Le partenariat en actes : le cas d'un programme européen en Lituanie Partnership in Action : The Case of an EU Programme in Lithuania - Érudit
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Document generated on 07/10/2022 11:19 p.m. Lien social et Politiques Le partenariat en actes : le cas d’un programme européen en Lituanie Partnership in Action : The Case of an EU Programme in Lithuania François-Xavier Schweyer Les frontières du social : nationales, transnationales, mondiales ? Article abstract Number 45, printemps 2001 This article analyses a partnership experience that was made in Lithuania, within the context of Tempus programme of the European Union. The author's URI: https://id.erudit.org/iderudit/009405ar perspective is an unusual one; he was the co-ordinator of the project. Now with DOI: https://doi.org/10.7202/009405ar a distance of two years and an abundance of information, the author is able to distinguish the different types of partnerships that characterised the several phases of the project. At first the "partnership" was prescribed by those who See table of contents put the pilot project into place. This invention of an institutional form both provided a formal shape to the project and allowed it to avoid becoming part of established order of Lithuanian universities. The introduction of a "second Publisher(s) circle" of partners transformed the original contractual setting, and the resulting relative disorderliness allowed a genuine innovation to occur. This Lien social et Politiques second change generated shared practices and meanings, albeit at the cost of heavy co-ordination tasks. The conclusion assesses the particularities of ISSN international partnership. 1204-3206 (print) 1703-9665 (digital) Explore this journal Cite this article Schweyer, F.-X. (2001). Le partenariat en actes : le cas d’un programme européen en Lituanie. Lien social et Politiques, (45), 161–182. https://doi.org/10.7202/009405ar Tous droits réservés © Lien social et Politiques, 2001 This document is protected by copyright law. Use of the services of Érudit (including reproduction) is subject to its terms and conditions, which can be viewed online. https://apropos.erudit.org/en/users/policy-on-use/ This article is disseminated and preserved by Érudit. Érudit is a non-profit inter-university consortium of the Université de Montréal, Université Laval, and the Université du Québec à Montréal. Its mission is to promote and disseminate research. https://www.erudit.org/en/
Troisième partie 29/08/01 10:20 Page 161 Le partenariat en actes: le cas d’un programme européen en Lituanie François-Xavier Schweyer L’Union européenne finance de « Tempus », un diplôme universi- j’ai rencontré les membres du nombreux projets de coopération taire (Master) en «Management du projet in situ, dans leur cadre de internationale qui sont regroupés changement en santé publique », travail ou dans les séminaires qui par type selon leurs objets et les destiné à former les cadres du ont rythmé l’avancée du travail pays bénéficiaires. Ainsi, les système de santé lituanien nouvel- commun. Mon rôle m’a permis projets «Tempus» sont destinés aux lement réformé. d’observer de près certains com- coopérations concernant l’ensei- portements, dans une position gnement supérieur et les pays de L’entreprise s’est révélée d’une acceptable par tous. C’est en obser- l’Europe centrale et orientale. grande complexité, avec plusieurs vateur de terrain que je me suis L’association d’institutions ou niveaux de partenariat. Au plan efforcé d’étudier les interactions d’experts originaires de différents local, dans chacun des pays parte- sociales et leurs conséquences cul- pays de l’Union européenne est naires, des enseignants issus turelles et institutionnelles au sein une exigence pour s’inscrire dans d’écoles ou d’universités et des du projet, avec une conscience qui de tels projets, dont l’essence professionnels travaillant dans des me rende capable de m’analyser même est d’être des instances par- hôpitaux ou des centres de santé moi-même dans mon rôle. tenariales. Le mot partenariat est ont collaboré. Au plan internatio- donc pris ici dans une acception nal, un partenariat dans et entre Toutefois se posait un problème large d’association à un projet diverses équipes s’est élaboré selon de méthode car l’investissement international en vue d’une collabo- des thèmes transversaux, avec un simultané dans l’action et dans ration suivie. L’objet de cet article souci de mise en cohérence perma- l’analyse relève de l’impossible. est d’analyser l’association de plu- nent. De 1995 à 1999, j’ai participé Non pas seulement par l’effort de sieurs institutions de trois pays à la préparation puis à la conduite distanciation exigé, mais parce appartenant à l’Union européenne à de ce projet, avec la responsabilité qu’il est malaisé, voire infaisable deux universités lituaniennes pour de coordonnateur, c’est-à-dire de dans le cas d’un chef de projet, de créer, dans le cadre d’un projet chef de projet. Pendant cinq ans, jouer deux rôles à la fois. Hughes,
Troisième partie 29/08/01 10:20 Page 162 LIEN SOCIAL ET POLITIQUES – RIAC, 45 « partenariat engagé ». La deuxième élaboration du projet lui-même, qui partie présentera cette mise en doit être énoncé dans les termes Le partenariat en actes : le cas d’un programme européen en Lituanie œuvre concrète des partenariats, le précis du vocabulaire bureaucratique pluriel étant utilisé ici à dessein du Bureau Tempus qui régit l’en- pour rendre compte de toutes sortes semble des projets. Ainsi, la nature d’ajustements, de traductions, même des décisions projetées relève d’abandons ou de réorientations qui d’un compromis entre les exigences voulaient être des réponses adaptées des financeurs et la «réalité institu- aux événements. Ces divers élé- tionnelle» des parties candidates au ments permettront de distinguer financement du projet. Plus précisé- deux types de partenariat et de définir ment, je formule l’hypothèse que, les variables jugées essentielles pour l’éligibilité d’un projet, sa 162 pour la construction d’un «partena- « conformité » aux normes et aux riat innovant » au plan international croyances du milieu des finan- dans son introduction à l’ouvrage (troisième partie). ceurs est plus importante que sa de Junker (1960)1, donne une clé pertinence par rapport au pour résoudre ce problème : « La Un projet ambitieux de contexte dans lequel il sera mis en dialectique sans fin entre le rôle de transfert de savoir-faire œuvre. C’est dire que le partenariat membre (qui participe) et celui est d’abord «prescrit », c’est-à-dire d’étranger (qui observe et rend Dans leur philosophie même, les qu’il correspond aux activités, aux compte) est au cœur du concept projets Tempus visent à participer à procédures et aux objectifs tels même de travail de terrain. Il est la transformation des sociétés qu’ils sont formalisés dans les défi- difficile de jouer les deux rôle en issues de l’ancien empire sovié- nitions des cahiers des charges et même temps. L’une des solutions tique. Les aspects techniques des des règles de travail et dans les consiste à les séparer dans le projets se conjuguent à une visée documents officiels issus des ser- temps. Au bout de plusieurs politique qui se situe à deux vices de la Fondation européenne années, ayant acquis une distance niveaux. Il s’agit, d’une part, de pour la formation. Le partenariat par la pensée et par l’esprit, le cher- participer à la transformation et à la est donc, en tant que décision ini- cheur rend compte de ses souvenirs modernisation des pays de l’Europe tiale, une « invention » plus qu’un des expériences sociales aux- centrale et orientale, mais aussi, et choix calculé, raisonné et rationnel4. quelles il a pleinement participé » d’autre part, de construire l’Union Et cette invention normée est le (Hughes, 1996 : 275) Telle est la européenne en favorisant les début d’un processus d’innovation, posture que je retiendrai pour cette échanges et les travaux communs et non l’innovation en tant que telle. analyse, en utilisant pour matériaux entre différents partenaires de pays les notes personnelles, les dossiers membres. Le partenariat est donc Une seconde hypothèse est que archivés et les écrits produits tout au un préalable à tout projet financé le partenariat engage les parties sur long du projet, ainsi que les nom- sur fonds européens2, préalable qui la réalisation d’activités prédéfi- breux échanges que j’ai eus avec se décline au plan idéologique et au nies et non sur leurs effets, c’est-à- l’ensemble des partenaires. plan des modalités opérationnelles. dire sur l’obtention de résultats C’est à la fois un but et un moyen. autres que formels. Si l’on se place Après avoir situé le projet dans du point de vue du pays bénéfi- son contexte et rappelé ses objec- Pour être « éligible », c’est-à-dire ciaire, ici la Lituanie, l’incertitude tifs, j’évoquerai le cadre d’action financé, un projet doit se soumettre liée à la réalisation d’un tel projet qui a présidé au partenariat initial. à un cahier des charges strict3. est donc très grande. Autrement dit, Ce sera l’objet de la première L’élaboration d’un dossier de can- les enjeux sont importants pour les partie. Par la dynamique même des didature demande un investisse- institutions lituaniennes, alors échanges et du travail réalisé, le ment initial lourd, tant en contacts qu’ils sont objectivement limités partenariat « prescrit » est devenu avec les futurs partenaires qu’en pour les institutions de l’Union
Troisième partie 29/08/01 10:20 Page 163 européenne. A minima, les engage- sur le travail et la personnalité du vait pas du domaine d’activité de ce ments institutionnels garantissent coordonnateur, inconnu pour la cabinet, qui orienta les universitaires la réalisation d’un cahier des plupart des membres au moment de lituaniens vers l’École nationale de la charges selon un calendrier prévi- leur engagement. Ainsi, une bonne santé publique (ENSP). Un rendez- sionnel. Mais la pertinence de ce part de ce que produira réellement vous fut établi sur le champ. La pre- qui sera fait et l’adéquation du le projet dépend des arrangements mière visite avait un but très clair qui projet par rapport aux réalités qui seront trouvés après son com- se résume en une question : «Pouvez- locales dépendent aussi de l’enga- mencement, et donc indépendam- vous venir former des infirmières gement personnel d’acteurs dans ment du contrat de financement qui générales en Lituanie ? ». L’idée for- un processus innovant. Ils devront a scellé sa réalisation. mulée était celle d’un transfert d’un « payer de leur personne » pour programme de formation avec des changer leurs habitudes, revoir Pour discuter ces hypothèses, je enseignants associés. Implicitement, 163 leurs plans, apprendre ou négocier. présenterai d’abord l’origine du ce qui se faisait en France devait Et cet engagement personnel, au projet, j’évoquerai ensuite le être, sinon mieux, car la fonction sens de surtravail mu par des premier partenariat lors de la prépa- d’infirmière générale n’existait pas valeurs et une vision du projet, ration du projet, et les contextes ins- en Lituanie, du moins adapté, car n’est pas contractuel. Il relève de titutionnels sur lesquels il s’est venant de l’Occident. l’autonomie de chacun des fondé. J’analyserai enfin la physio- membres engagé dans le pro- nomie du premier partenariat que Il serait erroné de voir là une gramme. Deux hypothèses complé- j’appelle « partenariat prescrit », qui sorte de naïveté. Il s’agit plutôt mentaires en découlent. La a été au fondement du projet comme d’un parti pris idéologique et d’une première est que les partenaires processus d’innovation. volonté forte de changer le système (individuels) se sont engagés à par- en place. Le chirurgien qui avait L’origine du projet ticiper à des activités qui relèvent de pris l’initiative du contact avait décisions institutionnelles contrac- L’origine du projet est due à un participé aux événements tragiques tuellement définies, et dont les chirurgien, doyen de la faculté de de 1990 et 1991 à Vilnius, et il résultats restent ouverts et ne les soins infirmiers de l’Académie comptait parmi les « patriotes » qui engagent pas personnellement. La médicale de Kaunas5 qui avait le ont tenu tête aux troupes sovié- seconde est que la «productivité » souci de développer le cursus de tiques venues intimider la popu- du projet dépend moins de l’addi- formation en soins infirmiers par lation. Son projet n’avait donc tion arithmétique du nombre d’ex- l’introduction d’une formation spé- pas seulement une dimension perts mis à disposition par chaque cifique destinée aux cadres. Le professionnelle : il s’agissait bien institution que de l’intégration réa- modèle des infirmiers généraux de relever le défi de l’indépen- lisée au sein de la nouvelle équipe. français lui paraissait intéressant et dance par la modernisation et la Or la capacité intégrative de il prit l’initiative d’un contact avec transformation du pays. Une notion chaque institution, importante pour des formateurs français. Ne parlant d’urgence était perceptible dans la motiver chaque expert à s’engager, pas français, il demanda à un pro- démarche, l’urgence de changer et n’est plus opératoire dès lors que le fesseur de l’Université technolo- de rompre avec l’ancien modèle. La programme démarre. Ce qui a pour gique, spécialisé en management et création d’une véritable profession conséquence de renforcer encore francophone, de l’accompagner infirmière devait participer à ce l’autonomie de chaque « expert », lors d’un premier voyage en projet. Car les infirmières, appelées d’accroître la différenciation déjà France. L’adresse d’un cabinet de « sœurs » en Lituanie, n’avaient forte au sein du dispositif et de conseil en région parisienne lui qu’un rôle très secondaire par faire reposer la capacité d’intégra- avait été donnée par une étudiante rapport à un corps médical plétho- tion du groupe sur des procédures de l’Université technologique. Ce rique, dans le cadre d’une division et des règles non négociées au fut donc le premier contact6. Mais du travail fondée sur l’hyper-spé- départ, d’une part, et, de l’autre, la demande qui était faite ne rele- cialisation.
Troisième partie 29/08/01 10:20 Page 164 LIEN SOCIAL ET POLITIQUES – RIAC, 45 démarche se retrouvait porteur partenariat asymétrique où ils s’en d’une dimension parmi d’autres du remettaient à l’expérience et aux Le partenariat en actes : le cas d’un programme européen en Lituanie futur projet. Le fruit de son initia- initiatives de leur nouvel associé. tive lui échappait, et l’élargisse- La confiance, née des premiers ment des perspectives revenait à échanges, caractérisait la relation confier au recteur de l’Université le initiale entre partenaires. On peut soin d’articuler les engagements de imaginer que dans le cas où un différentes facultés. On changeait «réseau » existe déjà entre institu- donc d’interlocuteur. Sur le tions, la recherche d’associés est second point, les financements grandement facilitée. L’ENSP communautaires pour les pays de n’avait pas de réseau constitué en l’Europe centrale et orientale Europe pour trouver des parte- 164 (programme PHARE) représen- naires, sinon quelques contacts taient une opportunité, plus parti- avec d’autres écoles de Santé Dans le domaine des affaires culièrement ceux octroyés par le publique7. Il fallait donc en cher- internationales, l’ENSP refuse département Tempus du Directorat cher et d’abord établir des critères l’idée de simple transfert et celle général XXII, « Éducation, forma- de choix. Ils se sont fondés sur un d’un enseignement direct. D’autre tion, jeunesse ». raisonnement de nature politique. part, l’engagement dans un parte- D’une part, les chances d’éligibi- nariat demande de discuter le pro- Un premier partenariat lors de lité des projets présentés par les blème posé avant d’envisager les la préparation du projet nouveaux pays membres de modalités d’une solution à appor- l’Union étaient réputées plus Le label de « Joint European ter. C’est pourquoi il fut décidé de grandes. D’autre part, la Lituanie, Project » Tempus s’obtient, ainsi faire une mission « exploratoire » à pays bénéficiaire du projet, étant que son financement, par concours. Kaunas pour comprendre le contexte un pays balte, il parut cohérent de Des dossiers présentant chacun un s’associer à des pays proches, de la demande, ses enjeux, et réflé- projet particulier répondant à un c’est-à-dire à la Suède et à la chir ensemble à un projet. Le res- cahier des charges précis sont Finlande. La prise de contact ponsable des affaires internationales, sélectionnés rigoureusement. Ceux consistait à la fois à présenter les le responsable de la formation des qui sont déclarés éligibles obtien- modalités et les objectifs d’une col- infirmiers généraux et celui des nent un financement qui équivaut laboration possible, et à motiver les directeurs d’hôpital allèrent en en général à une partie seulement éventuels partenaires pour un Lituanie pour présenter le système de ce qui était demandé. La prépa- travail de préparation exigeant dont français de santé et de formation, et ration d’un tel dossier est un travail l’aboutissement relevait du pari. pour apprendre les réalités litua- important et représente un enjeu en L’incertitude était donc grande au niennes et les perspectives de chan- termes d’investissement. Dans le départ. L’enjeu pour l’entrepreneur gements institutionnels. Il fut cas présent, la préparation a duré du projet était de convaincre ses décidé, d’une part, d’élargir la un an et demi pour aboutir à la interlocuteurs de sa capacité de demande aux différents « cadres de rédaction d’un cahier des charges maîtriser les règles imposées par santé », et, d’autre part, de recher- précis engageant chaque partie. l’Union européenne et d’inspirer la cher des financements, condition confiance pour que le pari soit sine qua non de la réalisation d’un L’institution qui a l’initiative perçu comme une opportunité. projet qui s’annonçait assez ambi- d’un projet doit trouver des parte- tieux. Sur le premier point, l’ENSP naires dans au moins deux autres Une école de santé publique sué- devenait chef de projet puisque la pays de l’Union européenne. Or doise de grande réputation (on demande initiale lituanienne était l’initiative du projet revenait à l’appellera Famous School of transformée et que, surtout, le l’ENSP et non plus aux Lituaniens, Public Health) et une université doyen qui était à l’origine de la qui se trouvaient engagés dans un finlandaise (Université de T) se
Troisième partie 29/08/01 10:20 Page 165 déclarèrent intéressées. Une pre- internationale renforcée par la pra- convenait d’associer une autre uni- mière réunion eut lieu à Kaunas, en tique courante de l’anglais et du fran- versité lituanienne porteuse de ce Lituanie, pour lancer le projet, çais. Si l’Académie compte des champ de compétence. L’Université celui d’élaborer un cahier des innovateurs (soins infirmiers, sida, technologique de Kaunas, repré- charges qui soit accepté pour l’ob- etc.), elle n’en reste pas moins une sentée par le professeur franco- tention d’un financement Tempus. institution bureaucratique marquée phone de la première heure, fut Ainsi, le premier partenariat qui par «l’ancien régime». Les informa- donc légitimement associée au s’est dessiné a été de nature institu- tions ne circulent pas et chacun se projet. Plus précisément, ce fut une tionnelle; chaque partie était repré- protège de l’autre. Il existe des nouvelle faculté d’administration sentée par un de ses dirigeants et familles médicales qui préservent un publique dont la doyenne, ancienne s’engageait en référence à une stra- « entre-soi » fermé à de nouveaux syndicaliste de métier, avait pour tégie qui lui était propre. Avant entrants. Le Recteur a écarté d’em- but de développer le domaine des 165 d’analyser les modalités de travail blée le promoteur anglophone du sciences sociales (au sens large), et la mise en œuvre du partenariat, projet pour désigner une coordon- nouvellement reconnu comme il convient d’étudier la rationalité natrice, pédiatre et responsable du champ académique. Le projet de chacun des partenaires. résidanat, au motif qu’elle parlait représentait une double opportu- le français. Être coordonnatrice nité : une ouverture et des contacts Les contextes institutionnels sur d’un tel projet international a une avec des partenaires étrangers lesquels se fonde le partenariat portée symbolique considérable et d’une part, et, d’autre part, l’intro- les profits associés sont importants duction dans un nouveau domaine, Cinq institutions se trouvent enga- en termes de carrière et de pouvoir celui de la santé. Les enseignants gées au départ du projet. Chacune a et au plan matériel, nous le verrons. de la faculté partageaient une désigné un représentant au moins, et Pour autant, l’objet même du projet culture au travail qui était celle des accepte le principe d’un travail de n’appartenait pas à son domaine affaires : concrètement, se mettre à préparation sans garantie de succès. d’excellence. Elle va donc rapide- son compte seul ou en équipe, et L’indétermination même de l’entre- ment éprouver une certaine appré- développer des activités avec prise fait que les partenaires n’ont hension, une peur de mal faire, et profit. Le (futur) projet s’est inscrit pas de mandat explicite de leur ins- survalorisera les aspects formels sans difficulté dans le plan straté- titution. Ils se trouvent en position de des échanges, ne pouvant pas gique de l’Université. Très rapide- relais (Crozier et Friedberg, 1977 : investir sur le fond dans un premier ment, un contrat tacite a lié les 141), avec le double rôle d’infor- temps9. Le recteur put garder ainsi deux universités lituaniennes, mer leur institution des discussions tout son ascendant sur le devenir du pourtant en concurrence frontale. engagées et d’influencer les déci- projet. L’enjeu était pour lui double : L’Académie médicale recevrait sions à prendre dans un sens accep- obtenir une aide à la modernisation tous les subsides, mais les universi- table pour leur propre institution. et à l’équipement de son institu- taires seraient associés au dévelop- Quels sont les contextes institu- tion, mais aussi créer de nouveaux pement de la nouvelle formation à tionnels sur lesquels le partenariat diplômes reconnus au plan interna- part égale, et ceux de l’Université va se greffer ? tional. Ces éléments étaient autant technologique seraient payés en L’Académie médicale de Kaunas d’atouts pour faire reconnaître le vacations. titre d’université à l’Académie est une institution réputée en La Famous School of Public médicale. Indépendamment de son Lituanie: c’est la première univer- Health, représentée par son direc- objet, le projet s’inscrivait donc sité médicale, avant celle de teur, gentleman francophone et dans le plan stratégique de l’insti- Vilnius, bien qu’elle n’en porte pas francophile proche de la retraite, tution, avec un référentiel d’action le nom8. Son Recteur, élu depuis avait une grande notoriété en Santé d’abord local. peu, a travaillé huit ans à publique, son domaine d’excel- l’Organisation mondiale de la santé La formation des cadres de santé lence. La Famous School of Public (OMS), ce qui lui donne une stature ayant un aspect managérial, il Health est une école internationale
Troisième partie 29/08/01 10:20 Page 166 LIEN SOCIAL ET POLITIQUES – RIAC, 45 pays qu’elle borde. Dès le début des lituanienne, l’ENSP avait décidé rencontres, le directeur a été accom- d’investir pour le succès de ce Le partenariat en actes : le cas d’un programme européen en Lituanie pagné d’un expert auprès de son projet. Les raisons en sont les sui- école, britannique d’origine, historien vantes. D’une part, la formation de formation, et consultant indépen- des responsables du système de dant de métier. Ses talents d’anima- santé appartient au savoir-faire de teur et de pédagogue ont fait de lui un l’institution et le développement de «invité permanent » officieux. projets internationaux d’ingénierie pédagogique est un des axes de C’est l’Université de K. qui fut croissance de sa direction des d’abord pressentie comme parte- affaires internationales. D’autre naire finlandais. Mais, en l’absence 166 part, la gestion d’un programme de réponse de sa part, les parte- européen permet d’obtenir des naires suédois recommandèrent budgets en partie mutualisés pour en partie financée par le Nordic l’Université de T., représentée dans la gestion des activités internatio- Council qui rassemble cinq pays et un premier temps par un professeur nales. Enfin, le partenariat avec des dont la mission est de former les de Santé publique, proche de la pays nordiques était de nature à professionnels de santé de ces cinq retraite, d’un esprit très ouvert ouvrir un nouvel espace d’activité pays, en formation continue exclu- mais sans projet personnel précis. jusqu’alors peu investi. L’enjeu sivement, sous forme de stages En 1995, la Finlande venait de pour l’ENSP était donc d’assurer la payants qui assurent les revenus rejoindre l’Union européenne, et coordination et la contractualisation indispensables au bon fonctionne- elle n’en partageait pas encore la du projet, autrement dit de le piloter ment de l’école. L’expérience culture. Le partenaire finlandais et de le gérer. L’institution s’en est internationale de l’institution se déclara assez proche des donné les moyens: son directeur des concerne essentiellement des Lituaniens et dit vouloir apprendre Affaires internationales a pris per- projets de l’OMS, qui permettent la au contact des experts réunis dans sonnellement en charge la défini- rétribution des experts. Le fonc- le projet. En fait, le projet Tempus tion du premier cahier des charges tionnement de cette école se rap- en préparation venait à point pour et elle détacha à mi-temps un proche du modèle du marché, avec le développement stratégique de enseignant, sociologue, désireux de des enseignants entrepreneurs sou- l’université et pour la succession prendre des responsabilités dans un cieux de la solvabilité des sta- du responsable du département de projet d’envergure. La philosophie giaires, leur rémunération étant santé publique. Car une ensei- d’action se rapprochait d’une culture gnante finlandaise, qui était alors directement liée à leurs prestations. « essentialiste », fondée sur les prin- responsable de formation à la Le projet représentait une opportu- cipes de service public, c’est-à-dire Famous School of Public Health, nité à trois titres au moins : il per- sur des valeurs de disponibilité, avait le projet de créer la T. School of mettait une ouverture sur les d’égalité de traitement, mais aussi de Public Health au sein de l’Université financements européens (et une «gratuité » de service. Ainsi, le prin- de cette ville, en prenant la succes- opportunité d’apprentissage pour y cipe des projets Tempus de ne pas sion du chef du département. Ainsi, accéder); il était également un payer les experts mobilisés en sus de le projet offrait une opportunité de moyen de conforter un autre projet leur salaire ordinaire n’a fait l’objet formation pour une nouvelle équipe international dans l’espace balte d’aucune discussion, le principe étant à créer, aucun enseignant local qui venait de débuter dans le perçu comme allant de soi. n’ayant un profil conforme aux stan- domaine de la santé publique10; dards internationaux. La physionomie du premier enfin, il concernait aussi les partenariat Lituaniens, c’est-à-dire des voisins. Première contactée, et devenue La mer Baltique est source d’une leader du projet après la transfor- L’engagement dans le projet identité que veulent partager les mation de la première demande était sous tendu pour chacun des
Troisième partie 29/08/01 10:20 Page 167 partenaires par des critères d’op- n’engager que lui, et non son insti- pendant un an et demi avant l’inau- portunité qui lui sont propres. On tution. Les effets de cette attitude guration du projet lui-même. constatait une forte différencia- initiale se feront sentir plus tard. La Quatre séminaires de travail ont été tion11 : les motivations à s’engager deuxième conséquence a été un organisés dans chacun des pays dans le projet divergeaient mais formalisme accentué dans l’énoncé représentés, en vue de définir les traduisaient un réel engagement de du projet : la stricte observation des objectifs, les modalités de réalisa- chaque partenaire, une dynamique critères formels édictés par le tion, le calendrier et le budget du d’intérêt qui augurait d’un investis- bureau Tempus a été perçue par futur projet. Les discussions se sement à venir. Le spectre des inté- tous comme un gage de succès. La sont faites en français et en anglais, rêts peut être brièvement résumé. définition fine des tâches, du calen- les deux langues étant retenues Une recherche de notoriété ou de drier, des responsabilités et des comme langues officielles. Ce visibilité s’articulait, pour les institu- engagements a également rassuré point est essentiel. En effet, l’usage 167 tions, avec la recherche de profit chaque partie, qui croyait savoir à du français au même titre que l’an- (équipement, savoir-faire, finance- quoi elle s’engageait. La troisième glais a permis aux partenaires fran- ments). La recherche d’une opportu- conséquence, née de l’urgence, a çais d’exprimer leurs idées avec nité d’apprentissage et de formation été que la réflexion s’est fondée sur précision, de discuter sur le fond, mobilisait également les partenaires. le savoir spontané partagé, c’est-à- avec nuances et argumentation. Par Sur un autre plan, la solidarité entre dire l’illusion de la connaissance. la suite, le projet abandonnera les «voisins», l’intérêt intellectuel pour Le but du projet était d’aider à la deux langues pour ne retenir que une expérience nouvelle, le senti- transformation du système de santé l’anglais et l’effet direct sera de ment d’utilité conjugué à une lituanien par la mise en place de pénaliser les membres non couram- éthique de l’engagement sous-ten- formations adaptées. Or la compré- ment anglophones lors des séances daient la mobilisation d’une hension de la situation s’est plénières. Mais à ce moment, l’ar- équipe naissante12. Tous ces inté- appuyée sur les seules explications chitecture du projet était définie et rêts étaient pensés à moyen terme, et les seules analyses spontanées le pilotage solidement établi. Le un projet Tempus durant trois ans, des représentants de l’Université choix des langues a pesé sur le auxquels s’ajoute au moins un an médicale de Kaunas. Si leur propre choix des interlocuteurs. Les uni- de préparation. expérience permettait aux autres versitaires lituaniens étaient fran- partenaires une certaine distancia- cophones, car le premier contact Un même pari liait les partenaires, tion par rapport à ce discours, le s’était fait avec la France. Ils celui de gagner ensemble. La com- primat de l’action et les courts appartenaient à une génération qui munauté d’intérêt offrait un « ciment délais qu’il supposait ont écarté avait bien connu le régime sovié- symbolique » (Strauss, 1992 : 95) d’emblée la nécessité d’une inves- tique, qui valorisait le français grâce auquel la coopération allait tigation rigoureuse pour définir les comme langue littéraire. Leurs être possible. Il s’agissait de tra- besoins. Le doyen de la faculté de vailler vite pour minimiser l’inves- jeunes collègues étaient majoritai- soins infirmiers avait documenté sa tissement initial et le risque, et cette rement anglophones. Pour les par- demande, qui se fondait sur une exigence a eu au moins trois consé- tenaires suédois et dans une connaissance fine d’un secteur pro- quences fortes. La première a été que moindre mesure finlandais, les fessionnel précis en milieu hospita- le consensus est apparu comme une échanges ne pouvaient se penser lier. En élargissant le champ du exigence. Implicitement, il s’agissait qu’en anglais. Cette période de projet à l’ensemble des respon- d’un « consensus par assimilation », préparation a permis aux partici- sables du système de santé, on a qui devait être à l’abri des ten- pants de se connaître, en réunion changé sans s’en rendre compte la dances dispersives des intérêts mais aussi lors d’événements mar- nature des informations qui ont individuels13. Les échanges ont quants vécus dans chacun des pays, nourri les réflexions. évité l’expression des divergences c’est-à-dire de se lier par une his- et chaque partenaire a cherché à Ce noyau primitif composé de toire commune. Une équipe est être très « compliant » au risque de huit personnes va travailler ainsi née, qui deviendra le groupe
Troisième partie 29/08/01 10:20 Page 168 LIEN SOCIAL ET POLITIQUES – RIAC, 45 au contexte lituanien. La reproduc- était encore très marqué par les tion à l’identique de programmes pesanteurs des mécanismes bureau- Le partenariat en actes : le cas d’un programme européen en Lituanie existants était rejetée. C’est dire que cratiques, des habitudes collectives le projet a misé sur un travail de pro- et des mentalités établis au temps duction original. Le principe fonda- de l’Union soviétique. Le projet teur du projet a été le partenariat au s’inscrivait dans une société en sens d’un travail d’équipe, appelé transition où les structures sociales compagnonnage15, chaque équipe et les représentations collectives se étant composée d’universitaires transformaient sous les pressions lituaniens et d’universitaires origi- extérieures. Ces réalités ont consti- naires de l’Union européenne16, tué une contrainte forte pour le mais aussi de professionnels hospi- déroulement des activités. Les 168 taliers ou travaillant dans des évoquer permettra d’éclairer les centres de santé. Les contenus des fondements idéologiques du de pilotage du projet, le fondement enseignements et les méthodes projet, parfois dissonants avec les de sa légitimité aussi. pédagogiques n’ont pas été définis réalités lituaniennes en matière de a priori, sinon par une matrice de relations de travail et de «culture La proposition de création d’un cadrage sans statut définitif qui d’entreprise ». Enfin, l’examen plus diplôme (Master) en « Management devait guider les premiers travaux. détaillé de certaines activités et de du changement en santé publique » Ainsi, une marge de manœuvre leur mise en œuvre complétera a été retenue par le bureau Tempus, significative a été voulue pour l’analyse de la notion de partena- qui a octroyé 90 pour cent du chacune des neuf équipes et l’indé- riat, dans le souci de comprendre budget demandé14. Le projet termination des résultats a été les différentes dimensions de cette pouvait donc démarrer pour une acceptée. La participation réelle de notion et d’en mesurer les effets. durée de trois ans. Une première chacun devait être favorisée car le expérience de partenariat avait Le projet comme instance champ des possibles restait ouvert. permis de créer une équipe res- partenariale complexe Les jeux n’étaient pas faits, même treinte et soudée vers un même si des outils, un calendrier et un La complexité n’est pas l’attri- objectif sous-tendu par des intérêts suivi avaient été soigneusement but du seul projet, elle caractérise divers. Cet objectif était à propre- définis. le contexte de sa mise en œuvre. En ment parler une invention normée qui devait permettre d’amorcer un Dans le même temps, les effet, la Lituanie a entrepris une processus d’innovation au moyen Lituaniens étaient destinataires et vaste réforme de son système de d’un partenariat élargi. partenaires. Le partenariat a été santé, en définissant des priorités pensé comme une modalité d’ac- de santé publique et en créant de Le partenariat à l’épreuve tion, neutre et presque technique. nouvelles règles de financement et des faits : la mise en œuvre Son principe s’imposait, il s’agis- de nouveaux principes d’organisa- sait d’une évidence de manage- tion. Dans le même temps est du projet ment fondée sur un postulat conduite une restructuration de La philosophie du projet s’est démocratique. Le cadre d’action, l’enseignement supérieur du pays, fondée dès le départ sur un objectif c’est-à-dire la structure du projet au plan des enseignements, des d’autonomie à terme des parte- définie en détail, les outils et les méthodes pédagogiques, de l’orga- naires lituaniens, et un refus de modalités de travail, a été fondé a nisation et de la gestion. D’un côté, « faire à la place de », au risque de priori sur le partenariat. La réalisa- le train des réformes était un décevoir. Il s’agissait de définir et tion du projet allait mettre en facteur favorable au projet et à ses de créer une formation universi- lumière l’ethnocentrisme d’une initiatives, mais d’un autre côté, taire de haut niveau en manage- telle position. En effet, le contexte l’absence de cadrage politique et ment de la santé publique, adaptée institutionnel et sociétal lituanien institutionnel stable pouvait pénali-
Troisième partie 29/08/01 10:20 Page 169 Activité Objectif Contenu Lieu de réalisation 1. Développement du Création du programme Neuf «unités d’enseigne- Lituanie, France, Suède, «curriculum» du nouveau diplôme ment»: Santé publique, Finlande Finance, Management, Droit et éthique, etc. (43 modules) 2. Formation des universi- Actualiser les savoirs et les Quatre domaines : linguis- Lituanie, France, Suède, taires («recyclage») méthodes pédagogiques tique, scientifique, profes- Finlande sionnel, pédagogique 3. Enseignement aux étu- Ouverture du nouveau Trois semestres d’en- Lituanie diants diplôme seignement, un semestre pour la «thèse» 169 4.Étude de cas intégrative Intégrer l’ensemble des Non réalisé enseignements 5.Formation des adminis- Gestion du diplôme Stages et suivi France trateurs comme un projet 6.Colloques Diffuser et valoriser les Deux colloques interna- Lituanie résultats tionaux 7.Recrutement et sélec- Constituer les promotions Mécanismes institutionnels, Lituanie tion des étudiants (20 étudiants par an) et oral avec un jury spécial ser l’avancée par étapes en les naire d’enseignants formés et d’un d’ensemble. Autrement dit, le parti privant d’une validation nationale ensemble d’outils, d’équipements pris du partenariat ne faisait que tra- officielle. Toutefois, pendant la et de supports pédagogiques leur duire l’ambition de mettre en place durée du projet, l’institution uni- permettant d’assurer, dans de des « processus transformateurs », versitaire a toujours eu plus de bonnes conditions, la maintenance définis par Sainsaulieu comme poids que l’État lituanien lui- et le développement du nouveau « des rapports d’interaction suscep- même, trop récent et trop instable diplôme. Chaque objectif concret tibles de franchir les trois paliers du pour imposer une logique propre à se traduisait par la définition d’une pouvoir, de l’identité et du projet pour une élite locale formée d’experts activité décrite précisément dans déboucher sur un renouvellement reconnus et depuis longtemps son contenu, dans son calendrier structurel viable parce que fondé sur établis. et dans ses méthodes de travail. Le l’évolution du système social » tableau 1 présente les sept activi- (Sainsaulieu, 1987 : 244-245). L’architecture du projet se tés faisant l’objet du contrat de nouait autour de la création d’un Le pari du partenariat était donc financement. Master, diplôme de deux ans com- non seulement de créer des coali- prenant 1800 heures d’enseigne- Dans son architecture, le projet tions durables (le temps de projet) ment et la réalisation d’une thèse, impliquait plusieurs types de parte- d’acteurs, mais que ces coalitions et de la formation d’un corps pro- nariats. Les résultats attendus, et soient novatrices, capables de fessoral en charge du nouveau qui ont fait l’objet d’un contrat développer des structures et des diplôme. La réalisation de sept avec les financeurs, n’auraient eu fonctionnements sociaux nou- types d’activités sur trois ans qu’un caractère utopique s’ils veaux. Rien n’était acquis devait permettre d’atteindre l’ob- n’avaient été sous-tendu par la d’avance étant donné le parcours jectif, selon un calendrier précisé- définition de mécanismes de d’obstacles institutionnels, les ment défini. Les universités coopération et d’élaboration col- résistances stratégiques et les lituaniennes devaient disposer à lective de structures et de projets incompréhensions culturelles qui terme d’une équipe pluridiscipli- au sein même de l’architecture jalonneraient le parcours. Pour s’en
Troisième partie 29/08/01 10:20 Page 170 LIEN SOCIAL ET POLITIQUES – RIAC, 45 les pratiques. Par exemple, l’ensei- « contrats d’adhésion » ont été signés gnement dispensé aux futurs étu- par chaque partenaire pour formali- Le partenariat en actes : le cas d’un programme européen en Lituanie diants devait l’être conjointement ser le rôle attendu de chacun et son par des universitaires et des profes- engagement à jouer ce rôle. sionnels. Le projet de réforme, Chaque partenaire était donc censé préparé comme tel, entendait élargir connaître ce qui était attendu de lui, l’espace académique aux savoirs et la mise en scène de l’engage- appliqués. La formation de l’admi- ment lors du premier séminaire nistrateur du nouveau diplôme était d’ouverture du projet devait créer pensée dans les mêmes termes, la une obligation morale par rapport gestion bureaucratique devant aux autres membres, une solidarité céder le pas devant la gestion par attendue. Le coordonnateur était le 170 projet. La volonté de modernisa- metteur en scène d’une pièce écrite tion des structures existantes en par un petit groupe une année tenir aux principes, il avait été Lituanie était l’objectif latent auparavant, et le côté théâtral de prévu plusieurs types de partena- communs à tous ces partenariats. l’action n’échappait à personne. riats. Pour la création des modules Mais il était important de faire d’enseignement, des équipes De l’engagement des comme si on n’en avait pas devaient réunir des experts d’ori- partenaires : un enjeu majeur conscience, de manière à ne pas gines diverses sur un pied d’égalité. non maîtrisé remettre en question le scénario Le travail de production attendu Les activités présentées ont été écrit, qui était le seul cadre forma- s’apparentait au «processus transfé- approuvées par les autorités lisé de référence pour une aventure rentiel » souvent utilisé dans les Tempus, qui ont alloué un finance- collective saturée d’incertitudes. échanges internationaux, et qui ment. Dès lors, elles devenaient consiste en emprunts, en confron- Seule la solidarité entre les par- contractuelles et il était de la res- tenaires pouvait assurer une cohé- tations, en imitations diverses. La ponsabilité personnelle du coor- sion de l’ensemble. Pour autant, la formation des universitaires litua- donnateur que le cahier des charges coopération était traversée de niens se fondait sur le même pro- soit respecté. Des rapports d’acti- « calculs égoïstes » divers. Il aurait cessus, mais dans une relation de vité annuels devaient en témoigner été absurde de fustiger les engage- travail asymétrique qui transfor- et justifier l’engagement des ments intéressés, car ils motivaient mait a priori le partenariat en rela- budgets correspondants. En cas de une partie des acteurs présents. Ils tion d’aide, les Lituaniens étant non-respect des termes du contrat, pouvaient même permettre d’im- réputés devoir apprendre au un remboursement partiel était exi- pliquer les sujets dans leur rôle, au contact de leurs homologues étran- gible. La formation des équipes en sens de fonction, et de réduire ainsi gers. La conception officielle des charge de chaque unité représentait leur mise à distance par rapport aux activité s’en tenait au transfert de un enjeu majeur : il fallait trouver situations à vivre17. L’enjeu du connaissances et passait sous des experts compétents dans tel coordonnateur était clairement de silence le travail sur les relations domaine, suffisamment intéressés faire cohabiter dans le projet des instituées et les cultures profondé- par le projet pour s’y investir sans partenaires aux intérêts individuels ment intériorisées, sans toutefois être rémunérés, acceptant un différents, et, avec chaque parte- méconnaître cette autre face de la contrat moral d’engagement sur naire, de négocier une relation réalité, mais en la confiant à la trois ans pour les professionnels d’échange qui puisse rendre com- boîte noire de la coordination. lituaniens et les experts des pays de patibles dans la durée les intérêts Pour certaines activités, le parte- l’Union européenne, sur un terme particuliers et leur temporalité avec nariat était défini comme « proces- plus long encore pour les ensei- une solidarité, un niveau d’engage- sus réformateur », avec l’objectif gnants lituaniens chargés de faire ment, suffisants pour faire vivre clairement affiché de faire évoluer vivre le Master après le projet. Des une partie du processus innovant
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