La lutte pour le suffrage féminin en Valais
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Clémentine Davet Travail de Maturité Léonard Barman 5G Espagnol Lycée-Collège de l'Abbaye Professeur accompagnant CH-1890 Saint-Maurice 2020 La lutte pour le suffrage féminin en Valais Vote des femmes, Martigny-Bourg, 2 mars 1957, Médiathèque Valais - Martigny
RÉSUMÉ Dès la fin du XIXe siècle, le féminisme, et plus particulièrement le droit de vote des femmes, devient un sujet qui prend de l’ampleur en Europe. La première partie de ce travail s’intéressera donc au suffrage féminin en Angleterre ; notre but étant de nous attarder sur le déroulement de la lutte dans d’autres pays européens. Puis, nous nous pencherons de manière plus détaillée sur l’histoire du féminisme en Suisse et ce jusqu’à la votation fédérale de 1959 sur le suffrage féminin. La deuxième partie sera consacrée au suffrage féminin dans le canton du Valais. Tout d’abord, nous expliquerons comment l’Association valaisanne pour le suffrage féminin fut créée, en insistant sur ses fondateurs et ses objectifs. Ensuite, nous verrons pourquoi le résultat de la votation fédérale de 1959 est aussi faible et quelles ont été les conséquences de cette défaite. Enfin, nous nous intéresserons aux différents acteurs de la campagne pour le suffrage féminin en 1970. Dans la troisième partie, nous évoquerons principalement le 12 avril 1970, journée lors de laquelle les femmes valaisannes obtiennent le droit de vote et d’éligibilité au niveau cantonal. Nous verrons notamment les réactions des partisan·e·s et les premières mesures qui ont été appliquées seulement quelques mois après : cycle de conférences pour instruire les Valaisannes qui voteront et première votation pour les femmes en Valais à Gampel. Enfin, la quatrième partie s’intéressera brièvement à la votation fédérale de 1971, en la comparant notamment avec la votation cantonale de 1970. Finalement, nous parlerons de trois femmes politiques qui ont eu un rôle à jouer dans la décennie suivante : Gabrielle Nanchen, Edmée Buclin-Favre et Françoise Vannay-Bressoud, en expliquant qui elles sont et quels ont été leurs rôles dans la lutte en faveur des droits des femmes valaisannes. 2
TABLE DES MATIERES Introduction 4 1. Du féminisme au suffrage universel 5 1.1 L’Angleterre 5 1.2 La Suisse 8 2. Les prémices du suffrage féminin 12 2.1 Création de l’Association valaisanne pour le suffrage féminin 12 2.2 La victoire du non (1er février 1959) 13 2.3 Une longue campagne pour l’égalité 14 a. Les partisans 14 b. Les arguments des opposants 17 d. Le paradoxe « Nouvelliste » 18 3. Un jour historique (12 avril 1970) 19 3.1 L’appel des urnes 19 3.2 Les réactions 20 a. Partisans 20 3.3 Les premières mesures 21 4. Les répercussions du vote 22 4.1 La Suisse dit oui 22 4.2 Les femmes politiques en Valais 24 a. Gabrielle Nanchen 24 b. Edmée Bulcin-Favre 25 c. Françoise Vannay-Bressoud 25 Conclusion 26 3
INTRODUCTION Au début des années 50, la Suisse et le Liechtenstein sont les seuls pays d’Europe à n’avoir pas encore accordé l’égalité civique à leurs citoyennes1. Une longue lutte est menée par les Suisses, avec des votations communales, cantonales et fédérales sur lesquelles il faut parfois se prononcer plusieurs fois. L’histoire du suffrage féminin en Suisse débute au XIXe siècle. En 1833, les Bernoises qui ont une fortune immobilière ou autre en leur nom, ont le droit de vote dans leur commune suisse-alémanique. « Elles [doivent], il est vrai, se faire représenter dans les assemblées communales par un bourgeois de leur choix, mais qui [doit] voter selon leurs instructions »2. En 1852, cette loi devient exclusive pour les veuves et les célibataires. Puis cette représentation est abolie en 1887 car les autorités ne peuvent pas accorder aux Bernoises ce qui est refusé aux autres Suissesses. De plus, ceci est, ironiquement, contraire à l’article 4 de la Constitution fédérale : « Tous les Suisses sont égaux devant la loi »3. La lutte commence véritablement à la fin du XIXe siècle en Suisse. Les premières associations qui se battent pour l’amélioration de la situation juridique et économique des femmes et pour le suffrage féminin apparaissent4. En 1909, l’Association suisse pour le suffrage féminin (ASSF) voit le jour dans le but de promouvoir le suffrage féminin. Bon nombre des membres sont des femmes pour la plupart célibataires, universitaires et salariées. Durant la Première Guerre mondiale, les femmes rendent un certain nombre de services et l’ASSF « [soutient] les interventions socialistes en faveur du suffrage féminin et [s’engage] pour les votations qui [ont] lieu dans plusieurs cantons »5. Ces votations échouent toutes. Lors de la Seconde Guerre mondiale, l’espoir pour les associations féminines d’obtenir des droits politiques est toujours présent. Des projets de loi sont écrits puis rejetés dans quelques cantons. Différentes votations ont lieu, toutes se soldent par un échec. En 1959, une première votation sur le plan fédéral a lieu mais c’est également une défaite pour les partisan·e·s du suffrage féminin. C’est finalement en 1971 que la population suisse accepte d’octroyer le droit de vote et d’éligibilité aux femmes6. 1 N. JACQUEMET, Le suffrage féminin dans le canton du Valais, 1992, p. 70. 2 S. WOODTLI, Du féminisme à l’égalité politique, 1977, p. 8. 3 S. WOODTLI, Du féminisme à l’égalité politique, 1977, p. 8. 4 Y. VOEGELI, « Suffrage féminin », Dictionnaire historique de la Suisse (DHS) en ligne, version du 17/09/19, url : https://hls-dhs-dss.ch/fr/articles/010380/2019-09-17/. 5 Z. KERGOMARD, « Association suisse pour le suffrage féminin (ASSF) », Dictionnaire historique de la Suisse (DHS) en ligne, version du 12/06/19, url : https://hls-dhs-dss.ch/fr/articles/058044/2019-06-12/. 6 Y. VOEGELI, « Suffrage féminin », Dictionnaire historique de la Suisse (DHS) en ligne, version du 17/09/19, url : https://hls-dhs-dss.ch/fr/articles/010380/2019-09-17/. 4
Le Valais fait partie des neuf cantons à avoir déjà institué le suffrage féminin avant la votation de 1971. C’est le 12 avril 1970 que les Valaisans se rendent aux urnes pour se prononcer sur le sujet du vote des femmes à l’échelon cantonal. Dans ce travail de maturité, nous allons expliquer la longue lutte que les citoyen·ne·s ont menée pour que la Suisse, et plus particulièrement le Valais, octroie le droit de vote aux femmes. Nous allons d’abord nous intéresser à l’histoire du suffrage féminin en Angleterre et en Suisse au début du XXe siècle. Concernant le suffrage féminin, plusieurs associations sont mises en place. En Valais, l’Association valaisanne pour le suffrage féminin (AVPSF) est créée. Nous remarquons que suite à la défaite de 1959, cette association, accompagnée d’une partie de la population, mène une longue campagne pour que les Valaisannes obtiennent le droit de vote en 1970. Les partisans et les opposants ont chacun leur argumentaire. Enfin, le 12 avril 1970 devient un jour historique pour le Valais : les Valaisans se prononcent favorablement à l’octroi du droit de vote et d’éligibilité aux femmes pour toutes les affaires communales et cantonales. La Suisse dit oui en 1971. Quelques années plus tard, les Valaisannes peuvent s’engager officiellement en politique. Dans ce travail, nous allons nous attarder sur le parcours de plusieurs d’entre elles. Ce travail a pour but de présenter la longue lutte qui mène à l’octroi du droit de vote aux femmes en Valais. 1. DU FÉMINISME AU SUFFRAGE UNIVERSEL 1.1 L’Angleterre « Dans les pays anglo-saxons prédominait, sous l’influence de John Stuart Mill, la conception de l’égalité de l’homme et de la femme et, par conséquent, l’exigence d’un traitement égal des deux sexes »7. Le XIXe siècle au Royaume-Uni est traversé de tensions politiques, économiques, sociales et culturelles. C’est dans ce contexte qu’émergent les mouvements politiques et sociaux qui visent à transformer le visage du pays. La lutte pour le droit de vote des femmes vient s’inscrire dans ces mouvements avec comme but de corriger les inégalités subies par les femmes. 7 E. JORIS, « Féminisme », Dictionnaire historique de la Suisse (DHS) en ligne, version du 23/10/06, url : https://hls-dhs-dss.ch/fr/articles/017427/2006-10-23/. 5
Dans les années 1860 et 1870, les premiers comités pour le droit de vote sont créés au Royaume-Uni : la Société nationale pour le droit de vote des femmes de Manchester8 et le Cercle des dames de Kensington9. Durant ces années, le principe d’égalité entre les hommes et les femmes est un principe jugé très radical. En 1866, John Stuart Mill10 se saisit du débat sur l’élargissement du suffrage censitaire pour demander le droit de vote pour les femmes. Il récolte mille quatre cent nonante-neuf signatures11 et présente la pétition au Parlement. À l’occasion de ce débat, John Stuart Mill écrit le texte : The Subjection of Women12. Lorsqu’il reçoit la proposition de publier une œuvre entièrement consacrée à la condition des femmes, il se juge incapable de tout dire. Toutefois deux ans plus tard, soit en 1869, il se décide finalement à publier son œuvre rédigée auparavant : The Subjection of Women13. En 1867, le philosophe défendait également le premier débat sur le droit de vote des femmes qui a lieu à la Chambre des Communes. En 1869, les femmes britanniques imposables, c’est-à-dire les célibataires ou les veuves, obtiennent le droit de vote aux élections locales. C’est l’année suivante qu’une première proposition de loi relative au vote des femmes, écrite par Richard Pankhurst, est présentée au Parlement par Jacob Bright. « Dans les faits, l’égalité n’[aurait] aucun effet, car en raison du principe de couverture, quasiment aucune femmes n’[aurait] le droit de posséder un bien, principe qui [conditionne] le vote des hommes. Il s’[agit] en réalité de ne pas inscrire une restriction en tant que telle à l’encontre de certaines femmes dans la loi »14. Une vingtaine d’années après, en 1888, un progrès est fait : les femmes célibataires ou veuves ont le droit de voter pour nommer les membres des Conseils de comtés et d’arrondissements. Vers la fin du XIXe siècle, l’Union nationale des sociétés pour le droit de vote des femmes (NUWSS)15 est fondée dans le but de fédérer dix-sept organisations suffragistes. Il s’agit par ailleurs du mouvement qui compte le plus de partisans durant toute la campagne pour accorder le droit de vote aux femmes16. En octobre 1903, à Manchester, Emmeline17 et Christabel Pankhurst 8 Manchester National Society for Women’s Suffrage. 9 Kensington Ladie’s Discussion Society. 10 John Stuart Mill est un britannique né en 1806. Il est un philosophe et économiste du XIXe siècle. Il est le penseur libéral le plus influent du XIXe siècle et il est un précurseur du féminisme. 11 F. REGARD, Féminisme et prostitution dans l’Angleterre du XIXe, 2014, p. 18. 12 L’asservissement des femmes. Ce texte est une œuvre majeure dans l’histoire du féminisme et de l’émancipation des femmes. 13 F. ORAZI, John Stuart Mill et Harriet Taylor : écrits sur l’égalité de sexes, 2014, p. 50. 14 B. BIJON et C. DELAHAYE, Suffragistes et suffragettes, 2017, p. 49. 15 National Union of Women’s Suffrage Societies. 16 B. BIJON et C. DELAHAYE, Suffragistes et suffragettes, 2017, p. 27. 17 Emmeline Pankhurst est une Britannique qui épouse un militant pour les droits de la femme. Sa fille fait alliance avec elle pour décider des politiques à adopter dans la campagne pour le droit de vote. Emmeline Pankhurst organise le mouvement des suffragettes britanniques et aide les femmes à obtenir le droit de vote en Grande- Bretagne. 6
fondent, avec Teresa Billington-Greig, le Mouvement social et politique des femmes (WSPU)18 en affirmant une volonté de radicaliser la lutte. Dès 1909, le mouvement des suffragettes se radicalise de plus en plus et les militantes emprisonnées pratiquent des grèves de la faim19. Le gouvernement décide que les grévistes doivent être nourries de force à l’aide d’un tube enfoncé dans leur gorge. Beaucoup de femmes britanniques décèdent à cause de cette terrible méthode. « Emmeline Pankhurst [justifie] cette violence en faisant référence à l’histoire sanglante faite par les hommes : au cours des siècles, le militantisme des hommes a répandu le sang dans le monde, et pour ces actes d’horreur et de destruction, les hommes ont été récompensés avec des monuments, avec des chants et des poèmes grandioses. Le militantisme des femmes n’a porté atteinte à aucune vie à l’exception de la vie de celles qui ont mené la bataille au nom de la justice »20. Le 14 juin 1910, le Comité de conciliation21 décide de rédiger une première proposition de loi commune. Cela aboutit néanmoins à un échec, tout comme les propositions de loi de 1911 et 191222. En 1913, la NUWSS devient le mouvement pour le suffrage féminin le plus important avec plus de cinq cents associations et représentations à l’échelon régional. En avril de la même année, la « Loi relative à la libération provisoire des détenus pour raison de santé »23 a été votée et acceptée : il s’agit de libérer les détenues de prison lorsque leur santé est trop précaire pour qu’elles ne meurent pas en détention et qu’elles se rétablissent à nouveau dans le but de terminer de purger leur peine. Cependant, une fois libérées, il est évident que les prisonnières ne retournent pas en prison. L’effet de cette loi sur Emmeline Pankhurst est décrit dans le journal The Suffragette : elle est condamnée à trois ans de prison, mais elle est libérée, puis arrêtée et ce plusieurs fois, jusqu’à être définitivement relâchée en juillet. Pankhurst ne reste que quelques jours en prison. Tout ceci démontre l’état d’extrême faiblesse de la Britannique24. Le 4 août 1914, le Royaume-Uni entre en guerre. En conséquence, certaines associations suspendent leur campagne (WSPU et NUWSS) alors que d’autres la continuent (United Suffragists et WFL). Enfin, en 1918, « la Loi relative à la représentation politique donne le droit de vote aux femmes de plus de trente ans, avec certaines restrictions de résidence »25. Les hommes pouvaient, de leur côté, voter à vingt-et-un ans. Il faudra attendre dix ans pour que les femmes britanniques puissent également voter à l’âge de vingt-et-un ans. 18 Women’s Social and Political Union. 19 B. BIJON et C. DELAHAYE, Suffragistes et suffragettes, 2017, p. 130. 20 B. BIJON et C. DELAHAYE, Suffragistes et suffragettes, 2017, p. 130. 21 Conciliation Committee. 22 B. BIJON et C. DELAHAYE, Suffragistes et suffragettes, 2017, p. 94. 23 B. BIJON et C. DELAHAYE, Suffragistes et suffragettes, 2017, p. 132. 24 B. BIJON et C. DELAHAYE, Suffragistes et suffragettes, 2017, pp. 132-133. 25 B. BIJON et C. DELAHAYE, Suffragistes et suffragettes, 2017, p. 339. 7
Durant la dernière décennie de lutte, les suffragettes ont effectué bon nombre d’attaques graves dans le pays. En 1913 par exemple, le journal The Suffragette parle d’une « année record » des actions violentes des suffragettes : elles saccagent la serre des orchidées de Kew Gardens à Londres, elles brisent des vitrines, elles incendient des gares, des églises, des résidences privées, elles mettent le feu aux boîtes aux lettres26, etc. Après plus de cinquante années de combats, les suffragistes et suffragettes britanniques remportent leur première victoire avec l’introduction du droit de vote aux femmes de plus de trente ans en 1918. 1.2 La Suisse Dès la fin du XIXe siècle, la population suisse entend peu à peu parler du féminisme avec la découverte de certains mouvements des femmes. Helene von Mülinen27 rencontre Emma Pieczynska-Reichenbach28 dans les années 1890. Cette dernière lui fait connaître le mouvement des femmes. Ses camarades de lutte nomment plus tard Helene von Mülinen comme « la mère du féminisme »29 suisse. En 1899, Helene von Mülinen est l’une des fondatrices de l’Alliance de sociétés féminines suisses (ASF) et devient sa première présidente durant quatre ans. Dans un premier temps, la Bernoise lutte pour un meilleur accès à la formation et pour le droit des femmes à exercer une activité professionnelle. En 1908, elle commence à se battre « en faveur du suffrage féminin qui est l’objet d’une première revendication officielle de l’ASF en 1919 »30. En 1909, Émilie Gourd31 entend parler de l’Association suisse pour le suffrage féminin et s’y engage. En 1912, elle devient présidente de cette association et ce durant quatorze ans. La même année, la Genevoise décide de mettre en place un journal pour les femmes intitulé Le Mouvement féministe, qui deviendra ensuite Femmes Suisses. 26 B. BIJON et C. DELAHAYE, Suffragistes et suffragettes, 2017, p. 129. 27 Helene von Mülinen est une bernoise née en 1850. Elle étudie la théologie à l’université de Genève mais sa famille va l’empêcher d’obtenir un titre. Par la suite, elle se met à mieux faire connaître l’apport des femmes au sein de l’Église. En 1890, elle découvre le mouvement des femmes. 28 Emma Pieczynska-Reichenbach est d’origine bernoise. Elle découvre les Unions des femmes aux États-Unis en 1889. En 1896, elle participe au premier congrès des intérêts féminins à Genève. Elle fonde aussi l’Alliance de sociétés féminines suisses (ASF) avec Helene von Mülinen. 29 S. WOODTLI, Du féminisme à l’égalité politique, 1977, p. 65. 30 R. LUDI, « Helene von Mülinen », Dictionnaire historique de la Suisse (DHS) en ligne, version du 08/09/09, url : https://hls-dhs-dss.ch/fr/articles/009044/2009-09-08/. 31 Émilie Gourd est genevoise. Après avoir suivi des cours d’histoire et de philosophie à l’université, elle se destine à l’enseignement. En 1909, elle rencontre Auguste de Morsier qui est le premier président de l’Association genevoise pour le suffrage féminin et ceci scelle le destin féministe d’Émilie Gourd. 8
Durant la Première Guerre mondiale, les femmes, malgré les travaux accrus qu’elles doivent exercer, n’arrêtent pas leurs activités féministes. Au contraire, leur élan semble plus grand que jamais. Emma Graf32, docteur en Lettres et institutrice, publie en 1915 un document important : l’Annuaire des femmes suisses33 dans lequel plusieurs essais sur l’histoire du mouvement féministe paraissent, et ce dans les trois principales langues nationales. Entre 1919 et 1921, six cantons refusent les droits politiques aux femmes avec des majorités de 65 à 80 %34 : Neuchâtel, Bâle-Ville, Zurich, Genève, Saint-Gall et Glaris. « Les pionnières, maintenant âgées, ne survivent pas à ces votations qui annihilent leurs efforts. Helene von Mülinen meurt résignée en 1924 »35. Trois ans plus tard, Emma Pieczynska décède également. Pourtant, il y a toujours des femmes hautement capables dans le mouvement féministe comme Émilie Gourd. Cette décennie est d’ailleurs marquée par la SAFFA (Schweizerische Ausstellung für Frauenarbeit). En effet, lorsque la crise des années vingt éclate, les femmes sont les plus touchées. « Moins bien payées que les hommes, elles sont en outre les premières à être jetées à la rue »36. À Berne en 1923, a lieu une exposition qui a pour but de rendre la population attentive à la misère de celles qui exercent une activité professionnelle durant les années d’après-guerre. Les années suivantes, cette idée est reprise dans plusieurs cantons. C’est en 1928 que la première exposition nationale suisse pour le travail féminin (SAFFA) se déroule à Berne37. Le cortège d’ouverture défile deux fois et les suffragettes ont créé un char en forme d’escargot. « L’escargot du suffrage féminin constitue le clou du cortège. Tantôt applaudi et acclamé, tantôt hué par un public venu nombreux dans les rues de la ville fédérale, il ne passera en tout cas pas inaperçu et restera gravé dans les mémoires »38. Cependant, force est de constater que cette SAFFA n’a pas d’influence sur la longue marche vers l’égalité politique39. Avant la fin de la Seconde Guerre mondiale, le conseiller national Hans Oprecht écrit un postulat pour demander que le suffrage féminin soit introduit. Sa proposition est présentée au Conseil national le 12 décembre 1945. À la fin de la séance de décembre 1945, Oprecht termine son discours en ayant l’espoir de ne pas attendre trop longtemps pour que son postulat soit 32 Emma Graf est née à Langenthal dans le canton de Berne. Elle devient institutrice et est la première femme à enseigner les disciplines scientifiques à l’école normale d’institutrices de Berne. Elle lutte pour l’égalité économique et juridique des institutrices. Et dès 1912 elle s’engage dans la lutte pour le suffrage féminin. 33 S. WOODTLI, Du féminisme à l’égalité politique, 1977, p. 70. 34 S. WOODTLI, Du féminisme à l’égalité politique, 1977, p. 85. 35 S. WOODTLI, Du féminisme à l’égalité politique, 1977, p. 85. 36 S. WOODTLI, Du féminisme à l’égalité politique, 1977, p. 86. 37 Y. VOEGELI, « Saffa », Dictionnaire historique de la Suisse (DHS) en ligne, version du 07/06/19, url : https://hls- dhs-dss.ch/fr/articles/017336/2016-06-07/. 38 L. RUCKSTUHL, Vers la majorité politique : histoire du suffrage féminin en Suisse, 1990, p. 39. 39 S. WOODTLI, Du féminisme à l’égalité politique, 1977, p. 88. 9
examiné. Quelques mois plus tôt, un comité d’action pour le suffrage féminin est constitué à Berne et a pour présidente Antoinette Quinche40, également présidente de l’Association vaudoise pour le suffrage féminin. Ce comité d’action met en place des brochures et prend contact avec les parlementaires. Cinquante associations féminines participent également à la campagne. Enfin, « un comité d’honneur est formé, auquel appartiennent des politiciens représentant tous les partis »41. Il faut également noter qu’après la fondation du comité pour le suffrage féminin, un comité contre le suffrage féminin est créé. Cependant, « en prétendant qu’une grande partie des femmes suisses ne désirent pas participer à la vie politique, ce comité avance des arguments qu’il ne peut pas prouver »42. De plus, il recommande la participation des femmes à la vie publique en dehors des partis et de la politique, ce qui est paradoxal43. Après les deux conflits mondiaux, presque tous les pays occidentaux ont introduit par la voie parlementaire le suffrage féminin en reconnaissance des services rendus. En Europe, seuls la Suisse et le Liechtenstein manquent à l’appel. Beaucoup de Suisses espèrent qu’avec la situation, le suffrage féminin sera enfin introduit44. En 1946, Émilie Gourd décède. Elle était qualifiée comme la plus passionnée de toutes les militantes suisses. « Elle fait acte de pionnière ; mais son attitude, ses idées, son talent dans le débat l’apparentent à la nouvelle génération. Genevoise comme Marie Goegg, combative comme elle, rien ne l’effrayait, un trait caractéristique de leur commune ascendance huguenote »45. Émilie Gourd expose ses idées et les défend avec des termes sobres et clairs. Entre 1946 et 1948, de nouvelles votations sur le sujet ont lieu à Bâle, à Genève, au Tessin, à Zurich, à Neuchâtel et à Soleure avec le même résultat négatif. Au début de l’année 1951, le Conseil fédéral fait paraître un message dans lequel il exprime la procédure à suivre pour l’introduction du suffrage féminin. Il choisit la voie de la révision constitutionnelle et non la voie de l’interprétation. Les Chambres acceptent ce message au Conseil national et à celui des États. Le Conseil national propose de charger le Conseil fédéral de préparer une révision partielle de la Constitution, ce que les États rejettent ensuite par une majorité de dix-neuf contre dix-sept46. 40 Antoinette Quinche est vaudoise. Elle est la première avocate qui a ouvert une étude dans le canton de Vaud. Elle est d’abord présidente de l’Association suisse des femmes universitaires et de l’Association vaudoise pour le suffrage féminin, puis vice-présidente de l’Association suisse pour le suffrage féminin. 41 S. WOODTLI, Du féminisme à l’égalité politique, 1977, p. 91. 42 L. RUCKSTUHL, Vers la majorité politique : histoire du suffrage féminin en Suisse, 1990, p. 57. 43 L. RUCKSTUHL, Vers la majorité politique : histoire du suffrage féminin en Suisse, 1990, p. 57. 44 N. JACQUEMET, Le suffrage féminin dans le canton du Valais, 1992, p. 70. 45 S. WOODTLI, Du féminisme à l’égalité politique, 1977, p. 97. 46 S. WOODTLI, Du féminisme à l’égalité politique, 1977, p. 97. 10
Pour la votation du 3 mars 1957, Peter von Roten47, conseiller national conservateur, propose au président de la commune d’Unterbäch, Paul Zenhäusern, d’ouvrir cette votation fédérale aux villageoises et de prendre en compte leurs votes. Les Haut-Valaisans sont des conservateurs, ainsi il est étonnant de constater qu’une des premières expériences du droit de vote féminin a lieu dans cette région. Il faut savoir que la commune a malgré tout utilisé deux urnes : une pour que les hommes déposent leur bulletin et l’autre pour les femmes. C’est la première fois que des Suissesses votent dans le pays. Un des objets notamment les concerne : celui de rendre le service de garde d’immeuble obligatoire pour les femmes en temps de guerre. Les femmes peuvent également voter dans quelques autres communes : Monthey, Martigny- Bourg et Sierre, mais dans ce cas, uniquement dans un bureau de vote spécialement prévu pour elles48. Dans la commune haut-valaisanne, environ vingt reporters du monde entier sont venus assister à ce rendez-vous, notamment un envoyé du New York Times. La population masculine n’adhère pas à cette votation. En effet, les femmes qui se sont rendues aux urnes l’ont fait sous les sifflets et les railleries des villageois. C’est pourquoi, seulement trente-trois sur huitante-six femmes du village vont voter. Finalement, les bulletins féminins ne sont reconnus ni par le Conseil d’État valaisan, ni par la Confédération même si Paul Zenhäusern a envoyé à la chancellerie d’État les résultats comprenant le vote des femmes49. Ainsi, l’histoire du suffrage féminin en Suisse s’étend sur plus d’un siècle. C’est surtout dans la première moitié des années 1900 que le sujet est essentiel. En effet, les premières associations et alliances féminines sont nées. Des journaux féminins sont créés et des documents importants sur les femmes apparaissent. De plus, des votations cantonales ont lieu et toutes se soldent par un résultat négatif. C’était certain, les hommes ne voulaient pas accorder le droit de vote aux femmes dans les années 40. La SAFFA a mis sur pied des expositions pour le travail féminin auxquelles les suffragettes se rendent. Ensuite, Hans Oprecht écrit un postulat pour demander que le suffrage féminin soit introduit. En mars 1957, les premières Suissesses se rendent aux urnes notamment à Unterbäch, où l’évènement a attiré les journalistes du monde entier. C’est grâce à tout cela que des années plus tard, le suffrage féminin pourra être introduit en Suisse. 47 Peter von Roten est né à Rarogne. Il est l’époux de l’anticonformiste bâloise Iris von Roten-Meyer qui a rédigé un ouvrage féministe. Il se déclare très tôt favorable au suffrage féminin. 48 CULTURE CANTON DU VALAIS / KULTUR KANTON WALLIS, 50 ans du suffrage féminin, YouTube, En ligne : https://www.youtube.com/watch?v=Xn1T8KBvEck&t=182s, (6’22’’-6’41’’). 49 N. FOURNIER, « Entre les coups d’essai et les coups d’Etat », dans Nouvelliste, 8 avril 2020, p. 8. 11
2. LES PRÉMICES DU SUFFRAGE FÉMININ 2.1 Création de l’Association valaisanne pour le suffrage féminin Au milieu des années 40, la Suisse fut marquée par différents évènements en lien avec le suffrage féminin. Premièrement, Peter von Roten dépose en 1945 une motion auprès du Grand Conseil demandant « le droit de vote et d’éligibilité intégral des femmes pour le canton et les communes » 50. Ce, pour faire écho au postulat d’Oprecht qui fait la même requête au Conseil Fédéral quelques mois auparavant. Deuxièmement, Émilie Gourd, la présidente de l’Association suisse pour le suffrage féminin (ASSF) décède en décembre 1946. Dans les années 20, elle avait présenté un cycle de conférences sur le droit de vote des femmes dans le canton du Valais. Enfin, un mois après le décès d’Émilie Gourd, la militante féministe vaudoise, Antoinette Quinche, donne une conférence sur le droit de vote des femmes qui rencontre du succès en Valais. C’est dans ce climat particulier qu’est créée l’AVPSF, par le biais de la section sédunoise de l’ASSF. Cette association a pour figure emblématique Renée de Sépibus51, présidente durant plus de vingt ans. En outre, l’AVPSF va verser une cotisation à l’Association suisse dans le but d’être représentée aux assemblées générales. Ainsi, cela lui permettra de se faire connaître et reconnaître. Le but de cette association est « de déclencher, d’entretenir et de développer dans tout le canton un mouvement d’opinion en faveur de l’égalité des droits civiques pour les femmes »52. Au contraire de l’Association suisse, l’AVPSF est mixte même si la plupart de ses membres sont de sexe féminin. Ces femmes sont en majorité célibataires, ce qui implique qu’elles subviennent seules à leur besoin ; ce sont donc elles qui réalisent qu’une forte inégalité entre les sexes existe53. Le comité est formé de sept femmes et cinq hommes, présidé par Renée de Sépibus entre 1946 et 1969. Le but premier de la présidente est de défendre l’égalité des femmes. Pour ce faire, l’institutrice de métier est active sur tous les fronts : elle recherche de nouveaux membres, organise des conférences et rédige même des articles dans la presse54. Lors de chaque votation sur le sujet qui lui tient à cœur, la Sédunoise va publier des écrits dénonçant le fait que les femmes ne puissent pas voter. 50 L. RUCKSTUHL, Vers la majorité politique : histoire du suffrage féminin en Suisse, 1990, p. 194. 51 Renée de Sépibus est sédunoise et institutrice. Elle est à l’origine de la fondation de l’AVPSF et en assume la présidence pendant vingt-deux ans. 52 N. JACQUEMET, Le suffrage féminin dans le canton du Valais, 1992, p. 16. 53 L’histoire des femmes en Valais, dans Annales valaisannes, Société d’histoire du Valais romand, 2017, p. 193. 54 M.-F. VOUILLOZ BURNIER et B. GUNTERN ANTHAMATTEN Valaisannes d’hier et d’aujourd’hui, 2003, p. 107. 12
Toutefois, les premières années de présidence de Renée de Sépibus ne sont pas de tout repos. En 1948 déjà, la partie alémanique du canton décide de se détacher de l’AVPSF. Durant une douzaine d’années, les associations féminines sont absentes dans le Haut-Valais. Il faut attendre le début des années 60 et la création de la STAKA55 (section de l’union civique des femmes catholiques) 56 pour remédier à cela. L’Association valaisanne pour le suffrage féminin a très peu de ressources financières. En effet, ses rentrées d’argent sont limitées aux dons, aux legs et aux cotisations des membres. Par ailleurs, le montant de ces dernières augmente à quasiment chaque assemblée générale. Sur une période de treize ans (1955-68), « les recettes […] varient entre 500 et 1300 francs et les dépenses vont de 400 à 2200 francs »57. Toutefois, grâce aux nombreux dons en argent de Renée de Sépibus, le budget trouve toujours un certain équilibre et l’association évite la faillite. Avant 1959, les premières mobilisations pour le suffrage féminin en Valais sont essentiellement organisées par l’AVPSF. Lors de chaque soirée, la présidente fait appel aux autorités cantonales, municipales et judiciaires, les chefs de partis, les membres de la presse, les présidents de société, les organisations de jeunesse et les écoles58. Pour la votation de 1959, l’AVPSF aimerait que la campagne soit menée par des hommes car il s’agit de convaincre les électeurs masculins. Pour l’association valaisanne, il est préférable que les hommes parlent aux hommes en s’alignant sur les idées de l’ASSF59. 2.2 La victoire du non (1er février 1959) Le 1er février 1959, les citoyens suisses se rendent aux urnes pour se prononcer sur le suffrage féminin. Malgré le fait que « la Suisse [soit] le dernier pays d’Europe à ne pas connaître le droit de vote et d’éligibilité aux femmes »60, les résultats du pays sont sans appel : 66,9 % des votants disent non61. Cependant, il s’agit du taux de participation le plus élevé dans toute la Suisse depuis une quinzaine d’année, tout comme en Valais. Dans le canton du Valais, le score est encore plus mauvais pour les féministes : 69,5 % des électeurs refusent cet objet de votation62. Seules sept des cent soixante-neuf communes valaisannes l’ont accepté (Les 55 Walliser staatsbürgerlicher Verband christlicher Schweizerinnen. 56 N. JACQUEMET, Le suffrage féminin dans le canton du Valais, 1992, p. 16. 57 R. RUPPEN, « La conquête du suffrage féminin en Valais, 1959-1971 », 2008, p. 23. 58 CULTURE CANTON DU VALAIS / KULTUR KANTON WALLIS, 50 ans du suffrage féminin, YouTube, En ligne : https://www.youtube.com/watch?v=Xn1T8KBvEck&t=182s, (4’32’’-4’59’’). 59 CULTURE CANTON DU VALAIS / KULTUR KANTON WALLIS, 50 ans du suffrage féminin, YouTube, En ligne : https://www.youtube.com/watch?v=Xn1T8KBvEck&t=182s, (6’55’’-7’10’’). 60 N. JACQUEMET, Le suffrage féminin dans le canton du Valais, 1992, p. 70. 61 C. CRETTON-DESLARZES Les femmes et la politique en Valais, 1988, p. 19. 62 C. CRETTON-DESLARZES, Les femmes et la politique en Valais, 1988, p. 19. 13
Agettes, Chandolin, Martigny-Bourg, Mase, Randogne, Salins et St-Gingolph63). C’est surtout dans le Haut-Valais que la proportion du non est flagrante avec 83 % de la population qui s’exprime négativement64. Cependant, la présidente de l’AVPSF est surprise en bien : dans le canton voisin, les Vaudois autorisent les femmes à voter à l’échelle cantonale (52,6 % de oui)65. C’est également le cas dans les cantons de Neuchâtel et Genève. Ceci ne peut que la réjouir pour l’avenir de son propre canton. Ces résultats en Valais peuvent s’expliquer en partie par le rôle des partis politiques, qui ont été quasiment absents de toute la campagne66. Néanmoins, cette absence n’est pas la seule cause du résultat obtenu. En effet, les moyens financiers n’ont pas non plus été un atout et l’AVPSF n’a pas pu se lancer dans une campagne trop onéreuse67. De plus, le Nouvelliste est le seul journal à s’opposer fermement à la votation en publiant des articles presque uniquement contre le suffrage féminin68. 2.3 Une longue campagne pour l’égalité a. Les partisans Entre 1959 et 1970, de nombreuses entités se battent pour établir l’égalité civique entre les hommes et les femmes. Dans cette partie, nous allons voir qui sont les partisans en commençant par l’AVPSF. Après l’échec fédéral de 1959, l’AVPSF continue de mener des actions et des progrès sont faits dans le Haut-Valais, cette partie du canton qui a refusé à 83 % d’accorder l’égalité des droits civiques pour les femmes69. L’AVPSF mène sa propre campagne afin que l’objet de vote soit accepté lors du prochain appel aux urnes ; cette fois, le vote a lieu uniquement au niveau cantonal. Pour cela, le comité comprend qu’il est nécessaire de trouver plus d’adhérents parmi la population. Les membres doivent faire de la publicité et usent donc de différents moyens : des articles ou des annonces sont publiés dans la presse écrite, des affiches sont distribuées, … De plus, un travail de mémoire est effectué : tous les 1er février, les partisans du oui au suffrage féminin se réunissent pour commémorer leur défaite. Un film sur les événements est même réalisé et est soutenu 63 A. LUISIER, « Sévère défaite du suffrage féminin sur le plan fédéral », dans Nouvelliste, 2 février 1959, p. 1. 64 R. RUPPEN, « La conquête du suffrage féminin en Valais, 1959-1971 », 2008, p. 56. 65 L. RUCKSTUHL, Vers la majorité politique : histoire du suffrage féminin en Suisse, 1990, p. 172. 66 R. RUPPEN, « La conquête du suffrage féminin en Valais, 1959-1971 », 2008, p. 46. 67 R. RUPPEN, « La conquête du suffrage féminin en Valais, 1959-1971 », 2008, p. 56. 68 CULTURE CANTON DU VALAIS / KULTUR KANTON WALLIS, 50 ans du suffrage féminin, YouTube, En ligne : https://www.youtube.com/watch?v=Xn1T8KBvEck&t=182s, (7’10’’-7’28’’). 69 R. RUPPEN, « La conquête du suffrage féminin en Valais, 1959-1971 », 2008, p. 56. 14
financièrement par l’AVPSF70. Toutes ces nouvelles initiatives s’ajoutent aux assemblées générales, réunions et conférences qui existaient déjà avant 1959. L’AVPSF met également en place deux projets : le premier est de donner des cours d’instruction civique dans les écoles. En juin 1961, le département de l’instruction publique a mis en place un cours réservé à « l’instruction civique pour les futures citoyennes »71 avec comme but final de préparer les femmes à collaborer activement dans l’État. Toutefois cette initiative n’aboutit pas72. Le deuxième projet, à savoir la création d’un centre de liaison pour les associations féminines valaisannes, est mis en place dès 196673. En mars 1965 a lieu une assemblée générale de l’AVPSF durant laquelle les membres se rendent compte que, pour qu’une campagne soit réussie, il est nécessaire d’avoir des contacts avec les présidents des différents partis politiques valaisans pour les inviter à agir en faveur du suffrage féminin. Ainsi, en janvier 1966, les groupes radicaux martignerains déposent la motion Couchepin auprès du Grand Conseil demandant « d’examiner l’opportunité d’accorder aux femmes le droit de vote et d’éligibilité et la mise en œuvre immédiate de la procédure nécessaire »74. Cette motion est acceptée le 2 février de l’année suivante par le Grand Conseil à forte majorité conservatrice. La politique est également un domaine qui défend le droit de vote des femmes dans le canton. Contrairement à la campagne fédérale en 1959, les associations politiques s’engagent plus volontiers dans cette campagne cantonale de 1970. Les différents partis politiques valaisans se prononcent en faveur du suffrage féminin75. Ils vont mettre sur pied différentes assemblées, séances d’informations, forums publics et réunions. Les personnalités des partis écrivent des articles, dont une vingtaine paraît dans la presse76. Les partis politiques reprennent en main la campagne. Le Parti conservateur chrétien-social (PCCS) et le Parti radical- démocratique (PRD), qui se sont prononcés pour le non en 1959, changent d’opinion car ils sont rassurés par l’expérience des autres cantons. Selon eux, les femmes voteraient probablement comme leurs maris qui pour la plupart suivent les idées du PCCS. Ainsi, les conservateurs assoiraient leur majorité. En Valais d’ailleurs, le PCCS est largement majoritaire à l’époque et il a la main mise sur l’échiquier politique. 70 N. JACQUEMET, Le suffrage féminin dans le canton du Valais, 1992, p. 19. 71 N. JACQUEMET, Le suffrage féminin dans le canton du Valais, 1992, p. 20. 72 R. RUPPEN, « La conquête du suffrage féminin en Valais, 1959-1971 », 2008, p. 62. 73 M.-F. VOUILLOZ BURNIER et B. GUNTERN ANTHAMATTEN, Valaisannes d’hier et d’aujourd’hui, 2003, p. 108- 109. 74 C. CRETTON-DESLARZES, Les femmes et la politique en Valais, 1988, p. 19. 75 R. RUPPEN, « La conquête du suffrage féminin en Valais, 1959-1971 », 2008, p. 72. 76 R. RUPPEN, « La conquête du suffrage féminin en Valais, 1959-1971 », 2008, p. 73. 15
De plus, les mouvements de jeunesse se mobilisent pour la question. C’est peut-être grâce à cela que les partis politiques ont pris position en faveur de la votation du 12 avril 1970. Comme expliqué précédemment, les radicaux avaient déposé une motion datant de 1966. Le PCCS réagit car cette motion « instaure un climat de concurrence. Le PCCS se dit certainement que mieux vaut “chevaucher“ le mouvement pour le contrôler »77. Les politiciens changent alors d’attitude car ils sentent que « l’octroi de vote et d’éligibilité aux femmes est inéluctable »78. Ils veulent attirer plus de femmes dans leurs partis, car si elles ont prochainement le droit de vote, leurs résultats peuvent être plus élevés. Une dernière entité en faveur du droit de vote des femmes est une partie de l’Église. Le catholicisme concerne en moyenne 96 % de la population entre 1950 et 1970. L’Église catholique est impliquée dans la vie sociale tout autant que dans la vie politique79. En 1956, pour fêter les dix ans de l’AVPSF, Renée de Sépibus fait appel au pape Pie XII. En effet, elle lui envoie un télégramme lui demandant s’il est légitime de déclarer l’égalité politique entre hommes et femmes. Le pape répond favorablement à cette demande ; il trouve normal que les femmes soient engagées dans la société80. « L’appui du pape est très précieux pour défendre le suffrage féminin dans un canton catholique »81. Malgré le fait que la votation n’ait pas été acceptée en 1959, les religieux font toujours partie des partisans. Par exemple, Nestor Adam, l’évêque de Sion, est toujours favorable au sujet. L’argumentaire religieux a davantage de place dans la campagne de 1970 et certains partisans « affirment que la place de l’homme est aussi au foyer ; homme et femme doivent œuvrer ensemble à la construction de ce foyer, et cette collaboration peut aussi s’étendre aux affaires publiques »82. Les religieux disent que « religion et droit politique font bon ménage »83. Enfin, les gens sont sensibilisés par cet argument car le nom de l’évêque est régulièrement cité. Les partisans utilisent plusieurs arguments qui vont mettre en évidence les raisons pour lesquelles la femme pourrait avoir le droit de vote. Premièrement, la femme, grâce à ses expériences dans différents domaines tels que celui de l’éducation, la santé, la consommation, aurait logiquement le droit d’aller aux urnes84. De plus, ces femmes ont le désir de participer à 77 R. RUPPEN, « La conquête du suffrage féminin en Valais, 1959-1971 », 2008, p. 74. 78 R. RUPPEN, « La conquête du suffrage féminin en Valais, 1959-1971 », 2008, p. 74. 79 CULTURE CANTON DU VALAIS / KULTUR KANTON WALLIS, 50 ans du suffrage féminin, YouTube, En ligne : https://www.youtube.com/watch?v=Xn1T8KBvEck&t=182s, (2’50’’-3’06’’). 80 M.-F. VOUILLOZ BURNIER et B. GUNTERN ANTHAMATTEN, Valaisannes d’hier et d’aujourd’hui, 2003, p. 108. 81 CULTURE CANTON DU VALAIS / KULTUR KANTON WALLIS, 50 ans du suffrage féminin, YouTube, En ligne : https://www.youtube.com/watch?v=Xn1T8KBvEck&t=182s, (5’27’’-5’32’’). 82 N. JACQUEMET, Le suffrage féminin dans le canton du Valais, 1992, p. 70. 83 R. RUPPEN, « La conquête du suffrage féminin en Valais, 1959-1971 », 2008, p. 59. 84 N. JACQUEMET, Le suffrage féminin dans le canton du Valais, 1992, p. 67. 16
la vie politique. Enfin, « la courtoisie “naturelle“ de la femme pourrait contribuer à assagir la moitié parfois belliqueuse des citoyens et calmer ainsi une politique souvent passionnée »85. De plus, le 31 janvier 1970, un « essai de votation pour les femmes » se tient à Saint- Maurice. Cependant, seulement 26 % des électrices agaunoises participent à la votation. Ce jour-là, quasiment toutes les femmes votent comme les hommes et trois mois plus tard, elles obtiennent le droit de vote86. b. Les arguments des opposants Pour les opposants, l’Église n’a pas à se mêler de tout ce qui concerne la politique. Des lecteurs du Nouvelliste rappellent que dans l’Église, l’inégalité entre les sexes existent87. De plus, le Christ a défini le rôle de la femme comme gardienne du foyer. D’après Francis Germanier dans Le Confédéré, « il a toujours été recommandé aux catholiques d’épargner l’Église dans leurs joutes politiques »88. De plus, selon le conseiller national, les propos du pape Pie XII au sujet du suffrage féminin ne s’adressent qu’aux Italiennes. Enfin, il affirme que c’est le vote des femmes qui a fait sombrer l’Italie dans le communisme. D’ailleurs, l’Abbé Crettol89 a une influence par ses écrits dans le Nouvelliste. Chaque semaine, en première page, le Nouvelliste publie une chronique de neuf articles intitulée La femme dans la famille et la société. L’Abbé Crettol a une vision très conservatrice du rôle de la femme dans la famille et dans la société90. Il dit par exemple « Comme l’homme, la femme est une personne humaine, avec toute la dignité de l’être humain ; mais elle est une personne autrement que l’homme […] imposer à la femme la même vie qu’à l’homme, lui donner le même statut, c’est violer son droit qui est d’être autre »91. Les opposants affirment que la femme n’a pas sa place dans le domaine politique. Elle manque notamment d’expérience et si elle ne désire pas ce droit, pourquoi le lui imposer ? De plus, ses devoirs premiers sont d’être femme, épouse, de soigner les malades, de s’occuper des vieillards et d’être une religieuse92. 85 N. JACQUEMET, Le suffrage féminin dans le canton du Valais, 1992, p. 67. 86 N. FOURNIER, « Entre les coups d’essai et les coups d’Etat », dans Nouvelliste, 8 avril 2020, p. 8. 87 R. RUPPEN, « La conquête du suffrage féminin en Valais, 1959-1971 », 2008, p. 83. 88 F. GERMANIER, « L’Eglise et le suffrage féminin », dans Le Confédéré, 21 janvier 1959, p. 6. 89 L’Abbé Crettol est une personnalité valaisanne de premier plan. Il est recteur et professeur de l’école d’agriculture et a une vision conservatrice du rôle de la femme dans la famille et dans la société. 90 CULTURE CANTON DU VALAIS / KULTUR KANTON WALLIS, 20200504 Campagne pour le suffrage féminin, YouTube, En ligne : https://www.youtube.com/watch?v=Se-L0ACArdw&t=29s (20’18’’-21’33’’). 91 Abbé CRETTOL, « La femme dans la famille et la société », dans Nouvelliste, 27 novembre 1958, p. 1. 92 N. JACQUEMET, Le suffrage féminin dans le canton du Valais, 1992, p. 61. 17
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