La radio scolaire : quelles formations pour les maîtres au Burundi et en France ? - Sticef

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La radio scolaire : quelles
formations pour les maîtres
au Burundi et en France ?
u Emmanuelle VOULGRE (EDA, Université Paris Descartes),
  Stéphanie NETTO (TECHNE, Université de Poitiers)

■ RÉSUMÉ • Cet article présente une approche historique et géopolitique
de la radio, partant notamment d’exemples d’émissions pédagogiques et
de radios scolaires en France et au Burundi. Notre analyse qualitative
s’appuie sur 25 entretiens exploratoires menés au Burundi. Elle nous a
permis d’identifier trois groupes ayant des activités avec la RSN : les
enseignants, les cadres des supervisions et les journalistes du Ministère de
l’éducation de base. Notre conclusion ouvre sur des problématiques liées à
l’évolution des technologies numériques que les maîtres seront amenés à
s’approprier en termes de littératie numérique pour faire évoluer leurs
pratiques professionnelles.

■ MOTS-CLÉS • Formation         à     distance  des  maîtres (IFADEM),
enseignement primaire, radio scolaire, Burundi, France, modèle carré
PADI, représentations sociales, littératie numérique

■ ABSTRACT • This article offers a historical and geopolitical approach of
radio to be left in particular examples of pedagogical broadcasts and school
radios in France and Burundi mainly. Our qualitative analysis is based on 25
semi-structured and exploratory interviews led to Burundi. It enabled us to
identify three groups having activities in link with this public radio: teachers
of basic teaching, managers of supervision in the Ministry for Education and
journalists themselves attached to this Ministry. Our conclusion opens on
problems related to the evolution of digital technologies that the teachers will
be brought to suit in terms of literacy to advance their professional practices.

■ KEYWORDS • Distance training for teachers (IFADEM), primary
education, school radio, Burundi, France, PADI square model, social
representations, digital literacy

Emmanuelle VOULGRE et Stéphanie NETTO
La radio scolaire : quelles formations pour les maîtres au Burundi et en France ?
Sticef, vol. 23, numéro 1, 2016, pp. 77-108, DOI: 10.23709/sticef.23.1.3            77
Emmanuelle VOULGRE et Stéphanie NETTO

     1. Introduction

    L'article proposé s'appuie en partie sur une communication réalisée
dans le cadre du colloque JOCAIR 2014 – symposium 2 « École et TICE »
(Voulgre et Netto, 2014). Nous y interrogions comment évoluent
l’accompagnement et la supervision de l’action enseignante à l’école
primaire au Burundi, notamment au travers d’émissions produites par la
Radio Scolaire Nderagakura (RSN), service du Ministère de l’Enseignement
burundais, dans le cadre des réformes des programmes et dans un
contexte d’émergence de la téléphonie mobile. Nous l’avons enrichi de
lectures complémentaires concernant l’évolution historique de la radio
scolaire et les systèmes scolaires et de formations, en France et au Burundi.

    La recherche SUPERE-RCF (Supervision PEdagogique et REssources –
Recherche Coopérative Francophone) est financée par l'OIF et l'AUF dans
le cadre d'un appel à projet thématique (AUF/RETHE Thème 2, 2012) et
coordonnée par des experts IFADEM (Initiative francophone pour la
formation à distance des maîtres). Notons dès à présent qu'IFADEM est
avant tout un projet innovant de formation des maîtres. Dirigé par un
groupe d’experts, il est une entité qui représente les institutions OIF et
AUF auprès des institutions internationales des pays qui font appel à ces
experts. IFADEM est alors autant de projets qui se construisent et se
déclinent avec les acteurs locaux selon les particularités, les moyens et les
choix des pays (IFADEM Burundi, IFADEM Bénin etc.). De par la
complexité des actions entreprises et des multiples acteurs qui co-
travaillent ensemble, nous le considérons comme un dispositif dans
lequel s’inscrivent notamment des programmes de formations. Nous
utiliserons désormais ce sigle dans ces diverses assertions.

    Notre recherche a pour objectif de comprendre les trajectoires
professionnelles des acteurs de supervision au Primaire, les évolutions des
corps de métiers dans les systèmes éducatifs ciblés, l'émergence de
nouvelles compétences et de nouveaux métiers ainsi que les modes de
régulation de ces évolutions. Aussi, plusieurs missions de recherche ont
été réalisées en France et en Afrique subsaharienne : Cameroun, Sénégal et
Burundi. Nous souhaitons présenter ici quelques résultats intermédiaires
de la mission menée dans ce dernier pays, entre le 25 février et le 7 mars
2014. La finalité de cet article en lien avec celle de la mission est de
questionner comment la radio scolaire est un des leviers de l’évolution de
pratiques dans la supervision pédagogique au Primaire pour différents
acteurs dont les enseignants et directeurs d’écoles publiques et privées, les

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acteurs de la supervision qui encadrent (inspecteurs)              ou   qui
accompagnent (conseillers pédagogiques) les maîtres.

    En ce qui concerne l’évolution technologique, notre approche ne peut
prétendre à l’exhaustivité, mais tâche de proposer un panorama assez
large du développement radiophonique en France et en Afrique
Subsaharienne pour un meilleur regard systémique en lien avec la « radio
scolaire ».

   Cet écrit compte donc fournir des éléments de réponse à trois
questions de recherche :
   - comment a évolué la place de la radio scolaire au sein du déploie-
       ment plus large de la radio, d’un point de vue historique, géopoli-
       tique et éducatif, plus particulièrement en Afrique et au Burundi ? ;
   - comment les acteurs de la communauté éducative rencontrés au
       Burundi, se représentent le média « radio scolaire » ? ;
   - comment ces mêmes acteurs articulent-ils radio scolaire et système
       de supervision pédagogique des maîtres au Burundi ?

   Pour répondre à ces questionnements, notre texte est organisé en cinq
parties en plus de l’introduction et de la conclusion. Dans les deux
premières parties (2 et 3), nous réaliserons d’abord un état de l’art sur la
place de la radio scolaire en Afrique et particulièrement au Burundi à
partir d’apports théoriques diversifiés (principalement historiques,
géopolitiques et éducatifs). Pour ce faire, nous ferons un détour vers la
place de la radio en France comme exemple de pays colonisateur et un
abrégé des inventions qu’il y a eu autour de la transmission du son. Les
deux parties suivantes (4 et 5) seront l’occasion de décrire la théorie des
représentations sociales et le modèle du carré PADI, mais aussi de fournir
le cadre dans lequel les données présentées ont été récoltées (projet
SUPERE-RCF, méthodologie). Enfin, la dernière partie (6) s’attachera à
analyser puis à discuter les discours de 25 personnes à propos d’une radio
scolaire au Burundi (la RSN), à partir d’une lecture systémique et
psychosociale.

   2. La radio : une longue histoire d’inventions
      et de progrès au service l'éducation
      en France et en Afrique
    Il nous paraît intéressant de comprendre comment la radiophonie, au
fil des siècles, s’est progressivement implantée en Afrique Subsaharienne
et plus particulièrement au Burundi. Nous avons choisi ici de retracer

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historiquement les différentes inventions (depuis le phonautographe) qui
ont permis de mettre en évidence la place qu’a eue l’industrie phono-
graphique pour transmettre, enregistrer et réécouter des émissions de
radio avant d'aborder les synergies relatives de mouvements éducatifs,
coloniaux et indépendantistes sur l'évolution des usages de la radio en
Afrique.

     2.1. Transmettre, recevoir et enregistrer : quelques
          jalons historiques et techniques de la radio
    Les moyens pour enregistrer le son remontent au moins à 1857, avec le
brevet du phonautographe déposé par le français Édouard-Léon Scott de
Martinville. Pour arriver à restituer le son, il a fallu attendre 1877 et
l'américain Thomas Edison pour disposer du brevet sur le phonographe.
Le procédé mécanique du graphophone ressemble à celui du phono-
graphe qui gravait le son sur des cylindres de cire. Puis, apparaît le
gramophone qui gravait sur des disques plats. L’évolution fera succéder
les disques : le 90 tours cèdera sa place au 78 tours, qui sera détrôné par le
33 tours. Les 45 tours auront ensuite une place plutôt complémentaire.

    À la fin du XIXe siècle, pour dupliquer un enregistrement, il « suffisait »
de ré-enregistrer la prestation en direct sur un autre support vierge !
L’industrialisation, dans les années 1902-1903, a permis de fournir les
moyens de faire un master pour produire des copies, ce qui a rendu plus
aisées la diffusion et la commercialisation ! C’est la naissance de l'industrie
phonographique française (Chamoux, 2011).

   Les moyens et les inventions techniques pour enregistrer et réécouter
des émissions sonores sont venus au XXe siècle avec : le disque phonogra-
phique en 1920, le magnétophone en 1930, le disque vinyle en 1946, la
cassette audio en 1948, le 8-track en 1963, la microcassette en 1964 et
Elcaset en 1969. Néanmoins, les enregistrements dans les stations de radio
en France (du moins) sont très rares avant la seconde Guerre Mondiale,
d’après Tudesq (2009, p. 97) qui a donc recouru à des articles de la presse
papier ou à des discours reproduits pour reconstituer l’histoire de la
radiophonie.

    Les supports se sont diversifiés davantage avec l’apparition et le
développement de l’informatique (mémoire interne en 1940, disque dur
en 1956, carte mémoire en 1980, mémoire flash en 1999, clé USB en 2000)
et le numérique (disque compact en 1978, digital audio tape en 1982,

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MiniDisc en 1987, digital compact cassette en 1991, super audio CD en1999,
DVD-audio en 1999).

   Ce détour pour saisir comment la radio a été techniquement créée,
avec tous les supports qui se rattachent à la transmission du son, permet
d’appréhender comment les pays, et notamment la France et le Burundi,
ont pu en avoir recours pour des raisons géopolitiques, éducatives ou
culturelles. C’est ce que nous allons désormais traiter dans la prochaine
partie.

   2.2. Un contexte propice : radio et mouvement
        des pédagogies nouvelles
    Si les acteurs de l'éducation populaire tentent de développer des usages
pédagogiques avec la radio notamment en Suède et en Angleterre en 1924
(Marzac, 1997, p. 3), le mouvement de Célestin Freinet s’intéresse en
France, aux sciences et aux innovations, comme la radio, afin de les
utiliser comme support à la réflexion pédagogique des élèves.

   Plusieurs recherches portent sur les prémices de la radio comme
support éducatif notamment pour apprendre une langue. Celle de Stikic
(2004) s’intéresse particulièrement à l’apprentissage du Français en Serbie
avec la Radio Belgrade. Celle de Lefèbvre (2013) est une approche histo-
rique des émissions de radio en France à partir notamment du fond de
patrimoine radiophonique du CNPD.

   Héron et al. (2013) rappellent qu’entre 1937 et 1939, des émissions de
radios donnent la parole à des artistes. C’est ainsi que Jean Cocteau entre
1951 et 1954, fait des enregistrements à vocations scolaires produits par
RTF et le Ministère de l'Éducation Nationale. Et c’est en 1955, que l’Institut
de Documentation Pédagogique (IDP) a eu pour mission de développer
des émissions pour les élèves comme « L’invention du téléphone »
enregistrée en 1961 accompagnée d'un bulletin de la radio.

   Rapidement la radio est concurrencée par d'autres supports comme les
diapositives puis par la télévision et les appareils pour enregistrer sur
bandes magnétiques.

    De 1967 à 1969, un plan de transition fut élaboré en France pour la
régulation des productions de la radio scolaire. Ce plan marque aussi
l’ouverture de la radio scolaire à l’éducation permanente des adultes. Pour
ce qui est des formations à destination des professeurs, cela concernera
aussi l’enseignement au Primaire en ciblant le programme sur le

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« recyclage », les nouvelles méthodes pédagogiques et les contenus
d’enseignements. La formation sur les techniques d’intégration de
messages audio-visuels dans les classes a aussi fait l’objet d’un renfor-
cement d’autant plus qu’à cette période, des résistances psychologiques
chez les enseignants, pour utiliser ce type de médias, sont fortement
présentes.

   Dans les années 1960-1975, si certaines émissions ont un caractère
éducatif à destinations de la population et notamment des agriculteurs
(comme « Bonjour Monsieur le Maire » de Pierre Bonté sur Europe 1 de
6h50 à 7h00, présentant les villages de France), le vocabulaire des
animateurs est souvent trop spécialisé (Tudesq, 1988, p. 209) et ne semble
pas donner à ce média autant d'impact éducatif auprès de la population,
qu'escompté.

   Mais, ce sont plutôt des décisions politiques qui conduisent à
développer le réseau radiophonique en Afrique.

     2.3. Place de la radio dans les colonies françaises
    Après la première guerre Mondiale, la France souhaite renforcer les
relations avec ses colonies. De grands travaux sont menés pour construire
un réseau colonial de télégraphie sans fil, la TSF (Colin, 1926, p. 563). C’est
en 1920 que le poste Bordeaux-Lafayette la Croix Hins a été inauguré et
qu’il a assuré le service radiotélégraphique de la métropole avec ses
colonies. D'autres postes se développent par la suite. En 1942, la SOFIRAD
(Société Française de RadioDiffusion) permet de gérer les activités
audiovisuelles extérieures de la France. Et, en 1954, se crée le service de la
Radiodiffusion de la France Outre-Mer (RFOM) pour coordonner
justement toutes les radios d’Outre-Mer. En 1957, des antennes de
radiodiffusion régionales sont créées à Saint-Louis, à Abidjan, à Conakry, à
Cotonou et à Lomé. Si la radio est d'abord contrôlée par les
administrateurs au service de l'état, après la seconde guerre Mondiale, de
plus en plus de voies portent des discours politiques en faveur des
indépendances. Au Sénégal par exemple, une élite d'instituteurs remet en
cause la présence coloniale (Jézéquel, 2005).

    À cette même époque et au-delà, la radio apparaît comme un des
instruments possibles pour l’éducation notamment sanitaire et agricole
en Afrique (Ilboudo, 2014). De nombreux conseils d’hygiène, d’équilibre
alimentaire ou de développement de l’agriculture y sont promus.

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   2.4. La radio en Afrique :
        quelques conditions favorables
   Alors qu'en France les émissions de radios scolaires déclinent, en
Afrique Subsaharienne se développent des radios rurales éducatives
notamment au Sénégal et au Bénin en 1968, au Burkina en 1969 et en 1970
au Togo. Ces pays comptaient par exemple en 1980, 714 radios-clubs au
Bénin ou bien 580 au Burkina, mais pour de multiples raisons, ces espaces
n’existent plus en 2015 (Ilboudo, 2014, p. 8).

   C’est néanmoins entre 1966 et 1973, que les émissions de la radio
« Disoo » au Sénégal ouvrent le dialogue et permettent la liberté
d’expression, elles s’inscrivent dans le mouvement des radios scolaires. La
radio est utilisée pour donner la parole aux populations (Bourgeois, 2006).

    L’arrivée d’émissions radiophoniques a également permis de diffuser
l’information plus rapidement dévaluant alors celle écrite. La
multiplication des médias a nécessité la mise en place des cadres législatifs
(UNESCO, 2011). Il existe alors principalement trois types de radios : des
radios communautaires, des radios privées et des radios publiques.

    La thèse de Lodombe Mbiock (2008), sur les stratégies d’appropriation
des médias et la démocratie au Gabon, au Cameroun et au Sénégal,
rappelle l’importance de la radio depuis 2008. L'auteur souligne la place
des débats accordée notamment aux populations analphabètes. Il
interroge néanmoins la situation de la radio face au développement des
TIC et d'Internet qui ne semble pas encore entrée dans un processus de
démocratisation (p. 158). La radio est considérée comme « une interface à
l’introduction de nouvelles technologies » (Boulc’h, 2003, p. 16).

   2.5. La formation des maîtres en Afrique
        avec la radio scolaire
    Le rapport de l’UNESCO (UNESCO-Gutelman, 1979), sur la radio dans
l’enseignement en Afrique, mentionne les divers axes de formation pour
lesquels est utilisée la radio et fait part des 5 coûts liés à ce média. Il s’agit
de la programmation, des livres, des récepteurs radio, des transmissions, de
la formation des professeurs et des moniteurs.

    À l’initiative de quelques pays ou bien à la suite d’une politique
volontariste du continent africain, la radio scolaire a été un médium
utilisé pour tenter de former les maîtres aux différentes facettes du métier

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d’enseignant au Primaire. C’est ce que Coumaré (2010) aborde par
exemple avec l’expérience au Mali.

   Bogui (2007), quant à lui, aborde plus largement un projet pour
plusieurs pays d’Afrique : l’initiative NEPAD (Nouveau Partenariat pour le
Développement de l’Afrique) dans lequel la radio est un des moyens
soutenus au même titre que les autres TIC.

   Au Gabon plus particulièrement, même si la radio a pu jouer un rôle
dans le domaine de l’éducation, la population aspire à s’approprier des
technologies plus modernes et les plans annoncés semblent aller dans ce
même sens comme le cite Makanga Bala (2010, p. 122).

   Toujours au Gabon, « les émissions de radio et de télévision de la RTG 1
sont désormais disponibles » (Obono Mba, 2008, p. 107) grâce au câble sous-
marin depuis novembre 2007 ce qui questionne de nouveau les usages des
médias et la place de la radio.

    Ainsi, les usages de la radio en Afrique finissent comme en France par
être en concurrence avec les usages de technologies plus récentes telles
que la téléphonie et Internet.

     3. Enjeux éducatifs et éléments d’histoire,
        de géopolitique sur le Burundi
    Dans cette partie, nous avons choisi de retracer succinctement
l’histoire du Burundi depuis 1962 pour ensuite mieux appréhender
comment la radio, puis la radio scolaire, ont été pensées, mises en œuvre
et prises en charge par l’État burundais, appuyé de partenaires
internationaux.

     3.1. Un système éducatif qui évolue
          après l’indépendance de 1962…
    Le Burundi est devenu indépendant le 1er juillet 1962. Il a donc dû
réorganiser son système politique et éducatif après cette date. Le rapport
de Varlet (1968) aborde cette période de construction avec par exemple,
en 1965, la création de l’école Normale Supérieure (ENS). Il s’agit d’y
former des cadres inspecteurs qui puissent faire remonter des données
statistiques locales vers les organes centraux. C’est d’ailleurs dans cette
optique que deux ans plus tard, s’organise le service des statistiques du
Ministère de l’Éducation. Cela a permis de construire des cartographies
des équipements, des écoles, des enseignants selon les régions et aussi de
connaître qui sont les élèves, d’obtenir des indicateurs de la réussite

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scolaire, les besoins des cadres et autres personnels de l’EN. Le pays a
connu cette même année (1967), un Plan de planification quinquennal de
développement de l’éducation et un Plan d’opération gouvernement/
Unicef/UNESCO. Des aides financières pour le Gouvernement ont été
nécessaires et sont venues de la Banque Mondiale de développement et de
l’UNESCO.

    Cette évolution du système éducatif burundais a généré de nombreux
problèmes. Si les congrégations et les communes peuvent parfois
construire des locaux pour servir d’écoles, l’entretien des locaux, le
recrutement du personnel et le placement des élèves ne sont pas si simples
à assumer et à organiser en dehors d’une planification acceptée par l’État,
ce qui en est une limite.

   3.2. À partir des années 90, le mouvement
        Éducation Pour Tous (EPT)
   Il convient aussi de souligner l’importance du mouvement Éducation
Pour Tous (EPT), porté par l’UNESCO, qui a pris jour en mars 1990 lors
d’une conférence à Jomtien en Thaïlande où étaient présents 155 pays
d’Afrique et dont le Burundi était signataire.

    Six objectifs étaient alors mentionnés dès mars 1990, avec la
conférence mondiale sur l’éducation pour tous. Il s’agissait de l’accès
universel à l’éducation, de mettre l’accent sur l’équité et sur les résultats
d’apprentissage, d’élargir les moyens et la portée de l’éducation de base,
d’améliorer l’environnement d’apprentissage et renforcer les partenariats.
En 2015, ces objectifs d’éducation pour tous restent encore des défis. Ce
plan conduit les pays d’Afrique notamment, à mettre en œuvre d’autres
plans pour le développement de l’école et pour la qualité de
l'enseignement. L’organisation des formations initiale et continue des
enseignants mais aussi l’infrastructure des établissements sont des
priorités.

    Notons, sans approfondir ici la question, que le Plan Sectoriel pour le
Développement de l’Éducation et de la Formation (PSDEF) 2009-2016 a été
révisé et adopté en 2012 pour un PSDEF de 2012-2020. C’est aussi dans ce
contexte de réforme que IFADEM a appuyé l’écriture du Plan National de
Formation Continue des Enseignants du Fondamental. Présente dès 2008
pour sa phase d'expérimentation, IFADEM permet de soutenir l'appren-
tissage du français en tant que langue d'enseignement pour les

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instituteurs. Cette initiative au Burundi a permis de former plus de 2000
enseignants afin d'améliorer la qualité de l'enseignement.

    Les réformes éducatives du pays prennent alors en compte les
problématiques de formation des enseignants de manière à modifier et à
faire évoluer le système éducatif burundais.

     3.3. Place de la radio dans le quotidien des Burundais

    L’Histoire de la radio au Burundi nous conduit alors à nous remémorer
la période où ce pays se dénommait Urundi (territoire colonisé et sous la
tutelle de la Belgique) et formait avec le Ruandi (devenu par la suite le
Rwanda) une région du Congo Belge parce qu’a été créé en 1930, l'Institut
National belge de Radiodiffusion (I.N.R.). Quatre ans plus tard, il existait
une radiodiffusion, chaque soir, vers le Congo Belge. Et, il faudra attendre
1943 pour que la capitale Léopoldville soit dotée de son propre centre
d’émission. Ces quelques éléments historiques permettent de prendre
conscience de l’importance toute particulière du contexte dans lequel la
radio s’est implantée au Burundi…

    Les faits d’actualité permettent également de se faire une opinion sur
le contexte de la radiodiffusion. Par exemple, les 26 et 27 avril dernier, la
principale radio indépendante RPA (Radio Publique Africaine), à
Bujumbura et à Ngozi, a fermé. Les radios privées de Bujumbura ont été
également dévastées par les évènements politiques liés aux élections,
prévues le 26 juin 2015, du Président. Cette actualité fournit, selon nous,
un contexte que nous ne pouvons ignorer.

    Néanmoins, les radios privées burundaises semblent avoir eu un rôle
positif et dynamique dans l’évolution de la démocratie. En effet, elles se
sont développées depuis 1995 et sont au nombre de 7 en 2008. Elles
proposent des programmes diversifiés notamment en faveur de la paix,
des injustices. La radio donne la parole aux citoyens, aux « sanvoies »
(Palmans, 2004, p. 86).

   Une récente étude de 2014, réalisée par un cabinet de consultants
(IMMAR Research & Consultancy, 2014) permet de décrire le contexte
radiophonique du Burundi : ainsi, le taux d’équipement des familles en
radios est passé de 88 % (2008) à 95 % (2013). Cette étude rapporte que les
programmes des radios sont globalement jugés satisfaisants, exhaustifs et
vivants. Et pour mieux comprendre le contexte global de la place des
médias au Burundi, notons que les médias écrits (et qui nécessitent de
savoir lire) seraient les moins bien compris des Burundais. Enfin,

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seulement 21 % des hommes et 13 % des femmes semblent être intéressés
par le sujet des technologies, jugé pourtant suffisamment présent sur les
ondes radiophoniques par les personnes sondées.

   3.4. Un renouveau de la radio éducative,
        au Burundi à l'heure des TIC ?
    Plusieurs radios ont développé des programmes éducatifs. La radio
Colombe émettait sur 93.2-FM à Bujumbura sur un rayon de 60
kilomètres en 2014, afin de traiter des sujets autour de l’éducation à la
santé, à la sexualité et aux bonnes mœurs pour et par les jeunes (Iwacu,
2014). La radio communautaire Ijwi ry’Umukenyezi émet depuis Giheta.
Elle est dédiée à l’éducation et à l’implication des femmes dans des actions
de développement socio-économiques.

    En ce qui concerne l'expression dans les langues locales, notons
l'exemple de la Radio Publique Africaine (RPA), qui en 2010, était la seule
radio au Burundi qui diffusait en Kirundi, en Swahili et en Français
(Seremba Shuhuru, 2010), 3 des 4 langues quasi-officielles du pays (s’ajoute
aussi l’Anglais). RFI (Radio France Internationale) a pour sa part, conçu un
feuilleton radiophonique en 2015, « Le Talisman Brisé » (RFI, 2015a), en
partenariat notamment avec l’Organisation Internationale de la
Francophonie (OIF). Un livret propose la retranscription de dialogues en
français des lexiques, de la conjugaison et des exercices. Enfin, il est
possible d’écouter les 27 épisodes en ligne (RFI, 2015b). Les acteurs et
réalisateurs au Burundi pensent même qu’ils pourraient écrire des
épisodes supplémentaires, tant la langue française est jugée importante à
apprendre d’après la population burundaise.

    Pour terminer, notre dernier exemple est la Radio Scolaire
Nderagakura (RSN) qui a été créée en 2000 (Décret n° 100/28 du 29 février
2000 et Ordonnance ministérielle n° 610/204 du 17-03-2000) sous la
tutelle de l’État du Burundi et qui compte trois antennes. (Amarc, 2005, p.
15). Le service de la RSN est rattaché à la Direction Générale des Bureaux
Pédagogiques (DGBP), au Ministère de l’Enseignement de Base et Secon-
daire, de l’Enseignement des Métiers, de la Formation Professionnelle et de
l’Alphabétisation (MEBSEMFPA). Ce service fonctionne essentiellement
grâce aux aides d'organisations Internationales.

    L'Initiative francophone pour la formation à distance des maîtres
(IFADEM) a elle aussi permis de soutenir les émissions pédagogiques de la
RSN dans le cadre de son programme.

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    Les émissions radiophoniques, créées pour la formation et dans le
cadre de ce programme (IFADEM, 2012a), portent sur le contenu du livret
1 intitulé « Renforcer les compétences méthodologiques et linguistiques »
(IFADEM, 2012b). Ce livret fait partie d’une collection de supports
pédagogiques, écrits en français, pour l’enseignement des langues et des
disciplines non linguistiques (comme les mathématiques ou l’étude du
milieu : sciences de la vie, histoire et géographie). Ces derniers sont conçus
par les conseillers du BEPEB (Bureau d’Études des Programmes de l’Ensei-
gnement de Base). Ils s’appuient notamment sur les difficultés identifiées
par les enseignants dans les classes de 5e et de 6e année pour construire les
leçons et les exercices. Les principales thématiques, traitées dans ces
radiodiffusions, sont : l’accent tonique, les liaisons et les enchaînements,
les nasales, les rythmes et les intonations, les synonymies. Dans une autre
partie, nous décrirons la manière dont les journalistes de la RSN pensent et
mettent en œuvre ces émissions ainsi que leurs points de vue sur
l’utilisation de ce média pour former les maîtres dans leur pays. Certaines
de ces émissions sont toujours disponibles et en accès libre depuis le site
internet d’IFADEM (IFADEM, 2011).

   En somme, la réussite du projet IFADEM semble avoir ouvert, pour la
RSN, de nouvelles perspectives pour la formation des enseignants, ce qui a
permis de mettre en relation avec la place encore très mineure des TIC
dans la société burundaise notamment dans la scolarisation, les
formations professionnelles ou les services.

   Pour conclure, notre discussion interroge comment le renforcement
des moyens modernes tels que la téléphonie cellulaire, articulés à ceux
existants de la radio au service du système scolaire - alors que cette
technologie s’est progressivement « propagée » dans le quotidien des
Burundais -, peut-être une façon de renouveler des réflexions sur les
intérêts pédagogiques de telles ressources, qu’il ne faudrait pas occulter.

     4. Cadre théorique de cette recherche

   Cette partie définit le cadre théorique dans lequel s'inscrit l’analyse
que nous ferons ultérieurement des données issues d’entretiens semi-
directifs et individuels. Nous allons succinctement décrire les deux
approches privilégiées : la théorie des représentations sociales (Moscovici,
1961) et le modèle du carré PADI (Wallet, 2001).

88
Sticef, vol. 23, n° 1 (numéro spécial), 2016

   4.1. Lecture psychosociale avec
        les représentations sociales
    Les représentations sociales ou RS (Moscovici, 1961) regroupent un
ensemble d’opinions, de valeurs, de croyances, d’informations, d’attitudes
et de prises de position dans un environnement socioculturel donné sur
un sujet ciblé. Autrement dit, la RS pour un ou des groupe(s) ciblé(s),
constitue une forme de connaissances de sens commun sur un objet. Dans
le cadre de notre présente recherche, il s’agit de comprendre comment les
enseignants du Primaire, les superviseurs et les journalistes de la RSN se
représentent la radio scolaire.

    Par ailleurs, les RS constituent une « grille de lecture » (Moliner, 1988)
pour que les groupes comprennent et interprètent leur environnement
(physique, social, matériel), puissent organiser leurs actions et ancrer dans
leurs pensées tout changement susceptible de transformer ces conduites.
Elles constituent également, pour les membres d’un groupe, un moyen de
sauvegarder l’identité, l’héritage et les valeurs des ainés. Elles sont donc
l’opportunité intrinsèque d’obtenir des clés de compréhension et
d’analyse de l’objet étudié pour chacun des trois groupes dans notre
travail. Après, pour qu’un objet puisse être considéré à part entière comme
objet de RS, Moliner (1988) a repéré l’existence de cinq critères interdépen-
dants les uns des autres : les caractéristiques de l’objet de la RS (polymor-
phisme), les caractéristiques du groupe (ou des groupes), l’absence
d’orthodoxie, c’est-à-dire la liberté des membres du groupe à penser et agir
sur l’objet, la présence d’une dynamique sociale et la source d’enjeux qui
constituent des formes de prises de position et d’appropriation des
membres de ce(s) groupe(s) sur l’objet (Moliner, 1996, pp. 35-48).

    De plus, Moscovici (1976) rappelle notamment que « l’objet est inscrit
dans un contexte actif, mouvant, puisqu’il est partiellement conçu par la
personne ou la collectivité en tant que prolongement de leur comportement et
n’existe pour eux qu’en tant que fonction des moyens et des méthodes
permettant de le connaître » (p. 46). Cet auteur, dans son œuvre princeps La
psychanalyse, son image, son public formalise le besoin qu’il y a d’expliciter
et de fournir les jalons historiques, géopolitiques et éducatifs dans lesquels
les radios puis les radios scolaires se sont introduites dans le quotidien des
citoyens et des enseignants en France et au Burundi.

    Dans le cadre de notre recherche, nous voulons donc connaitre quelle
est la représentation sociale de la radio scolaire pour chacun des trois

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Emmanuelle VOULGRE et Stéphanie NETTO

groupes : les bénéficiaires de la RSN (enseignants) d’abord, les personnes
qui organisent, des points de vue logistique et technique, les émissions et
les programmes de la RSN (journalistes) ensuite, et les cadres de
supervision (directeurs d’école, inspecteurs et conseillers pédagogiques)
enfin. Tout au long de notre analyse empirique, et à partir de cette lecture
psychosociale, nous chercherons donc à savoir comment chacun de ces
trois groupes perçoit le rôle de la RSN dans le cadre de leurs propres
activités et missions professionnelles. Il faut ici rappeler que la RSN est
l’un des services du Ministère de l’Enseignement au Burundi et que par
voie de conséquence, les émissions pédagogiques d’éducation à la santé ou
encore celles rattachées à l’enseignement et à l’apprentissage des langues
(Français, Kirundi, Anglais et Swahili) peuvent institutionnellement
s’intégrer dans le quotidien des professionnels de l’éducation. Reste à
étudier ce qu’il en est pour ces différentes personnes dans leurs discours.
Les contextes technologique, économique et socioculturel seront ici des
éléments d’explication sur la manière dont ces groupes se représentent la
radio scolaire et pourront justifier par bien des égards le manque de
connaissances et de pratiques des personnes interviewées par rapport aux
injonctions ministérielles d’écouter les émissions de la RSN. Cette manière
dont elles se représentent la RSN permettra de faire émerger des points de
levier et de contraste pour les trois groupes concernés.

     4.2. Lecture systémique avec le modèle
          du carré PADI
    Nous analyserons également les propos des interviewés à partir d’une
lecture systémique grâce au modèle du carré PADI (Voulgre, 2011 ; Wallet,
2001).

   Effectivement, les contradictions que feront émerger ces personnes
entre les injonctions et les mises en œuvre de la radio scolaire
permettront d’interroger les rôles et les fonctions des acteurs qui sont en
interrelation au sein de quatre pôles : Pédagogie, Acteurs, Dispositif, et
Institution (carré PADI). Et, à partir du modèle d’Engeström (1987), nous
pourrons aussi analyser les tensions à l’œuvre dans la distribution des
tâches entre différents acteurs de la communauté éducative du Burundi.
Le dispositif sera ici compris au-delà de son sens technologique comme
une instance dans laquelle se construisent les choix pour la mise en
œuvre de la formation (Rinaudo et Poyet, 2009).

90
Sticef, vol. 23, n° 1 (numéro spécial), 2016

    Pour comprendre quelle place le modèle du carré PADI aura dans
l’analyse du discours des interviewés réalisée supra, tout comme
précédemment avec la théorie des RS, nous matérialiserons l’existence de
chaque pôle constitutif du carré PADI par des questions issues de cette
recherche.

    Chaque pôle de ce modèle sera donc l’occasion par exemple d’aborder
le point de vue, les potentielles tensions entre les pôles et ce qu’en savent
les acteurs.
    - Le pôle « Pédagogie » : Quels sont leurs axes prioritaires en termes
        de pédagogie ? Quelles sont les disciplines concernées ? Quels sont
        les supports complémentaires de ces émissions pédagogiques (res-
        sources papier, manuels scolaires, programmes, fiche de prépara-
        tion, cahiers de compte-rendu des émissions, etc.) ? Quelles sont les
        formations en pédagogie nécessaires pour produire une émission ?
    - Le pôle « Acteurs » (notamment eux-mêmes) : Comment les acteurs
        sont en relation entre eux ? Comment des feed-back sont-ils orga-
        nisés entre ces différents publics ? Autrement dit, dans quels con-
        textes les conseillers pédagogiques rencontrent les enseignants
        pour penser le contenu des émissions, rencontrent également les
        journalistes pour « fabriquer » ces émissions ? Quelles sont leurs
        formations pour construire le programme de la RSN aussi bien en
        termes de cultures radiophoniques qu’en termes de cultures ensei-
        gnantes ? Quelles sont les maquettes de production qu’ils utilisent ?
    - Le pôle « Dispositif » formation supervision radio scolaire : Com-
        ment s’organise la couverture d’audience sur ce territoire ? Com-
        ment s’articule ce dispositif avec d’autres dispositifs existants (les
        manuels scolaires conçus par les conseillers pédagogiques, la for-
        mation initiale et continue des enseignants, etc.) ? Quels sont les
        besoins de financement de ce service du Ministère ? Qui achète le
        matériel nécessaire à son bon fonctionnement ? Comment les
        émissions sont-elles sauvegardées et éventuellement archivées, réu-
        tilisées ?
    - Le pôle « Institution » : S’agit-il selon eux du Ministère de
        l’Éducation Nationale, d’IFADEM, de la RFI ? Quels rôles ont-ils
        dans la mise en œuvre d’émissions de la RSN ? Existe-t-il des textes
        législatifs qui réguleraient l’activité du service de la RSN ?

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Emmanuelle VOULGRE et Stéphanie NETTO

     5. Méthodologie

   Dans cette partie, nous exposons la méthodologie que nous avons
souhaitée à la fois qualitative et compréhensive, dans le cadre du projet de
recherche SUPERE-RCF.

   Nous avons créé un guide d'entretien, qui a été adapté auprès des trois
groupes de manière à prendre en compte les spécificités et ancrages
professionnels de chacun. Une partie de ces questions a permis d’aborder,
entre autres, la définition de la radio scolaire, les missions et les activités
de la RSN d’après le regard et la posture d’où se trouvent les personnes
interviewées. Nous avons ainsi mené 35 entretiens semi-directifs
individuels enregistrés durant notre mission qui ont par la suite été traités
à partir d’une analyse de contenu thématique. La durée moyenne des
entretiens a avoisiné 40 minutes.

   Cette collecte de données s'est déroulée dans quatre provinces du
Burundi du 24 février au 6 mars 2014. L’une de ces provinces n'a pas
participé au dispositif IFADEM : il s’agit de Makamba. Les trois autres
provinces IFADEM étaient : Bujumbura-Mairie, Rutana et Mwaro.

    Enfin, notre analyse pour la partie « Résultats et discussion générale »
s’est plus précisément attachée à prendre en considération uniquement 25
entretiens, les dix autres acteurs interviewés ne concernant pas
spécifiquement notre problématique de par leurs fonctions (enseignants à
l’Université et d’autres qui sont rattachés à l’équivalent au Collège en
France).

    La description de notre échantillon, non représentatif, permet de
mettre en évidence deux chaînes de supervision, dans lesquelles les
groupes s’entremêlent. Il est composé alors du groupe enseignant : 6
enseignants de l’enseignement de base, (équivalent au Primaire en France).
Puis, les deux autres groupes constituent, d’après l’analyse du discours des
19 acteurs rencontrés, deux chaînes de supervision :
    - La chaîne d'inspections administratives partant de l'Inspection Gé-
        nérale de l’Enseignement (IGE) : 5 directeurs d’école publique ou
        privée et 7 inspecteurs (que ces derniers soient cantonaux, com-
        munaux, provinciaux, principaux ou bien généraux) ;
    - La chaîne d’inspections pédagogiques partant de la Direction Gé-
        nérale des Bureaux Pédagogiques (DGBP) : la directrice de la DGBP,
        3 conseillers pédagogiques, 2 journalistes de la RSN et le directeur
        de cette structure.

92
Sticef, vol. 23, n° 1 (numéro spécial), 2016

    Maintenant que nous avons précisé le cadre méthodologique employé
pour collecter les données, nous allons désormais présenter les résultats
issus de cette mission au Burundi.

   6. Résultats et discussion générale
    Nous allons désormais décrire comment s'articulent, au sein du
dispositif IFADEM, la mise en œuvre et l’exploitation des émissions
pédagogiques produites par la RSN, dans le quotidien des enseignants du
Primaire, ainsi que la place qui lui est assignée dans l'accompagnement
pédagogique et la supervision administrative des acteurs de la
communauté éducative. Nous rappelons qu’il y aura ici une approche à la
fois systémique et psychosociale de l’objet « radio scolaire » afin
d’articuler, de manière pertinente, le modèle du carré PADI (Wallet, 2001)
et la théorie des représentations sociales (Moscovici, 1961).

   6.1. Place de la RSN dans la supervision
        administrative et pédagogique
    Cette partie s’attache à interroger la place accordée à la radio scolaire
au Burundi et à comprendre comment elle complète, rentre en
concurrence ou encore impacte les dispositifs de formations initiale et
continue des acteurs, ses potentialités éducatives à former les maîtres tout
au long de leurs carrières. Rappelons que les formations dispensées dans le
cadre d’IFADEM sont prioritairement axées sur le renforcement de la
langue française pour l’enseignement du français et des Disciplines Non
Linguistiques (DNL) dans le Primaire. La RSN jouerait alors un rôle
essentiel pour la transmission orale des notions du français, mais aussi de
méthodologies pour faire la classe.

   6.1.1. IFADEM : une plus-value pédagogique pour la RSN

   Les axes prioritaires, d’un point de vue pédagogique, semblent être
d’après l’ensemble des interviewés : la prononciation, les règles de
grammaire et de conjugaison. Les conseillers pédagogiques, formés par
IFADEM, se sentent alors compétents pour former à leur tour les
enseignants, les accompagner dans leurs difficultés et exercer au mieux
leur métier…

   « Avant IFADEM, […] on enregistrait un enseignant dans une classe. On
enregistrait les élèves. Et, après, on allait au studio pour faire le commentaire
de l’émission. Aujourd’hui, avec l’IFADEM, on se disait : on va voir… On a
enseigné par exemple tout ce qui est en rapport avec la phonétique. Et nous

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Emmanuelle VOULGRE et Stéphanie NETTO

savons que les Burundais ont des difficultés au niveau de la prononciation
parce qu’il y a des sons qui existent en français et qui n’existent pas en kirundi,
et vice versa. Par exemple, si je dis « sale ». Eux, ils peuvent dire « salé ». Et ça
peut nuire au sens. Oui. Si on dit, par exemple, « je suis sale » ou bien « le plat
est sale »… disons « le plat est sale ». Ils peuvent dire « le plat est salé ». Et vous
voyez, le sens change. Et les phrases sont correctes » (Conseillère pédagogique
n°2). IFADEM lui a appris à avoir une démarche méthodologique
rigoureuse, avec l’apport théorique de linguistes, pour produire des
émissions radiophoniques ciblées, ici, sur la phonétique. Elle conclut en
termes d’apports pour son développement professionnel : « Pour les
émissions [RSN], on se dit qu’on ne va pas dans les écoles n’importe comment.
On se fixe un objectif avant d’y aller. Et puis on se documente même, si vous
voulez, alors qu’avant, on y allait comme ça » (Ibidem).

    Toujours autour de la dimension « phonétique », un directeur d’école,
qui a reçu la formation IFADEM sur l’accompagnement des maîtres, a,
quant à lui, perçu l’intérêt pédagogique de la radio scolaire auprès des
enseignants (dont il est le supérieur hiérarchique direct). « Si on a remarqué
que l’enseignant prononçait mal, il y a des émissions qui passent à la radio,
c’est des leçons de swahili, c’est le moment d’écouter surtout la prononciation,
on insiste sur la prononciation surtout en 1ère année et 2e année […] comme ça,
vous allez vous aussi le faire vous aussi dans vos classes respectives »
(Directeur d’école - Mwaro).

    Mais, cette même personne tient à rappeler l’importance accordée à la
formation en présentiel parce qu’avec la RSN, « avec les formations à
distance, on ne peut pas demander [poser] une question » (Ibidem). La question
sous-jacente, dans les propos de cette personne, est la suivante : comment
rendre possible la confrontation de points de vue, pour approfondir une
notion traitée dans une émission, entre auditeurs (enseignants par
exemple) et journalistes de la RSN ?

    Cette question en amène une autre : quelle marge de manœuvre a un
enseignant pour appliquer, pour discuter les recommandations fournies
par la radio scolaire ? Il est intéressant ici de se rappeler le critère « absence
d’orthodoxie » (Moliner, 1988) pour comprendre comment les auditeurs
peuvent appréhender, ou se représenter, la place de la radio scolaire dans
leurs pratiques enseignantes. Pouvoir davantage discuter le contenu des
émissions radiophoniques revient à pointer toute l’importance accordée
aux échanges pour se faire une représentation d’un objet. Dans notre cas,
même si l’institution scolaire (via la RSN) réglementaire, encadre et

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Sticef, vol. 23, n° 1 (numéro spécial), 2016

institutionnalise des savoirs, des procédures pédagogiques et didactiques,
chaque enseignant doit pouvoir disposer d’une marge de liberté
pédagogique pour appliquer au mieux ces injonctions officielles dans le
cadre de sa classe et selon les moyens dont il dispose de manière à ne pas
se retrouver dans un système que Deconchy (1984) nomme « orthodoxe ».

   6.1.2. La RSN : une opportunité pour faire
          se rencontrer différents acteurs ?

    Parmi d’autres résultats issus de cette mission au Burundi, nous avons
pu de manière exploratoire comprendre le fonctionnement des deux
chaînes de supervision (administrative et pédagogique), recueillir des
caractéristiques sur les différents groupes qui composent notre
échantillon, mais aussi recueillir des points de vue de trois catégories
d’acteurs (modèle du carré PADI) ou de trois groupes (théorie des RS). Il
s’agit tout d’abord des enseignants qui perçoivent dans la RSN
l’opportunité et le besoin d’avoir des actions de formation à distance. Il y
a ensuite un écosystème de formateurs (conseillers pédagogiques et
inspecteurs) qui doivent penser la supervision et l’accompagnement
pédagogique des enseignants. Enfin, et plus spécifiquement autour du
média de la radio scolaire, il y a les journalistes de la RSN qui ont une
approche davantage technique de l’enregistrement, de la production et
du stockage des émissions à l’issue des « descentes » (ou visites, dirions-
nous en France) dans les écoles.

    Plus précisément, les acteurs de la chaîne de supervision pédagogique
sont là pour transmettre les plannings des émissions aux directeurs des
écoles, ce que décrit bien cette conseillère pédagogique dans cet extrait :
« Au quotidien, nous concevons les manuels des élèves, les guides des
enseignants aussi. Nous assurons le suivi donc de ces programmes. Et, des fois,
on fait la formation à distance, pas tous les jours, mais des fois. Et c’est organisé
par la radio scolaire Nderagakura. Nous formons des enseignants sur les
programmes. Et le suivi que nous faisons, c’est dans les écoles. Des fois, la radio
scolaire a besoin des émissions de recyclage. Elle vient auprès de nous et nous
demande de produire des émissions. […] Et puis, avec l’IFADEM, on se disait : on
a formé les enseignants sur ceci, sur ceci, sur ceci, il faut qu’on aille sur le
terrain regarder comment les enseignants dispensent les leçons et puis faire un
commentaire » (Conseillère pédagogique n°2). Plus concrètement, les
conseillers pédagogiques et les journalistes de la RSN se rencontrent donc
pour penser l’organisation de ces émissions soit dans les locaux de la radio,
soit dans ceux du bureau pédagogique. Par la suite, ils vont ensemble dans

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