La réforme du système de santé américain - ameli.fr

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Synthèse

                                         La réforme du système de santé américain

                                                The reform of American health care system

                                                                          Prieur C 1

Résumé                                                                              Summary
Le système de santé américain est mal connu des Fran-                               The US health care system is not well known to the
çais ; il s’organise autour d’assurances privées liées à                            French. It is organized around private insurance linked
l’emploi et d’assurances publiques réservées à des                                  to employment and public insurance reserved for spe-
groupes particuliers (retraités, personnes à faible                                 cific groups (retirees, military personnel, low income
revenu). Baignant dans un climat de grande liberté, fai-                            people). It espouses the benefits of the free marketand
sant appel à la concurrence comme régulateur, ce sys-                               uses competition as a regulator. These factors create a
tème a sa propre logique très différente de la protection                           system with its own logic very different from the Euro-
sociale européenne.                                                                 pean social protection.
Une analyse globale de ce système révèle ses points                                 A comprehensive analysis of the system reveals its
forts et ses défauts et explique que sa réforme soit                                strengths and its shortcomings and explains why
devenue un objectif du nouveau président élu en 2008.                               reforming it became an objective of the newly elected
La Constitution américaine ne fait pas du président un                              US President in 2008. The US Constitution does not
potentat tout puissant : B. Obama a mis un an pour faire                            give the president all powers: B. Obama took a year to
voter une réforme qui n’est pas aussi ambitieuse que                                pass a bill that is not as ambitious as he had desired but
celle qu’il avait souhaitée mais qui corrige une partie                             will still address a significant portion of the current
non négligeable des défauts du système quand elle sera                              system’s defects when it is actually implemented.
mise en application effective.                                                      The Republican opposition made this reform, which
L’opposition républicaine a fait de cette réforme, qui                              divides Americans, a decisive argument in the battle for
divise les Américains, un argument de choc dans la                                  midterm elections, which they won.
bataille électorale des élections dites de milieu de man-                           President Obama has to defend a bill that is passed by
dat, qu’elle a gagnées.                                                             Congress, but dependent for its implementation on a
Le président Obama doit donc défendre une réforme                                   collaboration between Washington and individual states
votée par le Congrès mais dépendant pour son applica-                               under the supervision of the Supreme Court. This
tion d’une collaboration entre l’État fédéral et les États                          reform is a compromise: only the reelection of B.
fédérés sous la surveillance de la Cour suprême. Cette                              Obama in 2012 will anchor definitively the Patient Pro-
réforme est un compromis : seule la réélection de B.                                tection and Affordable Care Act (PPACA) of March 23,
Obama en 2012 permettra un ancrage définitif du                                     2010 as the new reality for the American healthcare
Patient protection and affordable act du 23 mars 2010                               system.
dans la réalité du système de santé américain.                                      Prat Organ Soins. 2011;42(4):265-275
Prat Organ Soins. 2011;42(4):265-275

Mots-clés : États-Unis d’Amérique ; organisation et                                 Keywords: Unites States; health care economics and
économie des soins de santé ; Medicare ; Medicaid ;                                 organizations Medicare; Medicaid; health care reform.
réforme Obama.

1   Ancien directeur de la Caisse nationale d’assurance maladie.

Adresse pour correspondance : Christian Prieur, 51, rue Galilée, F-75116 Paris.
E-mail : chrprieur@wanadoo.fr

                                            Pratiques et Organisation des Soins volume 42 n° 4 / octobre-décembre 2011                    265
La réforme du système de santé américain

INTRODUCTION                                                            1. Une assurance maladie privée liée à l’emploi

Élu en novembre 2008, ayant pris ses fonctions en jan-                  Tous les Américains qui ont un emploi stable dans une
vier 2009, B. Obama a choisi, au milieu des nombreux                    grande entreprise peuvent adhérer au « plan d’entre-
dossiers qui lui incombent (crise économique et finan-                  prise » de leur employeur, c’est-à-dire que le salarié se
cière, Irak, Afghanistan, relations avec la Chine et les                voit proposer un contrat auprès d’une compagnie qui va
pays en voie de développement, lutte contre le réchauf-                 financer sa consommation de soins de santé. Ce contrat
fement climatique), de s’attaquer aux problèmes de                      a été négocié par l’employeur quant à son contenu
l’organisation du système de santé et de son finance-                   (prestations servies en cas de maladie) et à son coût
ment. Le sujet avait été peu présent dans la campagne                   (montant de la prime). Ce contrat est assorti de quelques
électorale, même si son challenger dans les élections                   options (extension de la couverture à la famille, choix
primaires au sein du parti démocrate avait évoqué ce                    de différents niveaux de franchises).
qui avait été pour elle et son mari, le président Bill                  Parallèlement, les syndicats de salariés et l’employeur
Clinton, un échec sévère dans les années 1990.                          ont discuté du montant de la participation de l’entre-
Pourquoi cette priorité ? Les Américains seraient-ils mal               prise au financement de la prime, le salarié en conser-
soignés ou peu satisfaits de leur système de santé ?                    vant une autre partie plus ou moins importante à sa
Comment le président Obama, démocrate, a-t-il pu faire                  charge. La contribution de l’employeur comme la par-
adopter par le Congrès une réforme que celui-ci n’avait                 ticipation du salarié sont déductibles de l’assiette de
pas abordé depuis sa propre élection en 2006 du fait de                 l’impôt sur les sociétés et de l’assiette de l’impôt sur le
l’opposition résolue du président Bush, républicain?                    revenu du salarié.
Quelle réforme du système a été votée en mars 2010 ?                    Cet avantage fiscal est un puissant moteur du dévelop-
Pour répondre à ces questions, il faut examiner avec nos                pement de cette assurance maladie privée mais on
yeux de Français le système de santé américain, sans                    remarquera qu’il n’y a nulle part la moindre obligation :
omettre le regard des principaux intéressés [1, 2].                     les entreprises peuvent aussi bien créer elles-mêmes
Ceux-ci, tout en étant critiques, considèrent que le ser-               leur propre système de soins (ce qui est une réalité),
vice public anglais, c’est le « communisme en marche »                  comme être leur propre assureur, comme elles peuvent
et que le système français est un modèle socialiste trop                ne pas participer au financement de l’assurance mala-
éloigné de leurs propres valeurs, et sur le point de faire              die de leurs salariés qui doivent, alors, se tourner vers
faillite. En outre, les médecins sont convaincus que les                les assurances privées, ce qui est le cas des petites
soins très techniques sont d’un meilleur niveau qu’en                   entreprises. De même, le salarié peut en théorie récuser
Europe : la princesse Diana serait en vie si son accident               l’assurance collective négociée par son employeur et
était arrivé à New York.                                                choisir lui-même son contrat auprès d’un autre assureur
                                                                        que celui de son entreprise et même ne pas s’assurer du
                                                                        tout. Mais il s’agit là de marges de choix théoriques,
COMMENT LES AMÉRICAINS                                                  toute assurance autre que l’assurance collective de
SONT-ILS SOIGNÉS ?                                                      l’employeur se révélant plus coûteuse.

Les États-Unis disposent d’un système de soins d’un                     Ce système d’assurance maladie privée, lié à l’emploi,
haut niveau scientifique car les chercheurs y affluent,                 s’est fortement développé pour quatre motifs.
portés par l’effort financier consenti sur fonds publics                D’une part, le président Roosevelt dans sa politique de
pour la recherche en général et la recherche médicale                   New Deal pour lutter contre la crise de 1929 n’a pas
en particulier. C’est en effet un domaine où l’interven-                réussi à faire voter par le Congrès, dans le cadre du
tion de l’État est admise sans obstacle idéologique ; le                Social Security Act de 1935, le principe d’une assu-
climat de liberté et de découverte qui anime la société                 rance maladie obligatoire et a dû se contenter d’une
américaine ainsi que les nombreuses fondations, finan-                  assurance retraite et d’une assurance chômage : la voie
çant la recherche, y contribuent également : la plupart                 était libre pour l’assurance maladie privée.
des prix Nobel de médecine sont américains.                             En second lieu pendant la guerre, les salaires ayant été
                                                                        bloqués, les entreprises, pour fidéliser leur personnel, ont
Les innovations se répandent rapidement à travers un                    été incitées par les avantages fiscaux signalés ci-dessus à
réseau hospitalier comportant des établissements à but                  développer une protection maladie pour leurs salariés.
non lucratif et des cliniques privées, s’appuyant sur une               En troisième lieu, ce système est conforme à la culture
médecine de ville multiforme (cabinets individuels et                   politique américaine individualiste et hostile à toute
collectifs). Le système productif de soins – qui est la                 redistribution des « riches » vers les pauvres : les
seconde industrie aux États-Unis après l’énergie et le                  primes d’assurance sont indépendantes du salaire des
second gisement d’emploi – est financé par une série                    assurés comme l’est l’aide des entreprises. On est loin
de mécanismes individuels ou collectifs qui en consti-                  des cotisations proportionnelles aux salaires des sys-
tuent le soubassement.                                                  tèmes français et allemands.

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Prieur C

Enfin, les contraintes sur les professionnels de santé,                 annoncé par son prédécesseur, le président Kennedy,
qui avaient fait échouer le projet de Roosevelt, sont                   avant son assassinat. Cette loi instaure une assurance
minimes puisque les contrats prévoient le rembourse-                    maladie collective publique obligatoire financée par
ment des journées d’hospitalisation sur la base d’un                    une taxation des entreprises assise sur les salaires,
prix calculé à partir des dépenses passées de chaque                    payée moitié par les entreprises moitié par les salariés
établissement. D’autre part, les honoraires sont ceux                   eux-mêmes, complétée par un financement fédéral :
qui sont pratiqués dans chaque zone géographique de                     c’est le programme Medicare.
façon courante ; la plupart des contrats sont muets sur                 Autrement dit, pendant leur vie active, les salariés et les
le remboursement des produits pharmaceutiques dont                      entreprises payent un impôt qui alimente un fonds spé-
les prix sont libres.                                                   cial complété par des subventions de l’État fédéral,
                                                                        pour avoir la certitude qu’à 65 ans ils pourront bénéfi-
Néanmoins, ce système très inflationniste a été, au fil                 cier, en s’adressant à un assureur privé de leur choix,
du temps, corrigé sur plusieurs points sous la pression                 du panier de soins remboursés par le Center for Medicare
des entreprises qui voyaient s’envoler le coût des                      & Medicaid services (CMS) qui gère le fonds en ques-
primes. D’une part, les contrats sont devenus moins                     tion : c’est le premier programme public d’assurance
généreux : apparition de tickets modérateurs et de fran-                maladie. Il couvre également les malades en dialyse
chises de plus en plus élevées, limitation du nombre de                 rénale de tous âges ainsi que les invalides et handicapés
journées d’hospitalisation remboursables. D’autre part,                 de moins de 65 ans.
les assureurs en concurrence ont développé des for-
mules de Health maintenance organization (HMO),                         Ce système public est très en deçà de ce que nous appe-
c’est-à-dire des systèmes de réseaux de soins avec                      lons assurance obligatoire en France. En effet, le Fonds
médecins salariés intéressés à la maîtrise des coûts                    comporte quatre sections :
(parcours de soins impératifs) et établissements payés                  • La section A, financée intégralement par les cotisa-
de façon prospective sur la base de tarifs par groupes                    tions assises sur les salaires (3 % de la masse
homogènes de malades.                                                     ­salariale), couvre l’hospitalisation (60 jours par an
                                                                          maximum) avec une franchise annuelle de 800 dol-
L’assurance privée volontaire est la principale forme                     lars ainsi que 100 jours par an d’hospitalisation à
d’assurance santé pour les trois quarts des Américains                    domicile et de soins infirmiers.
de moins de 65 ans, qu’elle soit liée à l’emploi (contrats              • La section B est facultative et payante pour l’assuré.
groupe d’entreprise) ou qu’elle soit individuelle (tra-                   Elle couvre environ 40 % des soins en ambulatoire
vailleurs indépendants, chômeurs, salariés précaires). Ce                 avec franchise et tickets modérateurs (20 %) et sans
système obéit aux lois du marché, la concurrence s’exer-                  prise en charge des médicaments. Cette section est
çant au niveau des primes, des prestations couvertes et                   financée par les primes des assurés (25 % de la
des différentes options proposées (système avec HMO                       dépense) et une subvention de l’Etat fédéral qui
où la liberté du patient est limitée, ou sans HMO).                       couvre 75 % de la dépense.
À côté de ce dispositif existe une assurance maladie                    • La section C est une reproduction de la partie B
propre aux fonctionnaires (facultative mais ils y adhè-                   (soins de ville) mais proposée par des assurances pri-
rent tous) et un service de santé publique particulière-                   vées utilisant des techniques de managed care (HMO)
ment dynamique pour les anciens combattants (plusieurs                     supposées moins chères que la section B.
dizaines de millions de bénéficiaires).                                 • La section D, instituée par les républicains en 2003,
                                                                           est une assurance facultative payante (prime men-
2. Une assurance publique pour les retraités                               suelle) couvrant les achats de médicaments avec fran-
   et les indigents                                                        chise annuelle, ticket modérateur de 25 % et plafond
                                                                           de dépenses recouvrables à 2 400 dollars par an ; au-
Il restait toutefois, en dehors de l’assurance privée,                     delà, il n’y a plus de prise en charge. C’est le trou
deux catégories de personnes importantes en nombre :                       noir (doughnut hole) ; mais au-delà de 5 400 dollars
les retraités qui ne bénéficient plus de l’assurance col-                  de médicaments par an, la couverture réapparaît avec
lective de leur entreprise et les personnes qui, pour des                  un ticket modérateur de 5 %.
raisons diverses, n’ont pas les moyens de se payer une
prime d’assurance ; au total, près de 40 % de la popu-                   Le programme Medicare est en déficit sur les sections
lation américaine.                                                       B, C et D ce qui veut dire qu’il faut périodiquement en
                                                                        revoir les différents paramètres : prime des assurés,
a) Medicare                                                             ­ticket modérateur et franchises diverses payées par les
                                                                         malades, subventions de l’État fédéral. Il en sera de
Pour les retraités, le président Johnson, démocrate et                   même bientôt pour la partie A dont le nombre d’assurés
fin manœuvrier parlementaire, réussit en 1965 à faire                    augmente rapidement du fait de l’accès des baby boo-
voter par le Congrès une loi dont le projet avait été                    mers à l’âge de la retraite.

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La réforme du système de santé américain

Le programme Medicare que gère le CMS est donc, en                       partie des non-assurés retrouve une assurance liée à
fait, une assurance obligatoire pour les cotisants qui                   l’emploi mais ce retour à l’assurance n’est pas facile,
donne droit, au moment de la retraite, au rembourse-                     les assureurs se protègent contre les salariés alternant
ment d’un panier de soins axé sur l’hospitalisation,                     chômage et emploi par des conditions d’exclusion et
moyennant primes et franchises (section A).                              des primes élevées. Certes, la population non-assurée
Les ressortissants de Medicare peuvent se couvrir                        ou mal assurée ne meurt pas dans la rue car, en cas
contre les risques hors panier de soins de la section A,                 d’urgence, les hôpitaux sont obligés d’accueillir ces
en souscrivant des polices individuelles : sections B, C,                malades gratuitement et majorent leur prix, c’est-à-dire
D. Nous sommes loin d’une assurance maladie de type                      font payer les clients couverts par une assurance.
européen.
                                                                         4. Bilan global du système de santé américain
b) Medicaid
                                                                          L’importance du nombre des non-assurés (15 % de la
Second programme public, Medicaid est un programme                        population) n’est pas la seule tare du système dont on
fédéral mis en place par l’administration Johnson en                      a dit l’excellence sur le plan technique.
1965 dans le cadre de la lutte contre la pauvreté. La loi                 En effet, c’est le système le plus cher au monde, que ce
fédérale définit un panier minimal couvert et une popu-                   soit en pourcentage du produit intérieur brut (PIB)
lation minimale concernée : ce sont les bénéficiaires                     (États-Unis = 16 %, France = 11 %), ou en dollars par
des aides sociales des États, c’est-à-dire ceux qui ont                   habitant (États-Unis = 7 200 dollars, France = 3 600,
un revenu inférieur à un seuil de pauvreté, lequel a une                  Grande-Bretagne = 3 000 en 2006). Or, les États-Unis
définition fédérale et une définition dans chaque État.                   ne peuvent évoquer le phénomène du vieillissement de
Ce programme est financé partie par les États et partie                   leur population car, du fait de l’immigration, elle est
par l’État fédéral qui accorde une subvention à chaque                    plus jeune que celle des pays européens.
État en fonction de sa richesse propre.                                   Pourquoi ces coûts élevés ? Essentiellement en raison
Chaque bénéficiaire reconnu s’adresse à un assureur                       des prix et non des volumes : l’Américain moyen ne
qui doit lui appliquer le contrat Medicaid (panier de                     consomme pas plus de séances de médecins ou de jour-
soins + franchises éventuelles) et se fait rembourser par                 nées d’hôpital que l’Européen moyen.
le CMS, gestionnaire de Medicare et Medicaid.                             Par contre, il y a souvent une sur-utilisation de techno-
En outre, l’administration fédérale de la santé (CMS)                     logies sophistiquées aussi bien à la naissance qu’en fin
gère un réseau important de centres de santé commu-                       de vie.
nautaires comprenant médecins, dentistes, pharmaciens,                    Les prix sont plus élevés qu’en Europe parce que les
infirmiers, assistantes sociales, spécialement dédiés à                   études médicales sont chères (les médecins doivent
des populations marginalisées à des titres divers ; ce                    rembourser de lourds emprunts), parce que les assu-
réseau dispense des soins à 4 à 6 % de la population                      rances de responsabilité civile, entraînées par la judicia-
dans chaque État. C’est le service public de santé dédié                  risation du système de santé, sont coûteuses. Enfin, les
aux très pauvres et autres marginaux.                                     prix sont libres, les assureurs publics et privés n’ayant
                                                                          ni la volonté ni les moyens de réguler le marché de la
3. Un système lacunaire                                                   santé (voir le mécanisme complexe de fixation par les
                                                                          assurances publiques des honoraires des médecins tra-
On constate donc l’extrême complexité du système de                       vaillant pour elles), à partir d’une nomenclature (pon-
santé et de son financement. Il pourrait se comparer à                    dération des actes les uns par rapport aux autres)
un tas de petits cubes d’inégales grosseurs, chaque cube                  élaborée par l’Association des médecins américains qui
étant caractérisé par les assurés éligibles, le panier de                 en détient la propriété intellectuelle !
biens et services couverts, les primes versées mais aussi                 De plus, les variations sensibles de pratiques et de
les tickets modérateurs et autres franchises, le mode                     dépenses médicales d’un territoire à l’autre dans l’im-
d’organisation et le degré de liberté accordés aux                        mense continent américain laissent penser que le sys-
patients comme aux professionnels de santé.                              tème de santé est le lieu de gaspillages importants en
En définitive, sur 300 millions d’Américains, 200 trou-                  volume de soins, certains en consommant trop et
vent leur place dans un « cube » d’assurance privée                      d’autres pas assez.
avec des taux de couverture très variables, 52 millions                  Le fait que le système de santé n’utilise pas beaucoup
relèvent d’un programme public avec des taux de cou-                      les innovations technologiques majeures qui ont eu lieu
verture également variables et 48 millions ne rentrent                   dans le domaine de l’informatique médicale et des
dans aucune case, trop riches pour rentrer dans le pro-                  ­systèmes d’information corrobore l’impression de gas-
gramme Medicaid mais trop pauvres pour se payer une                      pillages considérables. L’exemple du système de santé
prime d’assurances : il s’agit de chômeurs, de petits                    des veterans qui, avec l’aide d’un dossier médical indi-
salariés, de petits artisans. Certes, cette population fluc-             viduel informatisé, a réalisé d’importantes économies,
tue avec le taux de chômage ; quand il baisse, une                       incite à moderniser un coûteux système de santé.

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Prieur C

 Les assureurs sont bien soumis à la concurrence mais                    Enfin, l’efficience du système de santé en termes de
 ils préfèrent sélectionner les risques au niveau de leurs               santé de la population n’est pas brillante, que ce soit sur
 assurés plutôt que d’intervenir dans le domaine des                     le plan de l’espérance de vie inférieure à celle de la
 prix, sans parler de la paperasse considérable due à la                 France ou du taux de mortalité à la naissance. Les
 multiplicité des « cubes » évoqués plus haut, fait que le               États-Unis dépensent beaucoup pour leur santé mais les
 coût de gestion du système est cinq fois plus élevé                     résultats ne sont pas à la hauteur de l’argent dépensé.
 qu’en France. De plus, ils se sont concentrés et dans la                En 2000, le classement par l’Organisation mondiale de
 plupart des États fédérés il ne reste que trois ou quatre               la santé des systèmes de santé, selon une batterie de
assureurs.                                                               critères, a placé les États-Unis au 37e rang, loin derrière
Si le système est coûteux, il l’est pour tous les finan-                 les pays européens, la France occupant la pôle position.
ceurs ; les entreprises payent 30 % des dépenses de                      Système coûteux, fragmenté, inégalitaire, peu efficient,
 santé, les ménages en supportent 20 % (primes et par-                   le système de santé américain appelle la réforme ;
 ticipations aux dépenses de soins) et l’État finance                    celle-ci s’est invitée dans la campagne électorale de
 50 % à travers les programmes publics. Donc le coût du                  2008, signe que le statu quo n’est plus tenable, mais il
 système de santé pèse sur la compétitivité des entre-                   s’agit d’un problème politique certain. Le système de
prises (General motors dépense plus pour l’assurance                     santé américain tel qu’il est financé est une création
maladie de ses employés que pour la tôle de ses voi-                     démocrate à laquelle les républicains se sont constam-
tures) ; il impacte les finances publiques (Medicare et                  ment opposés, ruinant tout projet d’assurance univer-
Medicaid sont gourmands et néanmoins déficitaires) et                    selle publique.
accroît la dette fédérale ; il constitue enfin une lourde
charge pour les ménages.
Ajoutons que le développement du chômage lié à la                        LA DIFFICILE ÉLABORATION
crise, le coût croissant des primes pour les entreprises                 DE LA RÉFORME OBAMA
 qui réduisent leurs participations, suscitent une inquié-
 tude réelle dans la classe moyenne qui craint que le                    En mars 2009, deux mois après son installation à la
 moindre accident de santé ne tourne au cauchemar : en                   Maison Blanche, le Président Obama indiquait que la
 2008, c’est plus de 700 000 familles qui ont fait faillite              réforme des systèmes de santé ne passerait pas au rang
 (obligation de vendre la maison) pour des motifs tenant                 des promesses électorales non satisfaites et qu’il enten-
 au frais de soins non financés par un tiers.                            dait faire voter une réforme par le Congrès, si possible
 En outre, les compagnies d’assurance, qui sont les opé-                 bipartisane. De quelle marge de manœuvre disposait-il
 rateurs en contact avec le public, ont bien compris que                 sur le plan des institutions comme sur celui de la poli-
 la meilleure façon de rentabiliser leur capital et de faire             tique « politicienne » ?
 des bénéfices est de sélectionner les risques (refus de
 signer un contrat avec une personne ayant ou paraissant                 1. Que peut faire le président des États-Unis
 avoir des antécédents médicaux ou tarification dissua-                     sur le plan des institutions ?
 sive) et de contester l’application du contrat en prétex-
 tant le non-respect par le malade d’une stipulation                     Le système de santé américain est une construction non
 rédigée en termes obscurs.                                              stabilisée qui se situe à l’intersection de la compétence
 Les comportements de certaines compagnies d’assu-                       des États fédérés et de l’État fédéral, la frontière n’étant
 rance ont suscité de vives réactions comme en témoigne                  pas délimitée de façon précise. L’organisation des soins
 le film Sicko du réalisateur Michael Moore, sorti en salles             relève des États fédérés ou du jeu d’un marché libre. Le
 en 2007. De lourdes amendes émanant de l’autorité de                    financement peut faire intervenir les finances fédérales
 régulation de la concurrence ont certes sanctionné ces                  soit par l’octroi d’avantages fiscaux, soit en finançant
 pratiques ; celles-ci, qui perdurent, entretiennent un                  des organismes privés en charge d’une mission définie :
 certain malaise autour du fonctionnement du système                     rembourser des dépenses de soins à des individus
 de santé.                                                               répondant à certaines caractéristiques (retraités) dans le
 Il n’est pas jusqu’au très grand nombre de procès –                     cadre d’un contrat bien défini (panier de soins).
 mais il y a beaucoup plus d’avocats aux États-Unis                      Pour réformer le système de santé, il faut que le Congrès
 qu’en France et leurs honoraires sont fonction des                      vote une loi en respectant la Constitution. Les Américains
 résultats financiers qu’ils obtiennent et ils peuvent                   ont un attachement viscéral à leur Constitution peu
faire de la publicité – en responsabilité médicale, qui                  modifiée depuis 1787 ; elle leur paraît organiser une
­donnent le sentiment d’une disproportion entre cer-                     répartition équilibrée entre les pouvoirs, de nature à
tains coûts et la qualité réelle de la médecine pratiquée.               préserver la liberté de tous sans entraver l’indispensable
Cette judiciarisation de la médecine pousse les méde-                    action collective : c’est à leurs yeux la meilleure du
cins à se ­couvrir en pratiquant une médecine abon-                      monde !
dante en examens de toutes natures (un scanner pour                      Ce système de checks and balances est bien différent
une migraine).                                                           du présidentialisme « à la française » où le président,

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La réforme du système de santé américain

leader de sa majorité, dispose de pouvoirs suffisants sur               heures) qui ne peut être levée qu’à la majorité qualifiée
le parlement pour le contraindre (maniement de l’ordre                  des trois cinquième des sénateurs (3/5 = 60 voix).
du jour, procédure de vote bloqué) à voter un projet de                 Pour « corser » les choses, les démocrates qui dispo-
loi auquel il tient.                                                    saient des 60 voix nécessaires au Sénat pour contrer le
                                                                        flibusting sont descendus, début 2010, à 59 voix à la
Cette Constitution met en place trois pouvoirs :                        suite du décès de Ted Kennedy, sénateur du Massachusetts,
–– le Congrès composé de deux chambres : le Sénat à                     fervent défenseur de l’assurance maladie universelle,
   raison de deux représentants par État (100 membres                   décédé en cours de mandat et remplacé, à la surprise
   élus pour six ans, renouvelés par tiers tous les deux                générale, par un républicain d’extrême-droite alors que
   ans), la Chambre des représentants (450 membres élus                 son siège était acquis aux démocrates depuis des
   dans le cadre des États fédérés tous les deux ans) ;                 décennies.
–– le président élu au suffrage universel au second degré,              En cas de désaccord entre les deux chambres – ce qui
   tous les quatre ans pour un mandat (renouvelable une                 peut d’autant plus se produire qu’il n’y a pas de navette
   fois) ;                                                              organisée entre les assemblées qui sont autonomes dans
–– la Cour suprême, dont les neuf membres sont nom-                     leur ordre du jour et dans les textes qu’elles examinent
   més à vie par le président, gardienne vigilante de la                – il faut alors trouver un texte de compromis qui puisse
   Constitution qui peut censurer les lois du Congrès                   être voté dans les mêmes termes dans chaque chambre.
   comme les actes du président.                                        B. Obama s’est beaucoup appuyé sur les présidents des
Ces pouvoirs sont indépendants les uns des autres ; le                  deux assemblées comme sur les leaders démocrates
Congrès vote les lois et le président ne peut déposer un                pour faire avancer les choses : il y a eu trois ou quatre
projet de loi comme le fait en France le Premier                        textes en circulation comportant chacun plusieurs cen-
ministre ; il ne peut que faire des suggestions ou oppo-                taines de pages.
ser son veto à une loi votée.                                           Quand le texte de compromis est adopté par le Congrès,
Le président est assisté d’un gouvernement avec des                     il est transmis au président qui l’approuve ou oppose
administrations fédérales (secrétaire à la Santé) qui ne                son veto, explicitement ou implicitement, en ne le
peuvent agir que dans le domaine des compétences                        signant pas, ce qui le rend caduc à la fin de la session
fédérales. De plus, il est flanqué d’organes de régula-                 du Congrès. Mais le président ne peut approuver un
tion indépendants, créés par le Congrès, qui agissent                   texte partiellement ; son veto n’est pas sélectif.
dans des domaines qui en France relèvent de l’État :                    L’articulation entre le président et le Congrès se trouve
concurrence, circulation aérienne, transports, etc.                     au niveau des partis : il n’y en a que deux aux États-
Autant de domaines où l’autorité du président est limi-                 Unis : démocrates et républicains et la majorité du
tée. Le président nomme les juges de la Cour suprême                    Congrès peut ne pas correspondre au parti du président
qui sont inamovibles mais le Sénat contrôle les nomi-                   d’autant plus que la Chambre des représentants est élue
nations du président à tous les postes importants y com-                tous les deux ans. La Chambre élue en novembre 2008
pris les ministres. C’est ainsi que B. Obama a dû s’y                   était démocrate mais elle était renouvelable en 2010 ce
prendre à deux fois pour nommer un secrétaire fédéral                   qui a rendu les représentants sensibles aux pressions
à la santé, le premier désigné n’ayant pas pu, en raison                des lobbies comme aux réactions de l’opinion publique.
de son passé (fiscal !), franchir le cap des auditions des              La majorité au Sénat est également démocrate mais elle
commissions du Sénat.                                                   est plus courte. Bien que démocrate, le Congrès ne
Ajoutons que la procédure législative est lente et com-                 s’était pas penché sur le système de santé en 2008 alors
pliquée : propositions de lois émanant de membres de                    même que ses problèmes de financement devenaient
Congrès, déposées dans l’une ou l’autre des chambres,                   préoccupants (déficit de Medicare).
examen par les commissions permanentes compétentes
– il y en a cinq concernées pour la santé dans les deux                 2. Quelle marge de manœuvre pour Obama
assemblées – avec force auditions publiques des lobbies                    sur le plan politique en matière de santé ?
concernés, chiffrages du coût des projets de lois par le
General accounting office – sorte de Cour des comptes                   Le système de santé tel qu’il est organisé et financé
impartiale dépendant du Congrès – élaboration ou non                    constitue un point d’équilibre politique entre les
d’un texte approuvé par chaque commission concernée,                    mesures voulues, depuis Roosevelt, par des présidents
transmission de ce texte à la discussion plénière de                    démocrates soucieux de permettre au plus grand nombre
chaque assemblée, rapprochement des textes différents                   d’Américains d’accéder aux soins sans barrière finan-
des commissions.                                                        cière et celles de présidents républicains qui s’oppo-
En outre, ce parcours marathonien est suspendu aux                      saient au mouvement en invoquant les grands principes
règles de limitation de la durée des débats, différentes                (liberté et responsabilité, droit des États fédérés, équi-
dans chaque assemblée. Notamment au Sénat, la dis-                      libre des finances publiques) sans avoir pu remettre en
cussion en séance publique peut être bloquée par la                     question fondamentalement l’œuvre des démocrates
procédure du flibusting (lecture de la Bible pendant des                telle qu’elle résulte des textes de 1965.

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Prieur C

Les deux grands partis qui détiennent de fait, aux États-                respectent quelques grands principes de philosophie
Unis, le monopole de la représentation du peuple sont                    politique pratique :
d’abord des machines à conquérir le pouvoir et à l’exer-
cer, en commençant au niveau des États fédérés qui                       • Premier principe : la liberté. C’est la liberté d’entre-
sont tous dotés d’un exécutif (gouverneur), d’une                          prendre, la concurrence qui ont fait la force et la
assemblée, d’une cour de justice et de deux sénateurs.                     richesse des États-Unis et de ses habitants.
La politique se fait donc au niveau local.                               • Second principe : le travail. C’est la création, l’initia-
De plus, l’idéologie n’a pas beaucoup de place dans la                     tive, la volonté d’améliorer son sort. Toute personne
doctrine de chaque parti parce que les États-Unis sont                     quel que soit son groupe d’appartenance ou sa classe
trop divers, trop étendus – un continent – l’électorat de                  sociale qui travaille dur, peut réussir, accéder à la
chaque parti trop hétérogène pour que les élections                        classe moyenne, voire devenir très riche : c’est le rêve
puissent servir de faire valoir d’une idéologie. Pensons                   américain.
aux différences entre les différents partis conservateurs,               • Troisième principe : la responsabilité. Au royaume de
libéraux, socialistes de l’Europe. C’est ainsi que le                      la liberté, il est de la responsabilité de chacun de
maire de New York a été élu comme démocrate, réélu                         trouver un emploi, d’épargner pour ses vieux jours et
comme républicain : devenu indépendant, son immense                        de s’assurer pour faire face aux conséquences de la
fortune lui permet de se passer de l’aide de la machine                    maladie.
électorale d’un parti.                                                   • Quatrième principe : la charité. « Si mon revenu est
L’absence de doctrine forte au niveau des partis fait que                  élevé parce que je travaille beaucoup, j’ai le devoir de
le président doit trouver sur chaque projet une majorité                   donner une partie de mon argent et de mon temps »
qui peut comprendre certains membres du parti d’oppo-                      pour aider les pauvres à travers des œuvres chari-
sition : chacun des partis a son aile extrémiste et son                    tables, de préférence de proximité, souvent créées par
centre. Les projets du président qui passent l’obstacle                    des Églises. Ce principe paraît singulier pour un
du Congrès sont souvent ceux qui réunissent les centres                    Français ; mais les Américains sont un peuple fonciè-
des deux partis. Mais en matière de santé, le conflit entre                rement religieux qui finance de nombreuses écoles,
les partis a déjà eu l’occasion de s’exercer et les argu-                  universités, fondations et autres œuvres sociales,
ments de chaque côté vont pouvoir resservir d’autant                       chrétiennes ou juives. Plus de 90 % de la population
plus que la santé est matière à dérive sur des croisades                   croit en Dieu et il n’existe aucune honte outre-Atlan-
morales : avortement, euthanasie, recherche sur les cel-                   tique à afficher publiquement sa spiritualité. En
lules souches, interdiction de fumer, consommation                         France, on imagine mal le président de la République
alcoolique, soins aux immigrés et autres « sans papier ».                  prêter serment sur la Bible et terminer ses discours
Chaque parti a ses préférences au niveau des solutions                     par la référence à Dieu : God bless America. Les
à apporter à un problème donné. Les républicains font                      Américains sont foncièrement imprégnés de valeurs
confiance au marché et croient dans les vertus de la                       judéo-chrétiennes.
concurrence individuelle mais se méfient de l’État. Le
parti républicain a évolué : d’un républicanisme modéré                  Ces principes qui servent de toile de fond à la lutte
incarné par le président Eisenhower qui acceptait l’hé-                  électorale des deux grands partis sont défavorables à
ritage du New deal, on est passé à un républicanisme                     toute action de l’État car celle-ci est nécessairement
agressif – le Bien contre le Mal – soutenu par une reli-                 attentatoire à la liberté (obligation d’assurance) ; elle
giosité fondamentaliste ; le débat au sein du parti répu-                ampute les revenus du travail au profit de pauvres qui
blicain entre son aile centriste et son aile droite porte                doivent cet état à leur absence de volonté de travailler.
sur des problèmes culturels au premier rang desquels                     L’impôt ne peut servir qu’à aider temporairement des
figure le « droit à la vie » (lutte contre l’avortement), la             pauvres méritants.
prière à l’école et le droit de porter des armes à feu.                  Le système de santé, tel qu’il existe en 2009, est un
Les démocrates sont plus sensibles aux problèmes des                     compromis qui respecte les grands principes :
inégalités et considèrent que l’État est là pour corriger                –– pas d’obligation d’assurance, liberté dans le choix du
les dérives du marché ; c’est bien pourquoi les avancées                    degré de couverture ;
en matière d’assurance maladie sont le fait de prési-                    –– intervention de l’État limitée aux retraités sans règles
dents démocrates mais qui n’ont pu aller jusqu’au bout                      uniformes et aux pauvres dont les États locaux exa-
de leurs intentions, freinés qu’ils ont été par des élus dont               minent les mérites ;
tous n’appartenaient pas à l’opposition républicaine.                    –– minimum de contraintes en matière de prix pour les
Car démocrates et républicains ont une vision identique                     professionnels de santé qui doivent néanmoins accep-
de leur Constitution – la meilleure du monde – de leur                      ter les conséquences de la concurrence entre assu-
propre rôle – machines électorales – et de la société                       reurs sous la forme des HMO (réseaux de soins avec
dont ils sont l’expression et le soutien. Pour les deux                     médecins salariés et parcours de soins balisés) comme
partis, les États-Unis sont devenus la première puis-                       des vérifications qualitatives du bien-fondé des actes
sance économique mondiale parce que leurs habitants                         (protocoles normatifs).

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La réforme du système de santé américain

Néanmoins, ce compromis présente des défauts impor-                     montrant que la réforme allait coûter très cher aux
tants : coût considérable et croissant, efficacité discutée             66 % d’Américains disposant d’une assurance indivi-
et inégalités majeures sans parler du comportement des                  duelle ou collective, au profit de catégories marginales
assureurs privés augmentant leurs primes – et leurs                     (étrangers) et de gens qui avaient fait le choix de ne pas
bénéfices – et rechignant à rembourser les dépenses de                  s’assurer. De plus, le poids de l’État fédéral s’en trou-
soins sous des prétextes divers.                                        verait accru au mépris des grands principes politiques
Autrement dit, la réforme souhaitée par un grand                        cités ci-dessus.
nombre d’Américains doit poursuivre deux objectifs                      Pendant un an (mars 2009/avril 2010), alternant décla-
contradictoires :                                                       rations publiques, message solennel au Congrès,
–– réduire les coûts du système existant qui demande                    confrontation télévisée avec les opposants républicains,
   chaque année toujours plus à ses financeurs : l’État                 B. Obama a fait pression sur le Congrès et ses élus,
   pour 50 % des dépenses de santé, les entreprises pour                notamment démocrates, pour qu’ils adoptent un com-
   30 % et les ménages pour 20 % ;                                      promis entre les souhaits de la gauche démocrate (créer
–– élargir le système pour donner une couverture aux                    une assurance universelle, obligatoire publique) et les
   50   millions d’Américains qui n’en ont pas et amé-                  désirs des démocrates modérés et de certains républi-
   liorer la couverture de 100 millions d’Américains qui                cains (réparer ce qui ne marche pas dans le système
   sont mal couverts. Quelle que soit la formule retenue,               sans en modifier l’architecture générale).
   cet élargissement aura un coût.                                      C’est ainsi que le président a signé deux textes de
                                                                        réforme, adoptés par le Sénat puis par la Chambre, au
Atteindre le second objectif dépendra donc des résultats                terme d’une procédure peu usitée de « réconciliation »
obtenus sur le premier, lequel demandera beaucoup                       entre textes différents votés par les deux assemblées :
plus de temps et permettra aux républicains d’imputer                   c’est le Patient protection and affordable care act
le coût croissant de la santé à la poursuite du second                  (ACA), signé le 23 mars 2010, complété par le Health
objectif « social ».                                                    care and Education reconciliation act of 2010, signé le
                                                                        30 mars 2010 [3].
3. La démarche suivie par le président                                  La procédure de « reconciliation » utilisée a pour but de
                                                                        contraindre le Congrès à voter des crédits budgétaires
B. Obama a d’abord tiré les leçons de l’échec du projet                 jugés indispensables à une action donnée, pour être sûr
Clinton de 1993 : il n’a pas proposé un texte en essayant               qu’ils figureront dans le budget fédéral voté en fin
de négocier avec les innombrables lobbies attachés au                   d’année : dans ce but, le nombre d’amendements pos-
statu quo. Il s’est contenté d’obtenir un acquiescement                 sible est limité ainsi que la durée des débats : le vote se
du bout des lèvres de la toute puissante Association des                fait à la majorité simple au Sénat (pas de flibusting pos-
médecins (AMA) et de l’industrie pharmaceutique sur                     sible) [3].
la nécessité d’une réforme, le statu quo n’étant plus                   Au terme de ces douze mois de débats, le président a
supportable par les financeurs.                                         renoncé à l’idée d’une assurance publique susceptible
Il a obtenu le soutien du milieu des entreprises mais le                de peser sur les prix des biens et services médicaux ; il
lobby des assureurs privés a dépensé des millions de                    s’est rallié à une solution progressive, imitée de la
dollars auprès des représentants en instance de réélec-                 réforme en cours de mise en place dans l’État de
tion pour éviter le pire à leurs yeux : l’institution d’une             Massachusetts ; cette réforme fait évoluer un grand
assurance publique qui viendrait les concurrencer.                      nombre des dispositions qui forment le cadre du fonc-
Contrairement à la France, les subventions aux partis                   tionnement du système actuel (voir la première partie
politiques sont autorisées aux États-Unis. La Cour                      du présent article).
suprême vient même d’annuler, au nom de la liberté, un                  Mais en définitive, en raison de cette procédure de
texte visant à les plafonner ; mais elles sont publiques                « réconciliation », le président Obama n’a pu rallier à
c’est-à-dire qu’après chaque scrutin sur la réforme de                  sa réforme un minimum de républicains du centre –
la santé on pouvait trouver dans la presse ce que chaque                aucune voix républicaine n’a approuvé le texte – ce
représentant avait reçu aussi bien que le pourcentage de                qui explique pourquoi le parti républicain, excité par
non-assurés dans sa circonscription.                                    son aile droite, fait de la réforme de la santé un terrain
Pour s’opposer à ce lobby actif, le président Obama a                   de guerre sans merci contre l’administration
mis en lumière le comportement de certains assureurs :                  démocrate.
utilisation d’un logiciel informatique permettant à par-                On remarquera que le président Obama a utilisé la
tir de la consommation d’une personne, de détecter ses                  même tactique pour faire voter par le Congrès la loi
prédispositions à être atteinte d’une maladie donnée                    relative à la réforme de la régulation financière, second
provoquant son exclusion du contrat pour dissimula-                     grand dossier de la première partie de sa présidence :
tion ; en dénonçant la cupidité des assureurs, Obama a                  mobilisation des leaders démocrates élus, appel à l’opi-
ainsi pu s’appuyer sur l’opinion publique. De leur côté,                nion publique, stigmatisation des comportements ban-
les républicains ont déclenché une violente campagne                    caires dont les excès ont provoqué une crise grave

272                             Pratiques et Organisation des Soins volume 42 n° 4 / octobre-décembre 2011
Prieur C

obligeant le contribuable à sauver certaines banques,                   De même, toute personne sera tenue d’être assurée soit
même solution de compromis entre les désirs de la                       par son employeur soit directement ; à défaut, elle devra
gauche du parti démocrate et ceux des modérés répu-                     payer une amende annuelle qui augmentera progressi-
blicains, compromis consigné dans un texte de                           vement pour atteindre 2,5 % de ses revenus en 2016.
2 300   pages, voté en termes identiques par les deux                   Les « pauvres » sont dispensés de cette obligation
Chambres du Congrès en juillet 2010.                                    puisqu’ils ont droit à Medicaid.
                                                                        Les entreprises de plus de 50 salariés qui ne fourniront
                                                                        pas de couverture à leurs employés seront également
LA RÉFORME OBAMA                                                        pénalisées à raison de 2 000 dollars par salarié non cou-
                                                                        vert. En revanche, les petites entreprises bénéficieront
La réforme se présente sous forme de deux textes se                     d’un crédit d’impôt.
complétant – c’est-à-dire que l’un rectifie l’autre – cou-              Chaque État fédéré devra s’associer avec un autre pour
vrant des centaines de pages et des milliers d’articles,                organiser un marché régional d’assurance où au moins
parce que touchant de près ou de loin des domaines                      deux offres seront émises au prix le plus bas. Les com-
juridiques très différents : droit des assurances, règle-               pagnies d’assurances qui voudront participer à ces mar-
mentation des assurances publiques Medicare et                          chés organisés devront proposer quatre types de contrats
Medicaid, droit de la concurrence, législation sur les                  offrant un panier de prestations standard et des taux de
petites et moyennes entreprises, législation fiscale                    prise en charge allant de 60 à 90 % de leur coût selon
générale, réglementation sur la responsabilité médicale                 les cas.
[3, 4, 5]...                                                            Les États qui ne souhaiteraient pas recourir aux mar-
Autant dire que sa mise en application, étalée dans le                  chés organisés devront mettre au point une assurance
temps jusqu’à 2014 et même 2020, sera progressive et                    maladie minimale qu’ils devront totalement administrer.
semée d’embûches d’autant plus que les républicains                     De plus, la réforme impose aux compagnies d’assu-
ont annoncé leur intention de s’opposer à la mise en                    rance de publier des indicateurs de qualité et notam-
place de cette loi « scélérate » : un recours devant la                 ment les coûts administratifs et les profits afin que les
Cour suprême émanant d’une douzaine de gouverneurs                      assurés sachent quelle part de leurs primes couvre leurs
républicains est déjà en cours. De plus, en matière de                  dépenses de santé et quelle part enrichit les assureurs.
santé, les compétences sont partagées entre l’État fédé-
ral et les États fédérés dont certains dirigés par des                  2. Les améliorations de la couverture
républicains vont résister à l’application d’une loi
complexe.                                                               Les assurances privées se verront interdire de faire de
Pour essayer de dégager ce qui va changer dans les                      la sélection des risques avant souscription d’un contrat
années à venir, nous avons classé les principales mesures               comme après : nombre d’Américains ont eu la surprise
de ces textes touffus, en fonction des objectifs à                      de se voir refuser des remboursements pour maladie
atteindre, ce qui ne veut pas dire que les moyens utilisés              grave au motif de non-déclaration d’antécédents médi-
soient à la hauteur de chaque enjeu.                                    caux ! Cela ne sera plus possible.
                                                                        De même, les contrats d’assurances privées devront
1. Diminution du nombre de non-assurés                                  comporter un panier de biens et services de base cou-
                                                                        vrant 60 % des soins et devront limiter les restes à
 La réforme doit faire bénéficier d’une assurance mala-                 charge possibles ; les actes de prévention tels que la
 die 32 millions d’Américains qui n’en avaient pas ; ce                 mammographie, seront pris en charge.
 n’est pas la couverture universelle espérée mais il ne                 En outre, il sera interdit de fixer dans les contrats un
 devrait plus rester qu’une quinzaine de millions de per-               plafond du montant des remboursements que l’assu-
 sonnes en dehors de toute assurance, et tous les enfants               rance est susceptible de verser au cours de la vie d’un
 seront couverts d’une façon ou d’une autre.                            assuré. Les variations de primes demandées aux assurés
 Pour ce faire, on va élargir le champ des systèmes                     et à leurs employeurs en fonction de différents critères
­existants : assurances publiques comme Medicare,                       tels que l’âge, la taille de la famille, le lieu de rési-
Medicaid et le programme Childrens health insurance                     dence, la présence de facteur de risque, seront soumis
(on modifiera les seuils d’éligibilité) et assurances pri-              à un contrôle dans chaque État [6].
 vées financées par les employeurs ou directement par                   Toutes ces dispositions durcissent la règlementation du
les assurés.                                                            marché de l’assurance santé ; elles n’ont été acceptées
Les assureurs privés seront tenus de conserver sur l’as-                par les assureurs que parce que la réforme a abandonné
surance des parents les enfants jusqu’à 26 ans alors                    l’idée d’une assurance publique qui n’aurait, par défi-
qu’une partie des non-assurés était justement des jeunes                nition, pas utilisé les « astuces » des contrats privés et
à la recherche d’un emploi stable. Les chômeurs seront                  aurait pu leur enlever une part importante du marché.
aidés pour obtenir une assurance tout comme les                         Mais cette nouvelle réglementation sera-t-elle appliquée ?
familles modestes ne pouvant accéder à Medicaid.                        Les occasions de contentieux ne manqueront pas.

                                Pratiques et Organisation des Soins volume 42 n° 4 / octobre-décembre 2011                    273
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