La vIlle post-réseau - Peter Lang Publishing
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La ville post-réseau Konstantinos Chatzis, Gilles Jeannot, Valérie November and Pascal Ughetto - 9782807605992 Downloaded from PubFactory at 06/04/2020 02:44:04AM via free access
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Au-delà de la ville des réseaux Olivier Coutard Jonathan Rutherford La ville des réseaux hégémonique Pendant la période historique qui s’étend approximativement du milieu du XIXe siècle au début du XXIe, dans les pays du Nord, le développement de systèmes d’infrastructures en réseaux a été en même temps un moteur, un instrument et une conséquence de l’avènement de nouvelles formes de relations dans les territoires, dans les organisations et dans les pratiques sociales, à toutes les échelles spatiales et entre celles-ci. Il en est résulté la fourniture de services, et un accès à ceux-ci, plus ou moins homogène sur un plan social et spatial. Ces services ont été fournis à une échelle parfois locale, parfois plus large, par un vaste système technologique à planification et à gestion centralisées, dans le cadre d’une concession exclusive sur un territoire donné et qui se trouve uni, à son tour, par ce système (voir, par exemple, Tarr, 1979 ; Hughes, 1983 ; Tarr et Dupuy, 1988 ; Dupuy, 1991 ; Offner, 2000). Le développement généralisé d’infrastructures en réseaux, notamment en Europe de l’Ouest, en Amérique du Nord et au Japon, est allé de pair avec l’essor d’une idéologie des réseaux qui peut être résumée à trois propositions essentielles : le réseau est le moyen le plus efficace de fournir les services publics urbains ; la performance d’un réseau est proportionnelle à sa taille (portée spatiale, nombre et diversité d’utilisateurs connectés) ; la solution aux problèmes soulevés par les réseaux réside dans les réseaux eux-mêmes (dans leur expansion, dans une plus grande centralisation de leur gestion et dans l’accroissement de leur sophistication technique) (Coutard, 2010). Le développement matériel des réseaux dans les pays du Nord et l’idéologie des réseaux se sont renforcés l’un l’autre, et les deux phénomènes réunis ont été le moteur Konstantinos Chatzis, Gilles Jeannot, Valérie November and Pascal Ughetto - 9782807605992 Downloaded from PubFactory at 06/04/2020 02:44:04AM via free access
164 Les métamorphoses des infrastructures, entre béton et numérique de la diffusion mondiale de la « ville des réseaux » comme modalité sociotechnique hégémonique étayant des formes de territorialité urbaine indissociablement aérolaires et réticulaires. Au Nord, où s’est accompli de manière universelle « l’idéal infrastructurel moderne » (Graham et Marvin, 2001), l’avènement, au sens historique, de la ville des réseaux, à partir du milieu du XIXe siècle, est apparu comme étant lié à différentes formes d’intégration ou de solidarité : –– intégration socio-économique par le biais de la fourniture de services essentiels homogènes sur l’ensemble des espaces urbanisés, cette fourniture bénéficiant de subventions croisées ; –– intégration fonctionnelle, car les infrastructures en réseaux ont facilité et étayé des pratiques spatiales à l’échelle d’espaces de peuplement de plus en plus étendus ; –– intégration politique, grâce à la coopération entre des gouvernements locaux adjacents, encouragée par la volonté de fournir des services homogènes à des régions urbaines entières ; –– « intégration métabolique », car le développement de systèmes d’infrastructures en réseaux vastes, monopolistiques et à gestion centralisée a eu pour résultat, et aussi pour base d’appui, l’appropriation de ressources (éventuellement distantes) au bénéfice du développement de l’ensemble de la région urbaine. Il est cependant essentiel de signaler que les « villes des réseaux » se sont présentées et se présentent encore sous des formes très diverses et que la diffusion universelle des systèmes d’infrastructures en réseaux a facilité et a été facilitée en retour par les différents types, les différents degrés et les différentes combinaisons d’agglomération/concentration et d’expansion/dispersion qui ont marqué le développement urbain contemporain dans les pays du Nord (Soja, 2000 ; Castells, 2010 ; Brenner, 2013). Autrement dit, les configurations sociospatiales des infrastructures ne déterminent pas automatiquement des modèles urbains, mais elles y sont étroitement associées. Dans les pays du Sud, ce sont des configurations infrastructurelles très diverses qui ont prévalu, de manière différenciée avec les pays du Nord dans lesquels cette image idéale de la ville des réseaux a été plus Konstantinos Chatzis, Gilles Jeannot, Valérie November and Pascal Ughetto - 9782807605992 Downloaded from PubFactory at 06/04/2020 02:44:04AM via free access
Au-delà de la ville des réseaux165 ou moins mise en œuvre aux plans matériel, territorial et politique. Le modèle de la ville des réseaux a été activement mis en place dans certains cas (par exemple en Amérique latine), quoiqu’avec des buts parfois ambivalents, tandis que dans d’autres il est resté un objectif très vague ou un slogan (voir les contributions à Coutard, 2008 ; Lorrain, 2011). À Santiago, par exemple, le raccordement de toutes les habitations aux réseaux essentiels, notamment depuis les années 1980, a facilité et même légitimé une politique résolue de ségrégation spatiale et de fragmentation fonctionnelle, sociale, fiscale et politique au niveau des autorités locales au sein de la région urbaine, et a également stimulé des processus d’étalement urbain (Pflieger et Matthieussent, 2008). À Buenos Aires, une politique strictement conforme à l’idéal infrastructurel moderne s’est traduite par la création d’un espace doté de réseaux de première qualité (dans le secteur central de la capitale fédérale) délimité par le périmètre des principales conduites d’eau, mais excluant la moitié de la population de la région urbaine (Botton et De Gouvello, 2008). Ainsi donc, les recherches empiriques révèlent que des réseaux d’infrastructures plus ou moins omniprésents ont coexisté, et ont même été en corrélation, avec des disparités sociospatiales plus ou moins graves. Fondamentalement, cela traduit le fait que des infrastructures en réseau ne peuvent être mises en place, et ne peuvent produire d’effets sociospatiaux principalement intégrateurs, qu’en présence de conditions socio-économiques, institutionnelles et politiques plus larges, comprenant notamment un accroissement des revenus et de la richesse au fil du temps, l’existence à un certain degré d’un « État providence » ou d’une redistribution socialement progressive des revenus, la suppression de l’extrême pauvreté et un certain contrôle sur l’urbanisation et sur les processus de peuplement des villes. Cependant, même là où il n’a pas été accompli matériellement (dans la plupart des contextes dans les pays du Sud), l’idéal de la ville des réseaux s’est avéré politiquement et idéologiquement puissant. Les politiques promues par les organismes de financement internationaux et par les gouvernements nationaux et locaux s’en sont d’ailleurs largement inspirées et y ont puisé leur orientation. Konstantinos Chatzis, Gilles Jeannot, Valérie November and Pascal Ughetto - 9782807605992 Downloaded from PubFactory at 06/04/2020 02:44:04AM via free access
166 Les métamorphoses des infrastructures, entre béton et numérique La ville des réseaux contestée Dans des études récentes sur les infrastructures des villes du Sud, surtout sur l’eau et l’assainissement, des chercheurs ont exploré les implications urbaines importantes de l’absence ou de dysfonctionnements des grands systèmes techniques assurant l’accès aux services essentiels. Ils ont également étudié des alternatives à ces systèmes existant de longue date. Ils ont souligné le fait que l’idéal infrastructurel moderne a rarement été réalisé dans les villes du Sud (Swyngedouw, 2004 ; Jaglin, 2005 ; Coutard, 2008 ; Gandy, 2008). Ils ont aussi noté le caractère problématique de la transposition de ce concept venu du Nord dans des contextes urbains très divers et fragmentés en Afrique, en Asie et en Amérique latine (Bakker, 2003 ; Simone, 2004 ; McFarlane, 2008). En même temps, des travaux dans les domaines des changements environnementaux urbains et de l’écologie politique urbaine ont fait apparaître les infrastructures comme l’un des principaux points de controverse quant à l’accès aux aménités environnementales et aux flux de ressources (Melosi, 2000 ; Guy et al., 2001). La production des infrastructures se révèle comme un processus politique urbain majeur de transformation environnementale inégalitaire qui estompe totalement les distinctions, de fait artificielles, entre la nature et la ville (Kaika et Swyngedouw, 2000 ; Gandy, 2002 ; Keil, 2003 ; Heynen et al., 2006 ; McFarlane et Rutherford, 2008). Ces études montrent largement que dans toutes les régions du monde, quoique pour des raisons différentes selon les contextes nationaux, régionaux et locaux, les systèmes d’infrastructures en réseaux classiques sont de plus en plus mis en question comme forme hégémonique de fourniture des services essentiels. Ce changement est en train d’avoir des conséquences concrètes dans les politiques infrastructurelles, et ce à l’échelle mondiale. Là où les réseaux classiques étaient devenus historiquement hégémoniques, on favorise désormais le développement de configurations systémiques diverses. Là où les systèmes en réseaux n’ont pas été (entièrement) mis en place, on assiste au maintien durable d’autres configurations préexistantes. Il faut cependant souligner que les transformations infrastructurelles ne prennent jamais la forme d’une transition massive et directe d’un grand système technique à un autre. Les systèmes existants ne sont pas Konstantinos Chatzis, Gilles Jeannot, Valérie November and Pascal Ughetto - 9782807605992 Downloaded from PubFactory at 06/04/2020 02:44:04AM via free access
Au-delà de la ville des réseaux167 démantelés et retirés pour être remplacés par des systèmes alternatifs flambant neufs considérés comme des remèdes technologiques absolus. Des modifications incrémentales, des ajustements ou des réparations à petite échelle, l’intégration de « technologies de médiation » (Furlong, 2011) ou de nouvelles couches de dispositifs apportant plus de flexibilité et plus de retour d’information aux systèmes d’infrastructures existants (qui comportent déjà plusieurs couches), peuvent aboutir à de petites ou de grandes reconfigurations dans le fonctionnement et l’expérience urbains (voir, par exemple, Moss, 2000). Cela s’applique également à la remise sur pied de systèmes technologiques ayant auparavant existé, qu’ils aient disparu ou aient été temporairement abandonnés, et qui réémergent, car leurs qualités ou leurs composants paraissent retrouver leur utilité (Shove, 2012). Il est également évident que ces formes et ces degrés de changement technologique très différenciés s’articulent étroitement, de diverses manières (et au point d’en être indissociables), avec les rapports et les processus sociaux évolutifs, de telle sorte que les infrastructures doivent être considérées comme composées de co-configurations de divers « hardwares » (matériels) et « softwares » (logiciels) (Walker et Cass, 2007). Comme le prouvent les travaux anciens et actuels en matière de STS et de transitions, le changement sociotechnique est en fait un mélange contingent de différents types et degrés de changement, lié à la dynamique évolutive de l’innovation et de composants plus stables, que sont l’inertie, la dépendance au sentier et la matérialité « obstinée » des infrastructures (Bijker et al., 1987 ; Hommels, 2005 ; Geels et Schot, 2007). Les changements dans les systèmes d’infrastructures ne se produisent donc jamais d’un seul coup ; ils donnent toujours lieu à des frictions et des tensions entre des dynamiques largement indépendantes. Cependant, certaines caractéristiques générales peuvent être identifiées dans les transformations en cours des infrastructures matérielles et/ou de l’idéal infrastructurel : –– un passage de l’homogénéité (effective ou recherchée) à la diversité (reconnue) ‒ et à la sélectivité ciblée ‒ des espaces infrastructurels, y compris sous des formes diverses de recomposition des services, des pratiques, des technologies, des normes, des flux, des fournisseurs de services, etc. ; Konstantinos Chatzis, Gilles Jeannot, Valérie November and Pascal Ughetto - 9782807605992 Downloaded from PubFactory at 06/04/2020 02:44:04AM via free access
168 Les métamorphoses des infrastructures, entre béton et numérique –– des reconfigurations et des changements d’échelle au sein des « espaces de solidarité » liés à ces systèmes, les solidarités à grande échelle se réarticulant avec des formes renouvelées d’« autonomie » locale ; –– une solidarité sociospatiale de plus en plus fondée sur la division (impliquant l’appropriation) des ressources, qui se combine avec les solidarités classiques fondées sur la fourniture de services homogènes partagés ; –– une évolution, en matière de services, de formes collectives de pratiques, de normes et d’attentes vers des formes plus individualisées ou plus diversifiées ; et en rapport avec celui-ci, un passage d’infrastructures « à taille unique » à des infrastructures personnalisées, « sur mesure » ; –– l’apparition de nouvelles formes d’appropriation individuelle ou collective des infrastructures et de nouvelles significations sociales et politiques des infrastructures ; –– la circulation internationale et interurbaine de modèles favorisant ces changements. Infrastructures effervescentes Les infrastructures deviennent ainsi de plus en plus hétérogènes quant aux éléments et aux significations qui les composent, quant à leurs topologies, leurs échelles et leurs frontières, et quant à la multiplicité des manières dont elles sont abordées et « vécues ». Les flux, mailles et composants des systèmes de gestion des eaux, des énergies, des déchets et autres subissent actuellement des formes multiples d’expansion, de différenciation, de rénovation et des remodelage vers des configurations diverses et contingentes qui redéfinissent les modalités d’inscription des infrastructures dans les tissus urbains et la notion même d’infrastructure (Coutard et Rutherford, 2016). De nouvelles écologies infrastructurelles émergent, en même temps que les flux de ressources et les techniques de contrôle et de gestion subissent des reconfigurations « locales » particulières qui recomposent les frontières, les valeurs et le fonctionnement des systèmes technologiques. Les infrastructures sont constamment négociées, produites et reproduites par les techniciens et les utilisateurs dans leur vie et leur travail quotidiens, et sont ainsi Konstantinos Chatzis, Gilles Jeannot, Valérie November and Pascal Ughetto - 9782807605992 Downloaded from PubFactory at 06/04/2020 02:44:04AM via free access
Au-delà de la ville des réseaux169 façonnées pour et par des appropriations, des expériences et des pratiques individuelles et collectives. Suivre et cartographier cette sphère vibrante et effervescente exige l’extension et le renouvellement incessants des perspectives, des méthodes et des outils analytiques. Soulignons enfin, pour conclure, que les significations sociopolitiques des transitions infrastructurelles urbaines en cours sont par essence ambivalentes. De même que l’intégration effective dans et à travers la « ville des réseaux » a toujours dépendu de conditions sociopolitiques plus larges, aucun effet urbain des configurations sociotechniques « alternatives » n’est automatique : ces effets sont toujours façonnés par les caractéristiques particulières des sociétés urbaines dans lesquelles les infrastructures s’inscrivent et qu’elles façonnent à leur tour. Les configurations infrastructurelles « décentralisées » ou distribuées, émergentes ou existantes, n’apportent pas par elles-mêmes une plus grande durabilité, environnementale ou autre, car elles peuvent s’avérer au moins aussi gourmandes de ressources que les grands systèmes techniques centralisés. Les nouveaux aménagements technologiques pourraient très bien perpétuer le contrôle centralisé, et/ou être façonnés par et pour des intérêts sociaux dominants existants et ainsi reproduire des systèmes appuyant le statu quo. Néanmoins, en même temps, il existe un potentiel pour que la diversification et la pluralisation des configurations des infrastructures concourent à des objectifs plus progressistes, façonnés par et pour des enjeux collectifs, et s’ouvrant plutôt que se fermant à la diversité des futurs sociotechniques urbains possibles. La compréhension et la conceptualisation du changement sociotechnique doivent donc être au cœur même des analyses des processus d’urbanisation contemporains à l’échelle mondiale, comme elles sont au fondement des remaniements et des réarticulations constants des formes de territorialité aréolaires et relationnelles qui constituent ces processus. Références Bakker K. (2003), « Archipelagos and networks: urbanisation and water privatisation in the South », Geographical Journal, vol. 169, n° 4, p. 328-341. Konstantinos Chatzis, Gilles Jeannot, Valérie November and Pascal Ughetto - 9782807605992 Downloaded from PubFactory at 06/04/2020 02:44:04AM via free access
170 Les métamorphoses des infrastructures, entre béton et numérique Bijker W., Hughes T., Pinch T. (éds) (1987), The Social Construction of Technological Systems: New Directions in the Sociology and History of Technology, Cambridge (Mass.), The MIT Press. Botton S., De Gouvello B. (2008), « Water and sanitation in the Buenos Aires metropolitan region: fragmented markets, splintering effects? », Geoforum, n° 39, p. 1859-1870. Brenner N. (2013), « Theses on urbanization », Public Culture, vol. 25, n° 1, p. 85-114. Castells M. (2010), « Globalisation, networking, urbanisation: reflections on the spatial dynamics of the information age », Urban Studies, vol. 47, n° 13, p. 2737-2745. Coutard O. (éd.) (2008), « Placing Splintering Urbanism », Geoforum, vol. 39, n° 6, p. 1815-1950. Coutard O. (2010), « Services urbains : la fin des grands réseaux ? », dans Coutard O., Lévy J.-P. (éds), Écologies urbaines : état des savoirs et perspectives, Paris, Economica-Anthropos. Coutard, O., Rutherford J. (éds) (2016), Beyond the Networked City: Infrastructure Reconfigurations and Urban Change in the North and South, Abingdon, Routledge. Dupuy G. (1991), L’urbanisme des réseaux : théories et méthodes, Paris, Armand Colin. Furlong K. (2011), « Small technologies, big change: rethinking infrastructure through STS and geography », Progress in Human Geography, vol. 34, n° 4, p. 460-482. Gandy M. (2002), Concrete and Clay: Reworking Nature in New York City, Cambridge (Mass.), The MIT Press. Gandy M. (2008), « Landscapes of disaster: water, modernity, and urban fragmentation in Mumbai », Environment and Planning A, vol. 40, p. 108-130. Geels F. W., Schot J. (2007), « Typology of sociotechnical transition pathways », Research Policy, vol. 36, n° 3, p. 399-417. Graham S., Marvin S. (2001), Splintering Urbanism: Networked Infrastruc tures, Technological Mobilities and the Urban Condition, Londres, Routledge. Konstantinos Chatzis, Gilles Jeannot, Valérie November and Pascal Ughetto - 9782807605992 Downloaded from PubFactory at 06/04/2020 02:44:04AM via free access
Au-delà de la ville des réseaux171 Guy S., Marvin S., Moss T. (2001), Urban Infrastructure in Transition: Networks, Buildings, Plans, Londres, Earthscan. Heynen N., Kaika M., Swyngedouw E. (éds) (2006), In the Nature of Cities: Urban Political Ecology and the Politics of Urban Metabolism, Londres, Routledge. Hommels A. (2005), « Studying obduracy in the city: toward a productive fusion between technology studies and urban studies », Science, Technology, & Human Values, vol. 30, n° 3, p. 323-351. Hughes T. (1983), Networks of Power: Electrification in Western Society, 1880-1930, Londres, Johns Hopkins University Press. Jaglin S. (2005), Services d’eau en Afrique subsaharienne : la fragmentation urbaine en question, Paris, CNRS Éditions. Kaika M., Swyngedouw E. (2000), « Fetishizing the modern city: the phantasmagoria of urban technological networks », International Journal of Urban and Regional Research, vol. 24, n° 1, p. 120-138. Keil R. (2003), « Urban political ecology », Urban Geography, vol. 24, n° 8, p. 723-738. Lorrain D. (éd.) (2011), Métropoles XXL en pays émergents, Paris, Presses de Science Po. McFarlane C. (2008), « Governing the Contaminated City: Infrastructure and Sanitation in Colonial and Post-Colonial Bombay », International Journal of Urban and Regional Research, vol. 32, n° 2, p. 415-435. McFarlane C., Rutherford J. (2008), « Political Infrastructures: Governing and Experiencing the Fabric of the City », International Journal of Urban and Regional Research, vol. 32, n° 2, p. 363-374. Melosi M. (2000), The Sanitary City: Urban Infrastructure in America from Colonial Times to the Present, Londres, Johns Hopkins University Press. Moss T. (2000), « Unearthing water flows, uncovering social relations: introducing new waste water technologies in Berlin », Journal of Urban Technology, vol. 7, n° 1, p. 63-84. Offner J.-M. (2000), « “Territorial deregulation”: local authorities at risk from technical networks », International Journal of Urban and Regional Research, vol. 24, n° 1, p. 165-182. Konstantinos Chatzis, Gilles Jeannot, Valérie November and Pascal Ughetto - 9782807605992 Downloaded from PubFactory at 06/04/2020 02:44:04AM via free access
172 Les métamorphoses des infrastructures, entre béton et numérique Pflieger G., Matthieussent S. (2008), « Water and power in Santiago de Chile: socio-spatial segregation through network integration », Geoforum, vol. 39, p. 1907-1921. Shove E. (2012), « The shadowy side of innovation: unmaking and sustainability », Technology Analysis & Strategic Management, vol. 24, n° 4, p. 363-375. Simone A. (2004), « People as infrastructure: intersecting fragments in Johannesburg », Public Culture, vol. 16, n° 3, p. 407-429. Soja E. (2000), Postmetropolis: Critical Studies of Cities and Regions, Oxford, Blackwell. Swyngedouw E. (2004), Social Power and the Urbanization of Water: Flows of Power, Oxford, Oxford University Press. Tarr J. (1979), « Introduction », Journal of Urban History, vol. 5, n° 3, p. 275-278. Tarr J., Dupuy G. (éds) (1988), Technology and the Rise of the Networked City in Europe and America, Philadephie (Penn.), Temple University Press. Walker G., Cass N. (2007), « Carbon reduction, “the public” and renewable energy: engaging with socio-technical configurations », Area, vol. 39, n° 4, p. 458-469. Konstantinos Chatzis, Gilles Jeannot, Valérie November and Pascal Ughetto - 9782807605992 Downloaded from PubFactory at 06/04/2020 02:44:04AM via free access
Politiques d’infrastructures en Afrique subsaharienne Le réseau est-il soluble dans la transition urbaine ? Sylvy Jaglin Les villes africaines sont-elles une variante des configurations infrastructurelles témoignant de l’émergence d’une ère urbaine « post- réseau » (Coutard et Rutherford, 2013) ? En première approche, la question a l’avantage de proposer une vision alternative aux analyses dominantes du retard et des défaillances des infrastructures matérielles dans les villes africaines (Banerjee et Morella, 2011 ; Foster et Briceño- Garmendia, 2010 ; Eberhard et al., 2011 ; Lall et al., 2017), pour lesquelles les espaces urbains africains incarnent divers stades de villes pré-réseau. Elle permet aussi d’articuler entre eux de nombreux travaux soulignant la diversité et la spécificité des modes de fourniture des services essentiels urbains, dans un cadre largement hors-réseau (Botton et Blanc, 2014 ; Berthélémy, 2016 ; Katusiimeh et al., 2013 ; Jaglin et Zérah, 2010 ; Lorrain et Poupeau, 2014 ; Van Dijk et al., 2014). Illustrant comment diverses avancées technologiques couplées à la décentralisation croissante de la gestion urbaine permettent de contourner les blocages de l’extension du réseau intégré, ces travaux semblent faire écho aux évolutions qui résultent, au Nord, de la remise en cause du grand réseau. Celle-ci est suscitée par des évolutions macrosociales (faibles croissances économique, démographique et urbaine, ainsi que diverses contestations des formes d’organisation centralisées et hiérarchisées) et des préoccupations environnementales, qui s’accompagnent d’une injonction à plus de sobriété dans la consommation des ressources, laquelle peut aussi passer par une relocalisation des métabolismes urbains, des infrastructures décentralisées et des symbioses réticulaires (Coutard et Rutherford, 2013). Qu’apporte toutefois la notion de Konstantinos Chatzis, Gilles Jeannot, Valérie November and Pascal Ughetto - 9782807605992 Downloaded from PubFactory at 06/04/2020 02:44:04AM via free access
174 Les métamorphoses des infrastructures, entre béton et numérique post-réseau pour analyser et comprendre les situations africaines, qui associent depuis longtemps réseau conventionnel et dispositifs hors- réseau dans des configurations de fourniture composites (Jaglin, 2005, 2014) ? Au-delà d’une lecture des paysages infrastructurels, premier palier de la compréhension, les analogies permettent-elles de rendre compte des évolutions infrastructurelles les plus significatives ? Dans une approche relationnelle des infrastructures, pensées comme à la fois façonnées par et façonnant les contextes sociaux dans lesquels elles sont insérées, ce chapitre défend le parti d’une analyse contextualisée des coévolutions entre services urbains et transitions urbaines en Afrique. Il considère ainsi les configurations de fourniture comme des assemblages urbains constitués d’acteurs, d’objets techniques, d’institutions, d’intérêts économiques, de pratiques et représentations sociales, mais aussi d’espaces. Ces assemblages incorporent donc les caractéristiques des contextes urbains africains : leur croissance démographique soutenue parmi les plus fortes du monde (3,7 %/an de 2000 à 2010), leur hétérogénéité socio-économique croissante (Hugon, 2014 ; Lautier, 2004), leur pluralité de normes et de règles (Chauveau et al., 2001), leurs hybridations techniques. Peu propices à l’homogénéisation des cadres et conditions de l’action collective, ces caractéristiques semblent favoriser des assemblages durablement hétérogènes plutôt que des logiques de substitution ou de transition d’une ville pré-réseau vers une ville d’après- réseau. Dans la recherche, ces assemblages – configurations de fourniture (Olivier de Sardan, 2010), modernised mixtures (Vliet et al., 2014), coproduction (Ahlers et al., 2014 ; Moretto et Allen, 2015) ‒ sont analysés sous l’angle des théories du changement infrastructurel (Furlong, 2014), des modes de gouvernance en contextes hétérogènes et de pluralité normative (Baron et Bonnassieux, 2013), du rôle et de la nature de l’« informel » (Ahlers et al., 2013 ; Ahlers et al., 2014 ; Botton et Blanc, 2014). Apparaissant comme des « solutions de second choix [qui] semblent offrir un heureux compromis » (Foster et Briceño- Garmendia, 2010, p. 98), ils sont en outre à présent déclinés dans divers formats opérationnels (Berthélémy et Béguérie, 2016 ; Botton et Blanc, 2014 ; Naulet et al., 2014 ; Tsitsikalis, 2011). Cette reconnaissance témoigne d’une inflexion marquante de la manière de penser et produire les services urbains dans ces villes, dont nous retenons ici qu’elle engage Konstantinos Chatzis, Gilles Jeannot, Valérie November and Pascal Ughetto - 9782807605992 Downloaded from PubFactory at 06/04/2020 02:44:04AM via free access
Politiques d’infrastructures en Afrique subsaharienne 175 des processus de construction institutionnelle et de renégociation de la manière dont les appareils d’État africains (à toutes les échelles) interagissent avec les acteurs (notamment non conventionnels) des services urbains. De quoi cette inflexion est-elle significative ? Est-elle le moteur d’un nouveau régime sociotechnique urbain (Bulkeley et al., 2014) dans les villes africaines ? Le chapitre part de deux hypothèses constitutives de ce que nous proposons d’appeler un « tournant pragmatique ». La première est que la reconnaissance croissante des configurations de fourniture hybrides et leur intégration actuelle dans la pensée urbanistique sont une réponse à de nouvelles dynamiques urbaines : d’une part, l’étalement rapide sous forme d’un continuum urbain-rural hétérogène rend vain tout espoir de rattrapage à moyen terme par les réseaux ; d’autre part, l’émergence des « classes moyennes », catégorie floue et discutée (Darbon et Toulabor, 2014), est associée, depuis les années 2000, à des transformations de la demande et des pratiques de consommation des services urbains. La seconde hypothèse est que la formalisation des configurations de fourniture constitue un mode expérimental de régulation de la transition urbaine. La notion de régulation renvoie ici à deux registres d’action emboîtés : la régulation sectorielle des services, ensemble des facteurs techniques, économiques, juridiques et organisationnels qui en régissent le fonctionnement ; la régulation politique, entendue comme l’ensemble des mécanismes auxquels recourent les pouvoirs publics pour stabiliser les antagonismes et assurer la reproduction d’un système social (Jaglin, 2007). Cet emboîtement étant précaire, le mode de régulation reste lui-même instable et contingent. La première partie analyse les configurations de fourniture et les politiques de formalisation en interrogeant leur contribution à une éventuelle transition infrastructurelle vers une ville post-réseau en Afrique. La seconde partie resitue ces évolutions dans les contextes sociospatiaux de la transition urbaine africaine et souligne les enjeux de régulation des configurations de fourniture hybrides, d’abord pensées comme une réponse pragmatique et marchande à l’hétérogénéité urbaine. Konstantinos Chatzis, Gilles Jeannot, Valérie November and Pascal Ughetto - 9782807605992 Downloaded from PubFactory at 06/04/2020 02:44:04AM via free access
176 Les métamorphoses des infrastructures, entre béton et numérique De l’informalité à la régula(risa)tion des configurations de desserte Améliorer les conditions d’accès aux services essentiels dans les villes africaines à forte croissance démographique et spatiale reste un défi auquel les politiques et les projets mis en œuvre ces dernières décennies ont répondu avec un succès très limité. Les opérateurs des réseaux conventionnels ne sont pas parvenus à forger des offres adaptées aux besoins comme au pouvoir d’achat de la majorité des citadins. Moins de 40 % des ménages urbains africains ont l’eau courante à domicile, une fosse septique ou des latrines améliorées et, dans près de la moitié des pays africains, l’électricité atteint à peine 50 % des citadins, tandis que la poussée démographique en zone urbaine a fait chuter les taux de couverture de tous les services urbains (notamment la fourniture d’eau potable) entre 1990 et 2005 (Foster et Briceño-Garmendia, 2010, p. 126-127)24. L’offre de services essentiels est aujourd’hui marquée par trois données structurelles. D’abord, dans tous les secteurs, la demande est en forte croissance, plus encore depuis que l’urbanisation est accompagnée d’une consolidation des classes moyennes. Ensuite, l’accès aux ressources et aux services demeure rationné : une importante demande latente reste donc à combler, ce qui est à la fois une source d’opportunités économiques, comme en attestent l’intérêt et les convoitises pour ces nouveaux marchés (Damon 2014 ; Desjeux 2011), et un facteur de risque pour les autorités urbaines et les États. Enfin, la question politique d’une démocratisation de l’accès aux ressources urbaines (et du droit à la ville) reste profondément marquée par une économie morale dans laquelle le clientélisme et le patronage sont des formes contestées, mais relativement efficaces, de partage des ressources au sein de sociétés inégalitaires. Du réseau aux configurations de fourniture Les configurations de fourniture juxtaposent un réseau conventionnel, en fonction duquel les politiques publiques pensent et organisent la régulation, et un ensemble hétérogène d’offres informelles. La gestion 24 Voir aussi Lall et al. (2017). Konstantinos Chatzis, Gilles Jeannot, Valérie November and Pascal Ughetto - 9782807605992 Downloaded from PubFactory at 06/04/2020 02:44:04AM via free access
Politiques d’infrastructures en Afrique subsaharienne 177 du réseau a d’abord été dominée par des acteurs publics et une régulation étato-centrée puis, à partir des années 1990, les réorganisations orchestrées dans le cadre de réformes néolibérales ont favorisé la marchandisation, les contrats de partenariat avec des entreprises privées et l’introduction de divers dispositifs de concurrence. Lente et circonscrite, la diffusion de ces partenariats public/privé n’a apporté que des réponses très partielles à la demande urbaine qui reste en partie dépendante d’opérateurs publics inégalement modernisés et, surtout, d’opérateurs informels. Les offres marchandes non conventionnelles, individuelles ou collectives, formelles ou informelles, sont d’initiative privée et illégales au regard des contrats d’exclusivité des opérateurs officiels. Exploitant la diversité des demandes et des capacités à payer comme celle des conditions citadines, elles pallient la déficience du service conventionnel et s’adressent, selon les types d’espaces urbains, à des clientèles aisées insatisfaites du service ou à des clientèles pauvres, exclues en raison de leur faible pouvoir d’achat, de leur éloignement géographique ou de l’illégalité de la tenure du sol (Jaglin, 2012, 2014). Les exemples sont multiples dans tous les domaines : les marchés de l’eau ont été abondamment décrits (voir le dossier de Water Alternatives 2014-7(1) ; Baron et Bonnassieux, 2013 ; Botton et Blanc, 2014 ; Jaglin 2005, 2013 ; Naulet et al., 2014) ainsi que les offres informelles de transport (Godard, 2002 ; Lombard, 2006 ; Pradeilles et al., 1991 ; Rizzo, 2011). L’inscription des solutions privées d’assainissement dans des chaînes de valeur assurant leur financement durable est l’objet d’une attention croissante (Trémolet et Evans, 2010 ; Van Dijk et al., 2014) ; la collecte des déchets et les diverses filières de récupération et recyclage sont également au cœur de nombreuses réflexions (Ginisty, 2014 ; Katusiimeh et al., 2013 ; Ngambi, 2015 ; Pierrat, 2014 ; Sory, 2013). Moins connus, les services énergétiques alternatifs sont en plein essor (Africa Progress Panel, 2017 ; Berthélémy, 2016 ; Franks et Prasad, 2014 ; Gaunt et al., 2012 ; Lawaetz et Smyser, 2011) tandis que l’inventivité des services de télécommunication et le développement d’un véritable écosystème mobile africain sont désormais attestés (Cheneau-Loquay, 2012 ; GSMA, 2016). Ces systèmes ne sont pas infinis en nombre et en variété ; tous n’existent pas partout ni avec la même intensité, mais dans toutes les villes, le pluralisme technique et gestionnaire des configurations Konstantinos Chatzis, Gilles Jeannot, Valérie November and Pascal Ughetto - 9782807605992 Downloaded from PubFactory at 06/04/2020 02:44:04AM via free access
178 Les métamorphoses des infrastructures, entre béton et numérique de fourniture est le résultat d’une co-construction circonstancielle permettant d’étendre des fonctionnalités de service jusqu’à un usager final non ou partiellement connecté au réseau conventionnel. Ce sont ces configurations que les politiques actuelles tentent de formaliser voire, lorsqu’elles n’existent pas, de susciter. Elles comportent trois principaux volets : l’organisation, la professionnalisation et parfois la concentration des petits opérateurs privés ; la coordination, dans l’espace urbain et dans le temps, de l’ensemble des offres ; la régulation des services (tarifs, qualité, concurrence) et des conflits éventuels. Plus encore que la pertinence technique de leurs approches, ces politiques dépendent, pour leur mise en œuvre, d’institutions publiques fragiles, encore marquées par la prégnance des héritages coloniaux et des processus de transferts institutionnels et cognitifs emblématiques des « sociétés projetées » (Darbon, 2008). Si la capacité de régulation des pouvoirs publics est ainsi souvent faible et la capacité à gouverner l’informel plus encore, elle n’est pas nulle. Il s’agit donc d’analyser l’évolution des rapports de force, en fonction des bénéfices attendus et des risques encourus25. Dans le service des déchets, les « schémas globaux » municipaux associent une pré-collecte confiée à des opérateurs informels, parfois couplée à des activités de tri et valorisation, un service municipal d’enlèvement et de transport à partir des stations de transfert, des centres d’enfouissement contrôlés, dont la gestion est de plus en plus souvent déléguée à une entreprise privée sous contrat. De nombreux travaux (Katusiimeh et al., 2013 ; Ngambi, 2015 ; Pierrat, 2014 ; Sory, 2013) soulignent qu’un des enjeux de cette organisation tient à la coordination, sur l’ensemble de la chaîne, d’acteurs hétérogènes dont l’activité n’est unifiée ni par les pratiques et représentations, ni par les 25 La démarche s’inspire ici de Schon et Altrock qui, dans des contextes urbains chi- nois, proposent le concept de « conceded informality » pour analyser « a flexible management of diverse informal practices depending on their relevance, usefulness and potential threat towards state authority » (Schon et Altrock, 2014, p. 216). À travers cinq stratégies, décrites comme des « modes of governing “the informal” », les auteurs montrent comment l’État combine deux nécessités : trouver des solu- tions pratiques et opératoires aux transformations urbaines et économiques rapi- des ; gérer le passage d’un parti-État dominant à un parti-État en quête de légitima- tion et de formes de coopération avec des acteurs non étatiques pour gouverner les villes (ibid.). Konstantinos Chatzis, Gilles Jeannot, Valérie November and Pascal Ughetto - 9782807605992 Downloaded from PubFactory at 06/04/2020 02:44:04AM via free access
Politiques d’infrastructures en Afrique subsaharienne 179 dispositifs techniques et réglementaires, ni par les résultats. Dans le domaine de l’eau, où les marchés urbains sont à la fois anciens et très divers, différentes expériences sont en quête d’arrangements adéquats. Certaines privilégient la délégation à des opérateurs privés, à la fois « clients grands comptes » de l’opérateur conventionnel et « détaillants » pour les habitants (Botton et Blanc, 2014, p. 112), d’autres tentent d’encadrer et de réguler des producteurs-distributeurs indépendants (Ahlers et al., 2013 ; Botton et Blanc, 2014 ; Valfrey-Visser et al., 2006) ou des mini-réseaux confiés en gestion à des associations d’usagers (Bédécarrats et al., 2016 ; Naulet et Biteete, 2014). Dans celui de l’assainissement, la réflexion est plus balbutiante et s’efforce d’identifier les segments de l’activité sur lesquels l’action publique pourrait intervenir avec efficacité (Trémolet et Evans 2010). À propos de l’assainissement de deux quartiers irréguliers de Dar es-Salaam et Kampala, Van Dijk et al. identifient ainsi trois segments fonctionnels ‒ construction, entretien et vidange des latrines – et suggèrent que les principaux verrous du développement d’un service satisfaisant pourraient être levés par une politique pragmatique de reconnaissance des solutions existantes, de développement technologique et de formation des artisans locaux (Van Dijk et al., 2014). Dans tous ces exemples, les politiques de formalisation visent à encadrer les activités de service informelles et à les coordonner avec celles de l’opérateur conventionnel, notamment à travers une nouvelle ingénierie institutionnelle de délégation ou de micropartenariat. En sécurisant les marchés de services, y compris au prix de « bricolages sociotechniques » (Criqui, 2015), elles les ouvrent à de nouveaux entrepreneurs et de nouveaux consommateurs, notamment des classes moyennes, plus exigeants sur la qualité et la fiabilité des offres. De la formalisation à la transition infrastructurelle ? Formels ou informels, les services essentiels étudiés sont produits à l’aide de dispositifs sociotechniques associant des artefacts techniques, des organisations sociopolitiques, des savoirs, mais aussi des pratiques et des représentations. Certains dépendent d’une infrastructure matérielle en réseau « lourde » et capitalistique, d’autres s’appuient sur des réseaux d’acteurs et de technologies dispersées mobilisant un faible capital fixe. Considérés ensemble à l’échelle des configurations de fourniture, Konstantinos Chatzis, Gilles Jeannot, Valérie November and Pascal Ughetto - 9782807605992 Downloaded from PubFactory at 06/04/2020 02:44:04AM via free access
180 Les métamorphoses des infrastructures, entre béton et numérique ces dispositifs sociotechniques ne partagent en revanche ni une infrastructure, au sens de Star et Ruhleder (2010)26, ni des conventions propres à solidifier des communautés de pratiques. Les politiques et projets de formalisation de ces configurations hybrides ont précisément pour objectif de faire émerger l’une et les autres. On peut dès lors interroger leur contribution à une transition infrastructurelle urbaine (Bulkeley et al., 2014 ; Rutherford et Coutard, 2014) conduisant in fine à une ville post-réseau. Commençons par trois constats inspirés par l’analyse des transitions sociotechniques, ici adaptée aux contextes urbains des Suds (Furlong, 2014). D’abord, ce n’est pas tant la critique des grands systèmes techniques que l’objectif de « mise en réseau » des dispositifs de fourniture hétérogènes existants qui domine. Ensuite, les changements examinés procèdent moins de logiques de substitution que d’une série d’adaptations incrémentales, facilitant l’intégration fonctionnelle, relative et inégale, d’acteurs et de modalités de desserte longtemps encapsulés dans des mondes sociotechniques étanches27. Enfin, ce mouvement ne s’accompagne nullement d’une contestation du modèle, des valeurs et pratiques dominantes. De nombreuses études montrent au contraire, en Afrique (Kjellen et McGranahan, 2006 ; Ginisty 201428) et ailleurs dans les Suds (Criqui, 2015), que le modèle du réseau n’est pas remis en cause par les alternatives. Loin de l’éliminer, la somme des bricolages le consolide comme référence autour de laquelle s’organisent les autres dispositifs (Criqui, 2015 ; Jaglin, 2005). Pour réconcilier les cadres conceptuels des études sociotechniques avec les conditions qui 26 Ces auteurs appréhendent l’infrastructure comme un concept fondamentalement relationnel, renvoyant à des pratiques organisées : « une infrastructure est une pro- priété relationnelle et non un objet sans usage » (Star et Ruhleder, 2010, p. 118). 27 Au moins dans le cadre des politiques sectorielles et dans l’exercice officiel des pra- tiques professionnelles. Nombre d’études ont en revanche souligné que les « plomb- iers du dimanche » et autres « braconneurs » d’électricité partagent leur temps entre travail formel dans les entreprises de service et bricolage informel à la demande, établissant ainsi entre ces deux mondes un pont très antérieur à sa prise en compte dans les politiques. 28 À Maputo, les ménages interrogés par Ginisty (2014) choisissent les petits opé- rateurs plutôt que les bornes-fontaines, mais ils témoignent aussi de la résistance du modèle conventionnel du branchement particulier, horizon d’une citadinité « aboutie », pour lequel ils consentent ou ont consenti d’importants efforts financi- ers. Konstantinos Chatzis, Gilles Jeannot, Valérie November and Pascal Ughetto - 9782807605992 Downloaded from PubFactory at 06/04/2020 02:44:04AM via free access
Politiques d’infrastructures en Afrique subsaharienne 181 prévalent dans les villes des Suds, Furlong suggère d’admettre qu’un système sociotechnique stable peut être durablement hybride et que la transition infrastructurelle peut consister en un processus continu de diversification et d’hétérogénéisation (Furlong, 2014). La notion de transition semble néanmoins imparfaite pour saisir deux caractéristiques structurantes des dynamiques internes aux configurations de fourniture : la « résilience » du modèle du grand réseau et la capacité de son infrastructure réticulée à cohabiter avec une diversité croissante de solutions « alternatives ». Ainsi, la diffusion de technologies et de produits chinois à bas coût sur les marchés africains a transformé les conditions techniques de fourniture de tous les services. Batteries électriques, panneaux photovoltaïques, compteurs, cuves et tuyaux en polyéthylène, mais aussi téléphones mobiles d’entrée de gamme et d’occasion témoignent de l’introduction réussie de technologies low-cost qui ont facilité, encouragé ou accéléré l’émergence de petits opérateurs privés et diversifié les dispositifs d’accès (mini-réseaux d’eau, kiosques énergétiques, installations individuelles comme les inverters au Nigeria ou les chauffe-eau solaires en Afrique du Sud). Paradoxalement, en compensant les dysfonctionnements récurrents des réseaux, ces innovations les rendent aussi plus acceptables ou supportables et, dans le contexte d’un marché croissant, contribuent à atténuer la pression sur le réseau conventionnel plus qu’à en bouleverser ou en menacer le fonctionnement. En outre, les infrastructures du grand réseau technique conservent un fort pouvoir d’attraction. Les discours des techniciens et des ingénieurs l’illustrent, mais aussi ceux des ménages. Ces représentations sont confortées par les faits, car les réseaux conventionnels poursuivent leur lente conquête des territoires, au gré des opportunités d’investissement, dans un mouvement continu d’infrastructuralisation (Chatzis, dans cet ouvrage)29. Par extensions nouvelles ou par adjonction/intégration de dispositifs locaux hétérogènes préexistants, ils accompagnent avec 29 Chatzis définit l’infrastructuralisation comme « le processus de transformation de dispositifs locaux en infrastructures, via la stabilisation/pérennisation de leur fonc- tionnement et leur extension/généralisation par la reproduction de la même unité de base à des échelles spatiales et sociales toujours plus grandes et/ou par la com- binaison/interconnexion de plusieurs systèmes différents » (Chatzis, Introduction générale. Le nouveau monde des infrastructures). Konstantinos Chatzis, Gilles Jeannot, Valérie November and Pascal Ughetto - 9782807605992 Downloaded from PubFactory at 06/04/2020 02:44:04AM via free access
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