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"La situation politique et électorale - Complexités et perplexités" Delpérée, Francis Abstract La crise qui marque, depuis plus d’un an, la vie politique de la Belgique s’est ouverte le 26 avril 2010. Elle a provoqué les élections du 13 juin 2010. - L’on se borne à relever ici un ensemble de questions électorales qui font, pour l’instant, débat. Comme on le constatera, la plupart d’entre elles ne peuvent être dissociées de la problématique institutionnelle générale. Document type : Article de périodique (Journal article) Référence bibliographique Delpérée, Francis. La situation politique et électorale - Complexités et perplexités. In: Revue Belge de Droit Constitutionnel, , no. 4, p. 311-320 (2010) Available at: http://hdl.handle.net/2078.1/94360 [Downloaded 2019/06/21 at 11:30:48 ]
ETUDES DOCTRINALES LA SITUATION POLITIQUE ET ÉLECTORALE COMPLEXITÉS ET PERPLEXITÉS par Francis DELPÉRÉE (*) La crise qui marque, depuis plus d’un an, la vie politique de la Belgique s’est ouverte le 26 avril 2010. Elle a provoqué les élections du 13 juin 2010. L’on trouve, dans le numéro 136 de la revue Pouvoirs, un dossier complet sur les raisons de cette crise et sur la difficulté d’en assurer un prompt règlement (1). L’on se borne à relever ici un ensemble de questions électo- rales qui font, pour l’instant, débat. Comme on le constatera, la plupart d’entre elles ne peuvent être dissociées de la problématique institutionnelle générale. La Belgique naît en 1830. Après avoir pratiqué, pendant soixante ans, le scrutin majoritaire, elle recourt à la technique de la représentation propor- tionnelle avec scrutin de liste, selon la méthode D’Hondt (2). Au même moment, elle impose le vote obligatoire (3). Publié au début du XXe siècle, l’ouvrage enthousiaste de Joseph Barthé- lémy (4) montre comment la Constitution et la loi belges ont cherché à assurer aux partis existants une représentation qui fût en rapport immédiat avec leur force numérique. Cette option politique a été préservée jusqu’à nos jours. (*)Francis Delpérée est professeur ordinaire émérite de l’Université Catholique de Louvain et sénateur. Il est membre de l’Académie royale de Belgique et de l’Institut de France. Le présent article reproduit une communication faite au Sénat français à l’occasion de la journée d’études organisée, le 20 janvier 2011, par le professeur Bernard Owen sur le thème «Processus électoral : défis et interrogations». (1) F. Delpérée, «La Belgique existe-t-elle?», Pouvoirs, 2010, pp. 9-19. Du même auteur, «Belgique. La double crise», Rev. dr. publ., 2008, pp. 1563-1579; Petit abécédaire politique, Ed. Les Claines, 2011, v° Belgique. (2) J. Stengers, «L’établissement de la représentation proportionnelle en Belgique en 1899», in P. Delwit et J.-M. de Waele, Le mode de scrutin fait-il l’élection?, Bruxelles, Editions de l’Université de Bruxelles, 2000, pp. 29-43. (3) Ph. Levert, «Le vote obligatoire», in Centre de droit public de l’U.L.B., Les élections dans tous leurs états, Bruxelles, Bruylant, 2001, p. 103; F. Delpérée, «Le vote obligatoire. A pro- pos des élections présidentielles de 2002», in Mouvement du droit public — Mélanges en l’honneur de Franck Moderne, Paris, Dalloz, 2004, p. 635. (4) J. Barthélemy, L’organisation du suffrage et l’expérience belge, Paris, Giard & Brière, 1912. this jurisquare copy is licenced to Université Catholique de Louvain - Service central des bibliothèques d0c101a50ba5b89a010c7d1fbbb0054e
312 francis delpérée Ainsi conçu, le système électoral est on ne peut plus simple. Il s’est néan- moins complexifié avec le temps. A l’heure actuelle, la représentation pro- portionnelle n’est pas sans susciter des interrogations, voire des remises en cause fondamentales. L’idée de recourir, en tout ou en partie, au scrutin majoritaire revient, de temps à autre, dans le débat. L’on rassemble ces observations sous le double signe des complexités (I) et des perplexités (II). CHAPITRE I. — Les complexités «Autant de voix, autant de sièges». La maxime proportionnaliste est simple — pour ne pas écrire : évidente — dans sa formulation. Sa mise en œuvre peut, cependant, présenter plus de difficultés (5). Celles-ci apparaissent dès l’instant où la Constitution et la loi électorale entendent imposer des règles particulières en ce qui concerne — en amont — le dépôt des candidatures (A) et — en aval — la répartition des sièges (B). La représentation proportionnelle est un modèle. Celui-ci peut se prêter à différentes interprétations et applications. La Constitution ne cache pas cette réalité institutionnelle. Elle précise sans doute que «les élections se font par le système de [la] représentation proportionnelle». Mais elle ajoute aussitôt que ce dernier sera celui «que la loi détermine» (art. 62, al. 2). Autrement dit, il revient au législateur de choisir la forme de représentation qui lui paraît la plus appropriée. A. — La présentation des candidatures A l’occasion d’un scrutin, les formations politiques présentent aux suf- frages des électeurs des candidats — ou, plus exactement, des listes de can- didats. Plusieurs lois limitent la liberté dont elles disposent à ce moment. De manière indirecte, elles portent atteinte à une représentation propor- tionnelle qui se voudrait pure et simple. Trois exemples illustrent ce phé- nomène. 1. La parité H/F Le 21 février 2002, l’article 11bis de la Constitution est révisé. Il précise que les lois fédérales et fédérées doivent favoriser l’«égal accès» des femmes et des hommes «aux mandats électifs et publics». (5) P. Martin, v° Proportionnel (scrutin), in Dictionnaire du vote (dir. P. Perrineau et D. Reynié), Paris, P.U.F., 2001. this jurisquare copy is licenced to Université Catholique de Louvain - Service central des bibliothèques d0c101a50ba5b89a010c7d1fbbb0054e
situation politique et électorale complexités et perplexités 313 Le Code électoral tient compte de cette directive (art. 117bis). Il instaure la règle de parité dans la présentation des listes de candidats (6). La formule du «perroquet» n’est pas requise en l’occurrence. Un équilibre global des candidatures d’hommes et de femmes doit, par contre, être éta- bli, à une unité près. En ce qui concerne les deux premières places de la liste, les formations politiques sont tenues de placer des candidats de sexe différent. La réforme intervenue a produit des effets significatifs. Aujourd’hui, qua- rante pour cent des députés et trente-cinq pour cent des sénateurs sont des femmes. 2. La suppléance Le législateur s’est aussi préoccupé d’organiser le remplacement du par- lementaire qui, pour différentes raisons, est amené à quitter ses fonctions en cours de mandat. Ce n’est pas le candidat suivant dans l’ordre de la liste, ni celui ayant récolté le plus de votes préférentiels, ni non plus celui ayant fait le meilleur score en totalisant des votes nominatifs et une part des votes émis en case de tête, qui est appelé à lui succéder (7). La liste de candidats effectifs est assortie d’une liste de candidats sup- pléants (8). L’électeur peut exprimer une préférence pour des candidats de la première ou de la seconde catégorie, voire des deux (9). Les élus sup- pléants sont classés de la même manière que les effectifs. C’est dans cet ordre qu’ils sont amenés à remplacer, le cas échéant, le titulaire défaillant. (6) A n’en pas douter, l’article 11bis s’inspire de la loi constitutionnelle du 8 juillet 1999, qui complète l’article 3 de la Constitution de la Ve République. Le texte est, à peu de choses près, formulé à l’identique. Il y a, cependant, une différence de taille. Alors que le texte français se réfère aux mandats électoraux — ce qui situe l’opération dans le cadre de l’organisation des scru- tins politiques —, le texte belge vise, lui, de manière plus générale, les «mandats électifs» et «publics», au sens large de l’expression. Nombre de fonctions entrent dans cette deuxième caté- gorie : ministre, haut fonctionnaire, professeur, juge, officier… (F. Delpérée, «Quel changement constitutionnel?», Bulletin de la Classe des lettres et des sciences morales et politiques de l’Académie royale de Belgique, t. XX, 2009, pp. 31-42). Adde : M. Kaiser, «Le droit à des élections libres… L’application timide d’une disposition ambitieuse», in Les droits de l’homme au seuil du troisième millénaire — Mélanges en hommage à Pierre Lambert, Bruxelles, Bruylant, 2000, p. 454; J. Sohier, «Les quotas féminins», in Centre de droit public de l’U.L.B., op. cit., p. 145; S. Van Drooghenbroeck et I. Hachez, «L’introduction de l’égalité entre les hommes et les femmes dans la Constitution», R.B.D.C., 2002, p. 153. (7) Le Code électoral entend, par la même occasion, limiter ce qu’il est convenu d’appeler l’effet dévolutif de la case de tête. Ce réservoir de voix, qui se déverse sur les candidats dans l’ordre de leur présentation, est diminué forfaitairement de moitié (Code élect., art. 172). Voy. F. Delcor, «La case de tête», in Centre de droit public de l’U.L.B., op. cit., p. 363. (8) La règle de la parité homme-femme s’impose pour la liste des candidats titulaires et pour celle des suppléants. (9) La catégorie des suppléants avait été supprimée par une loi du 27 décembre 2000. Elle est rétablie par la loi du 23 décembre 2002 (Code élect., art. 117, al. 1er et 3). Sur ce point, voy. F. Delpérée, «Constitution et élections. Belgique», A.I.J.C., 2003, p. 101. this jurisquare copy is licenced to Université Catholique de Louvain - Service central des bibliothèques d0c101a50ba5b89a010c7d1fbbb0054e
314 francis delpérée Un régime particulier est organisé pour l’élu qui bénéficie d’une nomina- tion au sein du gouvernement fédéral. Un remplaçant, à savoir le premier suppléant élu en cette qualité, occupera son fauteuil parlementaire le temps de sa présence au ministère. Si le membre du gouvernement vient à perdre son poste, il ouvre un «parachute ventral» et retrouve immédiatement son mandat électif (Const., art. 50). Le procédé de la suppléance fait l’objet de vives critiques. Non dans son principe mais dans ses modalités. Il permet parfois à des hommes de paille d’émerger sans avoir véritablement affronté le corps électoral. Il permet aux partis de faire siéger des parlementaires peu populaires ou de mettre le pied à l’étrier à de jeunes espoirs. Il leur offre aussi l’occasion de récom- penser leurs collaborateurs ou leurs vieux serviteurs. 3. L’effectivité de la candidature La Cour constitutionnelle avait critiqué en termes énergiques le régime des doubles candidatures, à la Chambre des représentants et au Sénat (10). Selon elle, le procédé était «de nature à tromper l’électeur puisque (ce der- nier) ne p(ouvait) apprécier l’effet utile de son vote»; en outre, il «avantage(ait) sans justification raisonnable les candidats qui p(ouvai)ent bénéficier de la double candidature». Nul ne peut être à la fois membre d’une assemblée fédérale et d’une assemblée régionale. Néanmoins, le parlementaire belge qui siège déjà dans une assemblée a le droit de se présenter à l’élection pour l’autre. Une fois élu, il lui reviendra de choisir entre les deux mandats, l’ancien (toujours en cours) et le nouveau (11). La loi n’exclut pas une candidature effective et une candidature sup- pléante dans la même assemblée. Elle ne fait pas non plus obstacle à ce que le bourgmestre d’une grande ville se porte candidat à la députation et siège dans une assemblée parlementaire. Toutes situations où l’élu risque, cepen- dant, de se désister au lendemain du scrutin et de céder instantanément la place à un suppléant. Ici aussi, le procédé est critiqué. Les promoteurs d’une liste disposent, considère-t-on généralement, d’une trop grande liberté dans le choix, non seulement des candidats mais des élus. Il a été suggéré à de multiples reprises d’édicter une nouvelle règle. La personne qui est candidate à un mandat public et qui l’a obtenu devrait être tenue de l’exercer. Ce qui aurait pour objet ou effet de rendre au corps électoral plus de liberté dans le choix effectif de ses élus. (10) C.C., arrêt n° 73/2003, du 26 mai 2003. (11) La même observation vaut pour les fonctions incompatibles avec un mandat parlemen- taire. this jurisquare copy is licenced to Université Catholique de Louvain - Service central des bibliothèques d0c101a50ba5b89a010c7d1fbbb0054e
situation politique et électorale complexités et perplexités 315 B. — La répartition des sièges D’autres tempéraments peuvent être apportés à une application simple de la règle de la représentation proportionnelle. Ils entrent en compte au moment où le corps électoral s’est déjà prononcé. Des règles particulières commandent, en effet, la dévolution des sièges à pourvoir. Elles apportent des accommodements sérieux à un système de pure proportionnalité. 1. Les seuils L’on sait que la représentation proportionnelle a un effet immédiat. Elle favorise la multiplication des partis politiques. Aujourd’hui, douze d’entre eux sont présents à la Chambre des représentants (12). En fonction des résultats, quatre, cinq, six ou sept formations doivent s’allier aux fins de composer un gouvernement viable, c’est-à-dire bénéficiant d’une majorité suffisante au sein de la première assemblée. Telle est la loi de base du régime parlementaire (Const., art. 101 : «Les ministres sont responsables devant la Chambre des représentants»). Aux fins de combattre autant que faire se peut un phénomène qui pour- rait empêcher la conduite d’une action politique efficace, le législateur a instauré la règle du seuil. Seuls peuvent prétendre obtenir des sièges les par- tis qui font la preuve d’une représentativité politique suffisante. Par contre, ceux qui n’atteignent pas 5% des suffrages exprimés dans la pro- vince concernée sont éliminés (13). L’on mesure les dangers du système. Il peut témoigner d’un réflexe cor- poratiste. Il empêche de nouvelles formations politiques de faire leurs pre- mières armes. Il porte atteinte aux droits des minorités, notamment lin- guistiques, qui se voient privées de toute reconnaissance politique. Il peut contraindre certaines formations à constituer des cartels contre nature pour ne pas être rayées de la carte. La Cour constitutionnelle ne considère, cependant, pas que la mesure porte atteinte de manière disproportionnée à la règle d’égalité qui doit pré- valoir dans le déroulement de la compétition électorale. Dans son arrêt n° 73/2003, déjà cité, elle considère que le régime de représentation propor- tionnelle qu’instaurent les articles 62, 63 et 68 de la Constitution «n’implique pas que la dévolution des sièges (soit) le reflet exact du nombre des suffrages». Elle précise que ces «dispositions constitutionnelles n’inter- disent pas au législateur d’apporter au système de la représentation pro- portionnelle des limitations raisonnables en vue d’assurer le fonctionnement (12) Il n’y a, cependant, que onze groupes politiques à la Chambre: les deux partis écologistes, ceux du Nord et du Sud, ont décidé, en effet, de ne former qu’un seul groupe. (13) Cela a été le cas en 2003 pour Groen! (les Verts flamands) qui a été privé de toute repré- sentation politique alors qu’il faisait pourtant quatre et demi pour cent du corps électoral. this jurisquare copy is licenced to Université Catholique de Louvain - Service central des bibliothèques d0c101a50ba5b89a010c7d1fbbb0054e
316 francis delpérée des institutions démocratiques». Elle ajoute encore que la Constitution «ne fait pas obstacle en principe à ce qu’un seuil électoral soit institué en vue de limiter la fragmentation de l’organe représentatif». 2. Les apparentements Aux fins d’affiner la règle de la représentation proportionnelle, le Code électoral prévoit que les listes qui présentent des candidats dans l’arrondis- sement de Bruxelles-Hal-Vilvorde, d’une part, et dans la province du Bra- bant wallon ou dans l’arrondissement de Leuven, d’autre part, peuvent se grouper en vue de bénéficier d’une répartition complémentaire de sièges (Code élect., art. 169-171). Ici encore, le bénéfice de la règle est réservé à certaines listes. Ce sont celles qui peuvent se prévaloir d’une représentativité suffisante de 5 % dans l’une des circonscriptions concernées. 3. Les dédoublements L’organisation des assemblées parlementaires dans un Etat fédéral peut aller de pair avec la désignation d’élus fédéraux issus des assemblées de communauté et de région dont les membres sont eux-mêmes élus au suf- frage universel direct. Ils assumeront de cette manière un double, voire un triple mandat. C’est le cas pour vingt et un sénateurs (dix francophones, dix flamands et un germanophone) sur soixante et onze. L’opération respecte en principe la règle de proportionnalité. Elle peut conduire à des distorsions lorsqu’une formation politique n’est pas repré- sentée au niveau régional. Dans le cas du sénateur de communauté germa- nophone, un scrutin de type uninominal est organisé (14). CHAPITRE II. — Les perplexités Les développements de la crise politique de 2010-2011 — qui est autant la crise de l’Etat que celle du gouvernement (15) — et les difficultés à déga- ger une majorité cohérente peuvent inciter à remettre en question les prin- cipes mêmes du système électoral tel qu’il est en vigueur depuis plus d’un siècle. Un changement de structures ou de méthodes n’apporterait-il pas, dans l’immédiat, un début de solution à la crise ou n’éviterait-il pas que le phénomène ne se reproduise à l’avenir? (14) La même technique prévaut pour la désignation du parlementaire européen, élu dans la Communauté germanophone. (15) F. Delpérée, «Belgique. La double crise», op. cit. this jurisquare copy is licenced to Université Catholique de Louvain - Service central des bibliothèques d0c101a50ba5b89a010c7d1fbbb0054e
situation politique et électorale complexités et perplexités 317 A cette occasion, il arrive que le bicamérisme soit contesté dans son prin- cipe (A). La représentation proportionnelle, aussi (B). A. — Le bicamérisme Depuis l’indépendance de la Belgique, l’institution sénatoriale s’est tou- jours trouvée au cœur du débat politique. Il n’en reste pas moins que, dès l’origine, le bicamérisme commande, sous des formes différentes, l’organisa- tion du régime parlementaire. Il est, aujourd’hui, mis en question. Préoccupés de contester de manière radicale l’action des institutions fédé- rales, certains demandent l’abolition pure et simple du Sénat. D’autres reconnaissent l’utilité d’une seconde chambre mais souhaiteraient lui assi- gner des tâches particulières. Ces options peuvent conduire à remettre en question les principes d’organisation de l’institution sénatoriale. 1. La suppression du Sénat Le bicamérisme a été l’une des techniques en vogue au XIXe siècle. Il a connu un déclin certain dans la seconde moitié du XXe siècle. Les Etats nordiques ou les Etats méditerranéens, tels le Portugal et la Grèce, n’ont institué qu’une seule chambre. Le Parlement européen est constitué de la même manière. Depuis le dernier quart du XXe siècle, le mouvement s’est néanmoins inversé. Le bicamérisme connaît aujourd’hui un réel essor, que ce soit en Afrique, en Asie ou dans l’Europe de l’Est. Notamment dans l’Union européenne, l’on ne saurait ignorer le sens de cette évolution. Les Etats fédéraux, en particulier, recourent à la technique du bicamérisme. Ils partent de l’idée qu’une première chambre doit être composée, selon les techniques de l’élec- tion directe, en fonction de critères généraux, dont celui de la population. Ils considèrent que la seconde chambre doit être, elle, représentative des collectivités composantes : à savoir les «Etats», les cantons, les provinces, les régions, etc. Cette façon de faire contribue à instaurer deux assemblées qui donnent du pays deux images différentes et qui peuvent introduire, dans le système parlementaire, un dialogue utile. Il n’est pas indifférent de confronter les préoccupations de ceux qui représentent l’Etat fédéral dans son ensemble et les volontés de ceux qui sont les porte-parole des communautés et des régions. Si la Belgique devait renoncer au bicamérisme, elle se singulariserait sans doute dans le champ des Etats fédéraux. Elle appauvrirait aussi le champ du dialogue politique qui est à la base même de la démocratie. this jurisquare copy is licenced to Université Catholique de Louvain - Service central des bibliothèques d0c101a50ba5b89a010c7d1fbbb0054e
318 francis delpérée 2. Le Sénat communautaire et régional Si la préoccupation est de construire, comme dans la plupart des Etats fédéraux, une institution représentative des communautés et des régions, il y a peut-être lieu de renoncer à l’instauration d’un Sénat qui se compose, comme aujourd’hui, d’une majorité d’élus directs — quarante sur soixante et onze —. Les parlements fédérés délégueraient une partie de leurs membres pour composer la Haute assemblée. Ou ils choisiraient, en dehors de leurs rangs, un ensemble de personnes pour les représenter. Selon toute vraisemblance, ils le feraient selon les règles de la représentation proportionnelle mais celle- ci devrait se concevoir au second degré (voir les remarques sur les dédou- blements, supra). 3. Le Sénat, chambre de concertation Si le Sénat veut remplir des tâches particulières, s’il entend veiller, par exemple, à la préservation de l’esprit de loyauté entre les partenaires de l’Etat fédéral (Const., art. 143, al. 1er) et régler les conflits qui pourraient surgir entre eux, il doit chercher à les associer sur un pied d’égalité (16). La représentation proportionnelle qui procure aujourd’hui un équilibre quarante-trente et un devrait être abandonnée au profit d’une composition paritaire (infra), étant entendu que la règle de la représentation proportion- nelle pourrait jouer au sein de chacun des deux groupes. B. — La représentation proportionnelle Même s’ils restent souvent à un stade embryonnaire, d’autres projets sont à l’étude. S’ils étaient mis en œuvre, ils pourraient affecter de manière plus immédiate, et sur des points essentiels, les techniques de la représen- tation proportionnelle. Certains d’entre eux concernent le Sénat. D’autres, les deux assemblées. (16) La concertation peut se situer dans le domaine informel, celui des contacts interindivi- duels entre des hommes et des femmes qui se rencontrent, qui traitent de questions d’intérêt fédéral mais qui abordent également les questions qui se situent à l’intersection des questions fédérales, communautaires et régionales. Elle peut s’inscrire aussi dans le cercle particulier de la commission des réformes institutionnelles dont la présidence est actuellement confiée au prési- dent du Sénat (Dany Pieters, N-VA), la première vice-présidence à un sénateur francophone (Francis Delpérée, cdH) et la seconde vice-présidence à un sénateur flamand (Bart Tommelein, Open Vld). Encore faut-il observer que cette commission ne s’est réunie ni dans le courant de l’année 2010, ni dans les premiers mois de l’année 2011. La concertation peut encore se dévelop- per dans les enceintes parlementaires sénatoriales, surtout si celles-ci devaient se composer d’une manière qui fasse droit de manière équitable à la représentation des deux grandes communautés. this jurisquare copy is licenced to Université Catholique de Louvain - Service central des bibliothèques d0c101a50ba5b89a010c7d1fbbb0054e
situation politique et électorale complexités et perplexités 319 1. La parité F/N Dans une logique fédérale bipolaire, il serait cohérent d’organiser un Sénat qui tienne compte, dans sa composition et dans ses attributions, de l’existence de ce qu’il est convenu d’appeler «les composantes» de l’Etat fédéral (Const., intitulé du Titre Ier). Un Sénat paritaire associant, sur pied d’égalité, les deux grandes com- munautés — française et flamande — qui sont organisées au sein de l’Etat fédéral pourrait être mis en place dans cette perspective (17). Dans ce cas, la proportionnalité ne jouerait plus qu’au sein de chacun des groupes de sénateurs. 2. Le scrutin d’arrondissement Au même titre que les élections fédérales, les élections régionales sont organisées en respectant les règles de la représentation proportionnelle. A l’issue de celles-ci, des négociations s’ouvrent dans chaque région aux fins de constituer un gouvernement régional. Il va sans dire que le Roi n’inter- vient pas en ce domaine. Certaines formations peuvent avoir le sentiment, réel ou déformé peu importe, que des coalitions se constituent, à ce moment, entre les partis, sans considération pour les préoccupations du corps électoral. Comment remédier à cette situation peu respectueuse des exigences de la démocratie? Il y a peut-être lieu, dit-on, de provoquer un changement des habitudes électorales. Une élection à deux tours serait organisée. Au second, seuls les deux par- tis arrivés en tête ou les deux coalitions qui se formeraient dans l’intervalle pourraient concourir pour obtenir les sièges vacants. Dans la foulée, certains se demandent si un scrutin majoritaire à deux tours ne serait pas envisageable au niveau fédéral. Encore faut-il observer que la disposition de l’article 62 de la Constitution n’est pas révisable durant la présente législature. La réflexion se poursuit aussi, mais sans beaucoup de précision, sur l’uti- lité d’instiller une dose de scrutin majoritaire dans un scrutin organisé, pour l’essentiel, selon les techniques proportionnelles (18). (17) Une variante revient à ne pas modifier l’organisation de l’assemblée mais à prescrire que, pour l’adoption d’un certain nombre de lois, une majorité soit requise dans l’un et l’autre groupes linguistiques de parlementaires. (18) On trouvera un aperçu de ces propositions dans J. Sohier, «Le système électoral : scrutin majoritaire/représentation proportionnelle/systèmes mixtes/seuil électoral», in Centre de droit public de l’U.L.B., op. cit., p. 345. Adde : F. Delpérée, «Courtes crises», J.T., 1999, p. 636. this jurisquare copy is licenced to Université Catholique de Louvain - Service central des bibliothèques d0c101a50ba5b89a010c7d1fbbb0054e
320 francis delpérée 3. Le scrutin national A l’occasion des élections fédérales, la Belgique aménage, en fait sinon en droit, deux espaces politiques distincts. Les partis flamands présentent des listes de candidats dans les circonscriptions électorales du Nord du pays et les partis francophones ne se présentent qu’au Sud. La seule exception réside dans la célèbre circonscription dite de BHV qui comprend les arron- dissements de Bruxelles et de Hal-Vilvorde. Les électeurs de cette circons- cription ont la possibilité de voter pour des candidats qui se présentent sur une liste francophone ou sur une liste néerlandophone. Il est proposé, de divers côtés, d’organiser un scrutin national aux fins de choisir une part significative de députés ou de sénateurs. La technique, dit-on, devrait inciter les candidats et les élus à manifester une attention pour les préoccupations qui s’expriment dans l’autre communauté du pays. Pour ce faire, chaque citoyen devrait disposer de deux bulletins de vote. Le premier lui servirait à élire le représentant d’un collège particulier, le second à élire le représentant de la Nation tout entière. Encore faut-il que l’électeur se place lui-même dans cette préoccupation et ne se contente pas de voter en faveur du candidat local présent sur la liste nationale. Si l’on devait s’engager sur cette voie, il conviendrait, aux fins de res- pecter les équilibres institutionnels qui prévalent en Belgique, de prévoir que chacune des deux grandes communautés devrait obtenir un nombre prédéterminé et égal de représentants fédéraux. Ce serait une nouvelle entorse à la règle de la représentation proportionnelle. * Il serait excessif de considérer qu’un changement de scrutin suffira à assurer à la Belgique et aux Belges plus de sérénité. Les problèmes qui occupent le débat politique sont d’une autre nature. Une baguette électo- rale ne saurait les régler comme par enchantement. this jurisquare copy is licenced to Université Catholique de Louvain - Service central des bibliothèques d0c101a50ba5b89a010c7d1fbbb0054e
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