taille mais plus de profits        2. Pénétration du marché actuel               8. Vente et redémarrage
                                                       3. Extension à de nouveaux marchés            9. Vente et retraite
                                                       4. Consolidation interne des opérations
                                                       5. Fusions
                                                       6. Acquisitions reliées
                                                       7. Diversification non reliée

Gestion – Septembre 1990                                                                                                       53
Tableau 5
                                      STRATÉGIES LES PLUS ATTRAYANTES
                                                  PAR PAYS

        7

                            ;                                            ;                            ;;
        6

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        5

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        4

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                                                                          ;;
                                                                          ;;               ;
                                                                                           ;          ;;
                                                                                                      ;;
                                                                                                        ;;
                                                                                                        ;;
         ;
         ;
                                                                                   ;
                                                                          ;;                            ;;
               ;; ;;           ;;;;  ;;;; ;;                             ;                 ;          ;;
        3

                                                                          ;;                            ;;
                                   ;;;;;; ;;                             ;;;               ;          ;;;;
       ;
                     ;             ;; ;;                                  ;;                            ;;
                ;; ;;           ;;;; ;;;; ;;                             ;;;               ;          ;;;;

         ;;
        2

                                   ;;;;;; ;;                             ;;;               ;          ;;;;
                 ;; ;;           ;;;;;;;; ;;                             ;                 ;          ;;
     ;
                                                                          ;;                            ;;
     ;
                                   ;; ;;                                  ;;                            ;;
        1
                France     Grande-   ;; ;;  Allemagne      Suisse et     ;Suède,           ;          ;;
                                                                                  Autres pays Canada et
   ;
                           Bretagne                        Autriche      Norvège, européens États-Unis
                                                                         Danemark confondus

                                                                                ;;
                                 ;;
      Légende

                                                                                ;;
                                                                                ;;
                   Maintien             Pénétration            Extension                Interne              Acquisition

 la croissance d’une firme et qui lui        entreprises privilégiant des stratégies      entreprises recensées privilégient des
 permettent de rattraper le plus             de croissance solitaire (la pénétration,     options de croissance par alliances. Le
 rapidement ses concurrents multi-           l’extension et la consolidation interne)     tableau 6 indique la répartition
 domestiques.                                et celles préférant les stratégies de        nationale de ces entreprises-types pour
                                             croissance par alliances (les fusions,       des stratégies de recentrage régional.
    À défaut de trouver de grandes           les acquisitions reliées et la diver-
 similitudes entre les pdg des différents    sification non reliée). Cette analyse           On dit souvent qu’une image vaut
 pays sur la base des neuf stratégies        nous permet de constater que 24 pour         mille mots. Celle que nous laisse ce
 étudiées, et puisque notre analyse          cent des entreprises recensées               tableau est fort révélatrice des
 indique que l’avenir sourira aux            préfèrent nettement les stratégies de        différences nationales au chapitre des
 entreprises capables d’alliances pour       croissance solitaire; près de 30 pour        chercheurs d’alliances. Les Québécois
 se recentrer régionalement, nous avons      cent de toutes les firmes allemandes se      arrivent en tête de liste avec 53 pour
 cherché à savoir s’il était possible        retrouvent d’ailleurs dans ce sous-          cent des pdg du Québec recensés
 d’établir une différence entre les          groupe. Par ailleurs, 21 pour cent des       recherchant une forme ou une autre

 54                                                                                                       Gestion – Septembre 1990
Tableau 6
                                                LES CHERCHEURS D’ALLIANCES*

                      % des répondants

         60

         50

         40

         30

         20

         10

          0
                      QC            SCA       S/A    EUR       PVD        GB           FR      USA         ALL
              * 23 % de l’échantillon total

 d’alliance. Ils sont suivis par les            doit nous sensibiliser au danger de     sont, et c’est heureux compte tenu de
 Scandinaves, les Suisses et les                croire trop rapidement à de grandes     la dynamique d’évolution de l’espace
 Autrichiens, les pdg du reste de               similitudes continentales.              stratégique, de grands chercheurs
 l’Europe, des pays en voie de déve-                                                    d’alliances. Mais où sont donc nos
 loppement (PVD) et les Britanniques.                                                   alliés potentiels? Lesquels présentent
 À l’inverse, il faut noter que les                                                     les profils les plus compatibles au
 Allemands arrivent bons derniers avec                                                  nôtre pour développer des stratégies
 à peine 13 pour cent des entrepreneurs         OÙ SONT LES ALLIÉS DES                  de recentrage régional? Lorsqu’on
 intéressés par ces options, précédés de        FIRMES QUÉBÉCOISES?                     constate que moins de 20 pour cent
 peu par les Américains (16 pour cent)                                                  des firmes américaines cherchent des
 et les Français (17 pour cent). Encore                                                 alliances, on peut déduire que ce n’est
 une fois, la très grande différence              L’analyse que nous venons de faire    pas au sud du 45e parallèle qu’il sera le
 entre les Américains et les Québécois          mène à constater que les Québécois      plus facile de trouver des alliés.

Gestion – Septembre 1990                                                                                                       55
Les Québécois rêvent souvent               Britanniques que nous avons le plus de     rience. Nous avons de plus, comme
d’établir plus de rapports avec les           similitudes, surtout au plan orga-         eux, les besoins de réalisation et de
entreprises françaises. Bien qu’il y ait      nisationnel. C’est ensuite aux Français    pouvoir les plus élevés de tout
des réussites dans ce domaine, on             que nous ressemblons le plus, majo-        l’échantillon retenu. C’est cependant
compte aussi beaucoup d’échecs,               ritairement au chapitre de notre lecture   dans le domaine des caractéristiques
chose moins surprenante lorsqu’on             de l’environnement. Nos deux peuples       organisationnelles que les ressem-
constate le fort attrait des Français         fondateurs semblent donc avoir laissé      blances sont les plus déterminantes :
pour les acquisitions (tableau 5) et leur     des traces assez visibles, surtout la      les deux groupes décentralisent le
faible propension aux alliances en            conquête anglaise. Il est par contre       plus, formalisent le plus aussi leurs
général (tableau 6). Il en va de même         intéressant de noter que c’est aux         modes de gestion et ont le plus recours
pour l’Allemagne de l’Ouest : bien            Américains que nous ressemblons le         à des mécanismes de liaison divers
que plusieurs rêvent d’un partenaire          moins.                                     pour gérer. Enfin, en ce qui a trait aux
allemand pour s’attaquer à l’Europe de                                                   processus décisionnels, nous par-
l’Est, minces semblent être les                  Si nous analysons plus en détail ces    tageons avec les Anglais la plus forte
chances de réussite des alliances avec        résultats, nous voyons que ce sont les     propension à assumer des risques.
des firmes ouest-allemandes. Il n’y a         Québécois qui perçoivent leur envi-        Bref, si nous analysons l’envi-
en fait que les Anglais, parmi les            ronnement économique comme étant           ronnement comme des Français, il
partenaires majeurs de la CEE, qui            le plus hostile et qui évaluent les        semble que nous gérions plus comme
présentent un quelconque potentiel            facteurs de rivalité et les menaces        des Anglais.
d’alliances, potentiel doublé du fait         générales qui se présentent à eux
qu’ils démontrent dans notre enquête          comme étant les plus élevés. Ce sont           Les autres comparaisons sont
le plus haut niveau d’intérêt pour des        les Français qui se rapprochent le plus    moins significatives. Notons tout de
stratégies de repli, une indication qu’il     de notre vision très méfiante de           même que nous tolérons l’ambiguïté et
y aurait plus d’entreprises à vendre en       l’environnement concurrentiel, et c’est    recherchons l’autonomie comme les
Angleterre qu’ailleurs en Europe.             d’ailleurs le point qui recoupe 60 pour    Allemands, que nous avons des
                                              cent de nos ressemblances. Français et     modèles de réussite non-parentaux
    Enfin, il est intéressant de noter que    Québécois sont semblables aussi quant      comme les Américains, que nos
la majorité des pdg privilégiant les          à leur orientation volontaire, les         grands-parents nous ont influencé
alliances ne se trouvent pas dans des         Québécois étant légèrement plus            comme c’est le cas en Suisse et en
pays de l’Europe des Douze (sauf le           introdéterminés que les Français, mais     Autriche, et enfin que l’influence des
Danemark). Ils sont en Scandinavie            moins que les Américains qui le sont       parents et notre besoin d’affiliation
(Suède, Norvège et Danemark), en              le plus dans notre échantillon. Au         sont semblables à ce que l’on trouve
Suisse, en Autriche ou dans le reste de       chapitre des processus décisionnels,       en Scandinavie. Au plan de l’analyse
l’Europe. Il reste alors à savoir si les      nous sommes comme les Français,            de l’environnement, après les
profils des entreprises québécoises et        ceux qui accordent le plus d’impor-        Français, c’est aux Suisses et aux
de celles de ces pays sont semblables         tance à l’analyse de l’environnement.      Autrichiens que nous ressemblons le
et compatibles.                               Bref, les pdg des deux groupes se          plus dans notre préoccupation à
                                              ressemblent beaucoup dans la lecture       différencier nos produits et dans
   Pour répondre à cette question,            qu’ils font de leur environnement          l’évaluation de l’incertitude envi-
nous avons comparé les entreprises            concurrentiel.                             ronnementale. Au plan organisa-
selon 26 dimensions différentes. Au                                                      tionnel, nous partageons avec les
total, onze indices décrivaient des              Nous ressemblons malgré tout            Allemands le recours à la spécia-
caractéristiques des pdg, tandis que les      beaucoup plus aux Anglais. Ainsi, les      lisation des tâches et aux mécanismes
propriétés de l’environnement, les            chercheurs d’alliances Anglais et          de contrôle. Enfin, au chapitre des
caractéristiques organisationnelles et        Québécois ont, dans les deux cas, un       caractéristiques décisionnelles, nous
les modes de décision étaient mesurés         peu moins de 44 ans et ils ont terminé     analysons les problèmes comme les
par cinq indices chacun. Le tableau 7         leurs études autour de 23 ans : ils ont    Scandinaves, nous planifions comme
démontre que c’est avec les                   donc en moyenne vingt ans d’expé-          les Américains, et nous anticipons les
                                                                                         phénomènes comme les Suisses et les
                                                                                         Autrichiens.
                                  Tableau 7
                            PROFILS COMPARATIFS                                             Ces résultats sont pour le moins
                                                                                         excitants, mais rien ne nous dit quelles
                                                                                         seraient les meilleures combinaisons.
 INDICES                         FR          ALL     GB      USA       S/A      SCA      Par contre, on peut dès maintenant
 Entrepreneur (11)                1           2       4        1        1        2       prévoir que les efforts à déployer dans
                                                                                         la réalisation d’alliances ne devront
 Environnement (5)                3                                     2                pas porter sur les mêmes points selon
 Organisation  (5)                            2       3                                  les alliés pressentis. En nous rappelant
 Processus de                                                                            que les plus grands chercheurs
  décision     (5)                1                   1        1        1        1       d’alliances, après les Québécois, sont
                                                                                         les Scandinaves, nous ne devons pas
 Total              (26)          5           4       8        2        4        3       oublier que nous avons peu de choses

56                                                                                                       Gestion – Septembre 1990
en commun avec eux. Cela peut rendre       les structures industrielles euro-          croissance qu’ils peuvent générer pour
 nos ententes très complémentaires          péennes pour que les membres de la          leurs citoyens, et les campagnes
 pourvu qu’on soit sensible au besoin       CEE ne cherchent pas à protéger             électorales d’aujourd’hui se font plus
 de discuter mutuellement de nos            certains acquis ou encore à compenser       sur un fond de développement éco-
 visions différentes. Si nous cherchons     certaines inégalités. Les exigences         nomique que sur une plate-forme
 des partenaires suisses ou autrichiens,    d’ajustements nationaux (tableau 2)         purement sociale ou culturelle. Les
 nous arriverons peut-être assez vite à     devraient donc devenir plus fortes et       entreprises doivent alors comprendre
 nous entendre sur l’analyse de             favoriser les entreprises nationales ou     qu’elles peuvent infléchir leurs gou-
 l’environnement. Si nous envisageons       régionales. Plusieurs débats en             vernements pour les amener à établir
 une aventure britannique, nous             Europe, comme ceux sur la Sécurité          des ententes de réciprocité.
 pouvons espérer peu de problèmes de        Sociale ou encore sur les subventions
 gestion à cause de nos très grandes        à l’agriculture ou au développement            L’Europe de 1993 sera ouverte aux
 similitudes organisationnelles. Sachant    régional, illustrent bien cette             entreprises québécoises qui sauront
 que les Français recherchent très peu      problématique.                              offrir des partenariats croisés à des
 les alliances, nous devrons nous                                                       firmes européennes désireuses
 rappeler que celles qui seront tentées         Bien entendu, ne serait-ce que          d’accéder, par la même formule, au
 mettront face à face deux méfiants.        parce que le Japon est très fermé, que      marché américain. Cela permettra aux
 Pour ce qui est de l’entente de libre-     les États-Unis et le Canada ont dressé      deux partenaires de mieux se préparer
 échange, le faible intérêt des             la barrière, en réalité très faible mais    ensemble pour se recentrer régio-
 Américains pour les alliances, doublé      néanmoins présente, de l’accord de          nalement sur la Grande Maison
 de leur faible ressemblance avec les       libre-échange, il y aura sans doute en      Européenne. Nous avons identifié les
 entrepreneurs québécois, incite peu à      1993 une certaine fermeture des             partenaires les plus évidents; il reste à
 se redéployer régionalement en             frontières européennes aux entreprises      savoir quelles devraient être les règles
 Amérique du Nord avec eux.                 étrangères qui n’auront pas eu la           à suivre pour établir ces alliances.
                                            sagesse de s’y installer auparavant.
                                            Tout porte à croire cependant que c’est         Cette dernière question est peut-
                                            la règle de la réciprocité qui prévaudra    être la plus facile à aborder dans la
                                            dans l’Europe de demain : on ouvrira        mesure où elle commande une réponse
                                            les portes à ceux qui ouvriront les         théorique. Dans un premier temps, les
 SACHEZ FRÉQUENTER...
                                            leurs. Quant à l’Europe de l’Est, nous      entreprises d’ici et de là-bas devront se
                                            y jouissons d’une certaine estime à la      fréquenter, un peu comme les jeunes
                                            fois parce que comme Canadiens,             gens de bonne famille d’antan. Plus
    Dans un contexte de mondiali-           nous sommes les représentants d’une         qu’ici encore, il faut en Europe faire
 sation, il est encourageant de conclure    terre d’accueil, et que comme               partie d’un réseau pour faire de bonnes
 que nos entreprises québécoises sont       Québécois, nous parlons le français,        affaires. Faire partie d’un réseau
 du peloton de celles qui recherchent le    qui a depuis longtemps été associé à        signifie avoir des entrées auprès des
 plus les alliances stratégiques. À notre   l’élite culturelle de plusieurs pays dont   banquiers, des distributeurs, des
 avis, cela augure très bien pour la        par exemple la Russie, la Roumanie, la      fournisseurs, des conseillers et des
 phase de recentrage régional qui           Tchécoslovaquie et la Pologne.              membres de la classe politique. Dans
 marquera aussi bien l’Amérique du                                                      son comportement, l’entrepreneur
 Nord que l’Europe de l’Est ou de              Voilà donc de belles ouvertures de       européen établit d’abord une relation :
 l’Ouest. Les Allemands et les Français     négociation pour plusieurs firmes           il faut savoir gagner sa confiance par
 essaieront sans doute de faire cavaliers   québécoises rêvant de s’installer en        de nombreuses fréquentations avant
 seuls pour se concurrencer sur le          Europe et pour des entreprises euro-        d’établir des ententes... qu’il faut être
 territoire européen. Cela se produit       péennes qui rêveraient de s’installer en    prêt à renégocier. Nos entrepreneurs
 déjà face aux pays est-européens, où       Amérique. Face à cette option, nous         doivent donc s’empresser d’aller en
 Allemands et Français rivalisent           avons une longueur d’avance sur le          Europe pour établir des liens mais
 d’astuce pour s’attirer les faveurs des    reste du continent dans la mesure où le     prendre leur temps avant de signer des
 entreprises. Par ailleurs, tout cela       Québec, quand ce n’est pas tout le          ententes. Une fois trouvé le partenaire
 semble se faire sur une toile de fond      Canada par extension, est perçu             recherché, le mariage gagnera à être
 où les normes allemandes sont en voie      comme étant le territoire le plus euro-     formalisé, même si tout le monde sait
 de s’imposer, les Français ayant déjà      péen d’Amérique. Après les provinces        qu’il faudra, comme dans une vie de
 abandonné cette lutte dans plusieurs       maritimes, c’est le Québec qui est          couple, procéder à des réaménage-
 secteurs.                                  géographiquement le plus près de            ments ultérieurs de l’entente.
                                            l’Europe. C’est aussi avec nous que la
    Tout indique que l’Europe, bien         proximité historique est la plus               Un partenariat croisé réussi deman-
 qu’unifiée, ne sera pas monolithique,      grande, tant avec l’Angleterre qu’avec      dera aux deux parties de satisfaire à
 et que des dynamiques régionales           la France. Bien entendu, les entre-         six grandes conditions : elles éta-
 reprendront le dessus. La vision d’un      prises ne pourront à elles seules créer     blissent des relations importantes;
 marché européen parfaitement ouvert        la réciprocité dans les ententes entre      elles s’entendent pour procéder à des
 n’est pas très réaliste : il y a encore    pays; c’est le rôle des gouvernements       investissements avec une perspective
 trop de divergences dans les priorités,    de s’y attaquer. Par ailleurs, ces          temporelle étendue sur plusieurs
 dans les niveaux d’enrichissement et       derniers sont très sensibles à la           années; elles s’assurent d’une inter-

Gestion – Septembre 1990                                                                                                       57
dépendance équivalente des par-             Doz, Y., Strategic Management in             Pasquero, J., «Gérer stratégiquement dans
tenaires de l’entente; elles se dotent        Multinational Companies, Pergamon             une économie politisée», Gestion, vol.
d’une organisation intégrée commune           Press, Oxford, 1986.                          14, no 3, septembre 1989, pp. 116-128.
pour gérer le partenariat; elles infor-     Freeman, E.R., Strategic Management: A       Porter, M.E., Choix stratégiques et
ment constamment leur partenaire des           Stakeholder Approach, Pitman,               concurrence, Economica, Paris, 1982.
gestes qu’elles posent; et surtout, elles      Boston, 1984.
                                                                                         Porter, M.E., The Competitive
institutionnalisent sous une forme          Hax, A., Majluf, N., Strategic Mana-           Advantage of Nations, The Free Press,
quelconque cette alliance croisée.            gement: an Integrative Perspective,          New York, 1990.
                                              Prentice Hall, Englewood Cliffs, 1984.
   Ces alliances sont le meilleur                                                        Prahalad, C. K., Doz, Y., The Multi-
moyen pour les firmes nationales            Hofstede, G., «National Culture in Four         national Mission, The Free Press, New
                                              Dimensions», International Studies of         York, 1987.
européennes et québécoises d’accéder          Management and Organizations, vol.
à des marchés d’échanges régionaux,           13, 1983, pp. 97-118.
plus vastes et similaires à ceux qui
font la force des sociétés                  Noël, A., Un mois dans la vie de trois
                                              Présidents : préoccupations et occu-       NOTES
multinationales. Ces firmes devien-
                                              pations stratégiques, thèse de doctorat
dront ainsi les acteurs-clés de la pro-
                                              non publiée, Faculty of Management,
chaine ère des stratégies régionales.         McGill University, Montréal, 1984.         1. Les études de PIMS, les travaux du BCG ou encore
                                                                                         la stratégie dite du coût total minimum de Porter
                                            Noël, A., «Les modèles de décision et leur   soutiennent tous cette hypothèse. Pour plus de détails
                                              application à la diversification par       voir Hax et Majluf (1984) et Porter (1982).

RÉFÉRENCES                                    acquisitions ou fusions», Gestion, vol.    2. Je tiens ici à remercier le département de la
                                              12, no 3, septembre 1987, pp. 40-50.       recherche de l’INSEAD, à Fontainebleau (France),
                                                                                         ainsi que le Centre d’Études en Administration
                                            Noël, A., «Strategic Cores and               Internationale des HEC (Montréal), le CETAI, qui ont
                                              Magnificent Obsessions: Discovering        tous deux rendu possible et apporté leur support
Bartlett, C.A., Goshal, S., Managing                                                     financier à cette étude.
  Across Borders: The Transnational           Strategy Formation Through Daily
                                                                                         3. Pour plus de détail, voir Hax et Majluf (1984) et
  Solution, Harvard Business School           Activities of CEOs», Strategic             Noël (1987).
  Press, Boston, 1989.                        Management Journal, vol. 10, 1989,
                                              pp. 33-49.

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