La réforme du système de santé américain - ameli.fr
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Synthèse La réforme du système de santé américain The reform of American health care system Prieur C 1 Résumé Summary Le système de santé américain est mal connu des Fran- The US health care system is not well known to the çais ; il s’organise autour d’assurances privées liées à French. It is organized around private insurance linked l’emploi et d’assurances publiques réservées à des to employment and public insurance reserved for spe- groupes particuliers (retraités, personnes à faible cific groups (retirees, military personnel, low income revenu). Baignant dans un climat de grande liberté, fai- people). It espouses the benefits of the free marketand sant appel à la concurrence comme régulateur, ce sys- uses competition as a regulator. These factors create a tème a sa propre logique très différente de la protection system with its own logic very different from the Euro- sociale européenne. pean social protection. Une analyse globale de ce système révèle ses points A comprehensive analysis of the system reveals its forts et ses défauts et explique que sa réforme soit strengths and its shortcomings and explains why devenue un objectif du nouveau président élu en 2008. reforming it became an objective of the newly elected La Constitution américaine ne fait pas du président un US President in 2008. The US Constitution does not potentat tout puissant : B. Obama a mis un an pour faire give the president all powers: B. Obama took a year to voter une réforme qui n’est pas aussi ambitieuse que pass a bill that is not as ambitious as he had desired but celle qu’il avait souhaitée mais qui corrige une partie will still address a significant portion of the current non négligeable des défauts du système quand elle sera system’s defects when it is actually implemented. mise en application effective. The Republican opposition made this reform, which L’opposition républicaine a fait de cette réforme, qui divides Americans, a decisive argument in the battle for divise les Américains, un argument de choc dans la midterm elections, which they won. bataille électorale des élections dites de milieu de man- President Obama has to defend a bill that is passed by dat, qu’elle a gagnées. Congress, but dependent for its implementation on a Le président Obama doit donc défendre une réforme collaboration between Washington and individual states votée par le Congrès mais dépendant pour son applica- under the supervision of the Supreme Court. This tion d’une collaboration entre l’État fédéral et les États reform is a compromise: only the reelection of B. fédérés sous la surveillance de la Cour suprême. Cette Obama in 2012 will anchor definitively the Patient Pro- réforme est un compromis : seule la réélection de B. tection and Affordable Care Act (PPACA) of March 23, Obama en 2012 permettra un ancrage définitif du 2010 as the new reality for the American healthcare Patient protection and affordable act du 23 mars 2010 system. dans la réalité du système de santé américain. Prat Organ Soins. 2011;42(4):265-275 Prat Organ Soins. 2011;42(4):265-275 Mots-clés : États-Unis d’Amérique ; organisation et Keywords: Unites States; health care economics and économie des soins de santé ; Medicare ; Medicaid ; organizations Medicare; Medicaid; health care reform. réforme Obama. 1 Ancien directeur de la Caisse nationale d’assurance maladie. Adresse pour correspondance : Christian Prieur, 51, rue Galilée, F-75116 Paris. E-mail : chrprieur@wanadoo.fr Pratiques et Organisation des Soins volume 42 n° 4 / octobre-décembre 2011 265
La réforme du système de santé américain INTRODUCTION 1. Une assurance maladie privée liée à l’emploi Élu en novembre 2008, ayant pris ses fonctions en jan- Tous les Américains qui ont un emploi stable dans une vier 2009, B. Obama a choisi, au milieu des nombreux grande entreprise peuvent adhérer au « plan d’entre- dossiers qui lui incombent (crise économique et finan- prise » de leur employeur, c’est-à-dire que le salarié se cière, Irak, Afghanistan, relations avec la Chine et les voit proposer un contrat auprès d’une compagnie qui va pays en voie de développement, lutte contre le réchauf- financer sa consommation de soins de santé. Ce contrat fement climatique), de s’attaquer aux problèmes de a été négocié par l’employeur quant à son contenu l’organisation du système de santé et de son finance- (prestations servies en cas de maladie) et à son coût ment. Le sujet avait été peu présent dans la campagne (montant de la prime). Ce contrat est assorti de quelques électorale, même si son challenger dans les élections options (extension de la couverture à la famille, choix primaires au sein du parti démocrate avait évoqué ce de différents niveaux de franchises). qui avait été pour elle et son mari, le président Bill Parallèlement, les syndicats de salariés et l’employeur Clinton, un échec sévère dans les années 1990. ont discuté du montant de la participation de l’entre- Pourquoi cette priorité ? Les Américains seraient-ils mal prise au financement de la prime, le salarié en conser- soignés ou peu satisfaits de leur système de santé ? vant une autre partie plus ou moins importante à sa Comment le président Obama, démocrate, a-t-il pu faire charge. La contribution de l’employeur comme la par- adopter par le Congrès une réforme que celui-ci n’avait ticipation du salarié sont déductibles de l’assiette de pas abordé depuis sa propre élection en 2006 du fait de l’impôt sur les sociétés et de l’assiette de l’impôt sur le l’opposition résolue du président Bush, républicain? revenu du salarié. Quelle réforme du système a été votée en mars 2010 ? Cet avantage fiscal est un puissant moteur du dévelop- Pour répondre à ces questions, il faut examiner avec nos pement de cette assurance maladie privée mais on yeux de Français le système de santé américain, sans remarquera qu’il n’y a nulle part la moindre obligation : omettre le regard des principaux intéressés [1, 2]. les entreprises peuvent aussi bien créer elles-mêmes Ceux-ci, tout en étant critiques, considèrent que le ser- leur propre système de soins (ce qui est une réalité), vice public anglais, c’est le « communisme en marche » comme être leur propre assureur, comme elles peuvent et que le système français est un modèle socialiste trop ne pas participer au financement de l’assurance mala- éloigné de leurs propres valeurs, et sur le point de faire die de leurs salariés qui doivent, alors, se tourner vers faillite. En outre, les médecins sont convaincus que les les assurances privées, ce qui est le cas des petites soins très techniques sont d’un meilleur niveau qu’en entreprises. De même, le salarié peut en théorie récuser Europe : la princesse Diana serait en vie si son accident l’assurance collective négociée par son employeur et était arrivé à New York. choisir lui-même son contrat auprès d’un autre assureur que celui de son entreprise et même ne pas s’assurer du tout. Mais il s’agit là de marges de choix théoriques, COMMENT LES AMÉRICAINS toute assurance autre que l’assurance collective de SONT-ILS SOIGNÉS ? l’employeur se révélant plus coûteuse. Les États-Unis disposent d’un système de soins d’un Ce système d’assurance maladie privée, lié à l’emploi, haut niveau scientifique car les chercheurs y affluent, s’est fortement développé pour quatre motifs. portés par l’effort financier consenti sur fonds publics D’une part, le président Roosevelt dans sa politique de pour la recherche en général et la recherche médicale New Deal pour lutter contre la crise de 1929 n’a pas en particulier. C’est en effet un domaine où l’interven- réussi à faire voter par le Congrès, dans le cadre du tion de l’État est admise sans obstacle idéologique ; le Social Security Act de 1935, le principe d’une assu- climat de liberté et de découverte qui anime la société rance maladie obligatoire et a dû se contenter d’une américaine ainsi que les nombreuses fondations, finan- assurance retraite et d’une assurance chômage : la voie çant la recherche, y contribuent également : la plupart était libre pour l’assurance maladie privée. des prix Nobel de médecine sont américains. En second lieu pendant la guerre, les salaires ayant été bloqués, les entreprises, pour fidéliser leur personnel, ont Les innovations se répandent rapidement à travers un été incitées par les avantages fiscaux signalés ci-dessus à réseau hospitalier comportant des établissements à but développer une protection maladie pour leurs salariés. non lucratif et des cliniques privées, s’appuyant sur une En troisième lieu, ce système est conforme à la culture médecine de ville multiforme (cabinets individuels et politique américaine individualiste et hostile à toute collectifs). Le système productif de soins – qui est la redistribution des « riches » vers les pauvres : les seconde industrie aux États-Unis après l’énergie et le primes d’assurance sont indépendantes du salaire des second gisement d’emploi – est financé par une série assurés comme l’est l’aide des entreprises. On est loin de mécanismes individuels ou collectifs qui en consti- des cotisations proportionnelles aux salaires des sys- tuent le soubassement. tèmes français et allemands. 266 Pratiques et Organisation des Soins volume 42 n° 4 / octobre-décembre 2011
Prieur C Enfin, les contraintes sur les professionnels de santé, annoncé par son prédécesseur, le président Kennedy, qui avaient fait échouer le projet de Roosevelt, sont avant son assassinat. Cette loi instaure une assurance minimes puisque les contrats prévoient le rembourse- maladie collective publique obligatoire financée par ment des journées d’hospitalisation sur la base d’un une taxation des entreprises assise sur les salaires, prix calculé à partir des dépenses passées de chaque payée moitié par les entreprises moitié par les salariés établissement. D’autre part, les honoraires sont ceux eux-mêmes, complétée par un financement fédéral : qui sont pratiqués dans chaque zone géographique de c’est le programme Medicare. façon courante ; la plupart des contrats sont muets sur Autrement dit, pendant leur vie active, les salariés et les le remboursement des produits pharmaceutiques dont entreprises payent un impôt qui alimente un fonds spé- les prix sont libres. cial complété par des subventions de l’État fédéral, pour avoir la certitude qu’à 65 ans ils pourront bénéfi- Néanmoins, ce système très inflationniste a été, au fil cier, en s’adressant à un assureur privé de leur choix, du temps, corrigé sur plusieurs points sous la pression du panier de soins remboursés par le Center for Medicare des entreprises qui voyaient s’envoler le coût des & Medicaid services (CMS) qui gère le fonds en ques- primes. D’une part, les contrats sont devenus moins tion : c’est le premier programme public d’assurance généreux : apparition de tickets modérateurs et de fran- maladie. Il couvre également les malades en dialyse chises de plus en plus élevées, limitation du nombre de rénale de tous âges ainsi que les invalides et handicapés journées d’hospitalisation remboursables. D’autre part, de moins de 65 ans. les assureurs en concurrence ont développé des for- mules de Health maintenance organization (HMO), Ce système public est très en deçà de ce que nous appe- c’est-à-dire des systèmes de réseaux de soins avec lons assurance obligatoire en France. En effet, le Fonds médecins salariés intéressés à la maîtrise des coûts comporte quatre sections : (parcours de soins impératifs) et établissements payés • La section A, financée intégralement par les cotisa- de façon prospective sur la base de tarifs par groupes tions assises sur les salaires (3 % de la masse homogènes de malades. salariale), couvre l’hospitalisation (60 jours par an maximum) avec une franchise annuelle de 800 dol- L’assurance privée volontaire est la principale forme lars ainsi que 100 jours par an d’hospitalisation à d’assurance santé pour les trois quarts des Américains domicile et de soins infirmiers. de moins de 65 ans, qu’elle soit liée à l’emploi (contrats • La section B est facultative et payante pour l’assuré. groupe d’entreprise) ou qu’elle soit individuelle (tra- Elle couvre environ 40 % des soins en ambulatoire vailleurs indépendants, chômeurs, salariés précaires). Ce avec franchise et tickets modérateurs (20 %) et sans système obéit aux lois du marché, la concurrence s’exer- prise en charge des médicaments. Cette section est çant au niveau des primes, des prestations couvertes et financée par les primes des assurés (25 % de la des différentes options proposées (système avec HMO dépense) et une subvention de l’Etat fédéral qui où la liberté du patient est limitée, ou sans HMO). couvre 75 % de la dépense. À côté de ce dispositif existe une assurance maladie • La section C est une reproduction de la partie B propre aux fonctionnaires (facultative mais ils y adhè- (soins de ville) mais proposée par des assurances pri- rent tous) et un service de santé publique particulière- vées utilisant des techniques de managed care (HMO) ment dynamique pour les anciens combattants (plusieurs supposées moins chères que la section B. dizaines de millions de bénéficiaires). • La section D, instituée par les républicains en 2003, est une assurance facultative payante (prime men- 2. Une assurance publique pour les retraités suelle) couvrant les achats de médicaments avec fran- et les indigents chise annuelle, ticket modérateur de 25 % et plafond de dépenses recouvrables à 2 400 dollars par an ; au- Il restait toutefois, en dehors de l’assurance privée, delà, il n’y a plus de prise en charge. C’est le trou deux catégories de personnes importantes en nombre : noir (doughnut hole) ; mais au-delà de 5 400 dollars les retraités qui ne bénéficient plus de l’assurance col- de médicaments par an, la couverture réapparaît avec lective de leur entreprise et les personnes qui, pour des un ticket modérateur de 5 %. raisons diverses, n’ont pas les moyens de se payer une prime d’assurance ; au total, près de 40 % de la popu- Le programme Medicare est en déficit sur les sections lation américaine. B, C et D ce qui veut dire qu’il faut périodiquement en revoir les différents paramètres : prime des assurés, a) Medicare ticket modérateur et franchises diverses payées par les malades, subventions de l’État fédéral. Il en sera de Pour les retraités, le président Johnson, démocrate et même bientôt pour la partie A dont le nombre d’assurés fin manœuvrier parlementaire, réussit en 1965 à faire augmente rapidement du fait de l’accès des baby boo- voter par le Congrès une loi dont le projet avait été mers à l’âge de la retraite. Pratiques et Organisation des Soins volume 42 n° 4 / octobre-décembre 2011 267
La réforme du système de santé américain Le programme Medicare que gère le CMS est donc, en partie des non-assurés retrouve une assurance liée à fait, une assurance obligatoire pour les cotisants qui l’emploi mais ce retour à l’assurance n’est pas facile, donne droit, au moment de la retraite, au rembourse- les assureurs se protègent contre les salariés alternant ment d’un panier de soins axé sur l’hospitalisation, chômage et emploi par des conditions d’exclusion et moyennant primes et franchises (section A). des primes élevées. Certes, la population non-assurée Les ressortissants de Medicare peuvent se couvrir ou mal assurée ne meurt pas dans la rue car, en cas contre les risques hors panier de soins de la section A, d’urgence, les hôpitaux sont obligés d’accueillir ces en souscrivant des polices individuelles : sections B, C, malades gratuitement et majorent leur prix, c’est-à-dire D. Nous sommes loin d’une assurance maladie de type font payer les clients couverts par une assurance. européen. 4. Bilan global du système de santé américain b) Medicaid L’importance du nombre des non-assurés (15 % de la Second programme public, Medicaid est un programme population) n’est pas la seule tare du système dont on fédéral mis en place par l’administration Johnson en a dit l’excellence sur le plan technique. 1965 dans le cadre de la lutte contre la pauvreté. La loi En effet, c’est le système le plus cher au monde, que ce fédérale définit un panier minimal couvert et une popu- soit en pourcentage du produit intérieur brut (PIB) lation minimale concernée : ce sont les bénéficiaires (États-Unis = 16 %, France = 11 %), ou en dollars par des aides sociales des États, c’est-à-dire ceux qui ont habitant (États-Unis = 7 200 dollars, France = 3 600, un revenu inférieur à un seuil de pauvreté, lequel a une Grande-Bretagne = 3 000 en 2006). Or, les États-Unis définition fédérale et une définition dans chaque État. ne peuvent évoquer le phénomène du vieillissement de Ce programme est financé partie par les États et partie leur population car, du fait de l’immigration, elle est par l’État fédéral qui accorde une subvention à chaque plus jeune que celle des pays européens. État en fonction de sa richesse propre. Pourquoi ces coûts élevés ? Essentiellement en raison Chaque bénéficiaire reconnu s’adresse à un assureur des prix et non des volumes : l’Américain moyen ne qui doit lui appliquer le contrat Medicaid (panier de consomme pas plus de séances de médecins ou de jour- soins + franchises éventuelles) et se fait rembourser par nées d’hôpital que l’Européen moyen. le CMS, gestionnaire de Medicare et Medicaid. Par contre, il y a souvent une sur-utilisation de techno- En outre, l’administration fédérale de la santé (CMS) logies sophistiquées aussi bien à la naissance qu’en fin gère un réseau important de centres de santé commu- de vie. nautaires comprenant médecins, dentistes, pharmaciens, Les prix sont plus élevés qu’en Europe parce que les infirmiers, assistantes sociales, spécialement dédiés à études médicales sont chères (les médecins doivent des populations marginalisées à des titres divers ; ce rembourser de lourds emprunts), parce que les assu- réseau dispense des soins à 4 à 6 % de la population rances de responsabilité civile, entraînées par la judicia- dans chaque État. C’est le service public de santé dédié risation du système de santé, sont coûteuses. Enfin, les aux très pauvres et autres marginaux. prix sont libres, les assureurs publics et privés n’ayant ni la volonté ni les moyens de réguler le marché de la 3. Un système lacunaire santé (voir le mécanisme complexe de fixation par les assurances publiques des honoraires des médecins tra- On constate donc l’extrême complexité du système de vaillant pour elles), à partir d’une nomenclature (pon- santé et de son financement. Il pourrait se comparer à dération des actes les uns par rapport aux autres) un tas de petits cubes d’inégales grosseurs, chaque cube élaborée par l’Association des médecins américains qui étant caractérisé par les assurés éligibles, le panier de en détient la propriété intellectuelle ! biens et services couverts, les primes versées mais aussi De plus, les variations sensibles de pratiques et de les tickets modérateurs et autres franchises, le mode dépenses médicales d’un territoire à l’autre dans l’im- d’organisation et le degré de liberté accordés aux mense continent américain laissent penser que le sys- patients comme aux professionnels de santé. tème de santé est le lieu de gaspillages importants en En définitive, sur 300 millions d’Américains, 200 trou- volume de soins, certains en consommant trop et vent leur place dans un « cube » d’assurance privée d’autres pas assez. avec des taux de couverture très variables, 52 millions Le fait que le système de santé n’utilise pas beaucoup relèvent d’un programme public avec des taux de cou- les innovations technologiques majeures qui ont eu lieu verture également variables et 48 millions ne rentrent dans le domaine de l’informatique médicale et des dans aucune case, trop riches pour rentrer dans le pro- systèmes d’information corrobore l’impression de gas- gramme Medicaid mais trop pauvres pour se payer une pillages considérables. L’exemple du système de santé prime d’assurances : il s’agit de chômeurs, de petits des veterans qui, avec l’aide d’un dossier médical indi- salariés, de petits artisans. Certes, cette population fluc- viduel informatisé, a réalisé d’importantes économies, tue avec le taux de chômage ; quand il baisse, une incite à moderniser un coûteux système de santé. 268 Pratiques et Organisation des Soins volume 42 n° 4 / octobre-décembre 2011
Prieur C Les assureurs sont bien soumis à la concurrence mais Enfin, l’efficience du système de santé en termes de ils préfèrent sélectionner les risques au niveau de leurs santé de la population n’est pas brillante, que ce soit sur assurés plutôt que d’intervenir dans le domaine des le plan de l’espérance de vie inférieure à celle de la prix, sans parler de la paperasse considérable due à la France ou du taux de mortalité à la naissance. Les multiplicité des « cubes » évoqués plus haut, fait que le États-Unis dépensent beaucoup pour leur santé mais les coût de gestion du système est cinq fois plus élevé résultats ne sont pas à la hauteur de l’argent dépensé. qu’en France. De plus, ils se sont concentrés et dans la En 2000, le classement par l’Organisation mondiale de plupart des États fédérés il ne reste que trois ou quatre la santé des systèmes de santé, selon une batterie de assureurs. critères, a placé les États-Unis au 37e rang, loin derrière Si le système est coûteux, il l’est pour tous les finan- les pays européens, la France occupant la pôle position. ceurs ; les entreprises payent 30 % des dépenses de Système coûteux, fragmenté, inégalitaire, peu efficient, santé, les ménages en supportent 20 % (primes et par- le système de santé américain appelle la réforme ; ticipations aux dépenses de soins) et l’État finance celle-ci s’est invitée dans la campagne électorale de 50 % à travers les programmes publics. Donc le coût du 2008, signe que le statu quo n’est plus tenable, mais il système de santé pèse sur la compétitivité des entre- s’agit d’un problème politique certain. Le système de prises (General motors dépense plus pour l’assurance santé américain tel qu’il est financé est une création maladie de ses employés que pour la tôle de ses voi- démocrate à laquelle les républicains se sont constam- tures) ; il impacte les finances publiques (Medicare et ment opposés, ruinant tout projet d’assurance univer- Medicaid sont gourmands et néanmoins déficitaires) et selle publique. accroît la dette fédérale ; il constitue enfin une lourde charge pour les ménages. Ajoutons que le développement du chômage lié à la LA DIFFICILE ÉLABORATION crise, le coût croissant des primes pour les entreprises DE LA RÉFORME OBAMA qui réduisent leurs participations, suscitent une inquié- tude réelle dans la classe moyenne qui craint que le En mars 2009, deux mois après son installation à la moindre accident de santé ne tourne au cauchemar : en Maison Blanche, le Président Obama indiquait que la 2008, c’est plus de 700 000 familles qui ont fait faillite réforme des systèmes de santé ne passerait pas au rang (obligation de vendre la maison) pour des motifs tenant des promesses électorales non satisfaites et qu’il enten- au frais de soins non financés par un tiers. dait faire voter une réforme par le Congrès, si possible En outre, les compagnies d’assurance, qui sont les opé- bipartisane. De quelle marge de manœuvre disposait-il rateurs en contact avec le public, ont bien compris que sur le plan des institutions comme sur celui de la poli- la meilleure façon de rentabiliser leur capital et de faire tique « politicienne » ? des bénéfices est de sélectionner les risques (refus de signer un contrat avec une personne ayant ou paraissant 1. Que peut faire le président des États-Unis avoir des antécédents médicaux ou tarification dissua- sur le plan des institutions ? sive) et de contester l’application du contrat en prétex- tant le non-respect par le malade d’une stipulation Le système de santé américain est une construction non rédigée en termes obscurs. stabilisée qui se situe à l’intersection de la compétence Les comportements de certaines compagnies d’assu- des États fédérés et de l’État fédéral, la frontière n’étant rance ont suscité de vives réactions comme en témoigne pas délimitée de façon précise. L’organisation des soins le film Sicko du réalisateur Michael Moore, sorti en salles relève des États fédérés ou du jeu d’un marché libre. Le en 2007. De lourdes amendes émanant de l’autorité de financement peut faire intervenir les finances fédérales régulation de la concurrence ont certes sanctionné ces soit par l’octroi d’avantages fiscaux, soit en finançant pratiques ; celles-ci, qui perdurent, entretiennent un des organismes privés en charge d’une mission définie : certain malaise autour du fonctionnement du système rembourser des dépenses de soins à des individus de santé. répondant à certaines caractéristiques (retraités) dans le Il n’est pas jusqu’au très grand nombre de procès – cadre d’un contrat bien défini (panier de soins). mais il y a beaucoup plus d’avocats aux États-Unis Pour réformer le système de santé, il faut que le Congrès qu’en France et leurs honoraires sont fonction des vote une loi en respectant la Constitution. Les Américains résultats financiers qu’ils obtiennent et ils peuvent ont un attachement viscéral à leur Constitution peu faire de la publicité – en responsabilité médicale, qui modifiée depuis 1787 ; elle leur paraît organiser une donnent le sentiment d’une disproportion entre cer- répartition équilibrée entre les pouvoirs, de nature à tains coûts et la qualité réelle de la médecine pratiquée. préserver la liberté de tous sans entraver l’indispensable Cette judiciarisation de la médecine pousse les méde- action collective : c’est à leurs yeux la meilleure du cins à se couvrir en pratiquant une médecine abon- monde ! dante en examens de toutes natures (un scanner pour Ce système de checks and balances est bien différent une migraine). du présidentialisme « à la française » où le président, Pratiques et Organisation des Soins volume 42 n° 4 / octobre-décembre 2011 269
La réforme du système de santé américain leader de sa majorité, dispose de pouvoirs suffisants sur heures) qui ne peut être levée qu’à la majorité qualifiée le parlement pour le contraindre (maniement de l’ordre des trois cinquième des sénateurs (3/5 = 60 voix). du jour, procédure de vote bloqué) à voter un projet de Pour « corser » les choses, les démocrates qui dispo- loi auquel il tient. saient des 60 voix nécessaires au Sénat pour contrer le flibusting sont descendus, début 2010, à 59 voix à la Cette Constitution met en place trois pouvoirs : suite du décès de Ted Kennedy, sénateur du Massachusetts, –– le Congrès composé de deux chambres : le Sénat à fervent défenseur de l’assurance maladie universelle, raison de deux représentants par État (100 membres décédé en cours de mandat et remplacé, à la surprise élus pour six ans, renouvelés par tiers tous les deux générale, par un républicain d’extrême-droite alors que ans), la Chambre des représentants (450 membres élus son siège était acquis aux démocrates depuis des dans le cadre des États fédérés tous les deux ans) ; décennies. –– le président élu au suffrage universel au second degré, En cas de désaccord entre les deux chambres – ce qui tous les quatre ans pour un mandat (renouvelable une peut d’autant plus se produire qu’il n’y a pas de navette fois) ; organisée entre les assemblées qui sont autonomes dans –– la Cour suprême, dont les neuf membres sont nom- leur ordre du jour et dans les textes qu’elles examinent més à vie par le président, gardienne vigilante de la – il faut alors trouver un texte de compromis qui puisse Constitution qui peut censurer les lois du Congrès être voté dans les mêmes termes dans chaque chambre. comme les actes du président. B. Obama s’est beaucoup appuyé sur les présidents des Ces pouvoirs sont indépendants les uns des autres ; le deux assemblées comme sur les leaders démocrates Congrès vote les lois et le président ne peut déposer un pour faire avancer les choses : il y a eu trois ou quatre projet de loi comme le fait en France le Premier textes en circulation comportant chacun plusieurs cen- ministre ; il ne peut que faire des suggestions ou oppo- taines de pages. ser son veto à une loi votée. Quand le texte de compromis est adopté par le Congrès, Le président est assisté d’un gouvernement avec des il est transmis au président qui l’approuve ou oppose administrations fédérales (secrétaire à la Santé) qui ne son veto, explicitement ou implicitement, en ne le peuvent agir que dans le domaine des compétences signant pas, ce qui le rend caduc à la fin de la session fédérales. De plus, il est flanqué d’organes de régula- du Congrès. Mais le président ne peut approuver un tion indépendants, créés par le Congrès, qui agissent texte partiellement ; son veto n’est pas sélectif. dans des domaines qui en France relèvent de l’État : L’articulation entre le président et le Congrès se trouve concurrence, circulation aérienne, transports, etc. au niveau des partis : il n’y en a que deux aux États- Autant de domaines où l’autorité du président est limi- Unis : démocrates et républicains et la majorité du tée. Le président nomme les juges de la Cour suprême Congrès peut ne pas correspondre au parti du président qui sont inamovibles mais le Sénat contrôle les nomi- d’autant plus que la Chambre des représentants est élue nations du président à tous les postes importants y com- tous les deux ans. La Chambre élue en novembre 2008 pris les ministres. C’est ainsi que B. Obama a dû s’y était démocrate mais elle était renouvelable en 2010 ce prendre à deux fois pour nommer un secrétaire fédéral qui a rendu les représentants sensibles aux pressions à la santé, le premier désigné n’ayant pas pu, en raison des lobbies comme aux réactions de l’opinion publique. de son passé (fiscal !), franchir le cap des auditions des La majorité au Sénat est également démocrate mais elle commissions du Sénat. est plus courte. Bien que démocrate, le Congrès ne Ajoutons que la procédure législative est lente et com- s’était pas penché sur le système de santé en 2008 alors pliquée : propositions de lois émanant de membres de même que ses problèmes de financement devenaient Congrès, déposées dans l’une ou l’autre des chambres, préoccupants (déficit de Medicare). examen par les commissions permanentes compétentes – il y en a cinq concernées pour la santé dans les deux 2. Quelle marge de manœuvre pour Obama assemblées – avec force auditions publiques des lobbies sur le plan politique en matière de santé ? concernés, chiffrages du coût des projets de lois par le General accounting office – sorte de Cour des comptes Le système de santé tel qu’il est organisé et financé impartiale dépendant du Congrès – élaboration ou non constitue un point d’équilibre politique entre les d’un texte approuvé par chaque commission concernée, mesures voulues, depuis Roosevelt, par des présidents transmission de ce texte à la discussion plénière de démocrates soucieux de permettre au plus grand nombre chaque assemblée, rapprochement des textes différents d’Américains d’accéder aux soins sans barrière finan- des commissions. cière et celles de présidents républicains qui s’oppo- En outre, ce parcours marathonien est suspendu aux saient au mouvement en invoquant les grands principes règles de limitation de la durée des débats, différentes (liberté et responsabilité, droit des États fédérés, équi- dans chaque assemblée. Notamment au Sénat, la dis- libre des finances publiques) sans avoir pu remettre en cussion en séance publique peut être bloquée par la question fondamentalement l’œuvre des démocrates procédure du flibusting (lecture de la Bible pendant des telle qu’elle résulte des textes de 1965. 270 Pratiques et Organisation des Soins volume 42 n° 4 / octobre-décembre 2011
Prieur C Les deux grands partis qui détiennent de fait, aux États- respectent quelques grands principes de philosophie Unis, le monopole de la représentation du peuple sont politique pratique : d’abord des machines à conquérir le pouvoir et à l’exer- cer, en commençant au niveau des États fédérés qui • Premier principe : la liberté. C’est la liberté d’entre- sont tous dotés d’un exécutif (gouverneur), d’une prendre, la concurrence qui ont fait la force et la assemblée, d’une cour de justice et de deux sénateurs. richesse des États-Unis et de ses habitants. La politique se fait donc au niveau local. • Second principe : le travail. C’est la création, l’initia- De plus, l’idéologie n’a pas beaucoup de place dans la tive, la volonté d’améliorer son sort. Toute personne doctrine de chaque parti parce que les États-Unis sont quel que soit son groupe d’appartenance ou sa classe trop divers, trop étendus – un continent – l’électorat de sociale qui travaille dur, peut réussir, accéder à la chaque parti trop hétérogène pour que les élections classe moyenne, voire devenir très riche : c’est le rêve puissent servir de faire valoir d’une idéologie. Pensons américain. aux différences entre les différents partis conservateurs, • Troisième principe : la responsabilité. Au royaume de libéraux, socialistes de l’Europe. C’est ainsi que le la liberté, il est de la responsabilité de chacun de maire de New York a été élu comme démocrate, réélu trouver un emploi, d’épargner pour ses vieux jours et comme républicain : devenu indépendant, son immense de s’assurer pour faire face aux conséquences de la fortune lui permet de se passer de l’aide de la machine maladie. électorale d’un parti. • Quatrième principe : la charité. « Si mon revenu est L’absence de doctrine forte au niveau des partis fait que élevé parce que je travaille beaucoup, j’ai le devoir de le président doit trouver sur chaque projet une majorité donner une partie de mon argent et de mon temps » qui peut comprendre certains membres du parti d’oppo- pour aider les pauvres à travers des œuvres chari- sition : chacun des partis a son aile extrémiste et son tables, de préférence de proximité, souvent créées par centre. Les projets du président qui passent l’obstacle des Églises. Ce principe paraît singulier pour un du Congrès sont souvent ceux qui réunissent les centres Français ; mais les Américains sont un peuple fonciè- des deux partis. Mais en matière de santé, le conflit entre rement religieux qui finance de nombreuses écoles, les partis a déjà eu l’occasion de s’exercer et les argu- universités, fondations et autres œuvres sociales, ments de chaque côté vont pouvoir resservir d’autant chrétiennes ou juives. Plus de 90 % de la population plus que la santé est matière à dérive sur des croisades croit en Dieu et il n’existe aucune honte outre-Atlan- morales : avortement, euthanasie, recherche sur les cel- tique à afficher publiquement sa spiritualité. En lules souches, interdiction de fumer, consommation France, on imagine mal le président de la République alcoolique, soins aux immigrés et autres « sans papier ». prêter serment sur la Bible et terminer ses discours Chaque parti a ses préférences au niveau des solutions par la référence à Dieu : God bless America. Les à apporter à un problème donné. Les républicains font Américains sont foncièrement imprégnés de valeurs confiance au marché et croient dans les vertus de la judéo-chrétiennes. concurrence individuelle mais se méfient de l’État. Le parti républicain a évolué : d’un républicanisme modéré Ces principes qui servent de toile de fond à la lutte incarné par le président Eisenhower qui acceptait l’hé- électorale des deux grands partis sont défavorables à ritage du New deal, on est passé à un républicanisme toute action de l’État car celle-ci est nécessairement agressif – le Bien contre le Mal – soutenu par une reli- attentatoire à la liberté (obligation d’assurance) ; elle giosité fondamentaliste ; le débat au sein du parti répu- ampute les revenus du travail au profit de pauvres qui blicain entre son aile centriste et son aile droite porte doivent cet état à leur absence de volonté de travailler. sur des problèmes culturels au premier rang desquels L’impôt ne peut servir qu’à aider temporairement des figure le « droit à la vie » (lutte contre l’avortement), la pauvres méritants. prière à l’école et le droit de porter des armes à feu. Le système de santé, tel qu’il existe en 2009, est un Les démocrates sont plus sensibles aux problèmes des compromis qui respecte les grands principes : inégalités et considèrent que l’État est là pour corriger –– pas d’obligation d’assurance, liberté dans le choix du les dérives du marché ; c’est bien pourquoi les avancées degré de couverture ; en matière d’assurance maladie sont le fait de prési- –– intervention de l’État limitée aux retraités sans règles dents démocrates mais qui n’ont pu aller jusqu’au bout uniformes et aux pauvres dont les États locaux exa- de leurs intentions, freinés qu’ils ont été par des élus dont minent les mérites ; tous n’appartenaient pas à l’opposition républicaine. –– minimum de contraintes en matière de prix pour les Car démocrates et républicains ont une vision identique professionnels de santé qui doivent néanmoins accep- de leur Constitution – la meilleure du monde – de leur ter les conséquences de la concurrence entre assu- propre rôle – machines électorales – et de la société reurs sous la forme des HMO (réseaux de soins avec dont ils sont l’expression et le soutien. Pour les deux médecins salariés et parcours de soins balisés) comme partis, les États-Unis sont devenus la première puis- des vérifications qualitatives du bien-fondé des actes sance économique mondiale parce que leurs habitants (protocoles normatifs). Pratiques et Organisation des Soins volume 42 n° 4 / octobre-décembre 2011 271
La réforme du système de santé américain Néanmoins, ce compromis présente des défauts impor- montrant que la réforme allait coûter très cher aux tants : coût considérable et croissant, efficacité discutée 66 % d’Américains disposant d’une assurance indivi- et inégalités majeures sans parler du comportement des duelle ou collective, au profit de catégories marginales assureurs privés augmentant leurs primes – et leurs (étrangers) et de gens qui avaient fait le choix de ne pas bénéfices – et rechignant à rembourser les dépenses de s’assurer. De plus, le poids de l’État fédéral s’en trou- soins sous des prétextes divers. verait accru au mépris des grands principes politiques Autrement dit, la réforme souhaitée par un grand cités ci-dessus. nombre d’Américains doit poursuivre deux objectifs Pendant un an (mars 2009/avril 2010), alternant décla- contradictoires : rations publiques, message solennel au Congrès, –– réduire les coûts du système existant qui demande confrontation télévisée avec les opposants républicains, chaque année toujours plus à ses financeurs : l’État B. Obama a fait pression sur le Congrès et ses élus, pour 50 % des dépenses de santé, les entreprises pour notamment démocrates, pour qu’ils adoptent un com- 30 % et les ménages pour 20 % ; promis entre les souhaits de la gauche démocrate (créer –– élargir le système pour donner une couverture aux une assurance universelle, obligatoire publique) et les 50 millions d’Américains qui n’en ont pas et amé- désirs des démocrates modérés et de certains républi- liorer la couverture de 100 millions d’Américains qui cains (réparer ce qui ne marche pas dans le système sont mal couverts. Quelle que soit la formule retenue, sans en modifier l’architecture générale). cet élargissement aura un coût. C’est ainsi que le président a signé deux textes de réforme, adoptés par le Sénat puis par la Chambre, au Atteindre le second objectif dépendra donc des résultats terme d’une procédure peu usitée de « réconciliation » obtenus sur le premier, lequel demandera beaucoup entre textes différents votés par les deux assemblées : plus de temps et permettra aux républicains d’imputer c’est le Patient protection and affordable care act le coût croissant de la santé à la poursuite du second (ACA), signé le 23 mars 2010, complété par le Health objectif « social ». care and Education reconciliation act of 2010, signé le 30 mars 2010 [3]. 3. La démarche suivie par le président La procédure de « reconciliation » utilisée a pour but de contraindre le Congrès à voter des crédits budgétaires B. Obama a d’abord tiré les leçons de l’échec du projet jugés indispensables à une action donnée, pour être sûr Clinton de 1993 : il n’a pas proposé un texte en essayant qu’ils figureront dans le budget fédéral voté en fin de négocier avec les innombrables lobbies attachés au d’année : dans ce but, le nombre d’amendements pos- statu quo. Il s’est contenté d’obtenir un acquiescement sible est limité ainsi que la durée des débats : le vote se du bout des lèvres de la toute puissante Association des fait à la majorité simple au Sénat (pas de flibusting pos- médecins (AMA) et de l’industrie pharmaceutique sur sible) [3]. la nécessité d’une réforme, le statu quo n’étant plus Au terme de ces douze mois de débats, le président a supportable par les financeurs. renoncé à l’idée d’une assurance publique susceptible Il a obtenu le soutien du milieu des entreprises mais le de peser sur les prix des biens et services médicaux ; il lobby des assureurs privés a dépensé des millions de s’est rallié à une solution progressive, imitée de la dollars auprès des représentants en instance de réélec- réforme en cours de mise en place dans l’État de tion pour éviter le pire à leurs yeux : l’institution d’une Massachusetts ; cette réforme fait évoluer un grand assurance publique qui viendrait les concurrencer. nombre des dispositions qui forment le cadre du fonc- Contrairement à la France, les subventions aux partis tionnement du système actuel (voir la première partie politiques sont autorisées aux États-Unis. La Cour du présent article). suprême vient même d’annuler, au nom de la liberté, un Mais en définitive, en raison de cette procédure de texte visant à les plafonner ; mais elles sont publiques « réconciliation », le président Obama n’a pu rallier à c’est-à-dire qu’après chaque scrutin sur la réforme de sa réforme un minimum de républicains du centre – la santé on pouvait trouver dans la presse ce que chaque aucune voix républicaine n’a approuvé le texte – ce représentant avait reçu aussi bien que le pourcentage de qui explique pourquoi le parti républicain, excité par non-assurés dans sa circonscription. son aile droite, fait de la réforme de la santé un terrain Pour s’opposer à ce lobby actif, le président Obama a de guerre sans merci contre l’administration mis en lumière le comportement de certains assureurs : démocrate. utilisation d’un logiciel informatique permettant à par- On remarquera que le président Obama a utilisé la tir de la consommation d’une personne, de détecter ses même tactique pour faire voter par le Congrès la loi prédispositions à être atteinte d’une maladie donnée relative à la réforme de la régulation financière, second provoquant son exclusion du contrat pour dissimula- grand dossier de la première partie de sa présidence : tion ; en dénonçant la cupidité des assureurs, Obama a mobilisation des leaders démocrates élus, appel à l’opi- ainsi pu s’appuyer sur l’opinion publique. De leur côté, nion publique, stigmatisation des comportements ban- les républicains ont déclenché une violente campagne caires dont les excès ont provoqué une crise grave 272 Pratiques et Organisation des Soins volume 42 n° 4 / octobre-décembre 2011
Prieur C obligeant le contribuable à sauver certaines banques, De même, toute personne sera tenue d’être assurée soit même solution de compromis entre les désirs de la par son employeur soit directement ; à défaut, elle devra gauche du parti démocrate et ceux des modérés répu- payer une amende annuelle qui augmentera progressi- blicains, compromis consigné dans un texte de vement pour atteindre 2,5 % de ses revenus en 2016. 2 300 pages, voté en termes identiques par les deux Les « pauvres » sont dispensés de cette obligation Chambres du Congrès en juillet 2010. puisqu’ils ont droit à Medicaid. Les entreprises de plus de 50 salariés qui ne fourniront pas de couverture à leurs employés seront également LA RÉFORME OBAMA pénalisées à raison de 2 000 dollars par salarié non cou- vert. En revanche, les petites entreprises bénéficieront La réforme se présente sous forme de deux textes se d’un crédit d’impôt. complétant – c’est-à-dire que l’un rectifie l’autre – cou- Chaque État fédéré devra s’associer avec un autre pour vrant des centaines de pages et des milliers d’articles, organiser un marché régional d’assurance où au moins parce que touchant de près ou de loin des domaines deux offres seront émises au prix le plus bas. Les com- juridiques très différents : droit des assurances, règle- pagnies d’assurances qui voudront participer à ces mar- mentation des assurances publiques Medicare et chés organisés devront proposer quatre types de contrats Medicaid, droit de la concurrence, législation sur les offrant un panier de prestations standard et des taux de petites et moyennes entreprises, législation fiscale prise en charge allant de 60 à 90 % de leur coût selon générale, réglementation sur la responsabilité médicale les cas. [3, 4, 5]... Les États qui ne souhaiteraient pas recourir aux mar- Autant dire que sa mise en application, étalée dans le chés organisés devront mettre au point une assurance temps jusqu’à 2014 et même 2020, sera progressive et maladie minimale qu’ils devront totalement administrer. semée d’embûches d’autant plus que les républicains De plus, la réforme impose aux compagnies d’assu- ont annoncé leur intention de s’opposer à la mise en rance de publier des indicateurs de qualité et notam- place de cette loi « scélérate » : un recours devant la ment les coûts administratifs et les profits afin que les Cour suprême émanant d’une douzaine de gouverneurs assurés sachent quelle part de leurs primes couvre leurs républicains est déjà en cours. De plus, en matière de dépenses de santé et quelle part enrichit les assureurs. santé, les compétences sont partagées entre l’État fédé- ral et les États fédérés dont certains dirigés par des 2. Les améliorations de la couverture républicains vont résister à l’application d’une loi complexe. Les assurances privées se verront interdire de faire de Pour essayer de dégager ce qui va changer dans les la sélection des risques avant souscription d’un contrat années à venir, nous avons classé les principales mesures comme après : nombre d’Américains ont eu la surprise de ces textes touffus, en fonction des objectifs à de se voir refuser des remboursements pour maladie atteindre, ce qui ne veut pas dire que les moyens utilisés grave au motif de non-déclaration d’antécédents médi- soient à la hauteur de chaque enjeu. caux ! Cela ne sera plus possible. De même, les contrats d’assurances privées devront 1. Diminution du nombre de non-assurés comporter un panier de biens et services de base cou- vrant 60 % des soins et devront limiter les restes à La réforme doit faire bénéficier d’une assurance mala- charge possibles ; les actes de prévention tels que la die 32 millions d’Américains qui n’en avaient pas ; ce mammographie, seront pris en charge. n’est pas la couverture universelle espérée mais il ne En outre, il sera interdit de fixer dans les contrats un devrait plus rester qu’une quinzaine de millions de per- plafond du montant des remboursements que l’assu- sonnes en dehors de toute assurance, et tous les enfants rance est susceptible de verser au cours de la vie d’un seront couverts d’une façon ou d’une autre. assuré. Les variations de primes demandées aux assurés Pour ce faire, on va élargir le champ des systèmes et à leurs employeurs en fonction de différents critères existants : assurances publiques comme Medicare, tels que l’âge, la taille de la famille, le lieu de rési- Medicaid et le programme Childrens health insurance dence, la présence de facteur de risque, seront soumis (on modifiera les seuils d’éligibilité) et assurances pri- à un contrôle dans chaque État [6]. vées financées par les employeurs ou directement par Toutes ces dispositions durcissent la règlementation du les assurés. marché de l’assurance santé ; elles n’ont été acceptées Les assureurs privés seront tenus de conserver sur l’as- par les assureurs que parce que la réforme a abandonné surance des parents les enfants jusqu’à 26 ans alors l’idée d’une assurance publique qui n’aurait, par défi- qu’une partie des non-assurés était justement des jeunes nition, pas utilisé les « astuces » des contrats privés et à la recherche d’un emploi stable. Les chômeurs seront aurait pu leur enlever une part importante du marché. aidés pour obtenir une assurance tout comme les Mais cette nouvelle réglementation sera-t-elle appliquée ? familles modestes ne pouvant accéder à Medicaid. Les occasions de contentieux ne manqueront pas. Pratiques et Organisation des Soins volume 42 n° 4 / octobre-décembre 2011 273
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