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Document generated on 11/22/2021 2:53 a.m. Lien social et Politiques Le chantier de recherche de la gouvernance urbaine et la question de la production des savoirs dans et pour l’action Research on urban governance and knowledge production in and for action Gilles Pinson Société des savoirs, gouvernance et démocratie Article abstract Number 50, Fall 2003 If the concept of governance has been criticized as normative, it is no doubt because the micro level of analysis has been neglected. This gap can be filled by URI: https://id.erudit.org/iderudit/008278ar examining concrete ways in which knowledge is produced in and for action. In DOI: https://doi.org/10.7202/008278ar this way one can understand how macro changes are incorporated into concrete practices. In order to illustrate this point, the article examines urban policies. The field of urban planning has been one in which expert knowledge See table of contents committed to modernization has been particularly important. It is also a field in which such knowledge has been questioned and attacked by those with local knowledge. This area of action clearly reveals a multiplication of and more Publisher(s) complex ways of producing knowledge for action, and yet such change is not necessarily synonymous with democratization or withdrawal from politics. We Lien social et Politiques are seeing a major diversification of forms of knowledge production for action, tied to local political and social conditions. ISSN 1204-3206 (print) 1703-9665 (digital) Explore this journal Cite this article Pinson, G. (2003). Le chantier de recherche de la gouvernance urbaine et la question de la production des savoirs dans et pour l’action. Lien social et Politiques, (50), 39–55. https://doi.org/10.7202/008278ar Tous droits réservés © Lien social et Politiques, 2003 This document is protected by copyright law. Use of the services of Érudit (including reproduction) is subject to its terms and conditions, which can be viewed online. https://apropos.erudit.org/en/users/policy-on-use/ This article is disseminated and preserved by Érudit. Érudit is a non-profit inter-university consortium of the Université de Montréal, Université Laval, and the Université du Québec à Montréal. Its mission is to promote and disseminate research. https://www.erudit.org/en/
LSP 50 29/06/04 13:34 Page 39 Le chantier de recherche de la gouvernance urbaine et la question de la production des savoirs dans et pour l’action Gilles Pinson La gouvernance a mauvaise d’une analyse empiriquement fon- de cette perspective à la science presse. Son usage analytique dans dée; leur traque obsessionnelle du politique. les domaines des sciences du poli- changement social — associée à la tique s’est développé en même Dans l’optique d’une consolida- naïveté sociologique susmention- temps que ses usages normatifs par tion de l’approche de la gouver- née — en ferait même des alliés des acteurs politiques ou des insti- nance, la question de la production objectifs d’un projet hégémonique tutions intimement associées dans des savoirs pour et dans l’action d’adaptation des sociétés contem- les imaginaires à la mondialisation collective nous paraît essentielle. poraines aux canons de la rationa- néolibérale. Dès lors, l’insertion de En effet, jusqu’à récemment, les lité néolibérale. la notion dans le paysage concep- travaux de science politique opé- tuel de la discipline se heurte à de L’objectif de cette contribution 1 † rant dans le cadre programmatique multiples réticences. Le procès qui n’est pas de procéder à une « cri- † de la gouvernance ont permis d’ac- est fait aux utilisateurs du terme de tique de la critique » et de † cumuler des résultats au niveau gouvernance s’apparente à celui reprendre un à un les griefs accu- macro : ils ont notamment permis † qui est fait aux utilisateurs des mulés contre l’usage de la notion de mettre au jour les effets de phé- notions de société du savoir : les † de la gouvernance afin de les neu- nomènes tels que la globalisation, uns comme les autres pêcheraient traliser. Le but de ce texte est la construction européenne, les par angélisme ou naïveté sociolo- davantage de clarifier le projet transformations des systèmes pro- gique en donnant à voir des pro- scientifique qui sous-tend l’usage ductifs sur le rôle des États, sur les cessus d’horizontalisation des de la gouvernance, de perfection- rapports État-société, État-marché, formes de construction de l’action ner ce que nous appellerons le sur les rapports entre les centres collective et des savoirs incorporés « chantier de recherche de la gou- † étatiques et leurs périphéries. Ils dans cette action; leurs construc- vernance » en s’appuyant sur les † ont aussi permis de documenter les tions théoriques relèveraient critiques qui lui sont adressées et manifestations méso correspondant davantage du wishful thinking que de montrer les apports possibles à ces changements globaux : terri- † Lien social et Politiques – RIAC, 50, Société des savoirs, gouvernance et démocratie, Automne 2003, pages 39 à 55.
LSP 50 29/06/04 13:34 Page 40 LIEN SOCIAL ET POLITIQUES – RIAC, 50 Pour développer cette argumenta- dans lequel les acteurs urbains tion, nous nous appuierons sur des agissent, transformations analysées Le chantier de recherche de la gouvernance urbaine et la question de la production des exemples tirés de travaux menés par les travaux sur la gouvernance, savoirs dans et pour l’action sur les transformations des poli- modifient les modalités des inter- tiques urbaines. actions entre acteurs à l’échelle des systèmes d’action concrets. Dans Pour investir ce terrain micro des un contexte d’action débarrassé processus de gouvernance des d’un grand nombre de certitudes villes, il nous paraît utile de repartir scientifiques, l’enjeu de la validité des deux modèles de relations des choix est décentré. Cette vali- connaissance-action politique iden- dité des choix et des connaissances tifiés par Charles E. Lindblom sur lesquelles se basent ces choix 40 (1977 : 247). Dans le modèle 1, † est davantage évaluée à l’aune de celui de l’intellectually guided leur capacité de générer le consen- torialisation de l’action publique; society, les hommes sont réputés sus au fil d’interactions et d’itéra- transformations des rapports entre être dotés d’une capacité de com- tions multiples qu’à celle de leur acteurs, groupes et institutions prendre la réalité et, sur cette base, conformité à une quelconque ratio- dans l’action publique; constitution les institutions politiques sont nalité scientifique et politique pré- de coalitions territoriales et de investies d’un devoir de planifica- définie. Ce qui compte, c’est la réseaux d’acteurs locaux. En tion scientifique du développement capacité des processus de construc- revanche, au niveau micro, force des sociétés. L’organisation sociale tion des choix et de mise en œuvre est de constater que le bilan de la juste est « découverte » par la cogi- † † de ces choix à générer du consen- gouvernance est plus maigre. Le tation d’experts appointés et mise sus, de l’action collective et à volet du chantier de recherche de la en œuvre par les politiques mobiliser des ressources et des gouvernance consacré à l’étude des publiques. À l’inverse, dans le acteurs. mécanismes micro, des logiques modèle 2, on part du principe de d’agence et d’acteurs relayant les l’incapacité de l’homme à com- Dans un premier temps, nous transformations macro et méso prendre la complexité du monde. verrons comment précisément se citées plus haut à l’échelle des sys- Toute théorie est partielle et consti- construisent les choix collectifs et tèmes d’action concrets a été tue donc une source imparfaite pour les connaissances qui fondent ces encore peu investi. guider l’action. L’organisation choix au sein des dispositifs et pro- sociale est affaire de politique et cessus de gouvernance urbaine. Cet article fait donc le pari qu’il non de science, elle est donc le fruit Nous essaierons d’examiner éga- est possible de « boucler la boucle » † † d’un choix forcément contingent lement le rôle que les acteurs et de la gouvernance en développant opéré au terme d’une série d’inter- institutions politiques jouent dans le volet micro de l’agenda de actions et non d’une découverte ces processus. Cette nouvelle éco- recherche de la gouvernance et, scientifique. nomie de la production des notamment, en entreprenant des connaissances et des interactions analyses sur la manière dont sont Les observations que nous politiques autour de ces processus produites les connaissances dans et avons pu faire dans le cadre d’une de production nous semble venir pour l’action publique. En articu- thèse consacrée aux projets utilement compléter le projet lant cette analyse micro aux volets urbains (Pinson, 2002a) tendent à scientifique de la gouvernance. d’analyse macro et méso, on pour- montrer que, dans le cadre de ces Dans une deuxième partie, nous rait alors mieux fonder empirique- processus de projets, les modes de verrons comment ce volet micro ment les constats de recomposition construction des connaissances et du chantier de recherche de la de l’État et de l’agir étatique sur des choix collectifs se rapprochent gouvernance permet de répondre à lesquels les travaux sur la gouver- du modèle 2 de Lindblom. Les certaines des critiques adressées à nance débouchent généralement. transformations du contexte macro cette perspective de recherche.
LSP 50 29/06/04 13:34 Page 41 Le « chantier de la d’action de l’État et des formes que affecte à la fois les sphères des acti- gouvernance » et la question de prennent les rapports politiques et vités politiques, économiques et la production des connaissances sociaux. Ils font notamment l’hypo- sociales — de transformation des pour l’action thèse que la période actuelle, carac- modes de coordination de l’action térisée par des phénomènes majeurs collective et d’intégration des indivi- La gouvernance ne se résume pas tels que la globalisation, la mutation dus et des groupes dans l’action à une série d’affirmations vagues des systèmes productifs et de leurs (Veltz, 1994, 2000; Crouch et sur des phénomènes généraux tels formes d’encastrement territorial, la Streeck, 1996; Trigilia, 2001). Afin que la globalisation, la transforma- recomposition des États-nations et la de mieux comprendre les transfor- tion des systèmes productifs, la construction européenne, est poten- mations de l’agir politique, la gou- montée des ordres politiques supra- tiellement porteuse de processus de vernance ne répugne pas, ainsi, à nationaux et l’affaiblissement des redistribution de l’autorité politique utiliser un raisonnement par analo- espaces politiques nationaux. Si elle 4 entre niveaux politiques et territo- gie et à observer comment, par prend au sérieux l’idée que ces phé- riaux et des modes d’expression de exemple, des évolutions dans les nomènes peuvent influer sur les cette autorité politique. Dans le cas formes de production de la connais- interactions politiques et les modes des villes, cette période peut repré- sance pour l’action dans la sphère d’exercice de l’autorité politiques, senter un « intermède historique » † † productive peuvent trouver des évo- elle n’en reste pas là. Le chantier (Bagnasco et Le Galès, 1997) leur lutions équivalentes dans le domaine de la gouvernance permet aussi de permettant de devenir des espaces de l’action publique ou dans les pro- décortiquer les phénomènes micro, politiques à l’échelle desquels une cessus de mobilisation collective. les logiques d’agence par lesquels capacité de structurer et de réguler ces phénomènes globaux influent les conflits sociopolitiques peut se Ces deux éléments de filiation au niveau des systèmes d’action structurer. rendent les chercheurs opérant dans concrets. Ce cadre d’analyse per- le cadre du chantier de recherche de met notamment de voir comment Il existe également une très nette la gouvernance particulièrement ces changements macro ont un filiation entre l’approche de la gou- sensibles à plusieurs types d’évolu- vernance et l’économie politique. tions qui peuvent avoir un impact impact sur la manière dont les Même si, dans ces deux perspectives direct sur les formes de production connaissances sont produites pour d’analyse, les formes de l’action des choix et des connaissances sur et dans l’action. politique se voient reconnaître des lesquels se fonde l’action collective La filiation du « chantier de la logiques propres, des propriétés par- urbaine. Nous voudrions insister ici gouvernance » ticulières et une certaine inertie par sur trois éléments de changements rapport à des processus de change- politiques et sociaux qui peuvent Le chantier de la gouvernance se ment de l’environnement écono- avoir une influence sur les rapports situe, bien que parfois de manière mique et social dans lequel elles entre les acteurs de l’action collec- trop implicite, dans le sillon d’un interviennent, elles sont toutefois tive au niveau micro et, notamment, certain nombre de traditions de nécessairement liées et partiellement sur la manière dont sont construites recherche. D’abord, la gouvernance dépendantes de cet environnement. les connaissances sur la base des- doit être classée parmi les approches L’action politique est vue dans ces quelles sont construits les choix sociologiques ayant pour parti-pris perspectives comme une forme collectifs. de traquer des éléments de change- d’action sociale parmi d’autres et, en ment social. À la suite des travaux conséquence, subissant le même Ingouvernabilité, incertitudes, classiques de sociologie historique type d’influence que tout autre type interdépendances de l’État (Elias, 1975; Badie et d’activités sociales. Dès lors la — Ingouvernabilité Birnbaum, 1991; Tilly, 1992), les recomposition de l’État et du gou- auteurs opérant au sein de ce pro- vernement politique est appréhen- Un premier type d’évolutions gramme de recherche postulent dée comme un aspect d’un qui pose des problèmes concrets l’historicité des structures et modes mouvement plus général — qui pour l’action collective dans les
LSP 50 29/06/04 13:34 Page 42 LIEN SOCIAL ET POLITIQUES – RIAC, 50 légitimité des grands discours — planification se reconfigure modernisateurs notamment — por- comme une activité sociale conti- Le chantier de recherche de la gouvernance urbaine et la question de la production des tés par les institutions politiques, nue permettant le développement, savoirs dans et pour l’action des savoirs institués et des connais- dans le cadre d’un tissu d’interac- sances expertes tirant leur force de tions, d’une raison intersubjective leur articulation à un intérêt géné- et la construction de consensus ral substantiel. Cette remise en opératoires réappropriables par question est très nette dans les l’ensemble des acteurs (Healey, domaines de l’urbanisme, de 1996; Chalas, 1998). l’aménagement et de l’environne- ment. Les opérations sont confron- — Incertitudes tées à des phénomènes de L’environnement dans lequel les 42 mobilisation, dits NIMBY, contes- acteurs, groupes et institutions tant la rationalité des experts et urbains ont à prendre des décisions villes est relatif à ce que certains revendiquant la légitimité des et à construire les connaissances qui auteurs ont décrit comme l’ingou- savoirs tirés d’un rapport intime instruiront ces décisions est égale- vernabilité des sociétés contempo- avec l’environnement naturel ou ment caractérisé par de nombreuses raines (Leca et Papini, 1985; construit (Jobert, 1998). incertitudes (Callon et al., 2001) : † Mayntz, 1993; CURAPP, 1996). Dans le cadre des projets incertitudes quant au contexte dans Cette idée d’ingouvernabilité ne urbains, ces décalages entre savoirs lequel l’action doit être menée; renvoie pas tant à une désintégra- experts et savants, d’une part, et incertitudes quant aux ressources tion des sociétés contemporaines qu’à une situation dans laquelle savoirs indigènes, d’autre part, ne disponibles pour mener à bien cette l’autonomisation des groupes se résolvent pas uniquement dans action; incertitudes, enfin, quant sociaux, leur réticence croissante à des rapports de force mettant aux aux buts mêmes de l’action. se laisser dicter leurs préférences et prises des visions du monde et des connaissances concurrentes. Ils Cette situation d’incertitudes leurs actions, l’hétérogénéisation multiples n’est pas nouvelle, elle des demandes sociales et des sys- amènent également les acteurs à rechercher dans leurs interactions était déjà au cœur de l’analyse stra- tèmes de valeurs rendraient de plus tégique conduite par les socio- en plus difficile le recours exclusif à concrètes de nouvelles formula- tions des enjeux et des problèmes, logues des organisations, qui en des formes de gouvernement basées faisaient le lot commun de toute sur l’imposition réglementaire et le de nouvelles connaissances, des réassurances cognitives et, égale- forme d’action collective (Crozier commandement hiérarchique. Cela et Friedberg, 1977; Friedberg, ne veut pas dire que cette dimension ment, la possibilité de construire une raison intersubjective. Dès lors, 1993). Mais cette situation d’incer- de l’activité de direction politique titude est sans doute accentuée — institutionnelle et intégrative — les processus de construction des projets urbains ne sont plus néces- dans le cas des politiques urbaines a disparu mais qu’elle doit de plus et des opérations d’urbanisme. Le en plus cohabiter avec des formes sairement prédéterminés par la vision de l’intérêt public portée par contexte dans lequel ces politiques de conduite des politiques et d’in- les seuls experts appointés et élus sont conduites a été transformé par tégration des sociétés — échan- mandatés; ils peuvent aussi devenir une série de bouleversements. Les gistes et agrégatives — basées sur des arènes de médiation, d’explici- privatisations, les concentrations, la négociation, la contractualisa- tation des conflits, d’apprentissage, l’ouverture des marchés et les tion et les ajustements mutuels de compréhension mutuelle des dif- transformations des procès produc- (March et Olsen, 1996; Leca, férents intérêts en présence, de tifs ont débouché sur une redéfini- 1996b; Kooiman, 2003). construction et d’appropriation col- tion radicale des rapports de Un corollaire de cette situation lectives des problèmes et des solu- l’économie aux territoires locaux. d’ingouvernabilité est la crise de tions. Autour des projets, la Ces rapports sont de moins en
LSP 50 29/06/04 13:34 Page 43 moins médiatisés par les États, urbains ou zones industrielles — l’on n’a pas, dès le départ, toutes dont les politiques d’aménagement déjà construits et dont la puissance les cartes en main et notamment du territoire et de décentralisation publique n’est pas propriétaire toutes les connaissances à disposi- industrielle tendent à se réduire à unique. Sur ces espaces, les antici- tion ? Comment fixer des orienta- † peau de chagrin. Les États, s’ils pations foncières sont difficiles et tions capables de donner une opèrent toujours un rôle de péré- rendent donc les temporalités du cohérence à l’action d’une pluralité quation à travers les politiques de projet peu maîtrisables. Une autre d’acteurs tout en sachant que ces transferts sociaux et la présence source d’incertitude est celle rela- orientations peuvent être remises des services publics, sont, en tive au stock des ressources dispo- en cause par l’évolution du revanche, bien en peine de définir nibles pour la mise en œuvre des contexte et du stock des ressources des stratégies pour les régions et projets. Les ressources financières, disponibles ? † les villes. Ces stratégies écono- politiques, d’expertise sont disper- L’analyse des pratiques de pro- 4 miques et projets de développe- sées. L’État n’est plus en situation ment et les connaissances qui les de monopole des ressources d’ex- jets urbains montre que les acteurs instruisent ne peuvent plus être pertise, financières et de légitimité tendent de plus en plus à mettre en produits que localement sur la base politique. De nouveaux acteurs, place des dispositifs d’action mar- de savoirs balbutiants, d’une groupes et institutions (chambres qués par un incrémentalisme expertise limitée et d’une connais- consulaires, organisations patro- assumé, dans lesquels les situations sance partielle des contextes d’ac- nales, ports, universités, associa- d’interactions sont multipliées afin tion (Béhar et Estèbe, 1998). tions environnementalistes, etc.) de faire émerger de nouveaux pro- sont apparus, qui peuvent faire blèmes, de nouvelles connaissances Ces incertitudes sont également valoir ce type de ressources. Par et de nouvelles solutions poten- criantes dans le cas des grandes ailleurs, les processus de transfor- tielles, dans lesquels les situations opérations d’urbanisme (Pinson, mation que ces projets urbains acti- de choix sont elles aussi démulti- 2002a; Chadoin et al., 2000). On a vent s’inscrivent nécessairement pliées et non plus réduites à un vu récemment un nombre croissant dans des temporalités de moyen ou unique moment séminal de « déci-† de villes se lancer dans ces grands long terme. Ces temporalités dila- sion » (Sfez, 1981). Dans ces dispo- † projets urbains qui ont vocation à tées impliquent forcément une évo- sitifs, les choix et les consensus la fois de régénérer de vastes espaces ayant souffert du démantè- lution du stock des ressources construits autour de ces choix sont lement des activités industrielles disponibles, exprimées en fonds toujours temporaires, susceptibles ou portuaires et de doter ces villes financiers, en acteurs mobilisables, d’amendements au cours d’épi- d’équipements, d’infrastructures en capacités organisationnelles, sodes ultérieurs d’interactions. La ou de quartiers prestigieux pour mais aussi en termes de connais- démarche de projet fournit un bon faire face à une compétition territo- sances. Ces connaissances, sont exemple de ces formes d’action où riale croissante. Pour mener à bien « produites » pendant et dans l’ac- † † les connaissances sont produites ces projets, les acteurs urbains doi- tion autant qu’elles sont « réunies » † † tout au long du processus d’action vent naviguer entre une pluralité avant le passage à l’action. Il ne et incorporées en flux continu dans d’incertitudes, armés de connais- s’agit plus ici de décider au des processus de décision temporel- sances bien souvent limitées. Ces moment t, en fonction d’un stock lement dilatés (Crosta, 1998). projets entendent réinscrire des certain de ressources réunies à ce « Tout projet, indique Jean-Pierre † portions du territoire urbain dans moment t, mais de démultiplier les Boutinet, à travers l’identification des mécanismes des marchés moments de décision et de les faire d’un futur souhaité et des moyens immobilier et industriel dont les correspondre à des moments de propres à le faire advenir, se fixe un évolutions sont peu prévisibles et vérification des ressources 2. Enfin, † certain horizon temporel à l’inté- que, surtout, les villes ne maîtrisent un dernier type d’incertitudes est rieur duquel il évolue. » C’est pour- † pas. Ils interviennent souvent sur relatif aux fins même des projets. quoi, poursuit-il, le projet ne peut des morceaux de villes — quartiers Comment bien décider dès lors que être que « partiellement déter- †
LSP 50 29/06/04 13:34 Page 44 LIEN SOCIAL ET POLITIQUES – RIAC, 50 s’autolimitent et cherchent à conduite des politiques urbaines, s’ajuster aux connaissances et pré- mais également des ressources Le chantier de recherche de la gouvernance urbaine et la question de la production des férences des autres, conscients telles que l’expertise et les connais- savoirs dans et pour l’action qu’ils sont du caractère partiel et sances ou encore la légitimité à partial de leurs valeurs et connais- énoncer le sens de l’action collec- sances (Cohen, 1985). Les disposi- tive. « Aucun acteur, indique † tifs interactifs d’action collective Kooiman (2003 : 11), public ou † tels que les démarches de projet privé, ne dispose du savoir et des offrent justement un espace à ces informations requis pour résoudre logiques d’apprentissage et d’ajus- des défis sociétaux complexes, tement réciproque. dynamiques et diversifiés; aucun acteur ne dispose d’une vision 44 — Interdépendances générale suffisante pour mettre en Enfin, les acteurs interagissant œuvre seul des instruments d’action miné », « jamais totalement réalisé, † † efficaces; aucun acteur n’a la capa- dans le cadre de processus d’action toujours à reprendre » (1993 : 77) 3. † † † cité d’action suffisante pour domi- collective sont également de plus ner de manière unilatérale. » Cette † Cette situation d’incertitudes en plus interdépendants et tendent situation est accentuée dans le cas multiples a des conséquences, on le à reconnaître cette interdépen- des villes françaises par la perte de voit, sur la nature des processus dance. Cette situation d’interdé- capacité de l’État à jouer un rôle d’action collective, qui se rappro- pendances objectives et multiples d’arbitre et à mettre en ordre les chent toujours plus du modèle 2 de tend, elle aussi, à modifier considé- acteurs locaux en tranchant les Lindblom; elle en a aussi sur les rablement le type d’interactions qui conflits, en distribuant les res- acteurs pris individuellement et la constituent l’action collective. sources ou en légitimant certains manière dont ils se positionnent Cette situation d’interdépen- acteurs. dans ces processus. Les acteurs n’entrent pas dans des processus dances multiples est particulière- Cette situation de fragmentation d’action collective armés d’inté- ment nette à l’échelle des villes et institutionnelle et de dispersion des rêts, de valeurs et de connais- dans le cadre des politiques ressources n’est pas nécessaire- sances durablement stabilisés et urbaines. Les acteurs, groupes et ment synonyme d’incapacité d’ac- qui seraient injectés dans ces pro- institutions intervenant dans ces tion ou de développement d’une cessus tels des intrants isolables et politiques sont de plus en plus nom- situation de compétition générali- inaltérables. Ils y entrent aussi dans breux. Parmi ces acteurs, groupes et sée entre les acteurs. Elle peut, au le but d’y obtenir des réassurances institutions, nombreux sont ceux contraire, et dans certaines condi- cognitives, afin de s’intégrer dans qui sont capables — ou contraints tions qu’il faut analyser, générer des systèmes d’action collective — de construire leur propre straté- chez les acteurs des dispositions à leur permettant, par la coopération gie (c’est le cas, par exemple, des la coopération et à l’articulation et la co-construction des problèmes ports et universités, qui tendent de des ressources, et constituer une et des solutions, de mieux maîtri- plus en plus à sortir d’un simple rôle incitation à la stabilisation de dis- ser les contextes incertains. Cela de prestataires de services pour positifs coopératifs dans l’action ne veut pas dire que les rapports devenir des acteurs porteurs de pro- publique. Les processus de projets de force et les conflits ont disparu jet et participant à des coalitions ter- urbains sont de bons révélateurs des processus d’action collective, ritoriales). Cette multiplication des des comportements des acteurs et mais qu’ils coexistent de plus en acteurs s’accompagne d’un phéno- des mécanismes d’interactions que plus avec des types d’interactions mène de dispersion des ressources. suscite cette situation d’interdépen- sociales davantage orientés vers Cette dispersion des ressources ne dances multiples. Ces processus l’apprentissage et l’ajustement concerne pas uniquement les res- ont souvent explicitement pour mutuel, dans lesquels les acteurs sources financières nécessaires à la ambition autant de générer la créa-
LSP 50 29/06/04 13:34 Page 45 tion de systèmes d’acteurs urbains se penchera, lui, sur la manière Pourquoi ces dispositifs interac- pérennes que de déboucher sur des dont ces formes d’action permet- tifs et délibératifs sont-ils de plus opérations concrètes. Leur carac- tent d’intégrer les acteurs dans des en plus prisés dans les politiques tère partiellement déterminé, incré- systèmes d’acteurs, voire de créer urbaines ? D’abord, parce que dans † mental permet à chaque étape de des espaces politiques dotés de le contexte actuel des politiques vérifier que tel ou tel objectif com- modes de régulation propres. urbaines, dans lequel les choix col- mun permet de mobiliser et d’arti- lectifs doivent sans cesse être remis culer le maximum de ressources. — Le recours à des modes d’action sur le métier, ces dispositifs per- Les choix sont jugés à l’aune de interactionnistes et délibératifs mettent de réarticuler en perma- leur capacité de créer des disposi- nence choix et ressources, de Dans un contexte d’incertitudes, reconsidérer les décisions en fonc- tions à la coopération au sein des réseaux urbains et de mobiliser le de dispersion des ressources, d’in- tion des variations du stock des terdépendances et de perte de légi- 4 plus de ressources. Dans ces pro- connaissances et ressources finan- cessus, l’effet latéral du projet, la timité des grands récits linéaires de cières disponibles, en fonction de construction de coalition d’acteurs transformation sociale portés soit la disponibilité des acteurs, de conscients des interdépendances par les grandes idéologies soit par l’évolution de l’environnement, de qui les lient, devient un objectif la science, les processus d’élabora- réinjecter en permanence de nou- central du processus (Pinson, tion des politiques urbaines n’ont veaux savoirs dans les processus 2002c). plus pour objectif unique de mettre d’action. en œuvre des objectifs politiques Des formes renouvelées d’action Mais au-delà, ces formes d’ac- préétablis (modèle 1 de Lindblom). tion permettent d’assurer la coopé- collective et de construction des Ils ont aussi pour vocation de géné- ration entre acteurs, groupes et connaissances pour et dans rer des connaissances sur les situa- institutions et la coordination de l’action tions à traiter. Ils n’ont plus leurs activités dans un contexte On voit bien que les changements vocation à mettre en œuvre des complexe, fragmenté et traversé de globaux associés à la globalisation, mesures politiques correspondant à réseaux d’interdépendances mul- à la construction européenne et à la un intérêt général substantiel tiples. Rappelons d’abord que l’on recomposition des États génèrent de adossé à une rationalité politique et désigne généralement par disposi- nouvelles structures de contraintes (ou) scientifique univoque mais tifs délibératifs les systèmes de et d’opportunités pour l’action col- davantage à construire des consen- décision dans lesquels c’est le lective au niveau micro. Mais le sus opératoires acceptables par les mode de production de la décision chantier de la gouvernance ne s’en parties prenantes à l’action collec- qui confère sa légitimité à cette tient pas à ce constat. Le volet tive. Dès lors, les choix collectifs et décision. L’objectif n’est pas micro de l’agenda de recherche de les connaissances sur lesquels s’ap- d’aboutir à des choix conformes à la gouvernance permet d’examiner une quelconque vérité (politique, puient ces choix n’existent pas par quels mécanismes concrets ces scientifique) révélée mais de préalablement aux processus d’ac- situations d’incertitudes et d’inter- mettre en place des procédures de tion collective mais ils sont dépendances multiples sont sur- débats ouvertes, inclusives et équi- montées à l’échelle des espaces construits au fil des processus d’in- tables qui déboucheront sur des locaux. Un premier volet de cet teractions et des processus délibé- choix nécessairement imparfaits agenda micro consiste à examiner ratifs permettant de construire, au mais qui ont le mérite d’être le pro- les formes d’action qui permettent fil d’ajustements mutuels, des duit de dispositifs d’élaboration de générer des mobilisations, de consensus partiels, des conventions équitables (Blondiaux et Sintomer, l’action collective et une coordina- autour de connaissances et de 2002). « Le but, indique Elster, est † tion des activités sociales, mais choix (Latour, 1991; Crosta, 1998) d’arriver à une approximation qui aussi de créer des connaissances et se rapprochent ainsi du modèle 2 marche plutôt qu’à la vérité » † pour l’action. Un deuxième volet de Lindblom. (1998 : 9). Par ailleurs, en suivant †
LSP 50 29/06/04 13:34 Page 46 LIEN SOCIAL ET POLITIQUES – RIAC, 50 acteurs doutent de leurs représenta- dire, non que le commandement tions, de leurs intérêts et de leurs hiérarchique a disparu de la palette Le chantier de recherche de la gouvernance urbaine et la question de la production des identités et sont disposés à des instruments de direction poli- savoirs dans et pour l’action apprendre dans des dispositifs col- tique, mais qu’il cohabite sans lectifs d’action. Cela ne veut pas doute de plus en plus avec d’autres dire que les acteurs entrent dans logiques d’intervention étatique. l’action débarrassés de tout intérêt Dès lors, l’implication de ces ou visée stratégique, mais que leur acteurs et groupes dans l’action inscription dans les processus d’ac- collective est de manière croissante tion collective ne s’explique pas conditionnée par l’existence d’un uniquement par la volonté d’y voir « jeu » dans les processus d’action, † † triompher leurs intérêts mais égale- leur permettant de construire eux- 46 ment par celle d’y accumuler des même le sens de leur implication ressources cognitives, d’y réassurer dans ces processus et de se réap- Kooiman (2003 : 13), on peut défi- † des représentations, des identités et proprier ses effets. nir les modes d’action interaction- d’y établir des relations de coopéra- nistes comme les formes d’action tion, garantes d’un apprentissage Dans les processus de projet, ce dans lesquelles les relations d’in- permanent 4. † « jeu » est notamment garanti par le † † teraction génèrent des influences caractère indéterminé des processus mutuelles entre deux ou plusieurs La deuxième raison qui explique d’action interactionnistes et délibé- acteurs ou entités collectives, le développement de formes d’ac- ratifs, la perpétuelle révision des influences qui peuvent affecter les tion interactionnistes et délibéra- décisions et la constante alimenta- représentations, intérêts, préfé- tives est qu’elles ménagent les tion des processus par de nouvelles rences et identités de chacune des intérêts, les représentations et les connaissances. Si, aujourd’hui, la parties prenantes. identités de chacun des acteurs en planification urbaine se reconfigure présence. Par définition une situa- comme une activité sociale conti- Les formes d’action interaction- tion d’interaction ou un dispositif nue, au cours de laquelle les choix nistes et délibératives se multiplient délibératif sont des processus dont ne sont jamais fixés, des connais- — nous avons pu l’observer à tra- l’issue est partiellement indétermi- sances sont constamment injectées vers le cas des projets urbains — née. Or, un des phénomènes qui pour deux types de raisons. dans le processus d’action et de expliquent les problèmes de gouver- D’abord, parce qu’elles activent décision, c’est bien parce que cette nabilité des sociétés contempo- des processus inscrits dans la durée, raines est que les acteurs et les réouverture fréquente des processus itératifs, incrémentaux et partielle- groupes sociaux sont de plus en plus de construction des connaissances ment indéterminés dans leur issue, réticents aux logiques du comman- et des choix permet d’impliquer les basés sur une production perma- dement hiérarchique, de l’imposi- acteurs, de les intéresser, de consti- nentes de connaissances dans et tion de valeurs et de représentations tuer ainsi des coalitions urbaines pour l’action, ces formes d’action du monde par un tiers institutionnel pérennes et, au final, de générer de génèrent des situations d’apprentis- jouant, dans un processus d’action l’action collective. sage et de réassurance cognitive à collective, un rôle d’éducateur ou — Les vertus instituantes des inter- des acteurs confrontés à des incerti- de tuteur du social. Ils semblent actions délibératives tudes multiples et insérés dans des pouvoir se conformer d’autant systèmes d’interdépendances. Dans mieux à des règles et des normes Car le plus étonnant dans ces dis- l’environnement peu lisible qui est de comportement que celles-ci sont positifs d’action interactionnistes et celui des villes confrontées à la glo- le fruit d’une institutionnalisation délibératifs, c’est qu’ils ne sont pas balisation, la construction euro- au fil d’interactions sociales et non synonymes nécessairement de frag- péenne et la recomposition des pas d’une imposition par un tiers mentation, de dissolution d’une États, il est permis de penser que les coercitif (Calvert, 1995). Cela veut capacité d’action collective ou du
LSP 50 29/06/04 13:34 Page 47 sens de cette action, mais qu’au convergence des interventions ne obtenus, à capitaliser les connais- contraire ils contribuent à l’institu- sont plus obtenues par l’inscription sances accumulées, les normes tionnalisation de nouveaux espaces des acteurs dans des dispositifs produites par les acteurs au fil de politiques, les villes dans le cas qui réglementaires et des cadres orga- leurs interactions et à les diffuser nous intéresse (Pinson, 2002b). Il nisationnels formels mais résultent dans le cadre d’une activité discur- est frappant, en effet, de voir que de la sécrétion par et dans les sive, le policy discourse (Balducci, dans les nouvelles formes d’action réseaux d’interactions de normes de 2001). L’institutionnalisation par publique urbaine telles que les pro- comportement, d’identités d’action, les interactions ne peut advenir que jets, les processus de mobilisation de routines, etc. Ces normes, identi- si, par ailleurs, les acteurs et insti- des connaissances et de construc- tés, routines ne sont pas préalables à tutions fournissent les situations, tion des choix collectifs, d’une la mise en route du processus de les cadres institutionnels permet- part, et de construction des coali- projet. La préexistence d’un sys- tant la capitalisation des connais- 4 tions d’acteurs, d’autre part, sont tème normatif risquerait de figer sances co-construites et leur intimement liés. Les choix collec- l’interaction, voire de dissuader valorisation, la cristallisation des tifs n’ont de pertinence que s’ils l’entrée d’une pluralité d’acteurs valeurs, normes et règles de com- permettent de construire et de dans le processus. Les normes d’ac- portement co-produites et la recon- pérenniser des coalitions. tion sont sécrétées par les interac- duction des routines de coopération tions qui jalonnent le processus de (March et Olsen, 1995; Kooiman, Mais l’intégration des acteurs projet. Elles s’apparentent aux 1993). L’action des acteurs et orga- urbains dans ces coalitions et « contraintes informelles » évo- † † nisations publics permet l’accumu- réseaux d’acteurs, la stabilisation de quées par North (1991 : 40); elles † lation au fil du temps et la rapports de coopération pérennes, sont la résultante de la répétition préservation de ressources — ce bref l’institutionnalisation de sys- des interactions. Ainsi, des formes que March et Olsen appellent des tèmes d’action à l’échelle des villes de construction de l’action collec- « capacités » 5 (1995 : 91) — dont la ne résultent plus tant de la coopta- † † † † tive basées sur l’apprentissage et la production n’est pas l’objectif pre- tion de ces acteurs et de leur mise construction incrémentale des mier des acteurs impliqués dans en ordre par un tiers coercitif, choix au fil des échanges d’infor- l’interaction. Elle permet la préser- l’État ou les collectivités locales, mations et de connaissances contri- vation et la valorisation de ce que dans des schémas formels d’orga- buent à stabiliser des espaces sécrètent les interactions sociales : nisation. Elles résultent davantage † d’action collective. des normes de contenus et de com- de la production progressive de normes de comportement, de règles Ces logiques d’institutionnalisa- portement, des routines de coopéra- de réciprocité, de routines de coopé- tion de nouveaux territoires et d’in- tion, des systèmes de significations ration au fil de la densification des tégration des individus au sein de communes, une identité partagée. réseaux d’interaction qui maille les ces espaces politiques locaux par Dans le cas des projets, ce rôle des systèmes d’acteurs urbains. Et, les interactions n’excluent pas des institutions politiques se traduit répétons-le, ces réseaux se densi- logiques d’institutionnalisation des- notamment par une activité de por- fient d’autant plus que les proces- cendantes, déterminées par un rap- tage politique consistant à assurer sus d’action qui les mobilisent sont port aux institutions politiques. Le la cristallisation d’accords, de peu déterminés, qu’ils génèrent des rôle des acteurs et institutions poli- normes communes (« la culture du † normes plutôt qu’ils ne sont bornés tiques dans les logiques d’institu- projet ») à travers la gestion de † par elles, qu’ils sont l’occasion tionnalisation reste essentiel mais documents de planification souples d’une production et d’échanges tend à se déplacer. Il ne consiste et ouverts à la discussion et à évo- continus des connaissances et plus à organiser les acteurs sociaux quer sans cesse dans le cadre d’un informations et que les acteurs y autour de projets et de normes discours les accords obtenus, les trouvent des occasions d’apprentis- d’action préétablis, comme dans le normes collectivement construites. sage et de réassurance cognitive et modèle 1, mais davantage à On peut, à la suite de Haumont identitaire. La coordination et la prendre acte des accords partiels (1993 : 106), définir la gestion poli- †
LSP 50 29/06/04 13:34 Page 48 LIEN SOCIAL ET POLITIQUES – RIAC, 50 systèmes d’acteurs concrets. Critique no 1 : « les analyses de Le chantier de recherche de la gouvernance L’ingouvernabilité relative, les la gouvernance manquent de urbaine et la question de la production des incertitudes et interdépendances fondements empiriques et micro- savoirs dans et pour l’action multiples qui caractérisent les sociologiques solides ! » contextes d’action contemporains modifient les formes de l’agir Ce premier type de critiques est politique, les logiques d’institu- sans doute le plus fondé des trois. Les travaux sur la gouvernance se tionnalisation des ensembles sont vu souvent reprocher de n’être sociopolitiques et les modalités pas suffisamment étayés empiri- d’intégration des individus et des quement et, plus précisément, de groupes à ces ensembles. Ces élé- manquer de précision microsocio- 48 ments d’analyse éclairent aussi les logique. Ces travaux fourniraient mécanismes qui permettent de en abondance des macrothéories reconstituer une capacité d’action établissant des liens entre une plu- tique du projet comme l’organisa- collective et d’intégration des indi- ralité de phénomènes macro sans tion d’une dialectique entre les vidus et des groupes dans des fournir de « logiques d’agence », « horizons d’attente », autrement † † † † dit les visions globales, les pers- espaces sociopolitiques pourtant autrement dit une description des pectives lointaines, ce que nous de plus en plus fragmentés et plu- logiques d’acteurs et des méca- appelons le méta-projet, et les ralistes. En s’intéressant aux inter- nismes d’interactions permettant « espaces d’expériences », les opé- † † actions micro, aux nouveaux d’établir la corrélation entre ces rations ponctuelles, la dimension modes de production de connais- phénomènes. opérationnelle. Le politique aurait sances pour et dans l’action, le chantier de la gouvernance par- Pour ce qui concerne le stock des ainsi cette fonction d’organiser les vient à boucler la boucle et à arti- travaux sur la gouvernance urbaine allers-retours entre ces deux dimen- culer des changements globaux et régionale, il est clair que la majo- sions afin, d’une part, d’« empêcher avec des changements micro. rité des recherches situent leur ana- les horizons d’attente de “fuir” », † lyse aux niveaux macro et méso. De autrement dit d’éviter que les pros- Critiques et consolidation du nombreux travaux ont porté, par pectives ne soient trop lointaines et « chantier de la gouvernance » exemple, sur les conséquences de difficilement traduisibles en opéra- phénomènes tels que la globalisa- tions concrètes et, d’autre part, de Ce détour par le niveau micro et tion, les transformations des sys- « résister au “rétrécissement” des † la question de la production des tèmes productifs ou encore la espaces d’expériences », autrement † connaissances pour l’action per- construction européenne pour la dit de conjurer le risque que le pro- met en outre d’apporter des structure des États, les rapports jet se noie dans des considérations réponses à certaines des critiques entre centres étatiques et périphé- procédurières et techniques ou se adressées à l’approche de la gou- ries et les hiérarchies territoriales perde dans des calculs strictement vernance. Bien entendu, parmi ces (Amin et Thrift, 1994; Dunford et opportunistes. critiques, certaines sont infondées, Kafkalas, 1992; Harvey, 1989; Ces éléments d’analyse des basées sur une lecture partielle, Jessop, 2000). D’autres, se situant à logiques micro de l’action collec- voire partiale, des travaux effec- un niveau méso, se sont attachés à tive dans les villes viennent utile- tués dans le sillon de la gouver- l’analyse des mobilisations territo- ment compléter le cadre d’analyse nance. Mais d’autres permettent de riales ou aux transformations des de la gouvernance. Ils permettent mettre le doigt sur les impensés ou relations entre organisations impul- de comprendre comment des phé- les lacunes de cette approche. Pour sées par ces transformations glo- nomènes de changement macro faciliter l’exposé, nous avons bales (Balme, 1996; Keating, 1998; opèrent une influence sur le retenu trois types de critiques Harding, 2000; Le Galès, 2002; contexte dans lequel évoluent les adressées à la gouvernance. Pierre, 1998). À la lecture de ces
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