Le cadrage politique et l'ethos de Justin Trudeau sur Instagram : un storytelling héroïque entre émotion et celebrity politics Political Framing ...

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Communiquer
Revue de communication sociale et publique

Le cadrage politique et l’ethos de Justin Trudeau sur
Instagram : un storytelling héroïque entre émotion et celebrity
politics
Political Framing and the Ethos of Justin Trudeau on
Instagram: An Heroic Storytelling Between Emotion and
Celebrity Politics
Kelly Céleste Vossen

Varia 2019                                                                   Article abstract
Number 26, 2019                                                              In the light of the growing presence of political actors on Instagram, it seems
                                                                             essential to tackle the use of the platform by political leaders. This article
URI: https://id.erudit.org/iderudit/1065377ar                                explores the way in which communication advisors have framed the ethos of
                                                                             Justin Trudeau on Instagram during its campaign and through the first 100
See table of contents                                                        days of its government. With that purpose in mind, we have adopted a largely
                                                                             quantitative approach, supported by a discourse analysis. The results shed the
                                                                             light on an ethos based on authenticity, compassion and competence. Justin
                                                                             Trudeau is presented thanks to strategies based on pathos and celebrity
Publisher(s)                                                                 politics, through a heroic and positive storytelling.
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ISSN
2368-9587 (digital)

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Vossen, K. (2019). Le cadrage politique et l’ethos de Justin Trudeau sur
Instagram : un storytelling héroïque entre émotion et celebrity politics.
Communiquer, (26), 1–22.

Tous droits réservés © Communiquer, 2019                                    This document is protected by copyright law. Use of the services of Érudit
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Le cadrage politique et l'ethos de Justin Trudeau sur Instagram : un storytelling héroïque entre émotion et celebrity politics Political Framing ...
Le cadrage politique et l’ethos de Justin Trudeau
sur Instagram : un storytelling héroïque entre
émotion et celebrity politics
Kelly Céleste Vossen, M. A.
Étudiante, Département de sciences de l’information et de la communication
Université libre de Bruxelles (ULB), Belgique
Kelly Céleste Vossen est une étudiante belge diplômée en sciences politiques (baccalauréat) à l’Université Saint-Louis Bruxelles (UCL)
et en communication politique et lobbying (master) à l’Université Libre Bruxelles. Ses intérêts de recherche se situent au croisement des
sciences politiques et de la communication, notamment la médiation des acteurs politiques, la personnalisation politique, les moyens de
communication numérique et la spectacularisation de la politique. Sur le plan de la méthode, elle se spécialise dans les approches mixtes,
combinant les méthodes qualitatives et quantitatives. Un article sur le dispositif méthodologique développé pour cette recherche sera
publié dans le courant de l’année 2019 au sein de la revue Approches inductives.

Résumé
Face à l’omniprésence croissante de certains acteurs politiques sur Instagram, il semble essentiel d’étudier son usage
par les leaders politiques. Cet article explore la façon dont les conseillers en communication ont cadré l’ethos de Justin
Trudeau sur Instagram durant sa campagne et les 100 premiers jours de son gouvernement. Dans cette optique, une
méthode largement quantitative fut adoptée, consistant en une analyse de contenu catégorielle, soutenue par l’analyse
de discours. Les résultats obtenus lèvent le voile sur un ethos axé sur l’authenticité, la compassion et la compétence.
Justin Trudeau est présenté grâce aux stratégies reposant sur le recours au pathos et au celebrity politics, cela à
travers un storytelling héroïque et positif.
Mots-clés : ethos, Justin Trudeau, spectacularisation, celebrity politics, Instagram.

Political Framing and the Ethos of Justin Trudeau on Instagram: An Heroic Storytelling Between
Emotion and Celebrity Politics
Abstract
In the light of the growing presence of political actors on Instagram, it seems essential to tackle the use of the
platform by political leaders. This article explores the way in which communication advisors have framed the ethos
of Justin Trudeau on Instagram during its campaign and through the first 100 days of its government. With that
purpose in mind, we have adopted a largely quantitative approach, supported by a discourse analysis. The results
shed the light on an ethos based on authenticity, compassion and competence. Justin Trudeau is presented thanks to
strategies based on pathos and celebrity politics, through a heroic and positive storytelling.
Keywords: ethos, Justin Trudeau, celebrity politics, pathos, Instagram.

Certains droits réservés © Kelly Céleste Vossen (2019)
Sous licence Creative Commons (by-nc-nd).
ISSN 2368-9587                                                                               communiquer.revues.org
Le cadrage politique et l'ethos de Justin Trudeau sur Instagram : un storytelling héroïque entre émotion et celebrity politics Political Framing ...
K. C. Vossen                                                                      Communiquer, 2019(26), 1-22

Le rôle des réseaux socionumériques en communication politique ne fait que croître depuis
la campagne électorale de Barack Obama en 2008 (Towner et Muñoz, 2017). En 2017, Justin
Trudeau, premier ministre canadien élu en 2015, chef du Parti libéral du Canada et fils du
15e premier ministre canadien Pierre Elliott Trudeau, détient la 13e place du classement
des personnalités politiques les plus populaires sur Instagram (Annexe 1 ; Statistica, 2017).
Si Facebook et Twitter bénéficient déjà de l’attention de nombreux chercheurs, l’état des
recherches traitant du recours à Instagram en politique est encore à un stade exploratoire
(Bossetta, 2018 ; Filimonov, Russman et Svensson, 2016 ; Jung, Tay et al, 2017 ; Lalancette
et Raynauld, 2017 ; Liebhart et Bernhardt, 2017 ; López-Rabadan et Domenech-Fabregat,
2018 ; Towner et Muñoz, 2017).

    En outre, Instagram est surtout centré sur l’importance du visuel, souvent plus
mémorable que les contenus verbaux et écrits (Grabe et Bucy, 2009, cité dans Lalancette et
Tourigny-Koné, 2017). Selon Schill (2012), « the visual aspects of political communication
remain one of the least studied and the least understood areas » (119). Or l’aspect visuel
joue un rôle important dans la construction de l’ethos d’un acteur politique et dans la
création d’une connexion émotionnelle. En effet, si le caractère-clé du visuel avait déjà été
souligné par la prégnance de la télévision comme média d’information politique (Schill,
2012), l’usage d’Instagram et des autres réseaux socionumériques s’inscrit dans une
nouvelle vague de la communication politique où le visuel prend encore plus d’importance.
Ainsi, le 21e siècle est marqué par (1) des cultures représentationnelles et (2) des cultures
de présentation, la culture en ligne agissant comme source d’expansion de cette culture
de présentation (Marshall, 2010). Par ailleurs, le contenu iconographique matériel des
profils officiels des personnalités politiques sur les réseaux socionumériques forme la base
des images immatérielles, qui peuvent être utilisées comme premiers indicateurs pour
une étude des images (Müller et Geise, 2015). Combinant à la fois le visuel et le discursif,
Instagram pourrait se révéler être un outil de campagne efficace. C’est pourquoi, dans
le cadre de cet article, nous nous intéressons à l’utilisation d’Instagram en tant qu’outil
stratégique de communication politique. Plus particulièrement, à la façon dont l’ethos de
Justin Trudeau se révèle à travers son discours et ses représentations photographiques
sur Instagram. Cette recherche contribue ainsi à combler le vacuum scientifique quant à
l’utilisation d’Instagram, et par extension du visuel, par nos dirigeants politiques.

    Concernant les limites temporelles de notre corpus, nous nous focalisons sur la campagne
électorale fédérale canadienne (du 3 août 2015 au 19 octobre 2015), la période de campagne
officielle constituant la communication politique dans sa forme la plus observable. Notre
période d’analyse s’étend aux 100 premiers jours du gouvernement de Justin Trudeau (du
20 octobre 2015 au 12 février 2016), afin d’accroître le nombre de publications étudiées,
mais aussi en raison de l’importance symbolique de cette période en communication. Passé
ce délai, Justin Trudeau semble ne plus être considéré comme candidat nouvellement
élu, mais comme ayant pris pleinement possession de son poste de premier ministre.
Le compte Instagram du personnage politique 1 met lui-même en exergue l’importance
symbolique de la fin de cette période, la considérant comme une « milestone » en utilisant
les hashtags « #first100 » et « #100jours ». Il faut en effet attendre la fin des 100 premiers
jours pour voir apparaître Trudeau dans son bureau pour la première fois. Selon Radio-

1. Dans ce cadre, nous parlerons de « personnage politique » (Goffman, 1959), l’ethos de la personne politique étant
construite par ses consultants, la distinguant de la personne réelle pour former une figure autonome.
Le cadrage politique et l’ethos de Justin Trudeau sur Instagram | 3

Canada 2, cette tradition symbolique consistant à juger le gouvernement sur la base du
travail accompli durant ses 100 premiers jours trouve son origine aux États-Unis durant les
années 1930. Il est toutefois important de souligner que nous nous référons à ce délai dans
un but pragmatique et que ce n’est en aucun cas l’affirmation de sa valeur de prédication.
Finalement, il est important de rappeler le caractère permanent de la campagne électorale
au 21e siècle (Marland, 2003).

     Cet article tente de répondre à la question suivante : « Comment l’ethos de Justin Trudeau
est-il révélé à travers son discours et son contenu iconographique sur Instagram durant la
campagne électorale canadienne de 2015 et les 100 premiers jours de son gouvernement ? »
Notre article sera divisé en trois parties : la revue de la littérature et la définition des concepts-
clé ; l’exposition de la méthodologie ; et la présentation et l’interprétation des résultats.

1. Cadre théorique : constructivisme, personnalisation et
ethos numérique

1.1 Une approche constructiviste : le cadrage en politique

Avant toute chose, nous souhaitons situer la recherche dans une épistémologie globale, celle
de l’« approche constructiviste ». Nous adoptons un point de vue selon lequel la perception
que nous avons des hommes et des femmes politiques n’est pas le reflet fidèle de la réalité,
mais une co-construction entre récepteurs et énonciateurs, dans laquelle les conseillers en
communication détiennent un rôle important (Lemieux, 2012). Nous pouvons faire un lien
entre le rôle tenu par les conseillers en communication, ou spin doctors 3, et le « marketing
politique », défini comme « l’application des techniques de marketing par les organisations
politiques et les pouvoirs publics pour susciter le soutien concentré ou diffus de groupes
sociaux ciblés » (Gerstle et Piar, 2010, p. 45). Ce domaine d’expertise suppose qu’il est
possible de comparer le comportement des consommateurs et celui des citoyens. On vend
un produit-candidat en persuadant la cible (les électeurs) de ses qualités qu’on adapte au
préalable aux demandes de la cible.

    Or projeter les qualités désirées d’un personnage politique demande le contrôle du
discours de l’information. Au minimum, il s’agit de se prémunir contre ce que Goffman
(1959) appelle les « unmeant gestures », menant à une disruption de la performance. Ainsi,
les conseillers en communication tentent de contrôler la façon dont leurs clients sont perçus
publiquement grâce à la publicité, la gestion de l’actualité, les communiqués de presse,
les interviews, l’usage du spin4, les formations aux médias et la campagne permanente
(Coulomb-Gully, 2001 ; Gourévitch, 1998 ; Marland, 2013, 2017).

    Lorsque l’audience croit au « bon caractère » de l’orateur, ses opinions vont être
acceptées plus rapidement (Holt, 2015). Il est dès lors important d’accroître sa crédibilité
en tant que personnage politique. Il s’agit de mettre en lumière l’intentionnalité de la
routine de sélection et de présentation sur Instagram. Les personnalités politiques ont leur
photographe personnel, qui bénéficie d’un accès privilégié à leur vie professionnelle et semi-
privée. Adam Scotti (photographe officiel de Justin Trudeau depuis 2010) déclare : « If the
door’s closed, I don’t have to ask. I can also count on one hand the amount of times I’ve

2. Voir : https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1030878/barometre-100-premiers-jours-president-americain.
3. Nous utilisons ici l’appellation de spin doctor comme synonyme du « consultant politique », du « conseiller en
communication » ou du « responsable des relations publiques ».
4. Le spin peut être défini comme « la déformation stratégique de l’information en vue d’influencer l’opinion de
l’audience » (Marland, 2017, p. 37).
K. C. Vossen                                                                    Communiquer, 2019(26), 1-22

been told, “Don’t come in right now 5.” » Selon Scotti, Trudeau a l’habitude de la caméra et
est à l’aise devant celle-ci. Il comprend l’importance des photos et à quoi elles servent. Les
photos sont ensuite sélectionnées et agencées avec soin par l’équipe de relations publiques
(Liebhart et Bernhardt, 2017, p. 16). Kate Purchase, la directrice de communication de
Trudeau, considère Scotti comme « a great asset […] He really provides us with another
medium to tell our story and to tell the Prime Minister’s story 6. »

     Toutefois, si certains consultants parlent de « création » de l’ethos d’un candidat, d’autres
optent plutôt pour les termes d’encadrement ou d’ajustement (Giasson, 2006). Cette
deuxième catégorie insiste sur l’impossibilité de créer un personnage politique de toutes
pièces. L’ethos public se basant avant tout sur la personnalité de l’acteur politique, dont
il s’agit alors de modérer les faiblesses et de souligner les forces. Une des préoccupations
principales des conseillers politiques consiste à s’assurer du respect de l’authenticité de leur
candidat : « il faut que l’image reflète la réalité. Il faut que ça colle à la réalité de la personne.
On ne peut pas créer un personnage » (Giasson, 2006, p. 372).

    Nous pouvons ainsi établir un lien entre l’approche constructiviste et le concept de
cadrage, qui peut être défini comme un processus par lequel certaines dimensions sont mises
en évidence au détriment d’autres en vue de promouvoir une interprétation particulière,
une construction d’un problème, ou une évaluation morale (Grabe et Bucy, 2009, cité dans
Howe-Conlin, 2016). Selon Reese, Gandy et Grant (2001) « the special quality of visuals –
their iconicity, their indexicality, and especially their syntactic implicitness – makes them
very effective tools for framing and articulating ideological messages » (cité dans Howe-
Conlin, 2016, p. 12). Le concept de cadrage est donc central dans la construction de l’ethos
de Justin Trudeau sur Instagram. Le framing est ainsi effectué à travers la rhétorique,
les images sélectionnées, la présentation des publications, etc., et peut avoir un impact
fondamental sur les résultats politiques en privilégiant certains aspects de la réalité, et en
en relayant d’autres au second plan (Howe-Conlin, 2016). Ce cadrage médiatique a pour
fonction de décomplexifier la réalité, en la rendant compréhensible et chargée de sens.

    Malgré cela, il est important de nuancer cette approche en mettant l’accent sur
le caractère négocié de cette construction. En effet, si les spin doctors mettent en place
des stratégies de présentation de soi (Goffman, 1959), ce n’est pas sans tenir compte des
retours de l’audience. En effet, le profil numérique ne traduit pas une vision rationaliste
de l’individu, sélectionnant rigoureusement les aspects qu’il veut promouvoir sans prise
en compte des participants. On se situe dans une négociation de la mise en scène de soi,
contrainte par la norme sociale et le dispositif technique (Coutant et Stenger, 2010).

1.2 Un contexte marqué par la personnalisation et la spectacularisation

Filimonov, Russmann et Svensson (2014) soulignent l’importance de la personnalisation
sur Instagram, ainsi que la forte présence des candidats de tête. Au sein des démocraties
industrielles avancées, la communication politique est de plus en plus personnalisée
et l’attention médiatique s’oriente davantage vers la vie privée des politiciens (Stanyer,
2013). La personnalisation désigne le processus par lequel les personnages politiques
deviennent le critère d’interprétation et d’évaluation des personnalités politiques au sein
de l’arène politique (Balmas et Sheafer, 2011, dans Lalancette et Raynauld, 2017). Ainsi,
la personnalité des candidats accroît de plus en plus son poids dans le choix électoral,
aux dépens des considérations idéologiques et partisanes (Andre et al., 2015), tandis que

5. Andrew-Gee, E. (2016, 12 août). The unmediated photo is the message. The Globe and Mail. Repéré à https://www.
theglobeandmail.com/news/national/the-unmediated-photo-is-themessage/article31389091/
6. Op. cit.
Le cadrage politique et l’ethos de Justin Trudeau sur Instagram | 5

la privatisation, ou intimisation, désigne l’attention médiatique sur les caractéristiques
et la vie intime des candidats. Selon Corner (2003, cité dans Street, 2004), les hommes
et les femmes politiques agissent dans trois sphères différentes, mais chevauchantes : la
sphère du publique et populaire, la sphère des institutions politiques et des procédures et la
sphère privée. La dernière croise la sphère publique au niveau de la projection stratégique
publicitaire de la vie privée et des révélations journalistiques sur la vie privée des candidats
(Corner, 2003, cité dans Street, 2004). C’est ce chevauchement que Stanyer (2013) désigne
par le concept d’intimisation : flux d’informations et d’images circulant entre la sphère
privée et la sphère publique médiatisée.

     Par ailleurs, la spectacularisation désigne la transformation de la politique en spectacle
opérée par les médias (Pellisser et Pineda, 2014). Celle-ci entraîne une modification du
discours public sur le plan de sa forme, de la mise en scène de l’information et, a fortiori, du
contenu. En effet, avec l’arrivée de la télévision dans les années 1960, les politiques se sont
professionnalisés en vue d’apprendre à maîtriser (media trainings) le langage télévisuel,
comment interagir avec la caméra, etc. Cela dans un contexte de post-vérité, défini par
l’encyclopédie d’Oxford comme « relating to or denoting circumstances in which objective
facts are less influential in shaping public opinion than appeals to emotion and personal
belief. » Pellisser et Pineda (2014) définissent cinq indicateurs de la spectacularisation : 1) la
présence de thèmes légers ; 2) l’intense personnalisation ; 3) la tendance vers l’émotionnel
et l’approche humaine ; 4) la proéminence d’actions individuelles sur l’explication d’idées ;
et 5) l’usage d’images au format spectaculaire (filtres, perspectives, localisations, mise en
scène, etc.). Ainsi, la spectacularisation permet de simplifier le message et de créer une
connexion émotionnelle avec l’audience (Balmas et Sheafer, 2013).

     Cette réflexion s’insère dans l’extension du concept de sphère publique développée par
Jürgen Habermas (1962), selon qui la sphère publique était dominée par le débat critique
et argumentatif, caractéristique de la démocratie. Aujourd’hui, cette sphère publique ne
se limite plus à la rationalité et y lie l’émotivité orientant l’ensemble des communications
médiatiques et sociétales. Selon McGuigan (2000), la spectacularisation, la personnalisation
et l’importance croissante du pathos sont symptomatiques d’un type particulier de sphère
publique qu’il désigne sous le nom de « sphère publique culturelle », « which operates
routinely according to affectivity, emotionally and sensuously, alongside the effectivity of
the official public sphere of politics where questions of information flow, popular cognition
and rational debate are paramount matters of concern » (p. 2).

    Ce contexte est inextricablement lié au concept de célébrité, désignant ceux qui, par les
médias de masse, profitent d’une plus grande présence et d’un spectre plus large d’activité et
d’agence que le reste de la population. Nous nous concentrerons ici sur un type de phénomène
lié à la célébrité et nommé par John Street (2004) sous le terme de « celebrity politico ».
Celui-ci désigne les acteurs politiques qui utilisent les artefacts, les icônes et l’expertise de la
culture populaire pour améliorer leur ethos et communiquer leurs messages.

1.3 L’ethos numérique en communication politique

Tout d’abord, il est important de délimiter l’usage de la notion d’ethos dans le cadre de notre
recherche. Amossy (1999) définit la construction de l’ethos comme l’activité consistant à
faire bonne impression, à l’élaboration d’une image de soi favorable en vue de lui conférer
crédibilité et autorité. Il distingue trois plans disciplinaires liés à la notion d’ethos : l’ethos
d’Aristote, étudié à travers la rhétorique en tant qu’effet d’une stratégie du locuteur ; la
conception linguistique, portée par Ducrot (1984) et Maingueneau (2002) à travers l’analyse
K. C. Vossen                                                       Communiquer, 2019(26), 1-22

de discours ; et l’approche sociologique de la « présentation de soi » descendant de Goffman
(1959) et s’intéressant à l’ethos dans le contexte des interactions sociales.

     Introduite par Aristote dans son œuvre la Rhétorique, l’ethos peut-être défini comme
« l’image de soi que le locuteur construit dans son discours pour exercer une influence sur
son allocutaire » (Charaudeau et Maingueneau, 2005, p. 82). La théorie aristotélienne place
l’ethos au cœur d’un triangle de moyens de persuasion-clé, aux côtés du logos et du pathos.
Le logos fait référence à « la capacité de construire un discours rationnel et argumenté »,
tandis que le pathos renvoie à « la capacité d’utiliser le registre de l’émotion pour toucher
son public » (Koutroubas et Lits, 2011, p. 231). L’ethos est ainsi désigné comme un moyen
de persuasion technique, issu d’un travail discursif du locuteur et lié à l’énonciation même.
L’ethos d’Aristote est à distinguer du savoir extradiscursif sur l’orateur en tant qu’être
empirique (Burbea, 2014 ; Maingueneau, 2002), chaque nouveau discours faisant table rase
des opinions et savoirs passés. Parallèlement, la linguistique distingue l’« ethos préalable »
ou « prédiscursif », qui désigne ce que l’on perçoit du locuteur en tant qu’être empirique, en
tant que sujet psychosocial, tandis que l’« ethos discursif » d’Aristote est rattaché aux rôles
énonciatifs tenus par le locuteur, en fonction de la scénographie de ses actes de langage
(Perrin, 2012).

    Dans le domaine des sciences sociales et à la suite d’Amossy (1999), Lalancette (2012)
insiste sur l’interdépendance des deux points de vue, considérant l’ethos au croisement
de l’ethos préalable et de son équivalent discursif. En outre, dans le domaine politique, la
plupart des orateurs sont constamment présents sur la scène médiatique, l’ethos discursif
devient donc difficilement dissociable des représentations de l’ethos préalables à l’acte
d’énonciation (Maingueneau, 2002). À l’instar de la définition d’Isocrate, dans le cadre de
la construction d’un profil sur les réseaux socionumériques, l’ethos ne peut être considéré
comme limité à un artefact rhétorique spécifique. En effet, l’accessibilité et la disponibilité
des profils numériques a un impact non négligeable lorsque nous considérons la construction
de l’ethos. Chaque nouvelle énonciation va infirmer ou confirmer les représentations
antérieures de l’ethos de l’orateur. Ainsi, parallèlement à Amossy (1999) et à Holt (2015),
nous situons d’abord l’ethos dans le contexte de sa construction perpétuelle.

    Ensuite, en parallèle avec l’approche sociologique de Goffman (1959) et par contraste
avec les approches aristotéliennes et linguistiques (Ducrot, 1984), nous adoptons ici une
définition multimodale du concept d’ethos. Celle-ci prend en compte non seulement l’ethos
discursif construit au travers des légendes des publications Instagram, mais aussi les
signes émanant de la communication non verbale sur la plateforme. L’ethos renvoie donc
tant aux indices verbaux (le choix des mots, les arguments mobilisés, les modalisateurs,
les embrayeurs, etc.) par lesquels l’orateur pose sa marque sur l’énoncé (Burbea, 2014),
qu’aux éléments extraverbaux ou coverbaux, tels que la voix, le ton, les gestes, la tenue
vestimentaire, la posture, etc. (de Chanay et Turbide, 2011). En effet, si la rhétorique
souligne la dimension technique du discours, l’usage des comportements coverbaux fait
également l’objet d’une réflexion stratégique (de Chanay et Turbide, 2011).

    Par ailleurs, l’approche sociologique de Goffman (1959) insiste sur la dimension
interactionnelle de l’ethos à travers le concept de la présentation de soi. Il s’agit d’une
représentation qu’on a de soi-même et qu’on tente de projeter sur les autres dans les
contextes de présence sociale, à travers une performance. Comme chez Aristote, l’ethos
préalable est renégocié à chaque nouvelle interaction ; il peut être confirmé, modifié, voire
invalidé (Amossy, 1999). Toutefois, dans le cas de notre recherche sur Instagram, nous
nous concentrons sur la rhétorique et l’analyse des publications du compte Instagram de
Justin Trudeau comme partie intégrante d’une stratégie politique, sans prendre en compte
l’engagement ou les réactions suscitées par celles-ci (commentaires, partages, likes).
Le cadrage politique et l’ethos de Justin Trudeau sur Instagram | 7

Cependant, nous considérons une dimension interactionnelle, dans la mesure où Justin
Trudeau et ses conseillers en communication prennent en compte les réactions et le public
auquel ils s’adressent pour établir la stratégie qui orientera les publications sur Instagram.
Selon Coutant et Stenger (2010), le profil des utilisateurs sur les réseaux socionumériques
est « une face que l’individu va construire et négocier avec autrui » (p. 49).

     Enfin, il nous semble important de distinguer le terme d’ethos de celui d’image.
Parallèlement, Müller et Geise (2015) désignent l’image comme une construction mentale
d’un objet ou d’une personne, générée sur la base d’images, de faits, d’associations,
d’expériences de jugement (médiatiques) perçues consciemment ou inconsciemment. Ainsi,
si les concepts d’image et d’ethos sont inextricablement liés, l’ethos se réfère davantage aux
représentations négociées à propos de la crédibilité et du caractère de l’orateur, tandis que
l’image désigne davantage l’impression psychologique (Marland, 2013) résultant de ces
représentations.
    Dans le cadre de cet article, nous optons donc pour une conception de l’ethos située au
croisement de l’ethos prédiscursif social et de l’ethos discursif. En outre, à la suite de Turbide
et de Chanay (2011), cette recherche s’inscrit dans une volonté d’articulation des dimensions
multimodales des discours politiques, en combinant l’analyse des indices verbaux et visuels.
Il est aussi nécessaire de mettre en évidence le caractère « socionumériquement » construit
de l’ethos faisant l’objet de notre étude, lequel est contraint par des codes médiatiques
intrinsèquement liés à la plateforme. Finalement, il nous semble important de lever le voile
sur l’« hyperconscience » des personnalités politiques à propos de leur ethos, faisant l’objet
d’une stratégie dans un contexte de spectacularisation (Ebacher et Lalancette, 2012).

2. Entre analyse de contenu catégorielle et analyse de discours
Le dispositif prend forme à travers une analyse de contenu catégorielle consistant à
comptabiliser et à comparer l’occurrence de certains éléments iconographiques et textuels,
regroupés en catégories significatives. Selon l’analyse de contenu catégorielle, plus
fréquemment une catégorie est utilisée, plus significative celle-ci est. Cette méthode rentre
dans le cadre des démarches quantitatives (Van Campenhoudt et Quivy, 2011) et a été
réalisée à l’aide du logiciel de tabulations Excel de la suite bureaucratique Microsoft Office.

    En complément de l’analyse de contenu catégorielle, les légendes des publications
Instagram du compte de Justin Trudeau ont été analysées suivant certains éléments issus
de l’analyse de discours. En effet, notre dessein est d’étudier les publications Instagram
sous leur forme la plus exhaustive, en nous penchant non seulement sur le visuel, mais
également sur le discours qui « ne se contente pas de décrire un réel qui lui préexiste mais
construit la représentation du réel que le locuteur souhaite faire partager par son allocutaire
[…]. Le discours a donc un objectif performatif : c’est un acte volontariste d’influence »
(Seignour, 2011, p. 31).

    Les légendes Instagram de Justin Trudeau sont donc considérées en tant que
parties intégrantes de la stratégie de campagne et de communication gouvernementale
postélectorale. L’unité d’analyse est la publication Instagram, comprenant l’image, mais
aussi la légende et les hashtags, ou le discours dans le cas de la vidéo de l’échantillon. À
travers l’analyse discursive, notre rôle est d’identifier les marqueurs de la visée persuasive
du corpus textuel, sous le prisme de la construction de l’ethos du candidat et premier
ministre nouvellement élu (Seignour, 2011). Cette étape méthodologique inclut l’analyse
quantitative du système d’énonciation, des champs sémantiques, de la nature des arguments
et du discours en général, ces éléments étant ensuite interprétés de façon qualitative.
K. C. Vossen                                                         Communiquer, 2019(26), 1-22

Nous nous appuyons sur le logiciel de sémantique Tropes, créé par des chercheurs en
psychologie sociale (Seignour, 2011), qui facilite et objective le processus analytique « en
faisant apparaître de façon systématique, sans qu’aucun choix ne soit opéré, les « nuances
invisibles à l’œil nu » (Baudelot, cité dans Seignour, 2011, p. 43). Il est important de noter
que le logiciel ne fut qu’un outil dans le calcul de la présence des catégories discursives. Une
fois identifiées grâce au logiciel, cela de façon isolée dans les deux langues, les catégories et
les tendances discursives ont été réincorporées au corpus et analysées dans leur globalité,
en connexion avec les documents iconographiques.

    Enfin, notre étude peut être catégorisée comme une étude de cas qui porte sur la
personnalité politique de Trudeau, et constitue donc une analyse d’un cas particulier, ne
pouvant être généralisée à l’ensemble des personnages de la classe politique (Cresswell et
Clark, 2007). À l’instar de Lee Cronbach (1975), nous souhaitons souligner l’importance de
l’évaluation du degré de transférabilité entre deux contextes avant toute transposition. La
transférabilité renvoie à la concordance entre le contexte d’émission et celui de destination.
Ainsi, nous transformons un problème de représentativité en une question de transférabilité
(Latzko-Toth, 2009). Dès lors, si le contexte d’une étude A est suffisamment congruent au
contexte de l’étude B, il sera possible de transférer certains résultats d’une recherche à
l’autre (Gomm, Hammersley et Foster, 2000). En effet, l’étude de cas est caractérisée par la
description dense du terrain et fait le lien entre l’empirique et le théorique.

   Concernant notre corpus, 46 publications (45 photos et une vidéo) ont été archivées
pour la période considérée dans cette étude (du 3 août 2015 au 12 février 2016). Nous
avons développé une grille de catégories de codage inductive et déductive pour déterminer
comment l’ethos de Trudeau fut cadré sur Instagram durant les deux périodes préalablement
déterminées (la campagne électorale du 3 août 2015 au 19 octobre 2015 et les 100 premiers
jours du gouvernement de Justin Trudeau, du 20 octobre 2015 au 12 février 2016). Les
commentaires sous les publications de Trudeau n’ont pas été pris en compte dans l’analyse.
Les stories Instagram n’ont pas non plus été considérées, celles-ci ayant été lancées par
Instagram le 2 août 2016 (Lalancette et Raynauld, 2017).

    Pour éviter une interprétation subjective des publications, les indicateurs ont été
développés pour l’entièreté des variables et testés sur un petit échantillon de cinq photos
du fil Instagram de Justin Trudeau. Les catégories de codes ont ensuite été adaptées,
ajoutées ou enlevées afin de décrire et d’analyser de façon adéquate le cadrage de l’ethos
de Trudeau sur Instagram. Un total de 41 catégories ont été prises en compte dans la
recherche. Elles peuvent être regroupées en sept groupes : 1) les caractéristiques générales
de la photographie (ex. : couleurs, format) ; 2) le recours aux fonctionnalités d’Instagram
(ex. : likes et hashtags) ; 3) les caractéristiques générales de la scène représentée (ex. : lieu,
sphère, activité) ; 4) les caractéristiques strictement politiques (ex. : symboles patriotiques
ou présence du parti) ; 5) la description de la situation sociale (ex. : interaction, nombre
de personnes) ; 6) la représentation de Trudeau (ex. : vêtements et expression) ; et 7) les
caractéristiques discursives (ex. : langue(s), temporalité, ponctuation).

    Concernant la fiabilité du codage, celle-ci peut être définie comme le degré de
consistance dont fait preuve le codeur en classifiant le contenu selon des valeurs définies sur
des variables spécifiques (Bell, 2001). Elle peut être démontrée grâce à la fiabilité « inter-
codeur » (la corrélation des jugements du même échantillon par plusieurs codeurs) ou
« intra-codeur » (la corrélation des jugements du même échantillon par un seul codeur,
à plusieurs moments) (Bell, 2001). En effet, l’analyse de contenu se revendique fiable et
donc susceptible d’être répliquée, montrant ainsi la minimisation du nombre d’erreurs.
Dans le cadre de notre recherche, après avoir testé le procédé de codage des données
iconographiques et discursives grâce à un échantillon de cinq publications du compte
Le cadrage politique et l’ethos de Justin Trudeau sur Instagram | 9

Instagram officiel de Justin Trudeau 7, le procédé fut appliqué à l’entièreté des données, cela
à trois reprises différentes, de façon à assurer au maximum la fiabilité du codage et donc des
résultats de la recherche.

    Parmi les catégories, l’ensemble des éléments discursifs a été analysé dans les deux
langues. Les fréquences et les pourcentages des 41 catégories ont ensuite été calculés en
distinguant deux périodes d’analyse : la campagne électorale (3 août 2015 au 19 octobre
2015) et les 100 premiers jours du gouvernement Justin Trudeau (20 octobre 2015 au
12 février 2016). Nous avons procédé à une évaluation simultanée du texte et de l’image
offrant une impression globale.

3. Présentation et interprétation des résultats
À l’instar de López-Rabadan et Doménech-Fabregat (2018), nous avons choisi d’organiser
nos résultats selon la structure des « 5 W + H » journalistiques (qui a fait quoi (who did
what), où et quand (where and when), pourquoi et comment (why and how) ; Cramerotti,
2009) afin de proposer une vue complète et cohérente de la mise en scène stratégique de
l’ethos de Justin Trudeau sur son profil Instagram.

3.1 Quoi ?

Activité
En période de campagne, les rencontres avec les citoyens (35 %) sont les activités les plus
partagées sur le compte Instagram de Trudeau, suivies par les temps d’intimité familiale
(31 %). Par contraste, les moments de travail, dans un contexte strictement professionnel
(hors rencontre avec les citoyens), prennent la première place (47 %) en post-élections,
pour seulement 15 % durant la campagne. Par ailleurs, le contexte exclusivement familial
et de loisirs diminue sensiblement, passant respectivement de 31 % à 11 %, et de 8 % à
0 %. Toutefois, de façon constante durant la période de l’analyse, un tiers des publications
(33 %) lève le voile sur un homme social et compassionnel, montrant Trudeau sur la « scène
publique et populaire » (Corner, 2003, cité dans Stanyer, 2013, p. 12-14) allant à la rencontre
des citoyens et confortable dans tous les contextes sociaux. Ces publications soulignent
l’empathie et la compassion de l’homme politique. On est face à l’ethos d’un politicien
gérant les événements émotionnels (pathos) avec élégance (Lalancette et Raynauld, 2017).

Politique
Si, en période de campagne, la majorité des publications ne se concentrait guère sur la
politique à proprement parler (35 %), cela change durant les 100 premiers jours, où 74 %
y sont dédiés. Concernant les thèmes politiques privilégiés, on retrouve le pluralisme
culturel et l’immigration en première place durant la campagne, permettant de le distinguer
de la politique conservatrice de son prédécesseur et adversaire Stephen Harper. Durant
sa première année de gouvernement, Trudeau a surtout mis en évidence les politiques de
l’emploi et du développement social sur son compte Instagram, juste avant l’économie.
La présence de ces thèmes peut participer à accroître la fiabilité de l’homme politique, le
montrant à la hauteur de ses promesses de campagne, digne de confiance (Lalancette et
Raynauld, 2017). En outre, environ un tiers (31 %) des publications présente un symbole
patriotique.

7. Voir : https://www.instagram.com/justinpjtrudeau/.
K. C. Vossen                                                         Communiquer, 2019(26), 1-22

3.2 Qui ?

Personnes représentées et interactions
Tout d’abord, il est important de noter qu’à travers le fil Instagram analysé, Justin
Trudeau est rarement représenté seul (9 %), respectivement 12 % en campagne et 5 % en
post-campagne. Ensuite, en période de campagne, 35 % des photographies de Trudeau le
montrent entouré d’enfants. C’est toujours le cas pour 26 % des photographies durant les
100 premiers jours post-campagne, pour une moyenne de presque un tiers des publications
au total (29 %). Parallèlement à ce que nous révèle l’analyse iconographique, le mot enfant
apparaît également à plusieurs reprises dans le matériau discursif (10 %). Concernant le
nombre de personnes, la catégorie la plus mise en avant représente l’homme politique
entouré d’un groupe important de personnes, avec plus de 10 personnes, soit, au total, 44 %
des publications et, à travers les deux périodes analysées, la plus grande catégorie (38 %
et 53 % respectivement), suivie dans les deux cas par environ un tiers des photographies
reflétant une scène entre un cercle restreint privilégié, entre 3 et 5 personnes (31 % et 26 %).

    De plus, la quasi-totalité (93 %) des publications insiste sur le caractère social et amical
de Trudeau grâce à ses interactions avec une multitude de citoyens, sa famille et ses collègues
(Grabe et Bucy, cité dans Lalancette et Tourigny-Koné, 2015). Dans l’ensemble, 60 % de ces
interactions incluent un contact physique : près d’un tiers (27 %) montre un enlacement de
Trudeau avec une autre personne, suivi par la main dans la main (16 %), à distinguer de la
poignée de main (9 %), plus officielle et moins affectueuse, à égalité avec le regard ou l’écoute
(16 %). Les personnes avec qui ces interactions se déroulent sont pour près d’un tiers d’entre
elles des enfants (31 %), insistant sur le rôle de père-modèle du candidat, bienveillant et
fiable (Grabe et Bucy, cité dans Lalancette et Tourigny-Koné, 2015), avant des hommes ou
des femmes, de façon quasiment paritaire (22 % et 18 % respectivement), mettant en avant
l’importance de la parité entre les genres.

Sophie Grégoire
Par ailleurs, sur environ la moitié des publications (47 %), son statut d’époux est mis en
avant, soit grâce à l’apparition de Sophie Grégoire (29 %) ou de son alliance (18 %), soit à
travers l’utilisation discursive du prénom de « Sophie » (10 %). Nous pouvons tout de même
noter que son rôle d’époux est davantage mis en avant en période post-élections (58 %) que
durant la campagne (39 %).

Tenue vestimentaire et expression
En période de campagne, la catégorie majoritaire (42 %) des photographies présente
Trudeau en chemise et manches relevées, avec ou sans cravate. Devenu premier ministre
canadien, il est davantage représenté en costume et cravate (53 %, contre seulement 12 %
avant les élections). On passe donc d’un candidat « décontracté », se rapprochant de
l’apparence du citoyen lambda (Lalancette et Tourigny-Koné, 2015), à un premier ministre
plus sérieux et dédié à sa fonction, revêtant les habits commandés par celle-ci. De plus, la
majorité (67 %) des publications de son compte Instagram présente un homme souriant et
amical, renforçant son capital sympathie. Sur 47 % des photographies, Trudeau porte un
large sourire, tandis que 20 % le montrent avec un léger sourire. Une part plus restreinte
met en avant un visage compatissant (4 %), concentré (4 %) ou à l’écoute (4 %).
Le cadrage politique et l’ethos de Justin Trudeau sur Instagram | 11

Analyse de l’énonciation
L’analyse de la narration du contenu discursif (et oral de la vidéo faisant partie du corpus)
met en évidence une tendance vers (1) la narration neutre (42 % des publications) 8, suivie
par (2) la première personne du pluriel (30 %), (3) la première personne du singulier (27 %) 9
et, enfin (4), la deuxième personne du singulier (9 %).

    Si le nous inclusif apparaît dans seulement 21 % des publications en période de
campagne (15 % en français et 27 % en anglais), il est présent dans 43 % en post-campagne
(45 % en français et 40 % en anglais). En campagne, l’utilisation de la première personne du
pluriel (voir Tableau 1) permet d’inclure Trudeau dans un « nous » faisant référence : (1) au
parti libéral (44 %) et (2) aux citoyens canadiens (39 %). En tant que premier ministre, il
est majoritairement décrit comme partie intégrante : (1) du gouvernement (52 %), (2) des
citoyens (17 %), ou encore (3) de la classe politique en général (17 %). Cela concorde avec
l’étude du fil Instagram de Trudeau durant sa première année de gouvernement réalisée
par Lalancette et Raynauld (2017) selon laquelle la majorité des publications adopte une
approche inclusive.

          Tableau 1. Sujet auquel fait référence la première personne du
         pluriel utilisée au sein du contenu discursif du compte Instagram
                                   de Justin Trudeau

                                                           Campagne                          Post-campagne
        Gouvernement Trudeau                                   0%                                  52 %
                Parti libéral                                  44 %                                 0%
           Citoyens canadiens                                  39 %                                17 %
             Classe politique                                  0%                                  17 %
                   Autre                                       0%                                   9%
                  Indéfini                                     17 %                                 4%

    Par ailleurs, la première personne du singulier est présente au sein de 27 % des unités
analytiques discursives 10 de façon équilibrée entre les deux périodes. L’usage de la première
personne du singulier permet de communiquer une présence personnelle du personnage
politique (Endres et Warnick, 2004). Ainsi, Trudeau conserve un style narratif personnel au
sein de plus d’un quart de ses publications, de façon inchangée entre son statut de candidat
et celui de premier ministre.

    Concernant la seconde personne (du singulier ou du pluriel 11), elle est utilisée dans
seulement 9 % des publications, en référence aux citoyens canadiens (67 %) ou à un
membre de la famille de Trudeau (33 %). Il faut néanmoins distinguer les deux périodes
d’analyses, la période de campagne s’appuyant davantage sur une logique d’intimisation ou
de privatisation, avec 50 % des pronoms de la deuxième personne s’adressant à ses proches,
8. Remarque méthodologique : dans le codage, la légende a été comptée comme possédant un indicateur « pronom
personnel » dès son apparition. Une légende peut donc être codée comme possédant à la fois un indicateur « première
personne du pluriel » et « première personne du singulier » (ex. : « Excellente visite à mon ami Denis Coderre
aujourd’hui. Nous avons discuté de notre plan pour investir dans Montréal. »). De la sorte, les légendes de narration
neutre sont celles qui ne contiennent aucun indice de personne.
9. Remarque méthodologique : dans le codage a été compté comme possédant un indicateur « première personne du
singulier » les légendes des publications sous-entendant un tel pronom personnel (ex. : « Fier de défendre l’égalité des
droits des gais/lesbiennes/bisexuels/transgenres/allosexuels canadiens !).
10. Remarque méthodologique : chaque légende accompagnant une photographie étant codée comme une unité
analytique discursive. Les vidéos ont également été recensées comme unité analytique discursive.
11. Remarque méthodologique : nous avons fait le choix de ne pas différencier les usages de la deuxième personne du
singulier ou du pluriel dans aucune des deux langues, la distinction ne s’opérant pas en anglais.
K. C. Vossen                                                        Communiquer, 2019(26), 1-22

tandis qu’en tant que premier ministre, Trudeau s’adresse exclusivement aux citoyens
canadiens (100 %).

    L’analyse de l’énonciation met en évidence une grande variation au sein de la narration,
avec une distinction nette entre les deux moments d’analyse. En effet, au travers de la
campagne électorale, Trudeau est présenté sous un angle plus intime et humain, grâce à des
publications dédiées à ses proches et à une stratégie de minimisation de la distance entre
le candidat et les citoyens canadiens, grâce à l’usage du nous inclusif. En tant que premier
ministre, Trudeau est avant toute chose le chef du gouvernement, ce qui se reflète à travers
l’usage de la première personne du pluriel (43 %) afin de souligner les accomplissements de
l’équipe gouvernementale.

3.3 Quand ?
Spontanéité
Sur l’entièreté de la période analysée, on observe un style photographique « croqué sur le
vif », comme si la photo avait été prise par un téléphone intelligent. En effet, seulement cinq
des 45 photographies (11 %) paraissent officielles, avec des protagonistes qui « posent ».
Cela vient appuyer les analyses de Filimonov, Russmann et Svensson (2016) et de Lalancette
et Raynauld (2017), selon lesquelles les publications Instagram des dirigeants politiques
favorisent une « spontanéité stratégique » (López-Rabadan et Doménech-Fabregat, 2018)
induisant l’authenticité, en contraste avec les photos officielles, soulignant la distance entre
les citoyens et les personnages politiques. Selon Arbour (2014, cité dans Lalancette et
Raynauld, 2017), dans un contexte de campagne permanente, projeter un ethos authentique
peut aider les personnages politiques à s’assurer un soutien auprès des citoyens.

3.4 Où ?

Lieu
Concernant le lieu, la période de campagne se concentre davantage sur un environnement
extérieur (46 %) par rapport aux 100 premiers jours (32 %). En outre, en post-campagne,
plus d’un quart des publications le montre dans un environnement interne de travail du
type bureau ou salle officielle (26 %). Enfin, les deux périodes conservent un taux presque
inchangé de publications (15 % et 16 %), accentuant le côté mobile et dynamique de Justin
Trudeau, le présentant dans ou à proximité d’un moyen de transport (avion, autobus,
voiture, ou train), « en chemin » entre plusieurs lieux.

Sphère
D’une part, Trudeau « le candidat » privilégie son rôle d’époux et de père à travers des
publications dévoilant des moments d’intimité avec Sophie Grégoire et leurs enfants (46 %).
Il incarne également la figure du fils dévoué grâce à la publication affectueuse dédiée à sa
mère. Il s’agit de l’unique photographie qui possède une légende en anglais, non traduite,
comme s’il s’adressait directement à sa mère (Figure 1).
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