LA SOUVERAINETE DE L'ASSEMBLEE GENERALE DES ACTIONNAIRES DANS LA SOCIETE ANONYME

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LA SOUVERAINETE DE L’ASSEMBLEE GENERALE
              DES ACTIONNAIRES DANS LA SOCIETE
                        ANONYME

                                                            Ahmed OMRANE
                                                     Doyen de la Faculté de Droit
                                                               de Sfax

        Le droit commercial et le droit constitutionnel sont a priori deux
disciplines juridiques que tout sépare et que rien ne rapproche. Le droit
commercial1 est un droit mercantile fondé sur la spéculation2. Le droit
constitutionnel, en revanche, est le droit qui régit le gouvernement de
l’Etat dépositaire de l’intérêt général. Et pourtant, les analogies sont
frappantes entre les deux disciplines juridiques. Partant d’une
constatation, devenue par la suite évidente, et selon laquelle « pour que
l’on ne puisse abuser du pouvoir, il faut que par la disposition des
choses, le pouvoir arrête le pouvoir », Montesquieu distinguait trois
pouvoirs autonomes, dont les fonctions sont nettement différenciées et
qui se contrebalancent et coopèrent au gouvernement des Etats, à savoir
le législatif qui vote la loi, l’exécutif qui veille à l’exécution des lois,
dispose pour ce faire de l’administration et peut édicter des mesures à

1
    Le droit commercial est classiquement défini comme l’ensemble des règles de droit
    privé applicables aux commerçants et aux actes de commerce. Cette définition fait
    apparaître d’emblée l’une des ambiguïtés de la matière, tenant à la coexistence de
    deux conceptions. Dans la conception subjective, le droit commercial est le droit
    des commerçants : il s’agit d’un droit professionnel et dont l’application est
    déclenchée par la qualité des personnes en cause. Dans la conception objective, le
    droit commercial est le droit des actes de commerce, c'est-à-dire des opérations
    commerciales : son application est conditionnée non pas par la profession de
    l’intéressé mais par la nature de l’acte ou, plus largement, par la réunion de
    certaines circonstances objectivement définies. D’une manière générale, on peut
    définir le droit commercial comme étant une branche spéciale du droit privé qui
    régit l’activité commerciale, c'est-à-dire le monde des échanges économiques.
2
    Considérée par certains auteurs comme constituant le fondement même de la
    commercialité (Lyon-Caen et Rénaud, Traité de droit commercial, Tome premier,
    n° 103), la spéculation est l’opération qui consiste à profiter des fluctuations du
    marché pour réaliser un bénéfice. L’article 2 du code de commerce en cite comme
    exemples l’achat, la vente ou la location de biens quels qu’ils soient, les opérations
    de change, les opération de banque et les opérations de bourse.

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caractère réglementaire, et le judiciaire chargé de l’administration de la
justice. Or, si ce modèle, qui a été repris par toutes les constitutions des
Etats qui se veulent démocratiques, visait dans l’esprit de Montesquieu,
les institutions publiques, il semble avoir influencé le droit des sociétés et
principalement l’organisation du pouvoir dans la société ou ce qu’il est
convenu d’appeler le gouvernement d’entreprise. C’est ainsi que la
société anonyme s’est progressivement orientée vers un mode qui
ressemble à un Etat notamment au niveau de son organisation.
L’exécutif est représenté par le directoire ou le conseil d’administration
et le président directeur général3, le juridictionnel est composé des
commissaires aux comptes institués dans le but de suppléer la défaillance
des actionnaires qui ne s’intéressent que de loin à la marche de la société
s’il n’existe pas dans la société anonyme un pouvoir juridictionnel
comme l’a envisagé Montesquieu pour l’Etat, il existe une institution
quasi-juridictionnelle qui est le commissaire aux comptes, et qui rappelle
la Cour des Comptes chargée de contrôler la régularité de la dépense
publique et de la commission consultative d’entreprise4 qui pourrait faire

3
    Le code des sociétés commerciales renferme le choix entre trois formules
    d’organisation des pouvoirs de direction pour les sociétés anonymes. Une formule
    classique avec un conseil d’administration et un président directeur général, ou bien
    un conseil d’administration et la possibilité de dissociation des fonctions de
    président du conseil d’administration et celles de directeur général. Enfin, la
    dernière innovation du législateur tunisien avec la formule de direction dualiste
    avec un directoire et un conseil de surveillance.
4
    L’article 157 du code du travail dispose qu’ « il est institué dans chaque entreprise
    régie par les dispositions du présent code et employant au moins quarante
    travailleurs permanents, une structure consultative dénommée « commission
    consultative d’entreprise ».
    L’article 158 du code du travail ajoute que « la commission consultative
    d’entreprise est composée d’une façon paritaire de représentants de la direction de
    l’entreprise dont le chef d’entreprise et de représentants des travailleurs élus par
    ces derniers. La commission est présidée par le chef d’entreprise ou, en cas
    d’empêchement, son représentant dûment mandaté ».
    L’article 160 du code du travail précise que « la commission consultative
    d’entreprise est consultée sur les questions suivantes :
    a- l’organisation du travail dans l’entreprise en vue d’améliorer la production et
         la productivité ;
    b- les questions se rapportant aux œuvres sociales existantes dans l’entreprise au
         profit des travailleurs et de leurs familles,
    c- la promotion et le reclassement professionnel,
    d- l’apprentissage et la formation professionnelle,

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figure de conseil économique et social. Le législatif est représenté par les
assemblées générales des actionnaires5 qui contrôlent l’action des
organes de gestion. Chaque organe a ses fonctions propres et influe sur
les décisions des autres.

        En droit constitutionnel, cette branche juridique « dont l’objet est
l’étude des règles régissant l’organisation et l’exercice du pouvoir »6, le
concept de souveraineté fait l’objet d’usages multiples. La souveraineté
constitue l’élément caractéristique de l’Etat. Le vocable souverain peut
désigner soit le chef de l’Etat soit le peuple, et on parle aussi de la
souveraineté de la loi ou de la souveraineté du parlement7. Or, traitant la
question relative à la situation dans laquelle les pouvoirs ou les organes
de la société se trouvent placés les uns par rapport aux autres, la doctrine
commercialiste n’a pas hésité à parler de la souveraineté de l’assemblée
générale des actionnaires8 qui apparaît, au vu de la loi, comme « l’âme

    e-   la discipline et dans ce cas la commission s’érige en conseil de discipline et
         applique la procédure fixée par les textes législatifs, réglementaires ou
         conventionnels régissant l’entreprise ».
5
    Il existe plusieurs sortes d’assemblées. En plus des assemblées constitutives qui
    votent les statuts et nomment les premiers organes de la société, la loi distingue
    trois catégories d’assemblées :
    1- Les assemblées générales extraordinaires ont compétence pour modifier les
         statuts.
    2- Les assemblées générales ordinaires, assemblées de droit commun, prennent
         toutes les décisions qui excèdent la gestion courante de la société sans pour
         autant impliquer une modification des statuts (approuver les comptes de
         l’exercice, statuer sur la répartition des bénéfices, nommer les administrateurs
         et les commissaires aux comptes).
    3- Les assemblées spéciales : Ce sont des assemblées extraordinaires réunissant
         les titulaires d’actions d’une catégorie déterminée.
6
    Néji BACCOUCHE, Droit constitutionnel, souveraineté et suprématie, Etudes
    juridiques, Revue publiée par la Faculté de Droit de Sfax, N° 11, 2004, p. 7,
    spécialement n° 5.
7
    Néji BACCOUCHE, Droit constitutionnel, souveraineté et suprématie, Etudes
    juridiques, Revue publiée par la Faculté de Droit de Sfax, N° 11, 2004, p. 7.
8
    Au plan sémantique, le mot souveraineté n’a pas subi de mutation majeure depuis
    son apparition vers la fin du treizième siècle. En tant que concept juridique, la
    souveraineté a reçu plusieurs acceptions. La définition la plus classique est celle de
    Jean Bodin pour lequel « la souveraineté est la puissance absolue et perpétuelle
    d’une République » (Jean Bodin, Les six livres de la République, Livre premier,
    Chapitre VIII, De la souveraineté…). Maurice Hauriou estime qu’il existe « une

                                           49
de la personne morale »9. La souveraineté de l’assemblée générale est
d’abord une souveraineté puissance apparaissant à travers l’importance
de ses attributions. En effet, si, comme l’affirme Paillusseau, « la
souveraineté consiste dans l’aptitude à détenir la plénitude des
compétences », c’est l’assemblée générale des actionnaires qui détient les
pouvoirs les plus importants dans la société. Elle détient ainsi la
puissance législative. Au même titre que l’Etat qui reste soumis au
respect de la législation et notamment aux dispositions constitutionnelles,
la société anonyme est également soumise à la même obligation. Tous les
actes accomplis par les organes de la société doivent être conformes aux
statuts. Or, ces statuts doivent être approuvés par l’assemblée générale
constitutive10, et peuvent être modifiés par l’assemblée générale
extraordinaire. A ce titre, celle-ci peut augmenter le capital social11 ou le

     souveraineté de gouvernement, une souveraineté de sujétion (qui sera celle de la
     nation) et une souveraineté de la chose publique » (Hauriou (M), La souveraineté
     nationale, Recueil de législation de Toulouse, 1912, p. 96). Carré de Malberg a
     identifié trois acceptions de la souveraineté. Dans son sens originaire, le mot
     souveraineté désigne le caractère suprême de la puissance publique. Dans une
     seconde acception, il désigne l’ensemble des pouvoirs compris dans la puissance de
     l’Etat. Enfin, il sert à concrétiser la position qu’occupe dans l’Etat le titulaire
     suprême de la puissance étatique et, ici, la souveraineté est identifiée avec la
     puissance de l’organe (R. Carré de Malberg, Contribution à la théorie générale de
     l’Etat, tome premier, p. 69 et s. La notion française de souveraineté. Paris, Sirey,
     1920, Réimp. C.N.R.S. 1962 spécialement p. 79). Michel Troper a affiné la
     troisième de ces acceptions et l’a analysée, elle-même, en trois moments : « la
     qualité de l’organe qui n’a pas de supérieur parce qu’il exerce la puissance la plus
     élevée, c’est-à-dire la puissance législative ou qu’il participe à cet exercice ; la
     qualité de l’organe qui est au dessus de tous les autres, la qualité de l’être au nom
     duquel l’organe qui n’a pas de supérieur exerce sa puissance ». On en déduit que
     si l’on écarte les définitions spécifiques au souverain, au titulaire de la
     souveraineté, pour ne retenir que celles relatives à la souveraineté elle-même, on
     peut constater qu’il y’en a deux. La souveraineté désigne soit la qualité du pouvoir,
     en d’autres termes la suprématie, soit le pouvoir lui-même, c'est-à-dire la puissance.
9
     Thaller, note au D.P. 1883 -1- p. 108.
10
     Article 172 du code des sociétés commerciales.
11
     Articles 293 alinéa premier et 388 du code des sociétés commerciales. Remarquons
     que si la société est soumise à une procédure de redressement judiciaire, l’article 39
     de la loi n° 95-34 du 17 avril 1995 relative au redressement des entreprises en
     difficultés économiques, tel que modifié par la loi n° 99-63 du 15 juillet 1999,
     dispose que « l’administrateur judiciaire élabore le plan de redressement qui
     comporte les moyens à mettre en œuvre pour le développement de l’entreprise y
     compris, au besoin, le rééchelonnement de ses dettes, le taux de réduction du

                                            50
réduire12, changer la forme de la société13, décider, au cours de
l’existence de la société, du choix du mode d’administration fondé sur le
directoire et le conseil de surveillance ou sa suppression14, dissoudre la
société avant l’arrivée du terme15 ou lorsque les comptes ont révélé que
les fonds propres de la société sont devenus inférieurs à la moitié de son
capital en raison des pertes16, décider la scission des actions en certificats
d’investissement17 et en certificat de droit de vote18, décider que les
titulaires d’actions à dividende prioritaire sans droit de vote auront un
droit préférentiel à souscrire ou à recevoir des actions à dividende
prioritaire sans droit de vote qui seront émises dans la même
proportion19, décider la création d’actions à dividende prioritaire sans
droit de vote20, ou autoriser l’émission d’obligations convertibles en
actions21.

        L’assemblée générale choisit aussi les principaux organes
sociaux. Partant du fait que le choix des personnes est l’une des
principales manifestations de la souveraineté, le législateur reconnaît à
l’assemblée générale des actionnaires le pouvoir de choisir les principaux
organes sociaux. Celle-ci désigne ainsi les commissaires aux comptes22,
et peut les révoquer avant l’expiration de la durée de leur mandat s’il est
établi qu’ils ont commis une faute grave dans l’exercice de leurs
fonctions23. Elle désigne et révoque aussi les membres du conseil
d’administration. Les premiers administrateurs sont nommés par

     principal de ces dettes ou des intérêts y afférents. Il peut proposer le changement de
     la forme juridique de l’entreprise ou l’augmentation de son capital ».
12
     Articles 307 et 388 du code des sociétés commerciales.
13
     Article 434 du code des sociétés commerciales.
14
     Article 224 alinéa 3 du code des sociétés commerciales.
15
     Article 387 alinéa 2 du code des sociétés commerciales.
16
     Article 388 du code des sociétés commerciales.
17
     Le certificat d’investissement représente les droits pécuniaires attachés à l’action. Il
     est dit privilégié lorsqu’un dividende prioritaire lui est attaché.
18
     Le certificat de droit de vote représente les autres droits attachés à l’action.
     Article 375 du code des sociétés commerciales.
19
     Article 366 alinéa 3 du code des sociétés commerciales.
20
     Article 347 du code des sociétés commerciales.
21
     Article 340 du code des sociétés commerciales.
22
     Article 260 alinéa premier du code des sociétés commerciales.
23
     Article 260 alinéa 2 du code des sociétés commerciales.

                                             51
l’assemblée générale constitutive24. En cours de vie sociale, les
administrateurs sont nommés par l’assemblée générale ordinaire25.
L’assemblée générale désigne enfin les membres du conseil de
surveillance dans les sociétés anonymes à directoire26.

        Le législateur reconnaît enfin à l’assemblée générale des
compétences financières qui touchent à l’essentiel des activités sociales.
L’assemblée générale ordinaire se prononce sur les comptes annuels
établis par les organes de gestion. Elle peut, soit les désapprouver, soit les
approuver. L’approbation est habituelle lorsque les commissaires aux
comptes ont certifié la régularité et la sincérité des états financiers27. Elle
est généralement suivie d’un quitus donné aux dirigeants pour leur
gestion. Cette décharge n’empêche cependant pas l’exercice ultérieur
d’une action en responsabilité28. L’assemblée générale ordinaire affecte
aussi les résultats. Lorsqu’il y’a des bénéfices, elle procède à leur
affectation en décidant leur mise en réserves libres, à condition que sa
décision ne soit pas entachée d’un abus de majorité29, soit leur

24
     Article 172 du code des sociétés commerciales.
25
     Article 190 du code des sociétés commerciales.
26
     Aux termes de l’article 239 alinéa premier du code des sociétés commerciales, « les
     membres du conseil de surveillance sont nommés par l’assemblée générale
     constitutive ou par l’assemblée générale ordinaire pour une durée déterminée par
     les statuts et qui ne peut excéder trois ans ». Ce même article ajoute dans son alinéa
     2 qu’ « en cas de fusion ou de scission, leur nomination peut être faite par
     l’assemblée générale extraordinaire pour la période sus- indiquée ».
27
     Article 275 du code des sociétés commerciales.
28
     C’est ce que prévoyant expressément l’article 80 alinéa 3 du code de commerce
     d’après lequel « aucune décision de l’assemblée générale ne peut avoir pour effet
     d’éteindre une action en responsabilité contre les administrateurs pour fautes
     commises dans l’accomplissement de leurs fonctions ». Et si le code des sociétés
     commerciales ne contient pas une disposition analogue pour la société anonyme, il
     consacre la même règle pour la société à responsabilité limitée, en déclarant nulle
     de nullité absolue, toute décision de l’assemblée générale ayant pour effet
     d’interdire l’exercice de l’action en responsabilité contre le gérant pour faute
     commise dans l’exercice de son mandat28. La solution se justifie parfaitement dans
     la mesure où les assemblées d’actionnaires sont souvent contrôlées par les
     administrateurs qui disposent en fait de la majorité, sinon parce qu’ils possèdent
     réellement le contrôle de la société, du moins parce que, à l’aide des pouvoirs en
     blanc, ils disposent de la majorité des voix.
29
     Article 290 du code des sociétés commerciales.

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distribution aux actionnaires sous forme de dividendes30. Lorsque les
comptes annuels font apparaître des pertes, l’assemblée peut, ou bien les
laisser subsister dans un compte de report à nouveau, ou bien les imputer
sur les comptes de réserves, y compris la réserve légale. Cependant,
lorsque les pertes entament sérieusement les fonds propres de la société,
le législateur obligent les actionnaires d’en tirer les conséquences.
L’article 388 du code des sociétés commerciales, applicable aux sociétés
anonymes à l’exception de celles faisant l’objet de règlement amiable ou
judiciaire, dispose que « si les comptes ont révélé que les fonds propres
de la société sont devenus en deçà de la moitié de son capital en raison
des pertes, le conseil d’administration ou le directoire doit dans les
quatre mois de l’approbation des comptes, provoquer la réunion de
l’assemblée générale extraordinaire à l’effet de statuer sur la question de
savoir s’il y’a lieu de prononcer la dissolution de la société. L’assemblée
générale extraordinaire qui n’a pas prononcé la dissolution de la société
dans l’année qui suit la constatation des pertes, est tenue de réduire le
capital d’un montant égal au moins à celui des pertes ou procéder à
l’augmentation du capital pour un montant égal au moins à celui de ses
pertes. Si l’assemblée générale extraordinaire ne s’est pas réunie dans le
délai précité, toute personne intéressée peut demander la dissolution
judiciaire de la société »31.

        La souveraineté de l’assemblée générale des actionnaires est aussi
et surtout une souveraineté suprématie. Représentant le capital social,
l’assemblée générale des actionnaires a été dotée d’une primauté sur les
autres organes sociaux, à savoir les commissaires aux comptes et
notamment les administrateurs. En effet, bien que l’organe de gestion,

30
     Le schéma de principe est que le dividende, comme son nom l’indique, est le
     résultat de la division du bénéfice distribué par la part de chaque action dans le
     capital de la société. L’action est ainsi rémunérée au prorata de ce qu’elle
     représente dans le capital social. Cependant, l’application de ce calcul théorique est
     affectée par certaines limitations. C’est ainsi que les actions de jouissance reçoivent
     en général un dividende moins élevé que celui donné aux actions ordinaires. Celle-
     ci ont souvent un double coupon : l’un dit d’intérêt, l’autre de dividende. De même,
     les actions de préférence peuvent, suivant les conditions de l’émission, recevoir un
     dividende avant les autres ou un dividende supérieur.
31
     La même règle est consacrée dans les articles 27 du code des sociétés commerciales
     relatif aux causes de dissolution des sociétés et 142 du même code relatif à la
     société à responsabilité limitée.

                                            53
directoire et conseil d’administration dans la société anonyme, sous
l’influence conjuguée des tendances absolutistes et de l’absentéisme des
actionnaires, exerce souvent une prééminence de fait sur l’assemblée
générale32, il n’est pas juridiquement possible de lui donner une
prééminence de droit33. Cette primauté, qui peut être considérée comme

32
     Dans les petites sociétés anonymes, la majorité du capital social est souvent
     détenue par un actionnaire ou un groupe d’actionnaires qui exerce aussi les
     fonctions d’administration et de direction. Dans ces conditions, aucune discussion
     sérieuse n’est possible au sein de l’assemblée générale : les résolutions, préparées
     par les dirigeants, y sont votées telles qu’elles. Parfois même, bien que cette
     pratique soit illégale, l’assemblée ne se réunit pas ; les actionnaires se contentent de
     signer une feuille de présence et les dirigeants rédigent un procès verbal comme si
     l’assemblée avait délibéré. Dans les grandes sociétés anonymes, la situation est un
     peu différente. Théoriquement, les dirigeants ne détiennent que rarement assez
     d’actions pour avoir la majorité absolue. Mais ils ont toujours plus d’actions que les
     autres, et de ce fait, peuvent imposer leur point de vue. Les petits actionnaires,
     nombreux, dispersés et mal informés, ont l’impression qu’ils ne peuvent exercer
     aucune influence. Ils se désintéressent donc de la vie sociale et, dans la meilleure
     des hypothèses, ils se bornent à renvoyer aux dirigeants une procuration de vote
     renforçant ainsi la majorité détenue par ceux-ci. Les assemblées se déroulent, sinon
     devant des salles vides, au moins devant des salles qui ne sont pas représentatives
     des forces vives de la société.
     C. Jauffret Spinosi, Les assemblées générales d’actionnaires dans les sociétés
     anonymes : réalité ou fiction (étude comparative). Mélanges Rodière, Paris, 1982,
     p. 125 ; L. Mazeaud, La souveraineté de fait dans les sociétés par actions en droit
     français, Travaux de l’association Henri Capitant, Tome XV, p. 330 ; A. Tunc,
     L’effacement des organes légaux de la société anonyme, D. 1952, Chr. 73.
33
     Dans un arrêt de la Cour d’appel de Lyon en date du 12 mai 1952 (J.C.P. 1953,
     7344, note BASTIAN), on peut lire qu’« Il importe peu que sous l’influence des
     tendances absolutistes de certains conseils d’administration, favorisées par
     l’apathie ou l’absentéisme des actionnaires, cette primauté de l’assemblée générale
     soit devenue le plus souvent en fait une fiction. C’est la loi et non les pratiques
     abusives que les tribunaux ont le droit de faire respecter ». V. également, Trib.
     Civ. De Lille, 14 décembre 1955, D. 1956, p. 670, note GORE. C’est d’ailleurs
     dans ce cadre que s’inscrit l’annulation par la jurisprudence des techniques -
     notamment les clauses statutaires- opérant un renversement de la structure
     dirigeante de la société anonyme en permettant notamment au conseil
     d’administration de modeler la majorité à sa guise et de contrôler l’assemblée
     générale au lieu d’être contrôlé par elle. C’est le cas notamment des techniques
     tendant à assurer l’irrévocabilité des administrateurs et des clauses statutaires
     soumettant à l’autorisation du conseil d’administration toutes les cessions d’actions
     même entre actionnaires. C.A. Paris, 24 novembre 1954, J.C.P. 1955, 8448, note
     BASTIAN.

                                             54
une illustration du système capitaliste traditionnel, se manifeste à travers
le fait que les délibérations de l’assemblée générale s’imposent, non
seulement aux actionnaires minoritaires, mais aussi au conseil
d’administration qui doit les exécuter34. Cette primauté de l’assemblée
générale sur les autres organes sociaux se manifeste aussi et surtout à
travers la reddition des comptes. Aux termes de l’article 1136 du code
des obligations et des contrats, « tout mandataire doit rendre compte au
mandant de sa gestion, lui présenter le compte détaillé de ses dépenses et
de ses recouvrements, avec toutes les justifications que comporte l’usage
ou la nature de l’affaire, et lui faire raison de tout ce qu’il a reçu par
suite ou à l’occasion du mandat ». Or, comme les administrateurs et les
commissaires aux comptes agissent pour le compte de la société, ils
doivent rendre compte de leur gestion à l’assemblée générale des
actionnaires. Cette reddition des comptes, qui peut être tantôt générale,
tantôt spéciale, a deux aspects : un aspect chiffré, ou les comptes
proprement dits, à savoir les états financiers35 et un aspect explicatif, ou
le compte rendu, à savoir les rapports du conseil d’administration et des
commissaires aux comptes36.

34
     C. Cass. Fr. Ch. Com. 14 mars 1950, J.C.P. 1950, 2, 5694 note BASTIAN.
35
     L’article 201 du code des sociétés commerciales dispose dans son alinéa premier
     qu’« à la clôture de chaque exercice, le conseil d’administration établit, sous sa
     responsabilité, les états financiers de la société conformément à la loi relative au
     système comptable des entreprises ». S’ils sont sincères et exacts, ces états
     financiers ont une importance particulière. D’abord, ils indiquent l’état de l’actif et
     du passif35 de la société. Ensuite, les états financiers permettent, par comparaison
     avec les comptes antérieurs, de suivre la marche de l’exploitation et de se rendre
     compte des profits réalisés ou des pertes enregistrées. Enfin, les états financiers
     permettent aux créanciers d’apprécier la solvabilité de la société.
36
     L’aspect chiffré de la reddition des comptes est complété par un aspect explicatif.
     C’est ainsi que l’article 85 du code de commerce disposait dans son alinéa premier
     qu’à la clôture de chaque exercice, le conseil d’administration « doit, conjointement
     aux documents comptables, présenter à l’assemblée générale un rapport annuel
     détaillé sur la gestion de la société. Le rapport annuel détaillé doit être
     communiqué au commissaire aux comptes »36. De leur côté, les commissaires aux
     comptes, chargés par l’assemblée générale des actionnaires d’une mission
     permanente de contrôle sur la situation comptable et financière de la société,
     « établissent un rapport dans lequel ils rendent compte à l’assemblée générale du
     mandat qu’elle leur a confié et doivent signaler les irrégularités qu’ils auraient
     relevées. Ils font, en outre, un rapport spécial sur les opérations prévues à l’article
     78 du présent code »36. Ces règles ont été consacrées et consolidées par le code des
     sociétés commerciales. C’est ainsi que conjointement aux documents comptables,

                                            55
En droit constitutionnel, les auteurs constatent que « la
souveraineté, qui a résisté à l’épreuve du temps, subit aujourd’hui le
choc de la confrontation entre le droit interne et le droit
supranational »37 entraînant ainsi un partage des pouvoirs entre l’Etat et
des instances supranationales. Le même phénomène d’amenuisement de
la souveraineté caractérise aussi les assemblées générales des
actionnaires. En effet, si au vu de la loi l’assemblée générale apparaît
comme l’organe social souverain, la pratique témoigne que cette
prééminence est plus théorique que réelle. Par un phénomène classique
dans toutes les démocraties consistant en un passage de la démocratie à la
technocratie, le pouvoir effectif et réel est passé de l’assemblée générale
aux organes d’administration et de direction entraînant un divorce
complet entre la loi et la réalité et faisant de la souveraineté de
l’assemblée générale une fiction renforçant les pouvoirs des dirigeants
sociaux. Ainsi, au fil des années, l’assemblée générale en tant que forum

     le conseil d’administration doit présenter à l’assemblée générale « un rapport
     annuel détaillé sur la gestion de la société. Le rapport annuel détaillé doit être
     communiqué au commissaire aux comptes »36. De son côté, l’article 269 du code
     des sociétés commerciales dispose que « les commissaires aux comptes sont tenus
     de présenter leur rapport dans le mois qui suit la communication qui leur est faite
     des états financiers de la société. Si les membres du conseil d’administration ou du
     directoire ont jugé opportun de modifier les comptes annuels de la société, en
     tenant compte des observations du ou des commissaires aux comptes, ces derniers
     devront rectifier leur rapport en fonction des observations sus désignées. En cas de
     pluralité de commissaires aux comptes et de divergence entre leurs avis, ils doivent
     rédiger un rapport commun qui indique l’opinion de chacun d’eux. Les
     commissaires aux comptes doivent déclarer expressément dans leur rapport qu’ils
     ont effectué un contrôle détaillé et qu’ils approuvent expressément ou sous réserves
     les comptes ou qu’ils les désapprouvent. Est considéré nul et de nul effet le rapport
     du commissaire aux comptes qui ne contient pas d’avis explicite ou qui renferme
     des réserves incomplètes et imprécises ».
37
     Néji BACCOUCHE, Droit constitutionnel, souveraineté et suprématie, Etudes
     juridiques, Revue publiée par la Faculté de Droit de Sfax, N°11, 2004, p. 7,
     spécialement n° 13. L’auteur affirme aussi que « le droit constitutionnel
     contemporain , dont l’objet principal a été l’étude du statut juridique de l’Etat
     souverain, se trouve confronté à des défis multiples liés à cette nécessité ressentie
     par des Etats de faire partie d’une structure supranationale dotée d’un pouvoir
     normatif qui s’impose à l’Etat. De même, le droit constitutionnel actuel est de plus
     en plus dominé par le concept « d’Etat de droit » qui suppose « la soumission » de
     l’Etat, pourtant souverain, à un droit supra étatique devant garantir le respect des
     droits fondamentaux ».

                                           56
d’expression de la volonté des actionnaires est devenue en fait un simple
simulacre ou cérémonial. Loin de refléter la volonté de la collectivité des
actionnaires, l’assemblée générale n’exprime le plus souvent que
l’opinion d’un groupe plus ou moins restreint d’actionnaires, ceux qui
exercent en fait le contrôle de la société ou les « contrôlaires » suivant
l’expression de Monsieur CHAMPAUD38. Parfois, elle n’est qu’une
tribune d’enregistrement d’un procès verbal établi à l’avance par un
employé de la société, dans son bureau, conformément aux
recommandations et consignes de la majorité dirigeante39. Tenant compte
de ce phénomène, le législateur n’a pas hésité à atténuer les attributions
de l’assemblée générale des actionnaires (PREMIERE PARTIE) et à
reconnaître un droit d’ingérence au profit du juge qui peut sanctionner la
politique de l’assemblée générale par application de la théorie de l’abus
de majorité (DEUXIEME PARTIE).

38
     Le pouvoir de concentration de la société par actions, Sirey, 1962.
39
     A ce phénomène, il y’a certainement des raisons de fait. La dispersion
     géographique, la simultanéité des assemblées générales, la publicité insuffisante des
     convocations, sont autant de facteurs qui expliquent l’absentéisme des actionnaires
     aux assemblées générales. Notamment dans les sociétés anonymes de grandes
     dimensions, les actionnaires sont mal informés et parfois même indifférents à la vie
     sociale. A cet égard, la collecte des pouvoirs en blanc par l’équipe dirigeante,
     considérée par certains auteurs comme la grande tare de la démocratie sociale et en
     même temps la condition de survie des assemblées, a retenu tout particulièrement
     l’attention de la doctrine. Comme, malgré l’indifférence et la passivité de la
     presque totalité des actionnaires, il faut réunir les assemblées avec le quorum légal,
     une certaine pratique s’est développée entraînant une transformation profonde de la
     physionomie de la société anonyme. Cette pratique est celle de la collecte des
     pouvoirs en blanc. Les sociétés avaient pris l’habitude d’envoyer à leurs
     actionnaires des procurations sur lesquelles ne figurait pas le nom du mandataire,
     ajoutant qu’elles désigneraient elles mêmes ce mandataire au moment voulu. En
     fait cette désignation sera effectuée par le conseil d’administration le plus souvent
     au profit de l’un de ses membres. Et ainsi, par ce moyen, l’organe d’exécution
     parvenait à exercer un contrôle, et même une véritable mainmise sur l’organe
     législatif de la société. Dès lors, de l’état d’équilibre entre les pouvoirs, tel qu’il a
     été initialement conçu par le législateur, on est passé à un régime de confusion, de
     concentration des pouvoirs entre les seules mains des administrateurs. Cette
     nouvelle situation, caractérisée par la concentration des pouvoirs au sein du conseil
     d’administration n’avait pas été sans avantages. L’efficacité de la société sur le plan
     économique s’était renforcée. Les conseils d’administrations n’avaient plus à subir
     le contrôle parfois égoïste des actionnaires, et ils avaient pu ainsi pratiquer une
     politique d’autofinancement à laquelle les actionnaires auraient pu s’opposer.

                                             57
PREMIERE PARTIE :
     L’ASSEMBLEE GENERALE DES ACTIONNAIRES : DES
        ATTRIBUTIONS DE PLUS EN PLUS LIMITEES :

         Le principe de l’omnipotence de l’assemblée générale
extraordinaire connaît des limites de plus en plus importantes (SECTION
I), et si le législateur reconnaît à l’assemblée générale des actionnaires le
pouvoir de choisir les principaux organes sociaux, il faut bien reconnaître
que cette prérogative est en train de glisser vers d’autres organes
(SECTION II).

SECTION I : LES LIMITES DE L’OMNIPOTENCE DE
            L’ASSEMBLEE GENERALE DES ACTIONNAIRES

          Bien que statuant à la majorité des deux tiers des actionnaires
présents ou représentés40 et non à l’unanimité, « l’assemblée générale
extraordinaire est seule habilitée à modifier toutes les dispositions des
statuts. Toute clause contraire est nulle »41 . Cette possibilité accordée à
la majorité des deux tiers des actionnaires, appelée règle d’omnipotence
et dont la consécration a été progressive42, tout en constituant une rupture
avec les conceptions contractuelles classiques, s’explique par le caractère
institutionnel de la société anonyme. En effet, « modifier les statuts n’est
pas seulement modifier un contrat, mais aussi perfectionner un

40
      Article 291 in fine du code des sociétés commerciales.
41
     Article 291 du code des sociétés commerciales.
42
     En droit français, l’affirmation de l’omnipotence de la majorité a été progressive.
     Au lendemain de la loi de 1867, il était admis que l’unanimité seule pouvait
     modifier les statuts. En 1892, la Cour de cassation avait décidé que le consentement
     de tous n’est requis que pour porter atteinte aux bases essentielles de la société (C.
     Cass. Fr. Ch. Civ. 30 mai 1892 D. 1893 -1- p. 105 note Thaller ; C. Cass. Fr. Ch.
     Civ. 9 janvier 1894 D. 1894 -1- p. 313 Conclusions Desjardins et note Lacour). Et
     en 1913, le législateur avait fixé la matière en posant un principe et des exceptions.
     Le principe est l’omnipotence de l’assemblée statuant à la majorité. Les exceptions
     sont l’interdiction d’augmenter les engagements des actionnaires ou de changer la
     nationalité de la société. Telles sont les modifications statutaires mises hors
     d’atteinte du pouvoir majoritaire.

                                            58
organisme »43. Cette règle de l’omnipotence doit cependant composer
avec deux éléments à savoir :
Premier élément : La hiérarchisation et la séparation des organes de la
société anonyme : De la conception institutionnelle de la société
anonyme découle le caractère d’ordre public de la répartition des
pouvoirs et des compétences dans la société. Dès lors, si l’assemblée
générale extraordinaire peut modifier les statuts, elle ne peut pas modifier
les dispositions légales et porter ainsi atteinte à l’organisation
hiérarchique de la société anonyme comme par exemple exercer les
attributions qui relèvent légalement de l’assemblée générale ordinaire ou
des autres organes de la société44, priver les assemblées spéciales des
pouvoirs que la loi leur confère, ou décider qu’une résolution impliquant
leur ratification sera définitive et exécutoire sans cette dernière,
supprimer le conseil d’administration ou le priver de ses attributions
légales. C’est ainsi que la Cour d’appel de Sousse, dans son arrêt n° 2973
du 11 novembre 197245, a refusé de faire droit à une demande qui voulait
soumettre un acte d’administration rentrant dans la gestion normale de la
société à l’approbation des actionnaires réunis en assemblée générale.
Son refus était dû au fait que « l’objet de la demande ne concerne que la
gestion normale et l’administration qui ne rentrent pas dans les décisions
nécessitant l’approbation et l’autorisation des actionnaires ».
Commentant cette décision, Philippe FOUCHARD a souligné que les
pouvoirs de représenter la société sont conférés au président directeur
général « par la loi tout autant et même plus que par ses mandants ».
Deuxième élément : Les droits des actionnaires : Même en matière de
modification des statuts, l’assemblée générale extraordinaire ne peut pas
tout faire. En effet, dès que le principe majoritaire a été admis, les juristes
se sont efforcés de découvrir dans les droits individuels de l’associé ce
que Ripert appelait « cette partie intangible à laquelle le groupement ne

43
     Thaller, note sous C. Cass. Fr. Ch. Civ. 30 mai 1892 D. 1893 -1- p. 105.
44
     Si l’article 9 du code des sociétés commerciales fait du siège social une mention
     obligatoire des statuts, l’article 230 du même code, applicable à la société anonyme
     à directoire et à conseil de surveillance, précise que « le déplacement du siège
     social ne peut être décidé que par le conseil de surveillance sous réserve de
     ratification de cette décision par la prochaine assemblée générale ordinaire ».
45
     RTD 1973 p. 226 note P. FOUCHARD.

                                           59
pourra porter atteinte »46. La position du droit tunisien sur la question
n’a pas été toujours la même. Sous l’empire du code de commerce, et
recherchant un équilibre entre l’intérêt de la société tel que le détermine
la majorité et les intérêts personnels des actionnaires, l’article 101 du
code de commerce, après avoir formulé le principe de l’omnipotence de
l’assemblée générale extraordinaire, précisait que celle-ci « ne peut
toutefois pas, augmenter les engagements des actionnaires ». Cette limite
au pouvoir de la majorité, qui se fondait sur l’origine contractuelle des
engagements des associés, constituant une survivance des principes du
droit civil (autonomie de la volonté et effet relatif des conventions) face
aux conquêtes du droit commercial, et qui était d’application générale
valant pour toute société et pour toute espèce d’obligations, pécuniaire ou
personnelle, positive ou négative47, avait entraîné les conséquences
suivantes :

        1-L’interdiction pour l’assemblée générale extraordinaire de
transformer la société anonyme en société en nom collectif ou en société
en commandite simple48, et de procéder à une augmentation de capital
par majoration ou élévation du montant nominal des actions, d’obliger les
actionnaires à souscrire à une augmentation du capital en numéraire, ou
d’aggraver les conditions statutaires de libération des actions, soit par une
anticipation des échéances fixées pour cette libération, soit par une
augmentation des intérêts de retard stipulés par les statuts vis-à-vis des
actionnaires qui ne libèrent pas leurs actions à temps, soit par une
interdiction aux actionnaires de libérer leurs actions par voie de
compensation alors que les statuts n’interdisaient pas ce mode de
libération.

46
     G. Ripert, La loi da la majorité dans le droit privé, Mélanges Sugiyama 1940
     spécialement p. 358.
47
     Ainsi, en présence de textes analogues, la Cour de cassation française avait jugé
     que l’unanimité était nécessaire pour introduire dans les statuts une clause imposant
     une obligation de non concurrence aux actionnaires qui se retireraient de la société
     (C. Cass. Fr. Ch. Com. 26 mars 1996).
48
     La transformation de la société anonyme en société à responsabilité limitée était
     discutée puisque l’article 154 alinéa 2 du code de commerce obligeait les associés
     de la société à responsabilité limitée de répondre solidairement, vis-à-vis des tiers,
     de la valeur attribuée aux apports en nature. Or, on pouvait se demander si cette
     garantie éventuelle des apports en nature n’augmentait pas les engagements des
     actionnaires.

                                            60
2-La possibilité pour l’assemblée générale extraordinaire de
diminuer les droits des actionnaires. Si l’augmentation des engagements
des actionnaires était interdite à l’assemblée générale extraordinaire,
celle-ci pouvait, en revanche, décider une simple diminution de leurs
droits. Certes, la distinction entre l’augmentation des engagements et la
diminution des droits était incertaine et difficilement applicable aux cas
d’espèce49. Cependant, la solution ne posait aucun problème. Non
seulement une interprétation stricte de l’article 101 du code de commerce
imposait de consacrer cette distinction, mais aussi et surtout l’article 115
du code de commerce en donnait une illustration à propos du droit
préférentiel de souscription. En effet, si les statuts ne pouvaient, en
principe, le supprimer, cette suppression pouvait néanmoins être décidée
par l’assemblée générale extraordinaire des actionnaires. D’ailleurs, la
distinction entre augmentation des engagements et réduction des droits
était consacrée par la jurisprudence française50.

       3- La possibilité pour l’assemblée générale extraordinaire
d’augmenter les engagements de la société. En effet, en visant « les
engagements des actionnaires » et non ceux de la société, l’article 101 du
code de commerce autorisait l’assemblée générale extraordinaire de
décider des modifications statutaires qui entraînaient une charge
supplémentaire pour la société. Cela se produisait notamment, chaque
fois qu’une opération de restructuration s’accompagnait d’une reprise ou
d’une garantie du passif.

49
     Un exemple type est fourni par l’arrêt de la première chambre civile de la Cour de
     cassation française du 22 juin 1982 (D. 1983 p. 87 note GOURALAY). En
     l’espèce, une société coopérative vinicole avait modifié ses statuts. Ceux-ci
     prévoyaient que les associés pouvaient se retirer chaque année. La résolution
     litigieuse avait décidé que, désormais, le coopérateur ne pourrait plus quitter la
     société qu’après cinquante ans. La doctrine s’était emparé de cet exemple pour se
     demander s’il s’agissait d’une diminution permise du droit de sortir, ou d’une
     augmentation interdite de l’obligation de rester.
50
     C. Cass. Fr. Ch. Civ. 9 février 1937 D. 1937 -1- p. 73 note Besson, S. 1937 -1-
     p. 129 note ROUSSEAU ; Versailles 29 novembre 1990 D. 1991 p. 134. En
     l’espèce, la mesure prise, à savoir la réduction du capital à zéro, n’avait pas
     augmenté les engagements des actionnaires, mais avait simplement fait disparaître
     leurs droits.

                                          61
Or, si le code des sociétés commerciales n’a pas repris, dans son
article 291, cette limite à l’omnipotence de l’assemblée générale
extraordinaire, il consacre cependant certaines de ses applications. C’est
ainsi que :

        1-Tout en affirmant que « l’augmentation du capital social doit
être décidée par l’assemblée générale extraordinaire, dans les conditions
prévues par la loi, sauf stipulation contraire des statuts et à condition
qu’il ( ?) ne contredise pas les dispositions légales impératives »51, le
code des sociétés commerciales précise que « l’augmentation du capital
social par majoration de la valeur nominative ( ?) des actions est décidée
à l’unanimité des actionnaires, sauf si l’augmentation a été réalisée par
incorporation des réserves, des bénéfices ou des primes d’émission »52.

        2-Tout en affirmant que « toutes les sociétés à l’exclusion de la
société en participation peuvent opter pour une transformation en
choisissant l’une des formes prévues au présent code »53, et que « la
décision de transformation de la société est prise par l’assemblée
générale extraordinaire conformément aux dispositions du présent code
et aux dispositions particulières régissant chaque type de société »54, le
code des sociétés commerciales précise que « la société anonyme ne peut
se transformer qu’en société en commandite par actions ou en société à
responsabilité limitée »55. Le fondement de cette règle ne peut être que
l’interdiction –implicite certes- d’augmenter les engagements des
actionnaires. D’ailleurs, l’article 143 du code des sociétés commerciales
permet d’appuyer davantage cette idée puisqu’il dispose que « la
transformation d’une société à responsabilité limitée en société en nom
collectif, en commandite simple ou en commandite par actions est
réalisée par une décision de l’assemblée générale extraordinaire, prise
sous peine de nullité à l’unanimité des associés ».

       3-L’article 296 du code des sociétés commerciales reconnaît aux
actionnaires, proportionnellement au montant de leurs actions, un droit de

51
     Article 293 alinéa premier du code des sociétés commerciales.
52
     Article 293 alinéa 3 du code des sociétés commerciales.
53
     Article 433 alinéa premier du code des sociétés commerciales.
54
     Article 434 du code des sociétés commerciales.
55
     Article 433 alinéa 2 du code des sociétés commerciales.

                                          62
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