LA LOTERIE NATIONALE SE CONNECTE - LA NOUVELLE RÉGLEMENTATION BELGE EN MATIÈRE DE JEUX À L'ÉPREUVE DU DROIT COMMUNAUTAIRE ET CONSTITUTIONNEL.

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“ONLINE” GOKKEN IN B ELGIË : EEN S TAND VAN ZAKEN
                   Christoph De Preter
                     Jos Dumortier
 LA LOTERIE NATIONALE SE CONNECTE .
   LA NOUVELLE RÉGLEMENTATION BELGE EN
INHOUDSTAFEL
    MATIÈRE DE JEUX À L’ÉPREUVE DU DROIT
    COMMUNAUTAIRE ET CONSTITUTIONNEL.

                   Christoph De Preter
                     Jos Dumortier
                   ICRI – K.U. Leuven
LA LOTERIE NATIONALE SE CONNECTE
CHRISTOPH DE P RETER – JOS DUMORTIER

1.      LA LÉGISLATION BELGE EN MATIÈRE DE JEUX ................................. 3
     1.1.  RÉGIME GÉNÉRAL ........................................................................................... 3
     1.2.  LE MONOPOLE DE LA LOTERIE NATIONALE EN MATIÈRE DE JEUX ORGANISÉS
     AU MOYEN DES NOUVELLES TECHNOLOGIES ............................................................... 4

2. LA LÉGISLATION BELGE À L’ÉPREUVE DU PRINCIPE
CONSTITUTIONNEL D’ÉGALITÉ......................................................................... 6
     2.1.  PRINCIPES ....................................................................................................... 6
     2.2.  LA CONSTITUTIONNALITÉ DE LA LÉGISLATION EN MATIÈRE DE LOTERIES ....... 6
     2.3.  LA CONSTITUTIONNALITÉ DE LA LÉGISLATION EN MATIÈRE DE JEUX DE
     HASARD ...................................................................................................................... 8
     2.4.  LA CONSTITUTIONNALITÉ DE LA NOUVELLE LÉGISLATION RÉGISSANT LA
     LOTERIE NATIONALE ................................................................................................ 10
3. LA LÉGISLATION BELGE À L’ÉPREUVE DU DROIT
COMMUNAUTAIRE................................................................................................ 13
     3.1.    LA DIRECTIVE 98/34..................................................................................... 13
        3.1.1.     Devoir de notification à la Commission européenne des ‘règles
        relatives aux services’.......................................................................................... 13
        3.1.2.     Conséquences en cas de non-notification ............................................ 14
     3.2.    ABSENCE DE RÉGLEMENTATION HARMONISÉE .............................................. 15
     3.3.    LIBRE CIRCULATION DES SERVICES ............................................................... 16
        3.3.1.     Principes .............................................................................................. 16
        3.3.2.     Evaluation de la législation belge ....................................................... 19
     3.4.    ARTICLE 86 DU TRAITÉ CE........................................................................... 20
        3.4.1.     La règle de l’article 86.1. du Traité CE .............................................. 20
        3.4.2.     Lecture combinée avec des dispositions communautaires matérielles 21
        3.4.3.     L’exception de l’article 86.2. du Traité CE......................................... 21
4.      CONCLUSIONS ................................................................................................ 22
     4.1.   REGARD PROSPECTIF SUR LE DROIT EUROPÉEN EN MATIÈRE DE JEUX ............ 22
     4.2.   REGARD PROSPECTIF SUR L’ÉVOLUTION TECHNIQUE EN MATIÈRE DE JEUX ... 23
     4.3.   QUELQUES RÉFLEXIONS À PROPOS DE LA POLITIQUE BELGE EN MATIÈRE DE
     JEUX EN LIGNE .......................................................................................................... 24

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        Le phénomène des jeux1 pose des problèmes évidents aux différents
législateurs nationaux.

         Par leur nature, les jeux d’argent évoquent certaines considérations morales et
sociales invitant les Etats à réglementer le phénomène de façon plus ou moins stricte 2 .
Le risque d’accoutumance du joueur ainsi que le danger que le secteur des jeux soit
utilisé à des fins de blanchissement d’argent, font comprendre qu’un intérêt réel peut
exister à interdire les jeux. Pourtant, maints législateurs considèrent que l’impulsion
du public à parier ou à jouer est difficile à éradiquer et partant, qu’il vaut mieux
organiser une offre de jeux réglementés (dite régime de « canalisation »3 ) au lieu de
parcourir à un régime d’interdiction.

       Le secteur des jeux se révèle également comme très lucratif. Les Etats se
sentent donc appelés à taxer les bénéfices provenant des opérateurs, voire même à
organiser eux- même certains jeux d’argent. L’intérêt économique que présentent les
jeux peut également être indirect : songeons, en matière de promotions commerciales,
à l’emploi de sweepstakes, de tombolas etc. par le secteur publicitaire.

        Ces dernières années, un nouvel élément s’ajoute aux deux constatations
précédentes : l’avènement des nouvelles technologies et plus particulièrement de
l’Internet font que l’internationalisation du secteur des jeux – existant déjà
auparavant - se présente de façon exacerbée.

        Le présent article se propose d’analyser la législation belge en la matière au
regard du droit constitutionnel belge et du droit communautaire. Plus précisément, il
sera fait état du nouveau monopole de la Loterie Nationale concernant l’organisation
de jeux d’argent au moyen des nouvelles technologies (section 1). Les principes
constitutionnels de l’égalité et de la non-discrimination ont- ils été respectés par le
législateur (section 2) ? Le monopole de la Loterie Nationale ne se heurte-t- il pas aux
principes communautaires (section 3) ? Et finalement, comment le choix du
législateur belge pour l’octroi d’un monopole en matière de jeux interactifs s’inscrit- il
dans les tendances européennes et techniques en matière de online gambling (jeux
« en ligne ») (section 4) ?

1
  Vu la signification spécifique du terme « jeu de hasard » en droit belge, nous utiliserons dans le
présent article le terme « jeu » comme un terme générique englobant tant les jeux d’argent que les jeux
gratuits. Par « jeux d’argent », nous désignerons tous les jeux dont la participation requiert le paiement
d’une somme d’argent (y inclus les jeux de hasard, les loteries et les paris), par opposition aux jeux
gratuits (p.ex. les jeux promotionnels, sweepstakes etc.). Voy. également à cet égard la distinction qui
est opérée entre les jeux d’argent et les jeux de hasard par A. MENAIS et M. MARCOUX, « Les jeux
d’argent sur l’Internet », http://www.juriscom.net, 10 avril 2002.
2
  Voy. I. ROSE , « Understanding the Law of Internet Gambling », http://www.gamblingandthelaw.com,
27 avril 2001, page 6.
3
  La Belgique est un des Etats à adopter ce régime de canalisation, voy. infra.

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    1. La législation belge en matière de jeux

    1.1. Régime général

    La législation belge en matière de jeux d’argent 4 est répartie sur divers textes,
ayant trait respectivement aux jeux de hasard, aux paris sportifs et aux loteries. Les
différentes législations discutées brièvement ci-après prévoient essentiellement un
régime de canalisation; en principe, les jeux sont interdits, mais par exception, et
après autorisation par l’autorité compétente, des jeux réglementés peuvent quand-
même être offerts au consommateur.

    Jeux de hasard
    Ainsi, la loi du 7 mai 1999 sur les jeux de hasard 5 énonce qu’il est interdit
d'exploiter, en quelque lieu, sous quelque forme et de quelque manière directe ou
indirecte que ce soit, un ou plusieurs jeux de hasard ou établissements de jeux de
hasard autres que ceux autorisés par arrêté royal délibéré en Conseil des ministres 6 . La
Loi définit le jeu de hasard comme tout jeu ou pari pour lequel (i) un enjeu est engagé,
ayant pour conséquence soit une perte, soit un gain et pour lequel (ii) le hasard est un
élément, même accessoire, pour le déroulement du jeu, la détermination du vainqueur
ou la fixation du gain 7 . La loi n’est pas applicable aux paris et concours organisés par
la Loterie Nationale, et n’est que partiellement applicable aux jeux de hasard
organisés par la Loterie Nationale 8 .

    Paris sportifs et paris hippiques
    La Loi du 26 juin 1963 relative aux concours de paris sportifs 9 prévoit que nul ne
peut, sans l’autorisation des Ministres qui ont l’éducation physique et les sports dans
leurs attributions, organiser un concours de paris 10 sur des résultats d’épreuves

4
   Le présent article ne vise qu’à donner une vue d’ensemble de la législation actuelle. Pour une
discussion approfondie, voy. C. DE PRETER, « Gokken via Internet en andere communicatiemiddelen »,
Kluwer Mediarecht, à paraître.
5
   L. du 7 mai 1999 sur les jeux de hasard, les établissements de jeux de hasard et la protection des
joueurs, M.B. 12 décembre 1999.
6
  Art. 4.
7
  Art. 2, 1°.
8
  Art. 3bis : « La présente loi ne s'applique pas aux loteries au sens de la loi du 31 décembre 1851 sur
les loteries, et des articles 301, 302, 303 et 304 du Code pénal, ni aux loteries publiques, paris et
concours visés à l'article 3, § 1er, alinéa 1er, de la loi du 19 avril 2002 relative à la rationalisation du
fonctionnement et de la gestion de la Loterie nationale. A l'exception des articles 7, 8, 39, 58, 59 et 60
et des dispositions pénales du chapitre VII se rapportant à ces articles, la présente loi ne s'applique
pas aux jeux de hasard visés à l'article 3, § 1er, alinéa 2, de la loi du 19 avril 2002 relative à la
rationalisation du fonctionnement et de la gestion de la Loterie Nationale ».
9
  L. du 26 juin 1963 relative à l’encouragement de l’éducation physique, de la pratique des sports et de
la vie en plein air ainsi qu’au contrôle des entreprises qui organisent des concours de paris sur les
résultats d’épreuves sportives, M.B. 25 décembre 1963.
10
    La notion de « concours de paris » donne lieu à des problèmes d’interprétation : pourquoi la loi ne
s’applique-t-elle pas aux simples « paris » ? D’après la Circ. min. du Ministre des finances du 31
décembre 1990 relative au taxe sur les jeux et paris, tombent seuls sous le coup de la L. du 26 juin 1963
les paris mutuels (« onderlinge weddenschappen »), à l’occasion desquelles le rôle de l’organisateur est
limité à mettre en contact les joueurs, sans prendre de risque personnel. L’organisateur réunira les
mises et les distribuera entre les gagnants après prélèvement d’une quotité. Les paris à la cote
(« weddenschappen op notering ») quant à eux, à l’occasion desquelles l’organisateur parie contre

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sportives autres que les courses de chevaux si ce concours implique un versement de
droits d’inscription ou d’enjeux par des tiers, ni diffuser ou faire colporter en Belgique
des bulletins de participation à de tels concours organisés à l’étranger 11 . La Loi du 26
juin 1963 n’est pas applicable aux paris sportifs organisés par la Loterie Nationale 12 .
L’organisation de paris sur les courses de che vaux courues en Belgique et à l’étranger
est soumise à une législation spécifique qui, elle aussi, requiert l’octroi d’une
autorisation antérieure par le Ministre des finances 13 .

    Loteries
    Dans un même esprit de canalisation, la Loi du 31 décembre 1851 14 interdit en
principe l’organisation des loteries. Alors que les loteries commerciales sont toujours
prohibées, les loteries exclusivement destinées à des actes de piété ou de bienfaisance,
à l'encouragement de l'industrie ou des arts, ou à tout autre but d'utilité publique 15
peuvent être autorisées, de même que la diffusion sur le territoire belge de billets des
loteries étrangères 16 . Signalons d’ores et déjà que la Loterie Nationale jouit d’un
monopole en ce qui concerne l’organisation de loteries par les pouvoirs publics 17 .

    1.2. Le monopole de la Loterie Nationale en matière de jeux
         organisés au moyen des nouvelles technologies

    La Loterie Nationale comme prestataire monopoliste d’un service public
    La nouvelle Loi du 19 avril 2002 relative à la Loterie Nationale qualifie les
loteries publiques, les paris, concours et jeux de hasard organisées par la Loterie
Nationale comme « des tâches de service public »18 .

   La Loterie Nationale se voit attribuer un monopole (i) sur le «service public »
consistant à organiser des loteries publiques 19 , ainsi que (ii) sur les « services publics»

chaque joueur en fonction d’une cote conventionnelle (p. ex. 1 contre 10) ne seraient pas régis par la
Loi. Il importe de noter qu’une telle interprétation aboutirait à laisser les paris à la cote dans un vide
juridique, attendu que la Loi sur les jeux de hasard exclut de façon générale tout pari sportif de son
champ d’application (art. 3, 1°).
11
   Art. 1er .
12
   Art. 38 de la L. du 19 avril 2002 relative à la rationalisation du fonctionnement et de la gestion de la
Loterie Nationale, M.B. 4 mai 2002. Cette Loi est entrée en vigueur le 26 juillet 2002, date de
publication au M.B. de l’A.R. du 9 juillet 2002 fixant les statuts de la Loterie Nationale.
13
   Art. 66 du Code des taxes assimilés aux impôts sur les revenus du 23 novembre 1965, M.B. 18
janvier 1966.
14
   L. du 31 décembre 1851 sur les loteries, M.B. 7 janvier 1852.
15
   L’autorisation est accordée par le collège de bourgmestre et échevins, si l'émission des billets n'est
faite et annoncée que dans une commune, et n'est publiée que dans les journaux qui s'y impriment; par
la députation permanente du conseil provincial, si l'émission des billets est faite et annoncée dans
différentes communes de la province ou publiée dans les journaux qui s'y impriment, et par le
gouvernement, si l'émission des billets est faite et annoncée ou publiée dans plus d'une province (Art. 7
de la L. du 31 décembre 1851).
16
    P. NIHOUL et M. STRUYS, « La législation belge en matière de loterie au regard du droit
communautaire : approche d’un monopole étatique », A.P.T., 1995, p. 193.
17
   Art. 6 §1, 1° de la L. du 19 avril 2002.
18
   Art. 7.
19
   Sous l’empire de l’ancienne législation (L. du 31 décembre 1851 et L. du 22 juillet 1991 relative à la
Loterie Nationale, M.B. 31 juillet 1991), la Loterie Nationale jouissait également d’un monopole en
matière de loteries publiques, bien que la loi n’utilisait pas le terme « monopole » de façon expresse.

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consistant à organiser des paris, concours et jeux de hasard, pour autant qu’il soit fait
usage d’ « outils de la société d’information »20 .

    Le législateur a choisi de ne pas définir ce dernier terme dans la loi : un
amendement allant dans ce sens n’a pas été accepté lors des discussions au Sénat 21 . Il
résulte des travaux préparatoires 22 que la notion d’ « outil de la société
d’information » se fonde sur la définition européenne bien connue des « services de la
société d’information », reprise dans la directive 98/34 23 . Ainsi, l’organisation de jeux
d’argent par Internet, par SMS, par WAP ou par télévision digitale est désormais, à
l’exception d’un cas d’espèce plutôt théorique 24 , exclusivement réservée à la Loterie
Nationale.

    L’attribution du monopole ne signifie pas que d’autres opérateurs ne sauraient
plus offrir des jeux à l’étranger à partir du territoire belge. En effet, le monopole ne
s’applique qu’aux jeux proposés sur le territoire belge 25 . Inversément, des opérateurs
étrangers organisant des jeux d’argent au moyen d’instruments de la société
d’information peuvent se trouver en infraction avec le monopole accordé à la Loterie
Nationale.

    Critique
    Il nous semble inapproprié de qualifier l’organisation d’une offre de jeux comme
une tâche de service public. Un service public peut être défini de façon fonctionnelle
comme un service qui répond à un besoin collectif du public, et qui ne peut être
réalisé complètement que par l’autorité 26 . Or, bien que selon le législateur, le
phénomène des jeux ne peut être déraciné, il est, à notre avis, loin de constituer un
besoin de la collectivité. N’a-t-on pas délibérément utilisé la qualification de service
public afin de justifier l’octroi d’un monopole (éla rgi) à la Loterie Nationale ? En
effet, les services publics sont traditionnellement associés aux monopoles 27 .

20
   Art. 7 et Art. 6 §1 de la L. du 19 avril 2002.
21
   Projet de loi relative à la rationalisation du fonctionnement et de la gestion de la Loterie Nationale,
Amendement n° 3 des Messrs. HORDIES et MORAEL , Doc. Parl. Sénat, sess. ord. 2001-2002, n° 2 -
1003/3, pp. 1 et 2.
22
   Projet de loi relative à la rationalisation du fonctionnement et de la gestion de la Loterie Nationale,
Rapport fait au nom de la commission des finances et des affaires économiques, Doc. Parl. Sénat, sess.
ord. 2001-2002, n° 2 – 1003/4, p. 27.
23
   Dir. (CE) 98/34 du Parlement européen et du Conseil du 22 juin 1998 prévoyant une procédure
d’information dans le domaine des normes et réglementations techniques, J.O.C.E., L. 204, du 21
juillet 1998, p. 37, modifiée par la dir. CE 98/48 du 20 juillet 1998, J.O.C.E., L. 217, du 5 août 1998, p.
18. D’après l’art. 1.2 de cette directive, un service de la société de l’information est « tout service
presté normalement contre rémunération, à distance, par voie électronique et à la demande
individuelle d’un destinataire de services ».
24
   Le monopole conféré à la Loterie Nationale n’empêche pas l’organisation de loteries exclusivement
destinées à un but d’utilité publique moyennant une autorisation administrative (art. 7 de la L. du 31
décembre 1851). Il est dès lors théoriquement concevable qu’une telle autorisation soit émise pour
l’organisation d’une loterie « de bienfaisance » interactive, p. ex. par Internet.
25
   Projet de loi relative à la rationalisation du fonctionnement et de la gestion de la Loterie Nationale,
Rapport fait au nom de la commission des finances et des affaires économiques, o.c., p. 13.
26
   L.P. SUETENS et S. SWARTENBROUX -VANDERHAEGEN, « Evolutie van het begrip ‘openbare dienst’ »,
in L.P. SUETENS, Op de grens van het ideaal denkbare en het praktisch haalbare, Die Keure, Brugge,
1997, p. 465. Voy. également infra, 3.4.3.
27
   W. DEVROE, « ‘Universele dienstverlening’ als nieuwe manier van denken ? », S.E.W. , 2000/3, p. 88.

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     2. La législation belge à l’épreuve du principe
        constitutionnel d’égalité

     2.1. Principes

   La Cour d’arbitrage vérifie la conformité des lois fédérales avec les principes
constitutionnels d’égalité et de non-discrimination28 . Dans ce cadre, la Cour procède à
une évaluation en plusieurs étapes29 :

i) Les différentes catégories ou situations entre lesquelles une discrimination est
     alléguée, sont-elles assez comparables ?
ii) Existe-t- il une différence de traitement entre ces catégories ? Il importe à cet égard
     de noter qu’une différenciation doit être opérée en droit, et non pas en fait ou par
     l’application individuelle d’une certaine norme, p. ex. par le Roi30 .
iii) Ces catégories sont-elles objectives ?
iv) La différenciation est-elle justifiée ?
v) Cette justification est-elle raisonnable ?
vi) La différenciation est-elle pertinente par rapport aux buts, aux effets ou à la nature
     des principes en cause ?
vii) Finalement, la Cour s’interrogera s’il existe un rapport raisonnable de
     proportionnalité entre le traitement différencié et l’objectif poursuivi.

    La Cour s’est déjà prononcée à plusieurs reprises sur la constitutionnalité du
régime juridique en matière de jeux. Avant de se pencher sur la question du caractère
discriminatoire de la Loi du 19 avril 2002 (voy. infra, 2.4.), nous parcourrons la
jurisprudence de la Cour en matière de loteries (2.2.) et en matière de jeux de hasard
(2.3.)

     2.2. La constitutionnalité de la législation en matière de
          loteries

   Un premier contentieux soumis à la Cour d’arbitrage concernait la pratique dite
des « sweepstakes »31 . La Cour de Cassation avait préalablement tranché que les

28
   Art. 142, 2° Const.
29
   Voy. P. VANDERNOOT , « Le principe d’égalité dans la jurisprudence de la Cour d’arbitrage », A.P.T.,
1997, p. 99.
30
   G. DE BAETS, « Het gelijkheidsbeginsel in het kader van de rechtspraak van het Arbitragehof », in F.
M OEYKENS (éd.), De Praktijkjurist, Gent, Academia Press, 2001, p. 19.
31
   Le sweepstake consiste à « organiser, sous le contrôle d’un huissier de justice, un tirage au sort,
préalable à tout contact avec le public, de numéros gagnants ; à adresser ensuite, sous forme de lettres
personnalisées, à un nombre important de personnes ‘présélectionnées’ des messages publicitaires
comportant des bons de participation numérotés accompagnés d’une offre d’achat de un ou plusieurs
articles avec invitation à choisir entre deux possibilités : renvoyer le titre de participation en vue de
connaître le résultat du tirage sans effectuer d’achat ou accompagner le renvoi d’un bon de
commande » (Mons 11 décembre 1991, Annuaire Pratiques du Commerce 1991, pp. 246 et s.), ce qui
induirait le consommateur à accompagner le renvoi d’une commande, pensant que ceci augmenterait
ses chances de gain.

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sweepstakes constituaient une loterie interdite, nonobstant l’absence de mise ou d’un
risque quelconque de perte 32 .

    La Cour d’appel de Mons a, dans une affaire qui confrontait l’Etat belge à la
société Reader’s Digest, soumis à la Cour d’arbitrage la question préjudicielle
suivante : l’interdiction de certaines formes de loterie constitue-t-elle une
discrimination vis-à-vis d’autres formes qui, elles, sont bien autorisées (en particulier
les loteries organisées par la Loterie Nationale) ? Dans son arrêt du 18 février 199333 ,
la Cour d’arbitrage a adopté une position qui ne peut guère surprendre : la législation
belge en matière de loteries a été jugée non-discriminatoire. Le raisonnement de la
Cour correspondait largement au concept d’évaluation élaboré ci-dessus 34 .

     Dans un premier temps, la Cour s’est penchée sur le critère de différenciation
employé par le législateur. Inspirée par le souci de condamner un mode
d’enrichissement jugé immoral, la loi pose le principe de l’interdiction des loteries,
tout en prévoyant une double exception, d’une part pour les loteries exclusivement
destinées à un but d’utilité publique, d’autre part pour les loteries organisées par la
Loterie Nationale. La Cour a considéré qu’« en prévoyant que l’interdiction des
loteries peut être levée au profit de celles dont les bénéfices sont affectés aux fins (…)
d’intérêt général, le législateur a retenu un critère objectif de différenciation »35 . Par
ailleurs, « le critère d’affectation des bénéfices à des fins d’intérêt général ou
humanitaire comme condition d’autorisation de la loterie reflète, de façon pertinente,
le souci du législateur de ne déroger au principe de la prohibition qu’au profit du
seul intérêt de la collectivité »36 . Avec D. Van Bunnen, on peut se demander si le
mobile véritable derrière la législation en matière de loteries n’est actuellement pas
davantage cette réservation d’une source de revenus aux organisations les affectant à
des buts d’intérêt public, que la protection du citoyen contre la passion du jeu37 .

    Enfin, la Cour a jugé qu’il existe un rapport de proportionnalité raisonnable entre
les moyens employés et le but visé, vu que « la loi n’interdit pas aux personnes ou
organisations souhaitant organiser une loterie (…), d’acheter des billets émis par une
loterie autorisée et de mettre ensuite, elles-mêmes, ces billets en circulation »38 .

32
   Cass. 15 septembre 1992, Pas. 1992, I, 1035.
33
   C.A. 18 février 1993, n° 12/93, M.B. 24 avril 1993.
34
   Voy. supra, 2.1.
35
   Ibid., considérant B.7.1.
36
   Ibid., considérant B.7.2.
37
   D. VAN BUNNEN, « La publicité suscitant des espoirs fallacieux ou le sweepstake à l’épreuve du
nouvel article 23,10° de la loi sur les pratiques du commerce et de l’article 30 du Traité C.E.E. », note
sous Anvers, 29 juin 1993, J.T., 1994, 88.
38
   C.A. 18 février 1993, n° 12/93, o.c., considérant B.8.

                                                                                                       7
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     2.3. La constitutionnalité de la législation en matière de
          jeux de hasard

    Bon nombre d’intéressés ont introduit des recours en annulation de la Loi du 7
mai 1999 sur les jeux de hasard devant la Cour d’arbitrage. En particulier le secteur
des salles de jeux s’est insurgé de façon virulente contre la nouvelle législation39 .

     Une première critique invoquée devant la Cour concernait la différenciation entre
les jeux de hasard d’une part, et les loteries et paris sportifs d’autre part. La Cour
d’arbitrage a rejeté cet argument 40 en prônant les différences qui existent entre ces
formes de jeux, justifiant un traitement différencié :
(i) vu que les sports tiennent à l'exercice ou à l'adresse du corps, les paris sportifs
     seraient indépendants de toute intervention du hasard, et le législateur ne prendrait
     donc pas une mesure discriminatoire en les excluant d'une réglementation portant
     sur les jeux de hasard 41 ;
(ii) la loterie est différente du contrat de jeu en ce que les joueurs ne participent pas de
     façon active au jeu, et en ce que les heures d'accès au jeu sont telles que le risque
     de dépendance serait moindre.

    Un autre grief concernait l’interdiction d’organiser des jeux de hasard en dehors
des établissements dûment autorisés. A raison, la Cour d’arbitrage a décidé que le
législateur est libre de déterminer de manière limitative les endroits dans lesquels ces
jeux peuvent être exploités, afin de garantir l'efficacité des contrôles42 .

     Les griefs relatifs au traitement discriminatoire des salles de jeux (établissements
de classe II) par rapport aux casinos (établissements de classe I) ont également été
rejetés par la Cour, au motif que « le seuil d'accessibilité des jeux de hasard
automatiques est assez bas en comparaison avec celui des casinos »43 , et que
« l'ampleur des investissements, notamment immobiliers, nécessaires pour un casino

39
   En effet, comparée à la L. précédente du 24 octobre 1902 sur le jeu, la L. du 7 mai 1999 constitue un
frein considérable sur les activités de ce secteur économique (P. ROSSEEL, « Sociale bescherming
versus vrijheid van handel », note sous C.A. 13 juillet 2001, n° 100/01, Vigiles, 2001, 187).
40
   C.A. 13 juillet 2001, n° 100/01, M.B. 7 août 2001, considérant B.11.1.
41
   Le raisonnement de la Cour d’arbitrage ne convainc pas sur ce point. Il nous paraît que le régime
différencié en matière de paris sportifs ne peut trouver sa justification dans la nature mê me du jeu. En
effet, bien que les paris sportifs ne tombaient pas sous le champ d’application de la L. sur le jeu de
1902 en raison du fait qu’ils étaient engagés à l’occasion d’un jeu tenant à l’exercice ou à l’adresse du
corps (art. 7), cela ne signifiait pas pour autant que les paris sportifs seraient exempts de tout élément
de hasard. C’est ainsi qu’en matière pénale, pour que l’article 305 C.pén. soit appliqué à des paris
sportifs, « il appartient dans chaque cas au ministère public d’établir que le joueur s’en est remis au
hasard quant au placement de ses mises (…). En effet une des questions importantes est de savoir si les
paris émanent de personnes qui se sont livrées à des recherches et études en la matière et sont dès lors
raisonnés et étudiés ou si, en revanche, les parieurs sont des personnes étrangères aux choses du sport
qui se déterminent aveuglement notamment par les renseignements des journaux dont elles sont
incapables de contrôler la valeur » (note A.D.N. sous Bruxelles, 10 avril 1992, Rev. dr. pén., 1992, pp.
238 s.). Il apparaît donc que les paris sportifs ne sont pas automatiquement dépourvus de tout élément
de hasard ; au contraire, le caractère aléatoire du pari dépendra en fonction du joueur individuel.
42
   C.A. 13 juillet 2001, n° 100/01, o.c., considérant B.12.2.
43
   Ibid., considérants B.13.2. (concernant le fait que pour les jeux organisés dans les casinos, la loi ne
prévoit pas de perte maximale, contrairement à ce qui prévaut pour les jeux organisés dans les salles de
jeux) et B.21.2. (concernant le fait que l’organisation d’une restauration n’est possible que dans les
casinos).

                                                                                                        8
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est plus grande que pour une salle de jeux automatiques »44 . De même, la différence
de traitement entre les casinos et salles de jeux d’une part, et les débits de boisson
(établissements de classe III) d’autre part (le législateur obligeant seulement les
premiers à tenir un registre identifiant précisément les personnes accédant à ces
établissements), a été admise par la Cour 45 .

    Sur un point, la Cour d’arbitrage a considéré que la loi sur les jeux de hasard
contenait une disposition discriminatoire. En effet, la loi subordonnait l'exportation et
la production de jeux de hasard destinés à l'exportation à une licence à conférer par la
commission des jeux de hasard. Bien qu’il appartient au législateur de limiter
effectivement, en raison de considérations éthiques, l'exportation des jeux de hasard
produits en Belgique, la Cour a considéré que la loi contenait une mesure
disproportionnée : ni la contribution aux frais et dépenses de la commission des jeux
de hasard ni la garantie matérielle à fournir 46 ne sauraient se justifier en ce qui
concerne les exportateurs et les producteurs de jeux destinés à l’exportation, la
commission des jeux de hasard ne remplissant aucune mission substantielle à leur
égard. Dès lors, l’art. 71 de la loi sur les jeux de hasard a été annulé en ce qu’elle
s’appliquait aux exportateurs et aux producteurs de jeux de hasard destinés à
l'exportation47 .

    Force est donc de constater que les limitations apportées par la Loi sur les jeux de
hasard à une activité pourtant essentiellement économique, n’ont pas été jugées
discriminatoires, ces limitations étant inspirées par des objectifs légitimes. Afin de
réduire le risque que posent les jeux de hasard aux individus, le législateur est en droit
de fixer des règles relatives à l’éthique professionnelle et l’organisation et contrôle du
secteur 48 .

44
   Ibid., considérant B.16.2. (concernant le fait que la durée de validité des licences pour les casinos est
de 15 ans, alors qu’elle est de 9 ans pour les salles de jeux).
45
   Ibid., considérant B.27.2. Selon la Cour, ce traitement différencié est justifié non seulement en raison
de la difficulté de mettre pareille règle en œuvre dans débits de boissons, mais surtout en raison de la
circonstance que la fréquentation des débits de boissons n'est pas principalement motivée par les jeux
dont l'exploitation est en revanche l'activité essentielle des établissements des deux autres catégories.
46
   Cette garantie était fixée à une somme de 500.000 francs par tranche entamée de 50 appareils.
47
   Ibid., considérant B.27.2.
48
   P. ROSSEEL, « Sociale bescherming versus vrijheid van handel », o.c., p. 191.

                                                                                                          9
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     2.4. La constitutionnalité de la                                 nouvelle           législation
          régissant la Loterie Nationale

    La Loi du 19 avril 2002 a introduit une différenciation entre les modalités
d’organisation de jeux d’argent online et offline. Tandis que dans le monde « réel »,
cette organisation peut être admise par le biais d’un régime de licences, elle est
exclusivement réservée à la Loterie Nationale dans le monde « virtuel » (voy. supra,
1.1. et 1.2.). Suivant le procédé d’évaluation déjà évoqué (voy. supra, 2.1.), nous
vérifierons ci-après si la nouvelle législation ne discrimine pas les opérateurs de jeux
privés par rapport à la Loterie Nationale 49 .

    Objectivité de la différenciation
    La politique belge en matière de jeux d’argent serait « ancrée sur deux piliers : le
secteur ‘lucratif’ sous le contrôle de la commission des jeux de hasard50 et le secteur
non-profit, c’est à dire principalement la Loterie Nationale, sous le contrôle du
Gouvernement » 51 . Cette distinction entre la Loterie Nationale et le secteur privé
semble s’inscrire dans le raisonnement que la Loterie Nationale offre un service
public. Bien que ce raisonnement nous paraît erroné (voy. supra, 1.3.), il n’en
demeure pas moins que la différenciation se fonde sur un critère objectif.

    Justification du traitement différencié
    Il ressort des travaux préparatoires qu’en octroyant un monopole sur les jeux
organisés par le biais d’un instrument de la société d’information, le législateur a
souhaité optimaliser sa politique de canalisation52 . La prohibition des jeux interactifs
étant la règle générale, une exception a été faite pour la Loterie Nationale : tout
d’abord, placée sous le contrôle direct du gouvernement, elle serait plus facilement
contrôlable que le secteur privé 53 . Deuxièmement, le législateur a considéré que « les
loteries peuvent, grâce à leur forte image de fiabilité auprès du consommateur,
fournir une importante contribution sociale au développement du commerce

49
   Dans son avis, la section législation du Conseil d’Etat avait déjà mentionné, sans toutefois préciser sa
position, qu’ « en ce qui concerne les jeux de hasard et les paris sur les épreuves sportives, reconnaître
un monopole à la Loterie Nationale semble incompatible avec le régime organisé par les lois [en
matière de paris sportifs et jeux de hasard] », Projet de loi relative à la rationalisation du
fonctionnement et de la gestion de la Loterie Nationale, Avis du Conseil d’Etat, Doc. Parl. Chambre,
sess. ord. 2001-2002, n° 1339/1, p. 70.
50
   Il est incorrect que la commission des jeux de hasard supervise tout le secteur ‘lucratif’ ou privé. Son
champ d’action est limité aux seuls jeux de hasard dans le sens de la L. du 7 mai 1999. Ainsi, par
exemple, les organisateurs des paris sportifs et des paris sur courses hippiques, qui ne sont pas
contrôlés par la commission des jeux de hasard, relèvent indubitablement du secteur privé ou ‘lucratif’.
51
   Projet de loi relative à la rationalisation du fonctionnement et de la gestion de la Loterie Nationale,
Exposé des motifs, o.c., p. 20.
52
    « En contraignant la Loterie Nationale (comme exigé, par exemple, au RoyaumeUni, pour
l’obtention de la nouvelle licence de loterie) à utiliser les nouvelles technologies (Internet et d’autres
services interactifs), on pourrait mener une politique de canalisation ‘générale’ plus efficace, qui attire
le joueur par une Loterie Nationale compétitive et attractive », Projet de loi relative à la rationalisation
du fonctionnement et de la gestion de la Loterie Nationale, Exposé des motifs, Doc. Parl. Chambre,
sess. ord. 2001-2002, n° 1339/1, p. 19.
53
    Note du ministre de la Justice concernant les jeux sur Internet, Projet de loi relative à la
rationalisation du fonctionnement et de la gestion de la Loterie Nationale, Rapport complémentaire de
la commission des finances et du budget, Doc. Parl. Chambre, sess. ord. 2001-2002, n° 1339/9,
annexe 2.

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électronique ‘business to consumer’ » 54 . Finalement, le législateur espérait que le
monopole octroyé à la Loterie Nationale conduirait une plus large partie des recettes
de jeux vers elle et « briderait » (sic) les activités des autres opérateurs de jeux55 . La
légitimité de ce dernier objectif nous semble questionnable, les opérateurs de jeux
étant titulaires d’une licence et déployant une activité tout à fait licite 56 .

    Pertinence de la différenciation
    Contrairement à ce que les débats parlementaires feraient parfois croire, la
nouvelle loi étend le champ d’action de la Loterie Nationale non seulement à
l’Internet, mais également à tous les autres nouveaux médias, y inclus la télévision
digitale, SMS et WAP. Une accessibilité accrue des jeux d’argent risque d’en
résulter : le consommateur ne sera plus lié aux heures d’ouverture des tabacs pour se
prémunir de son billet de loterie, ni pour faire ses mises dans une salle de jeux. Par
contre, il pourra, d’où il veut et quand il veut, accéder à une offre de jeux interactifs.
Bien qu’une offre de jeux sur l’Internet est établie depuis quelques années déjà, nous
croyons que l’utilisation de moyens de communication ‘usuels’ comme p. ex. le SMS,
peut induire davantage des joueurs nouveaux à tenter leurs chances. Dès lors, nous
concevons mal comment cette offre de jeux supplémentaire entre dans la logique de
« canalisation » prônée par le législateur 57 .

    En outre, du fait que la nouvelle loi ouvre la possibilité pour le secteur privé de
participer au capital de la Loterie Nationale et, inversément, permet à la dernière de
participer au capital d’autres sociétés58 , l’argument qu’une entreprise contrôlée
directement par le gouvernement serait mieux placée afin d’optimaliser une politique
de canalisation perd sa pertinence.

    Proportionnalité de la nouvelle législation par rapport à l’objectif poursuivi
    Nous sommes d’avis que, si une offre de jeux interactifs s’avérait nécessaire afin
d’optimaliser la politique belge de canalisation, cette canalisation pourrait être atteinte
par le biais de moyens moins extrêmes qu’un monopole.

    En effet, nous avons du mal à croire que l’octroi d’un monopole des pouvoirs
publics s’impose, dès lors que le contrôle d’exploitants privés serait plus difficile à
réaliser. Ainsi, en matière de jeux de hasard, le législateur, en instaurant un régime de
licences dont le respect est assuré par la commission des jeux de hasard, a
apparemment jugé que les pouvoirs publics sont bel et bien en mesure de contrôler le
secteur privé.

54
   Projet de loi relative à la rationalisation du fonctionnement et de la gestion de la Loterie Nationale,
Exposé des motifs, o.c., p. 22.
55
   Ibid., p. 19.
56
    En matière de conformité du monopole aux principes communautaire de la libre circulation des
services (voy. infra), le Conseil d’Etat a, dans une même ligne de pensée, énoncé que « l’objectif de
réduire les activités licites de jeux de hasard du secteur privé au profit de la Loterie Nationale ne peut,
à lui seul, justifier des restrictions à la libre prestation des services », Projet de loi relative à la
rationalisation du fonctionnement et de la gestion de la Loterie Nationale, Avis du Conseil d’Etat, o.c.,
p. 64.
57
   Voy. également le projet de loi relative à la rationalisation du fonctionnement et de la gestion de la
Loterie Nationale, Avis du Conseil d’Etat, o.c., p. 65.
58
   L. du 19 avril 2002, o.c., art. 5. Voy. également les remarques du sénateur D’Hooghe, Ann. Parl.,
Sénat, sess. ord. 2001-2002, séance du 27 mars 2002, p. 17-18.

                                                                                                       11
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     Un pareil contrôle est tout aussi possible pour les jeux organisés par SMS, WAP
ou par télévision digitale. Ces moyens de communication sont en effet opérés par des
intermédiaires localisés sur le territoire belge soumis à une obligation de licence, ce
qui permet aux autorités publiques d’assurer le respect de la législation en vigueur 59 .
En ce qui concerne l’Internet, il est vrai que la nature décentralisée et transfrontalière
de ce réseau complique jusqu’à présent le contrôle des jeux offerts à partir de
l’étranger. L’octroi d’un monopole ne changera cependant guère cet état des choses,
le consommateur belge ayant toujours accès à cette offre étrangère, et n’est donc pas
justifié à cet égard.

    Conclusion intermédiaire
    Au vu de ce qui précède, il paraît opportun d’émettre des doutes quant à la
proportionnalité et même la pertinence de certaines mesures contenues dans la
nouvelle réglementation en matière de jeux. L’on pourrait maintenir que la nouvelle
loi viole le principe d’égalité voire même le droit de la propriété 60 . Il importe toutefois
de réaliser qu’il n’appartient pas à la Cour d’arbitrage de censurer le choix du
législateur, dès lors que celui-ci est justifié par des considérations qui ne sont pas
manifestement déraisonnables61 . « La jurisprudence de la Cour est relativement
bienveillante à l’égard des restrictions, même absolues, à la liberté de commerce et
d’industrie. Il faut une atteinte fondamentale à cette liberté pour que la Cour fasse
preuve de sévérité »62 . La qualification de la mission de la Loterie Nationale comme
service pub lic, bien qu’elle soit incorrecte et regrettable, risque à cet égard de
diminuer le pouvoir d’appréciation de la Cour.

    Nous avons appris que certains intéressés issus du secteur privé des jeux ont
l’intention d’intenter un recours en annulation de la nouvelle législation. Il se peut
donc que la Cour d’arbitrage ait le dernier mot sur la constitutionnalité de la nouvelle
Loi du 19 avril 2002.

59
   Ainsi, par exemple, la commission des jeux de hasard a porté plainte auprès du Parquet après que des
jeux de hasard par SMS aient été offerts à travers le réseau de deux opérateurs mobiles
(http://www.belgsm.com/journal/article2002/sms/020502.htm). L’offre illégale a immédiatement été
cessée (voy. également E. KEULEERS et TH. VERBIEST , « Les jeux de hasard par SMS sont-ils
légaux ? », http://www.droit-technologie.org, 13 mai 2002).
60
   En effet, à supposer que la L. du 26 juin 1963 ne s’applique qu’aux paris mutuels et non pas aux
paris à la cote (voy. supra, note 10), des opérateurs de sites offrant la possibilité de miser sur des paris
à la cote se voient, par la nouvelle loi, privées d’une source de revenus tout à fait licité. Or, cette
privation peut constituer une expropriation au sens de l’article 1er du Premier Protocole de la
Convention des Droits de l’Homme. Voy. pour une discussion approfondie : P. VANDERNOOT , « La
Cour d’arbitrage et le droit de propriété », A.P.T., 1999, p. 200 et s.
61
   Voy. p. ex. C.A. 17 décembre 1997, n° 81/97, M.B. 21 janvier 1998.
62
   P. VANDERNOOT , « La Cour d’arbitrage et le droit de propriété », o.c., p. 209.

                                                                                                        12
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     3. La législation belge                            à      l’épreuve            du        droit
        communautaire

     3.1. La Directive 98/34

    La Directive 98/34 63 (ci-après dénommée la « Directive de notification ») vise
entre autres d’assurer une approche coordonnée de l’activité réglementaire des Etats
membres en matière des nouveaux services de l’information. Nous examinerons ci-
après si les dispositions de la Directive ont été respectées lors de l’adoption de la Loi
du 19 avril 2002 et quelles sont les conséquences juridiques en cas de non-respect.

     3.1.1. Devoir de notification des « règles relatives aux services »
            à la Commission européenne

     Les Etats membres doivent communiquer immédiatement à la Commission (i) tout
projet 64 de ‘règle relative aux services’, c’est-à-dire. toute exigence de nature générale
relative à l’accès aux activités de services de la société de l’information, y compris les
dispositions législatives interdisant de fournir ou d’utiliser un service ou de s’établir
comme prestataire de services65 . Les Etats membres doivent également communiquer
(ii) les raisons pour lesquelles ils jugent l’adoption d’une telle règle nécessaire, à
moins que ces raisons ne ressortent déjà du projet et (iii) le cas échéant, le texte des
dispositions législatives et réglementaires de base principalement et directement
concernées 66 . Après notification d’un pareil projet à la Commission, les Etats
membres sont tenus de reporter l’adoption de la règle relative aux services de trois
mois. Ce délai est prolongé d’un mois si la Commission ou un Etat membre font
valoir que la règle présente des aspects pouvant créer des obstacles à la libre
circulation des services ou à la liberté d’établissement des opérateurs de services dans
le cadre du marché intérieur 67 .

    Une règle est considérée comme visant spécifiquement les services de la société
de l’information lorsque, au regard de sa motivation et du texte de son dispositif, elle
a pour finalité et pour objet spécifiques, dans sa totalité ou dans certaines dispositions
ponctuelles, de réglementer de manière explicite et ciblée ces services 68 . A cet égard
importent peu les motifs qui ont justifié l’adoption d’une certaine règle. En effet, la
‘règle relative aux services’ se définit en fonction de ses effets, et non en fonction de

63
    Dir. (CE) n° 98/34 du Parlement et du Conseil du 22 juin 1998 prévoyant une procédure
d’information dans le domaine des normes et réglementations techniques et des règles relatives aux
services de la société de l’information, o.c., comme modifiée par la Dir. (CE) n° 98/48 du Parlement et
du Conseil du 20 juillet 1998 portant modification de la Dir. 98/34, o.c. Une version consolidée
officieuse        est      disponible    sur      le     site     web       de      la     Commission
(http://europa.eu.int/comm/enterprise/tris/consolidated/index_fr.pdf).
64
   Par projet, la Dir. 98/34 entend un texte qui se trouve à un stade de préparation où il est encore
possible d’y apporter des amendements substantiels (art. 1, point 12).
65
   Art. 8, 1° al. 1 jo.1, point 11).
66
   Art. 8, 1° al. 1 et 2.
67
   Art. 9.
68
   Art. 1, point 5).

                                                                                                    13
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ses objectifs 69 . L’on ne pourra donc argumenter qu’étant inspirée par des motifs de
protection de l’intérêt général, la Loi du 19 avril 2002 ne devait pas être notifiée 70 . En
vue de l’utilisation qui est faite du terme ‘instruments de la société de l’information’
dans l’art. 7 de la Loi du 19 avril 2002, et de la signification qui y est attribuée dans
les travaux préparatoires, nous estimons que le projet de loi aurait dû être notifié
auprès de la Commission. A notre connaissance, ceci n’a pas été fait 71 .

     3.1.2. Conséquences en cas de non-notification

    Dans l’arrêt Securitel, la Cour de justice a décidé que les articles 8 et 9 de la
Directive de notification sont inconditionnels quant à leur contenu et suffisamment
précis et partant, peuvent être invoqués par des personnes privées devant le juge
national72 . La sanction de la non-notification d’une ‘règle relative aux services’ sera
donc son inopposabilité envers ces personnes privées73 . Conformément à cette
jurisprudence, certains opérateurs de jeux online seraient en droit de ne pas respecter
le monopole de la Loterie Nationale 74 .

     Ceci ne veut pas dire pour autant que ces opérateurs pourront impunément
développer leurs activités sans fin. En effet, quand la Commission européenne est
d’avis qu’une certaine réglementation aurait dû être notifiée, elle en informera l’Etat
membre concerné, et elle lui demandera d’introduire un nouveau projet. Lorsque ni la
Commission, ni les autres Etats membres n’ont des commentaires sur le premier
projet non-notifié, il suffira pour l’Etat membre de reprendre littéralement le texte
initial dans son deuxième projet, tout en stipulant dans un article additionnel du
nouveau projet que ce dernier texte, bel et bien notifié, remplace le texte antérieur.
Ainsi par exemple, l’Etat belge a en 2001 remarqué qu’elle avait omis de notifier un
arrêté royal établissant un règlement technique pour la gestion du réseau de transport

69
   C’est ainsi que la Cour de justice des Communautés européennes a jugé que le fait qu’une mesure
nationale ait été adoptée pour protéger l’environnement n’exclue pas qu’elle puisse constituer une règle
technique au sens de la Dir 83/189, prédécesseur de la Dir. 98/34 (Voy. C.J.C.E. 20 mars 1997 (BIC
BENELUX S.A. C. ETAT BELGE ), 13/96, Amén. 1998, p. 36, obs. W. VOGEL, considérant 19-20 ; voy.
également EUROPEAN COMMISSION COMMITTEE ON STANDARDS AND TECHNICAL REGULATIONS,
Directive 98/34/EC – The 83/189 Notification procedure working paper : Court of justice judgments
and Commission practice, à consulter en ligne : http://europa.eu.int/comm/enterprise/tris/ court/index_
EN.doc).
70
   La Cour de justice avait déjà décidé que des règles appartenant au domaine du droit pénal ne sont pas
ipso facto exclues du champ d’application du champ d’application de la Dir. 83/189. En effet, rien dans
cette directive n’indiquait que son champ d’application était limité aux produits destinés à des usages
qui ne relèvent pas des prérogatives de la puissance publique (C.J.C.E. 16 juin 1998 (LEMMENS),
226/97, Rec. C.J.C.E. 1998, p. I-3711, concl. FENNELLY, considérant 19-20.
71
   Les notifications faites par les Etats membres auprès de la Commission européenne peuvent être
consultées en ligne : http://europa.eu.int/comm/enterprise/tris/pisa/app/search/index.cfm?lang=FR
(consulté pour la dernière fois le 26 août 2002).
72
   C.J.C.E. 30 avril 1996 (CIA SECURITY INTERNATIONAL S.A. C. SIGNALSON S.A. et SECURITEL
S.P.R.L.), 194/94, Rec. C.J.C.E. 1996, p. I-2201, concl. ELMER.
73
   Y. M ONTANGIE , « De Europese notificatierichtlijn : de recente wijziging(en) en het vraagstuk van de
sanctionering », T.B.P., 1999, p.254.
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   Sous condition, évidemment, que nulle autre disposition légale ne s’oppose à l’organisation de ces
jeux. En pratique, ceci sera seulement le cas pour les organisateurs de paris sportifs « à la cote » (voy.
supra, note 10).

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