La valorisation du son de blé en molécules tensioactives
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Avec le soutien du Fonds européen de développement régional, de la Région Grand Est, de la Wallonie et de la Province West-Vlaanderen. ValBran La valorisation du son de blé en molécules tensioactives RAPPORT DE CLÔTURE DU PROJET INTERREG VALBRAN (FRANCE - WALLONIE - VLAANDEREN)
2 Janvier 2017 - Décembre 2020 Coût total : 1.745.826,28 € Financement FEDER : 872.913,12 € Mentions légales Rapport de clôture – Projet Interreg ValBran Cet ouvrage est disponible en version web sur http://www.wheatbransurfactants.eu ou www.valbran.wheatbransurfactants.eu. Il est également disponible sur le site internet du projet : www.valbran.eu et sur demande auprès de ValBiom : communication@valbiom.be Ce document transfrontalier a été réalisé par : • Caroline Rémond, coordinatrice du projet, Université de Reims Champagne Ardenne, INRAE, FARE, UMR 614, chaire AFERE, 51686 Reims, France. • Richard Plantier-Royon, Institut de Chimie Moléculaire de Reims, CNRS UMR 7312, Université de Reims Champagne-Ardenne, 51687 Reims Cedex, France. • Lauranne Debatty, coordinatrice de la publication, ValBiom asbl, 5030 Gembloux, Belgique. • Lola Brousmiche, ValBiom asbl, 5030 Gembloux, Belgique. • Magali Deleu, FRS-FNRS, Université de Liège, Gembloux Agro-BioTech (LBMI), Gembloux, Belgique. • Catherine Sarazin, Université de Picardie Jules Verne, UMR 7025 CNRS Génie Enzymatique et Cellulaire, 80 039 Amiens Cedex, France. • Éric Husson, Université de Picardie Jules Verne, UMR 7025 CNRS Génie Enzymatique et Cellulaire, 80 039 Amiens Cedex, France. • Stefaan Sterlet, Inagro asbl, 8800 Rumbeke-Beitem, Belgique. • Martínez García Marta, VITO, 2400 Mol, Belgique. • Winnie Dejonghe, VITO, 2400 Mol, Belgique. • Yamini Satyawali, VITO, 2400 Mol, Belgique. Projet Interreg FWVl - Recherche & Innovation : ValBran. Editeur responsable et coordinateur du projet : Pr Caroline Rémond, Chaire AFERE-UMR FARE (Fractionnement AgroRessources Environnement), Université de Reims Champagne-Ardenne - France. Coordinateur de la publication : ValBiom asbl - Belgique. Traduction : Right Ink SPRL. Mise en page : Cible Communication. Publication : décembre 2020. Tous droits réservés. Reproduction, même partielle, interdite. BON À SAVOIR - Glossaire Les termes indiqués en bleu dans le texte sont définis dans le glossaire, en fin de rapport. Nous invitons le lecteur à s’y rapporter.
Avant-propos 3 Le consortium ValBran a mis tout en œuvre pour que les Cette publication, coordonnée par ValBiom, constitue informations contenues dans ce document soient les plus une synthèse illustrée mais non-exhaustive des résultats actuelles, complètes et valides que possible. Le consortium de recherche du projet. Elle est principalement destinée ne peut en aucun cas être tenu responsable de l’usage à informer les entreprises et industriels identifiés et réservé à ces informations et des conséquences qui en sensibilisés tout au long du projet, de même que les découleraient. scientifiques du domaine et les décideurs politiques. Rapport de clôture – Projet Interreg ValBran Articles scientifiques publiés Dans le cadre du projet, plusieurs articles scientifiques • Gérard D, Méline T, Muzard M, Deleu M, ont été publiés afin de diffuser les résultats du projet. Plantier-Royon R, Rémond C. Nous invitons les lecteurs à en prendre connaissance Enzymatically-synthesized xylo-oligosaccharides laurate s’ils souhaitent parfaire leur connaissance sur la rupture esters as surfactants of interest. Carbohydrate Research. technologique et les molécules tensioactives issues de la 2020 Septembre. Doi : 10.1016/j.carres.2020.108090 valorisation du son de blé. • Martinez-Garcia M, Dejonghe W, Cauwenberghs L, • Méline T, Muzard M, Deleu M, Rakotoarivonina H, Maesen M, Vanbroekhoven K, Satyawali Y. Plantier-Royon R, Rémond C. Enzymatic synthesis of glucose- and xylose laurate esters D-Xylose and L-arabinose laurate esters: Enzymatic using different acyl donor, higher substrate concentrations synthesis, characterization and physico-chemical and membrane assisted solvent recovery. European properties. Enzyme Microb Technol. 2018 Mai; Journal of Lipid Science and Technology. Accepté pour 112:14-21. Doi : 10.1016/j.enzmictec.2018.01.008 publication en décembre 2020. • Araya-Farias M, Husson E, Saavedra Torrico J, Gérard D, Roulard R, Gosselin I, Rakotoarivonina H, Lambertyn V, Rémond C, Sarazin C. Wheat Bran Pretreatment by Room Temperature Ionic Liquid-Water Mixture: Optimization of Process Conditions by PLS-Surface Response Design. Frontiers in Chemistry. 2019 Août. Doi : 10.3389/fchem.2019.00585 Remerciements La réalisation de ce présent rapport a été permise grâce • Dr. Boris Estrine, Responsable des marchés de la au soutien du Fonds européen de développement régional chimie ARD et de la technologie WHEATOLEO chez (Feder), de la Région Grand Est, de la Wallonie et de la Agro-industrie Recherches et Développements. Province West-Vlaanderen. • Frédérick Warzée, Responsable de la communication et Lors de la rédaction, les auteurs ont pu compter sur de de la durabilité sectorielle des entreprises chez DETIC. multiples ressources scientifiques (voir Bibliographie) et ont sollicité l’avis de contributeurs externes. Ils remercient • Jacky Vandeputte, Directeur scientifique et en particulier : Responsable innovation Bioéconomie chez IAR - Le pôle de la bioéconomie. • André Tonneaux, Responsable production chez CropEnergies AG. • Stefanie Verstringe, Responsable laboratoire chez Nuscience.
4 Table des matières Rapport de clôture – Projet Interreg ValBran Mentions légales 2 Avant-propos 3 Remerciements 3 1. L’intérêt croissant des consommateurs pour des tensioactifs durables 5 Interview croisée : Jacky Vandeputte, Pôle Industries & Agro-Ressources (IAR) et Frédérick Warzée, DETIC 10 Interview : Dr. Boris Estrine, Agro-industrie Recherches et Développements 12 2. Le haut potentiel de valorisation du son de blé 13 Interview : André Tonneaux, BioWanze 16 3. Chimie verte et biotechnologies blanches 17 Interview : Frédérick Warzée, DETIC 20 4. L’originalité du projet : la synthèse enzymatique des alkyl glycosides et des esters de sucre 21 5. De l’échelle laboratoire à l’échelle industrielle 24 Interview : Dr. Boris Estrine, Agro-industrie Recherches et Développements 26 6. Rentabilité économique des procédés : un frein au déploiement des biotensioactifs ? 27 7. ValBran : vers une valorisation « zéro déchet » du son de blé ? 31 Interview : Stefanie Verstringe, Nuscience Group 32 8. Perspectives et continuité des recherches scientifiques 33 9. L’équipe du projet 35 10. Le financement du projet 39 11. Glossaire 41 12. Bibliographie 45
1. L’intérêt 5 croissant des consommateurs Rapport de clôture – Projet Interreg ValBran pour des tensioactifs durables Les tensioactifs biosourcés sont fabriqués à partir de matières renouvelables. Leur faible écotoxicité et leur biodégradabilité en font des alternatives respectueuses de l’homme et de l’environnement.
“ 6 La demande globale en biotensioactifs est énorme. On parle aujourd’hui d’une croissance à deux chiffres. Le constat actuel est que toutes les entreprises ont envie de se positionner en matière de durabilité de leurs produits et d’un meilleur respect de l’environnement. F. Warzée, DETIC Des molécules omniprésentes dans notre vie quotidienne Rapport de clôture – Projet Interreg ValBran La chimie du végétal, l’un des axes essentiels de la chimie verte, est actuellement en plein boom. Elle répond à une demande croissante de nombreux secteurs de remplacer des molécules pétrochimiques par leur équivalent d’origine végétale. Les tensioactifs, appelés surfactants (abréviation de SURFace ACTive AgeNTS en anglais) sont des molécules de notre quotidien dont la production totale au sein de l’Europe des 28 était de 3.149.044 tonnes en 2019. Le CESIO1 estime que 59% de cette production annuelle européenne est partiellement biosourcée.2 D’après le centre de recherche de la Commission européenne (Joint Research Centre), les tensioactifs constituent un secteur stable et mature en Europe. En effet, ces molécules ont de multiples applications dans presque tous les aspects de notre vie quotidienne grâce à leurs nombreuses fonctions : agents de solubilisation, moussants, mouillants, dispersants, émulsifiants… Elles sont donc largement utilisées dans la Bioprocédés formulation de médicaments, cosmétiques, produits de nettoyage, additifs pour l’alimentation humaine et animale, produits Applications agrochimiques, peintures, et également dans les Microorganismes technologies de remédiation environnementale, largement Inspiré d’une illustration du projet CARBOSURF, coordonné étudiées actuellement. par l’Université de Gand BON À SAVOIR Les tensioactifs diminuent la tension superficielle entre deux surfaces, ce qui permet de disperser deux phases initialement immiscibles comme par exemple, entre l’air et l’eau ou entre l’eau et l’huile. Ces molécules possèdent une structure amphiphile, c’est-à-dire composée de deux parties : l’une hydrophobe (ou lipophile, qui retient les substances grasses), la « queue », et l’autre hydrophile, la « tête », qui - au contraire - aime l’eau. Un tensioactif est toujours amphiphile ; par contre, un composé amphiphile n’est pas forcément tensioactif.3 1 European Committee of Organic Surfactants and their Intermediates (CESIO) 2 De Cooman C, 2020 3 Larpent C, 2020
STRUCTURE AMPHIPHILE D’UN TENSIOACTIF 7 Queue lipophile Tête hydrophile Kerverdo S, Brancq B, 2008 Rapport de clôture – Projet Interreg ValBran Les tensioactifs sont encore en grande partie produits à partir de ressources pétrochimiques. Toutefois, la prise de conscience environnementale croissante a entraîné un glissement vers des produits dits oléochimiques, en partie dérivés d’huiles végétales, qui représentent actuellement plus de la moitié du marché en Europe. Cependant, ces produits oléochimiques ne sont que partiellement renouvelables et sont majoritairement issus de cultures éloignées de l’Europe.4 MARCHÉ DES TENSIOACTIFS5 52 % 44 % 4% 52 % 44 % 4% du volume du marché sont en partie issus du volume du marché sont du volume du marché sont de la biomasse (produits oléochimiques). entièrement pétrosourcés entièrement issus de la biomasse. Une Ces 52 % englobent les tensioactifs d’origine et d’origine fossile. bonne partie de ces biotensioactifs biosourcée (40 % en moyenne), soit est produite grâce à des méthodes de l’ensemble des tensioactifs dont la teneur production chimique et une faible biosourcée est comprise entre partie est produite par fermentation 5 et 95 %. et biocatalyse. A l’échelle mondiale, on constate que les biotensioactifs ne représentent actuellement qu’une très petite partie du marché des tensioactifs. Néanmoins, ce marché attire toute l’attention des industriels et commence à gagner du terrain. 4 JRC, 2019 5 Roelants S. et Soetaert W., 2021
8 Les biotensioactifs : appréciés et recherchés Récemment, parallèlement au développement des bioraffineries, les biotensioactifs entièrement biosourcés ont fait leur apparition et leur développement affiche une belle croissance. En Europe, par exemple, la production de tensioactifs d’origine biosourcée représente environ 1.100 kt/an, tandis que celle d’origine fossile est d’environ Rapport de clôture – Projet Interreg ValBran 2.400 kt/an, soit plus du double.6 “ L’enjeu des bioraffineries est majeur puisqu’elles utilisent le carbone renouvelable des plantes et donc limitent les émissions de gaz à effet de serre. Elles proposent des voies alternatives à l’utilisation des ressources fossiles épuisables. L’objectif est de valoriser les constituants des végétaux sous de multiples formes : énergie, matériaux et molécules d’intérêt. ValBiom, 2020 En termes de propriétés physico-chimiques, il n’y a • Leur capacité à respecter la réglementation en pas de différence entre un biotensioactif obtenu par matière de sécurité (environnementale). voie enzymatique et un biotensioactif obtenu par voie microbienne si les molécules sont équivalentes • L’utilisation de matières premières à faible coût du point de vue de leur composition. En revanche, les (graisses, huiles, sucres) pour les produire. deux technologies présentent différents avantages et inconvénients, repris plus loin dans ce rapport. • Leur grande diversité de structures, permettant de répondre de manière spécifique à une application Outre le fait qu’ils sont fabriqués à partir de matières particulière. premières renouvelables, les principaux avantages des tensioactifs biosourcés sont7 : • Leurs meilleures propriétés moussantes, comparativement aux tensioactifs pétrosourcés. • Leur faible écotoxicité et leur biodégradabilité, qui en font des alternatives respectueuses de l’homme et • Leur plus large gamme d’utilisation à des de l’environnement dignes d’intérêt. températures basses, des pH et des salinités élevés, comparativement aux tensioactifs pétrosourcés. BON À SAVOIR • Leurs propriétés antimicrobiennes (antifongique, La directive 73/404/CEE interdit la mise sur le 8 antibactérienne et/ou antivirale). Bien que tous les marché de tensioactifs dont la biodégradabilité biotensioactifs ne soient pas concernés. est inférieure à 90 % et certaines molécules tensioactives qui ne répondent pas aux critères de la règlementation REACH9. RoadToBio, 2019 6 et 7 8 L’article 2 de la Directive du Conseil européen du 22 novembre 1973 (73/404/CEE) indique que : « Les Etats membres interdisent la mise sur le marché et l’emploi des détergents lorsque la biodégradabilité moyenne des tensioactifs qui y sont contenus est inférieure à 90 % pour chacune des catégories suivantes : anioniques, cationiques, non ioniques et ampholytes. L’emploi de tensioactifs dont le taux moyen de biodégradabilité est au moins égal à 90 % ne doit pas, dans des conditions normales d’emploi, porter préjudice à la santé de l’homme ou de l’animal. » 9 REACH (CE) No 1907/2006 : règlement du Parlement Européen et du Conseil concernant l’enregistrement, l’évaluation et l’autorisa- tion des substances chimiques ainsi que les restrictions applicables aux substances chimiques, entré en vigueur le 1er juin 2007.
La mise sur le marché de molécules d’origine végétale en 9 remplacement de molécules d’origine fossile suscite des enjeux sociétaux importants dont l’acceptabilité des molécules biosourcées par les consommateurs. Cette acceptabilité nécessite plusieurs conditions : Rapport de clôture – Projet Interreg ValBran 1 2 3 4 que les molécules que leur coût ne soit que leurs propriétés que leur impact n’entrent pas en pas supérieur de 10 % soient au moins environnemental compétition avec maximum à celui des équivalentes à celles des soit minimal. l’alimentaire, équivalents pétrosourcés, équivalents pétrosourcés, Les tensioactifs constituent un groupe d’ingrédients polyfonctionnels, lui-même subdivisé en quatre sous-groupes. Cette classification est réalisée en fonction de la charge portée par la partie hydrophile des tensioactifs en milieu aqueux. Biodégradabilité Faible Faible toxicité écotoxicité pour l’homme 1. Tensioactifs anioniques Les anioniques libèrent une charge négative (anion) Les propriétés avancées en solution aqueuse, leur partie hydrophile est chargée négativement. Les qualités de détergent, mouillant et • Entraînent souvent une écotoxicité moindre comparativement aux tensioactifs conventionnels. moussant attribuées aux anioniques en font des ingrédients clés pour les produits d’hygiène. • Concentration micellaire critique inférieure. • Activités biologiques intéressantes (antibactérien, 2. Tensioactifs cationiques antifongique, antiviral, activités anticancer et en Les cationiques possèdent un ou plusieurs groupements immunomodulation). fonctionnels s’ionisant en solution aqueuse pour fournir des ions organiques chargés positivement et responsables de Les freins l’activité de surface. Par exemple, les détergents cationiques sont utilisés en milieu hospitalier et dans les industries • Faible connaissance du consommateur sur l’utilité et alimentaires. les propriétés des biotensioactifs. • Nécessité de la part des concepteurs de produits finis de percevoir la valeur ajoutée du passage des 3. Tensioactifs non ioniques tensioactifs traditionnels aux biotensioactifs. Les non ioniques permettent de stabiliser les systèmes • Absence d’une définition standard des multiphasiques comme les émulsions, les suspensions et biotensioactifs. les mousses et de solubiliser les actifs. Ils possèdent une très bonne tolérance cutanée et, par conséquent, sont les • Développement de nouvelles formulations : souvent plus utilisés en cosmétique. nécessaire pour optimiser les performances des biotensioactifs. 4. Tensioactifs amphotères • Coût des biotensioactifs d’origine microbienne : Le domaine d’application des amphotères dépend du pH généralement 10 fois supérieur aux tensioactifs des préparations et recouvre celui des autres groupes de d’origine fossile. tensioactifs. • Rendements de production des biotensioactifs microbiens faibles et sous-produits toxiques problématiques. • Traitement en aval des biotensioactifs microbiens : compliqué et nécessitant de l’innovation.
10 Au niveau mondial, les biotensioactifs les plus les esters de sucre (environ 6.000 t/an). Ils sont consommés sont le sulfonate d’ester méthylique principalement utilisés dans la fabrication de (MES) (33,3 %), les alkyl polyglycosides (25 %, détergents (45 %) et de cosmétiques (près de plus de 100.000 t/an), les esters de sorbitan et 11 %).10 Rapport de clôture – Projet Interreg ValBran Détergents Produits Produits Industrie Additifs Agro-chimie Textile Autres ménagers cosmétiques nettoyants agroalimentaire pétroliers marchés industriels 3,5 % 2,2 % 44,6 % 10,8 % 5,8 % 4,3 % 22,1 % 6,7 % INTERVIEW 1. En quoi la production de nouvelles molécules tensioactives répond- “ elle aux attentes actuelles des consommateurs, et par conséquent, des industriels ? Jacky Vandeputte : Les tensioactifs entrent dans la formulation de nombreux produits : détergents, cosmétiques, peintures, produits phytosanitaires… Le marché des tensioactifs représente le secteur des spécialités biosourcées le plus développé avec 25 % de taux de pénétration. Cette attractivité est liée à Jacky Vandeputte leur image positive, leur biodégradabilité supérieure ou encore leur moindre Pôle Industries & Agro-Ressources11 agressivité sur la peau, particulièrement en cosmétique (60-80 %). Ils constituent une alternative aux produits pétroliers et permettent de remplacer certaines substances jugées préoccupantes, avec un meilleur profil “ toxicologique et environnemental. Frédérick Warzée : Il n’existe actuellement pas de statistique pour la Belgique mais les tendances sont relativement similaires. Je note tout de même qu’il y a un grand dynamisme côté flamand pour le développement de biotechnologies. Mais, dans l’ensemble, le belge est un grand demandeur de produits biosourcés finis. En termes de production, le prix des matières Frédérick Warzée premières biosourcées reste un frein au développement… En particulier dans DETIC12 le domaine de la détergence. En cosmétique, le consommateur est en général prêt à payer des produits un peu plus chers. En détergence, une fausse idée circule encore : les détergents biosourcés seraient moins performants que leurs équivalents pétrosourcés. Ce qui est faux bien entendu. Le consommateur est donc plus réticent. Néanmoins, il y a un changement de mentalité positif dans ce secteur applicatif également. 10 RoadToBio, 2019 11 IAR est le Pôle de la Bioéconomie français, actif en Europe et à l’international. 12 DETIC est l’association belgo-luxembourgeoise des producteurs et des distributeurs de cosmétiques, détergents, produits d’entretien, colles et mastics, biocides et aérosols.
“ 2. La chimie du végétal est-elle un secteur à fort potentiel en France, en Wallonie et en Flandre ? 11 Jacky Vandeputte : Avant même que la chimie du végétal ne devienne à la mode à partir des années 80, les régions Grand Est et Hauts-de-France ont misé sur ce secteur, avec la mise en place de centres techniques comme Extractis (anciennement Centre de Valorisation de Glucides - CVG) ou encore de centres de recherche privés comme ARD, qu’on appelait communément à l’époque les bioraffineries. Au-delà de la chimie du végétal, ces deux territoires ont fait de la bioéconomie un pilier majeur de leur développement économique. La région Hauts-de-France est riche d’un tissu d’acteurs présents sur l’ensemble de la chaîne de valeur de la bioéconomie (27.000 agriculteurs, semenciers, entreprises leaders sur le secteur, pôles de compétitivité, plateformes Rapport de clôture – Projet Interreg ValBran technologiques), de ressources abondantes et diversifiées (2 millions d’hectares de terres consacrés à l’agriculture et 450.000 hectares à la forêt, vaste façade maritime…), mais aussi de filières à potentiel pour bâtir un véritable leadership (1ère région agroalimentaire française, présence de leaders mondiaux dans les biotechnologies, 1ère région de transformation et de valorisation des produits de la mer, région pionnière de la filière insectes…). La bioéconomie pèse de plus en plus lourd dans le développement économique régional puisqu’entre 2014 et 2017, à chaque euro investi par la Région dans le secteur, ce sont 7 euros qui ont été injectés dans l’économie régionale. Par ailleurs, la bioéconomie représente plus de 85.000 emplois en Hauts-de-France. En Grand Est, les atouts sont également nombreux pour devenir un territoire de référence en la matière. La région possède une biomasse remarquable (+ de 50 % du territoire consacré à l’agriculture avec près de 50.000 exploitations, près de 2 millions d’hectares de forêt et 2e région en récolte de bois, des filières d’excellence), un tissu industriel varié et actif (bioraffineries territoriales de Pomacle-Bazancourt, pôle européen du chanvre, grands noms industriels…), des structures R&D reconnues (IAR, CEBB, FRD…), des marchés d’envergure mondiale et en croissance (agriculture/sylviculture/viticulture, agroalimentaire/alimentation animale…). À noter que 111.800 emplois sont liés à la filière agricole/agroalimentaire. Hauts-de-France et Grand Est visent toutes deux le leadership européen de la bioéconomie. Dans cette optique, la Région Hauts-de-France a adopté son Master Plan de la Bioéconomie en 2018 pour une filière compétitive, durable, créatrice de valeur ajoutée et d’emplois. La Région Grand Est a quant à elle voté sa Stratégie Bioéconomie fin 2019, au “ service de la croissance et de la compétitivité des entreprises de son territoire. Frédérick Warzée : Le potentiel est important en Belgique également. Le pays – Bruxelles en particulier – a un atout : il héberge de nombreux sièges européens de multinationales qui opèrent un switch vers le biosourcé. Parallèlement, plusieurs PMEs belges parviennent à concurrencer les grands groupes en se positionnant majoritairement sur le marché de la chimie verte. “ 3. En quoi l’approche du projet de recherche ValBran est-elle novatrice ? Jacky Vandeputte : Il existe déjà toute une gamme de tensioactifs biosourcés (sucroesters, APG, lipo-aminoacides...). La région Grand Est a innové il y a une dizaine d’années avec le développement des premiers tensioactifs à base de son de blé et la mise en place de la société Wheatoleo. Le projet ValBran vise à valoriser les polysaccharides abondants contenus dans le son de blé (cellulose et hémicelluloses) sous la forme de molécules tensioactives. Son caractère innovant est lié au développement d’un procédé de biotechnologie et l’emploi d’enzymes non seulement pour fractionner les sucres mais aussi pour élaborer les tensioactifs et les fonctionnaliser. Il fait appel à toute une cascade de procédés et notamment de séparation / purification pour aboutir à de nouvelles structures originales au service d’applications telles que l’alimentation (additifs alimentaires), la détergence, la cosmétique ou encore les “ phytosanitaires. Frédérick Warzée : Ce projet anticipe les intérêts des industriels. En effet, sur le court-moyen terme (d’ici 5-10 ans), on s’attend à ce que les entreprises belges et françaises quittent le pétrosourcé pour s’orienter vers la biomasse, avec une préférence pour les déchets agricoles et les connexes de l’alimentation. Les industriels sont conscients que l’agriculture se concentre sur la production massive d’aliments pour satisfaire la demande mondiale. Dès lors, produire des tensioactifs à partir des déchets du food devient très intéressant.
12 INTERVIEW “ Pourquoi la production de tensioactifs à partir de coproduits agricoles tels que le son de blé est-elle intéressante ? Nos travaux sur le sujet de l’utilisation des coproduits agricoles comme le son ou la paille de blé ont débuté vers 1996 et se sont poursuivis jusqu’à la création d’une société filiale pour la commercialisation de nos tensioactifs en 2010. Rapport de clôture – Projet Interreg ValBran Face à la demande croissante de tensioactifs durables, ARD s’intéresse fortement à l’utilisation de ressources naturelles peu ou mal valorisées. Les Dr. Boris Estrine surplus agricoles et coproduits nous permettront de produire des tensioactifs Agro-industrie Recherches et à très faible impact environnemental, notamment du fait de leur provenance Développements13 (Europe continentale). “ Quels sont les enjeux d’innovation dans votre domaine d’activité ? La production de tensioactifs efficaces et performants est notre priorité. Une fois le tensioactif validé, il faut s’assurer qu’il possède une faible écotoxicité pour satisfaire les attentes actuelles du client. De notre point de vue, la combinaison de ces deux critères constitue nos premiers vecteurs d’innovation. L’évolution de la règlementation va-t-elle dans le sens d’un essor “ des tensioactifs biosourcés et vers un développement de nouvelles technologies pour les produire ? Oui et non. La réglementation CLP14 a permis de faire un pas vers des molécules plus acceptables sur le plan de la toxicité, sans toutefois permettre une orientation vers une origine végétale qui est davantage réalisée grâce aux labels Écocert et ECOLABEL. Le choix final revient de toute façon au consommateur qui, par le choix de produits labelisés, favorise le développement des tensioactifs biosourcés. Concernant la technologie, c’est plutôt l’entreprise qui décide. C’est elle qui possède les savoir-faire de chimie verte et de fermentation. Elle choisira donc la voie de production, par exemple par fermentation, en fonction de l’estimation économique du coût de production, combiné à l’estimation par ACV (Analyse de Cycle de Vie - voir Chapitre 3) de l’impact écologique de cette technologie. 13 Expert en extraction chimique de protéines végétales et proactif dans la valorisation des coproduits, l’entreprise française ARD (Grand Est) travaille principalement sur les plantes de grande culture, les cultures dédiées, les coproduits agro-industriels (e.a. : son de blé) et les résidus de récoltes. En fonction des procédés utilisés et de la plante, les produits obtenus peuvent être utilisés dans des secteurs variés. 14 Le règlement CLP (en anglais : Classification, Labelling, Packaging) désigne le règlement (CE) n° 1272/2008 du Parlement euro- péen relatif à la classification, à l’étiquetage et à l’emballage des substances chimiques et des mélanges.
2. Le haut 13 potentiel de valorisation Rapport de clôture – Projet Interreg ValBran du son de blé On estime que la proportion théorique d’extraction du son - coproduit agricole abondant - est comprise entre 15 % et 25 %.
14 En Europe L’Union européenne (UE) est un des plus grands maïs et d’un tiers d’orge. Le dernier tiers englobe les producteurs de céréales au monde. Selon le céréales cultivées en plus petites quantités, comme Coceral15, en 2019, la production de blé s’élevait à le seigle, l’avoine et l’épeautre. Les céréales cultivées 145,7 millions de tonnes. sont principalement utilisées pour l’alimentation animale (près des 2/3), un tiers est destiné à la Le blé constitue plus de la moitié des céréales consommation humaine, tandis que seuls 3 % sont cultivées. L’autre moitié se compose d’un tiers de utilisés pour les biocarburants.16 Rapport de clôture – Projet Interreg ValBran PRODUCTION DE CÉRÉALES DANS L’UNION EUROPÉENNE Petites quantités (par exemple : seigle, avoine, épeautre) 16% Maïs 18% 50% Blé 16% Orge Commission européenne, 2020 En France et en Belgique Les régions Champagne-Ardenne, Picardie, produit un total de près de 1,8 millions de tonnes de Wallonie et Flandre, concernées par le projet blé, dont 1.172.000 tonnes en Wallonie et 617.070 ValBran, sont des régions au sein desquelles la tonnes en Flandre. La France a quant à elle produit culture du blé est abondante. En 2019, la Belgique a 29,5 millions de tonnes de blé.17 PRODUCTION DE CÉRÉALES EN FRANCE ET EN BELGIQUE (2019) France (29.500.000 T) Belgique (1.795.795 T) Wallonie (1.172.000 T) Flandre Région (617.070 T) Bruxelles- Capitale (6.725 T) 15 Association européenne représentant le commerce des céréales, du riz, des aliments pour animaux, des oléagineux, de l’huile d’olive, des huiles et graisses et de l’agrofourniture. 16 Commission européenne, 2020 17 Statbel, 2020 ; Agreste, Ministère français de l’Agriculture et de l’Alimentation, 2020
15 BON À SAVOIR Selon European Flour Millers18, il existe environ 600 types de farines en Europe. La proportion de son de blé varie en fonction du type de blé et du type de farine produit (blanche ou complète). On estime que la proportion théorique d’extraction de son – issu du blé et disponible pour diverses utilisations – est comprise entre 15 % et 25 %. Rapport de clôture – Projet Interreg ValBran Le son de blé : coproduit d’intérêt pour les bioraffineries Le son est un coproduit agricole abondant, issu des procédés de meuneries et de bioraffineries. Il correspond aux enveloppes végétales qui entourent et protègent le grain de blé. Actuellement, ce coproduit est majoritairement valorisé en alimentation animale et trop peu exploité pour la production de molécules à haute valeur ajoutée. Le son de blé est au cœur du projet ValBran de par sa disponibilité et sa faible récalcitrance à une conversion biologique ne nécessitant aucune étape de prétraitement physicochimique. Par ailleurs, au regard des tonnages de production mondiale des biotensioactifs ciblés dans le projet (esters de sucre et alkyl glycosides), le choix du son permet de ne pas déstabiliser cette filière, principalement orientée vers l’alimentation animale. L’approche biocatalytique (synonyme de « enzymatique ») développée au sein du projet permet d’estimer une production de biotensioactifs s’élevant à 100 à 150 kilos par tonne de son de blé. 18 Association européenne qui représente les meuneries (mouture du blé, du seigle et de l’avoine) à l’échelle de l’UE et à l’international.
16 INTERVIEW “ En zone transfrontalière franco-belge, y a-t-il suffisamment de son de blé à valoriser ? Rien que pour le site de BioWanze, nous produisons environ 10.000 tonnes de son de blé par an, en provenance de notre meunerie, et issu de blé de Belgique (50 %), France (25 %) et Allemagne (25 %). Ce son est disponible pour une valorisation comme matière première en biotensioactifs. Rapport de clôture – Projet Interreg ValBran “ Quel est l’intérêt majeur pour une entreprise comme BioWanze de développer de André Tonneaux nouvelles voies de valorisation du son de blé ? BioWanze19 Nous défendons une « triple vision » zéro déchet sur notre site de production. Premièrement, à partir de 2021, nous allons valoriser le flux de déchet restant qui est actuellement le CO2 issu de la fermentation. Il est prévu que ce CO2 soit comprimé, épuré et liquéfié pour atteindre la qualité Food et l’utiliser en production de boissons pétillantes. Deuxièmement, nous avons des objectifs ambitieux de neutralité carbone : 90 % d’utilisation d’énergie biomasse en 2024 et 100 % à l’horizon 2030. Enfin, nous visons la diversification de notre portefeuille de produits au travers d’activité de bioraffinage. Nous pensons que le projet ValBran va nous permettre de donner de la valeur ajoutée (financière, environnementale et sociétale) à la fraction la plus noble du son de blé et nous permettre de rentrer dans un nouveau marché (détergents, tensioactifs) en remplacement des produits sourcés actuellement sur base d’hydrocarbures. Cette diversification est souhaitée vu l’incertitude qui existe sur l’avenir des biocarburants de 1ère génération après 2030 donc nous travaillons à de nouvelles utilisations de nos produits intermédiaires et finaux. En quoi l’approche du projet de recherche ValBran est- elle novatrice, par rapport à d’autres projets similaires, et “ complémentaire par rapport aux démarches entreprises par votre entreprise ? Il y a d’abord une forte complémentarité géographique. Biowanze a toujours utilisé des matières premières locales, du blé en provenance du BeNeLux, de France et d’Allemagne. Le projet ValBran s’inscrit parfaitement dans celle logique de proximité. Ensuite, il y a une complémentarité de compétences. Nous avons besoin des expertises scientifiques et technologiques des partenaires du projet, de même que des études de marchés des universités et centres de recherche pour mettre en place notre business plan et une étude de faisabilité. BioWanze a la capacité de transformer ce projet scientifique en projet industriel et commercial viable. © BioWanze Enfin, il y a l’approche participative. Durant ces 4 années, il y a eu beaucoup d’interactivité et de transparence dans nos échanges. On a ressenti une réelle volonté des partenaires de monter un projet durable, ensemble. 19 BioWanze est le plus gros producteur de bioéthanol en Belgique. Le biocarburant ne représente cependant qu’une partie du caractère du- rable de l’activité. Cette bioraffinerie produit, grâce au développement de procédés innovants, du gluten, du ProtiWanze®, des engrais verts et des fibres de son. L’usine assure son autonomie énergétique grâce à une chaudière biomasse prototype unique au monde. BioWanze fabrique et distribue des produits à haute valeur ajoutée et de qualité pour l’alimentation humaine et animale ainsi que pour l’agriculture.
3. Chimie 17 verte et biotechnologies Rapport de clôture – Projet Interreg ValBran blanches Cette chimie conçoit et développe des produits et des procédés chimiques qui réduisent ou éliminent l’usage ou la formation de substances dangereuses ou toxiques pour la santé et l’environnement.
18 La chimie verte se développe depuis les années (Society of Environmental Toxicology and 1990 mais le concept de chimie verte a été Chemistry) a mis en place depuis les années 90 introduit en 1998. Depuis lors, la chimie verte des développements méthodologiques réalisés et les biotechnologies blanches suscitent un fort par différents groupes de travail. C’est sur base engouement. de ce travail que l’Organisation Internationale de Normalisation a amené à la création du standard Cette chimie conçoit et développe des produits ISO 14040 de la méthode d’ACV. Aujourd’hui, chimiques et des procédés qui réduisent ou l’ACV est couramment utilisée en R&D et comme éliminent l’usage ou la formation de substances outil de référence en matière de communication dangereuses ou toxiques pour la santé et environnementale. Rapport de clôture – Projet Interreg ValBran l’environnement. Les biotechnologies blanches ou biotechnologies industrielles sont basées En effet, les résultats de cette analyse peuvent aider sur l’exploitation de la capacité fermentaire des une entreprise à communiquer sur les avantages microorganismes et de la capacité biocatalytique environnementaux de son produit de manière des enzymes pour transformer la biomasse quantitative et, ainsi, servir de base à une stratégie végétale et ses constituants. Chimie verte et de communication. biotechnologies blanches concourent ainsi au développement de procédés respectueux de En outre, l’ACV permet d’évaluer le positionnement l’homme et de l’environnement. de l’entreprise vis-à-vis de la concurrence sur les aspects environnementaux. Cet argument Pour quantifier les bénéfices de ces nouveaux compte quand on sait que de plus en plus de procédés plus respectueux de l’environnement, des consommateurs sont soucieux de l’impact des outils d’Analyse de Cycle de Vie (ACV) ont vu le produits qu’ils achètent. jour. Dans le cadre du projet ValBran, une ACV a été réalisée. Cette analyse multicritère prend en compte BON À SAVOIR l’ensemble du cycle de vie du produit et quantifie, L’ACV permet d’identifier un ingrédient ou un selon la méthodologie normalisée ISO, les impacts matériau qui serait particulièrement néfaste sur l’environnement et la santé des émissions dans pour la santé humaine, pour le climat ou l’eau, l’air et les sols. Tous les flux de matières et pour la consommation des ressources. Cette d’énergies entrants et sortants sont comptabilisés. démarche permet de comparer des scénarios de production, d’utilisation ou de fin de vie et peut Les études de la communauté scientifique sur l’ACV servir d’outil d’aide à la décision pour mettre en de produits d’hygiène et de cosmétiques utilisant place une démarche d’écoconception. des tensioactifs montrent que ces molécules ont peu d’impacts sur le cycle de vie du produit. En effet, les huiles utilisées dans la formulation et la Dès la fin des années 60, les préoccupations de bouteille en plastique (généralement en PET) sont l’époque sur l’épuisement des ressources non les principales sources d’impact pour la majorité renouvelables ont incité la recherche à développer des indicateurs. de nouvelles méthodes pour catégoriser l’influence d’un procédé sur les consommations d’énergie L’ACV des produits développés dans le cadre du nécessaires à la fabrication d’un matériau et à projet a mis en évidence les éléments impactants projeter la rareté des matières en fonction de la dans la synthèse enzymatique des tensioactifs variation du stock des ressources. A l’époque, le ciblés. Il est apparu que le rôle des alcools gras cycle de vie se limitait à la prise en compte de la utilisés est crucial, de par leurs origines et leurs matière première et du procédé de fabrication. procédés d’extraction. Toutefois, la valorisation d’un coproduit riche en sucres comme le son de blé En 1969, lors d’une étude interne des chercheurs de permet de réduire les impacts, comparativement à Coca-Cola (pour déterminer le packaging le moins l’utilisation de sucres simples extraits de grains de impactant pour l’environnement) a lieu la première maïs ou de blé (dans lesquels se trouve l’amidon). analyse multicritère qui servira de base pour la méthodologie ACV. D’autres entreprises ont suivi Néanmoins, une étude ACV poussée, sur base de cette démarche au début des années 70. données récoltées à l’échelle pilote, doit encore être menée. Ce travail permettrait de tenir compte des Afin d’éviter l’utilisation inappropriée des ACV consommations énergétiques des procédés et, ainsi, par des entreprises à des fins de promotions fournir des résultats représentatifs de l’impact d’une basées sur de fausses affirmations, la SETAC future production industrielle.
1 Culture et récolte du blé 19 Culture et récolte des oléagineux et extraction de l’huile A chaque étape du cycle de vie, 2 s’ajoute l’étape du Son de blé, récupéré transport des matières à la meunerie Rapport de clôture – Projet Interreg ValBran 3 Fabrication des tensioactifs biosourcés à partir du son de blé et des oléagineux 4 Formulation du shampoing : mélange des ingrédients Les résidus de son de blé après extraction 5 sont valorisés. Mise en bouteille Par exemple, en alimentation animale ou en (bio)méthanisation 6 SHOP Le shampoing est mis en rayon (distribution) 7 Il est consommé 8 La bouteille de shampoing finit à la poubelle 9 La bouteille finit à l’incinérateur ou est recyclée
20 INTERVIEW “ Que fait l’Europe en matière de durabilité des produits ? Avec son nouveau « Green Deal », la Commission de l’Union européenne positionne clairement le respect de l’environnement et le développement durable comme objectif majeur de la politique européenne. Au niveau « produit », l’Ecolabel européen, concrétise la volonté de l’Europe de Rapport de clôture – Projet Interreg ValBran promouvoir des produits respectueux de l’environnement, sans perte de qualité. Un des points forts de cet écolabel est qu’il tient compte du cycle de vie Frédérick Warzée complet d’un produit, depuis le prélèvement des matières premières jusqu’à la DETIC fin de vie du produit. En général, quelle est la phase la plus impactante de l’ACV ? On s’aperçoit que dans l’éco-design d’un produit cosmétique ou détergent, même si l’origine des matières premières compte beaucoup, la phase la plus impactante de l’analyse est la phase d’utilisation. Petit exemple : si on veut réduire l’impact environnemental d’un shampooing, il faut que le consommateur lave ses cheveux en trois minutes et non pas en dix et qu’il utilise de l’eau tiède et non de l’eau chaude. Le travail de conscientisation et d’éducation de la population est d’ailleurs le levier le plus puissant en matière de réduction d’impact environnemental.
4. L’originalité 21 du projet : la synthèse Rapport de clôture – Projet Interreg ValBran enzymatique des alkyl glycosides et des esters de sucre Pour participer à l’essor des biotensioactifs, l’équipe ValBran a étudié la possibilité de produire des molécules à partir des sucres issus du son de blé.
22 La voie de synthèse enzymatique : Ecover, Henkel, Saraya, ARD, Wheatoleo et au cœur du projet ValBran Nouryon. Dans le cadre du projet, des approches conjointes Pour participer à l’essor des biotensioactifs, de biotechnologies blanches et de chimie verte ont l’équipe ValBran a étudié la possibilité de produire été utilisées pour développer des voies de synthèse des molécules à haute valeur ajoutée à partir originales d’alkyl glycosides et d’esters de sucre, de sucres issus du son, c’est-à-dire l’enveloppe les deux familles de molécules tensioactives ciblées. végétale qui entoure et protège le grain de blé. Plus précisément, l’étude a porté sur les tensioactifs Parmi les voies de synthèse de ces molécules, il non-ioniques d’origine végétale de type APG (alkyl Rapport de clôture – Projet Interreg ValBran est possible de produire des biotensioactifs en polyglycosides) et esters de sucre. greffant ensemble une partie lipophile d’origine végétale (ex. : acide gras) à une partie hydrophile Comparativement aux tensioactifs d’origine d’origine végétale (ex. : sucre) par voie chimique ou fossile produits dans des conditions drastiques enzymatique. Cette approche est au cœur du projet (température élevée, catalyseurs chimiques), la ValBran. synthèse des biotensioactifs par des enzymes est réalisée dans des conditions de réaction douces Dans nos régions, les principales entreprises (température modérée, absence de catalyseur produisant des tensioactifs biosourcés sont Evonik, chimique). Son de blé Cellulose Hémicellulose Eau + alcools gras Hydrolyse Enzymes Transglycosylation Enzymes Glucose Xylose Acides gras Estérification Enzymes Alkyl xylosides pour Esters de glucose et de xylose pour diverses applications diverses applications (cosmétique, (cosmétique, détergence...) ingrédients alimentaires, détergence…) + Enzymes Monosaccharides Acides gras Glucose Xylose Estérification
Les esters de sucre diesters, polyesters) leur conférant des propriétés 23 recherchées pour stabiliser diverses émulsions. Citons Les esters de sucre sont produits par transestérification par exemple, l’émulsion huile/eau des produits lactés avec un sucre (ex. : saccharose) et des esters éthyliques ou l’émulsion eau/huile de margarine. Certains esters d’acides gras. Sans odeur et sans couleur, ces esters de de sucre présentent des propriétés antimicrobiennes, sucre (ou sucro-esters) sont utilisés dans le domaine de bactériostatiques.20 l’agro-alimentaire et de la cosmétique. Les principaux producteurs sont La Stearine Dubois, Ce sont des émulsifiants de type non-ionique qui peuvent MCF, DSK, Croda, Sistrena, SKW... comporter une ou plusieurs chaînes grasses (monoesters, Rapport de clôture – Projet Interreg ValBran Production chimique Catalyse chimique Production Production Biotensioactifs biologique enzymatique Fermentation microbienne Inspiré d’un schéma d’InBio, 2019 Concernant les biotechnologies blanches, les voies Afin d’optimiser cette première étape d’hydrolyse et ainsi de synthèse développées font intervenir diverses permettre aux enzymes d’accéder aux sucres complexes réactions enzymatiques (hydrolyse, estérification du blé et les réduire en sucres simples, des prétraitements et transestérification) catalysées par des enzymes avec diverses proportions de liquide ionique hydrophile commerciales. Le volet de chimie verte a consisté à (1-éthyl-3-méthylimidazolium acétate) / eau ont été optimiser les procédés enzymatiques en limitant le étudiés, en amont de l’hydrolyse enzymatique. Les recours aux solvants organiques et à produire des chercheurs ont employé une méthode appelée « Plan tensioactifs originaux par voie chimio-enzymatique. d’expérience factoriel » afin de tester en même temps toutes les variables qui influencent le prétraitement et La production des esters de sucre par hydrolyse et obtenir les meilleures conditions opérationnelles. De cette estérification enzymatique manière, des conditions optimales de prétraitement telles que la température de prétraitement, la durée, la charge L’approche développée pour la production des esters de en biomasse et la concentration en liquide ionique dans sucre comprend deux étapes : l’eau [10 –100% (v / v)] ont pu être définies. Cette étude statistique complète permet de prédire des rendements 1) Lors de la première étape, les polysaccharides du son en sucres pouvant être obtenus selon les conditions de de blé (cellulose et hémicelluloses) sont hydrolysés par prétraitement imposées au son de blé.21 un mélange d’enzymes en D-glucose et D-xylose. Le procédé développé et optimisé par les partenaires 2) Ces deux sucres sont estérifiés par une lipase en permet de produire des mono-esters et/ou di-esters de présence d’acides gras, conduisant à la production glucose et de xylose avec des chaînes d’acides gras de d’esters de glucose et de xylose. longueur variée. Selon les conditions réactionnelles, les 20 Zhao L, Zhang HY, Hao, TY, Li SR, 2015 17 21 Zhao L, Zhang Araya-Farias M,HY, Husson Hao, TY, E, Saavedra Li SR, 2015 Torrico J, Gérard D, Roulard R, Gosselin I, Rakotoarivonina H, Lambertyn V, Rémond C, Sarazin C, 2019
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