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Lien social et Politiques

Le chantier de recherche de la gouvernance urbaine et la
question de la production des savoirs dans et pour l’action
Research on urban governance and knowledge production in
and for action
Gilles Pinson

Société des savoirs, gouvernance et démocratie                                 Article abstract
Number 50, Fall 2003                                                           If the concept of governance has been criticized as normative, it is no doubt
                                                                               because the micro level of analysis has been neglected. This gap can be filled by
URI: https://id.erudit.org/iderudit/008278ar                                   examining concrete ways in which knowledge is produced in and for action. In
DOI: https://doi.org/10.7202/008278ar                                          this way one can understand how macro changes are incorporated into
                                                                               concrete practices. In order to illustrate this point, the article examines urban
                                                                               policies. The field of urban planning has been one in which expert knowledge
See table of contents
                                                                               committed to modernization has been particularly important. It is also a field
                                                                               in which such knowledge has been questioned and attacked by those with local
                                                                               knowledge. This area of action clearly reveals a multiplication of and more
Publisher(s)                                                                   complex ways of producing knowledge for action, and yet such change is not
                                                                               necessarily synonymous with democratization or withdrawal from politics. We
Lien social et Politiques
                                                                               are seeing a major diversification of forms of knowledge production for action,
                                                                               tied to local political and social conditions.
ISSN
1204-3206 (print)
1703-9665 (digital)

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Pinson, G. (2003). Le chantier de recherche de la gouvernance urbaine et la
question de la production des savoirs dans et pour l’action. Lien social et
Politiques, (50), 39–55. https://doi.org/10.7202/008278ar

Tous droits réservés © Lien social et Politiques, 2003                        This document is protected by copyright law. Use of the services of Érudit
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                                                                              This article is disseminated and preserved by Érudit.
                                                                              Érudit is a non-profit inter-university consortium of the Université de Montréal,
                                                                              Université Laval, and the Université du Québec à Montréal. Its mission is to
                                                                              promote and disseminate research.
                                                                              https://www.erudit.org/en/
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         Le chantier de recherche de la gouvernance urbaine et
         la question de la production des savoirs dans et pour
         l’action

         Gilles Pinson

            La gouvernance a mauvaise                      d’une analyse empiriquement fon-                  de cette perspective à la science
         presse. Son usage analytique dans                 dée; leur traque obsessionnelle du                politique.
         les domaines des sciences du poli-                changement social — associée à la
         tique s’est développé en même                                                                          Dans l’optique d’une consolida-
                                                           naïveté sociologique susmention-
         temps que ses usages normatifs par                                                                  tion de l’approche de la gouver-
                                                           née — en ferait même des alliés
         des acteurs politiques ou des insti-                                                                nance, la question de la production
                                                           objectifs d’un projet hégémonique
         tutions intimement associées dans                                                                   des savoirs pour et dans l’action
                                                           d’adaptation des sociétés contem-
         les imaginaires à la mondialisation                                                                 collective nous paraît essentielle.
                                                           poraines aux canons de la rationa-
         néolibérale. Dès lors, l’insertion de                                                               En effet, jusqu’à récemment, les
                                                           lité néolibérale.
         la notion dans le paysage concep-                                                                   travaux de science politique opé-
         tuel de la discipline se heurte à de                 L’objectif de cette contribution 1       †     rant dans le cadre programmatique
         multiples réticences. Le procès qui               n’est pas de procéder à une « cri-      †         de la gouvernance ont permis d’ac-
         est fait aux utilisateurs du terme de             tique de la critique » et de   †                  cumuler des résultats au niveau
         gouvernance s’apparente à celui                   reprendre un à un les griefs accu-                macro : ils ont notamment permis
                                                                                                                     †

         qui est fait aux utilisateurs des                 mulés contre l’usage de la notion                 de mettre au jour les effets de phé-
         notions de société du savoir : les    †
                                                           de la gouvernance afin de les neu-                nomènes tels que la globalisation,
         uns comme les autres pêcheraient                  traliser. Le but de ce texte est                  la construction européenne, les
         par angélisme ou naïveté sociolo-                 davantage de clarifier le projet                  transformations des systèmes pro-
         gique en donnant à voir des pro-                  scientifique qui sous-tend l’usage                ductifs sur le rôle des États, sur les
         cessus d’horizontalisation des                    de la gouvernance, de perfection-                 rapports État-société, État-marché,
         formes de construction de l’action                ner ce que nous appellerons le                    sur les rapports entre les centres
         collective et des savoirs incorporés              « chantier de recherche de la gou-
                                                            †                                                étatiques et leurs périphéries. Ils
         dans cette action; leurs construc-                vernance » en s’appuyant sur les
                                                                      †                                      ont aussi permis de documenter les
         tions théoriques relèveraient                     critiques qui lui sont adressées et               manifestations méso correspondant
         davantage du wishful thinking que                 de montrer les apports possibles                  à ces changements globaux : terri-
                                                                                                                                           †

         Lien social et Politiques – RIAC, 50, Société des savoirs, gouvernance et démocratie, Automne 2003, pages 39 à 55.
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          LIEN   SOCIAL ET   POLITIQUES – RIAC, 50       Pour développer cette argumenta-           dans lequel les acteurs urbains
                                                         tion, nous nous appuierons sur des         agissent, transformations analysées
          Le chantier de recherche de la gouvernance
          urbaine et la question de la production des    exemples tirés de travaux menés            par les travaux sur la gouvernance,
          savoirs dans et pour l’action                  sur les transformations des poli-          modifient les modalités des inter-
                                                         tiques urbaines.                           actions entre acteurs à l’échelle des
                                                                                                    systèmes d’action concrets. Dans
                                                            Pour investir ce terrain micro des      un contexte d’action débarrassé
                                                         processus de gouvernance des               d’un grand nombre de certitudes
                                                         villes, il nous paraît utile de repartir   scientifiques, l’enjeu de la validité
                                                         des deux modèles de relations              des choix est décentré. Cette vali-
                                                         connaissance-action politique iden-        dité des choix et des connaissances
                                                         tifiés par Charles E. Lindblom             sur lesquelles se basent ces choix
    40                                                   (1977 : 247). Dans le modèle 1,
                                                               †
                                                                                                    est davantage évaluée à l’aune de
                                                         celui de l’intellectually guided           leur capacité de générer le consen-
          torialisation de l’action publique;            society, les hommes sont réputés           sus au fil d’interactions et d’itéra-
          transformations des rapports entre             être dotés d’une capacité de com-          tions multiples qu’à celle de leur
          acteurs, groupes et institutions               prendre la réalité et, sur cette base,     conformité à une quelconque ratio-
          dans l’action publique; constitution           les institutions politiques sont           nalité scientifique et politique pré-
          de coalitions territoriales et de              investies d’un devoir de planifica-        définie. Ce qui compte, c’est la
          réseaux d’acteurs locaux. En                   tion scientifique du développement         capacité des processus de construc-
          revanche, au niveau micro, force               des sociétés. L’organisation sociale       tion des choix et de mise en œuvre
          est de constater que le bilan de la            juste est « découverte » par la cogi-
                                                                    †            †
                                                                                                    de ces choix à générer du consen-
          gouvernance est plus maigre. Le                tation d’experts appointés et mise         sus, de l’action collective et à
          volet du chantier de recherche de la           en œuvre par les politiques                mobiliser des ressources et des
          gouvernance consacré à l’étude des             publiques. À l’inverse, dans le            acteurs.
          mécanismes micro, des logiques                 modèle 2, on part du principe de
          d’agence et d’acteurs relayant les             l’incapacité de l’homme à com-                Dans un premier temps, nous
          transformations macro et méso                  prendre la complexité du monde.            verrons comment précisément se
          citées plus haut à l’échelle des sys-          Toute théorie est partielle et consti-     construisent les choix collectifs et
          tèmes d’action concrets a été                  tue donc une source imparfaite pour        les connaissances qui fondent ces
          encore peu investi.                            guider l’action. L’organisation            choix au sein des dispositifs et pro-
                                                         sociale est affaire de politique et        cessus de gouvernance urbaine.
             Cet article fait donc le pari qu’il         non de science, elle est donc le fruit     Nous essaierons d’examiner éga-
          est possible de « boucler la boucle »
                                    †                †
                                                         d’un choix forcément contingent            lement le rôle que les acteurs et
          de la gouvernance en développant               opéré au terme d’une série d’inter-        institutions politiques jouent dans
          le volet micro de l’agenda de                  actions et non d’une découverte            ces processus. Cette nouvelle éco-
          recherche de la gouvernance et,                scientifique.                              nomie de la production des
          notamment, en entreprenant des                                                            connaissances et des interactions
          analyses sur la manière dont sont                 Les observations que nous               politiques autour de ces processus
          produites les connaissances dans et            avons pu faire dans le cadre d’une         de production nous semble venir
          pour l’action publique. En articu-             thèse consacrée aux projets                utilement compléter le projet
          lant cette analyse micro aux volets            urbains (Pinson, 2002a) tendent à          scientifique de la gouvernance.
          d’analyse macro et méso, on pour-              montrer que, dans le cadre de ces          Dans une deuxième partie, nous
          rait alors mieux fonder empirique-             processus de projets, les modes de         verrons comment ce volet micro
          ment les constats de recomposition             construction des connaissances et          du chantier de recherche de la
          de l’État et de l’agir étatique sur            des choix collectifs se rapprochent        gouvernance permet de répondre à
          lesquels les travaux sur la gouver-            du modèle 2 de Lindblom. Les               certaines des critiques adressées à
          nance débouchent généralement.                 transformations du contexte macro          cette perspective de recherche.
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         Le « chantier de la                     d’action de l’État et des formes que     affecte à la fois les sphères des acti-
         gouvernance » et la question de         prennent les rapports politiques et      vités politiques, économiques et
         la production des connaissances         sociaux. Ils font notamment l’hypo-      sociales — de transformation des
         pour l’action                           thèse que la période actuelle, carac-    modes de coordination de l’action
                                                 térisée par des phénomènes majeurs       collective et d’intégration des indivi-
            La gouvernance ne se résume pas      tels que la globalisation, la mutation   dus et des groupes dans l’action
         à une série d’affirmations vagues       des systèmes productifs et de leurs      (Veltz, 1994, 2000; Crouch et
         sur des phénomènes généraux tels        formes d’encastrement territorial, la    Streeck, 1996; Trigilia, 2001). Afin
         que la globalisation, la transforma-    recomposition des États-nations et la    de mieux comprendre les transfor-
         tion des systèmes productifs, la        construction européenne, est poten-      mations de l’agir politique, la gou-
         montée des ordres politiques supra-     tiellement porteuse de processus de      vernance ne répugne pas, ainsi, à
         nationaux et l’affaiblissement des      redistribution de l’autorité politique   utiliser un raisonnement par analo-
         espaces politiques nationaux. Si elle                                                                                      4
                                                 entre niveaux politiques et territo-     gie et à observer comment, par
         prend au sérieux l’idée que ces phé-    riaux et des modes d’expression de       exemple, des évolutions dans les
         nomènes peuvent influer sur les         cette autorité politique. Dans le cas    formes de production de la connais-
         interactions politiques et les modes    des villes, cette période peut repré-    sance pour l’action dans la sphère
         d’exercice de l’autorité politiques,    senter un « intermède historique »
                                                              †                      †    productive peuvent trouver des évo-
         elle n’en reste pas là. Le chantier     (Bagnasco et Le Galès, 1997) leur        lutions équivalentes dans le domaine
         de la gouvernance permet aussi de       permettant de devenir des espaces        de l’action publique ou dans les pro-
         décortiquer les phénomènes micro,       politiques à l’échelle desquels une      cessus de mobilisation collective.
         les logiques d’agence par lesquels      capacité de structurer et de réguler
         ces phénomènes globaux influent         les conflits sociopolitiques peut se        Ces deux éléments de filiation
         au niveau des systèmes d’action         structurer.                              rendent les chercheurs opérant dans
         concrets. Ce cadre d’analyse per-                                                le cadre du chantier de recherche de
         met notamment de voir comment               Il existe également une très nette   la gouvernance particulièrement
         ces changements macro ont un            filiation entre l’approche de la gou-    sensibles à plusieurs types d’évolu-
                                                 vernance et l’économie politique.        tions qui peuvent avoir un impact
         impact sur la manière dont les
                                                 Même si, dans ces deux perspectives      direct sur les formes de production
         connaissances sont produites pour
                                                 d’analyse, les formes de l’action        des choix et des connaissances sur
         et dans l’action.
                                                 politique se voient reconnaître des      lesquels se fonde l’action collective
         La filiation du « chantier de la        logiques propres, des propriétés par-    urbaine. Nous voudrions insister ici
         gouvernance »                           ticulières et une certaine inertie par   sur trois éléments de changements
                                                 rapport à des processus de change-       politiques et sociaux qui peuvent
            Le chantier de la gouvernance se     ment de l’environnement écono-           avoir une influence sur les rapports
         situe, bien que parfois de manière      mique et social dans lequel elles        entre les acteurs de l’action collec-
         trop implicite, dans le sillon d’un     interviennent, elles sont toutefois      tive au niveau micro et, notamment,
         certain nombre de traditions de         nécessairement liées et partiellement    sur la manière dont sont construites
         recherche. D’abord, la gouvernance      dépendantes de cet environnement.        les connaissances sur la base des-
         doit être classée parmi les approches   L’action politique est vue dans ces      quelles sont construits les choix
         sociologiques ayant pour parti-pris     perspectives comme une forme             collectifs.
         de traquer des éléments de change-      d’action sociale parmi d’autres et, en
         ment social. À la suite des travaux     conséquence, subissant le même           Ingouvernabilité, incertitudes,
         classiques de sociologie historique     type d’influence que tout autre type     interdépendances
         de l’État (Elias, 1975; Badie et        d’activités sociales. Dès lors la        — Ingouvernabilité
         Birnbaum, 1991; Tilly, 1992), les       recomposition de l’État et du gou-
         auteurs opérant au sein de ce pro-      vernement politique est appréhen-          Un premier type d’évolutions
         gramme de recherche postulent           dée comme un aspect d’un                 qui pose des problèmes concrets
         l’historicité des structures et modes   mouvement plus général — qui             pour l’action collective dans les
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          LIEN   SOCIAL ET   POLITIQUES – RIAC, 50      légitimité des grands discours —        planification se reconfigure
                                                        modernisateurs notamment — por-         comme une activité sociale conti-
          Le chantier de recherche de la gouvernance
          urbaine et la question de la production des   tés par les institutions politiques,    nue permettant le développement,
          savoirs dans et pour l’action                 des savoirs institués et des connais-   dans le cadre d’un tissu d’interac-
                                                        sances expertes tirant leur force de    tions, d’une raison intersubjective
                                                        leur articulation à un intérêt géné-    et la construction de consensus
                                                        ral substantiel. Cette remise en        opératoires réappropriables par
                                                        question est très nette dans les        l’ensemble des acteurs (Healey,
                                                        domaines de l’urbanisme, de             1996; Chalas, 1998).
                                                        l’aménagement et de l’environne-
                                                        ment. Les opérations sont confron-      — Incertitudes
                                                        tées à des phénomènes de                   L’environnement dans lequel les
    42
                                                        mobilisation, dits NIMBY, contes-       acteurs, groupes et institutions
                                                        tant la rationalité des experts et      urbains ont à prendre des décisions
          villes est relatif à ce que certains          revendiquant la légitimité des          et à construire les connaissances qui
          auteurs ont décrit comme l’ingou-             savoirs tirés d’un rapport intime       instruiront ces décisions est égale-
          vernabilité des sociétés contempo-            avec l’environnement naturel ou
                                                                                                ment caractérisé par de nombreuses
          raines (Leca et Papini, 1985;                 construit (Jobert, 1998).
                                                                                                incertitudes (Callon et al., 2001) :
                                                                                                                                   †

          Mayntz, 1993; CURAPP, 1996).
                                                           Dans le cadre des projets            incertitudes quant au contexte dans
          Cette idée d’ingouvernabilité ne
                                                        urbains, ces décalages entre savoirs    lequel l’action doit être menée;
          renvoie pas tant à une désintégra-
                                                        experts et savants, d’une part, et      incertitudes quant aux ressources
          tion des sociétés contemporaines
          qu’à une situation dans laquelle              savoirs indigènes, d’autre part, ne     disponibles pour mener à bien cette
          l’autonomisation des groupes                  se résolvent pas uniquement dans        action; incertitudes, enfin, quant
          sociaux, leur réticence croissante à          des rapports de force mettant aux       aux buts mêmes de l’action.
          se laisser dicter leurs préférences et        prises des visions du monde et des
                                                        connaissances concurrentes. Ils            Cette situation d’incertitudes
          leurs actions, l’hétérogénéisation                                                    multiples n’est pas nouvelle, elle
          des demandes sociales et des sys-             amènent également les acteurs à
                                                        rechercher dans leurs interactions      était déjà au cœur de l’analyse stra-
          tèmes de valeurs rendraient de plus                                                   tégique conduite par les socio-
          en plus difficile le recours exclusif à       concrètes de nouvelles formula-
                                                        tions des enjeux et des problèmes,      logues des organisations, qui en
          des formes de gouvernement basées                                                     faisaient le lot commun de toute
          sur l’imposition réglementaire et le          de nouvelles connaissances, des
                                                        réassurances cognitives et, égale-      forme d’action collective (Crozier
          commandement hiérarchique. Cela                                                       et Friedberg, 1977; Friedberg,
          ne veut pas dire que cette dimension          ment, la possibilité de construire
                                                        une raison intersubjective. Dès lors,   1993). Mais cette situation d’incer-
          de l’activité de direction politique                                                  titude est sans doute accentuée
          — institutionnelle et intégrative —           les processus de construction des
                                                        projets urbains ne sont plus néces-     dans le cas des politiques urbaines
          a disparu mais qu’elle doit de plus                                                   et des opérations d’urbanisme. Le
          en plus cohabiter avec des formes             sairement prédéterminés par la
                                                        vision de l’intérêt public portée par   contexte dans lequel ces politiques
          de conduite des politiques et d’in-
                                                        les seuls experts appointés et élus     sont conduites a été transformé par
          tégration des sociétés — échan-
                                                        mandatés; ils peuvent aussi devenir     une série de bouleversements. Les
          gistes et agrégatives — basées sur
                                                        des arènes de médiation, d’explici-     privatisations, les concentrations,
          la négociation, la contractualisa-
                                                        tation des conflits, d’apprentissage,   l’ouverture des marchés et les
          tion et les ajustements mutuels
                                                        de compréhension mutuelle des dif-      transformations des procès produc-
          (March et Olsen, 1996; Leca,
                                                        férents intérêts en présence, de        tifs ont débouché sur une redéfini-
          1996b; Kooiman, 2003).
                                                        construction et d’appropriation col-    tion radicale des rapports de
             Un corollaire de cette situation           lectives des problèmes et des solu-     l’économie aux territoires locaux.
          d’ingouvernabilité est la crise de            tions. Autour des projets, la           Ces rapports sont de moins en
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         moins médiatisés par les États,          urbains ou zones industrielles —        l’on n’a pas, dès le départ, toutes
         dont les politiques d’aménagement        déjà construits et dont la puissance    les cartes en main et notamment
         du territoire et de décentralisation     publique n’est pas propriétaire         toutes les connaissances à disposi-
         industrielle tendent à se réduire à      unique. Sur ces espaces, les antici-    tion ? Comment fixer des orienta-
                                                                                               †

         peau de chagrin. Les États, s’ils        pations foncières sont difficiles et    tions capables de donner une
         opèrent toujours un rôle de péré-        rendent donc les temporalités du        cohérence à l’action d’une pluralité
         quation à travers les politiques de      projet peu maîtrisables. Une autre      d’acteurs tout en sachant que ces
         transferts sociaux et la présence        source d’incertitude est celle rela-    orientations peuvent être remises
         des services publics, sont, en           tive au stock des ressources dispo-     en cause par l’évolution du
         revanche, bien en peine de définir       nibles pour la mise en œuvre des        contexte et du stock des ressources
         des stratégies pour les régions et       projets. Les ressources financières,    disponibles ?
                                                                                                      †

         les villes. Ces stratégies écono-        politiques, d’expertise sont disper-
                                                                                             L’analyse des pratiques de pro-       4
         miques et projets de développe-          sées. L’État n’est plus en situation
         ment et les connaissances qui les        de monopole des ressources d’ex-        jets urbains montre que les acteurs
         instruisent ne peuvent plus être         pertise, financières et de légitimité   tendent de plus en plus à mettre en
         produits que localement sur la base      politique. De nouveaux acteurs,         place des dispositifs d’action mar-
         de savoirs balbutiants, d’une            groupes et institutions (chambres       qués par un incrémentalisme
         expertise limitée et d’une connais-      consulaires, organisations patro-       assumé, dans lesquels les situations
         sance partielle des contextes d’ac-      nales, ports, universités, associa-     d’interactions sont multipliées afin
         tion (Béhar et Estèbe, 1998).            tions environnementalistes, etc.)       de faire émerger de nouveaux pro-
                                                  sont apparus, qui peuvent faire         blèmes, de nouvelles connaissances
            Ces incertitudes sont également
                                                  valoir ce type de ressources. Par       et de nouvelles solutions poten-
         criantes dans le cas des grandes
                                                  ailleurs, les processus de transfor-    tielles, dans lesquels les situations
         opérations d’urbanisme (Pinson,
                                                  mation que ces projets urbains acti-    de choix sont elles aussi démulti-
         2002a; Chadoin et al., 2000). On a
                                                  vent s’inscrivent nécessairement        pliées et non plus réduites à un
         vu récemment un nombre croissant
                                                  dans des temporalités de moyen ou       unique moment séminal de « déci-†
         de villes se lancer dans ces grands
                                                  long terme. Ces temporalités dila-      sion » (Sfez, 1981). Dans ces dispo-
                                                                                               †
         projets urbains qui ont vocation à
                                                  tées impliquent forcément une évo-      sitifs, les choix et les consensus
         la fois de régénérer de vastes
         espaces ayant souffert du démantè-       lution du stock des ressources          construits autour de ces choix sont
         lement des activités industrielles       disponibles, exprimées en fonds         toujours temporaires, susceptibles
         ou portuaires et de doter ces villes     financiers, en acteurs mobilisables,    d’amendements au cours d’épi-
         d’équipements, d’infrastructures         en capacités organisationnelles,        sodes ultérieurs d’interactions. La
         ou de quartiers prestigieux pour         mais aussi en termes de connais-        démarche de projet fournit un bon
         faire face à une compétition territo-    sances. Ces connaissances, sont         exemple de ces formes d’action où
         riale croissante. Pour mener à bien      « produites » pendant et dans l’ac-
                                                   †         †                            les connaissances sont produites
         ces projets, les acteurs urbains doi-    tion autant qu’elles sont « réunies »
                                                                             †       †    tout au long du processus d’action
         vent naviguer entre une pluralité        avant le passage à l’action. Il ne      et incorporées en flux continu dans
         d’incertitudes, armés de connais-        s’agit plus ici de décider au           des processus de décision temporel-
         sances bien souvent limitées. Ces        moment t, en fonction d’un stock        lement dilatés (Crosta, 1998).
         projets entendent réinscrire des         certain de ressources réunies à ce      « Tout projet, indique Jean-Pierre
                                                                                           †

         portions du territoire urbain dans       moment t, mais de démultiplier les      Boutinet, à travers l’identification
         des mécanismes des marchés               moments de décision et de les faire     d’un futur souhaité et des moyens
         immobilier et industriel dont les        correspondre à des moments de           propres à le faire advenir, se fixe un
         évolutions sont peu prévisibles et       vérification des ressources 2. Enfin,
                                                                                 †        certain horizon temporel à l’inté-
         que, surtout, les villes ne maîtrisent   un dernier type d’incertitudes est      rieur duquel il évolue. » C’est pour-
                                                                                                                 †

         pas. Ils interviennent souvent sur       relatif aux fins même des projets.      quoi, poursuit-il, le projet ne peut
         des morceaux de villes — quartiers       Comment bien décider dès lors que       être que « partiellement déter-
                                                                                                          †
LSP 50   29/06/04        13:34       Page 44

          LIEN   SOCIAL ET   POLITIQUES – RIAC, 50           s’autolimitent et cherchent à              conduite des politiques urbaines,
                                                             s’ajuster aux connaissances et pré-        mais également des ressources
          Le chantier de recherche de la gouvernance
          urbaine et la question de la production des        férences des autres, conscients            telles que l’expertise et les connais-
          savoirs dans et pour l’action                      qu’ils sont du caractère partiel et        sances ou encore la légitimité à
                                                             partial de leurs valeurs et connais-       énoncer le sens de l’action collec-
                                                             sances (Cohen, 1985). Les disposi-         tive. « Aucun acteur, indique
                                                                                                                 †

                                                             tifs interactifs d’action collective       Kooiman (2003 : 11), public ou
                                                                                                                          †

                                                             tels que les démarches de projet           privé, ne dispose du savoir et des
                                                             offrent justement un espace à ces          informations requis pour résoudre
                                                             logiques d’apprentissage et d’ajus-        des défis sociétaux complexes,
                                                             tement réciproque.                         dynamiques et diversifiés; aucun
                                                                                                        acteur ne dispose d’une vision
    44                                                       — Interdépendances                         générale suffisante pour mettre en
                                                                Enfin, les acteurs interagissant        œuvre seul des instruments d’action
          miné », « jamais totalement réalisé,
                   †    †                                                                               efficaces; aucun acteur n’a la capa-
                                                             dans le cadre de processus d’action
          toujours à reprendre » (1993 : 77) 3.
                                         †           †   †                                              cité d’action suffisante pour domi-
                                                             collective sont également de plus
                                                                                                        ner de manière unilatérale. » Cette
                                                                                                                                     †

             Cette situation d’incertitudes                  en plus interdépendants et tendent
                                                                                                        situation est accentuée dans le cas
          multiples a des conséquences, on le                à reconnaître cette interdépen-
                                                                                                        des villes françaises par la perte de
          voit, sur la nature des processus                  dance. Cette situation d’interdé-
                                                                                                        capacité de l’État à jouer un rôle
          d’action collective, qui se rappro-                pendances objectives et multiples
                                                                                                        d’arbitre et à mettre en ordre les
          chent toujours plus du modèle 2 de                 tend, elle aussi, à modifier considé-
                                                                                                        acteurs locaux en tranchant les
          Lindblom; elle en a aussi sur les                  rablement le type d’interactions qui
                                                                                                        conflits, en distribuant les res-
          acteurs pris individuellement et la                constituent l’action collective.
                                                                                                        sources ou en légitimant certains
          manière dont ils se positionnent
                                                                Cette situation d’interdépen-           acteurs.
          dans ces processus. Les acteurs
          n’entrent pas dans des processus                   dances multiples est particulière-            Cette situation de fragmentation
          d’action collective armés d’inté-                  ment nette à l’échelle des villes et       institutionnelle et de dispersion des
          rêts, de valeurs et de connais-                    dans le cadre des politiques               ressources n’est pas nécessaire-
          sances durablement stabilisés et                   urbaines. Les acteurs, groupes et          ment synonyme d’incapacité d’ac-
          qui seraient injectés dans ces pro-                institutions intervenant dans ces          tion ou de développement d’une
          cessus tels des intrants isolables et              politiques sont de plus en plus nom-       situation de compétition générali-
          inaltérables. Ils y entrent aussi dans             breux. Parmi ces acteurs, groupes et       sée entre les acteurs. Elle peut, au
          le but d’y obtenir des réassurances                institutions, nombreux sont ceux           contraire, et dans certaines condi-
          cognitives, afin de s’intégrer dans                qui sont capables — ou contraints          tions qu’il faut analyser, générer
          des systèmes d’action collective                   — de construire leur propre straté-        chez les acteurs des dispositions à
          leur permettant, par la coopération                gie (c’est le cas, par exemple, des        la coopération et à l’articulation
          et la co-construction des problèmes                ports et universités, qui tendent de       des ressources, et constituer une
          et des solutions, de mieux maîtri-                 plus en plus à sortir d’un simple rôle     incitation à la stabilisation de dis-
          ser les contextes incertains. Cela                 de prestataires de services pour           positifs coopératifs dans l’action
          ne veut pas dire que les rapports                  devenir des acteurs porteurs de pro-       publique. Les processus de projets
          de force et les conflits ont disparu               jet et participant à des coalitions ter-   urbains sont de bons révélateurs
          des processus d’action collective,                 ritoriales). Cette multiplication des      des comportements des acteurs et
          mais qu’ils coexistent de plus en                  acteurs s’accompagne d’un phéno-           des mécanismes d’interactions que
          plus avec des types d’interactions                 mène de dispersion des ressources.         suscite cette situation d’interdépen-
          sociales davantage orientés vers                   Cette dispersion des ressources ne         dances multiples. Ces processus
          l’apprentissage et l’ajustement                    concerne pas uniquement les res-           ont souvent explicitement pour
          mutuel, dans lesquels les acteurs                  sources financières nécessaires à la       ambition autant de générer la créa-
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         tion de systèmes d’acteurs urbains      se penchera, lui, sur la manière             Pourquoi ces dispositifs interac-
         pérennes que de déboucher sur des       dont ces formes d’action permet-          tifs et délibératifs sont-ils de plus
         opérations concrètes. Leur carac-       tent d’intégrer les acteurs dans des      en plus prisés dans les politiques
         tère partiellement déterminé, incré-    systèmes d’acteurs, voire de créer        urbaines ? D’abord, parce que dans
                                                                                                     †

         mental permet à chaque étape de         des espaces politiques dotés de           le contexte actuel des politiques
         vérifier que tel ou tel objectif com-   modes de régulation propres.              urbaines, dans lequel les choix col-
         mun permet de mobiliser et d’arti-                                                lectifs doivent sans cesse être remis
         culer le maximum de ressources.         — Le recours à des modes d’action         sur le métier, ces dispositifs per-
         Les choix sont jugés à l’aune de        interactionnistes et délibératifs         mettent de réarticuler en perma-
         leur capacité de créer des disposi-                                               nence choix et ressources, de
                                                    Dans un contexte d’incertitudes,       reconsidérer les décisions en fonc-
         tions à la coopération au sein des
         réseaux urbains et de mobiliser le      de dispersion des ressources, d’in-       tion des variations du stock des
                                                 terdépendances et de perte de légi-                                               4
         plus de ressources. Dans ces pro-                                                 connaissances et ressources finan-
         cessus, l’effet latéral du projet, la   timité des grands récits linéaires de     cières disponibles, en fonction de
         construction de coalition d’acteurs     transformation sociale portés soit        la disponibilité des acteurs, de
         conscients des interdépendances         par les grandes idéologies soit par       l’évolution de l’environnement, de
         qui les lient, devient un objectif      la science, les processus d’élabora-      réinjecter en permanence de nou-
         central du processus (Pinson,           tion des politiques urbaines n’ont        veaux savoirs dans les processus
         2002c).                                 plus pour objectif unique de mettre       d’action.
                                                 en œuvre des objectifs politiques
         Des formes renouvelées d’action                                                      Mais au-delà, ces formes d’ac-
                                                 préétablis (modèle 1 de Lindblom).        tion permettent d’assurer la coopé-
         collective et de construction des
                                                 Ils ont aussi pour vocation de géné-      ration entre acteurs, groupes et
         connaissances pour et dans
                                                 rer des connaissances sur les situa-      institutions et la coordination de
         l’action
                                                 tions à traiter. Ils n’ont plus           leurs activités dans un contexte
            On voit bien que les changements     vocation à mettre en œuvre des            complexe, fragmenté et traversé de
         globaux associés à la globalisation,    mesures politiques correspondant à        réseaux d’interdépendances mul-
         à la construction européenne et à la    un intérêt général substantiel            tiples. Rappelons d’abord que l’on
         recomposition des États génèrent de     adossé à une rationalité politique et     désigne généralement par disposi-
         nouvelles structures de contraintes     (ou) scientifique univoque mais           tifs délibératifs les systèmes de
         et d’opportunités pour l’action col-    davantage à construire des consen-        décision dans lesquels c’est le
         lective au niveau micro. Mais le        sus opératoires acceptables par les       mode de production de la décision
         chantier de la gouvernance ne s’en      parties prenantes à l’action collec-      qui confère sa légitimité à cette
         tient pas à ce constat. Le volet        tive. Dès lors, les choix collectifs et   décision. L’objectif n’est pas
         micro de l’agenda de recherche de       les connaissances sur lesquels s’ap-      d’aboutir à des choix conformes à
         la gouvernance permet d’examiner                                                  une quelconque vérité (politique,
                                                 puient ces choix n’existent pas
         par quels mécanismes concrets ces                                                 scientifique) révélée mais de
                                                 préalablement aux processus d’ac-
         situations d’incertitudes et d’inter-                                             mettre en place des procédures de
                                                 tion collective mais ils sont
         dépendances multiples sont sur-                                                   débats ouvertes, inclusives et équi-
         montées à l’échelle des espaces         construits au fil des processus d’in-
                                                                                           tables qui déboucheront sur des
         locaux. Un premier volet de cet         teractions et des processus délibé-       choix nécessairement imparfaits
         agenda micro consiste à examiner        ratifs permettant de construire, au       mais qui ont le mérite d’être le pro-
         les formes d’action qui permettent      fil d’ajustements mutuels, des            duit de dispositifs d’élaboration
         de générer des mobilisations, de        consensus partiels, des conventions       équitables (Blondiaux et Sintomer,
         l’action collective et une coordina-    autour de connaissances et de             2002). « Le but, indique Elster, est
                                                                                                     †

         tion des activités sociales, mais       choix (Latour, 1991; Crosta, 1998)        d’arriver à une approximation qui
         aussi de créer des connaissances        et se rapprochent ainsi du modèle 2       marche plutôt qu’à la vérité »     †

         pour l’action. Un deuxième volet        de Lindblom.                              (1998 : 9). Par ailleurs, en suivant
                                                                                                 †
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          LIEN   SOCIAL ET   POLITIQUES – RIAC, 50      acteurs doutent de leurs représenta-    dire, non que le commandement
                                                        tions, de leurs intérêts et de leurs    hiérarchique a disparu de la palette
          Le chantier de recherche de la gouvernance
          urbaine et la question de la production des   identités et sont disposés à            des instruments de direction poli-
          savoirs dans et pour l’action                 apprendre dans des dispositifs col-     tique, mais qu’il cohabite sans
                                                        lectifs d’action. Cela ne veut pas      doute de plus en plus avec d’autres
                                                        dire que les acteurs entrent dans       logiques d’intervention étatique.
                                                        l’action débarrassés de tout intérêt    Dès lors, l’implication de ces
                                                        ou visée stratégique, mais que leur     acteurs et groupes dans l’action
                                                        inscription dans les processus d’ac-    collective est de manière croissante
                                                        tion collective ne s’explique pas       conditionnée par l’existence d’un
                                                        uniquement par la volonté d’y voir      « jeu » dans les processus d’action,
                                                                                                 †   †

                                                        triompher leurs intérêts mais égale-    leur permettant de construire eux-
    46
                                                        ment par celle d’y accumuler des        même le sens de leur implication
                                                        ressources cognitives, d’y réassurer    dans ces processus et de se réap-
          Kooiman (2003 : 13), on peut défi-
                                   †                    des représentations, des identités et   proprier ses effets.
          nir les modes d’action interaction-           d’y établir des relations de coopéra-
          nistes comme les formes d’action              tion, garantes d’un apprentissage          Dans les processus de projet, ce
          dans lesquelles les relations d’in-           permanent 4.
                                                                  †                             « jeu » est notamment garanti par le
                                                                                                 †   †

          teraction génèrent des influences                                                     caractère indéterminé des processus
          mutuelles entre deux ou plusieurs                La deuxième raison qui explique      d’action interactionnistes et délibé-
          acteurs ou entités collectives,               le développement de formes d’ac-        ratifs, la perpétuelle révision des
          influences qui peuvent affecter les           tion interactionnistes et délibéra-     décisions et la constante alimenta-
          représentations, intérêts, préfé-             tives est qu’elles ménagent les         tion des processus par de nouvelles
          rences et identités de chacune des            intérêts, les représentations et les
                                                                                                connaissances. Si, aujourd’hui, la
          parties prenantes.                            identités de chacun des acteurs en
                                                                                                planification urbaine se reconfigure
                                                        présence. Par définition une situa-
                                                                                                comme une activité sociale conti-
             Les formes d’action interaction-           tion d’interaction ou un dispositif
                                                                                                nue, au cours de laquelle les choix
          nistes et délibératives se multiplient        délibératif sont des processus dont
                                                                                                ne sont jamais fixés, des connais-
          — nous avons pu l’observer à tra-             l’issue est partiellement indétermi-
                                                                                                sances sont constamment injectées
          vers le cas des projets urbains —             née. Or, un des phénomènes qui
          pour deux types de raisons.                                                           dans le processus d’action et de
                                                        expliquent les problèmes de gouver-
          D’abord, parce qu’elles activent                                                      décision, c’est bien parce que cette
                                                        nabilité des sociétés contempo-
          des processus inscrits dans la durée,         raines est que les acteurs et les       réouverture fréquente des processus
          itératifs, incrémentaux et partielle-         groupes sociaux sont de plus en plus    de construction des connaissances
          ment indéterminés dans leur issue,            réticents aux logiques du comman-       et des choix permet d’impliquer les
          basés sur une production perma-               dement hiérarchique, de l’imposi-       acteurs, de les intéresser, de consti-
          nentes de connaissances dans et               tion de valeurs et de représentations   tuer ainsi des coalitions urbaines
          pour l’action, ces formes d’action            du monde par un tiers institutionnel    pérennes et, au final, de générer de
          génèrent des situations d’apprentis-          jouant, dans un processus d’action      l’action collective.
          sage et de réassurance cognitive à            collective, un rôle d’éducateur ou      — Les vertus instituantes des inter-
          des acteurs confrontés à des incerti-         de tuteur du social. Ils semblent       actions délibératives
          tudes multiples et insérés dans des           pouvoir se conformer d’autant
          systèmes d’interdépendances. Dans             mieux à des règles et des normes          Car le plus étonnant dans ces dis-
          l’environnement peu lisible qui est           de comportement que celles-ci sont      positifs d’action interactionnistes et
          celui des villes confrontées à la glo-        le fruit d’une institutionnalisation    délibératifs, c’est qu’ils ne sont pas
          balisation, la construction euro-             au fil d’interactions sociales et non   synonymes nécessairement de frag-
          péenne et la recomposition des                pas d’une imposition par un tiers       mentation, de dissolution d’une
          États, il est permis de penser que les        coercitif (Calvert, 1995). Cela veut    capacité d’action collective ou du
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         sens de cette action, mais qu’au         convergence des interventions ne         obtenus, à capitaliser les connais-
         contraire ils contribuent à l’institu-   sont plus obtenues par l’inscription     sances accumulées, les normes
         tionnalisation de nouveaux espaces       des acteurs dans des dispositifs         produites par les acteurs au fil de
         politiques, les villes dans le cas qui   réglementaires et des cadres orga-       leurs interactions et à les diffuser
         nous intéresse (Pinson, 2002b). Il       nisationnels formels mais résultent      dans le cadre d’une activité discur-
         est frappant, en effet, de voir que      de la sécrétion par et dans les          sive, le policy discourse (Balducci,
         dans les nouvelles formes d’action       réseaux d’interactions de normes de      2001). L’institutionnalisation par
         publique urbaine telles que les pro-     comportement, d’identités d’action,      les interactions ne peut advenir que
         jets, les processus de mobilisation      de routines, etc. Ces normes, identi-    si, par ailleurs, les acteurs et insti-
         des connaissances et de construc-        tés, routines ne sont pas préalables à   tutions fournissent les situations,
         tion des choix collectifs, d’une         la mise en route du processus de         les cadres institutionnels permet-
         part, et de construction des coali-      projet. La préexistence d’un sys-        tant la capitalisation des connais-       4
         tions d’acteurs, d’autre part, sont      tème normatif risquerait de figer        sances co-construites et leur
         intimement liés. Les choix collec-       l’interaction, voire de dissuader        valorisation, la cristallisation des
         tifs n’ont de pertinence que s’ils       l’entrée d’une pluralité d’acteurs       valeurs, normes et règles de com-
         permettent de construire et de           dans le processus. Les normes d’ac-      portement co-produites et la recon-
         pérenniser des coalitions.               tion sont sécrétées par les interac-     duction des routines de coopération
                                                  tions qui jalonnent le processus de      (March et Olsen, 1995; Kooiman,
            Mais l’intégration des acteurs
                                                  projet. Elles s’apparentent aux          1993). L’action des acteurs et orga-
         urbains dans ces coalitions et
                                                  « contraintes informelles » évo-
                                                   †                           †
                                                                                           nisations publics permet l’accumu-
         réseaux d’acteurs, la stabilisation de
                                                  quées par North (1991 : 40); elles
                                                                           †
                                                                                           lation au fil du temps et la
         rapports de coopération pérennes,
                                                  sont la résultante de la répétition      préservation de ressources — ce
         bref l’institutionnalisation de sys-
                                                  des interactions. Ainsi, des formes      que March et Olsen appellent des
         tèmes d’action à l’échelle des villes
                                                  de construction de l’action collec-      « capacités » 5 (1995 : 91) — dont la
         ne résultent plus tant de la coopta-                                               †         †   †     †

                                                  tive basées sur l’apprentissage et la    production n’est pas l’objectif pre-
         tion de ces acteurs et de leur mise
                                                  construction incrémentale des            mier des acteurs impliqués dans
         en ordre par un tiers coercitif,
                                                  choix au fil des échanges d’infor-       l’interaction. Elle permet la préser-
         l’État ou les collectivités locales,
                                                  mations et de connaissances contri-      vation et la valorisation de ce que
         dans des schémas formels d’orga-
                                                  buent à stabiliser des espaces           sécrètent les interactions sociales :
         nisation. Elles résultent davantage                                                                                    †

                                                  d’action collective.                     des normes de contenus et de com-
         de la production progressive de
         normes de comportement, de règles           Ces logiques d’institutionnalisa-     portement, des routines de coopéra-
         de réciprocité, de routines de coopé-    tion de nouveaux territoires et d’in-    tion, des systèmes de significations
         ration au fil de la densification des    tégration des individus au sein de       communes, une identité partagée.
         réseaux d’interaction qui maille les     ces espaces politiques locaux par        Dans le cas des projets, ce rôle des
         systèmes d’acteurs urbains. Et,          les interactions n’excluent pas des      institutions politiques se traduit
         répétons-le, ces réseaux se densi-       logiques d’institutionnalisation des-    notamment par une activité de por-
         fient d’autant plus que les proces-      cendantes, déterminées par un rap-       tage politique consistant à assurer
         sus d’action qui les mobilisent sont     port aux institutions politiques. Le     la cristallisation d’accords, de
         peu déterminés, qu’ils génèrent des      rôle des acteurs et institutions poli-   normes communes (« la culture du
                                                                                                                    †

         normes plutôt qu’ils ne sont bornés      tiques dans les logiques d’institu-      projet ») à travers la gestion de
                                                                                                 †

         par elles, qu’ils sont l’occasion        tionnalisation reste essentiel mais      documents de planification souples
         d’une production et d’échanges           tend à se déplacer. Il ne consiste       et ouverts à la discussion et à évo-
         continus des connaissances et            plus à organiser les acteurs sociaux     quer sans cesse dans le cadre d’un
         informations et que les acteurs y        autour de projets et de normes           discours les accords obtenus, les
         trouvent des occasions d’apprentis-      d’action préétablis, comme dans le       normes collectivement construites.
         sage et de réassurance cognitive et      modèle 1, mais davantage à               On peut, à la suite de Haumont
         identitaire. La coordination et la       prendre acte des accords partiels        (1993 : 106), définir la gestion poli-
                                                                                                 †
LSP 50   29/06/04        13:34       Page 48

          LIEN   SOCIAL ET   POLITIQUES – RIAC, 50        systèmes d’acteurs concrets.            Critique no 1 : « les analyses de
          Le chantier de recherche de la gouvernance
                                                          L’ingouvernabilité relative, les        la gouvernance manquent de
          urbaine et la question de la production des     incertitudes et interdépendances        fondements empiriques et micro-
          savoirs dans et pour l’action                   multiples qui caractérisent les         sociologiques solides ! »
                                                          contextes d’action contemporains
                                                          modifient les formes de l’agir             Ce premier type de critiques est
                                                          politique, les logiques d’institu-      sans doute le plus fondé des trois.
                                                                                                  Les travaux sur la gouvernance se
                                                          tionnalisation des ensembles
                                                                                                  sont vu souvent reprocher de n’être
                                                          sociopolitiques et les modalités
                                                                                                  pas suffisamment étayés empiri-
                                                          d’intégration des individus et des
                                                                                                  quement et, plus précisément, de
                                                          groupes à ces ensembles. Ces élé-
                                                                                                  manquer de précision microsocio-
    48                                                    ments d’analyse éclairent aussi les
                                                                                                  logique. Ces travaux fourniraient
                                                          mécanismes qui permettent de
                                                                                                  en abondance des macrothéories
                                                          reconstituer une capacité d’action      établissant des liens entre une plu-
          tique du projet comme l’organisa-
                                                          collective et d’intégration des indi-   ralité de phénomènes macro sans
          tion d’une dialectique entre les
                                                          vidus et des groupes dans des           fournir de « logiques d’agence »,
          « horizons d’attente », autrement
            †                             †                                                                      †                    †

          dit les visions globales, les pers-             espaces sociopolitiques pourtant        autrement dit une description des
          pectives lointaines, ce que nous                de plus en plus fragmentés et plu-      logiques d’acteurs et des méca-
          appelons le méta-projet, et les                 ralistes. En s’intéressant aux inter-   nismes d’interactions permettant
          « espaces d’expériences », les opé-
           †                                      †
                                                          actions micro, aux nouveaux             d’établir la corrélation entre ces
          rations ponctuelles, la dimension               modes de production de connais-         phénomènes.
          opérationnelle. Le politique aurait             sances pour et dans l’action, le
                                                          chantier de la gouvernance par-            Pour ce qui concerne le stock des
          ainsi cette fonction d’organiser les
                                                          vient à boucler la boucle et à arti-    travaux sur la gouvernance urbaine
          allers-retours entre ces deux dimen-
                                                          culer des changements globaux           et régionale, il est clair que la majo-
          sions afin, d’une part, d’« empêcher
                                                          avec des changements micro.             rité des recherches situent leur ana-
          les horizons d’attente de “fuir” »,         †

                                                                                                  lyse aux niveaux macro et méso. De
          autrement dit d’éviter que les pros-
                                                          Critiques et consolidation du           nombreux travaux ont porté, par
          pectives ne soient trop lointaines et
                                                          « chantier de la gouvernance »          exemple, sur les conséquences de
          difficilement traduisibles en opéra-
                                                                                                  phénomènes tels que la globalisa-
          tions concrètes et, d’autre part, de               Ce détour par le niveau micro et
                                                                                                  tion, les transformations des sys-
          « résister au “rétrécissement” des
           †
                                                          la question de la production des        tèmes productifs ou encore la
          espaces d’expériences », autrement  †
                                                          connaissances pour l’action per-        construction européenne pour la
          dit de conjurer le risque que le pro-           met en outre d’apporter des             structure des États, les rapports
          jet se noie dans des considérations             réponses à certaines des critiques      entre centres étatiques et périphé-
          procédurières et techniques ou se               adressées à l’approche de la gou-       ries et les hiérarchies territoriales
          perde dans des calculs strictement              vernance. Bien entendu, parmi ces       (Amin et Thrift, 1994; Dunford et
          opportunistes.                                  critiques, certaines sont infondées,    Kafkalas, 1992; Harvey, 1989;
             Ces éléments d’analyse des                   basées sur une lecture partielle,       Jessop, 2000). D’autres, se situant à
          logiques micro de l’action collec-              voire partiale, des travaux effec-      un niveau méso, se sont attachés à
          tive dans les villes viennent utile-            tués dans le sillon de la gouver-       l’analyse des mobilisations territo-
          ment compléter le cadre d’analyse               nance. Mais d’autres permettent de      riales ou aux transformations des
          de la gouvernance. Ils permettent               mettre le doigt sur les impensés ou     relations entre organisations impul-
          de comprendre comment des phé-                  les lacunes de cette approche. Pour     sées par ces transformations glo-
          nomènes de changement macro                     faciliter l’exposé, nous avons          bales (Balme, 1996; Keating, 1998;
          opèrent une influence sur le                    retenu trois types de critiques         Harding, 2000; Le Galès, 2002;
          contexte dans lequel évoluent les               adressées à la gouvernance.             Pierre, 1998). À la lecture de ces
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