Le Crime Organisé au Cameroun - Etat des lieux des connaissances et axes prioritaires de recherche - ACCSS

 
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Le Crime Organisé au Cameroun - Etat des lieux des connaissances et axes prioritaires de recherche - ACCSS
Juin 2021

  Le Crime Organisé au
        Cameroun
  Etat des lieux des connaissances et
  axes prioritaires de recherche

            African Centre for Crime and Security Studies – ACCSS Africa
Ce rapport a été rédigé par :
Tiwa Dany Franck A., PhD, Criminologue
Avec la contribution de Kenne Tamafo Ferry Morel, Juriste
Edition: Bengono Josiane Carole, PLEG

© 2021 African Centre for Crime and Security Studies (ACCSS Africa)
Yaoundé, Cameroon
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À PROPOS DU AFRICAN CENTRE FOR CRIME AND SECURITY STUDIES
       Le African Centre for Crime and Security Studies est un think tank indépendant créée
par de jeunes chercheurs africains et afro-descendants sous la houlette de Dany Franck A. Tiwa.
ACCSS Africa finance ses activités grâces aux cotisations de ses membres et au x subventions
obtenues, en général, à l’issu de processus d’appels à propositions compétitives et
transparentes. ACCSS Africa a pour objectif majeur, de contribuer à l’amélioration des
indicateurs de sécurité humaine sur le continent Africain. Il le fait à travers la recherche-action,
l’enseignement et la formation.

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Table des matières

Table des matières ............................................................................................................... i

Résumé exécutif ................................................................................................................ iv

1.       Introduction ............................................................................................................. 1

1.1.      Crime organisé au Cameroun : une menace globale complexe................................... 1

1.1.1. Définition ............................................................................................................... 1

1.1.2. Cameroun : des marchés criminels en croissance sur un territoire de plus en p lus

          vulnérable ............................................................................................................... 4

1.2.      Le crime organisé au Cameroun : un problème complexe et urgent parmi tant d’autres

          ou pourquoi a-t-on besoin d’un agenda de recherche................................................. 6

2.       Méthodologie et synthèse des résultats ...................................................................... 6

2.1.      Revue de la littérature existante ............................................................................... 6

2.2.      Revue de l’actualité médiatique ............................................................................. 10

2.3.      Perceptions des agences de maintien de l’ordre, des universitaires et de la société civile

            11

3.       Agenda de recherche stratégique pour les cinq prochaines années ............................ 13

3.1.      Comprendre le contexte social, culturel, politique et économique qui facilite l’essor du

          crime organisé au Cameroun.................................................................................. 14

3.2.      Décrire le crime organisé au Cameroun : acteurs, territoires, pratiques, normes &

          valeurs, gouvernance, liens avec les réseaux extérieurs ........................................... 15

3.3.      Identifier et évaluer les politiques et les stratégies de lutte contre le crime organisé au

          Cameroun ............................................................................................................. 16

3.4.      Mettre en pratique le rapport de recherche stratégique : le rôle des différentes parties

          prenantes............................................................................................................... 17

3.4.1. Les chercheurs ...................................................................................................... 18

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3.4.2. Les forces/agences de maintien de l’ordre .............................................................. 18

3.4.3. Le gouvernement................................................................................................... 19

3.4.4. La société civile .................................................................................................... 19

3.4.5. Les partenaires au développement.......................................................................... 19

1.       Conclusion ............................................................................................................. 21

2.       Bibliographie ......................................................................................................... 22

3.       Appendixes............................................................................................................ 25

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Résumé exécutif

          Le crime organisé est une menace grandissante au Cameroun. En plus du terrorisme et
de la prise d’otages à des fins de demande de rançon, le pays est un terrain fertile pour des
bandes criminelles locales et régionales qui y exploitent de nombreuses opportunités illicites.
Tout ou presque y passe, du trafic de carburant à la contrefaçon de boissons alcoolisées en
passant par le trafic d’espèces fauniques protégées, de voitures volées, de cannabis etc. La
cybercriminalité, les crimes financiers, la petite et la grande corruption, font également partie
des activités auxquelles se livrent les réseaux criminels locaux.

          En dépit de son importance grandissante, le crime organisé au Cameroun n’a pas encore
fait l’objet d’étude sérieuse et demeure mal compris. C’est ce déficit de compréhension qui a
motivé la rédaction du présent rapport. Il s’appuie sur une méthodologie mixte constituée d’une
revue de la littérature académique, d’une revue de l’actualité en ligne, et d’un entretien collectif
avec des experts nationaux du crime organisé, des chercheurs et des représentants de la société
civile.

          Le rapport propose un agenda de recherche articulé autour de trois priorités à savoir
comprendre le contexte social, culturel, politique et économique qui facilite l’essor du crime
organisé au Cameroun ; décrire les acteurs, territoires, normes, valeurs, stratégies, logiques
d’action etc. du crime (et des criminels) organisé(s) au Cameroun ; et enfin identifier et évaluer
les politiques et les stratégies de lutte contre le crime organisé au Cameroun.

          Le rapport identifie également les acteurs ayant un rôle clé à jouer dans
l’implémentation de l’agenda. Il s’agit des chercheurs, des forces et agences en charge de la
répression de la criminalité, du gouvernement, de la société civile et des partenaires au
développement du Cameroun. Il s’agira pour ces parties prenantes de travailler en synergie et
dans un esprit de division efficiente du travail, à une meilleure compréhension du phénomène
du crime organisé au Cameroun.

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1. Introduction

        L’objectif de ce rapport est de faire un état des lieux des connaissances existantes sur
le crime organisé au Cameroun, d’en identifier les limites et de proposer un programme de
recherche réaliste pour les années à venir. Ce rapport stratégique (ci-après ‘le rapport’) sera,
pour la décennie 2021-2031, la boussole du African Centre for Crime and Security Studies (ci-
après ACCSS Africa) sur les questions relatives au crime organisé au Cameroun en particulier
et dans la sous-région Afrique centrale en général. Le rapport est rendu public pour que
quiconque s’intéresse au crime organisé dans cette région puisse s’en inspirer. ACCSS Africa
souhaite que l’ensemble des efforts sur cette problématique soit canalisé dans la même
direction. Notre conviction est en effet que l’impact collectif, le résultat qu’une collectivité
atteint grâce à un effort collectif coordonné, sera toujours supérieur à la somme des effets que
chacun de ses membres puisse atteindre individuellement. C’est dans cette perspective que le
rapport, fruit d’une collecte méthodique d’informations a bénéficié des contributions formelles
et informelles d’une large gamme d’acteurs individuels et institutionnels. Mais pourquoi se
préoccuper du crime organisé au Cameroun et pourquoi a-t-on besoin d’un rapport cadre pour
l’étudier ?

              1.1.Crime organisé au Cameroun : une menace complexe

                     1.1.1.    Définition

        Il n’existe pas de définition universellement acceptée du crime organisé. Pour
INTERPOL l’organisation faîtière des polices nationales au niveau mondial, le crime organisé
c’est « tout groupe ayant une structure d'entreprise dont l'objectif principal est d'obtenir de
l'argent grâce à des activités illégales, survivant souvent de la peur et de la corruption. (Paul
Nesbitt, chef du groupe du crime organisé, cité à Bresler, 1993 : 319). Selon la convention des
nations unies contre la criminalité transnationale organisée en son article 2a, « [l]’expression
“groupe criminel organisé” désigne un groupe structuré de trois personnes ou plus existant
depuis un certain temps et agissant de concert dans le but de commettre une ou plusieurs
infractions graves ou infractions établies conformément à la présente Convention, pour en tirer,
directement ou indirectement, un avantage financier ou un autre avantage matériel ». Pour
l'organisation régionale de coopération des chefs de police de l'Afrique australe (SARPCCO),
« le crime organisé désigne les activités illégales menées par un groupe criminel organisé ou
des groupes de personnes, peu ou pas organisés, opérant sur une période de temps et ay ant pour
but de commettre des crimes graves par une action concertée en recourant à l'intimidation, à la

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violence, à la corruption ou à d'autres moyens en vue d'obtenir, directement ou indirectement,
un avantage financier ou autre avantage matériel. » 1 Le législateur camerounais a quant à lui
préféré au terme générique de ‘crime organisé’ les qualifications telles que la ‘conspiration’,
ou encore la ‘coaction’ et la ‘complicité’ en relation à la commission d’une infraction (Code
pénal, art. 95, 96 & 97). Celles-ci permettent au système judiciaire de punir les crimes qualifiés
ailleurs d’« organisés ». La multitude de définitions2 est due au caractère ambigu du crime
organisé qui diffère de la criminalité « ordinaire » non pas par sa nature, mais davantage par
son mode d’organisation, de gouvernance, et par l’ampleur des dégâts sociétaux que ceux-ci
permettent (Moore, 1987, p. 51). En dépit de cette difficulté, un certain nombre d’attributs
reviennent régulièrement dans les définitions opérationnelles des forces de maintien de l’ordre
d’une part, et dans les conceptualisations académiques des chercheurs d’autre part. Abadinsky
(2010, p. 1) en a identifié huit au total.

         Primo, les groupes criminels organisés n’ont pas de but de politique. Ils ne sont motivés
par aucune doctrine ou idéologie politique et ne souhaitent pas renverser l’ordre établi. Quand
ils s’intéressent à la politique, c’est en général pour protéger leurs activités criminelles et pour
obtenir l’immunité pour leurs membres.

         Secundo, la structure du pouvoir en leur sein est hiérarchique, à telle enseigne qu’on
peut y déceler une division claire du pouvoir avec d’une part des donneurs d’ordres, et d’autre
part des exécutants. Dans les groupes les plus structurés, il y a entre ces deux groupes, un
niveau de pouvoir intermédiaire constitué d’individus qui supervisent ou coordon nent le travail
des membres de statuts inférieurs et qui rendent compte aux leaders (Siegel & van de Bunt,
2012).

         Tertio, les groupes criminels organisés n’admettent pas n’importe qui en leur sein.
L’adhésion se fait par recommandation ou par parrainage, un mécanisme qui protège le groupe
et ses membres contre des infiltrations malicieuses de groupes ennemis ou des forces de l’ordre.
Des critères supplémentaires comme l’appartenance à un groupe sociologique particulier
(ethnie, tribu, nationalité, race etc.) sont souvent requis.

1
  Définition adoptée par l'Organisation régionale de coopération des chefs de police de l'Afrique australe
(SARPCCO) lors de sa 14e Assemblée générale annuelle en 2009
2
  Pour un large aperçu, voir http://www.organized-crime.de/organizedcrimedefinitions.htm#coe consulté le 13
Mai 2021.

                                                                                                         2
Quarto, les groupes criminels organisés ont leurs propres sous-cultures. Elles sont, en
d’autres termes, régies par des normes et des valeurs qui sont différentes de celles en vigueur
dans les sociétés auxquelles elles appartiennent. Un exemple patent est leur relation à la
violence (voir ci-dessous).

       Quinto, les groupes criminels organisés cherchent à se perpétuer pour profiter le plus
longtemps possible des opportunités économiques auxquelles ils ont accès et souvent
contrôlent de manière monopolistique (voir ci-dessous). Il n’est pas rare que ces deux derniers
points (accès et monopole) soient utilisés par les leaders pour mobiliser et discipliner les
membres. De manière typique, les premiers promettent aux derniers que le marché criminel
contrôlé par le groupe continuera de les nourrir même si le leader est arrêté par la police ou
venait à décéder s’ils restent disciplinés et ne font aucune bêtise.

       Sexto, les groupes criminels organisés ont régulièrement recours à la violence illégale.
Ils s’en servent pour discipliner leurs membres, lutter contre la concurrence externe, et pour
gérer les conflits qui surviennent entre criminels ou entre ces derniers et les acteurs
économiques légitimes, car par définition, les criminels organisés ne peuvent pas se tourner
vers les autorités étatiques pour demander réparation s’ils estiment leurs droits bafoués.

       Septimo, les groupes criminels organisés sont régulièrement tentés d’établir des
monopoles sur des marchés criminels ou dans des espaces géographiques spécifiques. Le
monopole restreint l’économie de marché et génère des profits records, en permettant à l’agent
économique détenant le monopole de fixer arbitrairement les prix des biens et de services qu’il
propose. Dans l’économie légitime, les tendances monopolistiques des acteurs économiques
sont contenues par les institutions de contrôles et de régulations. L’absen ce de celles-ci dans
l’économie criminelle permet aux groupes criminels les mieux structurés et les plus violents
d’évincer les compétiteurs des marchés et des espaces qu’ils souhaitent contrôler de manière
monopolistique.

       Octavo, les groupes criminels organisés s’autogouvernent au travers de règles et de
normes explicites. La plus connue de ces règles est l’omerta, ou l’obligation de silence en cas
d’enquêtes policières ou lors d’interactions avec des personnes n’appartenant pas à
l’organisation criminelle d’une part. Dans les familles mafieuses du sud de l’Italie d’où
provient l’expression, l’omerta renvoie aussi à l’honneur et la loyauté, c’est-à-dire à
l’obligation morale de toujours défendre et venger sa ‘famille’ mafieuse. La loi de l’omerta est
un exemple concret de sous-culture à l’œuvre chez des criminels organisés.

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Les attributs présentés ci-dessus sont, naturellement, inégalement présents dans les
organisations criminelles. La première raison est que les organisations criminelles sont de
tailles diverses. Certaines n’ont que deux ou trois membres tandis d’autres, comme c’est le cas
des réseaux criminels Nigérians, sont constituées d’une dizaine de délinquants au plus.
Certaines ‘familles’ mafieuses du sud de l’Italie, notamment la Ndrangheta, la Cosa Nostra, ou
encore la Camorra ont compté à leurs apogées respectives, plusieurs milliers de membres. Le
second facteur de différentiation des organisations criminelles est l’âge car il va de soi que des
organisations vieilles de plusieurs décennies comme les mafias italiennes par exemple, ont eu
plus de temps pour apprendre par exemple à s’auto-gouverner ; à imposer leur monopole, ou
pour recruter des membres d’une organisation criminelle camerounaise née dans les années 90
au lendemain du consensus de Washington. Le dernier facteur de différenciation est
l’environnement social et institutionnel qui expose les organisations criminelles à des
contraintes et à des opportunités différentes. Par exemple, un niveau de corruption élevé des
forces de l’ordre et/ou de la justice dans un pays peut réduire l’importance stratégique du secret
pour les groupes criminels évoluant dans ce pays. Cependant, cette réduction va varier d’un
groupe à l’autre selon que leur périmètre d’activités criminelles est essentiellement local ou
qu’il s’étend à d’autres pays—on parle alors de crime organisé transnational (Albanese, 2015;
Albanese & Reichel, 2014)—où le groupe a moins d’influence au sein des institutions en
charge de la répression de la criminalité. Somme toute, il n’est en définitive pas nécessaire que
tous les huit critères ci-dessus cités soient présents pour qu’on parle de crime organisé. La
présence combinée de quelques-uns, comme cela semble être le cas chez les bandes criminels
opérant au Cameroun, suffit.

         1.1.2. Cameroun : des marchés criminels en croissance sur un territoire de plus
               en plus vulnérable

         Selon l’index 2019 du crime organisé en Afrique 3, le Cameroun est le 13è pays le plus
affecté par ce fléau en Afrique. A l'exception de la cocaïne et de l'héroïne dont l’impact sociétal
est mineur, tous les autres marchés criminels 4 identifiés dans le pays ont une influence négative
située entre modérée et significative. Si les marchés criminels environnementaux sont les plus

3
  L’index du crime organisé (OCINDEX) en Afrique est publié par l’Institute for Security Studies dans le cadre
du projet ENACT—Enhancing Africa’s capacity to respond more effectively to transnational organised crime—
qui bénéficie de l’appui financier de l’Union Européenne.
4
  La notion de marché criminel renvoie ici à l’ensemble des transactions économiques portant sur des biens et
services illicites. L’index en compte 10 à savoir, la traite et la contrebande des êtres humains, les crimes fauniques
et contre la flore, le trafic des armes à feu, le commerce de l’héroïne, les crimes liés aux ressources non
renouvelables, le commerce de la cocaïne, du cannabis et des drogues synthétiques (ex. le Tramadol)

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développés, le Cameroun serait également devenu au cours des dernières années un haut lieu
du braconnage, de la contrebande et du trafic des produits fauniques. Le pays est par ailleurs
l'une des principales destinations pour le carburant volé et trafiqué en provenance du Nigeria,
une pratique criminelle et dangereuse 5 qui est alimentée par la demande sans cesse grandissante
de ce produit bon marché autant dans les régions septentrionales que dans les zones de Mamfe,
Bamenda, Kumba, Tiko, Limbe, toutes situées au sud du pays. A côté de ces fléaux dont le
marché est restreint à certaines régions ou localités, il y a la traite et la contrebande des êtres
humains qu’on retrouve sur l’ensemble du territoire national.

        Si les indicateurs du crime organisé au Cameroun paraissent préoccupants à juste titre,
ceux de la résilience le sont encore plus car le pays n’occupe que le 32è rang en Afrique. Ce
mauvais classement est principalement dû, selon l’index, à la corruption endémique qui règne
dans le pays du fait d’un mode de gouvernance extrêmement opaque et à l’absenc e de
mécanismes efficaces de redevabilité. Le défaut de programmes de prévention du crime
organisé et de politiques et programmes de soutien aux victimes augmentent également la
vulnérabilité du pays face au crime organisé.

        Par ailleurs, le Cameroun est géographiquement situé au centre de l’Afrique en plein
cœur du riche et instable golfe de Guinée. 6 Entouré par le Sahel perpétuellement en crise et des
géants fragiles comme la République Démocratique du Congo et le Nigeria, le pays est
idéalement placé pour servir de hub pour l’ensemble des trafiquants de la région. Si la relative
stabilité qu’a connu le pays jusqu’à très récemment ne fav orisait pas ce rôle de liaison, les
crises politiques et sécuritaires qu’il connaît actuellement risquent d’en être les catalyseurs.
Qu’il s’agisse des guerres contre Boko Haram et les séparatistes des régions anglophones, ou
de la fin prochaine du long règne de monsieur Biya, le Cameroun est à la croisée des chemins.
L’issue de la tempête qu’il traverse en ce moment est intimement liée aux dynamiques du crime
organisé dans la région. A défaut de lui compliquer sérieusement la tâche, les réseaux criminels
de la région se renforceront au gré de l’affaiblissement de son État, avec les conséquences que
l’on peut imaginer en termes d’hébergement des criminels de la région et d’exportation ou de
facilitation du crime dans le reste du monde.

5
  Le mercredi 27 janvier 2021, une collusion de nuit entre une camionnette de trafiquants de carburant et un bus
de transport en commun a fait 53 morts (tous calcinés) dans la région de l’Ouest. Voir
https://www.france24.com/fr/afrique/20210127-cameroun-au-moins-53-morts-dans-l-incendie-d-un-bus-
apr%C3%A8s-une-collision
6
  De nombreux groupes de militants indépendantes y prolifèrent, notamment au sud-est du Nigeria et au sud-ouest
du Cameroun, au nord du Tchad et dans diverses régions de la République centrafricaine.

                                                                                                              5
1.2.Le crime organisé au Cameroun : un problème complexe et urgent parmi
                   d’autres

           A l’observation, le Cameroun est un excellent exemple de pays avec une large gamme
de marchés criminels plus ou moins développés. Cependant, comme l’a si bien indiqué l’index
sur le crime organisé en Afrique, tous ces marchés criminels n’ont ni la même taille ni le même
impact sociétal.7 Par ailleurs, tous n’ont pas bénéficié historiquement, de la même attention de
la part des chercheurs, des autorités et de la communauté internationale avec pour conséquence
un niveau de connaissance et de compréhension extrêmement variés des dynamiques qui
traversent ces marchés. En outre, le Cameroun est un pays en développement confrontés à des
défis sécuritaires majeurs, pour certains existentiels (cf. le mouvement séparatiste dans les
régions anglophones) qui consomment une part importante de ses ressources. Il ne peut dès
lors, en matière de recherche sur le crime organisé comme dans tout autre domaine se permettre
le luxe de tout embrasser au même moment. Quel qu’en soit son niveau de criticité, le crime
organisé au Cameroun doit dès lors être approché de manière stratégique. Un plan ou agenda
de recherche doit, en identifiant les priorités, informer l’allocation des ressources et guider la
riposte sociétale. Tel est, en tout cas, l’objectif visé par le présent document. Les autorités
publiques et toute autre partie prenante sont invitées à s’en inspirer à défaut de se l’approprier,
ne serait-ce que parce que son élaboration a bénéficié de contributions provenant d’une large
gamme d’acteurs impliqués dans la lutte contre le crime organisé au Cameroun ou simplement
préoccupés par sa présence et de ses conséquences.

       2. Méthodologie et synthèse des résultats

           Cet agenda de recherche découle de l’analyse des données collectées au travers de trois
méthodes de recherches. Il s’agit de la revue de littérature spécialisée, de la revue de l’actualité
médiatique, et de la collecte méthodique des perceptions des acteurs privilégiés. Bien que
différentes, ces méthodes n’en sont pas moins complémentaires dans la mesure où leur
combinaison permet de mieux décrire un phénomène au demeurant très peu connu au
Cameroun.

               2.1.Revue de la littérature existante

Il n’existe, à proprement parlé, pas de travaux scientifiques sur le crime organisé au Cameroun.
Les études qui abordent les thèmes familiers n’interagissent pas avec les connaissances

7
    Voir https://ocindex.net/country/cameroon consulté le 13 mai 2021

                                                                                                  6
existantes en la matière, de sorte qu’il est difficile de caractériser le crime organisé au
Cameroun. Claude Abé (2003) par exemple, s’est employé à rendre compte de la pratique et
de la productivité de la criminalité perpétrée par les coupeurs de route dans la région Nord. S’il
a fait l’effort de « décrire les techniques de coupe et les formes de violences » dont se rendent
coupables les coupeurs de route, il ne s’est cependant pas donné pas la peine d’éclairer ces
pratiques par la littérature existante sur le crime organisé. La conséquence de cette omission a
été un compte rendu superficiel des logiques des acteurs qui, faute de pouvoir situer la fonction
de la violence à laquelle recourent ces bandes armées, s’est adonnée à des conjectures inutiles
:

« […] quel que soit l'angle sous lequel on le considère, le phénomène des coupeurs de route est
une forme de sublimation de la violence. C'est une manifestation de la violence totale : violence
physique, violence économique (transfert des biens et de l'argent des paysans aux bandits),
violence politique parce qu'elle organise la mise en déroute d'un certain nombre de libertés
publiques pourtant garanties par la loi fondamentale, violence enfin de type psychologique que
ressentent les nombreuses femmes violées ici et là, ou les parents nus devant leurs enfants.
C'est donc une violence qui est vécue avec la même intensité tant au plan individuel que
collectif. Bref, c'est la possibilité d'une vie sociale elle‑même qui est remise en cause. » (Abé,
2003, pp. 6–7)

       Ce que le sociologue camerounais dit, en somme, c’est que les Zarguina sont des
criminels sans pitié. La littérature spécialisée considère pour sa part, que la violence à trois
fonctions essentielles dans le crime organisé. Primo, elle permet de se débarrasser de la
concurrence en intimidant ou en éliminant les groupes rivaux ; secundo , elle permet de
discipliner les membres dont les actions ou le comportement pourraient mettre en danger
l’organisation ; et tertio, elle permet de collecter les dettes dues à l’organisation (Cf. Falcone,
1993, pp. 7–9; Gambetta, 1993, p. 2; Hobbs, 2003, pp. 680–681). La notion de dette signifiant
ici tout ce à quoi l’organisation criminelle prétend avoir droit, les modes opératoires (raids dans
les villages et embuscades sur la voie publique) qu’Abé a su décrire, suggèrent indiquer que
les Zarguina recourent à la violence pour bien indiquer à leurs victimes qu’ils n’ont nullement
l’intention de renoncer aux biens qu’ils leurs réclament. Par ailleurs, des recherches
concordantes sur la gouvernance du monde criminel et la gouvernance illégale des
communautés (Campana & Varese, 2018) indiquent que plus que la violence elle-même, c’est
la réputation d’une organisation criminelle comme violente qui compte le plus car de manière
subliminale, celle-ci convainc ses victimes et ses rivaux de se soumettre à elle de manière

                                                                                                 7
inconditionnelle. En d’autres termes, plus une organisation criminelle est réputée violente,
moins celle-ci aura besoin de recourir à la violence parce que ni ses victimes ni ses rivaux
n’oseront la contrarier. On le voit, faute d’avoir su en interagir avec la littérature spécialisée
sur le crime organisé, le sociologue Claude Abé a peut-être rendu service aux Zarguina en
contribuant à la construction de leur réputation de criminels sans foi ni lois.

         Les travaux de l’historien Saïbou Issa (2004, 2006) portant sur les mêmes bandes
criminelles sont beaucoup plus nuancés même si eux aussi ignorent la littérature sur le crime
organisé. En effet, contrairement à Abe qui a attribué le phénomène à une sorte d’anomie,
Saibou Issa pense plutôt que le grand banditisme dans la région est une rémanence d’ « une
culture de rapine (…) tolérante envers les déviances de subsistance » (2006, p. 121). Avant les
bandes criminelles contemporaines, les acteurs de cette culture du banditisme furent les chefs
de famille, les chefs de villages, les patrons des grandes hégémonies politiques précoloniales
ou encore les autorités traditionnelles auxiliaires de l’administration (Saibou, 2004, 2006;
Saibou & Adama, 2002). Pour l’historien Camerounais, le banditisme était autrefois une
modalité d’accumulation tout à fait acceptée par les populations de la région du lac Tchad tant
que les auteurs se servaient des profits pour subvenir aux besoins de leurs dépendants.

         Les relations entre le crime organisé et les communautés qui l’abrite sont complexes et
paradoxales. Les groupes criminels organisés cherchent souvent à fragiliser les institutions de
la société légitime (Campana & Varese, 2018; Gambetta, 1993; Hess, 1973; Lupo, 2009;
Sabetti, 1984). Lorsqu'ils y parviennent, le crime organisé, devenant un type de gouvernance à
part entière (Campana & Varese, 2018) s'institutionnalise à travers la corruption et la violence.
L’histoire politique de l’Etat moderne nous enseigne d’ailleurs que ce dernier a pendant
longtemps fonctionné sur le mode du racket exactement comme la plupart des organisations
criminelles contemporaines (Bayart, 2004; Tilly, 2000). À l'inverse, le crime organisé peut
également être combattu avec succès par des autorités légitimes et disparaître ou se retirer dans
le monde souterrain (Griffin & DeNevi, 2002; Sergi, 2017). L’autre possibilité récemment
identifiée est que les populations civiles peuvent se soulever contre les criminels organisés en
formant des groupes de vigilance ou d’auto-défense (Baker, 2002; Nwankwo, 2006; Wolff,
2020).

Parce qu’il ignore lui aussi la littérature sur la gouvernance illégale des communautés, le risque
est grand qu’en convoquant l’argument de la culture, le compte rendu de Saibou Issa , même
s’il s’en défend, essentialise des dynamiques et des pratiques qui sont avant tout politiques et

                                                                                                8
économiques, et donc par définitions changeantes. Le fait que son argument se fonde sur des
archives historiques contenant, pour l’essentiel, l’opinion des administrateurs coloniaux
français dont on ne peut exclure le racisme et les préjugés, est une raison supplémentaire de se
méfier de la thèse culturaliste. 8 En tout état de cause, la ligne de démarcation entre les vecteurs
culturel, économique et politique du grand banditisme au nord Cameroun doit être clairement
délimitée à l’aide des outils théoriques et conceptuels appropriés.

         Dans le cadre de ses travaux sur les menaces à la sécurité au Cameroun et dans la sous-
région Afrique centrale, le politiste Ntuda Ebode effleure sans l’approfondir la question du
crime organisé à travers les phénomènes de piraterie maritime, fluviale et lacustre, et de
terrorisme. Il reconnait cependant, en ce qui concerne notamment le terrorisme, que « le
préalable dans la lutte repose sur la recherche des causes profondes du phénomène,
l’identification des acteurs, une meilleure connaissance de leurs modes opération (sic) » (Ntuda
Ebode, 2010, p. 24).9

         Les travaux ci-dessus cités, représente l’essentiel des productions académiques sur le
crime organisé au Cameroun. Cette littérature est donc limitée en nombre et sa contribution
scientifique modeste. On observe cependant qu’elle est dominée par le thème de la sécurité.
Dit autrement, la criminalité organisée qui impacte directement la sécurité des personnes et de
leurs biens ou qui est susceptible de compromettre l’intégrité territoriale du pays a bé néficié,
comparativement à celle dont l’impact se manifeste autrement (ex. découragement des agents
économiques du fait de la contrefaçon, pertes fiscales, absentéisme et/ou contre -performance
scolaires due à la dépendance aux drogues etc.), de davantage d ’attention de la part des
chercheurs. Ce penchant sécuritaire dominant chez les universitaires comporte le risque d’une
militarisation des solutions au crime organisée sous l’influence des doctrines intellectuelles qui
font peu de place aux problèmes sociaux, politiques et économique à l’origine de criminalité
organisée.

8
  Dans les damnés de la terre, Frantz Fanon s’attaque et déconstruit une thèse similaire propagée par les colons
français (cf. Fanon, 2002, pp. 284–297)
9
  L’officier supérieur de gendarmerie Emile Joël Bamkoui a tenté lui aussi d’analyser le crime organisé dans un
ouvrage paru en fin d’année 2020. Du fait d’un cadrage sinon maladroit au moins hautement critiquable, l’ouvrage
embrasse trop de sujets divers et complexes (corruption, sécurité, géostratégie, crime organisé) et des contextes
(Afrique subsaharienne, Sahel, monde etc.) tout aussi divers et complexes. L’ouvrage au final n’examine
rigoureusement ni le crime organisé, ni ses manifestation au Cameroun (Voir Bamkoui, 2020).

                                                                                                               9
2.2.Revue de l’actualité médiatique

Nous avons utilisé les menus ‘actualités’ et ‘vidéos’ du moteur de recherche sur internet
‘Google’ pour identifier une centaine d’articles de presse ou de blogs et des vidéos
(principalement des extraits de journaux télévisés) traitant de formes de délinquances
traditionnellement associées au crime organisé. Les mots clés que nous avons utilisés pour
filtrer les informations disponibles sur le moteur de recherche de manière à n’afficher que des
informations pertinentes pour le présent travail étaient les suivants : ‘crime organisé au
Cameroun’, ‘criminalité au Cameroun’. Nous avons également utilisé l’option ‘page suivante’
du moteur de recherche pour explorer un plus grand nombre d’informations. Pour chaque mot
clé, nous sommes allés jusqu’à la dixième page.

        L’objectif de cet exercice était de collecter les informations nécessaires à
l’établissement d’une typologie du crime organisé qui soit fondée dans la réalité du vécu des
Camerounais, par opposition aux typologies qui découlent, par exemple, d’un besoin de lutter
contre le crime organisé transnational. Ce type de typologies souffrent de biais découlant des
impératifs de standardisation, d’uniformisation, et/ou de comparaison, conditions sine qua non
d’une collaboration efficace et non conflictuelle entre les pays qui ont souvent des systèmes
juridiques et institutionnels différents. Cette recherche a permis de constater que l’actualité
médiatique au Cameroun est dominée par les thèmes suivants :

     ➢ Attaques terroristes et prises d’otages 10
     ➢ Crimes fauniques11
     ➢ Grand banditisme 12
     ➢ Cyber criminalité 13
     ➢ Piraterie Maritime 14
     ➢ Trafic de drogues15

10
   https://www.cameroon-tribune.cm/article.html/34068/fr.html/boko-haram-ce-nest-pas-fini consulté le 14 mai
2021
11
   https://www.cnews.fr/monde/2021-04-01/4000-kilos-decailles-de-pangolin-saisies-au-cameroun-1065570
consulté le 14 mai 2021
12
   https://www.camer.be/85611/11:1/cameroun-lutte-contre-le-grand-banditisme-et-le-trafic-de-stupefiants-
cameroon.html consulté le 14 mai 2021
13
   https://www.camer.be/85081/30:27/cameroun-victime-dune-cybercriminalite-le-colonel-didier-badjeck-se-
lave-les-mains-cameroon.html consulté le 14 mai 2021
14
   https://www.agenceecofin.com/transports/0902-85022-piraterie-maritime-les-marines-camerounaise-et-
equato-guineenne-dejouent-une-attaque-contre-un-tanker consulté le 14 mai 2021
15
      https://actucameroun.com/2021/05/07/dschang-region-de-louest-la-gendarmerie-met-la-main-sur-un-dealer-
de-chanvre-indien/ consulté le 15 mai 2021.

                                                                                                        10
➢ Contrefaçon et trafic d’alcool16
     ➢ Trafic de médicaments17
     ➢ Violence et terreur liées aux gangs 18
     ➢ Trafic d’armes à feu 19
     ➢ Corruption administrative et politique 20

        Il convient d’insister toutefois sur le caractère purement indicatif des résultats de la
revue de l’actualité conduite à partir de Google car, d’une part, les contenu s médiatiques
produits au Cameroun ne sont pas nécessairement tous mis en ligne ; d’autre part, ces résultats
sont à prendre avec prudence parce que les choix des médias ne reflètent pas nécessairement
les préoccupations les plus urgentes des populations. Les premiers sont en effet, en général,
grandement influencés par de puissants acteurs sociaux qui ont les moyens d’investir pour
mettre leurs agendas au-devant de la scène. C’est d’ailleurs pour combler ce biais de
représentativité, que l’ACCSS a entrepris d’organiser une réunion de concertation sur le crime
organisé au Cameroun.

             2.3.Perceptions des agences de maintien de l’ordre, des universitaires et de la
                 société civile

        Le 9 mars 2021, à l’initiative de l’African Centre for Crime and Security Studies, s’est
tenu à l’hôtel jouvence 2000 de Yaoundé un atelier intersectoriel sur la lutte contre le crime
organisé. L’atelier, qui a rassemblé les universitaires, les chercheurs, les forces et agences de
lutte contre criminalité ainsi que la société civile (Voir liste des participants en annexe), avait
pour objectif de cartographier le crime organisé au Cameroun, d’une part, et d’identifier les
axes prioritaires de recherche sur le crime organisé au Cameroun d’autre part.

16
   https://www.cameroon-tribune.cm/article.html/38650/fr.html/vins-liqueurs-spiritueux-le-piege-de-la-
contrefacon consulté le 15 mai 2021.
17
   http://www.cameroon-info.net/article/cameroun-consommation-de-la-drogue-en-milieu-jeune-la-mairie-de-
douala-lance-une-398934.html consulté le 15 mai 2021.
18
     https://www.lemonde.fr/afrique/article/2020/11/09/au-cameroun-la-ville-de-douala-confrontee-a-la-violence-
des-gangs_6059084_3212.html consulté le 15 mai 2021.
19
     https://afrique.latribune.fr/afrique-centrale/cameroun/2018-05-07/cameroun-plus-de-23-000-armes-illegales-
dans-le-pays-les-armuriers-en-ligne-de-mire-777737.html consulté le 15 mai 2021.
20
    https://www.hrw.org/news/2021/04/23/cameroon-ensure-credible-inquiry-covid-19-funds consulté le 15 mai
2021.

                                                                                                           11
Participants à l’atelier sur le crime organisé. Crédit photo : ACCSS Africa

           L’atelier a permis d’identifier les formes de criminalité organisée présentes au
Cameroun comme les participants les percevaient, et d’autre part, de les classer par ordre
décroissant en fonction de leurs nocivités sociales et économiques principalement. Ont émergés
de cet exercice collaboratif les crimes suivants :

•          La contrefaçon endémique, notamment des produits de consommation courante tels que
les vins et spiritueux, les médicaments, ou encore les boissons non alcooliq ues, avec des
conséquences néfastes pour la santé des populations. Selon un participant qui appartient à une
administration en charge de la répression, ce trafic « extrêmement lucratif parce que les
Camerounais sont parmi les plus grands consommateurs mondiaux de liqueurs et de spiritueux.
(…) Les trafiquants travaillent en réseau et bénéficient pour la plupart de complicités et de
parrainage dans l’administration y compris parmi les forces de maintien de l’ordre. »

•          La contrebande endémique de divers produits et marchandises. La contrebande de
voitures (y compris les grosses cylindrées), souvent volées à l’origine 21 et importées au
Cameroun via la république du Bénin et le Nigéria a été présentée par un participant étant
l’œuvre de réseaux criminels transnationaux comprenant des citoyens camerounais, Nigérians,
Nigériens et Béninois. Cette forme de criminalité représente un manque à gagner considérable
pour l’État en plus de constituer une forme de concurrence déloyale pour les acteurs
économiques qui se conforment à la réglementation. Certaines élites administratives, politiques

21
     Cf. Programme de contrôle des conteneurs (ONUDC), 2021, Rapport annuel 2020

                                                                                            12
et économiques puissantes profiteraient de ce trafic pour acquérir des véhicules haut de
gammes à moindre frais, participant ainsi à doper la demande sur ce marché crimin el.

•      Les prises d’otages à des fins de demande de rançon . Ce crime traditionnellement
associé à la région septentrionale du pays comme on l’a vu plus haut a récemment émergé dans
les régions du Nord-ouest et du Sud-ouest à la faveur de la crise politique et sécuritaire qui
sévit dans cette région depuis l’année 2016. Selon des participants à l’atelier, le chiffre
d’affaires de ce marché criminel se chiffrerait en centaines de millions de francs cfa. Des
témoignages ont fait état de ce que des victimes fortunées n’ont souvent d’autres choix que de
débourser des dizaines de millions de francs CFA pour obtenir la vie sauve, ou la libération de
leurs proches.

•      Le phénomène de “coupeurs de route” (piraterie routière) avec ses conséquences
économiques et psychologiques pour les victimes a aussi été présenté comme endémique dans
les zones rurales des régions septentrionales ou des bandes armées profitent de l’absence des
forces de sécurité pour commettre des exactions sur les populations.

•      Le trafic du Cannabis. Alimenté par le dynamisme autant de l’offre (regain de la culture
dans la région de l’ouest ; porosité de la frontière avec le Nigeria) que de la demande (stupéfiant
préféré des jeunes en raison de son coût et de sa disponibilité) la consommation de Cannabis
été décrite par de nombreux participants comme étant rampante en milieu carcérale et
grandissante en milieu scolaire.

•      La corruption politico-administrative a aussi été décrite comme rampante et généralisée
d’une part, et comme un facteur facilitant la commission d’autres crimes tout aussi sérieux.
Selon la majorité des participants d’ailleurs, tout effort de lutte contre le crime organisé au
Cameroun qui n’a pas une stratégie contre la corruption est voué à l’échec.

•      La cyber criminalité, entendue comme l’usage des outils digitaux et de l’internet pour
commettre des crimes, notamment l’escroquerie a aussi été pointée du doigt. Néanmoins,
l’importance d’inclure cette criminalité dont les victimes sont en majorité les étrangers dans un
agenda de recherche sur le crime organisé au Cameroun n’a pas convaincu tous les participants.

    3. Agenda de recherche stratégique pour les cinq prochaines années

       De ce qui précède, deux conclusions peuvent déjà être tirées : primo, le crime organisé
sous ses diverses manifestations est un problème social, économique et politique qui demande

                                                                                                13
de l’attention ; secundo, il existe cependant très peu d’informations crédibles pouvant guider
la réponse de la société camerounaise face au fléau que représente le crime organisé. Pour
combler ce déficit de manière stratégique, c’est en dire en tenant compte du caractère limité
des ressources mobilisables, l’ACCSS recommande de prioriser l’étude des facteurs qui facilite
l’essor du crime organisé au Cameroun, de le décrire le plus fidèlement possible, et d’identifier
et d’évaluer les politiques et les stratégies de lutte implémentées à ce jour.

           3.1.Comprendre le contexte social, culturel, politique et économique qui
               facilite l’essor du crime organisé au Cameroun

       Le crime organisé n’existe pas dans le vide. Des conditions sociales, culturelles,
politiques, économiques, psychologiques etc. spécifiques favorisent autant son émergence que
son enracinement (de Bunt et al., 2015). L’un des objectifs majeurs au cours de la décennie qui
débute devra être d’identifier et de décrire ces dernières. Il s’agira concrètement d’apporter des
réponses aux questionnements suivants :

•      Quelles conditions sociales (ex. parents alcooliques, familles instables, écoles
inefficaces etc.) favorisent-elles l’essor et l’enracinement du crime organisé au Cameroun ?

•      Quelles dynamiques urbaines et rurales (ex. organisation spatiale des villes, distribution
des ménages et des activités économiques etc.) favorisent-elles le développement des sous-
cultures favorables à l’essor et à l’enracinement du crime organisé ?

•      Quelles valeurs culturelles encouragent-elles l’adoption des comportements criminels
?

•      Quel rôle jouent les médias, à travers l’exposition de la jeunesse à une culture populaire
mondialisée source de frustrations, dans l’essor de la criminalité organisée ?

•      Comment le mode de gouvernance politique et administratif en vigueur au Cameroun
favorise-t-il le crime organisé ?

•      Comment les frustrations politiques favorisent-elles l’essor du crime organisé ? Quelles
convergences existe-t-il entre les géographies des mécontentements politiques et les
géographies du crime organisé ?

•      Comment les dynamiques politiques sous-régionales et continentales (coups d’État,
guerres civiles, instabilités politiques, collusions ou alliances transnationales de minorités

                                                                                               14
ethnicisées et marginalisées etc.) favorisent-elles l’essor et l’enracinement du crime organisé
au Cameroun ?

•      A quels besoins économiques (production, transport, distribution, consommation etc.)
le crime organisé répond-il ? Quels sont les obstacles à la satisfaction de ces besoins par les
acteurs économiques légitimes ?

•      Quels processus psychiques (ex. rationalisations, neutralisations etc.) favorisent-ils
l’adhésion des individus aux réseaux criminels ou leur persévérance dans, et/ou désistement de
la carrière de criminel dans une organisation criminelle ?

           3.2.Décrire le crime organisé au Cameroun : acteurs, territoires, pratiques,
               normes & valeurs, gouvernance, liens avec les réseaux extérieurs

       Pour lutter efficacement contre le crime organisé il faut au préalable bien le connaître.
Il s’agira, au cours des cinq prochaines années, d’identifier, aussi précisément que possible, les
acteurs du crime organisé au Cameroun. Les questions de recherche suivantes pourront orienter
les efforts de recherche :

•      Quel est le profil sociologique et démographique des criminels organisés au Cameroun
?

•      Quelles sont leurs trajectoires de vie ? en d’autres termes, quand et comment rejoint-t-
on un groupe de criminels et quand et comment le quitte-t-on ?

•      Quelles sont, au-delà de l’appât du gain, leurs motivations ?

•      Comment s’organisent-ils ?

•      A quelles normes et valeurs adhèrent-ils et en quoi sont-elles semblables ou différentes
des normes dominantes dans la société camerounaise ?

•      Comment s’autogouvernent-ils ?

•      Quels rapports (ex. symbiotiques, antagonistes, exclusifs etc.) entretiennent-ils avec les
acteurs de l’économie légitime ?

•      Quels rapports entretiennent-ils avec les communautés dans lesquelles ils opèrent ou
qui les hébergent ?

                                                                                               15
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