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"La situation politique et électorale - Complexités et perplexités"

                                                         Delpérée, Francis

                                                             Abstract
                    La crise qui marque, depuis plus d’un an, la vie politique de la Belgique s’est
                    ouverte le 26 avril 2010. Elle a provoqué les élections du 13 juin 2010. - L’on
                    se borne à relever ici un ensemble de questions électorales qui font, pour
                    l’instant, débat. Comme on le constatera, la plupart d’entre elles ne peuvent être
                    dissociées de la problématique institutionnelle générale.

                                       Document type : Article de périodique (Journal article)

                                                                        Référence bibliographique
           Delpérée, Francis. La situation politique et électorale - Complexités et perplexités. In: Revue Belge
           de Droit Constitutionnel, , no. 4, p. 311-320 (2010)

Available at:
http://hdl.handle.net/2078.1/94360
[Downloaded 2019/06/21 at 11:30:48 ]
ETUDES DOCTRINALES

                                               LA SITUATION POLITIQUE ET ÉLECTORALE
                                                    COMPLEXITÉS ET PERPLEXITÉS

                                                                                   par

                                                                    Francis DELPÉRÉE (*)

                                      La crise qui marque, depuis plus d’un an, la vie politique de la Belgique
                                   s’est ouverte le 26 avril 2010. Elle a provoqué les élections du 13 juin 2010.
                                      L’on trouve, dans le numéro 136 de la revue Pouvoirs, un dossier complet
                                   sur les raisons de cette crise et sur la difficulté d’en assurer un prompt
                                   règlement (1). L’on se borne à relever ici un ensemble de questions électo-
                                   rales qui font, pour l’instant, débat. Comme on le constatera, la plupart
                                   d’entre elles ne peuvent être dissociées de la problématique institutionnelle
                                   générale.
                                      La Belgique naît en 1830. Après avoir pratiqué, pendant soixante ans, le
                                   scrutin majoritaire, elle recourt à la technique de la représentation propor-
                                   tionnelle avec scrutin de liste, selon la méthode D’Hondt (2). Au même
                                   moment, elle impose le vote obligatoire (3).
                                      Publié au début du XXe siècle, l’ouvrage enthousiaste de Joseph Barthé-
                                   lémy (4) montre comment la Constitution et la loi belges ont cherché à
                                   assurer aux partis existants une représentation qui fût en rapport immédiat
                                   avec leur force numérique. Cette option politique a été préservée jusqu’à
                                   nos jours.

                                      (*)Francis Delpérée est professeur ordinaire émérite de l’Université Catholique de Louvain et
                                   sénateur. Il est membre de l’Académie royale de Belgique et de l’Institut de France. Le présent
                                   article reproduit une communication faite au Sénat français à l’occasion de la journée d’études
                                   organisée, le 20 janvier 2011, par le professeur Bernard Owen sur le thème «Processus électoral :
                                   défis et interrogations».
                                      (1) F. Delpérée, «La Belgique existe-t-elle?», Pouvoirs, 2010, pp. 9-19. Du même auteur,
                                   «Belgique. La double crise», Rev. dr. publ., 2008, pp. 1563-1579; Petit abécédaire politique, Ed. Les
                                   Claines, 2011, v° Belgique.
                                      (2) J. Stengers, «L’établissement de la représentation proportionnelle en Belgique en 1899»,
                                   in P. Delwit et J.-M. de Waele, Le mode de scrutin fait-il l’élection?, Bruxelles, Editions de
                                   l’Université de Bruxelles, 2000, pp. 29-43.
                                      (3) Ph. Levert, «Le vote obligatoire», in Centre de droit public de l’U.L.B., Les élections
                                   dans tous leurs états, Bruxelles, Bruylant, 2001, p. 103; F. Delpérée, «Le vote obligatoire. A pro-
                                   pos des élections présidentielles de 2002», in Mouvement du droit public — Mélanges en l’honneur
                                   de Franck Moderne, Paris, Dalloz, 2004, p. 635.
                                      (4) J. Barthélemy, L’organisation du suffrage et l’expérience belge, Paris, Giard & Brière,
                                   1912.

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                                     Ainsi conçu, le système électoral est on ne peut plus simple. Il s’est néan-
                                   moins complexifié avec le temps. A l’heure actuelle, la représentation pro-
                                   portionnelle n’est pas sans susciter des interrogations, voire des remises en
                                   cause fondamentales. L’idée de recourir, en tout ou en partie, au scrutin
                                   majoritaire revient, de temps à autre, dans le débat.
                                     L’on rassemble ces observations sous le double signe des complexités (I)
                                   et des perplexités (II).

                                                          CHAPITRE I. — Les complexités

                                      «Autant de voix, autant de sièges». La maxime proportionnaliste est
                                   simple — pour ne pas écrire : évidente — dans sa formulation.
                                      Sa mise en œuvre peut, cependant, présenter plus de difficultés (5).
                                   Celles-ci apparaissent dès l’instant où la Constitution et la loi électorale
                                   entendent imposer des règles particulières en ce qui concerne — en
                                   amont — le dépôt des candidatures (A) et — en aval — la répartition des
                                   sièges (B).
                                      La représentation proportionnelle est un modèle. Celui-ci peut se prêter
                                   à différentes interprétations et applications. La Constitution ne cache pas
                                   cette réalité institutionnelle. Elle précise sans doute que «les élections se
                                   font par le système de [la] représentation proportionnelle». Mais elle ajoute
                                   aussitôt que ce dernier sera celui «que la loi détermine» (art. 62, al. 2).
                                   Autrement dit, il revient au législateur de choisir la forme de représentation
                                   qui lui paraît la plus appropriée.

                                                         A. — La présentation des candidatures
                                      A l’occasion d’un scrutin, les formations politiques présentent aux suf-
                                   frages des électeurs des candidats — ou, plus exactement, des listes de can-
                                   didats. Plusieurs lois limitent la liberté dont elles disposent à ce moment.
                                   De manière indirecte, elles portent atteinte à une représentation propor-
                                   tionnelle qui se voudrait pure et simple. Trois exemples illustrent ce phé-
                                   nomène.

                                     1. La parité H/F
                                     Le 21 février 2002, l’article 11bis de la Constitution est révisé. Il précise
                                   que les lois fédérales et fédérées doivent favoriser l’«égal accès» des femmes
                                   et des hommes «aux mandats électifs et publics».

                                      (5) P. Martin, v° Proportionnel (scrutin), in Dictionnaire du vote (dir. P. Perrineau et
                                   D. Reynié), Paris, P.U.F., 2001.

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situation politique et électorale complexités et perplexités                                       313

                                      Le Code électoral tient compte de cette directive (art. 117bis). Il instaure
                                   la règle de parité dans la présentation des listes de candidats (6).
                                      La formule du «perroquet» n’est pas requise en l’occurrence. Un équilibre
                                   global des candidatures d’hommes et de femmes doit, par contre, être éta-
                                   bli, à une unité près. En ce qui concerne les deux premières places de la
                                   liste, les formations politiques sont tenues de placer des candidats de sexe
                                   différent.
                                      La réforme intervenue a produit des effets significatifs. Aujourd’hui, qua-
                                   rante pour cent des députés et trente-cinq pour cent des sénateurs sont des
                                   femmes.

                                      2. La suppléance
                                      Le législateur s’est aussi préoccupé d’organiser le remplacement du par-
                                   lementaire qui, pour différentes raisons, est amené à quitter ses fonctions
                                   en cours de mandat. Ce n’est pas le candidat suivant dans l’ordre de la
                                   liste, ni celui ayant récolté le plus de votes préférentiels, ni non plus celui
                                   ayant fait le meilleur score en totalisant des votes nominatifs et une part
                                   des votes émis en case de tête, qui est appelé à lui succéder (7).
                                      La liste de candidats effectifs est assortie d’une liste de candidats sup-
                                   pléants (8). L’électeur peut exprimer une préférence pour des candidats de
                                   la première ou de la seconde catégorie, voire des deux (9). Les élus sup-
                                   pléants sont classés de la même manière que les effectifs. C’est dans cet
                                   ordre qu’ils sont amenés à remplacer, le cas échéant, le titulaire défaillant.

                                       (6) A n’en pas douter, l’article 11bis s’inspire de la loi constitutionnelle du 8 juillet 1999, qui
                                   complète l’article 3 de la Constitution de la Ve République. Le texte est, à peu de choses près,
                                   formulé à l’identique. Il y a, cependant, une différence de taille. Alors que le texte français se
                                   réfère aux mandats électoraux — ce qui situe l’opération dans le cadre de l’organisation des scru-
                                   tins politiques —, le texte belge vise, lui, de manière plus générale, les «mandats électifs» et
                                   «publics», au sens large de l’expression. Nombre de fonctions entrent dans cette deuxième caté-
                                   gorie : ministre, haut fonctionnaire, professeur, juge, officier… (F. Delpérée, «Quel changement
                                   constitutionnel?», Bulletin de la Classe des lettres et des sciences morales et politiques de l’Académie
                                   royale de Belgique, t. XX, 2009, pp. 31-42). Adde : M. Kaiser, «Le droit à des élections libres…
                                   L’application timide d’une disposition ambitieuse», in Les droits de l’homme au seuil du troisième
                                   millénaire — Mélanges en hommage à Pierre Lambert, Bruxelles, Bruylant, 2000, p. 454;
                                   J. Sohier, «Les quotas féminins», in Centre de droit public de l’U.L.B., op. cit., p. 145;
                                   S. Van Drooghenbroeck et I. Hachez, «L’introduction de l’égalité entre les hommes et les
                                   femmes dans la Constitution», R.B.D.C., 2002, p. 153.
                                       (7) Le Code électoral entend, par la même occasion, limiter ce qu’il est convenu d’appeler
                                   l’effet dévolutif de la case de tête. Ce réservoir de voix, qui se déverse sur les candidats dans
                                   l’ordre de leur présentation, est diminué forfaitairement de moitié (Code élect., art. 172). Voy.
                                   F. Delcor, «La case de tête», in Centre de droit public de l’U.L.B., op. cit., p. 363.
                                       (8) La règle de la parité homme-femme s’impose pour la liste des candidats titulaires et pour
                                   celle des suppléants.
                                       (9) La catégorie des suppléants avait été supprimée par une loi du 27 décembre 2000. Elle est
                                   rétablie par la loi du 23 décembre 2002 (Code élect., art. 117, al. 1er et 3). Sur ce point, voy.
                                   F. Delpérée, «Constitution et élections. Belgique», A.I.J.C., 2003, p. 101.

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                                      Un régime particulier est organisé pour l’élu qui bénéficie d’une nomina-
                                   tion au sein du gouvernement fédéral. Un remplaçant, à savoir le premier
                                   suppléant élu en cette qualité, occupera son fauteuil parlementaire le temps
                                   de sa présence au ministère. Si le membre du gouvernement vient à perdre
                                   son poste, il ouvre un «parachute ventral» et retrouve immédiatement son
                                   mandat électif (Const., art. 50).
                                      Le procédé de la suppléance fait l’objet de vives critiques. Non dans son
                                   principe mais dans ses modalités. Il permet parfois à des hommes de paille
                                   d’émerger sans avoir véritablement affronté le corps électoral. Il permet
                                   aux partis de faire siéger des parlementaires peu populaires ou de mettre
                                   le pied à l’étrier à de jeunes espoirs. Il leur offre aussi l’occasion de récom-
                                   penser leurs collaborateurs ou leurs vieux serviteurs.

                                     3. L’effectivité de la candidature
                                      La Cour constitutionnelle avait critiqué en termes énergiques le régime
                                   des doubles candidatures, à la Chambre des représentants et au Sénat (10).
                                   Selon elle, le procédé était «de nature à tromper l’électeur puisque (ce der-
                                   nier) ne p(ouvait) apprécier l’effet utile de son vote»; en outre, il
                                   «avantage(ait) sans justification raisonnable les candidats qui p(ouvai)ent
                                   bénéficier de la double candidature».
                                      Nul ne peut être à la fois membre d’une assemblée fédérale et d’une
                                   assemblée régionale. Néanmoins, le parlementaire belge qui siège déjà dans
                                   une assemblée a le droit de se présenter à l’élection pour l’autre. Une fois
                                   élu, il lui reviendra de choisir entre les deux mandats, l’ancien (toujours en
                                   cours) et le nouveau (11).
                                      La loi n’exclut pas une candidature effective et une candidature sup-
                                   pléante dans la même assemblée. Elle ne fait pas non plus obstacle à ce que
                                   le bourgmestre d’une grande ville se porte candidat à la députation et siège
                                   dans une assemblée parlementaire. Toutes situations où l’élu risque, cepen-
                                   dant, de se désister au lendemain du scrutin et de céder instantanément la
                                   place à un suppléant.
                                      Ici aussi, le procédé est critiqué. Les promoteurs d’une liste disposent,
                                   considère-t-on généralement, d’une trop grande liberté dans le choix, non
                                   seulement des candidats mais des élus. Il a été suggéré à de multiples
                                   reprises d’édicter une nouvelle règle. La personne qui est candidate à un
                                   mandat public et qui l’a obtenu devrait être tenue de l’exercer. Ce qui
                                   aurait pour objet ou effet de rendre au corps électoral plus de liberté dans
                                   le choix effectif de ses élus.

                                       (10) C.C., arrêt n° 73/2003, du 26 mai 2003.
                                       (11) La même observation vaut pour les fonctions incompatibles avec un mandat parlemen-
                                   taire.

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situation politique et électorale complexités et perplexités                                  315

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                                     D’autres tempéraments peuvent être apportés à une application simple
                                   de la règle de la représentation proportionnelle. Ils entrent en compte au
                                   moment où le corps électoral s’est déjà prononcé. Des règles particulières
                                   commandent, en effet, la dévolution des sièges à pourvoir. Elles apportent
                                   des accommodements sérieux à un système de pure proportionnalité.

                                     1. Les seuils
                                      L’on sait que la représentation proportionnelle a un effet immédiat. Elle
                                   favorise la multiplication des partis politiques. Aujourd’hui, douze d’entre
                                   eux sont présents à la Chambre des représentants (12). En fonction des
                                   résultats, quatre, cinq, six ou sept formations doivent s’allier aux fins de
                                   composer un gouvernement viable, c’est-à-dire bénéficiant d’une majorité
                                   suffisante au sein de la première assemblée. Telle est la loi de base du
                                   régime parlementaire (Const., art. 101 : «Les ministres sont responsables
                                   devant la Chambre des représentants»).
                                      Aux fins de combattre autant que faire se peut un phénomène qui pour-
                                   rait empêcher la conduite d’une action politique efficace, le législateur a
                                   instauré la règle du seuil. Seuls peuvent prétendre obtenir des sièges les par-
                                   tis qui font la preuve d’une représentativité politique suffisante. Par
                                   contre, ceux qui n’atteignent pas 5% des suffrages exprimés dans la pro-
                                   vince concernée sont éliminés (13).
                                      L’on mesure les dangers du système. Il peut témoigner d’un réflexe cor-
                                   poratiste. Il empêche de nouvelles formations politiques de faire leurs pre-
                                   mières armes. Il porte atteinte aux droits des minorités, notamment lin-
                                   guistiques, qui se voient privées de toute reconnaissance politique. Il peut
                                   contraindre certaines formations à constituer des cartels contre nature pour
                                   ne pas être rayées de la carte.
                                      La Cour constitutionnelle ne considère, cependant, pas que la mesure
                                   porte atteinte de manière disproportionnée à la règle d’égalité qui doit pré-
                                   valoir dans le déroulement de la compétition électorale. Dans son arrêt
                                   n° 73/2003, déjà cité, elle considère que le régime de représentation propor-
                                   tionnelle qu’instaurent les articles 62, 63 et 68 de la Constitution
                                   «n’implique pas que la dévolution des sièges (soit) le reflet exact du nombre
                                   des suffrages». Elle précise que ces «dispositions constitutionnelles n’inter-
                                   disent pas au législateur d’apporter au système de la représentation pro-
                                   portionnelle des limitations raisonnables en vue d’assurer le fonctionnement

                                      (12) Il n’y a, cependant, que onze groupes politiques à la Chambre: les deux partis écologistes,
                                   ceux du Nord et du Sud, ont décidé, en effet, de ne former qu’un seul groupe.
                                      (13) Cela a été le cas en 2003 pour Groen! (les Verts flamands) qui a été privé de toute repré-
                                   sentation politique alors qu’il faisait pourtant quatre et demi pour cent du corps électoral.

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316                               francis delpérée

                                   des institutions démocratiques». Elle ajoute encore que la Constitution «ne
                                   fait pas obstacle en principe à ce qu’un seuil électoral soit institué en vue
                                   de limiter la fragmentation de l’organe représentatif».

                                     2. Les apparentements
                                      Aux fins d’affiner la règle de la représentation proportionnelle, le Code
                                   électoral prévoit que les listes qui présentent des candidats dans l’arrondis-
                                   sement de Bruxelles-Hal-Vilvorde, d’une part, et dans la province du Bra-
                                   bant wallon ou dans l’arrondissement de Leuven, d’autre part, peuvent se
                                   grouper en vue de bénéficier d’une répartition complémentaire de sièges
                                   (Code élect., art. 169-171).
                                      Ici encore, le bénéfice de la règle est réservé à certaines listes. Ce sont
                                   celles qui peuvent se prévaloir d’une représentativité suffisante de 5 %
                                   dans l’une des circonscriptions concernées.

                                     3. Les dédoublements
                                      L’organisation des assemblées parlementaires dans un Etat fédéral peut
                                   aller de pair avec la désignation d’élus fédéraux issus des assemblées de
                                   communauté et de région dont les membres sont eux-mêmes élus au suf-
                                   frage universel direct. Ils assumeront de cette manière un double, voire un
                                   triple mandat. C’est le cas pour vingt et un sénateurs (dix francophones,
                                   dix flamands et un germanophone) sur soixante et onze.
                                      L’opération respecte en principe la règle de proportionnalité. Elle peut
                                   conduire à des distorsions lorsqu’une formation politique n’est pas repré-
                                   sentée au niveau régional. Dans le cas du sénateur de communauté germa-
                                   nophone, un scrutin de type uninominal est organisé (14).

                                                          CHAPITRE II. — Les perplexités

                                      Les développements de la crise politique de 2010-2011 — qui est autant
                                   la crise de l’Etat que celle du gouvernement (15) — et les difficultés à déga-
                                   ger une majorité cohérente peuvent inciter à remettre en question les prin-
                                   cipes mêmes du système électoral tel qu’il est en vigueur depuis plus d’un
                                   siècle. Un changement de structures ou de méthodes n’apporterait-il pas,
                                   dans l’immédiat, un début de solution à la crise ou n’éviterait-il pas que le
                                   phénomène ne se reproduise à l’avenir?

                                     (14) La même technique prévaut pour la désignation du parlementaire européen, élu dans la
                                   Communauté germanophone.
                                     (15) F. Delpérée, «Belgique. La double crise», op. cit.

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situation politique et électorale complexités et perplexités              317

                                     A cette occasion, il arrive que le bicamérisme soit contesté dans son prin-
                                   cipe (A). La représentation proportionnelle, aussi (B).

                                                              A. — Le bicamérisme
                                      Depuis l’indépendance de la Belgique, l’institution sénatoriale s’est tou-
                                   jours trouvée au cœur du débat politique. Il n’en reste pas moins que, dès
                                   l’origine, le bicamérisme commande, sous des formes différentes, l’organisa-
                                   tion du régime parlementaire. Il est, aujourd’hui, mis en question.
                                      Préoccupés de contester de manière radicale l’action des institutions fédé-
                                   rales, certains demandent l’abolition pure et simple du Sénat. D’autres
                                   reconnaissent l’utilité d’une seconde chambre mais souhaiteraient lui assi-
                                   gner des tâches particulières. Ces options peuvent conduire à remettre en
                                   question les principes d’organisation de l’institution sénatoriale.

                                     1. La suppression du Sénat
                                      Le bicamérisme a été l’une des techniques en vogue au XIXe siècle. Il a
                                   connu un déclin certain dans la seconde moitié du XXe siècle. Les Etats
                                   nordiques ou les Etats méditerranéens, tels le Portugal et la Grèce, n’ont
                                   institué qu’une seule chambre. Le Parlement européen est constitué de la
                                   même manière. Depuis le dernier quart du XXe siècle, le mouvement s’est
                                   néanmoins inversé.
                                      Le bicamérisme connaît aujourd’hui un réel essor, que ce soit en Afrique,
                                   en Asie ou dans l’Europe de l’Est. Notamment dans l’Union européenne,
                                   l’on ne saurait ignorer le sens de cette évolution. Les Etats fédéraux, en
                                   particulier, recourent à la technique du bicamérisme. Ils partent de l’idée
                                   qu’une première chambre doit être composée, selon les techniques de l’élec-
                                   tion directe, en fonction de critères généraux, dont celui de la population.
                                   Ils considèrent que la seconde chambre doit être, elle, représentative des
                                   collectivités composantes : à savoir les «Etats», les cantons, les provinces,
                                   les régions, etc.
                                      Cette façon de faire contribue à instaurer deux assemblées qui donnent
                                   du pays deux images différentes et qui peuvent introduire, dans le système
                                   parlementaire, un dialogue utile. Il n’est pas indifférent de confronter les
                                   préoccupations de ceux qui représentent l’Etat fédéral dans son ensemble
                                   et les volontés de ceux qui sont les porte-parole des communautés et des
                                   régions.
                                      Si la Belgique devait renoncer au bicamérisme, elle se singulariserait sans
                                   doute dans le champ des Etats fédéraux. Elle appauvrirait aussi le champ
                                   du dialogue politique qui est à la base même de la démocratie.

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318                                  francis delpérée

                                      2. Le Sénat communautaire et régional
                                      Si la préoccupation est de construire, comme dans la plupart des Etats
                                   fédéraux, une institution représentative des communautés et des régions, il
                                   y a peut-être lieu de renoncer à l’instauration d’un Sénat qui se compose,
                                   comme aujourd’hui, d’une majorité d’élus directs — quarante sur soixante
                                   et onze —.
                                      Les parlements fédérés délégueraient une partie de leurs membres pour
                                   composer la Haute assemblée. Ou ils choisiraient, en dehors de leurs rangs,
                                   un ensemble de personnes pour les représenter. Selon toute vraisemblance,
                                   ils le feraient selon les règles de la représentation proportionnelle mais celle-
                                   ci devrait se concevoir au second degré (voir les remarques sur les dédou-
                                   blements, supra).

                                      3. Le Sénat, chambre de concertation
                                      Si le Sénat veut remplir des tâches particulières, s’il entend veiller, par
                                   exemple, à la préservation de l’esprit de loyauté entre les partenaires de
                                   l’Etat fédéral (Const., art. 143, al. 1er) et régler les conflits qui pourraient
                                   surgir entre eux, il doit chercher à les associer sur un pied d’égalité (16).
                                      La représentation proportionnelle qui procure aujourd’hui un équilibre
                                   quarante-trente et un devrait être abandonnée au profit d’une composition
                                   paritaire (infra), étant entendu que la règle de la représentation proportion-
                                   nelle pourrait jouer au sein de chacun des deux groupes.

                                                           B. — La représentation proportionnelle
                                      Même s’ils restent souvent à un stade embryonnaire, d’autres projets
                                   sont à l’étude. S’ils étaient mis en œuvre, ils pourraient affecter de manière
                                   plus immédiate, et sur des points essentiels, les techniques de la représen-
                                   tation proportionnelle. Certains d’entre eux concernent le Sénat. D’autres,
                                   les deux assemblées.

                                       (16) La concertation peut se situer dans le domaine informel, celui des contacts interindivi-
                                   duels entre des hommes et des femmes qui se rencontrent, qui traitent de questions d’intérêt
                                   fédéral mais qui abordent également les questions qui se situent à l’intersection des questions
                                   fédérales, communautaires et régionales. Elle peut s’inscrire aussi dans le cercle particulier de la
                                   commission des réformes institutionnelles dont la présidence est actuellement confiée au prési-
                                   dent du Sénat (Dany Pieters, N-VA), la première vice-présidence à un sénateur francophone
                                   (Francis Delpérée, cdH) et la seconde vice-présidence à un sénateur flamand (Bart Tommelein,
                                   Open Vld). Encore faut-il observer que cette commission ne s’est réunie ni dans le courant de
                                   l’année 2010, ni dans les premiers mois de l’année 2011. La concertation peut encore se dévelop-
                                   per dans les enceintes parlementaires sénatoriales, surtout si celles-ci devaient se composer d’une
                                   manière qui fasse droit de manière équitable à la représentation des deux grandes communautés.

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situation politique et électorale complexités et perplexités                                  319

                                     1. La parité F/N
                                      Dans une logique fédérale bipolaire, il serait cohérent d’organiser un
                                   Sénat qui tienne compte, dans sa composition et dans ses attributions, de
                                   l’existence de ce qu’il est convenu d’appeler «les composantes» de l’Etat
                                   fédéral (Const., intitulé du Titre Ier).
                                      Un Sénat paritaire associant, sur pied d’égalité, les deux grandes com-
                                   munautés — française et flamande — qui sont organisées au sein de l’Etat
                                   fédéral pourrait être mis en place dans cette perspective (17).
                                      Dans ce cas, la proportionnalité ne jouerait plus qu’au sein de chacun des
                                   groupes de sénateurs.

                                     2. Le scrutin d’arrondissement
                                      Au même titre que les élections fédérales, les élections régionales sont
                                   organisées en respectant les règles de la représentation proportionnelle. A
                                   l’issue de celles-ci, des négociations s’ouvrent dans chaque région aux fins
                                   de constituer un gouvernement régional. Il va sans dire que le Roi n’inter-
                                   vient pas en ce domaine.
                                      Certaines formations peuvent avoir le sentiment, réel ou déformé peu
                                   importe, que des coalitions se constituent, à ce moment, entre les partis,
                                   sans considération pour les préoccupations du corps électoral. Comment
                                   remédier à cette situation peu respectueuse des exigences de la démocratie?
                                   Il y a peut-être lieu, dit-on, de provoquer un changement des habitudes
                                   électorales.
                                      Une élection à deux tours serait organisée. Au second, seuls les deux par-
                                   tis arrivés en tête ou les deux coalitions qui se formeraient dans l’intervalle
                                   pourraient concourir pour obtenir les sièges vacants.
                                      Dans la foulée, certains se demandent si un scrutin majoritaire à deux
                                   tours ne serait pas envisageable au niveau fédéral. Encore faut-il observer
                                   que la disposition de l’article 62 de la Constitution n’est pas révisable
                                   durant la présente législature.
                                      La réflexion se poursuit aussi, mais sans beaucoup de précision, sur l’uti-
                                   lité d’instiller une dose de scrutin majoritaire dans un scrutin organisé,
                                   pour l’essentiel, selon les techniques proportionnelles (18).

                                       (17) Une variante revient à ne pas modifier l’organisation de l’assemblée mais à prescrire que,
                                   pour l’adoption d’un certain nombre de lois, une majorité soit requise dans l’un et l’autre groupes
                                   linguistiques de parlementaires.
                                       (18) On trouvera un aperçu de ces propositions dans J. Sohier, «Le système électoral : scrutin
                                   majoritaire/représentation proportionnelle/systèmes mixtes/seuil électoral», in Centre de droit
                                   public de l’U.L.B., op. cit., p. 345. Adde : F. Delpérée, «Courtes crises», J.T., 1999, p. 636.

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320                          francis delpérée

                                     3. Le scrutin national
                                      A l’occasion des élections fédérales, la Belgique aménage, en fait sinon en
                                   droit, deux espaces politiques distincts. Les partis flamands présentent des
                                   listes de candidats dans les circonscriptions électorales du Nord du pays et
                                   les partis francophones ne se présentent qu’au Sud. La seule exception
                                   réside dans la célèbre circonscription dite de BHV qui comprend les arron-
                                   dissements de Bruxelles et de Hal-Vilvorde. Les électeurs de cette circons-
                                   cription ont la possibilité de voter pour des candidats qui se présentent sur
                                   une liste francophone ou sur une liste néerlandophone.
                                      Il est proposé, de divers côtés, d’organiser un scrutin national aux fins
                                   de choisir une part significative de députés ou de sénateurs. La technique,
                                   dit-on, devrait inciter les candidats et les élus à manifester une attention
                                   pour les préoccupations qui s’expriment dans l’autre communauté du pays.
                                      Pour ce faire, chaque citoyen devrait disposer de deux bulletins de vote.
                                   Le premier lui servirait à élire le représentant d’un collège particulier, le
                                   second à élire le représentant de la Nation tout entière. Encore faut-il que
                                   l’électeur se place lui-même dans cette préoccupation et ne se contente pas
                                   de voter en faveur du candidat local présent sur la liste nationale.
                                      Si l’on devait s’engager sur cette voie, il conviendrait, aux fins de res-
                                   pecter les équilibres institutionnels qui prévalent en Belgique, de prévoir
                                   que chacune des deux grandes communautés devrait obtenir un nombre
                                   prédéterminé et égal de représentants fédéraux. Ce serait une nouvelle
                                   entorse à la règle de la représentation proportionnelle.
                                                                         *
                                     Il serait excessif de considérer qu’un changement de scrutin suffira à
                                   assurer à la Belgique et aux Belges plus de sérénité. Les problèmes qui
                                   occupent le débat politique sont d’une autre nature. Une baguette électo-
                                   rale ne saurait les régler comme par enchantement.

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