Les emprunts constitutionnels dans la Constitution marocaine de 2011 Contenu et implications d'une révision constitutionnelle
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Les emprunts constitutionnels dans la Constitution marocaine de 2011 Contenu et implications d’une révision constitutionnelle ________________________ L’emprunt constitutionnel est le résultat d’une influence politique et juridique. Une Constitution, des Constitutions, ou plus généralement une construction constitutionnelle, ayant d’une manière ou d’une autre force de modèle constitutionnel, exercent leur attrait, ou s’imposent même, selon des voies et moyens différents, dans les textes constitutionnels qui s’en inspirent, les imitent ou les transposent tout simplement. De ce fait, de la part de l’Etat receveur, l’emprunt constitutionnel peut varier de l’influence simplement subie à l’influence traitée au sein d’une stratégie de politique constitutionnelle. L’emprunt constitutionnel est une donnée de l’histoire, de toutes les histoires dont celle de l’espace libéral qui a produit les grands textes constitutionnels et les modèles de systèmes qui en sont issus. Plus concrètement, pour une contextualisation, en la matière, du cas du Maroc que nous analysons ici, il exprime le rapport de processus constitutionnels et de textes constitutionnels au modèle constitutionnel libéral démocratique. Pour un simple rappel chronologique, le diptyque influence-emprunt constitutionnels a joué, dans ce sens, en deux temps et, respectivement, dans deux directions : -au moment de la décolonisation, à travers surtout cette façon d’emprunter dont le concept de « mimétisme constitutionnel » avait tenté de rendre compte1 ; -puis, après la dislocation du bloc communiste, dans un processus de transposition ou de transfert des standards constitutionnels démocratiques européens aux pays concernés. 2 Au-delà de ces deux moments, d’une certaine façon dans la logique surtout du deuxième, la vague du « printemps arabe » ouvre la voie à un processus politique inédit où l’emprunt constitutionnel démocratique est mis à l’épreuve par le crédo d’une construction constitutionnelle spécifiquement islamique. Ce moment en particulier, mais aussi certainement celui qui l’a précédé, appartiennent de par leur nature, leur contenu et leurs implications, à ce mouvement de « circulation des idées constitutionnelles » et à cette dynamique de déploiement planétaire du droit constitutionnel libéral.3 Le Maroc a été partie prenante de ces trois moments. Dans le processus général de l’emprunt constitutionnel en général, il relève d’un processus particulier. Son particularisme 1 Dans ce sens, on peut citer, à titre d’exemple, les écrits de P.F. Gonidec et D.G. Lavroff sur les systèmes politiques africains. Si parmi ces systèmes, à la suite des indépendances, le choix s’est porté sur l’imitation du modèle marxiste, l’on connaît les déboires connus par ces expériences qui ont vite versé dans le pouvoir militaire. 2 Ce qui est notamment illustré dans le cadre de la Commission pour la démocratie par le droit (Commission de Venise), créée à l’origine pour aider à l’insertion juridique des pays issus du bloc communiste dans le droit constitutionnel libéral européen et ses différents standards. Le Maroc en fait partie depuis 2007. 3 Mouvement et dynamique décrits par exemple par D. Maus dans : « Réflexions sur la mondialisation du droit constitutionnel », in New millenium constitutionnalism : paradigms of reality and challenges. NJHAR, 2013.
ne concerne pas tant l’emprunt en lui-même que la méthode de l’emprunt et la mise en rapport, dans la Constitution, du local propre au Maroc et de l’universel véhiculé par la matière empruntée. Cependant, le long cheminement constitutionnel de l’indépendance à la dernière révision constitutionnelle de 2011, objet de ce papier, est, pour préciser les choses, celui du passage d’une adaptation, ayant prévalu jusqu’à la veille de cette révision, des emprunts constitutionnels démocratiques au système monarchique, au rapport inverse. L’adaptation impliquée par ce nouveau rapport est le substrat du thème proposé et analysé par ledit papier. 4 Sous cette hypothèse, l’analyse de l’interaction, au sein et à partir de la Constitution de 2011, entre l’emprunt constitutionnel démocratique et l’ordre constitutionnel marocain gagnerait à être faite autour de deux dimensions centrales de cette constitution : la primauté du droit international concernant, en particulier, l’insertion du Maroc dans le système des libertés et droits fondamentaux et, d’autre part, l’équilibre des pouvoirs en rapport avec l’insertion de sa nouvelle architecture constitutionnelle dans le régime parlementaire. Une troisième dimension, ayant trait au processus constitutionnel lui-même, de nature à éclairer davantage la problématique de l’emprunt constitutionnel, est relative au déploiement de la nouvelle Constitution, par la mise en œuvre de ses dispositions. Dans la Constitution marocaine de 2011, ce sont deux faisceaux d’emprunts constitutionnels qui méritent, en effet, d’être identifiés comme repères centraux de la nouvelle donne constitutionnelle: celui relatif au régime constitutionnel, à travers le statut et l’équilibre des pouvoirs, puis celui ayant trait aux libertés et droits fondamentaux, à travers les standards admis universellement et la primauté du droit international, tous les deux sous-tendus, au fond, par l’affirmation constitutionnelle du « choix démocratique ». Le degré d’affirmation de ces deux faisceaux n’est cependant pas le même dans ladite constitution. La primauté du droit international, en particulier, n’est pas clairement résolue par les dispositions y afférentes, et partant, l’accomplissement des droits et libertés, qui doit transiter par cette primauté, ne peut être que problématique. L’évolution à ce niveau ne peut être indépendante de l’équilibre des pouvoirs, qui ne renvoie pas seulement aux dispositions en elles-mêmes qui l’organisent, mais aussi au fonctionnement de ces pouvoirs, 4 Successivement : le premier moment correspond à l’emprunt de l’outil constitution lui-même (par la première Constitution de 1962) ayant donné lieu à la grande confrontation politique marocaine sur le pouvoir constituant, puis aux premières constructions du rapport entre monarchie et emprunts constitutionnels (Constitutions de 1962, 1970 et 1972) ; le deuxième, à la Constitution de 1992, adoptée au lendemain de la chute du mur de Berlin, corroborée par la suite par la Constitution de 1996, sanctionnée par la première alternance « consensuelle » du Maroc indépendant ; le troisième, enfin, à la Constitution de 2011, support du présent papier. Comme suggéré supra dans le texte : Les cinq premières constitutions sont celles qui peuvent être analysées par la proposition de l’adaptation des emprunts constitutionnels à la monarchie ; la Constitution de 2011 ouvre, dans notre approche, sur la proposition inverse de l’adaptation de la monarchie aux emprunts constitutionnels. Les limites assignées à ce papier ne permettent pas de fournir au lecteur des références bibliographiques pertinentes sur chacun de ces moments, notamment les deux premiers, non traités dans ledit papier. Mais au moins ces deux références : Trente années de vie constitutionnelle au Maroc, ouvrage collectif, LGDJ, 1993 – Cinquante ans de vie constitutionnelle au Maroc : Quel bilan ? Ouvrage collectif, Publications de l’Association Marocaine de Droit Constitutionnel, Ed. Babel, Rabat 2013. 2
qui fait appel, pour la mise en œuvre de la dimension démocratique de la nouvelle Constitution, non seulement au processus de synchronisation des statuts, des prérogatives et des mécanismes retenus, mais aussi à l’impact d’éléments aussi variés que l’état des partis politiques et l’orientation de la jurisprudence constitutionnelle, qui interfèrent nécessairement dans ce processus. C’est dire toute l’importance et la complémentarité de cet éclairage qui doit donc être fait successivement, par référence à l’objectif irréversible du choix démocratique comme étant la synthèse de l’emprunt constitutionnel dans la Constitution marocaine, à travers la problématique du rapport à la norme internationale, la question de l’équilibre des pouvoirs et, enfin, l’épreuve de la mise en œuvre de la Constitution dont notamment son déploiement législatif.5 1/Choix démocratique et primauté du droit international des droits fondamentaux L’inscription de la référence au droit international dans la Constitution marocaine de 2011 est l’expression d’un emprunt au droit constitutionnel mondialisé, notamment à travers la « dualité institutions/droits fondamentaux qu’il est possible d’appréhender (comme) la réalité constitutionnelle du XXIème siècle »6. Le rapport d’une constitution à cette primauté se traduit nécessairement par la construction d’un rapport constitutionnel à ces droits. En principe, une construction dans les exigences qui sont celles d’un choix démocratique, pour permettre l’accès à la variété des droits et libertés et réaliser, par-là, le système qui les englobe.7 Qu’en est-il ainsi, dans la nouvelle Constitution marocaine, de la conception de la primauté du droit international, et qu’elle pourrait en être, en conséquence, le degré et les modalités d’ouverture sur les divers droits fondamentaux ? 1.1. Le droit international : quelle primauté ? Par rapport aux Constitutions précédentes du Maroc, la Constitution de 2011 apporte dans sa matière une promotion certaine du droit international. Elle n’apporte pas, cependant de réponse claire à sa place par rapport à la norme interne, constitutionnelle et 5 Nous procédons à cette délimitation non tant dans une logique de dissertation et de construction intellectuelle que par référence à notre perception des travaux de la Commission consultative de révision de la Constitution dont nous étions membre. 6 D. Maus, précité, p. 183 7 C’est, à notre sens, cette construction qui transparait dans le discours du Roi Mohamed VI, du 9 mars 2011, annonçant la révision constitutionnelle pour une nouvelle constitution. Il y est déclaré (comme deuxième fondement majeur parmi les sept retenus dans ce discours) : « La consolidation de l’Etat de droit et des institutions, l’élargissement du champ des libertés individuelles et collectives et la garantie de leur exercice, ainsi que le renforcement du système des droits de l’Homme dans toutes leurs dimensions, politique, économique, sociale, culturelle, environnementale et de développement. Cela devrait se faire notamment à travers la constitutionnalisation des recommandations judicieuses de l’Instance Equité et Réconciliation (IER), ainsi que des engagements internationaux du Maroc en la matière. » (Souligné par nous). 3
législative. Or, c’est de cette place, conçue dans la précision, que dépend le déploiement du système des droits fondamentaux, inséré dans la Constitution.8 -En termes de promotion du droit international dans sa dernière Constitution, le Maroc s’inscrit bien dans le contexte mondial, dans une incontestable perméabilité à l’influence internationale.9 C’est ce qui aboutit à une grande avancée dans la promotion et l’incorporation du droit international dans son droit interne, de deux manières : par l’élargissement de l’engagement international à toutes les sources du droit international, mais aussi par l’extension du domaine du droit international dans la nouvelle Constitution. Au titre de l’élargissement de l’engagement international, terme utilisé par l’article 55 de la Constitution marocaine, il s’agit de citer : les traités bilatéraux, dont les traités relatifs aux droits et libertés individuels ou collectifs figurent parmi les traités soumis à l’approbation préalable par la loi ; les traités multilatéraux ou conventions internationales lesquelles permettent à la nouvelle Constitution d’incorporer, dans son dispositif international, la coutume qui est la deuxième source du droit international ; et, enfin, les autres sources de l’engagement international, dont notamment les résolutions des organisations internationales. Toutes ces sources sont couvertes ou par le préambule de la Constitution ou par certaines de ses dispositions. Au titre de l’extension, en conséquence, du domaine du droit international, la Constitution marocaine inclut dans l’ordre juridique interne, notamment, le droit international humanitaire, tout en y faisant place au contrôle de constitutionnalité de l’engagement international et à une implication plus grande du Parlement dans la transposition du droit international dans le droit interne.10 -La question de la place du droit international, dans la Constitution, par rapport au droit interne, reste cependant posée, malgré sa promotion et son incorporation dans ladite constitution. Au regard de l’affirmation du choix démocratique par la Constitution, dans un processus d’accumulation dans ce sens au fil des révisions constitutionnelles, et en réponse notamment à une forte demande populaire portée par le printemps arabe, le passage à la primauté du droit international pouvait être considéré comme acquis. Ce facteur n’a pas 8 Pour la place du droit international dans les Constitutions marocaines précédentes, voir : Mohammed Amine Benabdallah : Les traités en droit marocain, in Variations sur le système international, ouvrage collectif, Fondation Mohamed Jalal Essaid, Rabat, 2010, pp.159-170. L’auteur note à la page 160 : «Au Maroc, tous les textes constitutionnels qui se sont succédé de 1962 à 1996, ont de de tout temps laissé dans l’imprécision la place à accorder au traité dans la hiérarchie des normes » et ce, malgré e préambule de la Constitution, à partir de 1992, affirmant que le Royaume du Maroc souscrit aux principes, droits et obligations découlant des Chartes… et réaffirme son attachement aux droits de l’Homme tels qu’ils sont universellement reconnus. » 9 Aziz Hasbi : Le contexte international de l’adoption de la Constitution marocaine de 2011 et ses implications. Etude destinée à un ouvrage collectif sur ladite Constitution, à paraître dans les Publications de l’Association Marocaine de Droit Constitutionnel. 10 Pour tous ces éléments et l’explication de leurs implications, voir Saïd Ihrai : Le droit international et la nouvelle Constitution, in La Constitution marocaine de 2011- Analyses et commentaires, LGDJ, 2012, pp.171-197. Le simple repérage de ces éléments dans le présent papier est justifié par le fait que la préoccupation de celui-ci est d’en identifier les implications sur la prise en charge des droits fondamentaux à partir de la nouvelle Constitution marocaine. L’article en question est le seul, à notre connaissance, à avoir étudié (jusqu’à maintenant) cette constitution sous l’angle de son rapport au droit international. 4
joué, cependant, le rôle ainsi escompté, malgré l’affirmation constitutionnelle des droits fondamentaux, jamais inégalée dans les constitutions précédentes. Ni le préambule de la Constitution que celle-ci incorpore, ni ses dispositions, ne permettent de conclure à la primauté du droit international ; elles permettent tout au plus de dégager une primauté conditionnée. Le préambule « engage » le Maroc à « accorder aux conventions internationales dûment ratifiées par lui…la primauté sur le droit interne du pays et à harmoniser en conséquence les dispositions pertinentes de sa législation nationale ». La ratification intervient, cependant, comme l’affirme ce préambule, « dans le respect des dispositions de la Constitution et des lois du Royaume, dans le respect de son identité nationale immuable ». Certaines dispositions pertinentes de la Constitution permettent d’arriver à la même conclusion. Ainsi pour ne citer qu’un exemple, l’article 19 indique que les conventions et les pactes internationaux sont ratifiés par le Maroc « dans le respect des dispositions de la Constitution, des constantes du Royaume et de ses lois ». Peut-on, malgré tout, déduire de l’article 55 de la Constitution, une possible primauté du droit international ? Le dernier alinéa de cet article prévoit que : « Si la Cour constitutionnelle, saisie (par les parties compétentes), déclare qu’un engagement international comporte une disposition contraire à la Constitution, sa ratification ne peut intervenir qu’après la révision de la Constitution ». C’est une disposition qui laisserait entrevoir la mise en place d’un système de primauté de droit international. De la sorte, elle est en contradiction avec les autres dispositions de la Constitution, alors qu’elle s’inscrirait plutôt dans « un système moniste avec prépondérance et non-primauté du droit interne ».11 La non-affirmation, non plus, de la primauté du droit interne, ne serait-elle pas, cependant, de nature à relativiser l’incertitude quant à la primauté du droit international et à permettre d’entrevoir ainsi une interprétation favorable au choix démocratique, et donc aux droits fondamentaux, de la présence de ce droit au sein de l’ordre juridique interne ? 1.2. Les droits fondamentaux : quelle prise en charge ? Dans la Constitution de 2011, le registre des droits fondamentaux est riche et complexe à la fois.12 Sa complexité réside dans la ligne de partage qui se dresse entre les droits et libertés en fonction de leur compatibilité ou non avec « le respect des dispositions de la Constitution, des constantes du Royaume et de ses lois », mais aussi avec « son identité nationale immuable »,13 les constantes du Royaume et l’identité immuable de la Nation constituant justement le contenu incontournable de certaines des dispositions 11 Idem, page 187, et l’auteur (Saïd Ihrai) de conclure: « le système mis en place par la nouvelle Constitution…place, dans les faits, le Maroc dans une position proche de celle qui prévaut en Angleterre et aux Etats-Unis ; position qu’il caractérise, en citant Dominique Carreau, « par l’absence de validité interne du traité international contraire à la Constitution (et) par l’égalité formelle entre le traité international et la loi nationale, ou la supériorité de fait de l’ordre interne ». Le constituant marocain tout en empruntant la règle de la primauté du droit international, dans ses différentes variantes, au modèle européen, a tenu à la soumettre à une conception particulière. 12 Bertrand Mathieu : Les droits fondamentaux - Un patrimoine commun intégré dans la Constitution marocaine, in La Constitution marocaine de 2011…précité, pp.229-254. Article à consulter utilement pour l’identification de ces droits dans ladite constitution, identification qui n’est pas l’objet de ce papier. 13 Mentions contenues, respectivement, dans l’article 19 de la Constitution et dans son préambule, précitées supra. 5
constitutionnelles et des lois en question. La liste de ces droits et libertés n’est pas longue, mais elle est problématique au regard, notamment, des constantes historiques du Maroc que sont l’islam et la monarchie. Au-delà du contenu de ces droits et libertés14, en particulier tel qu’il est précisé dans les instruments du droit international des droits de l’homme et tel qu’il est emprunté en tant que « patrimoine euro-méditerranéen »15 dans la Constitution marocaine, deux points doivent nous préoccuper ici au regard du choix démocratique, considéré comme choix « irréversible » par ladite constitution : la compétence à leur égard d’une part, et la voie vers leur accomplissement d’autre part. -Pour la compétence, en premier lieu, la question qui se pose et qui a son incidence, en principe, sur la conception et la mise en œuvre des droits et libertés concernés, est celle qui est relative à son attribution16. D’entrée de matière dans cet espace, l’article 71 de la Constitution place, comme dans les Constitutions précédentes, les droits et libertés dans le domaine de la loi, mais cette fois-ci après l’élargissement et l’enrichissement de leur matière par la Constitution, y compris dans le préambule auquel renvoie l’article en question ; mais surtout, l’article 70 le précède par l’affirmation pour la première fois que « le Parlement exerce le pouvoir législatif ». Par rapport aux constitutions précédentes, on est ainsi dans une logique plus conforme au choix démocratique. Sous ces constitutions, bien qu’il y fût affirmé que le Parlement vote la loi, le Roi pouvait légiférer (dans le domaine de la loi), en vertu notamment de l’obligation-attribut qui lui revenait (de par l’article 19 dans ces constitutions) d’être « le protecteur des droits et libertés des citoyens, groupes sociaux et collectivités ». On est ainsi, par le changement introduit dans l’actuelle Constitution, dans les normes démocratiques, mais dans un aménagement qui doit tenir compte, non pas de deux survivances du régime révisé, mais de deux constantes de l’ordre constitutionnel marocain. D’une part, en vertu de l’article 42 de la Constitution le Roi est doté toujours de la mission de veiller « à la protection…des droits et libertés des citoyennes et des citoyens, et des collectivités… ». Il le fait tout au plus, mais c’est très important, en usant de sa qualité d’ « Arbitre suprême entre les institutions » et du pouvoir d’interpeller en vertu de cette qualité. D’autre part, le Roi ayant l’ « exclusivité » des prérogatives religieuses en vertu de l’article 41 de la Constitution, ses dahirs (actes royaux) ont force de législation dans des matières qui sont en rapport avec les droits et les libertés.17La question devrait alors être 14 Dans l’ouvrage La constitution marocaine de 2011…, précité, voir à titre d’exemples, B. Mathieu : Les droits fondamentaux, précité et Amina Aouchar : L’égalité entre les hommes et les femmes dans la Constitution marocaine de 2011, pp. 255-269. 15 B. Mathieu, op.cit. p.254. 16 Ce paragraphe anticipe sur les développements, de caractère plus général, qui vont suivre sur l’équilibre des pouvoirs, juste pour éclairer les aspects exposés ici relativement aux droits fondamentaux. 17 L’exemple le plus en vue est celui du statut de la famille dont une partie des éléments est de caractère religieux. Bien que la Constitution de 2011 place, désormais, explicitement ce statut dans le domaine de la loi (article 71), l’on ne peut que rappeler la « sentence » du Roi comme Amir al mouminine (commandeur des croyants) lors de la réforme du code de la famille en 2003, jugeant « nécessaire et judicieux que le parlement soit saisi, pour la première fois, du projet du Code de la famille, eu égard aux obligations civiles qu’il comporte, étant entendu que ses dispositions à caractère religieux relèvent du ème ressort exclusif d’Amir Al Mouminine ». (10 octobre 2003, discours d’ouverture par le Roi de la 2 année législative de la VIIème législature). 6
soulevée à propos de l’impact d’une telle configuration des compétences sur l’accomplissement des droits fondamentaux en tant que contenu démocratique et libéral. -Il s’agit donc, en deuxième lieu, de cette problématique de l’accès à cette catégorie de droits fondamentaux qui « indisposent » par leur nature et leur contenu les « constantes du Royaume », en elles-mêmes et surtout en tant que dispositions constitutionnelles et législatives.18 Si la question ne peut être envisagée ici que sous l’angle juridique, force est de constater qu’au vu du caractère plutôt imprécis de la primauté du droit international dans la Constitution marocaine qui, pourtant, l’affirme comme l’un de ses nouveaux principes, le prisme juridique ne peut être que sujet à interprétation. Il y a d’abord l’interprétation des pouvoirs responsables de la production normative. Par rapport aux « constantes » du Maroc et à son « identité immuable », de même que par rapport aux dispositions de la Constitution et aux lois qui les consacrent, tous les futurs textes ne sont pas à la même distance. Ces pouvoirs peuvent élaborer et adopter des textes conformes aux standards démocratiques d’autant plus qu’ils ne heurtent pas le noyau dur de ce référentiel. Dans ce sens, le retrait partiel des réserves de la part du Maroc concernant la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes19, est la voie ouverte vers une adaptation des lois concernées aux standards internationaux relatifs à la situation des femmes. Il convient de préciser, cependant, que même pour ces textes et surtout concernant les textes en rapport direct avec ce que nous appelons le noyau dur des constantes, l’islam en premier, la volonté constitutionnelle du Roi, notamment en tant que chef religieux, est déterminante. A ce niveau, celui des pouvoirs constitutionnels, la Constitution n’est pas, toutefois, sans ressources pouvant aider à emprunter la voie de l’interprétation positive pour une production normative de l’adaptation. Les articles 42 et 174 de la Constitution prévoient le choix démocratique comme l’une des références centrales du nouvel ordre constitutionnel établi par la Constitution de 2011. Le premier article lie explicitement la mission du Roi de protection des droits et libertés à celle de « la protection du choix démocratique » et à celle de veiller « au respect des engagements internationaux du Royaume ». Le deuxième article étend l’interdiction de révision de la Constitution, au-delà des « dispositions relatives à la religion musulmane » et à la « forme monarchique de l’Etat », au « choix démocratique de la Nation » et aux « acquis en matière de libertés et de droits fondamentaux inscrits dans la présente Constitution ». Le choix démocratique constitue ainsi une constante, politiquement certes en devenir, mais constitutionnalisé, à côté des constantes historiques. Il y aurait là, 18 Notons que du côté des libertés et droits fondamentaux en dehors de cette catégorie, le processus (jugé lent par certains ou satisfaisant par d’autres) est engagé et donne lieu à des ajustements successifs avec les standards des conventions internationales ratifiées par le Maroc. Le dernier en date est relatif au projet de loi portant sur la justice militaire qui a apporté, notamment, deux changements : l’exclusion des civils de la compétence du tribunal militaire quels que soient les crimes commis, de même que celle, de cette compétence, des militaires qui commettent des crimes de droit commun. (Pour le processus en question, voir le site du Secrétariat général du Gouvernement : www.sgg.gov.ma et celui du Conseil national des droits de l’homme : www.cndh.org.ma) 19 Articles 9-2 (nationalité des enfants) et 16 (questions découlant du mariage et des rapports familiaux) de la CEDAW. 7
implicitement, de par la force de la Constitution, une obligation de renforcer le premier et d’adapter les deuxièmes.20 C’est dans ce cadre qu’intervient le rôle de l’interprétation du juge et plus particulièrement du juge constitutionnel. La Constitution de 2011 peut être qualifiée d’ailleurs, concernant l’emprunt constitutionnel démocratique des droits fondamentaux, comme une constitution du juge constitutionnel. Celui-ci doit en particulier relever le défi des contradictions entre les normes, notamment à travers l’examen des clauses des engagements internationaux par rapport à la Constitution dans son article 55, mais aussi à travers la nouvelle compétence de la question préjudicielle de constitutionnalité, prévue dans son article 133 en termes d’exception d’inconstitutionnalité. La question des libertés et des droits fondamentaux est donc inséparable de la question du pouvoir et de son organisation, qui constitue l’autre repère central de l’emprunt constitutionnel dans la nouvelle Constitution marocaine. 2/Choix démocratique et équilibre des pouvoirs Dans ce volet, l’emprunt constitutionnel démocratique est en rapport central avec la monarchie, de manière directe ou indirecte. Depuis l’indépendance jusqu’à l’élaboration de la Constitution de 2011, dans la doctrine qui s’y intéresse comme dans le rapport politique concerné, la Constitution, aussi bien comme pouvoir constituant que comme contenu, est appréciée par rapport à la place et au rôle qu’y tient la monarchie. C’est de ces deux paramètres que dépend, en effet l’appréciation ou le positionnement par rapport aux emprunts constitutionnels démocratiques, censés justement poser la question de l’évolution ou non du système monarchique marocain, par rapport au repère central du régime parlementaire. Dans l’examen dans ce sens de la Constitution de 2011, la référence à la constitution précédente ne peut être éludée, mais tout dépend du lien qu’on croit devoir établir entre la constitution abrogée et la Constitution qui la remplace. Sans raisonner dans les deux hypothèses extrêmes de rupture ou de simple continuation de l’ordre constitutionnel ancien dans le nouveau, la proposition à apprécier est celle de la distinction faite entre les deux constitutions, identifiant l’existence ou non d’une autonomie et d’une dissociation entre les deux ordres constitutionnels qu’elles couvrent. Dans deux orientations différentes, notamment, la Constitution de 2011 est présentée, soit comme une interférence entre les deux ordres constitutionnels, celui de 20 A l’égard des constantes historiques, les autorités compétentes disposent de l’outil de la « fatwa » (interprétation du corpus religieux permettant, dans le cadre du rite malékite en vigueur au Maroc, de faire prévaloir « al-yusr » qui est la voie de la facilitation vers le raisonnable accessible, sur « al-ousr » qui est la voie de l’engagement sans concession pour les solutions pures, considérées comme irremplaçables). A l’égard des normes internationales des droits de l’homme, en revanche, le Maroc est partie prenante d’un patrimoine multilatéral, qui ne peut, dès lors, donner lieu à des réserves que dans ses dispositions extrêmes, celles qui risquent de renverser les valeurs strictement incontournables dans le contexte marocain. 8
cette constitution et celui de la constitution précédente, soit comme un ordre constitutionnel à part. Dans la première perception, la nouvelle Constitution fait place à une « monarchie parlementaire revendiquée », mais elle recèle en même temps « une monarchie gouvernante inavouée ».21 Dans la deuxième perception, « l’interprétation stricto sensu » des pouvoirs du Roi dans ladite constitution, « devra » désormais l’emporter sur « l’interprétation lato sensu » de ses pouvoirs dans les constitutions précédentes.22 Par rapport à ces deux perceptions, tout à fait argumentées dans leur propre logique, la conception d’une appréciation intermédiaire de la nouvelle Constitution marocaine est possible et est même conforme à la méthode qui a présidé à l’élaboration de cette constitution et à la sanction par référendum, à placer dans le sillage du mouvement du printemps arabe, du contenu issu de cette méthode. C’est un contenu qui organise, en toute transparence, juridiquement, le relais entre un système en fin de parcours et un autre qui entame le sien propre. En termes constitutionnels, la connexion entre les deux n’est pas une substitution instantanée, mais l’organisation d’un remplacement sur une durée. Dans le cadre de cette situation propre au système constitutionnel marocain, dans le cheminement de sa parlementarisation, l’idée, déjà annoncée, est celle du passage (dans un processus de relais) d’une monarchie à laquelle la constitution adaptait les emprunts constitutionnels à une monarchie qui enclenche son processus d’adaptation à ces emprunts. Sur cette base, l’idée peut être soutenue que même en termes de monarchie gouvernante, celle-ci n’est pas « inavouée », mais réaménagée et atténuée ; non pas du fait de l’organisation d’un régime parlementaire, mais à cause de la mise en place, en conséquence, d’une monarchie à équilibre parlementaire. Quelques repères seulement, les plus significatifs, seront évoqués pour étayer, sans besoin d’une « interprétation « stricto sensu », ce relais entre deux dynamiques en substitution, dans une abrogation en mouvement, déjà déclarée juridiquement par la Constitution.23 Il s’agit de la responsabilité du Gouvernement, du partage du pouvoir et de la nouvelle configuration du pouvoir royal. Eléments pour lesquels il convient d’affirmer qu’ils sont choisis ici à cause de leur caractère participant, comme emprunts constitutionnels à la monarchie parlementaire démocratique, au réaménagement, sinon à la limitation, de la monarchie gouvernante. Choisis, en conséquence, pour voir ce que la Constitution pose comme délimitation à ces emprunts pour ouvrir justement sur une monarchie qui s’insère dans la posture de l’adaptation à leur logique constitutionnelle et politique, non par effacement mais par déploiement dans un nouveau rôle à travers de nouvelles missions.24 21 David Melloni, Le nouvel ordre constitutionnel marocain : de la « monarchie gouvernante » à la « monarchie parlementaire » ?, in La Constitution marocaine de 2011, ouvrage précité, pp. 7-45. 22 Michel Rousset, L’interprétation des pouvoirs du Roi dans la nouvelle Constitution, même ouvrage, pp. 47-70. 23 Des repères significatifs seulement, dans la mesure où le présent papier n’est pas une réflexion sur l’ensemble de la Constitution de 2011. 24 Au fond, il s’agit d’abord d’une perception juridique et non historique de la Constitution, qui ne consiste pas à poser cette construction comme une phase nécessairement de nature transitoire vers une monarchie parlementaire faisant du Roi une institution simplement symbolique, même si on pourrait lui reconnaîtra simultanément un caractère incontournable. La présente analyse ne portant pas sur la Constitution de 2011 en tant que telle, laisse de côté les autres éléments en dehors 9
2.1. La responsabilité gouvernementale. Dans le cadre du discours royal du 9 mars 2011, cet élément trouve place dans le quatrième fondement conçu comme l’un des fondements majeurs de la réforme constitutionnelle, au niveau de la consolidation du principe de séparation et d’équilibre des pouvoirs et de l’approfondissement de la démocratisation des institutions. A ce titre, il doit se déployer dans deux directions : d’une part « un gouvernement élu, émanant de la volonté populaire exprimée à travers les urnes, et jouissant de la confiance de la majorité à la Chambre des représentants » ; d’autre part « la consécration du principe de la nomination du premier ministre au sein du parti arrivé en tête des élections de la Chambre des représentants et sur la base des résultats du scrutin »25. A partir de cette orientation, il fallait, constitutionnellement, non seulement sortir avec une conception de la responsabilité du Gouvernement, mais déterminer aussi une place à celle-ci au sein d’un système monarchique qui entreprend sa réforme constitutionnelle, en ayant en vue les différends modèles de responsabilité parlementaire des gouvernements. 26 -Pour l’aménagement lui-même de la responsabilité, la Constitution de 2011 apporte un nouveau contenu qui transite par les deux articles 47 et 88 de la Constitution, dont les dispositions doivent être envisagées dans la succession et la complémentarité. Le premier article dispose que « le Roi nomme le Chef du Gouvernement au sein du parti politique arrivé en tête des élections des membres de la Chambre des représentants, et au vu de leurs résultats ». Il précise ensuite que « sur proposition du Chef du Gouvernement, il nomme les membres du gouvernement ». Si cet article met celui-ci au seuil de la responsabilité devant la Chambre dont il est issu après les élections, il ne le met que dans l’état majoritaire dans laquelle il va se trouver au moment de la nomination de son (futur) chef. C’est un état qui dépend du mode de scrutin, mais pas seulement de ce facteur qui relève, pour l’élection de la Chambre concernée, d’une loi organique, puisque l’état des partis politiques et le déroulement lui-même de l’élection sont des facteurs qui ont leur part d’influence en la matière. L’essentiel est que l’article 47 ouvre le chemin à la responsabilité, mais pas sûrement sur une garantie du mécanisme majoritaire. L’article 88, en second lieu, met en œuvre ce mécanisme dont le sort ne dépend pas, non plus, des dispositions de cet article. Il prévoit, en effet, suite à la désignation des membres du Gouvernement par le Roi, à la présentation du programme gouvernemental devant les deux Chambres et à son vote par la Chambre des représentants, que le Gouvernement est investi, après avoir obtenu la de ceux abordés ici, car ils restent sans effet démonstratif pour l’idée directrice de ce papier, même s’ils restent utiles pour la l’analyse du rapport entre cette constitution et la démocratie en général. 25 ème ème Discours royal précité du 9 mars 2011, 2 et 3 recommandations dans le quatrième fondement. 26 Les rédacteurs de la Constitution étaient conscients qu’ils étaient là dans la logique d’un emprunt constitutionnel parlementaire démocratique et qu’ils étaient appelés à jauger son contenu pour le cas du Maroc à partir des différents modèles des régimes parlementaires, notamment monarchiques. Les limites de ce papier ne permettent pas d’évoquer les éléments de ces modèles, entendu que la Constitution marocaine est allée vers cet élément de la responsabilité, mais dans la démarcation par rapport à ces modèles. Ces constitutions qui peuvent être consultées directement sous cet angle, sont d’ailleurs évoquées par les analyses réservées à la Constitution marocaine dans ce sens, notamment La Constitution marocaine de 2011- Analyses et commentaires. Ouvrage collectif précité. 10
confiance de ladite chambre, exprimée par le vote à la majorité absolue des membres la composant, en faveur du programme gouvernemental. Il convient de retenir, cependant, que l’emprunt constitutionnel de la responsabilité et de l’investiture accède à un niveau qui n’était pas celui retenu par la Constitution précédente. De la double responsabilité du Gouvernement devant le Roi et la Chambre des représentants, le passage est effectué à la responsabilité devant cette seule chambre, c’est- à-dire en termes formels, du dualisme au monisme. De même, le vote du programme dans la Constitution de 1992, maintenu dans celle de 1996, n’était qu’un vote de confiance et non une investiture du Gouvernement. Mais même sous l’angle de l’investiture, celle-ci se faisait par le moyen d’une majorité négative qui ne pouvait pas la consacrer comme telle, puisque tel qu’il était prévu dans la Constitution, « la confiance ne peut être refusée ou le texte rejeté qu’à la majorité absolue des membres composant la Chambre des représentants »27. La Constitution de 2011 clarifie l’investiture du Gouvernement et ouvre la voie à sa distinction des autres moyens dont use la chambre en question à son égard28. -Si la responsabilité gouvernementale est ainsi affirmée, elle n’aboutit pas, toutefois, au-delà de l’autonomie que la Constitution réserve par ce biais au Gouvernement, à un total désengagement de cette responsabilité de la prérogative royale. L’emprunt constitutionnel démocratique de la responsabilité n’est pas vidé de sa substance, mais il est, au fond, relativisé à la mesure de la relativisation apportée par la Constitution à la déterminante responsabilité gouvernementale engagée précédemment devant le Roi. Deux moyens organisent ce rééquilibrage relatif : à l’égard des ministres d’une part et concernant la prérogative de la dissolution d’autre part, reconnue au Chef du Gouvernement. Dans le premier cas, l’article 47 de la Constitution prévoit que « le Roi peut, à son initiative et après consultation du Chef du Gouvernement, mettre fin aux fonctions d’un ou de plusieurs membres du Gouvernement ».La pratique à partir de cette disposition peut aboutir à lui donner telle ou telle orientation, comme elle peut déboucher sur telle ou telle conséquence. Elle reste cependant le support d’un rééquilibrage évident de la responsabilité parlementaire du Gouvernement. Dans le deuxième cas, l’article 104, son premier alinéa en l’occurrence, pose à propos de la prérogative du Chef du gouvernement de pouvoir dissoudre la Chambre des représentants, la condition qu’il doit le faire « par décret pris en Conseil des ministres, après avoir consulté le Roi, le président de cette Chambre et le président de la Cour constitutionnelle ». Pour le Chef du gouvernement, cette prérogative est le corollaire de sa responsabilité devant la Chambre. Différente de la dissolution qui revient au Roi, logique et plutôt de caractère arbitral, elle permet d’autonomiser le rapport entre le Gouvernement et le Parlement dans des situations où la 27 Abdeltif Menouni : Lectures dans le projet dans le projet de Constitution révisée (de 1992), in Révision de la Constitution – Analyses et commentaires, Imprimerie Royale, Rabat, 1992. 28 ème Voir plus loin, 3 axe sur la mise en œuvre de la Constitution, la décision rendue par le Conseil constitutionnel, concernant entre autres la nature et les conditions de l’investiture parlementaire du Gouvernement. 11
crise, liée à ce rapport, ne nécessite pas une dissolution par le Roi. L’intervention du Roi, dans les conditions de l’article 104, est au fond un contrôle qui peut aboutir soit à écarter la dissolution par décret, soit à en faire un sorte de codécision dont la responsabilité incombe au Chef du gouvernement. Il s’agit, en somme, de deux moyens qui aboutissent à placer l’emprunt constitutionnel de la responsabilité gouvernementale à un niveau intermédiaire entre le dualisme et le monisme, plus près, au fond, de celui-ci que du premier, empêchant ainsi la Constitution de 2011 de reprendre la disposition des constitutions précédentes que « le Gouvernement est responsable devant le Roi et devant le Parlement ». 2.2. Le pouvoir partagé Un gouvernement qui devient organe constitutionnel responsable devant le Parlement, doit constituer, en conséquence, un pouvoir et disposer de pouvoirs. Cet emprunt à l’exécutif parlementaire a maintenant sa place dans la Constitution marocaine. Il ne s’y présente, cependant, ni sous la modalité espagnole, ni sous la formule française, pour évoquer deux cas dissemblables et extrêmes de la place du gouvernement et de son premier ministre dans un régime parlementaire ou semi-parlementaire29. C’est à l’égard du Roi que la Constitution de 2011 traduit cet emprunt, de manière différente, en organisant un partage du pouvoir entre lui et le Chef du gouvernement30. La Constitution procède ainsi, désormais, à l’aménagement de deux rapports : entre deux organes, le Roi et le Chef du gouvernement, et entre deux institutions, le Conseil des ministres et le Conseil de gouvernement. Si le premier rapport existe déjà, le deuxième est nouveau et a ses implications sur le rapport en question. -Tout d’abord, le Chef du gouvernement acquiert ce titre pour remplacer celui de Premier ministre. En effet, il voit ses compétences se renforcer, dispose de son propre conseil et c’est au sein de ce Conseil de gouvernement, maintenant constitutionnalisé, qu’il prend l’essentiel de ses décisions. La situation est radicalement différente de celle qui prévalait dans la Constitution de 1996. Celle-ci, pour ne s’arrêter qu’à l’essentiel, reconnaissait au Premier ministre le pouvoir réglementaire et l’initiative de la loi, mais c’est au sein du Conseil des ministres, présidé par le Roi, que les projets de décrets et les projets de lois devaient être délibérés31. .Investi toujours du pouvoir réglementaire qu’il exerce désormais indépendamment du Roi, le Chef du gouvernement voit ses prérogatives mieux affirmées. Sous son autorité, comme l’affirme l’article 89 de la Constitution, le Gouvernement met en œuvre le programme gouvernemental et non plus « sous sa responsabilité », seulement, comme il était indiqué dans la Constitution précédente. Formule juridique qui a sûrement besoin de sa 29 Didier Maus, L’exécutif dans la Constitution de 2011, in La Constitution marocaine de 2011, ouvrage précité, pp. 71-84. 30 Par rapport au Parlement et, à plus forte raison, par rapport au Pouvoir judiciaire, c’est la séparation des pouvoirs et non le partage du pouvoir qui est le repère exclusif. 31 Article 66 de la Constitution de 1996. 12
teneur politique. Le mécanisme délaissé de la délibération préalable en Conseil des ministres enlevait, en effet, au Premier ministre l’autorité et ne lui laissait que la responsabilité concernant la mise en œuvre en question. L’article 89 ouvre au profit du Chef du gouvernement, « un véritable pouvoir de direction et d’arbitrage et devrait (lui) permettre de se comporter en véritable « patron » de l’équipe gouvernementale »32. La même autorité lui est reconnue également à l’extérieur du Gouvernement, puisque le même article dispose qu’il « supervise les établissements et entreprises publics et en assure la tutelle ». La Constitution inaugure notamment, en faveur du Chef du gouvernement une prérogative dans un domaine, celui des nominations, auquel le Premier ministre ne pouvait accéder, dans la Constitution précédente, que sur délégation du Roi. Dorénavant, l’article 91 de l’actuelle Constitution habilite le Chef du gouvernement à nommer « aux emplois civils dans les administrations publiques et aux hautes fonctions des établissements et entreprises publics… », et à « déléguer ce pouvoir ». Il s’agit là, par rapport au déséquilibre en la matière dans toutes les constitutions précédentes, « d’une transformation radicale du régime marocain, dont la métamorphose est ici tout particulièrement saisissante »33. .Cette image d’une tête renforcée du Gouvernement est davantage consolidée par l’insertion du Conseil du gouvernement dans la Constitution. Institution coutumière, ce conseil n’avait que la compétence, à l’amont, de préparer et, à l’aval, de mettre en œuvre les décisions du Conseil des ministres. Constitutionnalisé, il accède à l’exercice du pouvoir exécutif, comme l’affirme au profit du Gouvernement l’article 89 de la Constitution. Celle-ci le dote de compétences propres, pour une délibération à part, indépendante de celle qui relève du Conseil des ministres. Il a désormais la qualité d’ « une réelle instance décisionnelle », sans aucune confusion « avec le Conseil de cabinet tel qu’il se pratiquait en France sous la IIIème République, ou tel qu’il perdure - aujourd’hui encore – sous la Vème République »34. L’article 92 de la Constitution constitutionalise, en même temps que le Conseil de gouvernement, les pouvoirs qui lui reviennent et relèvent de sa délibération. A côté de questions comme la politique générale de l’Etat à délibérer avant sa présentation au Conseil des ministres, il s’agit aussi bien des questions qui relèvent proprement du gouvernement que de celles qui relèvent d’une relation avec le Parlement. Au titre des premières, il y a notamment les politiques publiques, les politiques sectorielles et certaines nominations importantes ; au titre des deuxièmes, il y a toutes celles qui nécessitent la relation en question comme les décrets lois et l’engagement de responsabilité devant la Chambre des représentants. -Dans la logique de partage du pouvoir, le Conseil des ministres est le siège, cependant, de prérogatives parallèles, s’encroisant parfois avec celles du Conseil de gouvernement. Il l’est d’abord à titre d’institution pérenne de l’ordre constitutionnel marocain, il l’est ensuite, à titre d’institution équilibrante dans les changements introduits 32 Didier Maus, précité, p. 81. 33 D. Melloni, précité, p.15. 34 D. Melloni, précité, p. 14. 13
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