Le temps des chaloupes - Sylvie Ruel Continuité - Érudit

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Le temps des chaloupes - Sylvie Ruel Continuité - Érudit
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Continuité

Le temps des chaloupes
Sylvie Ruel

Trois-Rivières
Numéro 77, été 1998

URI : https://id.erudit.org/iderudit/17079ac

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Éditeur(s)
Éditions Continuité

ISSN
0714-9476 (imprimé)
1923-2543 (numérique)

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Citer cet article
Ruel, S. (1998). Le temps des chaloupes. Continuité, (77), 10–13.

Tous droits réservés © Éditions Continuité, 1998                    Ce document est protégé par la loi sur le droit d’auteur. L’utilisation des
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S a u v e g a r d e

                                          Symboles de la belle saison, les chaloupes de bois,                         nées sur les grèves. Heu-
                                                                                                                      reusement, des conservateurs
                                                                                                                      de musées en ont rescapé
                                 de l'île d'Orléans ou de l'île aux Coudres, de l'île Marie                           quelques-unes, d'autres encore
                                                                                                                      sont jalousement protégées par
                   ou de l'Islet, glissaient sur l'eau sans trahir la grâce des libellules                            des amateurs passionnés. Ces
                                                                                                                      témoins d'un mode de vie où le
                                                                                                                      temps prenait son temps rap-
                qui leur servaient d'escorte. Et voilà qu'après un long silence, elles                                pellent l'époque des chaloupe-
                                                                                                                      ries qui animaient les rives du
                       nous reviennent... comme une chanson de Clémence Desrochers:                                   Saint-Laurent. Ce savoir-faire
                                                                                                                      que des générations de mains
          « ...l'été brûlant les étés fous quand nous r'montions la rivière dans la                                   habiles nous ont légué est-il
                                                                                                                      menacé de disparition ?

                             grande chaloupe Verchères à quelques milles de chez nous... ».                               LA DERNIÈRE DE L'ÎLE
                                                                                                                              D'ORLÉANS
                                                                                                                      Au XIXe siècle, la construction
                                                    p a r Sylvie Ruel              tie intégrante de l'histoire       de chaloupes était un commer-
                                                                                   maritime du Québec. C'est          ce florissant à l'île d'Orléans.
        Q u a n d les chaloupes de bois     C i u ' e l l e s soient à fond plat   tout un mode de vie lié au         Entre 1830 et 1870, l'île comp-
        faisaient partie d u paysage        ou à fond rond, à glace, à voile       fleuve q u ' e l l e s évoquent.   tait une vingtaine de chaloupe-
        maritime... «Sur la plage à         ou à rames, qu'elles aient servi       Pourtant, remplacées par des       ries qui fabriquaient jusqu'à
        Cacouna», vers 1885.                au transport, à la pêche ou de         embarcations plus modernes,        400 chaloupes par année.
        J. Ernest Livernois.                complément au grand navire,            nombre d'entre elles ont ter-      L'habitant avait besoin d'une
        Source: A N Q , Fonds Livernois     les chaloupes de bois sont par-        miné leur existence abandon-       barque solide pour aller d'un

IQÔ]
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2 numéro soixante-dix-sept
Le temps des chaloupes - Sylvie Ruel Continuité - Érudit
S a u v e g a r d e

       village à l'autre ou pour visiter    dès 1908, le chantier a été         barques provenant de partout            chères est la dernière encore
       les gens sur l'autre rive. II s'en   fermé en 1967, mais des vesti-      à travers le pays. « Elles appar-       en activité. Elle a été fondée
       servait aussi pour vider sa          ges subsistent, tels le vieux       tiennent à des collectionneurs,         en 1872 par Timothée Des-
       pêche et pour aller vendre les       quai et les vieilles lisses de      à des fils et petits-fils de            marais, et quatre générations de
       produits de sa terre au marché       bois.                               marins qui y sont attachés              Desmarais l'ont exploitée avant
       de Québec. La construction, à        Petit bâtiment en bois de           comme à un vieux meuble»,               que M. Normand Goyette, un
       Château-Richer, de la première       forme rectangulaire, muni           raconte-t-il. L'artisan, qui a          spécialiste dans la restauration
       goélette à fond plat, en 1850, et    d'une grande porte à deux bat-      travaillé jusqu'à l'été dernier         de bâtiments anciens et de
       l'apparition des quais à l'île, à    tants, la chalouperie possède       au Parc maritime de Saint-              clochers d'églises, en fasse
       partir de 1870, ont favorisé le      encore sa chaufferie à vapeur       Laurent, reproduit aussi des            l'acquisition en août 1997.
       déclin des chalouperies.             d'époque, qui servait à assou-      chaloupes de bois tradition-            L'entreprise, qui ne fabriquait
       Rare témoin de cette époque,         plir les pièces de bois, ainsi      nelles qui servent surtout à la         plus que 50 chaloupes par
       la chalouperie Godbout, à            qu'une collection complète de       promenade. « Les passionnés             année, va doubler sa produc-
       Saint-Laurent, est la seule qui      plus de 200 outils spécialisés.     peuvent se les offrir pour une          tion cette année. «On a vanté
       soit encore en activité.             Cette chalouperie, où circulent     somme variant entre 4000 $ et           la fibre de verre et l'alumi-
       Construite en 1837 et conser-        chaque été plus de 10 000 visi-     8000 $», dit-il, reconnaissant          nium comme étant des maté-
       vée intacte (on y sent presque       teurs, sert à l'interprétation du   qu'il s'agit d'une acquisition          riaux sans entretien, souligne
       l'âme des artisans qui s'y sont      métier. Un artisan-chaloupier       coûteuse.                               Normand Goyette, mais avec
       succédé), elle a été classée         et un apprenti travaillent sur                                              le temps, on a découvert des
       monument historique en 1977          place; ils restaurent des cha-        LA CHALOUPE VERCHÈRES                 désavantages à ces matériaux.
       et acquise en 1989 par le            loupes de bois traditionnelles,     C'est sur l'île Marie, l'une des        La fibre de verre finit par cra-
       ministère des Affaires cultu-        provenant pour la plupart de        îles situées en face de la muni-        queler au soleil, et l'aluminium
       relles qui l'a déménagée sur le      l'île d'Orléans, et reproduisent    cipalité de Verchères, qu'a été         se déboulonne. Les amateurs
       site de l'ancien chantier mari-      au moins un modèle par saison,      inventée à la fin du XIXe siècle        reviennent à la Verchères de
       time de Saint-Laurent. Ce            telle la F.X. Lachance ou la        cette chaloupe de bois qui              bois pour son esthétique et sa
       lieu constitue aujourd'hui le        Godbout... « Il n'existe ni livre   deviendra la célèbre Verchères.         stabilité. »
       Parc maritime de Saint-              ni recherche iconographique         D'abord pointue à l'avant et à          L'entreprise occupe l'usine de
       Laurent, un parc naturel en          sur les chaloupes de bois,          l'arrière, on lui a ajouté un fond      1930, où est conservée la
       bordure du fleuve qui met en         explique Madeleine Tremblay.        plat et un derrière coupé avec          machinerie d'époque. Le cha-
       valeur, conserve et interprète       Et les artisans-chaloupiers sont    l'arrivée des moteurs hors-             loupier y construit des embar-
       le patrimoine maritime. «Ce          rares. Nous espérons dans           bord. L'industrie a alors connu         cations haut de gamme, selon la
       chantier fut une des plus            l'avenir avoir les ressources       ses heures de gloire.                   méthode de fabrication tradi-
       importantes industries de            financières pour investir dans      Pendant les années 1940-1950,           tionnelle que lui a transmise le
       toute l'île d'Orléans, rappelle      la formation, car c'est tout un     Verchères a compté jusqu'à 17           dernier artisan de la famille
       Madeleine Tremblay, l'une            savoir-faire qui est menacé de      chalouperies qui, réunies, pro-         Desmarais. Les chaloupes ne
       des responsables du parc mari-       disparition. »                      duisaient plus de 3000 barques          sont plus offertes uniquement
       time. Jusqu'à 150 hommes y           Gyslain Pouliot, de Saint-          par année. Ces embarcations             dans le vert, le gris et le rouge,
       construisaient et réparaient         Vallier de Bellechasse, est l'un    étaient vendues à la grandeur           mais dans une gamme de 30
       des goélettes et différents          de ces rares artisans qui gagne     du Québec, au Canada et aux             couleurs. Leur coût varie entre
       navires de bois.» En activité        sa vie en restaurant les vieilles   États-Unis. Mais l'arrivée de la        800$ et 3000$. M. Goyette
                                                                                chaloupe de fibre de verre, au          compte parmi ses clients des
                                                                                début des années 1970, a été            particuliers, des propriétaires
                                                                                fatale à ces chalouperies, qui          d'auberges, des exploitants de
                                                                                ont disparu l'une après l'autre.        pourvoiries du Québec et du
                                                                                Sauvée de j u s t e s s e , après       Grand Nord. Dans une propor-
                                                                                avoir été mise en vente pen-            tion de 30%, les chaloupes sont
                                                                                dant trois ans, la chalouperie          fabriquées en pièces détachées.
                                                                                E. Desmarais chaloupe Ver-              «On peut ainsi les transporter
                                                                                                                        en avion et les utiliser dans les
                                                                                Construite en 1837
                                                                                                                        endroits autrement inaccessi-
                                                                                et classée m o n u m e n t historique
                                                                                                                        bles. C'est d'ailleurs le modèle
                                                                                en 1977, la chalouperie
                                                                                                                        en kit qui a permis aux avant-
                                                                                G o d b o u t est déplacée
                                                                                                                        derniers propriétaires de survi-
                                                                                par voie d'eau en 1989 vers
                                                                                                                        vre », fait remarquer Normand
                                                                                l'ancien chantier
                                                                                                                        Goyette. L'artisan espère aussi
                                                                                maritime de Saint-Laurent,
                                                                                                                        vendre ses barques au New
                                                                                à l'île d'Orléans.
                                                                                                                        Hampshire, à New York et au
                                                                                Photo : Louis Rioux                     Massachusetts, là où on aime ce

S numéro soixante-dix-sept
qui est fait à la main et où il
existe déjà un marché pour les
embarcations de bois.
À l'heure actuelle, Normand
Goyette travaille seul avec son
fils Charles-Emile, mais il
songe éventuellement à em-
baucher des «jeunes aux talents
naturels » pour leur transmettre
ce savoir-faire. S'il est conscient
du patrimoine qu'il a entre les
mains, il ne veut pas de sub-
vention et préfère mener sa
barque seul. «Peut-être qu'un
jour je créerai un centre
d'interprétation, mais pour
l'instant, je vois à développer
l'entreprise. Nous avons déjà
une capacité de production            Kamouraska... « La plus belle       croit que le bâtiment aurait dû     La chaloupe F.X. Lachance,
annuelle de 300 chaloupes. »          collection canadienne», affirme     être plus bas, mieux fenestré,      un m o d è l e r e p r o d u i t
De son côté, le Comité de             la directrice du musée, Sonia       avec une intervention architec-     au Parc maritime
toponymie et d'histoire de            Chassé. Le chaloupier Gyslain       turale plus moderne ou tout         de Saint-Laurent, à l'île d'Orléans.
Verchères effectue depuis 1992        Pouliot, de Saint-Vallier de        simplement érigé ailleurs, dans     Photo : Louise Leblanc, Fonds
une recherche sur les chaloupe-       Bellechasse, sera sur place tout    l'espace de stationne-ment à la     photographique M C C Q
ries de Verchères, qui devrait        l'été pour animer les lieux et      droite du musée, par exemple.
être publiée à l'automne.             restaurer les embarcations.         «Le monument du capitaine           artisan à apprenti que ce
« Nous voulons dresser un             Une tâche qui devrait s'éche-       Bernier, qui avait comme toile      savoir-faire se transmet.
inventaire complet et faire           lonner sur quatre saisons au        de fond le fleuve et la côte        Héritage fragile s'il faut en
connaître une industrie qui           moins.                              nord, ne veut plus rien dire sur    croire la rareté de la relève.
existe toujours», affirme la          Le projet est né dans la contro-    ce fond de planches de bois»,       Pourtant, les chaloupiers méri-
conseillère municipale Nicole         verse. La chalouperie loge          remarque M. Gagnon.                 teraient une page importante
Chagnon Brisebois. Enfin,             dans deux bâtiments jumeaux         De son côté, la direction du        dans l'histoire maritime du
tant du côté de la municipalité       en bois d'environ 18 mètres         musée affirme q u ' e l l e a       Québec, mais cette page reste
que de la nouvelle Société            sur 9. Situés du côté ouest, ces    consulté de nombreuses ins-         en bonne partie à écrire
du patrimoine de Verchères,           nouveaux bâtiments, adjacents       tances publiques et que la          comme le métier attend tou-
on reconnaît en Normand               au musée, obstruent la percée       chalouperie ne pouvait être         jours ses candidats. Dans un
Goyette la personne capable           visuelle sur le fleuve. « La        implantée derrière le musée,        contexte où personne ne
de donner une nouvelle vie à          population est choquée de ne        car cela allait à l'encontre des    connaît le sésame qui desserre
cette chaloupe de bois tout en        pas avoir été consultée, déplore    normes environnementales; le        les cordons de la bourse, il ne
respectant les impératifs du          Robert Gagnon, un architecte        site du côté ouest était donc le    nous reste plus qu'à compter
commerce.                             de Saint-Eugène. Ce bâtiment        seul disponible. La direction       sur la passion entêtée des arti-
                                      s'inscrit mal dans la trame his-    aurait souhaité un bâtiment         sans, des collectionneurs et
 LA CHALOUPERIE DU MUSÉE              torique du village; de plus, il     plus long et moins haut, mais       des gens qui ne se résignent
      MARITIME BERNIER                bloque la vue sur le fleuve et      encore une fois les normes ne       pas à oublier le doux bonheur
En juin, le Musée maritime            sur les navires Ernest-Lapointe     le permettaient pas. Le Musée       de glisser en chaloupe de bois
Bernier, à l'Islet, a inauguré sa     et le Bras d'Or qui servent de      maritime accueille annuelle-        sur les eaux calmes aux chau-
nouvelle chalouperie, un lieu         publicité au musée. »               ment 40 000 visiteurs et vise       des journées d'été.
voué à la mise en valeur et à la      Le maire Jean-Pierre Caron          60 000 visiteurs d'ici trois ans.
préservation des bateaux de           admet qu'un permis de cons-         « Le développement du mu-           Sylvie Ruel est journaliste indé-
bois traditionnels.                   truction a été émis parce que le    sée passe par cette chaloupe-       pendante.
Cette chalouperie, qui s'inspire      projet respectait toutes les nor-   rie », conclut la directrice.
des modèles américains et             mes. «Je ne critique pas ce pro-
européens, regroupe 35 embar-         jet de chalouperie, dit-il, mais           U N SAVOIR-FAIRE
cations représentatives des           je trouve qu'on a pris la métho-             A PRÉSERVER
principales régions maritimes         de facile. On aurait dû retour-     S'il existe aux États-Unis des
du Québec, dont plusieurs             ner sur la table à dessin ou sim-   écoles où l'on enseigne le
proviennent de l'île d'Orléans,       plement construire le bâtiment      métier de chaloupier, ici c'est
de l'île aux Coudres, de              ailleurs. » L'architecte Gagnon     de père en fils ou de maître-

                                                                                                                                          numéro soixante-dix-sept u
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