La protection sociale - au lendemain des Printemps arabes - IPC IG
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Une publication du Centre International de Politiques pour la Croissance Inclusive Volume 14, Numéro 3 • Décembre 2017 La protection sociale au lendemain des Printemps arabes
La revue Policy in Focus est une publication régulière du Centre International de Politiques pour la Croissance Inclusive (IPC-IG).
Né d’un partenariat entre les Nations Unies et le Gouvernement du Brésil, le complète et le lien vers leur licence respective figurent sous chacune Centre International de Politiques pour la Croissance Inclusive (IPC-IG) a pour d’entre elles. Nous remercions tout spécialement Salim Oweis mission de promouvoir l’apprentissage Sud-Sud en matière de politiques (UNICEF MENA) pour son précieux soutien. sociales. Il est spécialisé dans la recommandation d’orientations étayées par des travaux de recherche visant à réduire la pauvreté et les inégalités, mais Rédacteurs spécialistes invités : aussi à promouvoir une croissance inclusive. L’IPC-IG est lié au Programme Rafael Guerreiro Osorio et Fábio Veras Soares, des Nations Unies pour le développement (PNUD) du Brésil, au ministère Centre International de Politiques pour la Croissance Inclusive (IPC-IG) brésilien du Plan, du Développement et de la Gestion et à l’Institut de recherche économique appliquée (Ipea) du Gouvernement brésilien. Rédacteur interne : Manoel Salles Directeur a.i. : Niky Fabiancic Chef des publications : Coordonnateurs de recherche de l’IPC-IG : Diana Sawyer, Fábio Veras Roberto Astorino Soares, Luis Henrique Paiva, Rafael Guerreiro Osorio et Sergei Soares Traduction : Amélie Courau Les opinions exprimées dans les publications de l’IPC-IG sont celles de leurs auteurs et ne reflètent pas nécessairement les vues de leurs institutions Graphisme et publication assistée par ordinateur : respectives, de l’UNICEF, du PNUD ou du Gouvernement brésilien. Flávia Amaral et Rosa Maria Banuth Droits et autorisations : tous droits réservés. Les textes et données Photographie de la couverture : contenus dans la présente publication peuvent être reproduits à condition Rafael Guerreiro Osorio/IPC-IG. Place Tahrir, Le Caire, Égypte. d’obtenir une autorisation écrite de la part de l’IPC-IG et d’en citer la source. Les reproductions à des fins commerciales sont interdites. Note du rédacteur : Nous tenons à adresser nos sincères remerciements Certaines des photographies utilisées dans la présente publication à tous les auteurs pour leurs précieuses et généreuses contributions, sont couvertes par des licences Creative Commons. Leur référence sans lesquelles ce numéro n’aurait simplement pas été possible.
Table des matières 7 La protection sociale non contributive dans la région MENA : aperçu général 12 Les régimes de retraite dans les pays du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord : généreux, mais pas pour les pauvres ! 16 Vers une protection sociale plus solidaire au Moyen-Orient et en Afrique du Nord ? 20 Protection sociale et filets sociaux au Moyen-Orient et en Afrique du Nord 24 La protection sociale des enfants et de leur famille au Moyen-Orient et en Afrique du Nord : lorsque la protection des droits de l’enfant correspond à un choix économique judicieux 28 La protection sociale dans la région MENA d’aujourd’hui : la recherche de la redistribution 31 Le développement durable en tant que liberté : la protection sociale à l’ère du changement climatique 35 Consolider la protection sociale et la sécurité alimentaire dans la région MENA : expériences et opportunités dans un contexte de chocs, de crises prolongées et de réformes 40 La protection sociale et le secteur agricole au Proche-Orient et en Afrique du Nord 44 Les programmes de protection sociale non contributifs axés sur l’enfance dans la région MENA 51 Faire communiquer les programmes de transferts monétaires et les systèmes nationaux de protection sociale dans des situations de crise humanitaire 54 La protection sociale dans l’Iran moderne : perspective historique 58 La réforme de la protection sociale et la pauvreté des enfants au Maroc 62 Tayssir : le premier programme de transferts monétaires conditionnels de la région MENA 68 La protection sociale en Arabie saoudite 72 Réforme des subventions énergétiques et protection sociale non contributive : le cas de la Tunisie 75 Les filets sociaux en Irak ou la nécessité de réformer
Éditorial Après leur indépendance, les pays du Moyen-Orient et de confrontée à trois défis de taille. Pour commencer, l’Afrique du Nord (région MENA, de l’anglais Middle East l’économie de la plupart des pays de la région est en and North Africa) ont assimilé ou répliqué à des degrés berne, principalement à cause de la crise économique divers les systèmes de protection sociale formelle institués mondiale et de la chute des prix du pétrole. Conjuguée par les anciennes puissances coloniales, notamment les aux caractéristiques démographiques de ces pays, cette régimes de retraite destinés aux fonctionnaires et aux conjoncture se traduit par des taux de chômage élevés, travailleurs du secteur structuré de l’économie. Sur le notamment chez les jeunes. plan de la répartition des revenus, ces systèmes se sont La hausse du taux d’inflation, deuxième difficulté toutefois révélés hautement subventionnés et dégressifs. à surmonter, a partiellement été provoquée par De plus, une grande partie de la population travaille dans la suppression des subventions. Elle a accentué le secteur non structuré ou en milieu rural et se retrouve la pauvreté et accru la demande en protection donc exclue de la protection sociale formelle, à moins sociale non contributive en faisant s’envoler les d’être admissible à des programmes d’assistance sociale. prix alimentaires et les taux de chômage. Ces derniers se caractérisent généralement par une couverture et des prestations inférieures, car la plupart de La troisième difficulté réside dans la prolifération des ces pays allouent une part significative de leurs dépenses conflits et leurs conséquences. Parmi les millions de de protection sociale à des subventions universelles personnes déplacées par ces conflits, la plupart se ou quasi universelles aux combustibles ou aux denrées réfugient dans des pays voisins, où la faim et la maladie alimentaires de base. avivent encore les tragédies personnelles. Pour les pays d’accueil, la tâche déjà lourde de veiller sur leurs Dans la région, les systèmes non contributifs de propres citoyens pauvres et vulnérables se trouve ainsi protection sociale formelle font actuellement l’objet de compliquée par la nécessité de pourvoir également profondes réformes. Des preuves largement admises aux besoins des réfugiés. ont permis de démontrer le mauvais ciblage de ces subventions et par là même leur incapacité à lutter Pour aborder ces défis sous différents angles, efficacement contre la pauvreté et la vulnérabilité. le présent numéro de Policy in Focus propose des La population a également l’impression, souvent articles élaborés par des universitaires, des chercheurs corroborée par des données probantes, que les systèmes et des praticiens. Ces travaux dépeignent la situation de protection sociale non contributifs sont eux aussi mal actuelle de la protection sociale non contributive ciblés, excluant ainsi les populations les plus pauvres aux échelles nationale et régionale, la façon dont et vulnérables et profitant à des bénéficiaires qui n’ont les pays de la région MENA ont affronté les récentes pourtant aucun besoin d’aide immédiat. Parmi les pays crises économiques et humanitaires ainsi que les de la région, beaucoup se sont donc lancés dans la enseignements qu’ils en ont tirés. Nous espérons que suppression progressive de ces subventions et dans cette variété de points de vue favorisera une prise de la réorientation des investissements sociaux vers des conscience et alimentera de nouveaux débats autour transferts monétaires directs et pour la plupart ciblés. de ces sujets complexes. Certains d’entre eux enrichissent actuellement leur système de protection sociale en y ajoutant des transferts monétaires conditionnels ainsi que des pensions de vieillesse et d’invalidité créées de toutes pièces ou à partir de structures existantes. Cette vague de réformes en faveur d’une protection sociale non contributive se trouve aujourd’hui Rafael Guerreiro Osorio et Fábio Veras Soares 6
La protection sociale non contributive dans la région MENA : aperçu général Rafael Guerreiro Osorio et Fábio Veras Soares 1 Plusieurs articles du présent numéro lutter plus efficacement contre la pauvreté montrent qu’outre les subventions aux ou simplement de rogner la protection Consacré à l’examen de la protection combustibles et aux denrées alimentaires, sociale ? Rana Jawad estime que le sociale non contributive dans les pays l’assistance sociale en place dans la remplacement des transferts monétaires du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord région cible essentiellement les ménages ciblés par des subventions universelles ne (région MENA, de l’anglais Middle East ne comptant aucun homme valide. permettra pas de s’attaquer aux causes and North Africa), le présent numéro de On y recense en effet des régimes de structurelles de la pauvreté et pourrait Policy in Focus s’ouvre sur la question des pension destinés aux personnes âgées même priver de toute protection une pensions. Dans son article, Markus Loewe et handicapées, mais aussi des aides vaste part de la population qui, n’étant nous rappelle en effet que tous les pays aux revenus accordées aux femmes pas suffisamment pauvre pour être de la région disposent d’un ou plusieurs célibataires et aux enfants orphelins. admissible aux transferts monétaires, se régime(s) de pension de vieillesse de De tels régimes tendent ainsi à exclure retrouverait démunie face à la hausse des type bismarckien instauré(s) pendant les familles nucléaires pauvres tirant leur prix de l’alimentation et de l’énergie, sans la seconde moitié du XXe siècle, dont subsistance d’un membre masculin et à recevoir aucune compensation. datent la plupart des indépendances inclure des ménages loin de présenter des de la région. Cependant, ces régimes ne niveaux de revenu ou de consommation Stephen Devereux attire pour sa part permettent pas de couvrir l’intégralité insuffisants. Les gouvernements de la notre attention sur un autre problème : de la population, dans la mesure où ils région ont toutefois cherché à réformer dans la région, les conflits ont intensifié excluent généralement les travailleurs leurs programmes d’assistance sociale, les flux de réfugiés ou de personnes urbains et/ou ruraux du secteur non souvent dans le but de mieux cibler et déplacées au sein de leur propre structuré. Dans certains pays, seuls couvrir les ménages pauvres. territoire, qui ne sont généralement les travailleurs aisés des secteurs pas couverts par les systèmes de public et privé ont ainsi accès aux Dans l’article suivant, Rana Jawad protection sociale en place dans les pays pensions, qui y sont partiellement s’intéresse aux raisons historiques et d’accueil et dépendent donc de l’aide ou entièrement subventionnées sociologiques expliquant pourquoi les humanitaire fournie par des organisations par le gouvernement. systèmes de protection sociale de la internationales. Riches, économiquement région se sont développés au bénéfice de stables et dotés d’excellents systèmes de Non seulement les régimes en place ses élites urbaines et politiques, creusant protection sociale par rapport au reste de n’exercent donc pas d’effet notable sur la ainsi les écarts de couverture déjà béants la région, les États du Golfe eux-mêmes pauvreté, mais ils alimentent même les signalés par Markus Loewe. Rana Jawad comptent au sein de leur population de inégalités en permettant aux travailleurs décrit la façon dont les communautés et nombreux immigrants privés de toute les plus privilégiés de bénéficier de les familles s’organisent traditionnellement couverture sociale. généreuses prestations en contrepartie de pour combler les lacunes de solidarité faibles cotisations, mais aussi de prendre laissées par les États et les marchés, Stephen Devereux ajoute que les déficits une retraite anticipée. Markus Loewe soulignant ainsi le rôle fondamental joué de couverture et le sous-développement attire ainsi notre attention sur la non- par les organisations caritatives et les des formes modernes de protection viabilité de ce type de régimes. institutions religieuses telles que la sociale dans la région pourraient Zakat (« aumône », en arabe). également découler d’une trop forte Il conclut que les plus pauvres dépendance à la protection sociale n’ont toujours pas accès à la protection Rana Jawad cherche avant tout informelle et semi-formelle assurée par sociale, même dans les rares pays qui à déterminer si l’instauration de les familles élargies et les institutions sont parvenus à couvrir une grande programmes de transferts monétaires religieuses. Il considère que différents proportion de leur population en affiliant ciblés suivant les exemples de l’Amérique facteurs (faible couverture, mauvais les travailleurs du secteur informel aux latine et de l’Afrique subsaharienne ciblage, budget limité, cloisonnement systèmes contributifs. Les pays de la marquent un véritable changement de et manque de coordination) se sont région ont traditionnellement opté pour paradigme en matière de protection conjugués pour miner l’efficacité des transferts ciblant certaines catégories sociale, ou se contentent au contraire d’autres formes de protection sociale de population et pour des subventions de recycler les structures existantes en non contributive introduites pour lutter universelles aux combustibles et réponse aux Printemps arabes, sans contre la pauvreté dans la région, comme aux denrées alimentaires ; les plus véritablement toucher à l’ordre établi l’alimentation scolaire, les travaux pauvres n’y sont donc guère couverts, ni au « contrat social autocratique ». publics, les programmes de nutrition, malgré l’existence de programmes En introduisant l’évaluation directe ou les transferts monétaires ciblés ou d’assistance sociale. indirecte des ressources, l’objectif est-il de encore les bons d’alimentation. Centre International de Politiques pour la Croissance Inclusive | Policy in Focus 7
Particulièrement préoccupé par le peut exister de voie unique pour renforcer fiscaux visant à en accroître la progressivité, manque d’intégration entre la sécurité la protection des enfants. Arthur Van bien qu’une telle mesure risque de se alimentaire et les politiques de protection Diesen propose malgré tout cinq principes heurter à l’opposition des classes moyennes, sociale, il signale la nécessité de trouver susceptibles d’accroître l’importance de la déjà affectées par la baisse des subventions. un compromis entre la réforme des protection de l’enfance dans les systèmes subventions et l’extension des formes de protection sociale de la région. Dans l’article suivant, Kishan Khoday modernes de protection sociale. aborde les problèmes posés par le Dans un même ordre d’idées, Gisela Nauk changement climatique. Au niveau Stephen Devereux estime que les ressources considère que les systèmes de protection mondial, la région arabe est la plus actuellement allouées aux subventions sociale en place dans la région génèrent exposée aux pénuries d’eau et la plus devraient être réorientées vers la protection une fracture sociale en scindant les tributaire des importations alimentaires. sociale, tout en intégrant les transferts populations entre bénéficiaires et non- Cette situation pourrait se trouver monétaires ciblés et l’activation du marché bénéficiaires, citoyens protégés et non exacerbée par le changement climatique, du travail. De telles mesures devraient en protégés. En réponse aux printemps arabes, dont les liens avec la pauvreté et la outre s’attacher à améliorer les méthodes de de nombreux pays ont revu leurs dépenses protection sociale sont clairs. Les ciblage et mettre clairement l’accent sur la sociales à la hausse, mais n’ont récolté sécheresses et autres catastrophes protection des enfants. que des résultats limités en matière de climatiques sont déjà responsables réduction de la pauvreté et des inégalités. d’une grande partie des flux internes de La nécessité d’accorder une plus grande La viabilité des subventions alimentaires et personnes au sein de la région. Kishan place à la protection des enfants est énergétiques a été remise en question et Khoday estime que les systèmes de également soulignée par Arthur van des programmes de transferts monétaires protection sociale peuvent aider les Diesen, qui explique dans son article que ciblés ont été instaurés pour tenir lieu de communautés à accroître leur résilience. les systèmes de protection sociale de la mécanismes d’atténuation. région relèguent leur bien-être au second Pour intégrer la protection sociale aux plan. Une étude récemment commandée Constatant que la suppression brutale Objectifs de développement durable par la Ligue arabe a révélé qu’un enfant sur des subventions universelles pouvait (ODD), il considère qu’elle doit être quatre se trouve en situation de pauvreté susciter des résistances et provoquer conjuguée à des politiques relevant de multidimensionnelle dans onze pays. des troubles civils, les pays ont choisi deux autres domaines : l’adaptation au de les lever progressivement. Pour changement climatique et la réduction des Arthur Van Diesen reconnaît que les redistribuer plus efficacement aux plus risques de catastrophes. Cette intégration réformes de protection sociale déjà pauvres les ressources auparavant a fait émerger un nouveau paradigme : adoptées ont commencé à combler les allouées aux subventions, des registres les « politiques sociales adaptatives », lacunes de protection de l’enfance, mais des populations pauvres et vulnérables considérées par l’auteur comme l’une estime malgré tout qu’il est urgent d’aller ont été dressés et intégrés à d’autres des tendances les plus intéressantes du plus loin. Au premier stade de la transition registres gouvernementaux. Ces ressources côté des organisations internationales démographique, les pays de la région servent à instaurer de vastes programmes consacrées au développement. enregistrent pour la plupart une hausse du de transferts monétaires souvent poids démographique de leur jeunesse. Le conditionnels, considérés par Dans le même ordre d’idées, Verena « dividende démographique » pourrait être Gisela Nauk comme le principal moyen Damerau et Oscar Ekhdal démontrent l’occasion de lancer une transformation permettant d’atténuer l’impact social dans l’article suivant que les problèmes structurelle. Pour en tirer le maximum, les de la réduction des subventions. et défis auxquels se trouve confrontée la pays de la région devront toutefois investir région (conflits armés, agitation sociale, massivement dans l’enfance et générer des Comme Rana Jawad, Gisela Nauk craint forte dépendance aux importations emplois décents pour leur jeunesse. que le remplacement des subventions par alimentaires, vulnérabilité au changement des transferts monétaires ciblés ne borne climatique) ont entraîné une hausse des Si la protection sociale a un rôle à jouer, les dépenses sociales à un simple rôle de taux de malnutrition, contrairement à il reste toutefois des défis à relever. réduction de la pauvreté, faisant ainsi perdre ce que l’on peut observer dans le reste Dans nombreux pays, les dispositifs de vue les objectifs de développement du monde. Une récente étude menée non contributifs de protection sociale humain et de réduction des inégalités. dans huit pays de d’Afrique du Nord et se composent de différents programmes Selon des recherches récentes, seule une du Moyen-Orient a ainsi révélé que décousus recevant une très maigre faible proportion des revenus auparavant 20 pour cent des ménages en moyenne part des dépenses publiques. Là où ils consacrés aux subventions a effectivement souffraient d’insécurité alimentaire. sont le plus nécessaires, les régimes de été réallouée à la protection sociale ciblée. protection sociale peuvent en outre Les ressources budgétaires libérées par la Aux yeux des auteurs, les programmes être perturbés par des conflits et des suppression des subventions ne sont donc d’alimentation scolaire constituent un déplacements, livrant les déplacés internes pas efficacement employées pour procéder instrument fondamental pour améliorer les et les réfugiés à la seule aide humanitaire. à l’expansion des transferts monétaires indicateurs nutritionnels, réduire l’insécurité Les pays de la région se heurtent à des ciblés. Cette expansion pourrait notamment alimentaire, accroître la résilience au obstacles tellement hétérogènes qu’il ne être favorisée par une réforme des systèmes changement climatique et promouvoir 8
le développement humain. Les repas nationaux ; ils n’en profitent pas davantage De nombreux pays ont instauré des scolaires offrent l’occasion de distribuer en tant que consommateurs, puisque leur programmes phares, dont certains ciblent les des compléments nutritionnels, tandis subsistance repose au moins partiellement familles pauvres et vulnérables avec enfants. que les passations de marchés permettent sur leur propre production et que leurs En excluant les populations vulnérables d’accorder la priorité à des aliments produits dépenses alimentaires sont faibles. (et actives occupées) avec enfants, l’accent localement par de petits exploitants. depuis longtemps mis sur les populations à Convaincue elle aussi qu’une plus capacité de travail réduite semble néanmoins Verena Damerau et Oscar Ekhdal soulèvent grande intégration est nécessaire entre minimiser la place de l’enfance dans les un autre point intéressant : les réformes les politiques agricoles et la protection systèmes de protection sociale. de protection sociale envisagées dans la sociale, Flavia Lorenzon estime que les région peuvent s’inspirer de l’immense programmes de transferts monétaires Dans l’article suivant, Gabrielle Smith cadre d’aide humanitaire déployé pour employant l’évaluation indirecte des aborde l’intégration des programmes prendre en charge des millions de réfugiés ressources (proxy-means test, PMT) pour d’aide humanitaire et des filets nationaux et de déplacés internes. Les instruments sélectionner leurs bénéficiaires tendent de sécurité sociale. Elle nous rappelle créés pour soutenir les réfugiés peuvent en à privilégier les ménages ruraux, dont qu’en 2016, les principaux acteurs de effet suggérer des innovations à introduire les indicateurs sont généralement moins l’aide humanitaire se sont non seulement dans les systèmes de protection sociale bons que ceux des ménages urbains. mis d’accord pour étendre les transferts traditionnels. Si les pays à avoir saisi cette Les ministères de l’Agriculture et de la monétaires aux contextes de crise, opportunité sont encore peu nombreux, Protection sociale de la région pourraient mais aussi pour accroître la réactivité les auteurs mentionnent le cas prometteur donc collaborer sur l’élaboration de aux chocs des systèmes nationaux de de la Turquie, où l’aide humanitaire politiques conjointes permettant non protection sociale et les habiliter à apportée aux réfugiés syriens a été alignée seulement d’aider les petits exploitants canaliser l’aide humanitaire. au système national de protection sociale pauvres à sortir de la pauvreté, mais aussi et y a été inscrite. d’accroître la résilience de la production Certains pays qui s’étaient déjà dotés agricole en prévision du changement de transferts monétaires ciblés ont ainsi Comme Kishan Khoday, Verena Damerau climatique. De telles politiques collaboré avec l’UNICEF pour verser des et Oscar Ekhdal considèrent que les généreraient des avantages pour la société, transferts monétaires humanitaires en travaux publics adaptés au secteur agricole comme la baisse des prix alimentaires ou empruntant certaines caractéristiques et destinés à bâtir des infrastructures dans l’amélioration de la qualité des produits. des systèmes nationaux. Gabrielle Smith les communautés rurales permettent présente les cas de la Turquie, du Yémen, de resserrer les liens existants entre la L’article signé par Charlotte Bilo et Anna de l’Irak et de la Syrie, qui ont atteint protection sociale, la sécurité alimentaire Carolina Machado dialogue directement un certain degré d’intégration entre et la résilience au changement climatique. avec celui d’Arthur Van Diesen en l’aide humanitaire et les systèmes de Bien que cette possibilité n’ait pas encore proposant une nouvelle perspective sur protection sociale grâce à des mécanismes été explorée par les gouvernements de la la protection sociale axée sur l’enfance. institutionnels uniques. région, les auteurs estiment qu’elle pourrait Les auteures y dressent une cartographie être sérieusement envisagée dans les des programmes de protection sociale Gabrielle Smith cite quelques données pays à forte population rurale, comme de la région, dont elles évaluent les empiriques démontrant que cette l’Égypte ou le Soudan. caractéristiques axées sur l’enfance. intégration a permis d’améliorer les systèmes nationaux de protection sociale. Elle Élaboré par Flavia Lorenzon, l’article En examinant plus de cent programmes reconnaît toutefois qu’elle pose de nombreux suivant se penche sur la pauvreté rurale, sociaux non contributifs, elles ont défis, comme la nécessité d’apporter des en progression dans certains pays, et constaté que les programmes de preuves plus solides de l’efficacité des sur le rôle de la protection sociale. Si transferts monétaires et en espèces non systèmes de protection sociale. l’agriculture emploie environ 38 pour cent conditionnels constituent la forme de de la population active de la région, elle ne protection sociale non contributive la plus La section suivante propose des articles contribue guère au produit intérieur brut répandue dans la région, suivie par les consacrés à des cas nationaux. Sarah (PIB) en raison de sa faible productivité. La subventions énergétiques et alimentaires, Shahyar procède à un examen approfondi production agricole y est majoritairement les programmes d’alimentation scolaire de la protection sociale dans l’Iran actuel assurée par de petits exploitants et la et les transferts monétaires conditionnels, en remontant aux années 1930, où l’État a plupart des terres sont exploitées par qui jouissent d’une popularité croissante. commencé à tirer suffisamment de recettes des familles ne bénéficiant d’aucun Le reste de la typologie se compose de du pétrole pour financer ses activités sans programme de protection sociale. programmes de prestations destinées à devoir recourir à l’imposition. Parmi ces couvrir les soins de santé, de subventions activités figurait la protection sociale, que En tant que producteurs, les populations aux soins de santé, de services d’éducation, la rapide croissance des années 1960 et pauvres rurales ne profitent pas des de programmes de travail contre 1970 et la hausse des prix du pétrole ont subventions alimentaires, qui ne rémunération (cash for work), d’exonérations permis d’étendre. Sarah Shahyar souligne s’appliquent qu’aux importations de frais et de programmes de transferts toutefois qu’une partie des travailleurs ne alimentaires ou aux grands producteurs monétaires conditionnels en nature. bénéficiait encore d’aucun programme, Centre International de Politiques pour la Croissance Inclusive | Policy in Focus 9
ce qui explique pourquoi la redistribution Révélée par cette cartographie, l’absence mission pédagogique et que sa capacité des richesses figurait parmi les de définition claire du ciblage et des à faire reculer la pauvreté reste limitée, revendications de la Révolution de 1979. critères d’admissibilité pouvait exposer malgré ses remarquables effets sur L’absence d’intégration des institutions ces initiatives à des difficultés de ciblage l’éducation. Ce constat peut s’expliquer qui ont alors vu le jour a fait émerger un et de couverture et entraîner l’exclusion par la couverture elle-même limitée du double système de protection sociale. de groupes précis, en particulier celle des programme et par le fait que les sommes enfants. À titre d’exemple, les allocations versées ne représentent qu’environ 5 Malgré cette dualité, l’Iran est parvenu au familiales ne couvraient pas les enfants pour cent de la consommation moyenne fil des décennies suivantes à élargir ses des travailleurs du secteur non structuré des familles marocaines. Pour consolider politiques sociales pour couvrir l’éducation, et le célèbre programme de transferts ce programme, les auteurs suggèrent la santé et la protection sociale. En 2010, le monétaires Tayssir ne ciblait que les d’en étendre la couverture à toutes les pays s’est toutefois lancé dans une réforme enfants en âge d’être scolarisés. municipalités bénéficiant de la Stratégie des subventions dont il a atténué les effets de développement rural du Maroc et négatifs en instaurant un programme quasi Menée pour orienter les efforts des d’augmenter le montant des transferts. universel de transferts monétaires fondé sur réformes marocaines, une étude de Pour financer ces deux mesures, ils l’auto-identification. Ce programme a connu la pauvreté multidimensionnelle des évoquent la possibilité d’utiliser les fonds une expansion très rapide et probablement enfants a révélé qu’un grand nombre libérés par la réforme des subventions. contribué au recul de la pauvreté observé d’enfants marocains souffraient encore après son lancement en versant de de privations multiples et cumulées, Dans l’article suivant, Amina Said Alsayyad généreuses prestations à environ 90 pour malgré les considérables progrès réalisés. décrit les efforts déployés par l’Arabie cent de la population. La dégradation de Mahdi Halmi expose les principaux saoudite pour refonder son contrat la situation économique provoquée par résultats de cette étude et propose des social et réduire sa dépendance au les sanctions internationales s’est toutefois recommandations visant à axer davantage pétrole en diversifiant son économie et accompagnée d’une hausse de l’inflation la protection sociale contributive en investissant dans le développement qui a érodé le pouvoir d’achat conféré par marocaine sur l’enfance. humain. Pour y parvenir, le pays a élaboré les transferts. Confronté à des difficultés une stratégie nationale baptisée « Vision de financement, le programme a fini par Mario Györi, Fábio Veras Soares et Alexis saoudienne 2030 » (« Saudi Vision 2030 ») mettre en place des mécanismes de ciblage Lefèvre fournissent ensuite une description et rigoureusement conforme aux ODD. afin d’exclure les familles les plus aisées. détaillée du programme marocain Tayssir, le premier programme de transferts Malgré la chute des prix du pétrole, Sarah Shahyar doute du bien-fondé du PMT. monétaires ciblés de la région. l’Arabie saoudite demeure un État riche et Sur cette question, elle craint comme d’autres puissant. Amina Said Alsayyad explique auteurs que l’adoption de cette méthode Le programme Tayssir est réputé pour que le véritable problème réside moins ne menace l’universalisme de la protection ses résultats en matière d’éducation, dans les inégalités de revenus que dans sociale et son lien fondamental avec les qui dépassent même ceux obtenus la multidimensionnalité de la pauvreté droits de l’homme. Elle redoute en outre que par ses équivalents latino-américains. et des inégalités, qui se manifestent la restriction des services sociaux aux plus Pourtant, ce programme doit avant tout sa notamment (et surtout) dans la dimension pauvres n’en compromette la qualité et ne réputation au constat suivant : les transferts du genre. La Vision 2030 vise précisément pousse à considérer qu’ils constituent un acte conditionnels et non conditionnels à exploiter le potentiel économique des de charité plutôt qu’un droit des citoyens. (simplement « estampillés » pour indiquer femmes saoudiennes en investissant Pour conclure, elle présente l’adoption d’une aux bénéficiaires qu’ils sont expressément dans leur éducation et en créant les subvention universelle pour l’enfance comme destinés à l’éducation des enfants) conditions propices à leur participation une solution permettant de combler l’écart produisent pratiquement le même impact, au marché du travail. séparant le revenu de base (brièvement comme l’a démontré une évaluation testant perçu par les Iraniens au début des années différentes modalités de conception. Comme d’autres pays de la région, l’Arabie 2010) des transferts monétaires plus ciblés L’inscription des bénéficiaires s’est déroulée saoudite reconsidère actuellement ses utilisant une méthode de type PMT. dans des écoles et les campagnes de subventions alimentaires et énergétiques communication officielles ont souligné au profit d’une protection sociale ciblée. Dans l’article suivant, Mahdi Halmi l’objectif du programme : la scolarisation L’accès aux soins de santé, à l’éducation explique que le Maroc a considérablement et la fréquentation scolaire des enfants, et à l’assistance sociale reposera sur la fait reculer la pauvreté et progressé dans auxquelles doit veiller la famille. stratification relative des quintiles de de nombreuses dimensions du bien- revenus : les citoyens appartenant aux être en investissant davantage dans les Tous les enfants pauvres en âge d’être deux quintiles inférieurs (les 40 pour politiques sociales. Il signale toutefois que scolarisés ne peuvent toutefois bénéficier cent les plus pauvres de la population) ces avancées ont été le fruit d’une série du programme Tayssir, qui n’est pas bénéficieront d’une assistance intégrale, les d’initiatives qu’une cartographie de 2015 encore mis en œuvre dans l’ensemble des deux quintiles suivants jouiront de droits évalue à cent quarante environ et dont municipalités. Les auteurs font également partiels et dégressifs, tandis que les 20 pour l’extrême morcellement a poussé le Maroc remarquer que ce programme de transferts cent les plus aisés ne seront pas couverts à réformer ses politiques sociales. monétaires remplit essentiellement une par la protection sociale non contributive. 10
La création d’un « Compte citoyen unifié » visant l’intégration des prestations constitue une autre mesure digne d’intérêt. ont néanmoins été étendues à la presque totalité de la population irakienne. En 2005, l’Irak a également instauré un programme « Non seulement les régimes en place de transferts monétaires baptisé Social L’article d’Abdel-Rahmen El Lahga présente Protection Network (SPN, ou « Réseau de n’exercent pas d’effet ensuite les réformes des subventions protection sociale »). Comme d’autres notable sur la pauvreté, entreprises par la Tunisie. Il envisage la mise programmes en place dans la région, le SPN en œuvre d’un programme de transferts a ajouté l’évaluation indirecte des ressources mais ils alimentent même monétaires compensatoires dont il évoque (Proxy means test, PMT) au seul ciblage les inégalités. les éventuels effets sur la pauvreté. La catégoriel sur lequel il reposait au départ. chronologie remontant à 2005 proposée Depuis 2017, le SPN touche plus d’un million par l’auteur montre que les subventions de foyers pauvres et constitue en tant que ont atteint leur niveau maximal en 2013 tel le plus vaste programme d’assistance pour ensuite baisser sous l’effet de la monétaire du pays. Si des organisations réduction des subventions énergétiques. internationales fournissent une assistance Il manifeste également sa préoccupation humanitaire en Irak, le pays dispose lui quant à d’éventuelles oppositions politiques aussi de son propre transfert monétaire suscitées par ces réformes. humanitaire destiné aux familles déplacées. La dégressivité des subventions a été Selon l’auteur, l’Irak a alloué 6,2 pour démontrée : si elles profitent dans une cent de son budget de 2017 à ses trois certaine mesure aux quintiles inférieurs principaux programmes sociaux non et intermédiaires, ce sont toutefois contributifs. Les moyens consacrés à ces les quintiles les plus favorisés qui en programmes sont toutefois inférieurs bénéficient relativement plus. Grâce à des au budget alloué au subventionnement données fiables, des études fondées sur des de l’électricité, pratiqué en Irak comme microsimulations ont pu être réalisées et dans d’autres pays de la région. Ce choix aider le Gouvernement tunisien à envisager budgétaire réduit selon l’auteur l’efficience différents scénarios de compensation. et donc l’efficacité des ressources affectées à la protection sociale. Pour lutter plus L’auteur s’interroge en outre sur ce qui se efficacement contre l’aggravation de passerait si les ressources des subventions la pauvreté en optimisant les maigres énergétiques étaient réallouées à la ressources budgétaires disponibles, protection sociale. Pour ce faire, il envisage Atif Khurshid considère que l’Irak trois scénarios différents : l’universalité, le devrait supprimer progressivement ses ciblage actuel et un ciblage parfait. Sans subventions et réallouer les ressources surprise, cet exercice révèle qu’un transfert ainsi libérées à des transferts monétaires universellement accordé à tous les Tunisiens ciblés et à un programme de cartes de se limiterait à une maigre prestation et ne rationnement mieux ciblé. produirait donc qu’un effet négligeable sur la pauvreté. Desservis par un mauvais Il signale également des déficits de ciblage et une insuffisante couverture, les couverture et souligne la nécessité deux principaux programmes d’assistance d’étendre les transferts monétaires et sociale n’amélioreraient que légèrement les d’améliorer leurs mécanismes de ciblage résultats obtenus. L’immense écart séparant pour combler les écarts de pauvreté. Le le ciblage actuel d’un ciblage parfait (mais système actuel ne permet pas de réduire irréalisable) démontre qu’il est possible le niveau très élevé de pauvreté infantile, d’accroître encore l’efficacité de la protection en particulier parmi les personnes sociale non contributive en Tunisie. déplacées. Outre le ciblage, la structure des prestations devrait elle aussi être revue Pour clore ce numéro de Policy in Focus, pour permettre d’administrer les transferts Atif Khurshid retrace l’évolution de en fonction de l’intensité de l’écart de la protection sociale en Irak à partir pauvreté et d’accroître du même coup des sanctions internationales qui ont l’efficience et l’efficacité des transferts dans suivi l’invasion irakienne du Koweït en la lutte contre la pauvreté. 1990, plongeant le pays dans une crise économique. Initialement envisagées comme une solution temporaire à une 1. Centre International de Politiques pour la crise spécifique, les cartes de rationnement Croissance Inclusive (IPC-IG). Centre International de Politiques pour la Croissance Inclusive | Policy in Focus 11
Les régimes de retraite dans les pays du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord : généreux, mais pas pour les pauvres ! 1 Markus Loewe 2 Tous les pays de la région ont ensuite y bénéficient toutefois de subventions adapté le modèle algérien ou égyptien gouvernementales finançant une partie ou Tous les pays de la région du Moyen-Orient à leurs propres besoins et préférences. l’ensemble de leurs coûts (Loewe 2010). et de l’Afrique du Nord (ou région MENA, Le modèle algérien comprend une de l’anglais Middle East and North Africa) allocation pour l’enfance sur laquelle La plupart des gouvernements de la se caractérisent par de considérables reposent d’autres régimes, qui tendent à région subventionnent un ou plusieurs inégalités en matière de protection garantir des pensions minimales calculées régimes contributifs. Certains ne couvrent sociale des personnes âgées. Les régimes proportionnellement aux revenus qu’une petite partie des coûts totaux, de pensions de vieillesse dont tous sont minimums ; au contraire, les régimes comme le Gouvernement jordanien, qui dotés disposent de budgets conséquents de pensions sociales de type assurance prend en charge le coût des règles de (2 à 5 pour cent de leur PIB) et versent conçus sur le modèle égyptien tendent pensions minimales (abordées plus bas) ; à leurs bénéficiaires de généreuses à octroyer des pensions minimales fixées d’autres assument au contraire la majorité prestations, presque équivalentes dans en termes absolus (Loewe 2010). des coûts, comme le Gouvernement certains pays au dernier salaire perçu au égyptien, qui finance à plus de 90 pour terme de quarante années de cotisation Les territoires palestiniens constituent cent les pensions versées par le « régime (Loewe 2010 ; Lustig 2016). un cas particulièrement intéressant, dans universel ». Aucun pays de la région ne la mesure où ils disposent actuellement dispose toutefois d’un régime de pensions La répartition de ces prestations est de trois régimes de retraite différents : destiné à lutter contre la pauvreté et toutefois très inégale au sein de la administrée par l’Égypte jusqu’à 1967, entièrement financé par les impôts. population : si certains groupes sociaux la Bande de Gaza utilise encore le perçoivent des transferts décents, la modèle de retraite égyptien antérieur à Presque tous les pays de la région plupart des habitants n’ont pas accès la réforme ; rattachée jusqu’en 1967 à la disposent en outre d’un système à ce type de pensions, a fortiori s’ils Jordanie, la Cisjordanie applique toujours d’assistance sociale fondé sur l’évaluation exercent des activités peu rémunérées la législation jordanienne en matière de des ressources, entièrement financé par les dans le secteur informel. Dans la région, pensions ; Jérusalem-Est se trouve pour fonds publics et destiné aux ménages ne les pensions publiques n’ont donc qu’un sa part largement intégrée dans le régime comptant aucun homme de 15 à 65 apte impact limité sur la pauvreté monétaire et israélien (Loewe 2014). à travailler. En règle générale, ces régimes contribuent même parfois à exacerber les couvrent toutefois moins de 5 pour cent inégalités. Les régimes publics de retraite À l’heure actuelle, la plupart des pays de l’ensemble des ménages, soit 20 à 25 s’y caractérisent en outre par un grave de la région disposent d’un régime pour cent des ménages vivant sous le manque d’efficacité et de viabilité. Ces de retraite non contributif et d’un seuil national de pauvreté. Les principales constats sont d’autant plus préoccupants ou plusieurs régime(s) contributif(s) exceptions à cette règle sont l’Algérie, l’Iran que les pays de la région sont peuplés de d’assurance sociale. Pratiquement et la Tunisie, dont les régimes d’assistance sociétés vieillissantes (progression rapide aucun des régimes non contributifs sociale couvrent plus de la moitié de la de la tranche des plus de 65 ans) et que ne s’adresse toutefois aux populations population (le régime iranien couvre en les formes traditionnelles de protection pauvres : ils couvrent les forces armées réalité la presque totalité des citoyens). sociale continuent de s’amenuiser. et, dans la plupart des pays (comme le Bahreïn, l’Égypte, l’Iran, le Maroc, Oman, L’offre d’assistance sociale manque de Certains pays de la région ont instauré la Tunisie et le Yémen), les fonctionnaires fiabilité dans la presque totalité des pays leur régime de retraite immédiatement et les autres employés du secteur public, de la région : les plus pauvres ne disposent après leur indépendance. Le régime de tandis que les régimes contributifs d’aucune garantie d’assistance et le quintile pensions bismarckien3 dont dispose couvrent les employés du secteur privé. le plus aisé représente une part importante l’Algérie, qui comprend non seulement La plupart des pays ne couvrent pas des bénéficiaires de certains pays (dont le une pension de retraite et une assurance les employés du secteur informel : les cas le plus extrême est l’Irak). Le montant maladie, mais aussi des allocations de travailleurs temporaires et domestiques, généralement faible des transferts est en chômage et des allocations familiales, les indépendants et dans certains pays outre insuffisant pour hisser les bénéficiaires lui vient de son héritage colonial les travailleurs agricoles (à l’exception au-dessus des seuils nationaux de pauvreté. français. L’Iran et l’Égypte l’ont suivie en notable de l’Algérie, du Bahreïn, de Les niveaux de protection assurés par 1953 et 1955, respectivement, et ont l’Égypte, de l’Iran, de la Libye et de la l’assistance sociale et les régimes publics largement copié le modèle français. Tunisie). Certains régimes contributifs de pension sont donc incomparables. 12
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