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Directives pour intégrer la question du changement climatique et prévoir des mesures d’adaptation dans la conception des projets intéressant la pêche et l’aquaculture
© 2014 Fonds international de développement agricole (FIDA) Les opinions exprimées dans cet ouvrage sont celles des auteurs et ne reflètent pas nécessairement celles du Fonds international de développement agricole (FIDA). Les appellations utilisées et la présentation du matériel dans cette publication ne constituent en aucun cas une prise de position du FIDA quant au statut juridique d’un pays, d’un territoire, d’une ville ou d’une zone ou de ses autorités, ou quant au tracé de ses frontières ou limites. Les appellations “pays développés” et “pays en développement” n’ont qu’une utilité statistique et ne reflètent pas nécessairement un jugement porté quant au niveau atteint par un pays ou un domaine spécifique dans le cadre du processus de développement. La présente publication peut être reproduite en tout ou en partie sans l’autorisation préalable du FIDA, à condition que la source soit indiquée par l’éditeur et qu’une copie du texte publié soit envoyée au FIDA. La présente publication a été partiellement financée par le Programme d’adaptation de l’agriculture paysanne (ASAP) du FIDA, l’initiative la plus importante à l’échelle mondiale en faveur de l’adaptation de l’agriculture paysanne au changement climatique. Tous droits réservés Photo page de couverture: ©FIDA/R. Ramasomanana ISBN 978-92-9072-548-0 Imprimé en Juin 2015
Directives pour intégrer la question du changement climatique et prévoir des mesures d’adaptation dans la conception des projets intéressant la pêche et l’aquaculture
Table des matières
Sigles et acronymes 3
Remerciements 5
Résumé 6
Introduction 8
Contexte 8
Changement climatique mondial: réponse et ressources 8
Réponse du FIDA 9
Objectif et champ d’application des directives 10
Changement climatique, pêche et aquaculture 12
Généralités 12
Incidences du changement climatique sur la pêche et l’aquaculture 15
Contribution de la pêche et de l’aquaculture au changement climatique 25
Mesures permettant d’intégrer l’adaptation au changement climatique et son atténuation
dans les projets intéressant la pêche et l’aquaculture 30
Vulnérabilité, adaptation et résilience 30
FIDA 31
Généralités sur l’adaptation 32
Description des mesures d’adaptation 37
Mesures d’atténuation spécifiques 50
Conclusions 53
Références 55
2
Sigles et acronymes
APR Division Asie et Pacifique (FIDA) PMA Pays les moins avancés
ASC Aquaculture Stewardship Council – Conseil PMERL Participatory, Monitoring, Evaluation, Reflection and
d’intendance de l’aquaculture Learning Tool (Outil participatif de suivi, évaluation,
CCNUCC Convention-cadre des Nations Unies sur les réflexion et apprentissage)
changements climatiques PNUD Programme des Nations Unies pour le développement
CPS Secrétariat général de la Communauté du PNUE Programme des Nations Unies pour l’environnement
Pacifique REDD Programme pour la réduction des émissions résultant
DANIDA Agence danoise de développement international du déboisement et de la dégradation des forêts
DCP Dispositif de concentration du poisson S&E Suivi et évaluation
ESA Division Afrique orientale et australe (FIDA) UICN Union internationale pour la conservation de la nature
FAO Organisation des Nations Unies pour l’alimentation USAID Agence des États-Unis pour le développement
et l’agriculture international
FEM Fonds pour l’environnement mondial VINAFIS Viet Nam Fisheries Society
FIDA Fonds international de développement agricole WCA Division Afrique de l’Ouest et du Centre (FIDA)
GCRAI Groupe consultatif pour la recherche agricole
internationale
GIEC Groupe d’experts intergouvernemental sur
l’évolution du climat
GIZ Agence allemande de coopération internationale
ICAFIS International Collaborating Centre for Aquaculture
and Fisheries Sustainability
LAC Division Amérique latine et Caraïbes (FIDA)
MSC Marine Stewardship Council – Conseil
d’intendance des mers
NEN Division Proche-Orient, Afrique du Nord et Europe
(FIDA)
OCDE Organisation de coopération et de développement
économiques
ONU Organisation des Nations Unies
3
4
Remerciements
Ces directives sont le fruit d’un long processus de de Rang Dong à Ben Tre (Viet Nam), Secrétariat général
consultation et d’une concertation qui ont rassemblé de la Communauté du Pacifique (CPS), Université
divers spécialistes de la pêche et du changement de Stirling (Royaume-Uni), Programme des Nations
climatique à plusieurs reprises. Des parties prenantes Unies pour le développement (PNUD) au Vietnam,
variées: petits agriculteurs, aquaculteurs, universitaires, Programme des Nations Unies pour l’environnement
fonctionnaires de ministères de l’agriculture et de (PNUE), Kenya, Université du New Brunswick
l’environnement et partenaires de la coopération (Canada), Banque mondiale, Institut des ressources
pour le développement, ont fourni de précieuses mondiales et WorldFish.
contributions.
Le document a ensuite fait l’objet d’un examen
La majeure partie du document a été élaborée en collégial et a été mis à jour, notamment pour intégrer
2010-2011 par l’International Collaborating Centre les dernières conclusions de la cinquième évaluation
for Aquaculture and Fisheries Sustainability (ICAFIS). menée par le Groupe d’experts intergouvernemental
Ce centre qui s’intéresse aux questions de durabilité sur l’évolution du climat (GIEC) (2013). Ont
et intervient activement en Asie, au Moyen-Orient et contribué à ces travaux: Melody Braun, consultante
en Afrique subsaharienne, émane de l’Association de sur le changement climatique international; Kieran
la pêche du Viet Nam (VINAFIS), une organisation Kelleher, consultant – pêches et océans; Felix Jan Baptist
comptant plus de 800 sections locales et 34 000 Marttin, fonctionnaire principal des pêches, Banque
membres. Les principaux auteurs du document sont africaine de développement; Anders Poulsen, Conseiller
Flavio Corsin, directeur du programme Aquaculture technique international auprès de la Commission
à IDH The Sustainable Trade Initiative, et Davide du fleuve Mékong; et Leon Williams, spécialiste
Fezzardi, consultant pour l’aquaculture et la pêche du développement rural, Fonds international de
artisanale à la Commission générale des pêches pour la développement agricole (FIDA).
méditerranée (CGPM). Ils ont travaillé en collaboration
avec leurs collègues de l’ICAFIS et des organisations Nous adressons aussi de vifs remerciements à Soma
suivantes: Banque asiatique de développement (BAsD), Chakrabarti, Ilaria Firmian, Maria Elena Mangiafico,
Asian Institute of Technology, Algen Sustainables, Cristina Moro, Alessandra Pani, Antonio Rota et Silvia
ALVEO S.c.r.l., Université de Can Tho, Centre de Sperandini du FIDA, pour leur appui et leurs avis.
coopération internationale en recherche agronomique
pour le développement (CIRAD), Agence danoise de
développement international (DANIDA), Département
d’agriculture et de développement rural à Ben Tre
(Viet Nam), Organisation des Nations Unies pour
l’alimentation et l’agriculture (FAO), Fisheries College
and Research Institute (Inde), Agence allemande de
coopération technique (GIZ-GTZ), Humber Seafood
Institute (Royaume-Uni), Coalition internationale des
associations halieutiques, CARE International, Centre
de recherches pour le développement international
(CRDI), Institut international de gestion des ressources
en eau, Réseau de centres d’aquaculture pour la région
Asie et Pacifique, coopérative des producteurs de praires
5Résumé
Le changement climatique transforme Ces dernières années, il est rapidement
le contexte dans lequel les 55 millions apparu que les opérations du FIDA
de pêcheurs et d’aquaculteurs du devaient s’attaquer aux problèmes
monde vivent et travaillent et fait peser posés par le changement climatique,
une menace majeure sur leurs moyens d’existence ce qui s’est traduit par la formulation de la Stratégie
et les écosystèmes dont ils dépendent. Pendant concernant le changement climatique en 2010 et
des millénaires, les artisans pêcheurs et les petits de la Politique de gestion des ressources naturelles
aquaculteurs ont pu compter sur les savoirs et de l’environnement en 2011, et – plus important
autochtones et les observations historiques pour peut‑être – le lancement du Programme d’adaptation
gérer la variabilité saisonnière et climatique mais, de de l’agriculture paysanne (ASAP) en 2012.
nos jours, la rapidité et l’intensité du changement
environnemental ne cessent d’augmenter, prenant de La présente étude décrit un ensemble
vitesse l’aptitude des systèmes humains et aquatiques de mesures à avantages multiples
à s’adapter. permettant d’intégrer la question du
changement climatique et de son
Les changements déjà observés atténuation dans les interventions du
sont notamment le réchauffement FIDA relatives aux secteurs de la pêche
de l’atmosphère et des océans, et de l’aquaculture. L’étude s’appuie sur un
la modification des régimes de examen de la documentation pertinente ayant trait
précipitations et la multiplication des au changement climatique et aux secteurs de la pêche
phénomènes météorologiques et de l’aquaculture, et sur une analyse des activités
extrêmes. Les océans deviennent plus salés et conduites par d’autres organisations internationales
acides, ce qui a des incidences sur la physiologie et dans ces domaines.
le comportement de nombreuses espèces aquatiques
et altère la productivité, les habitats et les cycles de La plupart des mesures proposées
migration. L’élévation du niveau de la mer, conjuguée ne sont pas de nouvelles idées ni des
à l’augmentation de la violence des intempéries, concepts inédits, mais des mesures
menace gravement les communautés et les qui ont démontré à maintes reprises
écosystèmes côtiers. Partout dans le monde, les récifs dans la pratique qu’elles généraient une série
coralliens pourraient être détruits au cours du siècle d’avantages au profit des artisans pêcheurs et des
prochain. Certains lacs et plans d’eau continentaux petits aquaculteurs et renforçaient leur résilience ainsi
sont en cours d’asséchement tandis que, ailleurs, les que celle des écosystèmes dont ils dépendent. Cette
inondations destructrices deviennent habituelles. approche est cohérente avec le premier principe de
Souvent, ce sont les communautés démunies des pays l’ASAP qui est de transposer à plus grande échelle des
pauvres qui ont le plus à souffrir de ces changements. approches éprouvées et fiables.
6Synthèse des principales mesures à avantages multiples
Défis liés au changement Mesures à avantages multiples susceptibles d’être mises en œuvre
climatique
Améliorer la résilience • Réduire la surpêche et l’excédent de capacité de pêche.
des artisans pêcheurs et • Mettre en œuvre une approche écosystémique de la gestion de la
des petits aquaculteurs pêche et de l’aquaculture (notamment la gestion intégrée des zones
face au changement côtières et la création d’aires marines protégées).
climatique • Établir des régimes de cogestion des ressources naturelles
prévoyant la participation de groupements communautaires et
d’associations de pêcheurs et d’aquaculteurs.
• Renforcer les connaissances des agents de vulgarisation des
secteurs de la pêche et de l’aquaculture et leur aptitude à conseiller,
dans le domaine du changement climatique.
• Investir dans les infrastructures clés et les projets de régénération
d’écosystèmes essentiels, en favorisant ainsi une approche dite
“sans regrets” (utile en tout état de cause).
• Encourager la diversification des moyens d’existence et des sources
de revenus, y compris les activités qui ne sont pas liées à la pêche ni
à l’aquaculture.
• Investir dans la recherche pour mettre au point/trouver de nouvelles
espèces à produire en aquaculture, qui soient viables sur le
plan commercial et tolérantes à l’eau de mauvaise qualité, aux
températures élevées et aux maladies.
• Promouvoir des systèmes d’aquaculture et d’agriculture intégrés,
qui permettent de mettre en valeur notamment les terres inondées/
salines et les plans d’eau.
Améliorer l’aptitude • Établir des systèmes d’alerte rapide, des dispositifs pour la sécurité
à gérer les risques en mer et des plans de réduction des risques de catastrophe et
climatiques à court et de préparation.
long termes et à réduire • Régénérer les écosystèmes côtiers qui assurent une protection
les pertes dues aux contre les tempêtes et les vagues (par exemple, mangrove, zones
catastrophes d’origine
humides, marais et récifs coralliens).
climatique.
• Promouvoir l’accès à des services financiers et à des mécanismes
d’assurance.
• Encourager la création de petites alevinières pour faciliter le
réempoissonnement après une catastrophe.
• Améliorer la planification du développement de l’aquaculture et
le zonage.
Réduire les émissions de • Introduire des navires plus économes en carburant et encourager
gaz à effet de serre et/ou l’emploi d’engins de pêche statiques au lieu des engins tractés,
fixer ces gaz tels que les chaluts, qui provoquent de nombreux dégâts.
• Promouvoir l’élevage d’espèces situées aux échelons inférieurs de
la chaîne trophique et la culture de plantes aquatiques dans des
systèmes aquacoles de polyculture/multi-trophiques intégrés.
• Recenser les possibilités d’accéder aux mécanismes de
financement carbone pour appuyer la plantation de mangrove et/
ou sa régénération.
7Introduction
Contexte Changement climatique mondial:
Le changement climatique transforme le contexte réponse et ressources
dans lequel les 55 millions de pêcheurs et S’il est manifeste qu’il faut donner une réponse
d’aquaculteurs du monde vivent et travaillent et face aux défis et aux possibilités liés au changement
fait peser une menace majeure sur leurs moyens climatique, en revanche les modalités de la
d’existence et les écosystèmes dont ils dépendent. réponse et l’allocation des ressources nécessaires
Pendant des millénaires, les artisans pêcheurs et les font encore l’objet de débats internationaux de
petits aquaculteurs ont pu compter sur les savoirs haut niveau. Ceux-ci se tiennent habituellement
autochtones et les observations historiques pour lors des sessions annuelles de la Conférence des
gérer la variabilité saisonnière et climatique mais, de Parties à la Convention-cadre des Nations Unies
nos jours, la rapidité et l’intensité du changement sur les changements climatiques (CCNUCC). Le
environnemental ne cessent d’augmenter, prenant de Plan d’action de Bali, convenu à la Conférence
vitesse l’aptitude des systèmes humains et aquatiques des Parties de 2007 à Bali, demandait que des
à s’adapter. On observe dans les océans, les cours ressources financières soient allouées pour aider les
d’eau et les lacs une modification de la température, pays en développement à s’adapter au changement
de l’acidité, de la salinité et des flux, qui a souvent climatique. Pendant la Conférence des parties de
des effets négatifs sur les fonctions écosystémiques. 2009, à Copenhague, les pays développés se sont
engagés à fournir “des fonds pour un démarrage
Par ailleurs, les pertes et les dégâts provoqués par des
rapide”, à savoir des ressources nouvelles et
phénomènes météorologiques extrêmes augmentent,
supplémentaires à hauteur de 30 milliards d’USD
en même temps que la fréquence et l’intensité des
pour la période 2010-2012, puis de 100 milliards
sécheresses, des inondations, des vagues de chaleur et
d’USD par an jusqu’en 2020. En 2010, à la Conférence
des intempéries.
des Parties de Cancun, les participants ont commencé
Il faut d’abord prévenir et gérer les risques à réfléchir à un mécanisme international permettant
climatiques si l’on veut que les populations rurales de compenser les pertes et les dégâts subis dans les
puissent sortir de la pauvreté. Les ruraux pauvres pays les plus vulnérables, où certaines incidences
sont moins résilients parce qu’ils ont moins de négatives sont déjà inévitables. Cependant, la stratégie
ressources auxquelles recourir pendant les crises. de mobilisation de ces financements climatiques
Dans un environnement où les risques habituels, élargis demeure très floue et sa mise en œuvre est
tels que les problèmes de santé, l’instabilité des régulièrement repoussée. Aucun accord final sur la
marchés, l’insécurité alimentaire et la mauvaise réponse donnée par la communauté mondiale au
gouvernance, sont exacerbés par la dégradation des changement climatique n’est attendu avant la vingt
et unième session de la Conférence des Parties qui se
ressources naturelles et le changement climatique,
tiendra à Paris en 2015.
les possibilités de croissance sont hors d’atteinte de
la plupart des ruraux pauvres. Il faut mettre en place Avec les ressources mises à disposition actuellement,
des politiques et des programmes d’investissement notamment les ressources du Fonds pour
placés sous le signe de l’innovation, pour aider les l’environnement mondial (FEM), la communauté
populations rurales pauvres à réagir et à s’adapter face internationale – en particulier des organisations
au changement climatique, et à anticiper, absorber et de développement, des organisations non
surmonter les chocs et les stress qui s’y rattachent. gouvernementales, des institutions des Nations Unies,
des instituts de recherche et des banques et fonds
internationaux et régionaux de développement –
s’emploie déjà activement à renforcer les capacités
8en matière de lutte contre le changement climatique
Programme d’adaptation de l’agriculture paysanne (ASAP)
et à incorporer des pratiques optimales d’adaptation
et d’atténuation dans les plans de développement et Le FIDA a lancé l’ASAP en 2012 afin que les populations
les projets d’investissement sectoriels et nationaux rurales, y compris les artisans pêcheurs, puissent
(Banque mondiale 2010b). Parallèlement, un bénéficier des fonds liés au changement climatique et à
certain nombre de fonds mondiaux centrés sur les l’environnement. L’ASAP est un guichet de financement
problèmes d’adaptation ont été créés sous l’égide de multidonateurs pluriannuel, qui offre des ressources
la CCNUCC, notamment le Fonds pour l’adaptation complémentaires pour transposer à plus grande échelle
établi par les Parties au Protocole de Kyoto et le et intégrer des mesures d’adaptation au changement
Fonds spécial pour les changements climatiques et climatique, dans l’ensemble du portefeuille de nouveaux
le Fonds pour les pays les moins avancés, deux fonds investissements du FIDA, dont le montant s’élève à
administrés par le FEM. En outre, le Programme 1 milliard d’USD par an. L’ASAP mène une action majeure
d’adaptation de l’agriculture paysanne (ASAP) de transposition à plus grande échelle des approches de
du FIDA constitue l’un des premiers exemples de l’agriculture paysanne, à la fois performantes et à avantages
nouveaux guichets de financement qui ont vu le multiples, qui améliorent la production tout en réduisant
jour dans le but précis de financer l’adaptation au et en diversifiant les risques d’origine climatique. À cet
changement climatique. effet, le programme associe des approches éprouvées du
Le Fonds pour les pays les moins avancés, géré par le
développement rural à un savoir-faire et des techniques
susceptibles de faciliter l’adaptation.
FEM, a appuyé l’élaboration de programmes nationaux
d’adaptation aux changements climatiques dans les
pays les moins avancés (PMA). Ces programmes
tiennent compte des informations existantes pour En 2011, le FIDA a publié un document intitulé:
déterminer les mesures d’adaptation prioritaires et sont “En quoi l’agriculture intelligente face au climat
pragmatiques, gérés par les pays, flexibles et en prise pratiquée par les petits exploitants est-elle
sur les réalités nationales. Ils servent aussi de base à la différente?”. Ce document rendait compte d’un fait
mobilisation de ressources en faveur de l’adaptation, qui recueille un consensus croissant, à savoir, “que le
en particulier auprès du FEM. La CCNUCC a fait valoir changement climatique est en train de transformer
que, dans de nombreux pays, la planification et les le contexte dans lequel s’inscrit le développement
pratiques en matière d’adaptation en étaient à un stade rural; il remodèle les paysages physiques et socio-
embryonnaire et, en ce qui concerne les PMA, étaient économiques et rend plus coûteux le développement
très souvent centrées sur les programmes nationaux de la petite agriculture” (FIDA 2011: 2). En outre, il
d’adaptation (FIDA 2010b). Le FEM estime que le mettait en lumière les divergences de vues sur la façon
FIDA est un partenaire intéressant, s’agissant de la mise dont les pratiques agricoles des petits exploitants
en œuvre des programmes nationaux d’adaptation devaient changer et proposait trois changements
dans les PMA, étant donné qu’un grand nombre majeurs susceptibles de rendre l’agriculture paysanne
des programmes d’adaptation donnent la priorité à “intelligente face au climat”, des changements
l’agriculture, un secteur dans lequel le FIDA possède également applicables à la pêche artisanale et à la
justement une grande expérience. petite aquaculture:
• Tenir compte de l’aggravation des risques
Réponse du FIDA d’origine climatique dans l’élaboration des
Ces dernières années, il est devenu de plus en plus projets et des politiques, en associant l’évaluation
évident que les opérations du FIDA devaient s’attaquer de la vulnérabilité et la modélisation du
aux problèmes posés par le changement climatique, climat à une meilleure compréhension des
ce qui s’est traduit par une série de publications et interconnexions existant entre l’agriculture
d’initiatives, la formulation de la Stratégie concernant paysanne et le paysage dans son ensemble;
le changement climatique (2010) et de la Politique de • Transposer à plus grande échelle les approches à
gestion des ressources naturelles et de l’environnement avantages multiples qui améliorent la résilience
(2011), et – plus important peut-être – le lancement de face au changement climatique, tout en réduisant
l’ASAP en 2012. En conséquence, des indications plus la pauvreté, en protégeant la biodiversité, en
précises ont été demandées sur la conception et la mise limitant les émissions de gaz à effet de serre et en
en œuvre des activités d’adaptation et d’atténuation contribuant à la réalisation d’autres objectifs de
financées par le FIDA. développement durable;
9• Permettre aux petits exploitants de bénéficier de terrain dans des sites du delta du Mékong, au
des fonds climatiques, afin de rémunérer les Viet Nam. Les données et les informations ont
activités génératrices d’avantages multiples et été synthétisées et ont fait l’objet d’une analyse
de compenser les coûts et les risques croissants, qualitative qui a permis de dégager les pratiques
et recenser les meilleurs moyens d’obtenir, puis optimales.
de mesurer, une gamme plus large d’avantages,
Le présent document reprend aussi des données
allant au-delà des incidences traditionnelles sur
présentées dans une publication thématique du FIDA
la pauvreté et les rendements.
intitulée: Fisheries, Aquaculture and Climate Change
(Pêche, aquaculture et changement climatique, de
Objectif et champ d’application des
Williams et Rota 2010), laquelle est un examen
directives détaillé de la documentation mondiale relative aux
Objectif incidences probables du changement climatique
Depuis longtemps, le FIDA aide des instituts de sur la pêche et l’aquaculture, ainsi qu’aux mesures
recherche et d’autres organismes à expérimenter, d’adaptation et d’atténuation qui pourraient être
adapter et diffuser des techniques permettant de prises. Les conclusions de cet examen ont été utilisées
surmonter la variabilité climatique. Les projets pour préparer le matériel que le FIDA a présenté
financés par le FIDA sont aussi des sources à la Convention-cadre des Nations Unies sur les
d’enseignements et d’expériences pratiques en changements climatiques (CCNUCC) et lors de la
matière d’intégration de l’adaptation au changement quinzième session de la Conférence des Parties, tenue
climatique (FIDA 2010b). à Copenhague en décembre 2009.
L’objectif du présent document est de synthétiser les Champ d’application et limites du document
connaissances disponibles et les pratiques optimales L’analyse de la bibliographie a permis de conclure
relatives à l’adaptation au changement climatique que, à l’échelle mondiale, les travaux ayant trait
et à son atténuation dans les secteurs de la pêche et aux incidences du changement climatique sur
de l’aquaculture, en vue de donner des indications la pêche et l’aquaculture n’en étaient qu’à leur
susceptibles d’orienter les interventions du FIDA dans début. Si les connaissances relatives aux incidences
ce secteur. Plus spécifiquement le document vise à: biophysiques du changement climatique sur
• Examiner la documentation pertinente ayant les écosystèmes aquatiques sont relativement
trait au changement climatique et aux secteurs abondantes, en revanche on en sait moins sur les
de la pêche et de l’aquaculture et analyser les conséquences socioéconomiques et les réponses à
activités conduites par d’autres organisations apporter (De Silva et Soto 2009). Un certain nombre
internationales dans ces domaines; d’organisations se sont attelées à l’élaboration de
• Recenser les pratiques optimales en matière directives pour intégrer des mesures d’adaptation et
d’adaptation au changement climatique et d’atténuation dans les projets intéressant la pêche et
d’atténuation du changement climatique dans l’aquaculture, notamment l’Organisation des Nations
les secteurs de la pêche et de l’aquaculture; Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO)
• Donner des indications pour l’intégration de et WorldFish, qui s’efforcent de mettre au point,
mesures d’adaptation au changement climatique d’expérimenter et d’adopter une méthode normalisée
et d’atténuation du changement climatique dans d’évaluation et de documentation des pratiques
les interventions du FIDA intéressant les secteurs optimales. Les questions de parité hommes-femmes
de la pêche et l’aquaculture, et améliorer la commencent à mobiliser l’attention, étant donné que
qualité des processus de conception, d’exécution, les femmes comptent pour la moitié de la main-
de supervision et d’évaluation des projets du d’œuvre mondiale travaillant dans les entreprises de
FIDA ainsi que la participation de celui-ci à la transformation et de commercialisation des secteurs
concertation sur les politiques. de la pêche et de l’aquaculture. Des lacunes de
connaissances et des incertitudes demeurent en ce qui
Méthodologie concerne les incidences, la vulnérabilité, et les coûts
L’examen de la documentation a été de portée et les avantages de l’adaptation et de l’atténuation,
mondiale et a reposé sur une étude théorique de mais des travaux sont en cours pour y remédier.
publications et de littérature grise, complétée par Certains des projets examinés plus loin permettent de
des entretiens, des réunions et une série de visites progresser sensiblement à cet égard.
1011 ©FIDA/G.M.B.Akash
Changement climatique, pêche
et aquaculture
Généralités Quoi qu’il en soit, des mesures d’atténuation
pourraient limiter la poursuite éventuelle du
Changement climatique
changement climatique, mais il est vraisemblable
Le cinquième rapport d’évaluation publié par le
qu’un grand nombre de tendances déjà sensibles
Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution
continueront sur leur lancée pendant des décennies
du climat (GIEC 2013) a confirmé que le système
voire – dans certains cas – des siècles, compte tenu
climatique mondial changeait comme il ne l’avait
de la persistance des effets des gaz à effet de serre qui
jamais fait pendant des millénaires.
se sont accumulés dans l’atmosphère. Ces évolutions
Le dernier rapport confirme aussi que l’homme est auront des incidences complexes sur les écosystèmes
responsable de la plupart de ces évolutions et qu’il aquatiques et les moyens d’existence des populations
faudra déployer des efforts conséquents pour parvenir qui en dépendent. Il faut déjà mettre en place des
à limiter l’ampleur de ces changements. mesures d’adaptation pour renforcer la résilience et
la capacité adaptative et continuer à les appliquer
à l’avenir, quels que soient les scénarios futurs en
“Selon l’évaluation, le réchauffement du système climatique matière d’émission.
est incontestable et, depuis les années 50, un grand nombre
des changements observés sont sans précédent, que ce Les changements observés et prévus ci-après sont
soit à l’échelle de décennies ou de millénaires. L’atmosphère décrits avec précision dans le dernier rapport du
et les océans se sont réchauffés, la neige et la glace ont GIEC (GIEC 2013):
partiellement fondu, le niveau de la mer est monté et les
Climat
concentrations de gaz à effet de serre ont augmenté.”
• échauffement de la surface du globe
R
(GIEC 2013:2)
d’environ 0,85°C, de 1880 à 2012. Par rapport
à la période 1986-2005, les températures vont
“Le rapport fait valoir que l’influence humaine a été détectée vraisemblablement augmenter de 0,3°C à 0,7°C
dans le réchauffement de l’atmosphère et des océans, dans supplémentaire d’ici à 2016-2035 et de 0,3°C à
la modification du cycle global de l’eau, dans la fonte de la 4,8°C d’ici à 2081-2100, en fonction du scénario
neige et de la glace, dans l’élévation du niveau moyen de d’émission. La hausse totale sera donc comprise
la mer à l’échelle mondiale et dans l’évolution de certains entre 1°C et 5°C par rapport aux températures
phénomènes climatiques extrêmes. Par rapport au quatrième de l’ère préindustrielle;
rapport d’évaluation, l’influence anthropique semble plus • Observation d’une augmentation des
amplement démontrée. En effet, le dernier rapport indique températures et de la fréquence des journées
qu’il est extrêmement probable que l’influence humaine ait et des nuits chaudes et d’une réduction de la
été la cause principale du réchauffement observé depuis le fréquence des journées et des nuits froides – une
milieu du XXe siècle.” (GIEC 2013:15) tendance dont la poursuite est virtuellement
certaine;
• Augmentation probable de la fréquence des
“On peut aussi lire dans ce rapport que la poursuite de
vagues de chaleur – une tendance dont la
l’émission de gaz à effet de serre entraînera une aggravation
poursuite est très vraisemblable;
du réchauffement ainsi que de nouveaux bouleversements
• Augmentation possible de l’intensité et/ou
dans toutes les composantes du système climatique. Il
de la durée des sécheresses – qui pourrait
faudra réduire considérablement et durablement l’émission
continuer;
de gaz à effet de serre pour parvenir à limiter le changement
• Augmentation de la fréquence et de l’intensité
climatique.” (GIEC 2013:17).
des précipitations torrentielles – qui se
12poursuivra très probablement, en particulier • cidification des océans, avec une baisse du
A
sous les tropiques humides. Il pourrait y avoir pH de l’eau de surface de 0,1 depuis 1750.
d’avantage de zones concernées par la mousson, L’absorption ininterrompue de carbone par les
celle-ci étant caractérisée par des vents plus océans continuera à favoriser leur acidification
faibles mais des précipitations plus importantes jusqu’à la fin du siècle actuel;
et des changements de calendrier; • Variation de la salinité, les zones fortement
• Observation d’une relative amplification salines devenant encore plus salines et
de l’activité cyclonique tropicale, qui va inversement, en raison des changements
probablement se poursuivre plutôt que touchant l’évaporation et les précipitations.
s’atténuer à l’avenir; le phénomène appelé El
Niño-Oscillation australe va vraisemblablement
Niveau de la mer
• l’échelle mondiale, le niveau de la mer s’est
À
s’intensifier.
élevé en moyenne de 0,19 mètre pendant la
Atmosphère période 1901-2010 et le rythme de l’élévation
•
Augmentation des concentrations s’est accéléré, passant de 1,7 millimètre par an
atmosphériques de gaz à effet de serre au début du XXe siècle au rythme actuel de
(dioxyde de carbone [CO2], méthane [CH4] et 3,2 millimètres par an. En conséquence,
oxyde nitreux [N2O]), qui dépassent aujourd’hui l’élévation totale du niveau de la mer en
les concentrations les plus élevées connues sur 2081-2100 par rapport à 1981-2005 sera de
une période de 800 000 ans – et constituent la l’ordre de 0,26 à 0,98 mètre, la fonte des glaciers
cause majeure du réchauffement mondial. et la dilatation thermique étant responsables de
quelque 75% de cette variation. Le niveau de la
Océans mer continuera à monter pendant le XXIe siècle
• échauffement des océans, avec un
R
et au-delà, quel que soit le scénario en matière
réchauffement des 75 premiers mètres de
d’émission;
surface de 0,11 ºC par décennie pendant la
• L’augmentation de l’incidence et de l’ampleur
période 1971-2010. Le réchauffement des océans
des épisodes d’élévation extrême du niveau
représente plus de 90% de l’énergie accumulée
de la mer a commencé et va très probablement
dans le système climatique mondial au cours de
continuer.
cette période. Le réchauffement des océans va
continuer pendant tout le XXIe siècle, pénétrer Les chiffres suivants indiquent les variations
en profondeur et influer sur la circulation des prévues des valeurs moyennes, en ce qui concerne
courants et le niveau de la mer. Le réchauffement la température à la surface du globe, la quantité
le plus marqué est attendu dans les zones de précipitations et le pH de la surface des océans,
tropicales et dans les zones subtropicales dans le meilleur scénario (à gauche) et dans le pire
septentrionales; scénario (à droite) en matière d’émission.
FIGURE 1
13Source: Adapté de GIEC 2013
Pêche et aquaculture de 18,8 kilogrammes par personne. La progression de
La pêche et l’aquaculture sont tributaires des la demande stimule l’augmentation de la production,
écosystèmes aquatiques (d’eau douce, côtiers faisant de l’aquaculture l’un des secteurs de
et marins). Ces écosystèmes ressentent déjà les production alimentaire dont la croissance est la plus
effets du changement climatique en raison de leur rapide; la production totale de la pêche de capture
extrême sensibilité aux variations de température, et de l’aquaculture devrait s’élever à 172 millions de
de salinité et d’acidité. C’est pourquoi, l’on s’attend tonnes d’ici à 2021, l’aquaculture comptant pour la
à ce que les moyens d’existence fondés sur la pêche majeure partie de l’augmentation.
et l’aquaculture soient parmi les premiers à subir
les contrecoups du changement climatique. Les De plus, la croissance de l’emploi dans ces secteurs
moyens d’existence des petits aquaculteurs et des est plus rapide que dans le secteur agricole.
artisans pêcheurs des petits États insulaires en Aujourd’hui, les secteurs de la pêche et de
développement, des pays sujets aux sécheresses et des l’aquaculture fournissent directement un emploi
pays en développement d’Asie du Sud et du Sud-Est à 54,8 millions de personnes, dont quelque
et d’Afrique subsaharienne, sont particulièrement 16,6 millions d’aquaculteurs. Si l’on tient compte
fragiles (Allison et al. 2009). des activités auxiliaires, telles que la transformation
Comme l’a souligné la FAO (2012), les secteurs de et la commercialisation, ces secteurs contribuent aux
la pêche et de l’aquaculture offrent des possibilités moyens d’existence de 660 millions à 820 millions
d’améliorer considérablement la sécurité alimentaire de personnes. Étant donné que 90% de la population
et la nutrition partout dans le monde, de réduire la mondiale de pêcheurs opèrent à un niveau de
pauvreté et de favoriser la croissance économique. subsistance, il est manifeste que le secteur contribue
En 2011, la production mondiale de poisson a atteint de manière non négligeable à la sécurité alimentaire
154 millions de tonnes, et la consommation 130,8 et à la réduction de la pauvreté; le poisson constitue
millions de tonnes – ce qui représente une moyenne la base de la nutrition de 3 milliards de personnes
14TABLEAU 1
Production mondiale de la pêche et de l’aquaculture et utilisation des produits pendant la
période 2006-2011
2006 2007 2008 2009 2010 2011
Production (en millions de tonnes)
Pêche de capture
Continentale 9,8 10,0 10,2 10,4 11,2 11,5
Maritime 80,2 80,4 79,5 79,2 77,4 78,9
Total Pêche de capture 90,0 90,3 89,7 89,6 88,6 90,4
Aquaculture
Continentale 31,3 33,4 36,0 38,1 41,7 44,3
Maritime 16,0 16,6 16,9 17,6 18,1 19,3
Total Aquaculture 47,3 49,9 52,9 55,7 59,9 63,6
Total 137,3 140,2 142,6 145,3 148,5 154,0
Utilisation
Consommation humaine 114,3 117,3 119,7 123,6 128,3 130,8
Usages non alimentaires 23,0 23,0 22,9 21,8 20,2 23,2
Source: FAO 2012. Ces informations ne tiennent pas compte des algues ni des autres plantes aquatiques.
et représente au moins 50% de l’apport en protéines les épidémies et à mettre en péril la santé humaine.
animales et en minéraux essentiels de 400 millions Outre ces problèmes existants, les incidences générales
de personnes, essentiellement dans les pays les du changement climatique sur les écosystèmes, les
plus pauvres (FAO 2011). La grande majorité des sociétés et les systèmes économiques exacerbent les
pêcheurs et des aquaculteurs réside en Asie (87% menaces qui pèsent sur la viabilité de la pêche et de
et 97% respectivement) mais, c’est en Afrique que l’aquaculture (FAO 2008e, 2010a, 2012).
l’on observe la plus forte croissance annuelle du
nombre de personnes travaillant dans ces secteurs. Incidences du changement
Les secteurs de l’aquaculture et de la pêche sont climatique sur la pêche et
confrontés à de nombreux défis et problèmes, à la
l’aquaculture
fois internes car inhérents au secteur (surexploitation,
discrimination dans l’accès aux ressources et Le changement climatique a sur le secteur de la
mauvaise gestion) et externes (concurrence d’autres pêche des effets directs et indirects qui résultent
secteurs utilisant la terre et l’eau, pollution, et des processus associés aux systèmes écologiques
dégradation des habitats). Partout dans le monde, aquatiques ainsi que de dynamiques politiques,
la viabilité de nombreuses activités de pêche est économiques et sociales (Daw et al. 2009).
déjà compromise par une gestion irraisonnée et une
gouvernance défaillante qui favorisent la surpêche La pêche de capture est totalement tributaire de
et la dégradation de l’environnement; 30% des la productivité des écosystèmes naturels qu’elle
stocks seraient actuellement surexploités et 57,4% exploite. Elle est donc extrêmement sensible aux
seraient pleinement exploités (FAO 2012). Faute variations de la production primaire et à la façon
d’une planification raisonnée, le développement de dont cette production se répercute le long de
l’aquaculture a conduit à endommager gravement des la chaîne trophique aquatique. Elle est sensible
écosystèmes d’eau douce et d’eau de mer, à favoriser aussi aux modifications des paramètres physiques
15et chimiques des écosystèmes, notamment la Il faut toujours garder présent à l’esprit qu’il est
température, la salinité, l’acidité et le niveau et difficile d’établir un rapport de causalité unique
la circulation de l’eau. Certaines incidences du entre des effets particuliers du changement
changement climatique sur le secteur de la pêche climatique et les incidences sur la pêche et
sont prévisibles, en revanche les conséquences l’aquaculture. Ce sont les effets cumulés du
cumulées globales sont relativement incertaines du changement climatique et des interventions
fait de la complexité des écosystèmes aquatiques et humaines qui comptent (De Silva et Soto 2009).
du manque de données et de modèles (Easterling et Par exemple, quand un stock de poissons est déjà
al. 2007; Banque mondiale 2010d; Banque mondiale exploité de manière intensive, voire surexploité,
2012; Banque mondiale 2013; Bezuijen et al. 2011). le stress provoqué par la modification d’origine
climatique des conditions ou des écosystèmes
L’aquaculture est, elle aussi, exposée à des incidences
océaniques peut être le facteur de trop qui entraîne
directes et indirectes, mais dans une moindre
l’effondrement total du stock.
mesure car le contrôle humain exercé dans ce secteur
tend à limiter les facteurs et les conséquences du Incidences du changement climatique
changement climatique (De Silva et Soto 2009). On trouvera ci-dessous un résumé des effets
La vulnérabilité des communautés vivant de probables qu’un certain nombre de modifications
l’aquaculture tient essentiellement au fait qu’elles des écosystèmes aquatiques induites par le
sont exposées aux phénomènes météorologiques changement climatique pourraient avoir sur la pêche
extrêmes ainsi qu’aux incidences du changement et l’aquaculture (Ahmed 2013; Bezuijen et al. 2011;
climatique sur les ressources naturelles nécessaires, Daw et al. 2009; De Silva et Soto 2009; Easterling et
notamment: eau de bonne qualité, terre, juvéniles, al. 2007; FAO 2008b, 2009a; Kam et al. 2010; GIEC
aliments pour animaux et énergie (Easterling 2007, 2013; Nicholls et al. 2007; Nellemann et al.
et al. 2007; FAO 2008e). Il faudra donc adapter 2009; Mohammed et Uraguchi 2013; PEW 2009;
et améliorer les systèmes d’aquaculture et les Secretan et al. 2007; van Anrooy et al. 2006; Banque
espèces produites et renforcer la préparation aux mondiale 2010d, 2012, 2013; WorldFish 2010b):
catastrophes. Réchauffement des océans et autres plans
d’eau:
Les communautés qui vivent de la pêche artisanale
• ne variation de la productivité halieutique des
U
et de la petite aquaculture sont particulièrement
océans est attendue en raison de la modification
vulnérables car elles résident souvent dans des zones
des conditions du milieu, notamment en ce
exposées aux incidences du changement climatique.
qui concerne les périodes d’efflorescence du
Les artisans pêcheurs sont susceptibles d’être plus
plancton et, partant, la disponibilité d’aliments,
vulnérables que les pêcheurs qui opèrent à grande
les rapports proie-prédateur et la dynamique
échelle en raison d’une mobilité généralement
des stocks de poissons. Globalement, la
limitée (Daw et al. 2009) donc de la quasi-
productivité primaire marine devrait augmenter
impossibilité de diversifier leurs moyens d’existence.
de 0,7 à 8,1% d’ici à 2050, mais avec de grandes
Selon une évaluation récemment menée par la disparités d’une région à l’autre; il est probable
Banque mondiale (Sumaila et Cheung 2010), que la productivité diminue aux basses latitudes
le secteur de la pêche pourrait enregistrer du fait de l’augmentation des températures et
une perte annuelle de revenus bruts allant de du réchauffement de la mer. Les effets sur la
17 milliards d’USD à 41 milliards d’USD (en pêche sont incertains, mais il est vraisemblable
dollars des États Unis constants de 2005) du fait que le dérèglement des écosystèmes entraîne
du changement climatique. De plus, les pertes un recul général de la production halieutique à
seraient réparties de manière inégale, les pays en moyen terme. L’élevage de nombreux poissons et
développement étant les plus touchés; par exemple, crustacés, tels que la crevette, repose en général
dans le scénario du changement climatique le sur l’emploi d’aliments dont les principaux
plus marqué, les pertes potentielles des pays en ingrédients sont la farine et l’huile de poisson.
développement pourraient se chiffrer à 25 milliards Ces ingrédients sont fabriqués essentiellement
d’USD par an, contre seulement 11 milliards d’USD à partir de petits poissons pélagiques pêchés
par an dans les pays développés. dans les régions subtropicales et tempérées.
16Toute incidence négative du changement n’ont pas les moyens de suivre les stocks de
climatique sur ce type de pêche risque de poissons, alors que les pêcheurs industriels
compromettre l’approvisionnement en farine et opérant en eau profonde peuvent voyager sur
huile de poisson et de remettre en cause le mode des milliers de kilomètres. Des variations dans
d’alimentation et la structure des coûts dans la saisonnalité ou les sites de ponte auraient
certains systèmes d’aquaculture, éventuellement pour résultat de réduire la disponibilité des
au point de les rendre non viables. En outre, œufs/larves/alevins sauvages, s’agissant de
les moyens d’existence des pêcheurs concernés certaines espèces produites en bassins, en cages
seraient également menacés. et dans d’autres systèmes, et de compromettre
• L’extinction de certaines espèces a été prédite si l’approvisionnement en géniteurs, s’agissant de
le plafond de chaleur tolérable des espèces est certaines espèces marines d’élevage importantes,
dépassé et s’il n’existe pas de possibilités de telles que les crevettes.
migration (par exemple, dans les plans d’eau • De possibles augmentations des taux de croissance,
continentaux). des rendements de la conversion alimentaire et de la
• La multiplication des cas de prolifération d’algues durée de la saison de croissance pourraient être
toxiques et d’intoxication par des mollusques, observées en ce qui concerne certaines espèces
imputable à la hausse des températures, peut aquatiques d’élevage, compte tenu de la hausse
perturber l’accès au marché si les services de des températures dans les régions tropicales et
surveillance et de contrôle ne sont pas en mesure subtropicales.
de repérer les produits qui ne répondent pas aux • Des changements dans l’incidence des maladies
exigences à l’exportation. frappant l’aquaculture sont aussi attendus. De
• La réduction des quantités d’oxygène dissous dans nouvelles maladies sont susceptibles de faire
l’eau est susceptible de limiter la survie des leur apparition, mais la survenue de certaines
larves, de freiner la croissance des organismes maladies existantes, telles que la maladie des
aquatiques et de bloquer les migrations. On points blancs chez les crustacés, deviendra plus
assistera à une extension des zones où la rare avec la hausse des températures.
teneur en oxygène baissera à des niveaux très
Élévation du niveau de la mer
faibles (zones mortes) et où aucun poisson ni
• ne aggravation des dégâts causés par les
U
invertébré ne peut survivre.
inondations, les crues et les intempéries est attendue,
• La modification de la répartition de nombreux
ce qui aura des effets négatifs sur les zones de
poissons, crustacés et mollusques est attendue, le
reproduction et les habitats des organismes
réchauffement progressif des océans poussant
aquatiques et accélérera l’érosion côtière. Les
les populations d’organismes marins à migrer
invasions d’eau salée dans les régions deltaïques
vers de plus hautes latitudes. Cette modification
pourraient faire monter le niveau des nappes
pourrait influer sur la répartition et la
phréatiques, empêcher le drainage et provoquer
phénologie des larves d’organismes aquatiques
des pertes et des dégâts dans les zones humides.
et avoir de fortes incidences sur le recrutement et
D’un autre côté, les inondations et les invasions
la production des stocks. Une telle redistribution
d’eau salée dans des terres agricoles peuvent
pourrait entraîner une réduction des prises allant
permettre d’étendre les surfaces se prêtant à
jusqu’à 40% dans certains sites localisés des
l’aquaculture ou à la production mixte de riz
régions tropicales, mais aussi une augmentation
et de poisson, avec la culture de variétés de riz
des prises allant jusqu’à 100% dans certaines
résistantes à la salinité. L’aquaculture en eau
zones bien circonscrites. Par exemple, le
saumâtre est également susceptible de constituer
maquereau – qui tient une large place dans la
une option intéressante dans les zones où la
pêche de capture au Cambodge, au Viet Nam
salinité rend les terres impropres à la culture du
et en Thaïlande – est tributaire de la circulation
riz ou d’autres espèces végétales. Cependant,
océanique pour les processus de recrutement
cette forme d’aquaculture pourrait attiser les
et d’alimentation. Une modification de la
luttes de pouvoirs locales, dont un exemple est
circulation pourrait entraîner une baisse de la
le conflit récurrent qui oppose les riziculteurs
production de maquereaux dans la région. Des
pauvres et les puissants producteurs de crevettes
changements dans les migrations pénaliseraient
dans le sud-ouest du Bangladesh.
essentiellement les artisans pêcheurs qui
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