Une crise, quelle crise? - La rémunération des hauts dirigeants au 21e siècle
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Une crise, quelle crise? La rémunération des hauts dirigeants au 21e siècle Aperçu La rémunération des hauts dirigeants fait beaucoup jaser, en partie en raison des augmentations de salaire démesurées accordées aux hauts dirigeants combinées aux scandales économiques, à la crise financière mondiale et à l’inégalité croissante entre les revenus. Dans quelle mesure la structure de la rémunération des hauts dirigeants a-t-elle contribué à ces phénomènes? Quel rôle les investisseurs ont-ils joué? Et que peuvent faire les investisseurs responsables pour remédier à de tels enjeux? Dans Une crise, quelle crise?, Fonds Éthiques présente les raisons qui expliquent pourquoi nous faisons fausse route en misant sur la primauté des actionnaires, un concept théorique à la base de la structure de rémunération des hauts dirigeants, et se penche sur la façon dont la théorie des parties prenantes peut nous remettre sur la bonne voie. 1
UNE CRISE, QUELLE CRISE ? Placements NEI emploie l’équipe de professionnels en investissement responsable la plus importante au Canada. Son équipe procure des services d’analyse environnementale, sociale et de gouvernance (ESG) aux gestionnaires des fonds socialement responsables, notamment les Fonds Éthiques de Placements NEI. Faire des Gains. Faire la Différence. 2
UNE CRISE, QUELLE CRISE ? Qui sommes-nous Placements NEI (NEI) gère des actifs d'environ 5 milliard $. NEI est détenue à parts égales entre la Provincial Credit Union Centrals et le Groupe Desjardins. Par l’intermédiaire de sa division Fonds Éthiques, la société est le plus grand fournisseur de fonds communs de placement socialement responsables au Canada. L’approche préconisée par Fonds Éthiques en matière d’investissement repose sur le principe selon lequel les sociétés qui intègrent les meilleures pratiques en matière d’enjeux environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) dans leurs stratégies et leurs activités opérationnelles créent une valeur durable pour toutes les parties prenantes et offrent, à long terme, un rendement plus élevé, ajusté en fonction du risque, aux actionnaires. L’équipe responsable du Service ESG de NEI mène des recherches pour appuyer et améliorer les évaluations de sociétés et l’engagement des entreprises, ainsi que les politiques publiques et la défense des normes. Les recherches sont également publiées dans le but d’aider à améliorer la compréhension des occasions et des risques ESG auprès des entreprises, des investisseurs et des autres parties prenantes. Robert Walker, vice-président, Service ESG, est l’auteur principal de ce document. Randy Evans, analyste ESG et expert en gouvernance d’entreprise, a fourni commentaires et recherches pour appuyer l’information se trouvant dans ce document. John Mountain, vice-président principal, chef des affaires juridiques et de la conformité, a jeté un regard critique du point de vue juridique sur ce document et a mis à contribution son expertise en gouvernance. Christie Stephenson, chef, Évaluations et recherche ESG, gère le programme de recherche ESG à NEI. Des commentaires ont été formulés par les personnes suivantes de Fonds Éthiques : Jamie Bonham, chef, Recherche et engagement sur les industries extractives Michelle de Cordova, directrice, Engagement des entreprises et politiques publiques Omar Dominguez, analyste ESG Rob Gross, chef, Opérations ESG Genevieve St. Denis, analyste ESG Remerciements Fonds Éthiques désire remercier les lecteurs qui ont pris le temps de passer en revue des versions préliminaires de ce document et de fournir leurs commentaires. Nous remercions : Yvon Allaire Stephanie Bertels Judy Cotte William Davis Carol Liao Catherine McCall Lynn Stout Rosalie Vendette Deux autres lecteurs, un haut dirigeant exerçant sa profession au sein d’une société ouverte au Canada et un autre aux États-Unis. Ces lecteurs ont fourni leurs commentaires, mais n’ont pas voulu être identifiés. La qualité de ce document n’en est que meilleure grâce à leur contribution. Cependant, les opinions exprimées dans les présentes ne sont que celles de Fonds Éthiques. 3
UNE CRISE, QUELLE CRISE ? Table des matières Résumé 5 Recommandations sommaires 6 Introduction 7 Primauté des actionnaires 8 Théorie des parties prenantes 17 Recommandations 21 Conclusion 28 4
UNE CRISE, QUELLE CRISE ? Résumé De nos jours, la primauté des actionnaires est la théorie dominante de la firme. Selon cette théorie, l’obligation principale des entreprises consiste à maximiser le cours de l’action au profit des actionnaires. La primauté des actionnaires (concept aussi appelé la maximisation de la valeur pour les actionnaires) façonne la structure de la rémunération des hauts dirigeants dans les sociétés ouvertes. Pour atteindre ce but, la rémunération des hauts dirigeants a été conçue de manière à la lier au cours de l’action. Cette pratique a contribué à la création de risques au niveau de la firme, des marchés financiers et de l’économie mondiale. Du point de vue de la firme, un fossé se creuse entre les niveaux de rémunération des hauts dirigeants et le rendement à long terme des sociétés. Du côté des marchés financiers, nous assistons à la création d'incitatifs ayant contribué à la prise de risques excessifs et à la crise financière mondiale. Sur le plan de l’économie mondiale, on constate une disparité grandissante des revenus, le déclin de la classe moyenne et une agitation sociale. Les investisseurs socialement responsables ont l’occasion unique de jouer un rôle de premier plan dans le secteur de l’investissement et de renverser la vapeur. Pour ce faire, nous pouvons commencer par appuyer la théorie des parties prenantes, relancer les discussions sur la mission de la société et proposer les grandes lignes d’une structure de rémunération des hauts dirigeants conséquente. Selon la théorie des parties prenantes, la société a pour mission de créer de la valeur pour toutes ses parties prenantes. Ces parties prenantes varient d’une firme à l’autre, mais comprennent généralement les employés, les clients, les fournisseurs, les communautés, les représentants des communautés futures, les organismes de réglementation, les créditeurs, les bailleurs de fonds et les investisseurs. Bien qu’en général, les réflexions des actionnaires et la structure de la rémunération des hauts dirigeants soient animées par la théorie de la primauté des actionnaires, les fondements légaux de cette théorie sont, au mieux, fragiles. La théorie des parties prenantes, en revanche, est appuyée par la loi, la théorie de la gestion et bon nombre de dirigeants d’entreprises. Les dirigeants qui adoptent une vision à long terme et tiennent compte des intérêts d’un grand nombre de bénéficiaires peuvent réussir à réduire les risques, réduire les coûts et tirer parti d’occasions contribuant à la prospérité à long terme de leur entreprise. La théorie des parties prenantes est cohérente avec les fondements qui définissent l’investissement socialement responsable. Au cours des deux dernières décennies, les investisseurs socialement responsables ont contribué à l’élaboration d’indicateurs de mesure du rendement des sociétés ouvertes sur le plan environnemental, social et de la gouvernance (ESG). Ces indicateurs permettent de déterminer dans quelle mesure les sociétés servent les intérêts des parties prenantes. Depuis les cinq dernières années, Fonds Éthiques fait la promotion des indicateurs les indicateurs ESG comme des éléments clés d’une structure de rémunération des hauts dirigeants au moyen de recherches et de collaborations avec les sociétés et les organismes de réglementation et de normalisation. Certaines sociétés se sont mises à intégrer ces indicateurs dans la structure de rémunération de leurs hauts dirigeants, les récompensant ainsi pour l’amélioration de la satisfaction de la clientèle, de l’engagement des employés, et du rendement sur le plan de la sécurité, et pour la réduction des répercussions sur l’environnement. Les efforts concertés des investisseurs socialement responsables pour étendre ces pratiques profiteront aux sociétés et à leurs actionnaires. Par ailleurs, de tels efforts pourraient contribuer à la réduction de la prise de risques à court terme et réhabiliter le concept selon lequel les sociétés peuvent, devraient et doivent fournir des avantages à long terme à la population. 5
UNE CRISE, QUELLE CRISE ? Recommandations sommaires aux organismes d’investissement Les investisseurs socialement responsables devraient envisager l’adoption d’une série de mesures visant à s‘attaquer aux défis actuels que pose la rémunération des hauts dirigeants.Voici les recommandations de Fonds Éthiques : 1. Cesser de véhiculer le mythe selon lequel les « actionnaires sont propriétaires de la société ». Nous détenons des titres et avons des droits précis. Les biens de la société ne sont pas à notre disposition. 2. Encourager les sociétés à trouver des moyens d’offrir des bénéfices à toutes les parties prenantes, et non seulement aux actionnaires. Des lignes directrices sur la façon d’identifier les parties prenantes et d’entrer en relations avec elles ont déjà été établies. 3. Encourager les sociétés à fixer des indicateurs de performance sur le plan environnemental, social et de la gouvernance (ESG) précis et mesurables et liés aux intérêts des parties prenantes. Ces critères devraient avoir une place tout aussi importante que celle des indicateurs financiers dans la structure de rémunération des hauts dirigeants. Les investisseurs devraient insister sur une corrélation claire et cohérente entre tous les indicateurs de performance et la rémunération offerte. 4. Reconnaître que les actionnaires ne sont pas tous pareils. Encourager les sociétés à faire appel à des organismes d’investissement partageant un intérêt pour la création de valeur à long terme. Cette mesure peut être illustrée au moyen d’énoncés publics relatifs à la philosophie en matière d’investissements, de périodes de détention et de taux de roulement. 5. Accroître la divulgation du dialogue auprès des sociétés et garantir que cette dialogue soit mené avec comme objectif la création de valeur durable à long terme. 6. Accepter le recours légitime à la discrétion par les comités de rémunération qui désirent s'écarter des formules de rémunération.Toutefois, insister sur le fait de recourir à la discrétion avec parcimonie. Les conseils d’administration devraient divulguer les occasions où le recours à la discrétion a été utilisé, la façon dont il a été utilisé et la raison pour laquelle il a été utilisé. 7. Exercer son droit de vote sur la rémunération des hauts dirigeants telle qu’elle est proposée par la direction (vote consultatif) et expliquer au comité de rémunération la raison de toute objection afin que les sociétés améliorent leurs pratiques. 8. Plaider en faveur du retrait des options d’achats d’actions. Les options d’achat d’actions sont très complexes et hautement susceptibles d’être manipulées. Elles ont également pour effet de rémunérer de façon excessive les hauts dirigeants sur la base d’un seul indicateur de performance discutable. 9. Influencer des décideurs en matière de politiques et de normes dans le but d’améliorer les pratiques relatives à la rémunération des hauts dirigeants. Les autorités réglementaires peuvent améliorer les pratiques en matière de divulgation et de rémunération. Les actionnaires ont l’obligation de contribuer à l’uniformisation des règles du jeu au profit des sociétés qui adoptent des pratiques exemplaires. 10. Lancer des discussions éclairées, et y prendre part, sur le plafonnement de la rémunération des hauts dirigeants. Le rythme auquel croît la rémunération de ces hauts dirigeants n’est pas viable. Ces discussions doivent être lancées séance tenante. 6
UNE CRISE, QUELLE CRISE ? Introduction: L’importance de la conception Le 31 mai 1916, la Marine royale a engagé le combat contre la flotte allemande dans la mer du Nord, près de la péninsule danoise. Durant l’affrontement, trois croiseurs de bataille britanniques, l’Invincible, le Queen Mary, et l’Indefatigable, ont été coulés par des tirs ayant causé une explosion à bord. Plus de 3 000 hommes y ont perdu la vie. Le commandant de la flotte, le vice-amiral David Richard Beatty, du HMS Lion s’est adressé à son capitaine de pavillon : « Chatfield, on dirait que quelque chose cloche avec nos navires aujourd’hui » Malgré la remarque flegmatique de Beatty, la vulnérabilité extrême des croiseurs a causé une surprise. Plus tard, une enquête a permis de constater qu’en raison d’un vice de conception, les obus allemands avaient pu pénétrer dans les tourelles et faire exploser les munitions stockées sous le pont. La rémunération des hauts dirigeants provoque une réflexion semblable : il y a quelque chose qui cloche dans la façon de rémunérer nos hauts dirigeants.1 De nos jours, la plupart des hauts dirigeants de sociétés cotées en bourse sont évalués principalement en fonction du rendement du cours de l’action et des indicateurs financiers considérés comme éléments principaux animant le cours de l’action. La façon la plus commune d’inciter les dirigeants à se focaliser sur le cours de l’action consiste à leur offrir un régime d’option d’achat d’actions ou toute autre rémunération à base d’actions.2 Au Canada et aux États-Unis, la rémunération à base de titres représente plus de la moitié de la rémunération des hauts dirigeants. Ce phénomène est relativement récent. Il a pris naissance vers la fin des années 1970 et s’est fermement enraciné dans les années 1990.3 Faut-il s'en étonner, alors que la plupart des sociétés clament que leur mission première consiste à maximiser le cours de l'action? En effet, maximisez le cours de l’action et du coup, vous maximiserez votre rémunération. Toutefois, un problème se pose. Les niveaux d’imputabilité et de performance des hauts dirigeants n'ont pas suivi la même cadence. Alors que la rémunération des hauts dirigeants augmentait, nous avons plutôt été témoins d’une série de scandales provoqués par des fraudes comptables, d’une gestion axée sur les revenus au détriment d’une gestion axée sur la société, et d’une prise de risques accrue pour les sociétés. De plus, selon certains commentateurs, la structure de la rémunération des hauts dirigeants aurait contribué à la crise financière mondiale qui perdure et à la polarisation des niveaux de revenus qui menace la stabilité sociale, économique et politique. Dans ce contexte, des experts en gouvernance, des universitaires, des actionnaires et des politiciens suivent de près la question de la rémunération des hauts dirigeants et conviennent que la structure de cette rémunération adoptée par les sociétés cotées en bourse renferme quelque chose d’énormément malsain. Ce mémoire ne se veut pas uniquement qu’une autopsie des pratiques utilisées d’hier à aujourd’hui : nous nous tournons vers l’avenir pour aborder la question à savoir comment, en tant qu’investisseurs responsables, nous devrions relever ce défi. Pour ce faire, nous nous basons sur les travaux menés par des chercheurs notoires en gouvernance d’entreprise pour redonner vie à une autre théorie de la firme, une théorie selon laquelle la mission de la société consiste à fournir un rendement positif à toutes ses parties prenantes. Toutefois, nous ne pouvons pas nous limiter à plaider pour une théorie. Nous recommandons en outre la mise en place d’une série de mesures pratiques que les investisseurs socialement responsables peuvent prendre pour encourager les sociétés à revoir leurs pratiques en matière de rémunération des hauts dirigeants. Nous sommes persuadés que la mobilisation d’une masse critique d’investisseurs contribuerait à créer de meilleures sociétés, des communautés plus fortes et une économie plus durable. 1 Ce document traite principalement des hauts dirigeants à la tête de sociétés ouvertes exploitées selon le modèle anglo-américain, soit des sociétés caractérisées par un actionnariat dispersé et un conseil d’administration à un seul niveau composé de membres n’étant pas membres de la haute direction, élus par les actionnaires et mettant l’accent sur les intérêts des actionnaires. Depuis trente ans, on assiste à une tendance vers le modèle anglo-américain dans la gouvernance des sociétés et, par surcroît, la rémunération des hauts dirigeants.Thomas Clarke en fait une critique générale dans « A Critique of the Anglo-American Model of Corporate Governance », Comparative Research in Law & Political Economy Research Paper 15/2009 vol. 5 no 3, (2009). Pour une discussion sur les différences entre les sociétés ouvertes au Canada et celles aux États-Unis et au Royaume-Uni, consultez « Some Obstacles to Good Corporate Governance In Canada and How to Overcome Them », Research Study Commissioned by the Task Force to Modernize Securities Legislation in Canada, 18 août, 2006, de Randall Morck et Bernard Yeung. Les sociétés ouvertes au Canada sont plus susceptibles d’être dirigées par un seul actionnaire contrôlant que celles aux États-Unis.Voir par exemple, Second Class Investors,The Use and Abuse of Subordinated Shares in Canada, Shareholder Association for Research and Education, 2004. Cette tendance ne change toutefois rien à l’observation selon laquelle la rémunération des hauts dirigeants canadiens n’est que légèrement inférieure à celles de leurs homologues américains.. 2 Voir comme exemple, Meridian Compensation Partners,Trends and Developments in Executive Compensation, mars 2011 et Equilar, « Performance Share Usage Among 7 S&P 1500 CEOs Continues to Grow ». 3 ALLAIRE,Yvon, Pay for Value: Cutting the Gordian Knot of Executive Compensation, Institute for Governance of Private and Public Corporations, 2012.
UNE CRISE, QUELLE CRISE ? Primauté des actionnaires: L’idée la plus insensée au monde? L’idée selon laquelle la principale obligation des sociétés consiste à maximiser le cours de l’action au profit des actionnaires, ce qu’on appelle la primauté des actionnaires, constitue la philosophie dominante sur laquelle s’appuie la structure actuelle des régimes de rémunération des hauts dirigeants. Comment en sommes-nous arrivés là? La réponse pourrait résider dans l’émergence de la société ouverte comme une entité économique importante au 16e siècle. Sous cette forme d’incorporation, la société ouverte fait une distinction nette entre la propriété de l’entreprise, soit les actionnaires, et la gestion quotidienne de l’entreprise, soit les dirigeants. Cette distinction s’inscrit dans le concept de « problème principal-agent ». Adam Smith pourrait être le premier à avoir défini ce problème alors qu’il observait l’émergence des sociétés par actions, lesquelles émettaient des titres sur les premières bourses. Dans La richesse des nations (1776), il écrit : « Toutefois, puisque les dirigeants de telles sociétés gèrent l’argent des autres plutôt que la leur, [on ne peut s’attendre d’eux qu’ils] veillent sur cet argent avec autant de vigilance [que s’ils en étaient les propriétaires] ». Ainsi, « la négligence et la profusion vont toujours transcender la gestion des affaires d’une telle société. » « À première vue, la valeur pour l’actionnaire est l’idée la plus insensée au monde. La valeur de l’actionnaire est un résultat, et non une stratégie… C’est le produit de vos efforts combinés… Vos principaux intérêts sont vos employés, vos clients et vos produits. » Jack Welch, ancien président et chef de la direction de General Electric, citation tirée de « Welch Condemns Share Price Focus »,The Financial Times, 12 mars 2009. Le débat sur la solution à adopter pour remédier au problème de l’agence est demeuré en suspens jusqu’en 1930. Aux États-Unis, les responsables de l’élaboration des politiques publiques ont manifesté un vif intérêt pour ce sujet au moment où le président Roosevelt s’est mis à réglementer les sociétés commerciales et d’investissement fortement blâmées pour le krach boursier de 1929 et la Grande Crise qui a suivi. C’est alors que les organismes de réglementation des valeurs mobilières s’en sont remis à la transparence pour veiller à ce que les actionnaires disposent de l’information dont ils avaient besoin pour prendre des décisions éclairées en matière d’investissement et garder l’œil sur les dirigeants. On racontait que la lumière du soleil était le meilleur désinfectant, et la réglementation introduite dans les années 1930 a jeté les bases des règles actuelles entourant la divulgation. 8
UNE CRISE, QUELLE CRISE ? Pendant la crise, la guerre, et finalement le boom des années 1950 et 1960, les exigences accrues en matière de divulgation étaient largement considérées comme suffisantes. Mais la stagflation survenue durant les années 1970 a été accompagnée d’une crainte voulant que les entreprises modernes, en raison de la lourdeur de leurs bureaucraties et de leurs systèmes de contrôle, se soient éloignées de leur passé entrepreneurial. Le mode de fonctionnement des grandes entreprises était de plus en plus calqué sur celui de l’État. Les gestionnaires étaient trop confiants et l’économie stagnait.4 Dans un document publié en 1976, les économistes Michael Jensen et William Meckling se penchent sur ce problème. La solution? Faire des gestionnaires les propriétaires de l’entreprise en associant leur rémunération au cours de l’action sous la forme d’actions et d’options d’achat d’actions. Cette façon de faire visait à harmoniser les intérêts de la direction avec ceux des actionnaires. Les gestionnaires se montreraient plus dynamiques, feraient preuve d’un plus grand esprit d’entreprise et mettraient tout en œuvre pour stimuler la croissance.5 Le mantra erroné de la primauté des actionnaires Trente-cinq ans plus tard, la théorie de la maximisation de la valeur pour les actionnaires domine largement le monde universitaire, ainsi que les programmes des écoles de droit et de commerce aux États-Unis, et elle structure la rémunération des hauts dirigeants. Dans le milieu universitaire, la victoire a été déclarée en 2001. Dans « The End of History of Corporate Law », Hansmann et Kraakman font état d’un « consensus normatif à grande échelle selon lequel les administrateurs de sociétés devraient agir exclusivement dans l’intérêt économique des actionnaires. » Ils affirment que cela résulte du triomphe économique du modèle d’entreprise anglo-américain axé sur la maximisation de la valeur pour les actionnaires et de l’échec des autres modèles, tels que le modèle orienté vers le gestionnaire qui a évolué aux États-Unis dans les années 1950, le modèle orienté sur l’État qui a dominé en France et en Asie et le modèle orienté sur la main-d’œuvre en Allemagne. Le consensus émergent avait déjà touché les pratiques en matière de gouvernance d'entreprise partout dans le monde, et ce n’était qu’une question de temps avant que son influence se fasse également sentir dans la réforme du droit des sociétés.6 Aux États-Unis, les programmes des écoles de droit et de commerce mettent l’accent sur la maximisation de la valeur pour l’actionnaire comme élément central de l’entreprise. Selon une étude de la Brooklings Institution, « L’éducation influe sur les points de vue, et selon les sondages menés auprès d’étudiants diplômés, ces derniers sont plus susceptibles de voir la maximisation de la valeur pour les actionnaires comme l’objectif le plus important de l’entreprise. »7 En dernier lieu, sur le plan de la rémunération des hauts dirigeants, l’évaluation du rendement de la plupart des dirigeants de sociétés publiques s’appuie sur le rendement du cours de l’action et sur des indicateurs financiers qui, considère-t-on, stimulent le cours de l’action, comme le bénéfice par action, la rentabilité totale pour l’actionnaire, les revenus et les produits d’exploitation.8 La façon la plus commune d’inciter les dirigeants à se focaliser sur le cours de l’action consiste à leur offrir un régime d’option d’achat d’actions ou toute autre rémunération à base d’actions, comme des actions spéciales, des actions liées au rendement et un régime d’achat d’actions différé. 4 GALBRAITH, John Kenneth,The New Industrial State, (Princeton University Press, 1967). 5 JENSEN, Michael C., et William H. MECKLING, Theory of the Firm: Managerial Behavior, Agency Costs and Ownership Structure, Journal of Financial Economics, vol. 3, no 4. 6 HANSMANN, Henry, et Reinier KRAAKMAN,The End of History for Corporate Law, 89 Geo, L.J. 439, (2001). 7 WEST, Darrell,The Purpose of the Corporation in Business and Law School Curricula, (Brookings, 19 juillet 2010). 8 Comme indiqué ailleurs, il s’agit d’un phénomène récent. En 1976, la rémunération à base d’actions comptait pour moins de 1 % des régimes 9 de rémunération des chefs de la direction dans les grandes sociétés américaines. En 2011, 63 % de la rémunération totale des hauts dirigeants était fondée sur un régime à base de titres. Voir Meridian Compensation Partners, Trends and Developments in Executive Compensation, mars 2011 et Equilar, Performance Share Usage Among S&P 1500 CEOs Continues to Grow, 2012.
UNE CRISE, QUELLE CRISE ? Prevalence Prédominance of Metricsutilisés des indicateurs Used indans Performance Awards les primes de rendement 40% 35% 30% 25% 20% 15% 10% 5% 0% BPA/ EPS/Net RTA TSR Revenu Revenue Bénéfice Operating RC/RCI ROC/ROIC Flux Cash de Flow RCP ROE Revenu Incomenet d'exploitation Income trésorerie ! Source: Equilar, Performance Share Usage among S&P 1500 CEOs Continue to Grow, Redwood City: Equilar, 2012. La notion de primauté de l’actionnaire occupe une position prééminente. Mais avec l’inquiétude grandissante au sujet du rendement des entreprises, des effondrements boursiers et de l’inégalité des revenus, l’opposition à la primauté des actionnaires gagne de la vigueur. Cette opposition s’articule autour de cinq principaux points : 1. Les actionnaires ne sont pas propriétaires d’entreprises. Ils en détiennent des actions. Sous le couvert de la primauté des actionnaires, les investisseurs sont nombreux à agir comme si les actifs de l’entreprise leur appartenaient, insistent pour que le monde de l’entreprise tourne autour d’eux, et rejettent les autres types de propriété ou de participation au bien-être de l’entreprise que d’autres pourraient avoir. Comme le souligne Lynn Stout, chercheuse émérite en gouvernance d’entreprise à l‘Université Cornell, des droits précis sont liés à l’actionnariat (p. ex., le droit de déposer des propositions d’actionnaires à inclure dans la circulaire d’information de la société). Toutefois, les actionnaires n’exercent aucun contrôle sur les actifs de l’entreprise. Ils n’ont pas le droit de piger dans les profits de la société. Des dividendes peuvent leur être versés, mais seulement si les administrateurs décident de le faire. L’influence des actionnaires sur la société se fait par le truchement d’une prise de position (engagement ou proposition) ou d’une élection des administrateurs. Ainsi, « bien qu’il soit excusable de décrire librement une entreprise dirigée par un seul actionnaire comme étant « détenue » par cet actionnaire, décrire la relation entre une société ouverte et ses actionnaires en parlant de propriété pourrait être déroutant.9 9 STOUT, Lynn, Bad and Not-So-Bad Arguments for Shareholder Primacy, Southern California Law Review, vol. 75:1189. 10
UNE CRISE, QUELLE CRISE ? 2. Les administrateurs ne sont pas tenus de maximiser la valeur pour les actionnaires; dans la plupart des cas, leur obligation légale principale est due à l’entreprise, et non aux actionnaires. Selon l’article 122 (1) (a) de la Loi canadienne sur les sociétés par actions : Les administrateurs et les dirigeants doivent, dans l’exercice de leurs fonctions, agir avec intégrité et de bonne foi au mieux des intérêts de l’entreprise. La Cour suprême du Canada a confirmé l’application de l’article 122 (1) (a) de la Loi canadienne sur les sociétés par actions. Dans un litige opposant les Magasins à rayons Peoples à Wise, la Cour suprême a statué comme suit : « [Il] est clair que l’énoncé ''dans les meilleurs intérêts de l’entreprise’’ ne devrait pas être interprété seulement comme '’les meilleurs intérêts des actionnaires’’. Nous considérons qu’il est juste d’affirmer en droit que, pour déterminer s’il agit au mieux des intérêts de l’entreprise, il peut être légitime pour le conseil d’administration, vu l’ensemble des circonstances dans un cas donné, de tenir compte notamment des intérêts des actionnaires, des employés, des fournisseurs, des créanciers, des consommateurs, des gouvernements et de l’environnement. »10 Dans cette décision, entre autres, la Cour soutient l’existence d’une règle d’appréciation commerciale permettant aux administrateurs de tenir compte d’un vaste éventail de facteurs dans leur processus décisionnel. Ils n’ont pas l’obligation, d’ordre général, de maximiser la valeur pour les actionnaires. Elle s’en remet à l’appréciation commerciale des administrateurs, pourvu qu’un niveau approprié de prudence et de diligence soit exercé dans la prise de décisions commerciales raisonnables au moment où elles sont prises.11 Les tribunaux canadiens et internationaux peuvent se laisser influencer par les décisions prises par les tribunaux américains.12 Mais même aux États-Unis, où la rémunération fondée sur des titres s’est poursuivie avec dynamisme, l’idée voulant que le droit des sociétés exige des administrateurs et des dirigeants qu’ils maximisent la valeur pour les actionnaires trouve peu d’écho. Le fondement juridique relatif à la primauté des actionnaires est généralement considéré comme prenant appui sur une seule opinion judiciaire se trouvant dans la décision de la Cour suprême du Michigan rendue en 1919 dans l’affaire Dodge c. Ford Motor Company.13 Dans cette cause, les frères Dodge ont intenté un procès contre Henry Ford qui refusait de verser un dividende aux actionnaires minoritaires. Les frères Dodge voulaient utiliser ce versement pour intensifier les activités de leur entreprise, en concurrence avec celle de Ford, et Ford le savait. Pour sa défense, ce dernier affirmait vouloir conserver le dividende dans le but d’offrir des prix plus bas aux consommateurs et de meilleurs salaires à ses employés. La décision du tribunal a favorisé les frères. Le tribunal, dans sa décision désormais célèbre, affirmait : « Il ne devrait pas y avoir de confusion… une société par actions est organisée d’abord et avant tout pour le profit des actionnaires. Les pouvoirs des administrateurs doivent être utilisés à cette fin. » 10 Magasins à rayons Peoples inc. c. Wise, Cour suprême du Canada, 29 octobre 2004. 11 Pour une analyse juridique de la décision de Peoples et de la décision de la Cour suprême du Canada dans l’affaire BCE c. Détenteurs de débentures de 1976, lire Peoples, BCE, and the Good Corporate Citizen, Osgood Hall Law Journal 47, 2009, de Ed Waitzer et Johny Jaswal. Waitzer et Jaswal concluent que même si la Cour n’a pas pris position en faveur de la primauté des actionnaires, elle aurait pu préciser davantage les obligations des entreprises envers les parties prenantes. 12 L’influence des décisions des tribunaux américains pourrait être en déclin. Lire U.S. Court Is Now Guiding Fewer Nations, New York Times, 18 septembre 2008 de Adam Piptak. Exemple, BAKAN, Joel, The Corporation: The Pathological Pursuit of Profit and Power, (Free Press, 2004). Ce livre, ainsi que le documentaire très prisé auquel il a 11 13 donné naissance, expose en profondeur l’affaire Dodge c. Ford.
UNE CRISE, QUELLE CRISE ? Stout fait valoir que ce cas n’édicte pas la loi. Son argumentaire comprend quatre parties. Premièrement, la déclaration de la Cour a été publiée sous forme de principe; un énoncé d'opinion qui, bien qu'autoritaire, n'est pas contraignant. Deuxièmement, cette affaire remonte à près d’un siècle. Le droit des sociétés a beaucoup évolué depuis 1919. Troisièmement, aux États-Unis, la jurisprudence touchant les sociétés tend à être établie au Delaware où les juges sont reconnus pour leur expertise en droit des sociétés. L’État du Michigan n’est pas reconnu pour avoir apporté une contribution dans ce domaine. Et quatrièmement, et c’est peut-être le point le plus important, au cours des 30 dernières années, la Cour du Delaware n’a cité le cas de Dodge c. Ford qu’à une seule occasion, et non pas sur la question de la mission des sociétés, mais sur celle des obligations des actionnaires majoritaires envers les actionnaires minoritaires.14 Les défenseurs de la théorie de la primauté des actionnaires présentent également l’affaire Revlon Inc c. MacAndrews & Forbes Holdings Inc. pour appuyer leur thèse selon laquelle la loi stipule que la maximisation de la valeur pour les actionnaires représente la mission première de la firme. Dans ce cas, les administrateurs de Revlon ont décidé de vendre la société à un groupe privé d’actionnaires. Les actionnaires publics devaient abandonner leurs intérêts et recevoir une compensation en espèces ou sous forme d’autres titres pour leurs actions. La Cour suprême du Delaware soutenait que lorsqu’une société met en branle une procédure d’appels d’offres, le rôle du conseil d’administration passe de celui d’agir dans les meilleurs intérêts de la société à celui d’obtenir le meilleur prix possible pour les actions détenues par les actionnaires. Comme le souligne Stout, c’est « seulement lorsqu’une société ouverte s’apprête à cesser de faire appel à l’épargne public que les administrateurs perdent la protection en vertu de la règle d’appréciation commerciale et doivent à ce moment avoir comme objectif unique la valeur pour les actionnaires. » La règle concernant l’appréciation commerciale prévaut également au Delaware, l’État américain où se trouvent les tribunaux les plus favorables aux entreprises. La jurisprudence nous enseigne qu’au Delaware, les tribunaux sont réticents à passer en revue les décisions commerciales des administrateurs ayant rempli leurs obligations de bonne foi, avec prudence et dans les meilleurs intérêts de la société. Dans l’exemple le plus célèbre, soit l’affaire Schlensky c. Wrigley, le plaignant William Shlensky a intenté une action dérivée contre Phillip Wrigley pour forcer l'installation d’un système d’éclairage au stade Wrigley Field pour permettre au Cubs de Chicago de jouer des matchs de baseball en soirée. À cette époque (1968), tous les stades des autres équipes du baseball majeur étaient équipés de systèmes d’éclairage. Les défendeurs ont refusé d'installer ces systèmes pour les Cubs, arguant que les quartiers voisinant souffriraient de la tenue de matchs de baseball en soirée. Les tribunaux ont statué en faveur du défendeur citant la jurisprudence selon laquelle lorsqu’une société mène ses activités selon la loi, le tribunal n’a aucune autorité à substituer son jugement à celui des administrateurs.16 Le résultat est que, contrairement aux régimes de rémunération des hauts dirigeants qui mettent l’accent sur le cours de l’action, les administrateurs des sociétés ouvertes ne sont pas tenus légalement de maximiser la valeur de l’action. 14 Lire STOUT, Lynn A., Why We Should Stop Teaching Dodge v. Ford, Virginia Law and Business Review, volume 3, no 1, printemps 2008 et Stout, The Shareholder Value Myth, (San Francisco, California: Berreet-Koehler Publishers Inc. 2012). 15 STOUT, The Shareholder Value Myth. La jurisprudence sur ce point aux États-Unis est en quelque sorte un point sensible. Les lecteurs intéressés devraient également consulter Unocal c. Mesa Petroleum, une autre décision dans le cadre de laquelle la Cour suprême du Delaware a légitimé les pilules empoisonnées afin de prévenir les prises de contrôle lorsqu’il peut être démontré que la politique d’entreprise est menacée et que les mesures de défenses sont proportionnelles et raisonnables. Voir aussi Leonard L. Rotman, « Debunking the “End of History” Thesis for Corporate Law », Boston College International and Comparative Law Review, volume 33, numéro 2, 2010). 12 16 Shlensky v. Wrigley, 95, Ill. App. 2d, 173, 237 N.E.2d 776 (1968).Voir également Air Products and Chemicals, Inc., v. Airgas Inc., Civ. 5249-CC, 5256-CC (Del. Ch., 15 fév., 2011) 92.
UNE CRISE, QUELLE CRISE ? 3. La primauté des actionnaires incite les sociétés à favoriser les profits à court terme, quelles que soient les conséquences Les données financières ne à long terme. peuvent répondre seules à cette situation On entend par politique à court terme l’attention excessive accordée par les gestionnaires de sociétés aux résultats à court terme à des fins de manipulation La plupart des hauts dirigeants du cours de l’action. Pour les sociétés non financières, cette pratique peut passer et des administrateurs estiment par la maximisation des profits trimestriels et du cours de l’action en gonflant les qu’en privilégiant seulement revenus actuels au détriment de la viabilité à long terme de la société. Pour y arriver, les indicateurs financiers, nous les sociétés peuvent réduire les dépenses discrétionnaires, limiter les investissements obtenons un tableau incomplet de dans les actifs à long terme ou prendre des risques excessifs pour maximiser les la capacité de la société à créer de revenus à court terme. Du côté des sociétés financières, la politique à court terme la valeur à long terme. peut en outre impliquer des investissements dans des actifs comportant des risques cachés et la contraction d’une dette excessive pour soutenir des profits à court Dans un sondage mené par terme ou le rendement des portefeuilles. Cette politique peut aussi donner lieu à Deloitte en 2004 auprès de des stratégies de négociation à court terme faisant fi de la valeur fondamentale des 250 administrateurs et hauts actifs sous-jacents, ou à l’utilisation de droits de vote visant à presser les entreprises dirigeants, 92 % des répondants à fournir un rendement immédiat aux propriétaires au moyen de dividendes, de ont affirmé que les indicateurs rachats d’actions ou de ventes d’actifs. Ces mesures pour faire monter le cours de financiers ne donnent pas une l’action s’appellent la gestion du résultat.17 bonne représentation des forces ou des vulnérabilités sous-jacentes Lynn Dallas, de la Faculté de droit de l’Université de San Diego, fait partie d’un des sociétés qu’ils dirigent. groupe d’universitaires qui fait la distinction entre la gestion du résultat comptable Deloitte a répété l’exercice en et la gestion du résultat réel. Enron a fait appel à la gestion du résultat comptable 2007. Dans ce sondage, 78 % des lorsqu’elle a manipulé les résultats en inscrivant un gain considérable dans ses livres comptables après avoir « vendu » sa division non rentable dans le domaine de la répondants ont alors affirmé large bande à une « entité ad hoc » dont elle avait également le contrôle. Lehman que les indicateurs financiers Brothers s’est elle aussi adonnée à la gestion du résultat comptable lorsqu’elle a inscrit seuls ne donnent pas une bonne ses emprunts comme ventes, augmentant ainsi ses résultats à temps pour plaire représentation des forces et des aux analystes, qui attendaient la publication des résultats trimestriels. Bien que ces faiblesses de leurs sociétés. Ce méthodes comptables préoccupantes soient moins courantes depuis l’adoption de chiffre est monté à 85 % pour la législation aux États-Unis (Sarbanes-Oxley), la gestion du résultat réel occupe une les sociétés dont les produits plus grande place. Parmi les exemples, notons la réduction de prix pour augmenter d’exploitation excèdent 1 milliard temporairement les ventes et la réduction des dépenses dans différents domaines de dollars. Un pourcentage comme la formation des employés et la recherche et le développement, et ce, pour considérable de répondants a accroître les marges. 18 affirmé que la haute direction a besoin de meilleures données Dans quelle mesure les deux formes de gestion des résultats sont-elles étendues? concernant certains domaines, Selon un sondage mené en 2005 auprès de 400 dirigeants dans le domaine tels que l’engagement des financier, la majorité des répondants ont affirmé qu’ils éviteraient de déposer un projet de valeur actuelle nette positive si celui-ci entraînait un déficit par rapport aux employés (58 %), la satisfaction estimations consensuelles des résultats du trimestre en cours. Ils agiraient de la sorte, de la clientèle (48 %), l’innovation car ils croient que rater un objectif de résultat, ou publier des résultats volatiles, influe (36 %), les répercussions sur la négativement sur le cours de l’action. 19 population (32 %), la performance opérationnelle (32 %) et la 17 CFA Centre for Financial Market Integrity/Business Roundtable Institute for Corporate Ethics, Breaking the Short-Term Cycle: Discussion performance de la chaîne and Recommendations, 2006. d’approvisionnement (31 %) 18 DALLAS, Lynne L., Short-Termism, The Financial Crisis and Corporate Governance, Research Paper No. 12-078, University of San Diego Law School, février 2012. 19 GRAHAM, John R., Campbell R. HARVEY, et Shiva RAJGOPAL, The Economic Implications of Corporate Financial Reporting, Journal of Accounting and Economics, 2005, vol. 40 (1-3, déc.). Dans Fixing the Game, Bubbles, Crashes and What Capitalism Can Learn from the NFL, Roger Martin écrit : « Le concept de la valeur pour l’actionnaire échoue en tant que théorie unificatrice visant à produire de la valeur au 13 sein des entreprises ».
UNE CRISE, QUELLE CRISE ? 4. La primauté des actionnaires a réuni les conditions ayant mené à la crise financière mondiale. La Financial Crisis Inquiry Commission (FCIC) a été créée en 2009 par le Congrès américain à titre de panel biparti ayant pour objectif d’enquêter sur les causes de la crise financière mondiale. La FCIC a conclu que ce désastre aurait pu être évité. Elle a pointé du doigt l’effondrement de la bulle immobilière comme élément déclencheur de la chute la plus vertigineuse du marché boursier depuis le krach de 1929 et de la crise financière mondiale qui s’en est suivie. Bon nombre de conditions préalables ont toutefois grandement favorisé cet effondrement. L’une de ces conditions : la primauté des actionnaires. Pour assurer son bon fonctionnement, l'industrie des services financiers compte sur une régulation efficace et efficiente. Les actionnaires doivent disposer de renseignements pour garantir l'efficacité des marchés et surveiller la gouvernance des entreprises. Les ménages ont besoin d’institutions de dépôts sécuritaires qui sauront protéger leurs économies. Le risque de crédit des acheteurs de résidences et des petites entreprises doit être évalué avec justesse.20 Toutefois, avant la crise, les entreprises, par leurs activités de lobbying sans relâche, ont réussi à entraver l'élaboration d'une réglementation visant à protéger les intérêts des parties prenantes.21 Pendant plusieurs décennies, la législation séparant les services aux entreprises et les services bancaires d’investissement a été abrogée et les lois contre les prêts abusifs ont été assouplies dans plusieurs États – deux éléments clés ayant mené à la crise.Trente années de dérèglementation, l'incapacité des agences de notation à sonner l'alarme, une vision à court terme, la volonté de maximiser le cours des actions et la cupidité sont tous des éléments qui ont contribué à définir le cadre qui allait donner lieu à la crise. Comme le note la Financial Inquiry Commission, ce cadre comprenait : • La hausse marquée des prêts accordés à des emprunteurs à haut risque et de la titrisation de ces créances, le prix insoutenable des maisons, la généralisation des pratiques d’octroi de prêts déloyales, l’augmentation de la dette hypothécaire par ménage et la croissance exponentielle des opérations pour compte propre hautement rentables de la part des cabinets de services financiers. • L’échec spectaculaire de la gouvernance d’entreprise et de la gestion du risque au sein d’institutions financières considérées trop solides pour tomber. En effet, un trop grand nombre d’institutions ont accepté de prendre trop de risques, sans disposer des capitaux suffisants, tout en dépendant excessivement d’un financement à court terme. Les ratios de levier financier des cinq plus importantes banques d’investissement aux États-Unis avaient atteint 40:1 et le levier était souvent camouflé par des instruments dérivés et hors bilan. • Un effondrement systématique de la responsabilité et de l’éthique. Les prêteurs accordaient des prêts à des emprunteurs tout en étant conscients de l’incapacité des emprunteurs à les rembourser. Les prêts intégrés aux produits financiers vendus aux investisseurs n’étaient souvent pas conformes aux normes de souscription des institutions financières qui élaboraient et vendaient ces produits. 20 Exemple, POSNER, Richard, A Failure of Capitalism:The Crisis of '08 and the Descent into Depression, (Cambridge, Harvard University Press, 2009). 21 LIAO, Carol, Corporate Governance Reform for the 21st Century: A Critical Reassessment of the Shareholder Primacy Model, (2012) 43 Ottawa Law Review. 14
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