La formation d'Autochtones en archéologie au Québec et au Canada Training Aboriginal Archaeologists in Quebec and Canada La formación de ...
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Document generated on 12/08/2021 1:05 p.m. Recherches amérindiennes au Québec La formation d’Autochtones en archéologie au Québec et au Canada Training Aboriginal Archaeologists in Quebec and Canada La formación de arqueólogos indígenas en Quebec y Canadá Adrian L. Burke L’archéologie autochtone : des approches communautaires et Article abstract collaboratives This research note presents an overview of the current situation in Quebec and Volume 48, Number 3, 2018 Canada regarding the training of Aboriginal archaeologists. The various Aboriginal communities of Quebec wish to develop their capacity to manage URI: https://id.erudit.org/iderudit/1062137ar archaeological resources for themselves on their territory. To do this we must DOI: https://doi.org/10.7202/1062137ar train more Aboriginal archaeologists. Several challenges exist that are specific to training, and there is the additional problem surrounding the certification of archaeologists in Quebec. We propose a general model for the training of See table of contents Aboriginal archaeologists in Quebec that will be adapted to the needs and realities of each community. Publisher(s) Recherches amérindiennes au Québec ISSN 0318-4137 (print) 1923-5151 (digital) Explore this journal Cite this note Burke, A. L. (2018). La formation d’Autochtones en archéologie au Québec et au Canada. Recherches amérindiennes au Québec, 48(3), 105–111. https://doi.org/10.7202/1062137ar Tous droits réservés © Recherches amérindiennes au Québec, 2019 This document is protected by copyright law. Use of the services of Érudit (including reproduction) is subject to its terms and conditions, which can be viewed online. https://apropos.erudit.org/en/users/policy-on-use/ This article is disseminated and preserved by Érudit. Érudit is a non-profit inter-university consortium of the Université de Montréal, Université Laval, and the Université du Québec à Montréal. Its mission is to promote and disseminate research. https://www.erudit.org/en/
Note de recherche La formation d’Autochtones en archéologie au Québec et au Canada D Adrian L. EPUIS VINGT ANS, les nations autoch- aussi, éventuellement, de chargés de Burke tones du Québec et du Canada projets et de gestionnaires du patri- Département participent de plus en plus à la moine (gestion des collections, permis d’anthropologie, recherche archéologique et à la gestion de recherche, conservation), sans Université de de leur patrimoine archéologique. De oublier la formation de spécialistes de Montréal plus, elles veulent que des membres la diffusion et de la mise en valeur. De de leur communauté soient formés à plus, cela répond au besoin dans ces la pratique archéologique. Cependant, communautés de prendre en main le le degré de participation varie beau- contrôle de leurs propres ressources coup selon la communauté et selon la culturelles (APNQL 2014). Il est province ou le territoire. Cette variabi- donc impératif de former des archéo- lité fait qu’il est difficile de faire le logues autochtones ainsi que des portrait global de la situation et de son membres de communautés autoch- développement à travers le Canada ou tones qui pourront assurer la gestion l’Amérique du Nord. Cette note de et la conservation des collections recherche se concentre donc sur la archéologiques, mais aussi veiller aux situation au Québec en termes de for- aspects juridiques reliés à l’archéo- mation des Autochtones en archéo- logie et au patrimoine. logie, mais en ajoutant quelques exemples probants tirés du reste du LES DÉFIS Canada. Je propose la création d’un Il est important d’identifier les programme de formation en archéo- défis qui peuvent se poser dans la for- logie pour les Autochtones qui serait mation des archéologues. Certains de adapté aux réalités et aux besoins des ces défis sont plus spécifiques à la différentes communautés. situation autochtone. En parlant avec mes collègues à travers le Québec et le UN BESOIN DANS LES COMMUNAUTÉS Canada, j’ai pu constater quelques La participation accrue des Pre- défis récurrents : 1) des communautés mières Nations dans la pratique de très diversifiées avec une démogra- l’archéologie, ainsi que d’autres chan- phie variable, et des besoins tout gements récents dans ce domaine aussi variables en termes d’archéo- (par ex. changements dans le cadre logie et de patrimoine (one size does not légal ou engagement accru avec le fit all ! – voir Nicholas 2010) ; 2) des Vol. XLVIII, NO 3, 2018 public), fait qu’il existe maintenant un communautés souvent éloignées des besoin réel de développer la capacité centres de formation et d’éducation ; interne des communautés autoch- 3) le maintien (rétention) des effectifs tones du Québec en termes d’archéo- à moyen et à long terme ; et 4) la diffi- logie. Nous parlons ici de la formation culté de garantir des emplois après la de techniciens en archéologie mais formation. On peut ajouter à cette 105 R E C H E R C H E S A M É R I N D I E N N E S A U Q U É B E C , X LV I I I , N O 3 , 2 0 1 8
liste un élément plus technique, soit l’accréditation aux qui a duré cinq ans (de 2010 à 2105), était dirigé par niveaux provincial et/ou national. l’archéologue Geneviève Treyvaud et piloté par le Musée des Tous ces défis ne sont pas limités à l’archéologie. Ils Abénakis, ainsi que par le Grand Conseil de la Nation sont présents dans la plupart des programmes de formation Waban-Aki et le Conseil des Abénakis d’Odanak, avec un destinés aux Autochtones et ont déjà été surmontés dans appui financier de Patrimoine Canada et du ministère de la plusieurs cas, comme celui de la formation d’enseignants Culture et des Communications. Ce projet a formé en du primaire qui soient autochtones. De plus, je suis d’avis archéologie quinze membres de la communauté et certains que les questions de financement d’un tel programme ont même participé au programme durant plusieurs années. de formation – et de la langue de cette formation – ne Le fait que le directeur général actuel du Musée des Abénakis constituent pas des défis insurmontables, du moins au ainsi que la personne en charge de la gestion de toutes les niveau universitaire. collections du musée ont participé au programme d’archéo- logie du Fort d’Odanak en dit long sur les potentielles LA FORMATION : DÉVELOPPER UNE EXPERTISE INTERNE retombées que peut avoir la formation d’Autochtones en Plusieurs archéologues professionnels québécois ont archéologie et en gestion du patrimoine. Chez les Cris, pour participé à la formation d’Autochtones en archéologie. Les prendre un autre exemple, quatre personnes recrutées lors projets et programmes ont été aussi variés que les popula- des projets hydroélectriques d’Eastmain et de Rupert ont été tions ciblées et il est difficile de trouver une stratégie récur- embauchées dans leurs communautés comme coordonna- rente. Voici quelques exemples de projets qui ont mené à la teurs culturels (voir Denton et Izaguirre, dans ce numéro). formation d’Autochtones en archéologie au Québec. Cette Les projets collaboratifs et communautaires sont de plus note de recherche ne se veut pas un recensement exhaustif, en plus nombreux au Canada. S’il s’agit d’un projet archéo- mais plutôt un survol global, et je m’excuse à l’avance si logique dans ou près d’une communauté autochtone, alors j’oublie de mentionner un projet formateur. Certes, il y a eu il est souhaitable et même essentiel d’inclure les membres de des programmes pionniers au Québec, comme ceux de la la communauté autochtone dans les fouilles et de les former Corporation Archéo-08 en Abitibi ou du Gouvernement de en archéologie et en gestion du patrimoine. Le Programme la Nation crie (ancienne Administration régionale crie) ; de recherches archéologiques d’Ekuanitshit est un exemple malheureusement je n’ai pas l’espace ici pour en faire un de ce type de collaboration fructueuse (voir l’article de historique complet. À l’aide d’exemples concrets, je veux Ouellet dans ce numéro). Le programme est financé par la plutôt mettre en relief les principaux défis à la formation Société Ishpitenitamun et appuyé par le Conseil des élus de d’Autochtones en archéologie et voir quels modèles la communauté. Il est dirigé sur le terrain par l’archéologue semblent fonctionner et persister (voir Chalifoux et Gates Jean-Christophe Ouellet. Les fouilleurs sont tous issus de la St-Pierre 2017). communauté d’Ekuanitshit. Sur une période de six ans Certains projets ont été entrepris et menés par les (2012-2017), douze Innus ont été formés en archéologie groupes autochtones. C’est le cas de l’Institut culturel grâce à ce programme (Jean-Christophe Ouellet, comm. Avataq qui organise des projets archéologiques au Nunavik pers., déc. 2017). Toujours sur la Basse-Côte-Nord, depuis depuis trente ans. La formation des archéologues provenant l’été 2015 Archéo-Mamu, un organisme sans but lucratif de la communauté a toujours été au centre de ces projets co-géré par les Autochtones et les Euroquébécois de la archéologiques. Le groupe ciblé est jeune : de 13 à 15 ans. région, a formé en archéologie quatorze Innus (François Ces écoles de fouilles servent principalement d’outil Guindon, comm. pers., fév. 2018). d’apprentissage sur l’histoire et la culture des Inuits et sont Ce modèle est récurrent à travers le Canada et il devient ainsi des projets d’éducation, de revitalisation et de réappro- la norme en termes d’archéologie collaborative et commu- priation culturelle (Desrosiers et Rahm 2015). Plus de deux nautaire avec les Premières Nations. L’essentiel à retenir cents jeunes étudiants provenant des communautés du dans les projets qui réussissent et persistent, c’est que le Nunavik ont été formés en archéologie sur le terrain grâce à programme d’archéologie doit être conçu dès le départ en ces projets. Une retombée importante de ce programme a collaboration et en consultation avec la communauté été l’impact positif sur l’assiduité scolaire et le taux de diplo- concernée. Les hypothèses de recherche, les sites qui seront mation (ibid. 2015). Les projets archéologiques de l’Institut privilégiés, les lieux à éviter, la mise en valeur des sites et des culturel Avataq peuvent être regroupés sous la rubrique plus collections, la diffusion des connaissances auprès des cher- large de l’archéologie communautaire – qui conçoit cheurs et des membres de la communauté concernée, tous l’archéologie comme un processus de collaboration et de ces facteurs doivent être pris en considération et en consul- décolonisation où les communautés descendantes parti- tation avec la communauté en amont. cipent à part égale avec les chercheurs dans toutes les Une autre catégorie de formation en archéologie, plus étapes de la recherche, allant du choix des questions de « classique », est celle des écoles de fouilles (Cipolla et recherche initiales jusqu’à l’interprétation et la mise en Quinn 2016). Les écoles de fouilles universitaires consti- valeur (Atalay 2012). tuent un cadre privilégié pour la formation d’Autochtones Un projet plus récent d’archéologie communautaire en archéologie. Depuis l’été 2015, l’Université de Montréal organisé par une communauté autochtone et servant à a développé une école de fouilles sur l’île Saint-Bernard à former des Autochtones en archéologie est celui du Fort Châteauguay. Cette école de fouilles, et le projet de d’Odanak (http://www.fort-odanak.ca/index-fra). Le projet, recherche archéologique plus large dans lequel elle s’inscrit, 106 R E C H E R C H E S A M É R I N D I E N N E S A U Q U É B E C , X LV I I I , N O 3 , 2 0 1 8
a été mise sur pied avec la collaboration du Conseil mohawk la situation semble être moins prometteuse si l’on en de Kahnawà:ke, en tenant compte de leurs intérêts envers le juge par le faible nombre d’inscriptions. Le nombre patrimoine archéologique historique et préhistorique. d’Autochtones inscrits dans un programme d’anthropo- Chaque année, deux membres de la communauté de logie, d’archéologie, d’histoire, d’études autochtones, de Kahnawà:ke sont intégrés dans l’équipe pour être formés gestion du patrimoine, de muséologie ou d’une discipline comme archéologues. Ces personnes sont désignées par la connexe demeure très limité. Le nombre de personnes d’ori- communauté elle-même. Ce modèle semble fonctionner gine autochtone qui ont étudié au niveau du baccalauréat assez bien, mais il est important de mentionner que la ou de la maîtrise ou du doctorat en archéologie se compte fouille se déroule à proximité de la communauté mohawk sur les doigts d’une main. On peut mentionner une per- de Kahnawà:ke, ce qui est rarement le cas pour les écoles de sonne de Pikogan qui a complété son baccalauréat en fouilles universitaires (voir aussi le texte de Richard, Lesage archéologie à l’Université de Montréal et qui avait entamé sa et Plourde dans ce numéro). maîtrise avant son décès. Sinon, nous connaissons pré- Une formule gagnante est donc de déplacer l’université sentement seulement trois autres personnes qui ont toutes dans la communauté (Cipolla et Quinn 2016). Dans le cas étudié en anthropologie et archéologie à l’Université du Sheshatshiu Archaeology Project par exemple, l’Institut McGill : une personne inuite qui travaille comme archéo- du Labrador, une filiale de l’Université Memorial, est situé logue au Nunavik et qui a étudié deux ans et demi au pre- dans la communauté de Northwest River/Sheshatshiu, et le mier cycle en archéologie ; une personne qui est membre professeur qui dirige l’école de fouilles, Scott Neilsen, est de la Nipissing First Nation et qui est présentement inscrite basé dans la communauté à temps plein (Neilsen 2017, et au doctorat en archéologie ; et l’ancien président de comm. pers. 2018). L’Université Simon Fraser est allée encore l’Association canadienne d’archéologie, Eldon Yellowhorn, plus loin, en créant un campus satellite de l’université dans qui fut le premier Autochtone du Canada à compléter un la communauté secwepemc (shuswap) de la réserve de doctorat en archéologie. Ces personnes serviront de Kamloops en Colombie-Britannique (Nicholas 1997 ; modèles et de leaders dans leurs communautés respectives, Nicholas et Markey 2013). Sur une période de vingt ans, un mais le défi demeure le fait que nous ne formons toujours programme basé dans cette communauté, le SCES-SFU pas suffisamment d’archéologues autochtones. De plus, le Indigenous Archaeology Program, a permis de former des cursus universitaire actuel (baccalauréat, maîtrise, doc- centaines d’Autochtones en archéologie, et les impacts posi- torat) ne fournit pas assez d’archéologues autochtones. Une tifs dans la communauté sont nombreux et vont bien première constatation qu’on peut faire c’est qu’il existe un au-delà de l’archéologie (Nicholas et Markey 2013 : 3). problème lié au fait que la formation en archéologie est sur- Dans un contexte d’école de fouilles universitaire, les tout centrée sur le cursus académique universitaire, sans défis à surmonter sont plutôt d’ordre bureaucratique, car les envisager d’autre trajectoire ou voie d’accès à la formation et universités ne sont pas très flexibles en ce qui concerne à l’emploi. Notons d’ailleurs que le premier archéologue l’inscription des étudiants qui ne suivent pas un cursus autochtone du Québec, Daniel Weetaluktuk, a été formé en traditionnel ou qui sont inscrits dans une autre institution archéologie sur le terrain (McCartney 1984). collégiale ou universitaire (voir aussi Lefevre-Radelli et Les compagnies privées d’archéologie devront égale- Jérôme 2017). Néanmoins, le contexte de la formation dans ment jouer un rôle central et décisif dans la formation de une école de fouilles bien rodée est idéal, car il met moins de futurs archéologues autochtones au Québec. Ces compa- pression sur la productivité quotidienne des étudiants- gnies ont déjà formé sur le terrain des dizaines de techni- fouilleurs. De plus, le fait d’avoir des étudiants autochtones ciens autochtones en archéologie depuis le début des et allochtones qui travaillent ensemble et qui se côtoient de projets hydroélectriques dans le nord du Québec à partir de façon quotidienne est un véritable atout ; c’est un avan- la fin des années 1970. Certaines compagnies ont cumulé tage qui est noté par l’expérience de plusieurs archéo- une expérience considérable au fil des années en ce qui logues à travers l’Amérique du Nord. Les échanges entre concerne la collaboration avec les groupes autochtones. La étudiants autochtones et allochtones et le partage des firme Archéotec, par exemple, a formé de nombreux fouil- connaissances sont particulièrement enrichissants, surtout leurs attikameks, cris et innus, dont certains ont plus d’une lorsque cela se produit dans un environnement de res- décennie d’expérience sur le terrain (Ly 2010). En 2017, pect et libre de stress, comme c’est habituellement le cas dans le contexte de projets urbains sur l’île de Montréal, les sur un terrain archéologique. compagnies Arkéos et Ethnoscop ont formé et intégré dans Un enjeu important dans le milieu universitaire consiste leurs équipes des jeunes Mohawks à la suite d’une entente à trouver des façons d’augmenter la présence des étudiants avec le Conseil mohawk de Kahnawà:ke. autochtones dans les universités canadiennes. L’organisme Universités Canada (anciennement Association des univer- Au Québec, le bassin de candidats autochtones poten- sités et collèges du Canada) identifie d’ailleurs comme une tiels qui pourraient suivre une formation en archéologie de ses cinq priorités l’accès à l’éducation universitaire pour n’est pas énorme, qu’ils soient francophones ou anglo- les Autochtones (https://www.univcan.ca/fr/priorites/edu- phones. Les personnes qui vivent déjà en milieu urbain cation-des-autochtones/). Au niveau canadien, le nombre seront plus portées à suivre un cursus universitaire ou collé- d’Autochtones qui suivent un programme universitaire en gial, ou encore un programme mis sur pied par un musée archéologie, tous niveaux confondus, continue à être très national ou provincial (voir par ex. Syms 1997). J’estime bas, mais il tend à augmenter d’année en année. Au Québec, que les programmes en études autochtones dans les 107 R E C H E R C H E S A M É R I N D I E N N E S A U Q U É B E C , X LV I I I , N O 3 , 2 0 1 8
universités, ainsi que la formation offerte au collège Kiuna, de services professionnels pour les expertises archéo- pourront constituer des points de départ logiques pour ces logiques » (Julie Milot, MTMDET, comm. pers., janv. 2018). candidats. Par contre, ce seront les projets d’archéologie Ces appels d’offre apparaissent dans le site officiel du communautaire menés dans ou à proximité des commu- Gouvernement du Québec (https://www.seao.ca/index. nautés autochtones qui risquent d’être les plus efficaces en aspx). Ajoutons que ces exigences standards sont sujettes à termes de formation et de développement d’expertises en modification par le Ministère selon les spécificités de chaque archéologie et en conservation du patrimoine au sein des projet (Julie Milot, MTMDET, comm. pers., janv. 2018). groupes autochtones du Québec. L’Association des archéologues professionnels du Québec (AAQ) a établi une liste de critères pour adhérer à L’ACCRÉDITATION : UN ENJEU MAJEUR l’association (http://www.archeologie.qc.ca/devenir-membre/ Dans les années à venir, la question de l’accréditation comment-devenir-membre/), mais cette adhésion n’octroie deviendra un enjeu majeur dans la formation des pas automatiquement une reconnaissance officielle de la Autochtones en archéologie. La raison est simple : pour part du gouvernement québécois. Selon les règlements de pratiquer l’archéologie au Québec, il faut obtenir un permis l’AAQ, un archéologue se définit ainsi : « toute personne délivré par le ministère de la Culture et des Communications, possédant la formation théorique, méthodologique, tech- comme le stipule le Règlement sur la recherche archéo- nique et éthique nécessaire pour entreprendre et mener à logique. Pour obtenir un tel permis, il faut produire une bien une étude archéologique, quelle que soit sa spécialisa- démonstration que le postulant possède une formation tion » – ce qui est, somme toute, assez vague (Règlements de professionnelle reconnue. De plus, une personne embau- l’AAQ, annexe 1, section 1 - Définitions et interprétations). chée comme archéologue par une compagnie ou une insti- La situation est donc loin d’être normalisée au Québec en ce tution doit aussi posséder un niveau d’expérience reconnu qui concerne l’accréditation des archéologues et les exi- dans le domaine. Or, au Québec, l’accréditation profession- gences requises pour pratiquer l’archéologie. Les critères nelle des archéologues n’a jamais été clairement normalisée nécessaires pour exercer le métier d’archéologue sont ni officialisée. Ainsi, le Règlement sur la recherche archéo- mieux définis chez nos voisins ontariens par exemple, où logique découlant de la Loi sur le patrimoine culturel c’est le ministère du Tourisme, de la Culture et du Sport qui (chap. P-9.002, r. 2.1) demande un « dossier de qualifica- émet les permis, mais aussi les licences d’archéologue tion » pour tout membre d’une équipe qui n’est pas tech- (http://www.mtc.gov.on.ca/fr/archaeology/archaeology_ nicien, c’est-à-dire pour les personnes responsables de licensing.shtml). l’intervention archéologique (section II.3a, Délivrance d’un Pour revenir au propos initial de cette note de recherche, permis de recherche archéologique). Cependant, les critères c’est-à-dire la formation des Autochtones au Québec en d’admissibilité ne sont pas très précis ; le postulant doit sim- archéologie, il me semble que, si le système de formation plement soumettre un dossier « incluant sa formation sco- pour les archéologues autochtones demeure aussi peu for- laire ou universitaire et ses expériences pertinentes en malisé, il en résultera que des archéologues auront des ajoutant […] la liste de ses publications scientifiques, la liste niveaux d’expérience et de connaissance très variables. C’est des organismes pour lesquels il a travaillé depuis la fin de sa d’ailleurs souvent le cas dans un domaine qui, comme formation et le statut qu’il y a occupé » (section II.3a, le l’archéologie justement, s’est professionnalisé depuis peu de formulaire utilisé pour une demande de permis reprend les temps. Il me semble donc qu’une solution consisterait à mêmes critères), sans que soit précisé comment ces diffé- mettre en place un système de certificats pour la formation rents critères sont évalués et comptabilisés. Ainsi, l’évalua- des archéologues autochtones au Québec. Pour ce faire, il tion de ces dossiers par les employés du ministère manque faudra la collaboration du gouvernement provincial (minis- de transparence et peut être sujette à interprétation. tère de la Culture et des Communications) et des associa- Le ministère des Transports, de la Mobilité durable et de tions professionnelles (AAQ) pour que ce certificat soit l’Électrification des transports (MTMDÉT), pour sa part, reconnu et permette de travailler dans le domaine de possède des exigences beaucoup plus détaillées pour les l’archéologie au Québec. La participation des firmes privées trois échelons d’archéologues qu’ils peuvent embaucher sera également essentielle, car elles sont les principaux comme contractuels (archéologue responsable de l’inter- employeurs en archéologie dans la province et même à tra- vention, archéologue-assistant et technicien-archéologue). vers l’Amérique du Nord. Cependant, ces exigences varient selon le niveau de respon- Il serait intéressant d’envisager un programme divisé en sabilité que la personne devra assumer, allant d’un techni- modules afin de permettre le maximum de flexibilité pour cien-archéologue junior (20 semaines d’expérience pratique les participants, incluant des modules théoriques et des en archéologie ou un minimum de 30 crédits contributoires modules de terrain, tous cumulatifs. Il faudra y inclure des à un baccalauréat spécialisé en archéologie, plus 10 semaines éléments de formation liés au contexte légal de l’archéologie d’expérience pratique) à un responsable d’intervention au Québec, des aspects éthiques de la pratique, de la mise en (baccalauréat spécialisé en archéologie, avoir rédigé un rap- valeur, du partage des connaissances, de la consultation, de port de recherche archéologique et posséder 80 semaines la gestion des sites et collections et de la conservation des d’expérience) [Julie Milot, MTMDET, comm. pers., janv. artéfacts. Comme je l’ai mentionné plus haut, des modèles 2018]. Ces exigences ne sont malheureusement pas dispo- existent déjà ailleurs au Canada, modèles dont nous pour- nibles pour le grand public et ils apparaissent uniquement rions nous inspirer. Un premier modèle de programme en dans « les devis contractuels utilisés pour les appels d’offres 108 R E C H E R C H E S A M É R I N D I E N N E S A U Q U É B E C , X LV I I I , N O 3 , 2 0 1 8
archéologie pour les autochtones est en train d’être mis sur Ontario Ministry of Tourism and Culture 2010). Plusieurs pied par le Centre des Premières Nations Nikanite de programmes de formation ont été mis sur pied par les l’Université du Québec à Chicoutimi (http://nikanite.uqac. Premières Nations de l’Ontario (Six Nations, New Credit, ca/programmesspecialises/). Il consiste en cinq cours en Curve Lake, Chippewa of the Thames), avec l’appui parfois archéologie, incluant une école de fouilles (Éric Langevin, de la Province ou de l’Association des archéologues de comm. pers., fév. 2018 ; Gauthier 2017). Un programme en l’Ontario (OAS). Ces programmes visent spécifiquement à archéologie pour les Autochtones devra inclure la perspec- former des surveillants autochtones pour les chantiers tive autochtone du passé et du patrimoine archéologique, archéologiques de la province. Il est important de noter les traditions orales et la participation des aînés (un comité qu’en général ces surveillants ne participent pas directe- de pilotage devra inclure au moins 50 % de membres ment aux travaux archéologiques, comme les inventaires et autochtones). D’ailleurs, l’inclusion de ces perspectives les fouilles. À mon avis, le surveillant ne peut pas remplacer autochtones serait sans doute salutaire pour tout pro- un ou une archéologue autochtone pour ce qui est de la gramme de formation d’archéologues au Québec et Canada. contribution au projet ou aux interprétations par exemple. La formation offerte par certains modules pourrait être Par contre, ce rôle, qui est plutôt celui d’un observateur, suivie à distance, tandis que d’autres pourraient idéalement peut représenter pour certains individus un premier pas se dérouler dans les communautés ou sur le territoire ances- vers une formation d’archéologue de terrain. tral, avec les aînés. Une étape parallèle consisterait inévita- blement à normaliser l’accréditation de tous les archéologues Dans un monde idéal, chaque nation du Québec aurait au Québec, incluant les archéologues autochtones. Il faudra son archéologue autochtone et son équipe d’archéologues aussi trouver une façon de reconnaître la valeur de l’expé- autochtones. C’est en partie le cas aux États-Unis, où rience et des connaissances non archéologiques de certaines chaque nation reconnue au niveau fédéral a droit à un Tribal personnes (par ex. savoir traditionnel, traditions orales, Historic Preservation Officer (THPO, http://www.achp.gov/ connaissance du territoire). Pour ce faire, il sera également thpo.html). Cette personne n’est pas toujours un archéo- nécessaire de travailler de concert avec le ministère de la logue de formation, mais elle est responsable du patrimoine Culture et des Communications et l’AAQ. J’espère qu’il sera culturel et des projets archéologiques réalisés sur le terri- possible d’envisager la possibilité de définir plus d’une seule toire géré par la nation. Si nous parvenons à former suffi- trajectoire qui mènerait à l’accréditation d’un(e) archéo- samment d’archéologues et de gestionnaires du patrimoine logue, tant pour un/une technicien(ne) que pour un/une dans les communautés autochtones du Québec et du chargé(e) de projet. Canada, alors ce ne sera qu’une question de temps avant que chaque communauté ou nation puisse bénéficier d’une per- LES DÉBOUCHÉS sonne-ressource et d’une équipe issues de la communauté Les débouchés en archéologie n’ont jamais été nom- qui veillera à la protection du patrimoine archéologique et breux, mais cela ne peut aucunement constituer un prétexte culturel de celle-ci. pour ne pas former d’archéologues autochtones. Si on se fie à certains exemples tirés de partout au Canada, ces per- PRINCIPAUX PARTENAIRES sonnes deviendront des acteurs importants dans leurs com- La liste des partenaires éventuels dans l’élaboration d’un munautés, peu importe s’ils poursuivent en archéologie ou programme de formation autochtone en archéologie nous non (Denton et Izaguirre, dans ce numéro ; Nicholas 2010). semble relativement facile à dresser. Le défi sera plutôt de Ces archéologues seront des défenseurs du patrimoine et ils mobiliser et d’organiser tous ces partenaires au sein d’un seront aussi des médiateurs et traducteurs de leur culture. Il même projet et vers un but commun : la formation revient à la communauté archéologique de faire une place à d’archéologues autochtones au Québec. Voici une liste pré- ces archéologues issus des communautés autochtones. Les liminaire de partenaires éventuels : firmes d’archéologie privées seront les principaux acteurs les instituts, conseils et gouvernements autochtones (par de ce nouveau défi. Ces compagnies peuvent garantir des ex. Gouvernement de la Nation crie, Grand Conseil de la emplois à un certain nombre d’archéologues autochtones, Nation Waban-Aki, Mohawk Council of Kahnawà:ke, pour ainsi assurer une mise en place et une pérennisation de Institut culturel Avataq, Bureau du Nionwentsïo de la l’archéologie autochtone. Par exemple, une firme d’archéo- nation huronne-wendat, etc.) ; logie en Ontario s’est engagée récemment à embaucher les les aînés des communautés autochtones ; archéologues, incluant bien sûr les archéologues autoch- l’Assemblée des Premières Nations du Québec et du tones, issus d’un programme de certificat en gestion des Labrador (APNQL) ; ressources archéologiques en cours d’élaboration par l’Université Trent (Bill Fox, comm. pers., nov. 2017). les universités québécoises offrant un programme en archéologie et/ou en études autochtones, et l’Institution Les associations professionnelles et les gouvernements Kiuna ; constitueront également des parties prenantes de première importance. En Ontario, la régularisation d’un système de le ministère de la Culture et des Communications, le surveillants de chantiers archéologiques (monitors) permet ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur depuis dix ans l’embauche de plusieurs autochtones dans le et le Secrétariat aux affaires autochtones ; cadre de projets en archéologie préventive (DeVries 2014 ; l’Association des archéologues du Québec (AAQ) ; 109 R E C H E R C H E S A M É R I N D I E N N E S A U Q U É B E C , X LV I I I , N O 3 , 2 0 1 8
les firmes privées d’archéologie ; Remerciements les gestionnaires des collections archéologiques, princi- Les personnes suivantes m’ont aidé à mieux comprendre la palement les musées et les municipalités ; situation et l’historique de la formation des Autochtones en archéo- logie au Québec et au Canada : Susan Blair, David Denton, Pierre le Réseau Archéo-Québec. M. Desrosiers, Bill Fox, Christian Gates St-Pierre, Mariane Gaudreau, Éventuellement, il serait également intéressant d’envi- Alicia Hawkins, Sarah Hazell, Scott Neilsen, Jean-Christophe sager de travailler avec d’autres partenaires, à l’échelle cana- Ouellet et Geneviève Treyvaud. Je les remercie beaucoup pour leur temps et leurs conseils. Je remercie aussi les deux évaluateurs dienne, qui seraient intéressés à participer à la mise sur pied anonymes pour leurs commentaires et suggestions forts pertinentes. d’un programme national et multilingue (langues autoch- tones + anglais et français) menant à une accréditation Ouvrages cités nationale. Du côté des universités canadiennes, on peut penser à la First Nations University of Canada et l’organisa- APNQL (Assemblée des Premières Nations Québec-Labrador), tion Indspire (http://indspire.ca/) comme partenaires éven- 2014 : Protocole de recherche des Premières Nations du Québec et du tuels. Pour ce qui est des associations nationales, les Labrador. Wendake, Québec. (consulté le 25 octobre 2018). chéologie et l’Assemblée des Premières Nations. Enfin, en ce AAQ (Association des archéologues professionnels du Québec), qui a trait à la diffusion des connaissances et à la valorisa- 2014 : Règlements généraux, Association des archéologues tion publique d’une formation archéologique pour les professionnels du Québec (AAQ). Modifiés le 2013-11-20, adoptés Autochtones, le réseau Aboriginal People’s Television en CA le 2014-01-29. (consulté le 25 octobre 2018). (voir par exemple l’émission Wild Archaeology, http://aptn. ATALAY, Sonya, 2012 : Community-Based Archaeology: Research with, ca/wildarchaeology/). by, and for Indigenous and Local Communities. University of California Press, Berkeley. CONCLUSIONS CHALIFOUX, Éric, et Christian GATES ST-PIERRE, 2017 : Pour résumer, il faut plus d’archéologues autochtones Décolonisation de l’archéologie : émergence d’une archéologie colla- au Québec et au Canada, et c’est ce que les Premières borative. Salons : un éclairage sur la société par les revues Nations demandent à travers le pays. Il faut faire en sorte savantes. (consulté le 25 octobre 2018). que les communautés autochtones puissent produire CIPOLLA, Craig N., et James QUINN, 2016 : « Field School leur propre archéologie et gérer leur propre patrimoine Archaeology the Mohegan Way: Reflections on Twenty Years of archéologique. Il nous revient à nous, archéologues pro- Community-Based Research and Teaching ». Journal of fessionnels, de mettre sur pied un programme de forma- Community Archaeology & Heritage 3(2) : 118-134. tion et d’accréditation pour ces futurs archéologues DESROSIERS, Pierre M., et Jrène RAHM, 2015 : « Sivunitsatinnut autochtones, de la même manière que nous l’avons fait ilinniapunga : l’archéologie inuit et l’apprentissage ». Études/ Inuit/Studies 39(2) : 259-283. (consulté le 25 octobre 2018). Cependant, il faudra qu’un tel programme soit flexible et DeVRIES, Megan, 2014 : Cultural Resource Management and qu’il reflète les réalités autochtones, en offrant notam- Aboriginal Engagement: Policy and Practice in Ontario Archaeology. ment des formations dans les communautés elles-mêmes, Master of Arts (M.A.), Department of Anthropology, University et sans imposer un système rigide comme il en existe trop of Western Ontario, London, Ontario. (consulté le 25 octobre 2018). souvent dans les universités. C’est aussi à nous, archéolo- gues professionnels, que revient le devoir de faire une GAUTHIER, Myriam, 2017 : « Former des archéologues autoch- tones ». Le Quotidien, 18 avril. place équitable aux archéologues autochtones. Les com- pagnies d’archéologie privées seront des partenaires LEFEVRE-RADELLI, Léa, et Laurent JÉRÔME, 2017 : Expériences, politiques et pratiques d’intégration des étudiant.es autochtones à l’uni- indispensables dans cette démarche, car elles repré- versité : le cas de l’UQAM. Cercle des Premières Nations et Service sentent les principaux employeurs dans le domaine. aux collectivités de l’UQAM, Montréal. (consulté le 25 octobre 2018). autochtone comme il en existe déjà en aviation, fores- terie, construction, et autres domaines. L’accréditation de LY, Yvonne Thuy-Vy, 2010 : À la convergence des savoirs : la transmis- sion des connaissances entre des Atikamekw et des archéologues. collègues archéologues autochtones demandera une Mémoire de maîtrise (M.Sc.), département d’anthropologie, Uni- démarche concertée et inclusive au sein de la commu- versité de Montréal, Montréal. (consulté le 25 octobre 2018). reconnaître l’expérience et le savoir traditionnel non McCARTNEY, Allen P., 1984 : « Daniel Weetaluktuk : Contributions archéologiques de nos collègues autochtones. Pour cela, to Canadian Arctic Anthropology ». Études/Inuit/Studies 8(1) : 103-115. il nous faudra l’appui du ministère de la Culture et des NEILSEN, Scott, 2017 : « Tapping into Traditional Knowledge. Communications et de l’Association des archéologues Labrador Institute Researchers engaging in community capacity professionnels du Québec. En 2017, l’AAQ a accepté building up North ». Memorial University. et (consulté le 29 novembre 2018). futur d’une archéologie autochtone au Québec. 110 R E C H E R C H E S A M É R I N D I E N N E S A U Q U É B E C , X LV I I I , N O 3 , 2 0 1 8
NICHOLAS, George P., 1997 : « Education and Empowerment: Technical Bulletin for Consultant Archaeologists in Ontario. Archaeology with, for, and by the Shuswap Nation, British Ontario Ministry of Tourism and Culture, Toronto. Archaeology and First Peoples in Canada : 85-104. Simon Fraser (consulté le 25 octobre 2018). University Library, Publication n˚ 24, Simon Fraser University, LOI SUR LE PATRIMOINE CULTUREL, Règlement sur la recherche Burnaby. (consulté le 25 octobre 2018). SYMS, E. Leigh, 1997 : « Increasing Awareness and Involvement of —, (dir.), 2010 : Being and Becoming Indigenous Archaeologists. Left Aboriginal People in Heritage Preservation: Recent Develop- Coast Press, Walnut Creek, California. ments at the Manitoba Museum of Man and Nature », in in G.P. NICHOLAS, George P., et Nola MARKEY, 2013 : « Secwepemc Cultural Nicholas et T.D. Andrews (dir.), At a Crossroads: Archaeology and Education Society/Simon Fraser University (SCES-SFU) First Peoples in Canada : 53-68. Simon Fraser University Library, Indigenous Archaeology Program », in C. Smith (dir.), Encyclopedia Publication n˚ 24, Simon Fraser University, Burnaby. (consulté le 25 octobre 2018). Engaging Aboriginal Communities in Archaeology. A Draft 111 R E C H E R C H E S A M É R I N D I E N N E S A U Q U É B E C , X LV I I I , N O 3 , 2 0 1 8
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