Les bases anatomiques de la Théorie de l'Esprit: une revue de la littérature
←
→
Transcription du contenu de la page
Si votre navigateur ne rend pas la page correctement, lisez s'il vous plaît le contenu de la page ci-dessous
Travail original Les bases anatomiques de la Théorie de l’Esprit: une revue de la littérature n P. Vuadens Ser vice de Neurologie, CHUV, Lausanne Summary Other brain regions, such as the temporal pole, the temporo-parietal junction, the amygdala, take Vuadens P. [The anatomical bases of the theory of also part in the mechanisms of mentalising and mind: a review.] Schweiz Arch Neurol Psychiatr according to these different studies there is no 2005;156:136–46. predominant cerebral hemisphere. The activation of the temporal pole confirms the role of this The theory of mind is the ability of human beings brain part to generate the emotional and semantic to mentalise about themselves and others in order context of our thoughts on the basis of our past to adapt their social behaviour. It is the principal experience. This information is necessary to adapt element of social cognition. By understanding what our behaviour to a new situation. The role of the people think, feel and intend, we can predict superior temporal sulcus is not completely eluci- how people will behave and then, adapt our own dated. It analyses the complex behaviour patterns, behaviour. Even if the rudiments of the theory of especially those of human beings. The amygdala mind are present early in life, usually only 4-year- takes part in the development of the theory of mind old and older children are able to solve the false- and helps to recognise the emotional expression of belief tasks. At the moment, it is difficult to prove faces. whether it is an independent cognitive function or In the studies of mentalising abilities in patients whether it belongs to a more global cognitive pro- with acquired brain lesions, some results are even cess. It is necessary to learn the basis of social cog- in contradiction with the functional MRI data nition and to understand the intentions of other and reveal mixed patterns of results. This can be individuals. explained by the biases in patient selection and More and more studies have tried to evaluate the assessment methods used. In brain injury pa- and analyse the neurophysiological and anatomical tients lesions of the orbito-frontal cortex result in basis of the theory of mind. With different brain theory-of-mind deficits, but the extension of lesions imaging studies the functions of the theory of mind could influence these results. In a study with more become more and more evident. Today 13 func- circumscribed lesions the site of lesions does not tional MRI studies emphasise the critical role of reveal a link between the location of lesion and medial prefrontal cortex in the theory of mind first- or second-order theory of mind impairment. mechanism (Brodmann area 8/9). In fact, all the On the contrary, this link is established between studies that used written theory of mind stories right prefrontal cortex and impairments in perspec- show that medial prefrontal cortex (BA8; extend- tive taking and between medial frontal cortex and ing into area BA9 and the anterior cingulated impairment in detection of deception. A ventral cortex) is activated while reading this type of sto- frontal lesion could disturb the ability to recognise ries. However, there is still some discrepancy con- facial emotional expressions. cerning hemispheric dominance. Moreover, the Further studies with larger groups of patients medial prefrontal cortex is also activated in other will be necessary to elucidate the theory of mind cognitive tasks, especially concerning self-control, mechanisms and to determine their repercussions and the anterior paracingulate cortex plays a part on social behaviour in case of brain injuries, espe- in the cognitive aspects of emotions. cially frontal lesions. Keywords: theory of mind; executive function; Correspondance: social cognition; behaviour Dr Philippe Vuadens Ser vice de Neurologie BH-07 CHUV CH-1011 Lausanne e-mail: philippe.vuadens@crr-suva.ch 136 SCHWEIZER ARCHIV FÜR NEUROLOGIE UND PSYCHIATRIE 156 n 4/2005
Introduction et pour autrui [5]. Elle nous permet d’anticiper le comportement des autres. Elle est essentielle à l’ac- Selon Zeman, il existe 3 niveaux de conscience pour complissement normal de nos interactions sociales assurer notre survie et nos interactions sociales [1]. car l’attribution des états mentaux est vitale. Tout d’abord, il y a la conscience en tant qu’état Grâce à la Théorie de l’Esprit, nous pouvons d’éveil, d’alerte. Elle fait intervenir des structures ainsi expliquer, prévoir notre comportement et du tronc cérébral, de l’hypothalamus postérieur et celui des autres en lui attribuant des états mentaux. du thalamus, afin de maintenir une continuité entre Elle est essentielle car elle nous permet de faire la les états de veille et de sommeil. Elle nous per- distinction entre la réalité et les apparences et de met d’établir les bases biologiques nécessaires à la comprendre qu’on peut se tromper sur le monde connaissance de ce qui est réel et à expérimenter qui nous entoure. Selon Wellman, nos interactions le monde. avec autrui sont basées sur ce qu’il appelle le Mais pour découvrir et appréhender le monde «belief-desire reasoning»: nous savons que notre qui l’entoure et s’y adapter, l’individu a besoin de comportement (et il en va de même pour celui des se connaître en tant qu’individu, c’est-à-dire avoir autres) est basé sur nos croyances et nos désirs, sa propre conscience de soi. Cette conscience se qui peuvent parfois être différents de ceux des développe au niveau des régions hétéromodales des autres [3]. En effet, quand on veut expliquer le hémisphères cérébraux [2]. Selon le développement comportement de quelqu’un, on doit pouvoir de ces régions, l’être humain aura des niveaux de comprendre que ce que l’on pense n’est pas néces- sophistication différents de la conscience de ce qu’il sairement la réalité, admettre que le comportement est ou du sens propre de soi. Cette conscience est des autres dépend du but qu’ils se sont fixé et que liée au développement de l’individu et l’âge y joue ce but n’est pas nécessairement le nôtre [4]. De un rôle important. Elle est aussi essentielle à la plus les autres peuvent avoir des jugements ou des survie de l’individu. En effet c’est elle qui nous perspectives sur le monde différents des miens. informe, par exemple, que j’ai faim ou soif, que Pour coopérer, négocier avec quelqu’un ou, au c’est mon argent et que j’en ai besoin. Lorsqu’elle contraire, s’opposer, mentir, il est essentiel de est atteinte, elle engendre une anosognosie, voire savoir ce que l’autre pense, désire, veut. Ainsi la même un déni. Les patients ont perdu certaines Théorie de l’Esprit peut être considérée comme la «connaissances» de leurs propres incapacités ou il base de la cognition sociale. Selon de nombreux préfère les nier. Ce phénomène peut être même spécialistes du développement de l’enfant, la Théo- considéré comme un mécanisme de défense. rie de l’Esprit se développe progressivement, en Le troisième niveau de la conscience est celui partant de la représentation de soi pour aboutir de la conscience en tant qu’esprit. C’est le niveau aux formes les plus complexes de représentations qui nous permet de comprendre tout état mental secondaires [3, 6–8]. Ce développement est in- avec un contenu propositionnel. Elle nous permet fluencé par des facteurs sociaux et environnemen- de réaliser qu’il y a des consciences chez d’autres taux [9–12]. personnes et qu’elles peuvent être différentes de Le débat demeure de savoir si la Théorie de la nôtre. Elle nous permet également de planifier l’Esprit et la cognition sociale sont des capacités nos actions. Cette conscience de l’autre s’appelle mentales bien spécifiques à un seul domaine ou si la Théorie de l’Esprit. On comprend que cette elles appartiennent à des capacités représentation- conscience est un raffinement ou un niveau supé- nelles plus générales. Baron-Cohen, par exemple, rieur de la conscience de soi. En effet sans connais- propose 4 mécanismes pour comprendre l’autre: sance de soi, il ne peut pas avoir connaissance des «intentionality detector» (déplacer un objet peut autres. De plus sans éveil, les deux autres types de avoir un but envers une autre personne), «eye- conscience ne peuvent pas fonctionner. direction detector» (interpréter le mouvement des yeux d’autres), «shared-attention mechanisms» (suivre les interactions d’un objet avec deux per- Définition de la Théorie de l’Esprit sonnes), «theory-of-mind mechanism» [13]. D’au- tres chercheurs pensent que la Théorie de l’Esprit La Théorie de l’Esprit se réfère aux capacités d’une est de nature plus générale et qu’elle se développe personne à former des représentations des états en parallèle avec l’acquisition d’autres fonctions mentaux des autres et à les utiliser pour compren- cognitives comme la mémoire de travail et cer- dre, prédire et juger les faits et gestes des autres taines fonctions exécutives [14, 15]. [3, 4]. C’est elle qui nous permet de mentaliser, Ainsi la Théorie de l’Esprit nous sert à déve- c’est-à-dire de développer des désirs, des croyan- lopper des états mentaux (désirs, croyances, sen- ces, des sentiments, des intentions pour soi-même timents, intentions) pour soi-même et les autres. 137 SCHWEIZER ARCHIV FÜR NEUROLOGIE UND PSYCHIATRIE 156 n 4/2005
Pour cela, il faut des capacités pour imaginer, sen- fonctionnement de la Théorie de l’Esprit [17]. Par tir, prévoir le comportement d’autrui. Il faut aussi exemple, il existe des enfants souffrant d’un syn- connaître le monde selon ses propres perspectives drome de Williams ou de Prader-Willi qui échouent (connaissances, croyances) et pouvoir distinguer aux tests des fonctions exécutives mais qui réussis- entre la réalité et les apparences, c’est-à-dire com- sent ceux de la Théorie de l’Esprit. Par contre les prendre qu’on peut se tromper sur le monde envi- autistes ou les schizophrènes échouent aux deux ronnant (fausses-croyances) [16]. Pour exécuter types de tests. D’autre part, si on utilise un test de une tâche qui fait intervenir la Théorie de l’Esprit, la Théorie de l’Esprit qui ne nécessite pas un effort il faut d’abord la comprendre, c’est-à-dire analyser d’inhibition, ce test est aussi réussi sans difficulté. ses propres pensées afin de pouvoir contrôler et En résumé, pour se mettre à la place de l’autre, critiquer ses propres états mentaux. Ces derniers il nous faut connaître l’endroit où la scène se doivent être compris en terme de causalité, comme déroule, observer ce que fait l’autre, utiliser nos quelque chose qui nous pousse à agir. connaissances de l’autre pour anticiper sur son Certains auteurs pensent que les fonctions comportement et ainsi adapter le nôtre en consé- exécutives sont nécessaires au fonctionnement de quence. Spontanément nous avons établi un scé- la Théorie de l’Esprit. L’ensemble des fonctions nario de la situation dans notre tête. Grâce aux exécutives (planification, organisation, inhibition, multiples scénarios que nous avons acquis avec contrôle) servirait d’auto-contrôle pour suivre et notre développement, nous pouvons réagir selon atteindre le but fixé sans distraction [17]. la présentation ou le déroulement de la situation. Prenons l’exemple du test classique des fausses- Cela implique obligatoirement de pouvoir distin- croyances de Wimmer et Perner afin d’illustrer guer entre réalité et fiction en portant notre regard l’interdépendance de la Théorie de l’Esprit et des sur l’autre et en imaginant ses buts. On doit pou- fonctions exécutives [6]. Dans ce test présenté voir aussi séparer les actes de l’autre des nôtres. sous la forme d’une courte histoire illustrée par des vignettes, le personnage principal, Max, range une barre de chocolat dans une armoire verte avant Théorie de l’esprit et imagerie fonctionnelle d’aller jouer à l’extérieur de la maison. Pendant ce temps, sa mère déplace la barre de chocolat de Grâce aux progrès de l’imagerie fonctionnelle l’armoire verte vers la bleue. Puis la mère sort de (SPECT, TEP-scan, MRIf), les mécanismes de la la maison et Max revient pour manger le chocolat. Théorie de l’Esprit commencent à se dévoiler. L’enfant testé doit prédire où Max ira prendre Actuellement la plupart des études permettent la barre de chocolat. Pour que l’enfant désigne de conclure que la Théorie de l’Esprit fait inter- l’armoire vide alors qu’il aurait voulu regarder venir différentes parties du cerveau: le cortex dans l’armoire qui contient le chocolat, il lui a préfrontal médian et orbito-frontal, les amygdales, fallu comprendre l’action (déroulement, étapes) et la jonction temporo-pariétale et le pôle temporal inhiber une réponse naturelle. On doit admettre [19, 20]. que l’enfant développe progressivement une com- préhension des états mentaux comme des repré- sentations causales et cela dès l’âge de 4 ans. Ce Le cortex préfrontal médian et paracingulaire besoin d’autocontrôle ou d’inhibition est encore antérieur mieux démontré si on demande à l’enfant de dési- gner l’armoire où la barre de chocolat n’est pas La première étude avec le SPECT remonte à 1994, car on a tous tendance à vouloir naturellement où Baron-Cohen et al. ont présenté à 12 sujets de montrer où est l’objet. 20–24 ans deux listes de mots en leur demandant Frith [18] pense même que la Théorie de l’Esprit de préciser si le mot se rapporte à l’esprit ou au fonctionne sur une analyse logique de la situation, corps [21]. Une augmentation de l’activité du comme pour les autres tâches exécutives. Cepen- cortex orbito-frontal (aire 11 de Brodmann) a été dant, il y a une différence car dans un test qui fait visualisée alors que la région fronto-polaire gauche intervenir la Théorie de l’Esprit on ne peut pas se (aire 10) perdait de son activité. Quatre études ont baser sur sa propre expérience mais, au contraire, évalué à l’aide du TEP-scan et de la MRIf, l’acti- on doit se mettre à la place de l’autre. Toutefois, vité cérébrale de sujets à qui on lit une histoire les fonctions exécutives interviennent aussi car on faisant intervenir la Théorie de l’Esprit [22–25]. doit se baser sur sa propre expérience pour ne pas A nouveau, la principale région activée est le répondre. cortex préfrontal médian correspondant à l’aire 8 D’autres recherches ont démontré que les fonc- de Brodmann et surtout la région du cortex cingu- tions exécutives ne sont pas indispensables au laire antérieur. Dans ce type d’étude, une activation 138 SCHWEIZER ARCHIV FÜR NEUROLOGIE UND PSYCHIATRIE 156 n 4/2005
cérébrale prédominant d’un côté n’a pas été confir- tionnelles, le cortex cingulaire antérieur est divisé mée. L’augmentation de l’activité était plus mar- en 2 zones avec des activités différentes, la plus quée sur l’hémisphère gauche dans l’étude de antérieure étant surtout impliquée dans les pro- Fletcher et al. et dans celle de Happé et al., alors cessus de mentalisation et elle chevauche la partie que c’était l’inverse dans celle de Vogeley et al. du cortex cérébral où se trouve la zone activée par [22, 23, 25]. les émotions [34, 35]. Cette zone a des connexions Dans un grand nombre d’études, des histoires directes avec le pôle temporal et le sillon temporal sous forme de bandes dessinées ont été présentées postéro-supérieur [36]. aux sujets pour évaluer la Théorie de l’Esprit [24, 26–28]. A nouveau l’activité principale est décrite dans le cortex préfrontal médian (aire 8/9) et dans Pôle temporal le gyrus cingulaire antérieur. Deux autres études qui ont utilisé la tâche des «yeux» développée par Différentes études avec des tâches de mentalisa- Baron-Cohen et al. confirment également cette tion ont également montré une activité au niveau activation préférentielle du cerveau [29–31]. des pôles temporaux, surtout du côté gauche [22, Si la région préfrontale médiane semble se des- 24, 25, 27, 28, 32, 37–39]. Selon Frith et Frith, cette siner comme la région impliquée dans la mentali- zone cérébrale génère le contexte sémantique et sation, il ne faut pas oublier que d’autres régions émotionnel de nos pensées en se basant sur nos sont aussi actives durant ces tests. De plus, il est expériences passées [20]. En effet le pôle temporal difficile de comparer ces études dont le paradigme est essentiel pour se remémorer des visages fami- est souvent très différent et il est difficile d’isoler liers ou des scènes, pour reconnaître des voix une tâche de la Théorie de l’Esprit des autres fonc- familières, pour se souvenir d’émotions ou de tions cognitives. En effet dans la plupart des ces faits autobiographiques. Il est aussi le siège de notre études, le sujet ne devait pas interpréter directe- mémoire sémantique et épisodique [40–43]. ment les pensées d’un individu réel mais à travers Tous ces aspects sont indispensables à la men- des images ou une histoire. talisation. En effet il est important de conserver Gallagher et al. ont pratiqué une expérience le souvenir des circonstances où nous avons été en direct à l’aide de la MRIf en utilisant le jeu témoin d’un comportement, de se souvenir de ce du «rock, scissors, paper» au cours duquel deux qu’on a dit à quelqu’un ou de ce qu’il a fait à cette joueurs choisissent un objet simultanément (le occasion. C’est donc à partir de nos expériences caillou bat les ciseaux, les ciseaux battent le papier, passées que nous pouvons adapter notre compor- le papier bat le caillou) [32]. On explique au sujet tement à une nouvelle situation [44]. testé qu’il va jouer contre un ordinateur ou contre un adversaire. En fait cela se fait au hasard. La seule différence est l’attitude des sujets car en Le sillon temporal supérieur pensant jouer contre un adversaire, ils essaient de deviner leur stratégie. Dans cette situation, Cette région participe aussi à la mentalisation mais lorsque les sujets jouent contre un sujet humain, son rôle n’est pas encore totalement élucidé. Lors on constate que le cortex antérieur paracingulaire des tests de la Théorie de l’Esprit, le sillon tempo- s’active bilatéralement (aire 32 et 9/32). Dans une ral supérieur, particulièrement le droit, permet de autre étude où le sujet devait affronter soit un comprendre la signification des histoires ou des adversaire ou un ordinateur, une différence signi- bandes dessinées présentées au sujet [24]. Il agit ficative d’activation est aussi démontrée au niveau surtout quand nous observons des mouvements du cortex préfrontal médian [33]. Ces résultats du corps ou de parties du corps [45]. Cette région laissent penser que cette région cérébrale est res- sera activée lors de mouvements des mains, de la ponsable de séparer notre propre pensée de celle bouche, des lèvres ou des yeux par exemple [45–49]. des autres, de reconnaître que quelqu’un a des Elle intervient aussi pour retrouver le nom des croyances et des intentions différentes des nôtres. choses vivantes et participe aux processus de la Anatomiquement, la région préfrontale mé- mémoire sémantique et autobiographique. diane est la partie la plus antérieure du cortex Le rôle essentiel du sillon temporal supérieur paracingulaire. Elle est placée en avant du corps dans la mentalisation est l’analyse de tout com- calleux et du cortex cingulaire antérieur et cor- portement complexe quel qu’il soit et pas unique- respond à l’aire 32 de Brodmann. Elle apparaît ment celui des choses vivantes. Connaître le dérou- tardivement dans l’évolution et chez l’enfant, ses lement d’un comportement nous permet ainsi de cellules ne se développent qu’à partir du 4e mois. détecter l’état mental (intentions de l’individu) qui En se basant sur les études anatomiques et fonc- est lié à ce comportement pour adapter le nôtre en 139 SCHWEIZER ARCHIV FÜR NEUROLOGIE UND PSYCHIATRIE 156 n 4/2005
conséquence [45, 50]. Gallagher et al. pensent que Sur la base de ces travaux en imagerie fonc- c’est grâce à cette analyse des traits physiques et tionnelle visant à identifier les voies cérébrales des états mentaux qui y sont liés qu’on parvient à impliquées dans les processus de mentalisation, on comprendre le comportement des autres et cela est peut donc retenir que le lobe frontal est important. bien démontré par les études qui évaluent le juge- En effet toutes les études ont montré une activa- ment social [24, 51]. tion des régions frontales médianes et cela malgré différents paradigmes ou types de tâches. Cette partie du cortex frontal serait la clé du fonctionne- L’amygdale ment de la Théorie de l’Esprit en collaboration avec le cortex temporo-pariétal et le complexe pôle C’est Baron-Cohen et al. qui ont démontré le rôle temporal/amygdale [28, 50]. D’autre part la région de l’amygdale dans le développement de la Théo- paracingulaire (aire 8/9) est aussi activée spécifi- rie de l’Esprit chez l’enfant [30]. Selon les résultats quement lors des tâches de la Théorie de l’Esprit. de cette étude en imagerie fonctionnelle où le sujet devait interpréter un état mental ou émo- tionnel en observant les yeux d’un individu, on Perturbations acquises de la Théorie constate que cette région cérébrale s’active et de l’Esprit servirait donc à interpréter l’information dévoilée par un regard et à reconnaître un comportement Comme nous l’avons déjà souligné, il demeure émotionnel. Contrairement au sillon temporal encore difficile malgré les différentes études fonc- supérieur, l’amygdale s’active en réponse à des tionnelles de dire si la Théorie de l’Esprit est une stimuli à forte connotation sociale indépendam- fonction cognitive en elle-même ou si elle fait ment du fait que l’on doive porter un jugement partie de processus exécutifs plus généraux [55]. ou non [51]. Pour Gallagher et Frith, cette réponse Cependant, les résultats de la plupart de ces études rapide et automatique des amygdales serait la se focalisent sur la région frontale et tout parti- preuve qu’elles participent au développement de culièrement le cortex paracingulaire antérieur. la Théorie de l’Esprit mais qu’elles ne sont pas Depuis la description des modifications comporte- nécessairement impliquées dans les processus de mentales survenues à Phineas Gage à la suite d’une mentalisation [52]. Cela est conforté par le fait que lésion frontale, de nombreux cas ont été rapportés parmi toutes les études sur la Théorie de l’Esprit, faisant état de troubles subtiles de la communica- seule l’étude de Baron-Cohen et al. a révélé une tion sociale. A chaque fois le cortex préfrontal est activation des amygdales [22, 25–28, 30, 32, 33]. Ces impliqué dans ces troubles comportementaux auteurs pensent que les amygdales nous permet- [56–58]. Grâce aux études en MRIf, nous pouvons tent de détecter une émotion sur un visage et déduire que le cortex médiofrontal participe aux immédiatement de chercher pourquoi l’individu activités de la Théorie de l’Esprit (représentations exprime cette émotion [52]. Ils donnent l’exemple des états mentaux, telles les croyances, les inten- de l’enfant qui remarque que sa mère est effrayée. tions) tandis que le cortex préfrontal inférieur, En ayant relevé ce type d’émotion, l’enfant va surtout gauche et les amygdales nous permettent pouvoir chercher pourquoi sa mère a peur. de tirer des conclusions à partir d’états affectifs (reconnaissance des émotions, préférences). Si cette distinction existe réellement, elle devrait être Le cortex orbito-frontal confirmée chez des patients présentant des lésions cérébrales [59–67]. C’est également Baron-Cohen et al. qui ont souli- Si l’on tient compte des études de patients avec gné le rôle du cortex orbito-frontal dans la Théorie des lésions hémisphériques multiples, il apparaît de l’Esprit [53]. Cette région ventrale du lobe fron- que les fonctions de la Théorie de l’Esprit sont plus tal est associée aux fonctions sociales et aux com- souvent perturbées en cas de lésions droites que portements interpersonnels liés aux émotions [54]. gauches [59, 60, 62, 66]. Dans les études qui ont Elle permet la régulation du comportement social. utilisé les tests des fausses-croyances, les patients En effet dans une expérience de violations des avec des lésions droites ont plus de difficultés à règles sociales, il a été démontré que le cortex réussir les tâches de premier ordre, mais Surian et orbito-frontal s’activait aussi bien dans les cas de al. pensent que cette différence est due à des violations intentionnelles que non intentionnelles troubles de la mémoire de travail et non à des des règles sociales [38]. Ainsi cette région frontale déficits de la Théorie de l’Esprit [59, 66]. Si la tâche serait la partie du cerveau qui réagit aux réactions se complique (histoires en bandes dessinées ou agressives des autres, en particulier la colère. fausses-croyances de deuxième ordre, la différence 140 SCHWEIZER ARCHIV FÜR NEUROLOGIE UND PSYCHIATRIE 156 n 4/2005
devient significative entre les patients avec des de premier et deuxième ordres [64]. Les résultats lésions droites et les contrôles [60, 62]. révélèrent une perturbation de ces tests en cas de Cette prédominance hémisphérique pour les lésions frontales aussi bien à droite qu’à gauche et tâches complexes de la Théorie de l’Esprit dispa- la taille des lésions ne semblait pas influencer les raît lorsqu’on analyse les résultats des études chez résultats. les patients avec une lésion cérébrale focale et tout Stuss et al. ont aussi comparé plusieurs groupes particulièrement frontale [61–63, 67, 68]. Parmi les de patients avec des lésions frontales droites, 10 patients de l’étude de Stone et al., 5 avaient une gauches, des deux côtés, postérieures droites ou lésion orbitofrontale bilatérale d’origine trauma- gauches avec un groupe contrôle [65]. Les patients tique alors que les autres avaient une lésion isché- avaient des lésions cérébrales d’étiologie différente mique dans le territoire de l’artère cérébrale anté- (AVC, hémorragie, lobectomie, tumeur, trauma- rieure au niveau dorso- et ventrolatéral du lobe tisme crânien). Ils furent divisés en deux groupes: frontal [61]. A chaque patient, on présenta des ceux avec une lésion unilatérale (12 patients) et histoires avec une tâche de fausses-croyances de ceux avec des lésions bilatérales (7 patients) pour premier et de deuxième ordre et un test des être comparés au groupe contrôle (13 patients). «faux-pas» (est-ce que la personne a dit quelque Pour le déroulement des tests, les patients étaient chose qu’elle n’aurait pas dû dire?). Les premiers tout d’abord assis en face de l’examinateur devant patients avec des lésions orbitofrontales eurent une table sur laquelle se trouvaient 5 gobelets sous des épreuves des faux-pas perturbées, même s’ils lesquels une balle pouvait être cachée. Pour cela, n’avaient aucune difficulté à répondre aux ques- un rideau pouvait être tiré pour cacher la scène au tions contrôles et ils firent peu d’erreurs au test patient. En même temps, assis à côté de l’examina- des fausses-croyances. Par contre, en cas de lésions teur se tenait un collaborateur qui pouvait voir dorsolatérales, les erreurs survenaient uniquement l’examinateur cacher la balle lorsque le rideau était pour les questions faisant intervenir la mémoire tiré et un autre collaborateur assis à côté du patient ou les processus pour comprendre le déroulement qui ne voyait pas les gestes de l’examinateur. Dans de l’histoire présentée. Ces auteurs pensent donc ce test, deux épreuves étaient demandées aux que les patients avec des lésions orbitofrontales patients. Dans la première, le patient devait indi- ne peuvent plus juger si quelqu’un a dit quelque quer où il pensait que la balle se trouvait après chose d’inapproprié et commettent ainsi des im- que les deux collaborateurs aient pointé du doigt pairs. Ils suggèrent qu’une réponse affective est un gobelet. Le patient devait donc se souvenir activée mais qu’elle est inadéquate avec l’informa- quel collaborateur pouvait ou ne pouvait pas voir tion concernant les états mentaux. Relevons que les gestes de l’examinateur pour cacher la balle ces résultats se basent sur un très petit collectif de et décider à quel collaborateur il voulait faire patients avec des lésions d’étiologie différente. confiance pour choisir l’emplacement de la balle. Dans l’étude de Channon et Crawford, des pa- Dans la deuxième épreuve, le patient était assis en tients avec des lésions antérieures droites (n = 13) présence d’un seul collaborateur en face de deux ou gauches (n = 6) d’étiologies différentes furent tasses sous lesquelles une pièce de monnaie pou- comparés à un groupe de patients avec des lésions vait être cachée par l’examinateur. Au cours de postérieures [63]. On leur fit passer un test de la l’épreuve, le collaborateur pouvait voir l’examina- Théorie de l’Esprit sous la forme d’une histoire teur cacher la pièce de monnaie mais il indiquait qui nécessitait une interprétation non-littérale de au patient toujours la mauvaise tasse. Le patient la part du patient. D’après les résultats, seul le devait ainsi découvrir que le collaborateur le trom- groupe de patients avec une lésion antérieure pait même s’il connaissait la position exacte de la gauche avait des problèmes pour expliquer les pièce et de ce fait il devait indiquer l’autre tasse. pensées ou les actions de personnes décrites dans D’après les résultats de ces deux types d’épreuve, cette histoire. Ils avaient tendance à faire des les patients avec une lésion frontale droite ou réponses littérales et à ne pas utiliser des termes bilatérale ont de la peine à utiliser l’expérience se référant à des états mentaux. Il est à relever que visuelle des autres, mais sans corrélation signifi- la plupart des patients inclus dans le groupe de cative entre les résultats du test et la localisa- patients avec des lésions antérieures avait une tion spécifique de la lésion. Lors de la deuxième lésion qui s’étendait dans la partie postérieure du épreuve lorsque le patient était toujours induit en cerveau au niveau des lobes pariétaux ou tem- erreur par le collaborateur, le groupe de patients poraux. avec des lésions bilatérales était gêné pour effec- Rowe et al. ont fait passer à 31 patients épilep- tuer cette tâche, alors que les patients avec une tiques ayant subi une opération neurochirurgicale lésion unilatérale réussissaient le test aussi bien au niveau frontal des tests de fausses-croyances que les patients contrôles. De plus le nombre 141 SCHWEIZER ARCHIV FÜR NEUROLOGIE UND PSYCHIATRIE 156 n 4/2005
d’erreurs était corrélé avec une localisation de la Synthèse des données de l’imagerie lésion au niveau frontomédian droit et de la région fonctionnelle et des études anatomiques cingulaire antérieure. Malgré ces résultats encourageant sur la confir- Selon les données de ces différentes études en ima- mation anatomique des données fonctionnelles gerie fonctionnelle, il existe des zones cérébrales concernant la localisation de la Théorie de l’Esprit activées lors des tâches de mentalisation. Il s’agit au niveau frontal, il ne faut pas oublier que ces du cortex préfrontal médian correspondant aux données se basent sur un petit collectif de patients aires 8 et 9 de Brodmann. Deux études ont même avec des pathologies différentes. Cependant, il focalisé cette activité au niveau du cortex para- serait intéressant de poursuivre ce type d’études cingulaire antérieur, aire 9/32 de Brodmann.Aucun avec de plus grands groupes de patients et de côté préférentiel ne semble ressortir de ces dif- confirmer en imagerie fonctionnelle que les mêmes férentes études. Dans certains cas, une activité au zones cérébrales s’activent lors de ce genre de niveau du sillon temporal supérieur, des pôles tâches. temporaux, voire même des amygdales est égale- Dans l’étude de Shamay-Tsoory et al. consacrée ment rapportée. à l’évaluation de l’empathie furent inclus des tests Les études chez les patients cérébrolésés ne de «faux-pas» [67]. Les patients qui avaient une nous apportent pas plus de clarté sur le rôle de ces lésion frontale échouèrent à ce test, surtout s’ils zones cérébrales dans le fonctionnement de la avaient une lésion frontale ventro-médiane. En Théorie de l’Esprit. En effet le cortex préfrontal revanche il n’y avait pas de différences entre ce s’active dans d’autres tâches cognitives que celles groupe de patients et ceux qui avaient une lésion de la Théorie de l’Esprit, notamment dans l’auto- dorsolatérale. contrôle et le cortex cingulaire antérieur inter- Bird et al. décrivent la situation d’une patiente vient dans les aspects cognitifs des émotions [52, présentant un infarctus ischémique bilatéral dans 69, 70]. le territoire de l’artère cérébrale antérieure lié Les tâches qui nécessitent la résolution de aux complications d’un anévrisme de l’artère com- problèmes ou le recours à la mémoire de travail municante antérieure, confirmé par MRI [68]. activent surtout la partie dorsolatérale de l’aire 9 Radiologiquement la lésion s’étendait de la région et de l’aire 10 de Brodmann, alors que dans celles orbitofrontale jusqu’au genou du corps calleux, de la Théorie de l’Esprit, c’est la partie médiane englobant le gyrus cingulaire antérieur, le sillon des aires 8 et 9 qui s’active [64, 71, 72]. Cependant, cingulaire et fronto-médian supérieur. De plus il y cette même région entre aussi en action lors de avait une atteinte du fornix et de l’hypothalamus. tâches exécutives qui nécessitent l’inhibition d’une Du côté droit, le noyau caudé, le bras antérieur de réponse attendue, comme lors du test de Stroop par la capsule interne et le putamen étaient aussi lésés. exemple [73, 74]. Après deux bilans neuropsychologiques à 15 jours Nous avons également vu le rôle important de d’intervalle, la patiente subit 5 tests de la Théorie la mémoire de travail et du contrôle inhibiteur dans de l’Esprit et de la cognition sociale en même temps les processus de la Théorie de l’Esprit [75]. Il et 84 jours après le deuxième bilan neuropsycho- semble néanmoins que la mémoire de travail soit logique. Dans ce cas, il a été démontré que la partie nécessaire uniquement pendant le développement médiane des lobes frontaux n’est pas nécessaire de la Théorie de l’Esprit alors que le contrôle inhi- pour résoudre les aspects cognitifs de la Théorie biteur serve constamment au fonctionnement de la de l’Esprit puisque cette patiente pouvait se re- Théorie de l’Esprit. présenter et comprendre les états mentaux des En fait, le lien entre la Théorie de l’Esprit et autres. De plus en considérant les résultats neuro- les fonctions exécutives reste encore incertain. psychologiques, on constate que la Théorie de Cependant, il est difficile de concevoir que ce lien l’Esprit peut fonctionner sans avoir recours aux n’existe pas, surtout lorsque la plupart des tests fonctions exécutives. La situation de cette patiente choisis dans les études pour évaluer la Théorie de est donc en contradiction avec les résultas des l’Esprit exigent de faire un choix entre différentes études en imagerie fonctionnelle qui ont claire- possibilités ou d’inhiber une réponse naturelle. En ment démontré l’activation de la partie médiane outre, certains de ces tests requièrent une bonne des lobes frontaux lors des tâches de la Théorie de flexibilité mentale pour comprendre les histoires l’Esprit [22, 26]. et oublier certaines fausses-croyances [76]. Rap- pelons que ce lien a été relevé dans l’étude de Channon et Crawford. Malheureusement, le col- lectif de patients était restreint et la plupart des lésions frontales débordait de ce lobe [63]. L’étude 142 SCHWEIZER ARCHIV FÜR NEUROLOGIE UND PSYCHIATRIE 156 n 4/2005
de Rowe et al. laisse, elle aussi supposer une cer- nisme cognitif inné qui fonctionne grâce à dif- taine influence des fonctions exécutives sur les pro- férents substrats neurologiques spécifiques [79]. cessus de la Théorie de l’Esprit [64]. Actuellement nous pouvons admettre que la re- Il est possible que, au lieu d’avoir un rôle géné- connaissance des émotions et la Théorie de l’Esprit ral dans les processus de la Théorie de l’Esprit, le sont des fonctions cognitives indispensables aux cortex préfrontal soit le siège ou l’entrecroisement interactions sociales. Sur la base des résultats des de plusieurs circuits qui interviennent dans des études neuropsychologiques, anatomiques et fonc- fonctions séparées de la Théorie de l’Esprit. Cette tionnelles, nous savons qu’il existe un circuit neuro- région cérébrale intervient aussi lors de la recon- nal qui relie le cortex préfrontal médian, le cortex naissance des expressions émotionnelles et beau- cingulaire antérieur et le sillon temporal supérieur. coup de patients avec des lésions frontales sous- Ces structures sont aussi liées au cortex orbito- estiment leurs difficultés dans leurs interactions frontal, au pôle temporal et aux amygdales [20, 50, émotionnelles et interpersonnelles et peuvent par- 72]. Le premier circuit est impliqué dans la menta- fois adopter un comportement antisocial [77, 78]. lisation, l’autocontrôle et la perception des mou- Cette région frontale est aussi activée lors d’états vements biologiques, tandis que le deuxième inter- mentaux, tels que souhaits, vœux, intentions, simu- vient plutôt dans la reconnaissance des émotions. lations, prétextes. On ignore encore si ces deux systèmes sont réelle- ment séparés et si leur interaction ne dépend pas de la complexité de la tâche demandée aux pa- Conclusion tients. En fait la grande difficulté pour interpréter tous La Théorie de l’Esprit est une fonction cognitive ces résultats c’est la définition même de la Théorie dont il est encore difficile d’affirmer si elle est une de l’Esprit. En effet est-ce que la Théorie de l’Esprit fonction propre ou si elle appartient à des pro- se limite à l’interprétation d’une histoire présentée cessus cognitifs plus globaux. Un grand nombre sous la forme de bande dessinée ou ne serait-elle d’études en imagerie fonctionnelle ont révélé pas une fonction cognitive complexe qui requiert que la Théorie de l’Esprit est perturbée en cas de des processus simultanés augmentant exponentiel- lésions préfrontales médianes et cela sans néces- lement selon le nombre de variables, comme le sug- sairement d’autres déficits cognitifs [64]. Cepen- gèrent Kinderman et al. [80]. Dans la vie de tous les dant, les résultats des études fonctionnelles n’ont jours, on a des croyances sur soi-même et les autres. pas toujours été confirmés par les études anato- Chaque individu a lui aussi ses propres croyances miques et beaucoup de données sont malheureu- sur lui-même et les autres. Nous pouvons aussi sement contradictoires. Cela s’explique notam- avoir des croyances sur les croyances qu’ont les ment par les petits collectifs de patients inclus dans autres sur nous. Le raisonnement peut s’appliquer ces études et souvent présentant des pathologies indéfiniment selon le nombre de protagonistes et différentes et chez lesquels l’étendue des lésions de façon non linéaire. Pour aboutir à un tel raison- cérébrales est parfois imprécise. nement, deux étapes nous paraissent essentielles. Il est aussi difficile de comparer les résultats Tout d’abord dans la réalité, ce qui détermine d’études anatomiques avec celles effectuées à notre comportement, ce n’est pas l’état du monde l’aide de la fMRI. En effet, les techniques d’ima- mais nos croyances sur cet état. Cela se base sur gerie fonctionnelle nous permettent de visualiser notre propre expérience du monde, de nos obser- quelle aire est impliquée dans une tâche sous la vations et de nos connaissances du comportement forme de modifications de débits sanguins ou de habituel des autres dans telle situation (scénario). variations de potentiels électriques, mais on n’a pas Pour cela nous avons besoin à tout moment de la preuve qu’elles mesurent l’activité neuronale. pouvoir être conscient que ce que l’on perçoit est D’autre part, les tâches choisies pour effectuer les bien réel et non pas une illusion, c’est-à-dire avoir études en imagerie fonctionnelle sont souvent des une conscience consciente ou ce que Rosenthal tâches simples, décortiquées qui ne représentent appelle une pensée d’un niveau supérieur (higher- pas nécessairement la réalité. Les processus visua- order thought) [81]. Lorsque nous voyons un objet, lisés à ce moment-là sont-ils réellement des pro- nous sommes conscients de voir l’objet mais nous cessus naturels? sommes aussi conscients que nous sommes en train Nous avons également vu ci-dessus que diffé- de le voir et que si nous fermons les yeux, l’objet rentes tâches de la Théorie de l’Esprit font inter- est toujours là et qu’il n’est pas une illusion ou un venir d’autres zones cérébrales que le cortex pré- rêve. Nous savons consciemment ou du moins si on frontal médian. C’est ainsi que certains auteurs a besoin de le savoir, comment nous avons acquis considèrent la Théorie de l’Esprit comme un méca- une information (nous l’avons vu, nous l’avons 143 SCHWEIZER ARCHIV FÜR NEUROLOGIE UND PSYCHIATRIE 156 n 4/2005
touché, nous l’avons entendu, etc.). A cette expé- contexte ou la tâche demandée. En raison de la rience ou acquisition d’une nouvelle connaissance difficulté à dissocier chacun des aspects de la s’ajoute inévitablement une expérience subjective. Théorie de l’Esprit, il est encore difficile de dire s’il Nos représentations mentales nous présentent le existe réellement un circuit neuronal pour chacun monde sous un certain angle ou perspective. D’un de ces aspects. D’autres études avec de plus grands objet donné, je suis conscient qu’il est présent car collectifs de patients sont encore nécessaires. je le vois, mais je peux dire aussi qu’il ressemble à tels autres objets, y ajouter des sensations, des souvenirs.Ainsi à partir d’un scénario, je peux créer Références d’autres scénarios et même en inventer. Dans cette aventure où l’objectif et le subjectif 1 Zeman A. Consciousness. Brain 2001;124:1263–89. s’entremêlent, le cortex médiofrontal sert à créer 2 Prigatano GP, Johnson SC. The three vectors of nos représentations et nos croyances au sujet du consciousness and their disturbances after brain injur y. Neuropsychol Rehabil 2003;13:13–30. monde qui nous entoure. C’est pourquoi cette zone s’active lors de la mentalisation et selon 3 Wellman HM. The Child’s Theor y of Mind. Cambridge, MA: MIT Press; 1990. Frith et al., elle servirait en fait à signaler l’existence d’un conflit de réponses ou la possibilité de plu- 4 Perner J. Understanding the Representational Mind. Cambridge, MA: MIT Press; 1991. sieurs réponses plutôt qu’une erreur. Il nous a fallu 5 Tomasello M, Kruger AC, Ratner HH. Cultural learning. acquérir toutes ces données, les mémoriser et à tout Behav Brain Sci 1993;16:495–511. moment nous devons pouvoir les retrouver pour les 6 Wimmer H, Perner J. Beliefs about beliefs: representation confronter à la situation actuelle. Pour cela nous and constraining function of wrong beliefs in young avons aussi besoin du sillon temporal supérieur et children’s understanding of deception. des amygdales [22, 24, 25, 27, 28, 82–84]. Cognition 1983;13:103–28. Est-ce que les mécanismes requis pour attribuer 7 Meltzoff AN. Understanding the intentions of others: des états mentaux aux autres sont différents de re-enactment of intended acts by 18-month-old children. Dev Psychol 1995;31:838–50. ceux que nous utilisons pour nous attribuer nos propres états mentaux? On aurait tendance à 8 Perner J. Understanding the Representational Mind. Cambridge, MA: MIT Press; 1991. répondre positivement car on n’a pas besoin de 9 Lewis C, Freeman NH, Kyriakidou C, Maridaki-Kassotaki K, l’observation de l’autre quand il s’agit de s’ana- Berridge DM. Social influence on false belief access: lyser. Cependant, dans les deux cas nous devons specific sibling influences on general apprenticeship? pouvoir faire la distinction entre la réalité et la Child Dev 1996;67:2930–47. fiction ou les croyances. Selon Leslie, il est vrai- 10 Cutting AL, Dunn J. Theor y of mind, emotion under- semblable que nous utilisons les mêmes méca- standing, language, and family background: individual differences and interrelations. nismes cérébraux, car une métareprésentation est Child Dev 1999;70:853–65. indispensable pour attribuer un état mental aussi 11 Youngblade LM, Dunn J. Individual differences in young bien à soi-même qu’aux autres [79]. Pour mener children’s pretend play with mother and sibling: links nos activités sociales nous avons besoin aussi de to relationships and understanding of other people’s comprendre ce que l’autre pense, dans quel sens feelings and beliefs. Child Dev 1995;66:1472–92. il le pense (croyance, désir, espoir, peur, etc.). Sans 12 Perner J, Ruffman T, Leekam SR. Theor y of mind is cette représentation, nos pensées et celles des contagious: You catch it from your sibs. Child Dev 1994;65:1228–38. autres seraient confuses. Pouvoir faire cette dif- férence entre moi et autrui est absolument néces- 13 Baron-Cohen S. Mindblindness: an Essay on Autism and Theor y of Mind. Cambridge, MA: MIT Press; 1995. saire à la mentalisation. Ce partage des mécanismes 14 Carlson SM, Moses LJ. Individual differences in inhibitory pour attribuer des états mentaux à nos propres control and children’s theor y of mind. pensées et à celles des autres trouve sa confirma- Child Dev 2001;72:1032–53. tion chez les autistes. En effet ces patients souffrent 15 Perner J, Lang B. Theory of mind and executive functions: de déficits de la Théorie de l’Esprit avec en plus des is there a developmental relationship? In: Baron-Cohen S, difficultés à connaître leurs propres pensées [85]. Tgaer-Flusberg H, Cohen D, editors. Understanding Other Minds: Perspectives from Autism and Developmental En résumé, nous pouvons dire qu’actuellement Cognitive Neurosciences. 2nd ed. qu’il n’existe pas de preuves convaincantes d’une Oxford: Oxford University Press; 2000. p. 150–81. localisation précise et unique de la Théorie de l’Es- 16 Leslie AM. Pretending and believing: issues in the theor y prit. Le cortex préfrontal médian semble être au of ToM. Cognition 1994;50:211–38. centre d’un réseau qui relie différentes régions 17 Perner J, Lang B. Development of theor y of mind and cérébrales, tel le pôle temporal, la jonction tem- executive control. Trends Cogn Sci 1999;3:337–44. poropariétale ou les amygdales, et qui vont inter- 18 Frith CD. Brain mechanisms for having a “theory of mind”. venir dans les processus de mentalisation selon le J Psychopharmacol 1996;19:9–15. 144 SCHWEIZER ARCHIV FÜR NEUROLOGIE UND PSYCHIATRIE 156 n 4/2005
Vous pouvez aussi lire