LES ECHOS DE SAINT-MAURICE - Edition numérique Jean-G. MARTIN Thébéens d'Agaune et de Zürich

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LES ECHOS DE SAINT-MAURICE
              Edition numérique

              J e a n - G . MARTIN

     Thébéens d'Agaune et de Zürich

 Dans Echos de Saint-Maurice, 1942, tome 41, p. 267-270

            © Abbaye de Saint-Maurice 2012
Thébéens d ' A g a u n e                              et
         de Zurich
  Plusieurs journaux romands ont publié récemment l'intéres-
sant article que nous reproduisons ci-dessous avec plaisir. Il est
dû à la plume vivante et suggestive de M. Jean-G. Martin.
   Dans un décor gothique de gables et d'ogives, de
flammes et de roses, le sceau des citoyens zurichois, « si-
gillum civium thuricensium », représente trois étranges
personnages privés de leur tête. Ils sont de fière stature
et drapés d'amples vêtements romains. Ils se tiennent de-
bout malgré la décapitation qu'ils ont subie. Ils ont dans
leurs mains, leur tête aux yeux fermés et leurs doigts ser-
rent le cercle d'or de leur auréole. Ce sont les trois
saints martyrs de la ville de Zurich : Félix, Régula et
Exuperantius.
   Durant des siècles et des siècles, Zurich a célébré le
culte de saint Félix et de sainte Régula. Une chapelle fu-
néraire avait été aménagée à leur mémoire dans le Gross-
münster, et l'église de Fraumünster avait reçu leurs osse-
ments. On les a représentés dix fois sur des sceaux, des
monnaies ou des fresques, ou taillés dans la pierre. Toute
leur histoire fut ainsi racontée. On les a montrés subis-
sant l'interrogatoire des juges et tous les supplices, le fer
rouge, l'eau bouillante, les verges, la roue.
   Cette légende si souvent racontée à Zurich, rejoint
celle de saint Maurice en Valais. Comme Ours et Victor,
les protecteurs de Soleure, comme les « Saints d'or » de
Cologne, comme d'autres encore, Félix avait été l'un des
soldats de la fameuse légion thébaine qui fut décimée
dans la vallée du Rhône.
   Maximien Hercule, soldat de fortune, barbare originai-
re des rives du Danube, avait été élevé par Dioclétien au
trône impérial. Pendant vingt ans, ils se partagèrent le
pouvoir et s'accordèrent pour persécuter impitoyablement
les chrétiens. Maximien était à Martigny, qui s'appelait
alors Octodurum, quand une de ses légions, la Legio The-
bae refusa de servir contre les chrétiens comme le lui
demandait l'empereur. Les 6,600 hommes qui la compo-
saient étaient eux-mêmes disciples du Christ. Maximien,

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furieux de leur désobéissance, fit périr un soldat sur dix
pour faire réfléchir les autres. Mais les Thébéens restè-
rent inébranlables dans leur foi. Le tyran les fit déci-
mer une seconde fois. Enfin, ne pouvant vaincre leur ré-
sistance, il fit mettre à mort tous les survivants.
   Le massacre des martyrs avait eu lieu à Vérolliez, à l'en-
trée sud de St-Maurice. Un petit sanctuaire, qui devint un
centre de pèlerinage, fut érigé en cet endroit. La ville mê-
me fut dès lors terre sacrée. A cause de la haute paroi de

            S c e a u de Zurich utilisé d è s 1348

roc qui la domine, les indigènes l'appelaient Acaunum, ce
qui veut dire rocher. A la suite du martyre, elle prit le
nom de Maurice, le chef de la légion. Une basilique fut
élevée en l'honneur de ce capitaine et de ses deux offi-
ciers, Exupère et Candide, par le premier évêque du Va-
lais, saint Théodule. Un monastère considérable s'établit
sur cette rive du Rhône. L'abbaye, qui est la plus ancien-
ne des fondations religieuses de Suisse, commençait sa
destinée glorieuse.
   Les historiens ont longuement disputé de ces faits rap-
portés par un évêque de Lyon, dans la première moitié

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du V e siècle. A défaut de documents historiques certains,
le massacre de la légion thébaine alimenta de nombreux
récits dont celui qui concerne le légionnaire Félix.
   Comme plusieurs de ses compagnons, Félix réussit à
fuir le lieu du massacre. Accompagné de Régula, sa sœur,
et d'Exuperantius, son vieux serviteur, il laissa derrière lui
les rochers d'Agaune, les bourreaux de Maximien Hercule,
le Rhône taché du sang des martyrs. Tous trois en hâte
remontèrent le cours du fleuve et gagnèrent la montagne.
Ils traversèrent des pays sauvages, franchirent le col de
la Furka, se perdirent dans les forêts de la vallée d'Urse-
ren où régnaient l'ours et le loup. Enfin, ils suivirent le
cours des torrents et les vallées qui mènent à la région
des lacs. Après de longues journées, ils arrivèrent devant
le castel romain de Turicum, dont Decius était le gou-
verneur.
   De même que les peuples qui les précédèrent dans le
pays, les Lacustres et les Celtes, les Romains avaient com-
pris l'importance que pouvait avoir une ville construite
sur la Limmat, à la sortie du lac de Zurich. Sur d'anciens
établissements celtiques, non loin du lieu où se trouvaient
des villages sur pilotis, ils élevèrent un castel à l'endroit
appelé aujourd'hui Lindenhof. Ce fort protégeait une sta-
tion de péages autour de laquelle la ville se forma peu
à peu. A peine arrivés là, Félix, Régula et Exuperantius
se mirent à prêcher le christianisme. Le gouverneur inter-
vint promptement, les fit arrêter et les somma de renier
leur foi. Puis il les soumit à d'affreuses tortures et finale-
ment les fit décapiter sur le rocher d'où l'actuelle Wasser-
kirche domine la Limmat.
   Les documents du moyen âge qui donnent le récit de
cette exécution ne manquent pas de rapporter la surprise
 ou l'épouvante de tous ceux qui étaient présents, quand
ils virent les trois martyrs se relever, prendre leur tête
 dans leurs mains et gravir d'un pas ferme la colline voi-
 sine. Ils s'étendirent là côte à côte et ceux qu'ils avaient
 convertis les enterrèrent. C'est en ce lieu que fut cons-
 truite l'église qui devint le Grossmünster, la cathédrale
 de Zurich.
    Cette histoire ressemble beaucoup à celle d'Ours et
 Victor qui fleurit à Soleure. Ces deux soldats thébéens
 furent de même saisis par le gouverneur Hictarus du Cas-
 trum Solodorense. Ils furent torturés et décapités, mais,

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replaçant leur tête sur leurs épaules, ils se lancèrent dans
les flots de l'Aar, quittant ainsi la ville en nageant.
   La légende des trois saints s'est si bien implantée à
Zurich que rien n'a pu lui faire céder la place qu'elle
occupe sur le sceau officiel de l'Etat, ni la Réformation,
ni la période révolutionnaire de la fin du XVIII e siècle.
Après avoir figuré de 1125 à 1798 sur le sceau de la
ville, Félix, Régula et Exuperantius ornent depuis 1803
celui du canton. Et les citoyens des rives de la Limmat
leur ont consacré aussi une fontaine décorée d'un haut-
relief de marbre, dû au ciseau du sculpteur Julius
Schwyzer.
                                       Jean-G. MARTIN

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