Lèpre / Épidémiologie - Leprosy Information
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Lèpre / Épidémiologie ■ Le point sur l’épidémiologie de la lèpre dans le monde en 2017 Données de l’Organisation Mondiale de la Santé Résumé : pour l’ensemble du texte, se rapporter à l’article princeps : Weekly Epidemiological Record 2018 ; 93 : 445-56. Situation de la lèpre dans le enfants. La Stratégie mondiale de lutte autorise la discrimination à l’encontre monde, 2017 : réduction de la contre la lèpre 2016-2020, intitulée des personnes touchées par la lèpre. charge de morbidité due à la lèpre « Parvenir plus rapidement à un monde C’est la première fois qu’une cible est exempt de lèpre », a été adoptée par la fixée pour mesurer la réduction de la Toutes les stratégies mondiales de lutte majorité des pays d’endémie de la lèpre discrimination envers les personnes contre la lèpre élaborées par l’OMS qui ont élaboré des plans nationaux de atteintes de lèpre. au cours des 3 dernières décennies mise en œuvre conformément à cette Le manuel opérationnel de la Stratégie reposent sur une approche visant stratégie. mondiale de lutte contre la lèpre 2016- à détecter tous les cas et à assurer La Stratégie mondiale de lutte contre la 2020 définit différentes approches un traitement rapide par la polychi lèpre 2016-2020 s’articule autour de 3 pouvant être adoptées dans les zones miothérapie (PCT). Étant donné que piliers : 1) renforcer l’appropriation par de forte et de faible endémicité pour tous les pays, à de rares exceptions les gouvernements, la coordination et améliorer la détection précoce des cas près, ont atteint la cible mondiale le partenariat ; 2) mettre fin à la lèpre et réduire la charge des incapacités. qui avait été fixée, la stratégie la plus et à ses complications ; et 3) mettre Afin de renforcer la mise en œuvre récente cible des objectifs qui ne sont fin à la discrimination et promouvoir de la stratégie et de suivre les progrès plus axés sur « l’élimination de la l’inclusion. Les 3 principales cibles à accomplis, un ensemble d’indicateurs lèpre en tant que problème de santé l’horizon 2020 sont les suivantes : zéro a été défini dans le guide de suivi et publique », mais sur la réduction de la nouveau cas pédiatrique présentant une d’évaluation publié en complément de charge de morbidité, mesurée par une incapacité de degré 2 ; < 1 nouveau cas la stratégie. baisse du taux d’incapacité de degré 2 de lèpre présentant une incapacité de parmi les nouveaux cas et par le déclin degré 2 pour un million d’habitants ; du nombre de nouveaux cas chez les et zéro pays ayant une législation qui Tableau 1. Nombre de nouveaux cas de lèpre dépistés en 2017 (par région de l’OMS) 1. Taux de dépistage = nombre de cas/100 000 habitants. 1 Bull. de l’ALLF n° 34, juin 2019
Lèpre / Épidémiologie Tableau 2. Nombre de nouveaux cas dépistés : tendances observées par Région de l’OMS de 2009 à 2017 Tableau 3. Nombre de cas de lèpre (pour 100 000 habitants) présentant des incapacités de niveau 2 parmi les nou- veaux cas dépistés par Région de l’OMS de 2010 à 2017 Figure 1. Tendances observées dans le dépistage de nouveaux cas de lèpre par Région OMS, 2000-2017. 2 Bull. de l’ALLF n° 34, juin 2019
Lèpre / Épidémiologie ■ LÈPRE DANS LES DOM TOM Détection de la lèpre (nouveaux cas et rechutes) et prévalence dans les DOM TOM en 2018 G.-Y. de Carsalade1 Tableau récapitulatif des cas de lèpre dans les DOM TOM en 2018 (a) pour 100 000 habitants, (b) pour 10 000 habitants Dr A Leoture pour la Martinique tés et autres institutions nous adressent NC non connu (a.leoture@wanadoo.fr). À noter, leur population pour dépistage de la comme depuis plusieurs années, l’ab- lèpre. Il conviendrait de renforcer ce Commentaires sence de toute donnée de la Guyane et dépistage en l’associant à des actions de la Nouvelle-Calédonie malgré des de prévention, à une sensibilisation Les informations concernant la situa- sollicitations répétées. orientée vers le grand public compor- tion dans les DOM TOM nous ont été tant une information sur les premiers communiquées par les différents res- Par ailleurs, le Dr A. Leoture a sou- signes de lèpre. » ponsables des programmes lèpre. Nous haité nous transmettre ce texte concer- vous communiquons, avec leur ac- nant l’activité du centre de dépistage 1. georges-yves.de-carsalade@ch-mdm.fr cord, leurs adresses mail afin de pou- de la Martinique : « La diminution du voir échanger des informations sur nombre de cas depuis des années fait des patients : Dr Isabelle Fabre (isa- que la lutte contre la lèpre n’est plus belle.fabre@chu.guadeloupe.fr) pour un problème de santé publique en la Guadeloupe, Dr D. M. Oussaid Martinique ; elle sert à justifier l’arrêt (d.mohand-oussaid@chmayotte.fr) des crédits dédiés au dépistage, ce qui pour Mayotte, Dr Nguyen Ngoc Lam entraîne une perte d’expertise. La fré- (lam.nguyen@cht.pf ou nnlam.tahi- quentation du centre de santé pour le ti@gmail.com) pour la Polynésie fran- dépistage actif de la lèpre reste impor- çaise, Dr Bertolotti (antoine.bertolot- tante (2 545 personnes vues en 2018). ti@chu-reunion.fr) pour la Réunion Ce dépistage est ancré dans les habi- sud, Dr Anne Gerber (anne.gerber@ tudes eu égard au travail de sensibilisa- chu-reunion.fr) pour la Réunion Nord, tion fait antérieurement. Les collectivi- 3 Bull. de l’ALLF n° 34, juin 2019
Lèpre / Épidémiologie ■ ÉVIDENCE D’UNE FORTE ENDÉMICITÉ DE LA LÈPRE ET DU PIAN DANS LA COMMUNE DE BALE LOKO EN RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE Um Boock A.*, Ntozo J.-P.*, Boua B.**, Vander Plaetse B.* Introduction Matériel et méthodes Résultats et discussion La République Centrafricaine (RCA) Il s’agissait d’une enquête transver- Presque toutes les MTN à expression est un pays d’Afrique endémique pour sale se déroulant au village de Scad, cutanée ont été dépistées au cours de plusieurs maladies tropicales négligées dans la commune de Bale Loko, dis- cette enquête. (MTN), dont la lèpre. Dans sa straté- trict de santé de Mbaiki et préfecture gie de lutte contre les MTN, la RCA a de la Lobaye, pendant la période du 11 Pian mis en place des programmes de lutte au 20 juin 2017. Le village de la Scad Cent trente-sept cas de pian ont été ciblant certaines maladies, à savoir la était choisi parce qu’il disposait des in- diagnostiqués cliniquement, et 102 ont lèpre, l’onchocercose, le trachome et le frastructures pouvant accueillir cette été confirmés aux tests biologiques ra- ver de Guinée. Une coordination des enquête (écoles, case de passage, for- pides ; 79 % des cas étaient des formes différentes MTN a été mise en place, mation sanitaire, restaurant). De plus, considérées comme contagieuses. mais sans ressource propre1. Malgré c’est un village dans lequel on peut La prévalence du pian trouvée dans tout, depuis fin 2005, la RCA a atteint rencontrer tous les groupes de popula- cette étude (22,24 %) est supérieure le seuil de l’élimination de la lèpre tions de la RCA (autochtones, Bantous, à celle trouvée par Kazadi en 2012 comme problème de santé publique. étrangers). Le village de Scad, avec ses qui était de 11,3 % dans la région de Cette élimination cachait cependant 8 566 habitants, est le plus grand vil- la Lobaye3. Ces travaux étaient basés certaines disparités car la maladie était lage de la commune de Bale Loko. Il sur des données hospitalières, sous- encore confinée à des régions bien pré- abrite quatre écoles, à savoir une école estimant probablement l’ampleur de cises, comme la Lobaye. maternelle, une école privée (catho- la charge de morbidité. Environ 71 % Le contexte sécuritaire instable persis- lique), et deux écoles publiques. Une des cas étaient des ulcères, formes très tant et le manque de ressources n’ont autorisation préalable au déroulement contagieuses traduisant une grande pas permis la mise à jour de ces pro- de l’enquête a été obtenue auprès du propagation de la maladie. grammes pour prendre en compte Ministère de la santé. d’autres maladies nouvelles ou ré- L’enquête a couvert trois des quatre Lèpre émergentes, comme l’ulcère de Buruli écoles du village. Il s’agissait de l’école Cinquante-sept cas de lèpre ont été dé- et le pian. Depuis le déclenchement catholique et des deux écoles pu- pistés. Le taux de dépistage des nou- des multiples crises militaires et poli- bliques. L’école maternelle n’a pas par- veaux cas dans notre série a donc été tiques, le secteur santé a payé l’un des ticipé à l’étude parce que les enfants de 9,25 %. Bien que les données du plus lourds tributs, jusqu’à son quasi- étaient en congé. Tous les enfants pré- taux de dépistage au niveau national effondrement : destruction des infras- sents dans les trois écoles et qui l’ont ne soient pas disponibles, le taux trou- tructures sanitaires, pillage des médi- accepté ont systématiquement été exa- vé dans notre étude semblait largement caments et équipements, déplacement minés. Les ménages abritant les en- supérieur à celui des 121 pays et terri- du personnel y compris ceux chargés fants diagnostiqués aussi bien de lèpre toires de la région OMS ; 68 % (n = 39) de la gouvernance, baisses de finan- que du pian ont été systématiquement des cas étaient des formes MB, indi- cement du secteur santé, rupture de la visités. quant une importante réserve de ba- chaîne d’approvisionnement des médi- L’enquête ciblait toutes les maladies cille de Hansen dans l’environnement. caments et autres intrants médicaux2. tropicales négligées qui affectent la Cette prédominance des formes MB Cependant, la sécurité revient progres- peau. Le diagnostic et la classification augmente les risques de contagiosité de sivement et la reconstruction s’amorce. de la lèpre ont été réalisés sur la base la maladie. Par ailleurs, 51 % des cas Il nous est paru important de faire le des algorithmes de l’OMS. Pour ce qui dépistés lors de l’enquête étaient déjà point sur les maladies tropicales né- est du pian, tous les cas suspectés clini- connus des services de santé. Ceci tra- gligées afin qu’elles soient prises en quement dans les écoles ont été contrô- duit l’incapacité du système à la prise en compte précocement dans la recons- lés sérologiquement ; deux tests ont été charge des cas, conduisant à l’abandon truction du pays. C’est dans ce contexte utilisés : le TPHA et la RPR. Pour l’ul- du traitement par les patients (augmen- que le Ministère de la santé, en colla- cère de Buruli, tous les cas clinique- tation des perdus de vue), et contribue boration avec l’ONG FAIRMED, a lan- ment suspects ont été prélevés pour à la propagation de la maladie voire à cé cette enquête. confirmation par PCR. la survenue des formes résistantes. Le logiciel Epi info a été utilisé pour Nous avons identifié pendant l’enquête l’analyse des données de l’enquête. un cas de réaction lépreuse de type 2. 4 Bull. de l’ALLF n° 34, juin 2019
Lèpre / Épidémiologie Il s’agissait d’un patient dépisté trois là de deux MTN liées à l’hygiène et à Références ans plus tôt dont le traitement n’a été la promiscuité. 1. Ministère de la santé et de la population : disponible que pendant 3 mois. La prise plan de transition du secteur santé en RCA en charge des cas n’est plus effective, Conclusion 2015-2016. mettant ainsi en péril le devenir des 2. OCHA : Plan opérationnel de la réponse malades. La présente étude montre une grande du secteur santé à la crise en République Huit enfants de moins de 15 ans ont endémicité de plusieurs maladies tro- Centrafricaine, décembre 2016. présenté des infirmités de catégorie 2, picales négligées à expression cutanée 3. Kazadi W.M., Asiedu K.B., Agana N., soit un taux de 14 % (8/57). Ce taux dans la zone de l’étude. Elle montre Mitja O. Epidemiology of Yaws : an up- d’infirmité renforce à la fois l’idée aussi les difficultés du système de san- date. Clin. Epidemiol. 2014 ; 6:119-28. d’un diagnostic tardif et d’une prise en té à contrôler la situation. Malgré ses charge retardée des cas de lèpre. insuffisances, cette étude indique que la crise a exacerbé la multiplication des Ulcère de Buruli MTN. La présence simultanée de plu- Trois cas cliniquement suspects d’ulcère sieurs MTN, qui probablement se su- de Buruli ont été identifiés. Ils ont été perposent parfois, suggère fortement prélevés et l’échantillon envoyé au centre l’abandon de l’approche de lutte à tra- pasteur de Yaoundé pour confirmation vers des programmes verticaux ciblés par PCR. Cette enquête vient confirmer sur une maladie, et incite plutôt à une la présence de l’ulcère de Buruli en RCA. intégration des programmes de lutte Des enquêtes plus approfondies de- contre les MTN. vraient être menées pour évaluer la pré- valence réelle de cette maladie en RCA. * FAIRMED ** Ministère de la Santé et de la popu- Autres MTN lation République Centrafricaine. Cinquante-deux cas de gale et 37 de tungose ont été diagnostiqués. Il s’agit 5 Bull. de l’ALLF n° 34, juin 2019
Lèpre / Organisation des soins ■ Dépistage de la lèpre en stratégie avancée dans les régions du Centre Ouest et du Centre Nord du Burkina Faso N. Amina Ouédraogo *, **, L. W. Ilboudo***, M. Sermé****, L. Mariam Sanou*****, B. Marcellin6*, N. Yacouba7*, N. Kaboret***, Ch. Nassa****, M. Sidnoma Ouédraogo*, **, P. Tapsoba*, **, I. Diallo**, 8*, A. Sondo/Ouedraogo**, 8*, F. Traore9*, N. Korsaga/Somé*, **, F. Barro/Traore**, 10*, Ch. Kafando***, B. Clarisse****, A. Traoré*, ** Résumé Introduction : depuis 2017, le programme national de lutte contre les maladies tropicales négligées (PN MTN) du Burkina Faso a initié, avec l’appui de partenaires techniques et financiers, des campagnes de dépistage de la lèpre en stratégie avan- cée. Le but de cette campagne était de contribuer à l’amélioration de la détection précoce des cas de lèpre et de permettre ainsi la réduction du taux d’infirmité chez les nouveaux cas. Méthode et patients : une étude transversale à visée descriptive était menée dans deux régions, le Centre Ouest et le Centre Nord du 24 au 28 septembre 2018. Des consultations foraines de dermatologie étaient organisées, précédées d’une séance de sensibilisation. Étaient incluses toutes les personnes qui s’étaient présentées aux équipes de consultation, ainsi que les sujets contacts des cas de lèpre suivis dans la région. Les critères cliniques recommandés par l’OMS pour le diagnostic de la lèpre étaient utilisés pour la définition des cas. Résultats : un total de 798 personnes était examiné durant cette étude, dont 63,4 % de sexe féminin et 36,6 % de sexe mas- culin. La moyenne d’âge était de 32,9 ans avec des extrêmes de 6 mois et 87 ans. Il y avait 28,4 % d’enfants de moins de 15 ans. Nous avons diagnostiqué 6 nouveaux cas de lèpre. Il y avait 5 cas de lèpre multibacillaire (MB) et un cas de lèpre paucibacillaire (PB). Il y avait 3 enfants âgés de 11, 15 et 16 ans. Tous les nouveaux cas provenaient du DS de Koudougou. Les sujets contacts des nouveaux cas étaient les grands-parents en majorité. Sur le plan clinique, les nouveaux cas de lèpre présentaient des lésions dermatologiques et neurologiques à type de lésions maculeuses hypochromiques hypoesthésiques ou anesthésiques, variant de 4 à 20 cm, siégeant sur le tronc et les membres chez cinq patients, réalisant des formes tuber- culoïdes. Et à type des lésions papulo-nodulaires infiltrées douloureuses, du tronc, des membres, du visage donnant un faciès léonin associées à des troubles de la sensibilité à type d’hypoesthésie, réalisant une réaction lépreuse de type reverse inaugurale sur une lèpre lépromateuse chez la patiente de 16 ans. Conclusion : la présence d’enfants parmi les nouveaux cas témoigne de la persistance de la circulation du bacille de Hansen dans la communauté. Et l’intérêt de la mise à disposition d’un traitement préventif des sujets contacts, notamment dans le cas des enfants, se pose. Introduction l’amélioration de la détection précoce gion sanitaire du Centre Nord. Les DS des cas de lèpre, et permettre ainsi la de Koudougou et Sabou étaient choi- Maladie longtemps endémique au réduction du taux d’infirmité chez les sis dans la région sanitaire du Centre Burkina Faso, avec une prévalence de nouveaux cas. Cette stratégie était cou- Ouest. Les villages de Pissila (DS de 36,7 pour 1 000 dans les années 1965, plée à une supervision formative des Kaya) et de Yalgo (DS de Tougouri) la lèpre a été progressivement éliminée infirmiers « référents lèpre » des struc- pour la région du Centre Nord, les en tant que problème de santé publique tures de santé visitées, permettant de villages de Bouloum Nabyrii (DS du pays depuis 1994 (192 nouveaux renforcer leur capacité à poser le dia- de Koudougou) et de Bourou (DS de cas en 2017)1, 2, 3. Depuis 2017, le pro- gnostic et prendre en charge des infir- Sabou) pour la région du Centre Ouest gramme national de lutte contre les ma- mités associées. étaient retenus. ladies tropicales négligées (PN MTN) a Des consultations foraines de dermato- initié, avec l’appui de partenaires tech- Méthode et patients logie étaient organisées dans chaque vil- niques et financiers tels la fondation lage, précédées d’une séance de sensibi- Raoul Follereau, des campagnes de dé- Une étude transversale à visée descrip- lisation sur les pathologies de la peau en pistage de la lèpre en stratégie avancée. tive était menée dans deux régions du général et sur la lèpre en particulier. Des En fonction de la disponibilité des res- Burkina Faso du 24 au 28 septembre affiches de sensibilisation sur la lèpre sources financières allouées à cette ac- 2018. étaient mises à la disposition de l’équipe tivité, des régions différentes du pays Les sites de l’étude (régions, dis- de santé du Centre de Santé Primaire sont visitées chaque année. Ainsi, après tricts sanitaires, villages) étaient choi- et Sociale (CSPS) afin d’informer la les régions du Centre Est, de l’Est et sis de manière raisonnée, selon la pré- population de cette consultation. Les du Nord en 20174, ce sont les régions somption d’existence de cas rapportée équipes de consultation comprenaient du Centre Nord et du Centre Ouest par les agents de santé. Ainsi, les dis- chacune un dermatologue, un infirmier qui étaient visitées en 2018. Le but de tricts sanitaires (DS) de Kaya et celui référent « lèpre » et les agents de santé cette campagne était de contribuer à de Tougouri étaient retenus dans la ré- du CSPS du village. 6 Bull. de l’ALLF n° 34, juin 2019
Lèpre / Organisation des soins Étaient incluses dans l’échantillon Tableau 1 : répartition des sujets examinés selon les régions toutes les personnes qui s’étaient pré- sentées aux équipes de consultation, ainsi que les sujets contacts des cas de lèpre suivis dans la région. Le consen- tement verbal des patients était re- quis avant leur inclusion dans l’étude. Les critères cliniques recomman- dés par l’OMS pour le diagnostic de la lèpre étaient utilisés pour la défini- tion des cas : moins de 5 lésions hy- pochromiques, hypo ou anesthésiques définissant une lèpre paucibacillaire (PB) ; plus de 5 lésions hypochro- miques, hypo ou anesthésiques dé- finissant une lèpre multibacillaire (MB). Les consultations avaient lieu Tableau 2 : répartition des nouveaux cas de lèpre dépistés dans les CSPS des villages de la ré- gion du Centre Nord et dans les écoles primaires des villages de la région du Centre Ouest en raison de l’affluence plus grande. L’organisation pratique de la campagne consistait en la mise en place d’un site d’enregistrement des patients, de deux salles de consul- tations et d’une salle de dispensation gratuite des médicaments de la poly- Parmi les sujets examinés dans ces chimiothérapie (PCT) antilépreuse et deux régions, nous avons diagnostiqué autres molécules de prise en charge 9 cas de lèpre dont 3 anciens cas et 6 des dermatoses courantes (antifon- nouveaux cas. Il y avait 5 cas de lèpre gique, anti-parasitaire, dermocorti- multibacillaire (MB) et un cas de lèpre coïde, antiseptique etc.). paucibacillaire (PB) parmi les nou- Le choix raisonné des sites, la durée veaux cas. Les 3 anciens cas avaient réduite de la consultation (une journée) déjà été diagnostiqués dans les CSPS dans chaque village constituaient les li- de leurs villages respectifs et mis sous mites de cette étude. traitement. Parmi les 6 nouveaux cas, il y avait 3 enfants âgés de 11, 15 et Résultats 16 ans (tableau 2). Tous les nouveaux cas provenaient du DS de Koudougou. Un total de 798 personnes était exami- Les sujets contacts des nouveaux cas Figure 1. Vastes macules né durant cette étude, dont 63,41 % de étaient les grands-parents en majori- hypochromiques. sexe féminin et 36,59 % de sexe mascu- té. La PCT antilépreuse était instaurée lin. La moyenne d’âge était de 32,9 ans chez tous les nouveaux cas. Les per- avec des extrêmes de 6 mois et 87 ans. sonnes porteuses d’une autre patho- Il y avait 28,36 % d’enfants de moins logie dermatologique avaient reçu un de 15 ans. Le tableau 1 nous renseigne traitement adapté, et celles ayant be- sur le détail des données en fonction soin d’un suivi dermatologique étaient des districts sanitaires. Le nombre de référées dans la structure la plus proche personnes examinées (452) dans la ré- disposant d’un dermatologue. gion du Centre Ouest était supérieur de Sur le plan clinique, les nouveaux cas celui du Centre Nord (346). Le nombre de lèpre présentaient des lésions der- de personnes examinées était supérieur matologiques et neurologiques variées : Figure 2. Lèpre à 200 dans tous les DS, sauf celui de – des lésions maculeuses hypochro- lépromateuse Kaya où il était de 91. miques cuivrées en placards (fig. 1), réactionnelle. 7 Bull. de l’ALLF n° 34, juin 2019
Lèpre / Organisation des soins nées, soit 0,75 %. Quand nous compa- rons ces données à celles des nouveaux cas de lèpre diagnostiqués en routine dans les mêmes districts sur une année, elles sont nettement plus élevées, ce- pendant cela n’est pas statistiquement significatif (tableau 3). On peut consi- dérer que la sensibilisation faite du- rant les campagnes de dépistage avan- Figure 3. cée amène la population à aller vers les Lagophtalmie par équipes de consultation, ce qui peut ex- paralysie faciale pliquer le nombre élevé de nouveaux droite. Figure 4. Séquelles neurologiques cas détectés. Dans la vie quotidienne, graves des deux mains. les lésions indolores de la lèpre n’in- quiètent peut-être pas les patients et ils Tableau 3 : Comparaison entre les données de routine et celles sont moins enclins à recourir aux soins. de la stratégie avancée dans les mêmes régions Ainsi, la sensibilisation peut constituer une source supplémentaire de motiva- tion, incitant les patients à recourir aux soins même devant des signes qu’ils jugent non inquiétants. Le nombre d’enfants dépistés parmi les nouveaux cas, trois soit la moi- tié des nouveaux cas, est assez remar- quable. Cela est le témoin de la persis- tance de la transmission de la maladie dans ces communautés. Les grands- parents étaient la source de contami- nation probable dans la majorité des cas. Des investigations (notamment hypoesthésiques ou anesthésiques Discussion dans les villages où les nouveaux cas grossièrement arrondies, mal limitées étaient enregistrés) pourraient être de dimensions variant de 4 à 20 cm, de Nous avons examiné 798 personnes envisagées afin de mieux cerner les nombre variant de trois à plus de dix, dont 63,41 % de sexe féminin et circonstances de contamination de ces siégeant sur le tronc et les membres 36,59 % de sexe masculin. Ce même enfants. chez cinq patients ; constat était fait lors du dépistage en Par ailleurs, un traitement préventif – des lésions papulonodulaires infil- stratégie avancée en 20174, où nous no- des sujets contacts des nouveaux cas, trées, récemment turgescentes et oe- tions une prépondérance féminine. Il surtout des enfants, pourrait être aus- dematiées du visage donnant un faciès en est de même du recours aux soins si discuté afin de circonscrire la cir- léonin, du tronc et des membres asso- d’une manière générale dans les struc- culation du bacille de Hansen dans les ciées à des troubles de la sensibilité à tures de santé du pays. L’âge moyen communautés. Cette éventualité pour- type d’hypoesthésie, avec une hyper- des patients de notre étude était de rait être l’objet d’une réflexion, afin trophie douloureuse des troncs nerveux 32,92 ans avec des extrêmes de 6 mois de définir le type de médicament ain- évoquant une réaction lépreuse reverse et 87 ans. Il y avait 28,36 % d’enfants si que la durée de prise pour les sujets inaugurale sur une lèpre lépromateuse de moins de 15 ans, contrairement à contacts ; étant entendu que le Burkina chez la patiente de 16 ans (fig. 2). la campagne précédente où il y avait Faso est également un pays d’endémie Les anciens cas de lèpre présentaient moins d’enfants (14,28 %)4. La pré- tuberculeuse, utilisant des molécules des atteintes séquellaires plus sévères sence plus importante des enfants dans communes telle la rifampicine dans à type de : cette campagne s’expliquerait par le sa prise en charge7, 8, 9. Par ailleurs, les – lagophtalmie gauche, mutilations des fait qu’elle se soit déroulée pendant les nouvelles lignes directrices 2019 de doigts des mains droites et gauches vacances scolaires, notamment pour la l’OMS autorisent l’utilisation de la ri- (fig. 3 et 4) ; région du Centre Nord. fampicine à dose unique comme trai- – maux perforants plantaires bilatéraux Six nouveaux cas de lèpre étaient dé- tement prophylactique chez les sujets chez la même personne. pistés sur les 798 personnes exami- contacts. 8 Bull. de l’ALLF n° 34, juin 2019
Lèpre / Organisation des soins Pour ce qui est de l’aspect clinique, les Conclusion Références atteintes dermatologiques et cliniques 1. Rapport de la validation des données étaient classiques à type de macules Au terme de cette étude, six nouveaux de prise en charge de la lèpre de l’année hypochromiques, hypoesthésiques ou cas de lèpre étaient dépistés sur les 798 2018, Burkina Faso, Ministère de la Santé, anesthésiques pour cinq nouveaux cas, personnes examinées dans les deux ré- février 2019, 14 p. et à type de réaction lépreuse inaugu- gions visitées. Au-delà du nombre de 2. Cauchoix B., Rajaonarisoa H., rale sur une lèpre lépromateuse pour nouveaux cas de lèpre dépistés lors Ramarolahy E.B., Arandrianandrasana S.B. un cas. Même si la macule hypochro- de cette stratégie avancée, les besoins et al. Mise en œuvre à Madagascar d’une mique de la lèpre n’est pas doulou- réels de prise en charge et de préven- stratégie de dépistage avancée de la lèpre reuse, sa multiplication sur le tégument tion des infirmités se posent avec acui- en milieu rural. BALLF 2017 ; 32:15-21. devrait inciter le patient à recourir aux té pour les patients ayant terminé la 3. De Carsalade G.Y., Receveur M.C., soins. Une éducation de la population PCT anti lépreuse et étant supposés Ezzedine K., Saget J., Achirafi A., Bobin P. en vue de cultiver le réflexe de recourir « guéris de la lèpre ». Malvy D. Dépistage actif intra-domiciliaire précocement aux soins pourrait contri- Parmi ces six nouveaux, on dénom- différé de la lèpre : expérience de l’équipe buer au diagnostic précoce des patho- brait trois enfants. La présence d’en- de dépistage sur l’île de Mayotte. Bull. Soc. logies d’une manière générale, et de fants parmi les nouveaux cas témoigne Pathol. Exot. 2008 ; 101:32-35. la lèpre en particulier. S’il y a un seul de la persistance de la circulation du 4. Ouedraogo N.A., Ouedraogo M.S., message à véhiculer tant dans la com- bacille de Hansen dans la communau- Tapsoba, G.P., Traore F., Bassole A.M., munauté que chez les agents de san- té. La question d’une révision des di- Zeba/Lompo S. et al. Dépistage de la lèpre té, ce serait de penser à la lèpre devant rectives nationales du pays, notamment en stratégie avancée au Burkina Faso. toute macule hypochromique hypo celles sur la chimioprophylaxie des su- BALLF 2018 ; 33:4-7. ou anesthésique « jusqu’à preuve du jets contacts, se pose également. 5. Mahé A. Controverse autour de la pro- contraire ». De même, le renforcement phylaxie de la lèpre par la rifampicine des capacités des agents de santé à pou- * Service de Dermatologie-Vénéréolo- administrée en dose unique. Notes de la voir diagnostiquer correctement les cas gie du Centre Hospitalier rédaction. BALLF 2018 ; 33:38. de lèpre reste d’actualité. Universitaire Yalgado Ouédraogo, 6. Tapsoba G.P, Ouédraogo M.S., Korsaga- Quant aux réactions lépreuses, qu’elles Ouagadougou Somé N., Ouédraogo A.N., Barro-Traoré F., soient inaugurales, au décours du trai- ** Unité de Formation et de Niamba P., Traoré A. Mésusage de la cor- tement antilépreux ou après celui-ci, Recherche en Sciences de la Santé, ticothérapie avec complications iatrogènes leur diagnostic et leur prise en charge Université Ouaga I Pr Joseph chez un patient atteint d’un érythème noueux restent problématiques pour nos agents Ki-Zerbo lépreux. BALLF 2018 ; 33:15-17. de santé. Plusieurs raisons peuvent ex- *** Centre Raoul Follereau 7. Richardus J.H. Protecting people against pliquer cela : l’inexistence d’un pro- Ouagadougou leprosy: chemoprophylaxis and immuno- gramme opérationnel de détection et **** Programme national de lutte prophylaxis. Clinic in Dermatology 2015 ; prise en charge des infirmités et inva- contre les Maladies Tropicales 33:19-25. lidités de la lèpre jusqu’à une période Négligées PNMTN 8. Tiwari A., Mieras L., Dhakal K., Arif M., récente ; la mise à disposition insuffi- ***** Centre Hospitalier Régional Dandel S., Richardus J.H. et al. Introducing sante de certaines molécules tels les de Kaya leprosy post-exposure prophylaxis into corticoïdes pour le traitement des ré- 6* Service rhumatologie de l’Hôpital the health systems of India, Nepal and actions ; l’absence d’alternative théra- de District de Bogodogo Indonesia: a case study. BMC health ser- peutique aux corticoïdes (telle la tha- 7* Centre Hospitalier Régional de vices Research 2017 ; 17:684 doi 10.1186/ lidomide dans l’ENL) en cas d’échec Koudougou s12913-017-2611-7. thérapeutique. 8* Service des Maladies Infectieuses 9. Mieras L., Anthony R., Wim Van Brakel, Cette carence est notamment confirmée du Centre Hospitalier Universitaire Bratschi M.W., Broek J.V.D., Cambau E. et par la présence d’anciens malades lors Yalgado Ouédraogo, Ouagadougou al. Negligibled risk of inducing resistance de campagnes de dépistage, car non 9* Service de Dermatologie Vénérolo- in mycobacterium tuberculosis with sin- pris en compte et en charge dans un gie du Centre Hospitalier gle-dose rifampicin as post-exposure pro- programme spécifique pour leurs inva- Universitaire Régional Ouahigouya phylaxis for leprosy. Infectious Diseases lidités et infirmités. Ces sujets présen- 10* Service de Dermatologie-Vé- of Poverty (2016) 5:46 doi 10.1186/ taient des lésions cliniques témoignant néréologie du Centre Hospitalier s40249-016-0140-y. des différentes atteintes de la maladie, Universitaire de Tingandogo à l’origine de lésions handicapantes Auteur correspondant : Remerciements : Cette étude a été rendue telles des maux perforants plantaires, Dr Ouedraogo Nomtondo Amina possible grâce au soutien de la Fondation des mutilations, une lagophtalmie, etc. nomtondo2000@yahoo.fr Raoul Follereau. 9 Bull. de l’ALLF n° 34, juin 2019
Lèpre / Organisation des soins ■ Bilan des activités médicales au service de léprologie du Centre Hospitalier de l’Ordre de Malte (CHOM) de Dakar de 2013 à 2018 Fall L.*, Guèye A.B.*, Ndoye G.F.*, Niane M.M.*, Kinkpé C.V.A.*, Ly F.***, Faucompret S.**, Chaise F.** Résumé Au Sénégal, depuis plus de 10 ans, un chiffre constant d’environ 250 nouveaux cas de lèpre est enregistré chaque année. Il s’agit essentiellement de cas multibacillaires, avec de nombreux cas présentant une infirmité de grade 2 de l’OMS. Le Centre Hospitalier de l’Ordre de Malte (CHOM) de Dakar, héritier de l’Institut de Léprologie Appliquée de Dakar (ILAD), est une structure de santé privée à vocation de santé publique, installée depuis 1967 au Sénégal. C’est une émanation de l’Ordre de Malte avec une mission hospitalière de soins, de traitements aux plus démunis et de formation. Le CHOM au cours de son évolution a connu de profondes transformations structurelles et organisationnelles, avec une offre de soins étendue à la chirurgie du handicap locomoteur non lépreux depuis 2011. La prise en charge des malades affectés par la lèpre au CHOM de Dakar comprend les soins et traitements médico-chirurgicaux, le soutien et l’accompagnement psychosocial des malades et/ou de leurs familles. Le service de léprologie enregistre chaque année environ 140 hospitalisations et 1 600 consultations concernant tous les profils de malades. Les services de réadaptation contribuent à la prise en charge des malades porteurs de séquelles. Des activités médicales décentralisées appelées « missions de Prévention des Invalidités et de Réadaptation Physique » (PIRP) sont organisées dans l’ensemble du territoire national, en raison de 6 à 8 missions l’année, sous la coor- dination des équipes sanitaires et autorités locales. Parfois quelques nouveaux cas peuvent être dépistés au cours de ces missions, ce qui concerne surtout les contacts de multibacillaires. Le CHOM, un des plus anciens partenaires techniques et financiers dans la lutte contre la lèpre dans le pays, reste aujourd’hui le centre de référence national dans le domaine de la léprologie au Sénégal. Introduction sur 1’apparition des mutilations et Pavillon de Malte dédié à la lutte contre devait être administré pendant de lon- la lèpre. Le Président de la République La lèpre, maladie très ancienne, dé- gues années, parfois à vie. Grâce à ces du Sénégal à l’époque exprimait alors crite dans la littérature des civilisa- avancées, il y a eu un changement du son souhait que ce Pavillon d’une tions anciennes, continue toujours à sé- concept de « léproserie » en « village trentaine de lits soit un centre de ré- vir de nos jours, surtout dans les pays de reclassement social » (VRS), de fa- férence. En 1971, du fait d’une pré- pauvres. Historiquement, au Sénégal, çon à continuer à assurer une assistance valence élevée de la lèpre au Sénégal avant les indépendances, une loi avait médicosociale à toutes les personnes (jusqu’à 13 cas pour 10 000 habi- été votée obligeant les personnes at- atteintes par la lèpre et où les pension- tants), un second accord a eu lieu vi- teintes de lèpre à se regrouper dans naires jouiraient de tous leurs droits et sant à promouvoir les soins et la forma- des léproseries loin des villes. Les pre- devoirs civiques. Avec l’introduction tion des professionnels de santé dans miers lazarets du Sénégal furent ainsi de la polychimiothérapie (PCT) anti- le domaine de la lèpre, concrétisé par construits entre 1916 et 1955 à Dakar lépreuse de l’OMS en 1982 à base de la création de l’Institut de Léprologie et à Saint-Louis du Sénégal. Dès que rifampicine, le nombre de nouveaux Appliquée de Dakar (ILAD). Cet la maladie lépreuse était diagnosti- cas de lèpre est progressivement pas- établissement de référence avait éga- quée, une autorisation d’admission sé dans le monde de 5 millions à moins lement comme mission de développer dans la léproserie était signée par un de 250 000 de nouveaux cas par année. des programmes de recherche en lépro- médecin et les malades ne pouvaient En 2000, l’OMS proclamait « l’élimi- logie. L’ILAD comportait à l’époque en sortir que sur autorisation spé- nation de la lèpre en tant que problème 14 bâtiments sur un hectare, avec 37 ciale. Après l’accession à l’indépen- de santé publique dans le monde » agents (fig. 1). Chaque année, plus de dance vers les années 1960, la lutte (soit une prévalence de moins d’un cas contre la lèpre s’est mieux organisée pour 10 000 habitants). Depuis 2010, le avec la création de Services Nationaux Sénégal notifie de manière constante des Grandes Endémies (SNGE) rat- entre 250 et 300 nouveaux cas de lèpre tachés au Ministère de la Santé et la par année. Aujourd’hui, nous consta- mise en place d’un programme natio- tons cependant un échec à l’éradica- nal de lutte contre la lèpre (PNL) ap- tion de la maladie, un objectif fixé par puyé par l’Organisation Mondiale de l’OMS en 2020, puis en 2030. la Santé (OMS). L’avènement des sul- L’Ordre Souverain de Malte s’est ins- famides (Dapsone) a permis d’ob- tallé au Sénégal en 1967 suite à un tenir un certain succès, même si ce premier accord avec la République médicament n’avait pas de réel impact du Sénégal, avec la construction du Figure 1. L’ILAD dans les années 1970. 10 Bull. de l’ALLF n° 34, juin 2019
Lèpre / Organisation des soins Figure 2. Figure 4. Décompression chirurgicale d’un nerf. Figure 3. 200 malades étaient hospitalisés, dont une centaine bénéficiant d’une inter- vention chirurgicale correctrice des dé- formations liées à la lèpre. Plus de 500 médecins Sénégalais ou originaires d’autres pays d’Afrique, de Français, de Vietnamiens, de Cambodgiens ont été formés à la Léprologie. Il en va de Figure 5. Figure 6. même pour le personnel paramédical (infirmiers, aides infirmiers, kinésithé- rapeutes, etc.). réalisées dans la lutte contre la lèpre quement de la lèpre, les cas de lèpre Vu le recul objectif de cette maladie entre 2013 et 2018. Le CHOM s’étend sous PCT, et les cas de complications et la demande croissante en soins or- aujourd’hui sur 8 520 m² et com- réactionnelles nécessitant des soins thopédiques, une nouvelle stratégie prend 20 bâtiments abritant les dif- spécialisés médico-chirurgicaux. a été mise en place en janvier 2009 férents services. Les activités se font entre la République du Sénégal et en étroite collaboration avec le niveau Les missions décentralisées appe- l’Ordre Souverain de Malte, condui- central et les différentes unités régio- lées « Prévention des Invalidités et sant au changement de dénomination nales de traitement anti-lépreux du Réadaptation Physique » (PIRP) sont de l’ILAD en Centre Hospitalier de pays. Les activités se composent de planifiées chaque année dans toutes les l’Ordre de Malte (CHOM) (fig. 2), avec plusieurs volets : médical, chirurgi- régions médicales du pays (14 au to- en pratique l’extension de l’activité cal, réadaptation, prévention des infir- tal) sous la supervision et la coordina- médicale à la chirurgie orthopédique et mités (fig. 4, 5 et 6), suivi et accom- tion du PNEL (tableau 2). Les zones réparatrice du handicap locomoteur. Le pagnement psychosocial, formation et cibles concernent tous les anciens vil- CHOM de Dakar œuvre aujourd’hui recherche opérationnelle. lages de reclassement social VRS qui ainsi dans deux domaines spécifiques : abritent encore d’anciens malades por- la lèpre, son activité historique et la Résultats teurs de séquelles, parfois très mutilés, chirurgie orthopédique réparatrice, mais aussi certaines régions d’endémie dans une approche plus innovante Près du quart des nouveaux cas au lépreuse plus forte. Ces missions per- (fig. 3). Sénégal est dépisté au service de mettent ainsi d’améliorer l’accès aux Léprologie du CHOM. Entre 1 500 et soins des plus défavorisés et sont no- Méthodes 1 700 consultations sont effectuées tamment l’occasion d’effectuer des ac- chaque année et concernent toutes les tivités de dépistage autour des contacts Dans ce travail, il s’agissait de faire catégories de malades (tableau 1) : les multibacillaires. le bilan de l’ensemble des activités anciens patients guéris bactériologi- 11 Bull. de l’ALLF n° 34, juin 2019
Lèpre / Organisation des soins Tableau 1 : Rapport d’activité du service de ment bien codifié, très charge, le dépistage de la lèpre reste Médecine de 2013 à 2017 efficace et disponible, tardif, ce qui semble lié à plusieurs qui permet de guérir de facteurs : le retrait de certains parte- la maladie. Le paradoxe naires techniques et financiers, la for- est que le dépistage reste mation insuffisante des agents de san- souvent trop tardif, à un té, le manque de sensibilisation de la stade de lésions neurolo- communauté visant à réduire stigmati- giques irréversibles. sation et préjugés autour de l’une des Le CHOM dispose d’un plus « vieilles » maladies au monde. plateau technique de qua- L’action doit être portée sur ces pro- lité permettant de prendre blèmes afin d’arriver à un monde en charge toutes les com- exempt de lèpre. plications liées à la lèpre. Tableau 2 : Missions PIRP réalisées de 2012 à 2017 Les activités se font en * Centre Hospitalier de l’Ordre de par le CHOM de Dakar étroite collaboration Malte, Fann, Dakar, Sénégal avec le Ministère de la ** Direction Internationale et de Santé via le Programme l’Outre Mer, Ordre de Malte France National d’Élimination *** Service Dermatologie, Institut de la Lèpre, les autres d’Hygiène Sociale de Dakar, Sénégal partenaires techniques ou financiers, et tous les Correspondance : Dr Fall Lahla, acteurs sociosanitaires. Centre Hospitalier de l’Ordre de Cependant, malgré tous Malte, Fann, Dakar, Sénégal. ces efforts, des difficul- BP 11023 Dakar CD Sénégal, email : tés sont souvent rencon- lahlafall@gmail.com trées sur le terrain du fait d’un manque de forma- Références tion des équipes sani- 1. Aubry P., Gaüz B.-A. Médecine Dans le cadre de la recherche opé- taires et d’une faible sensibilisation et Tropicale. Lèpre ou Maladie de Hansen rationnelle, le CHOM a participé à implication des organisations commu- (2015). quelques études épidémiologiques du- nautaires de base. 2. Adhikari B., Kaehler N., Chapman R.S., rant ces dernières années. Le Sénégal notifie aujourd’hui envi- Raut S., Roche P. Facteurs influant sur la Sur le plan de la formation, le CHOM rons 250 nouveaux cas par année, dont stigmatisation perçue chez les personnes a participé à l’encadrement d’une quin- près du quart dépisté au CHOM. Par atteintes de lèpre dans l’ouest du Népal. zaine de médecins en spécialisation ailleurs, le centre accueille tous les ma- PLOS Neglected Tropical Disease, 2014 ; dermatologique chaque année, en rap- lades présentant des complications ai- 8:e2940. port avec l’Université de Dakar ; à la guës ou chroniques secondaires à la 3. Archives du Ministère de la Santé et formation des Infirmiers spécialistes maladie lépreuse. Ces résultats obte- de l’Action Sociale du Sénégal (Direction Lèpre (ISL) en appui technique au nus lors de ces six dernières années de Lutte contre la Maladie/Programme Programme National de Lutte contre d’activité montrent la place importante National d’Élimination de la Lèpre). la Lèpre (PNEL) du Ministère de la qu’occupe le CHOM dans le dispositif 4. Badiane G. La problématique de l’in- Santé et de l’Action Sociale ; et enfin sanitaire du pays. Aujourd’hui, grâce tégration des villages de reclassement à la formation d’autres médecins de la au service social, la prise en charge social (VRS) du Sénégal dans leur col- sous-région. d’un malade affecté par la lèpre est lectivité locale. Mémoire de Recherche beaucoup plus globale et complète. Département de Service Social. Faculté des Discussion Lettres et Sciences Humaines. Université Conclusion de Sherbrooke, 2008. La lèpre est une maladie méconnue, ou 5. Relevé épidémiologique hebdomadaire même parfois « oubliée » par les pro- Le CHOM, « bras technique » du sur la lèpre 2017 ; 92:501–520, http://www. fessionnels de la santé. La maladie per- PNEL, reste le centre de référence who.int/wer siste encore dans de nombreux pays, où les malades affectés par la lèpre 6. Reibel F., Cambau E., Aubry A. Mise à malgré un diagnostic relativement fa- bénéficient de soins et d’assistance en jour sur l’épidémiologie, le diagnostic et le cile et accessible basé sur des signes toute confiance et en toute sécurité. traitement de la lèpre. Médecine Maladies cliniques essentiellement, et un traite- Malgré tous les efforts dans la prise en Infectieuses 2015 ; 45:383-93. 12 Bull. de l’ALLF n° 34, juin 2019
Lèpre / Organisation des soins ■ La lèpre dans le Gbeke : une étude menée dans le district sanitaire de Bouaké Nord-Ouest portant sur les facteurs associés à un dépistage tardif de la lèpre Pr Ouffoue KRA*, Kouadio YEBOUE** Introduction tages actifs dans les zones d’endémie et des malades traités dans le service la création des Centres d’Orientation et lèpre du District BNO ; apprécier le sta- La lèpre est une maladie infectieuse, de Recours (COR 2) pour la prévention tut des malades suivis au service lèpre transmissible, polymorphe due à des infirmités. Bien que le seuil d’élimi- du District Sanitaire de BNO ; préciser Mycobacterium leprae ou bacille de nation ait été franchi depuis peu (0.29 les croyances des malades de la lèpre Hansen. Elle atteint préférentiellement pour 10 000 habitants), des nouveaux cas et apprécier leurs itinéraires de soins ; la peau, les muqueuses, le système ner- sont dépistés chaque année avec pour identifier les déterminants du dépis- veux périphérique, les yeux, et réa- particularité le nombre élevé de ma- tage tardif des malades de la lèpre ; et lise en fonction de l’immunité cellu- lades présentant des infirmités de degré formuler des recommandations perti- laire du sujet infecté différentes formes 2. Ainsi, en 2015, 891 nouveaux cas de nentes en vue d’un dépistage précoce. cliniques1. Un cas de lèpre selon lèpre ont été déclarés avec 184 cas d’in- l’OMS est « un malade qui présente firmité de degré 2, soit 20.7 % (PNEL, Matériel et méthodes des signes évocateurs de lèpre, avec 2015)3 contre 210 758 nouveaux cas dans ou sans confirmation bactériologique le monde avec 14 059 cas d’infirmité de La présente étude s’est déroulée dans et qui a besoin de suivre un traitement degré 2, soit 6.7 %7. Dans le département le District Sanitaire de Bouaké Nord- spécifique ». La contamination est inte- de Bouaké, de 2010 à 2015, 239 malades Ouest appartenant à la région sanitaire rhumaine, par contact intime, direct et ont été dépistés dont 89 de degré 2, soit de Gbeke, elle-même située au centre répété à travers la voie aérienne ou une 37.0 %, avec pour le District Bouaké de la Côte d’Ivoire à 370 km d’Abidjan, peau préalablement traumatisée d’un Nord-Ouest dans la même période, 158 la capitale économique, et à 100 km de sujet malade à un sujet sain. Maladie malades dont 60 de degré 2, soit 38.0 %, Yamoussoukro, la capitale politique, de l’Antiquité (600 ans avant Jésus- largement au-dessus du taux national et sur l’axe Abidjan - Ouagadougou. Christ), elle demeure encore un pro- mondial. Cette région compte 1 311 525 habi- blème de santé publique dans certaines Sachant qu’un malade de la lèpre qui pré- tants (RGPH-2014) et renferme cinq régions du monde où elle sévit de fa- sente une infirmité de degré 2 est un su- districts sanitaires. çon endémique, notamment dans les jet qui développera tôt ou tard une inca- Étaient inclus tous les malades de la régions intertropicales, malgré son éli- pacité ou un handicap définitif propre à lèpre dépistés et pris en charge dans mination en tant que problème de santé M. leprae, ceci constitue la source prin- le service de léprologie du district sa- publique au plan mondial. En effet, se- cipale du problème du malade de la lèpre nitaire de Bouaké Nord-Ouest de 2010 lon l’OMS, en 2014, 213 899 nouveaux qui se voit devenir « lépreux » passive- à 2015, et dont le dossier médical était cas ont été notifiés dans le monde soit ment et graduellement, de jour en jour, complet pour les paramètres étudiés. 3.78 pour 100 000 habitants. avec la détérioration de son corps. Les lé- N’étaient pas inclus dans l’étude les Le souci permanent de l’OMS de par- prologues admettent pourtant qu’un dé- malades venus d’autres districts, les venir à un monde sans lèpre a suscité pistage précoce et un traitement complet anciens malades venant pour des soins, plusieurs stratégies de luttes : les cam- à la PCT permettent une guérison sans les reprises de traitement pour inadé- pagnes d’élimination de la lèpre (CEL), séquelle. Devenir un « lépreux visible » quation ou traitement incomplet, les les dépistages des cas index MB, la n’est donc pas une fatalité. dossiers égarés. mise à disposition gratuite de la PCT- Cette problématique nous a poussés à Il s’agissait d’une étude transversale ré- OMS depuis 1982… Malgré tous ces mener cette étude visant à rechercher trospective à visée descriptive et ana- efforts, la lèpre n’est pas encore élimi- les déterminants du dépistage tardif lytique. Les paramètres étudiés étaient née dans certaines régions du monde. de la lèpre, cause de l’apparition des les suivants : données sociodémogra- Le problème majeur de la lèpre ré- infirmités et invalidités. Pour mener à phiques (année de dépistage, sexe, oc- side dans ses atteintes neurologiques. bien cette étude, nous nous sommes cupation, lieu de provenance, situa- Sa gravité est manifeste du fait des sé- fixé des objectifs : tion matrimoniale), distance du lieu quelles motrices ou sensitives muti- – Au plan général : contribuer à la ré- de résidence par rapport au centre de lantes. Ceci est objectivé par un dépis- duction des infirmités de la lèpre par un dépistage, données liées au statut des tage tardif de la maladie. dépistage précoce des malades. malades (forme de la maladie, de- En Côte d’Ivoire, toutes ces stratégies ont –Au plan spécifique : décrire les gré d’invalidité, contact lèpre connu, été mises en place, y compris les dépis- caractéristiques sociodémographiques maladie en activité, mode de présen- 13 Bull. de l’ALLF n° 34, juin 2019
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