Évaluation d'une reconnaissance des langues des signes suisses et des personnes sourdes en tant que minorité en Suisse avec droits étendus en ...

 
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Bref compte rendu

  Évaluation d’une reconnaissance des langues des signes
  suisses et des personnes sourdes en tant que minorité en
  Suisse avec droits étendus en matière de protection et de
                         promotion

                                      rédigé par

le Prof. iur. Kurt Pärli, Nussbaumstrasse 26, 3006 Berne, professeur de droit social privé
        à la faculté de droit de l’université, avec la collaboration de Tarek Naguib,
     Sulgenheimweg 17, 3007 Berne, licencié en droit et collaborateur scientifique à
                        l’Université des sciences appliquées de Zurich

                                   sur mandat de la

                  Fédération suisse des sourds (SGB-FSS)

                           Räffelstrasse 24, 8045 Zurich

                                  Berne, août 2018
Sommaire
SOMMAIRE                                                                                                                                                                     2
I)    SITUATION DE DÉPART, QUESTIONS ET DÉMARCHE MÉTHODOLOGIQUE ............................................... 3

1     Situation de départ                                                                                                                                                     3

2     Questions et procédure ................................................................................................................................................. 4

II)   PROTECTION JURIDIQUE INDIVIDUELLE DE L’UTILISATION DE LA LANGUE DES SIGNES ET DE LA
PRATIQUE DE LA CULTURE DES SOURDS .................................................................................................... 4

1     Liberté de la langue                                                                                                                                                    4

2     Interdiction de la discrimination fondée sur la langue et le handicap...................................................................... 6

3     Droit d’apprendre et de cultiver la langue des signes et la culture des sourds ........................................................ 8

III) PROTECTION DE L’IDENTITÉ LINGUISTIQUE ET DE LA CULTURE DES SOURDS EN DROIT DES MINORITÉS
      9

1     Charte européenne des langues régionales ou minoritaires .................................................................................... 10

2     Convention-cadre européenne pour la protection des minorités nationales .......................................................... 12

3     Recommandations d’Oslo concernant les droits linguistiques des minorités nationales ...................................... 13

IV) PROTECTION CONSTITUTIONNELLE ET JURIDIQUE DES LANGUES NATIONALES, OFFICIELLES ET
LANGUES DE PROMOTION                                                                                                                                                       14

1     Langues nationales selon l’article 4 de la Constitution fédérale ............................................................................. 14

2     Langues officielles selon l’article 70 de la Constitution fédérale ............................................................................ 17

3     Formes originales de la protection constitutionnelle des langues des signes.......................................................... 20

V) RÉPONSES AUX QUESTIONS DE L’EXPERTISE                                                                                                                                   21

1     Question sur la reconnaissance de la langue des signes en tant que langue minoritaire ...................................... 21

2     Question sur la reconnaissance des sourds suisses en tant que minorité nationale ............................................... 22

3     Question concernant la reconnaissance de la langue des signes en tant que langue nationale ............................. 22

BIBLIOGRAPHIE .................................................................................................................................. 23

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I) Situation de départ, questions et démarche méthodologique

1 Situation de départ
    La langue est un moyen de communication et une base pour développer un sentiment
    d’appartenance à des valeurs et à des pratiques culturelles communes1. En Suisse, l’engagement
    en faveur du quadrilinguisme et la protection particulière des quatre langues nationales que sont
    l’allemand, le français, l’italien et le romanche sont considérés comme des éléments constitutifs et
    identitaires de l’État fédéral suisse2. La fonction culturelle et identitaire de la langue est également
    importante pour les minorités, lesquelles dépendent de la culture intensive de la langue pour
    préserver le sentiment d’appartenance et les biens culturels acquis de l’assimilation par la population
    et les langues majoritaire. Comme exemple de minorité, on peut citer les Rhéto-Romans3, dont la
    langue et les expressions idiomatiques bénéficient du statut de langue nationale minoritaire dans la
    Constitution fédérale, avec des mesures de préservation et de promotion particulières4.

    En outre, la protection de la langue est centrale en dehors des langues nationales pour les minorités
    qui sont (ont été) stigmatisées et qui utilisent leur langue entre autres pour se protéger de l’exclusion
    par la population majoritaire et pour cultiver leurs propres coutumes culturelles à travers la langue.
    Comme exemples connus, il y a les Juifs suisses ainsi que les Yéniches, qui ont été reconnus
    comme minorités nationales selon l’accord sur la protection des minorités nationales, et dont les
    langues – le yiddish et le yéniche – sont protégées par la Charte européenne des langues régionales
    ou minoritaires5. La reconnaissance oblige la Suisse à prendre des mesures de protection et de
    promotion.

    Les langues des signes des personnes sourdes en Suisse n’ont pas de statut juridique formel, ni en
    tant que langue nationale, ni en tant que langue minoritaire, et ce malgré la nécessité avérée de
    renforcer les mesures de protection et de promotion des langues des signes et de la culture des
    sourds. Dans leur quotidien, les personnes sourdes doivent faire face à de grands obstacles en
    matière de communication parce que la grande majorité de la population suisse ne comprend pas
    la langue des signes6. Les langues des signes suisses et les langues des signes utilisées par les
    personnes sourdes issues de l’immigration ne sont pas seulement le moyen de communication le
    plus important au sein des communautés sourdes.7 Elles représentent aussi un moyen
    d’identification à la culture des sourds. Dans pratiquement toutes les grandes villes, il existe des
    associations de sourds avec une vie sociale animée. On joue au théâtre ou on fait du sport
    ensemble. Les enfants et les jeunes entrent en contact dans des clubs et peuvent découvrir et
    consolider leur propre identité dans un environnement protégé.

1 Cf. aussi ACHERMANN/KÜNZLI, Welcome to Switzerland, p. 1ss. et 71ss.
2 Cf. détails à ce sujet sous IV.1. Langues nationales selon l’article 4 de la Constitution fédérale.
3 Cf. par exemple les commentaires sur les Rhéto-Romans chez CATHOMAS, Rumantsch Grischun, p. 28ss. ;

CORAY, Romantsch Grischun, p. 3ss. ; BUNDI, Situation des Rätoromanischen.
4 Cf. détails à ce sujet sous IV.1. Langues nationales selon l’article 4 de la Constitution fédérale.
5 Cf. détails sous III) Protection de l’identité linguistique et de la culture des sourds en droit des minorités.

Tandis qu’il était permis aux Juifs de séjourner sur le territoire suisse uniquement dans deux villages du Surbtal
jusqu’en 1866, les Yéniches font l’objet de discrimination encore aujourd’hui.
6 Cf. également FÉDÉRATION SUISSE DES SOURDS, rapport parallèle.
7 Cf. HESSE/LENGWILER, Gehörlose und Gebärdensprache ; BOYES BRAEM, Gebärdensprachen, p. 136-142 ; et

BALL, Sign Language, p. 760ss. a. a. i., p. 778.
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2 Questions et procédure
 L’auteur est chargé par la Fédération suisse des sourds d’établir un bref rapport sur les conditions
 dans lesquelles les langues des signes peuvent être reconnues en Suisse comme langues
 minoritaires ou langue nationale ainsi que sur les possibilités d’amélioration de la situation des
 personnes sourdes déjà offertes par le droit en vigueur.

 Dans une première étape, les principes applicables du droit international et constitutionnel sont
 présentés : la partie II traite de la protection juridique individuelle de l’utilisation de la langue des
 signes et de la pratique de la culture des sourds. La liberté de la langue (1), l’interdiction de la
 discrimination et le droit à l’interprétation ou l’accès en langue des signes (2) qui en découle, de
 même que le droit humain d’apprendre et de cultiver son identité linguistique et la culture des sourds
 (3) sont au cœur de ces principes.

 La partie III traite ensuite de la protection de l’identité linguistique et de la culture des sourds en droit
 des minorités. Les conditions de reconnaissance en tant que langue minoritaire conformément à la
 Charte européenne des langues régionales ou minoritaires (1) et de reconnaissance en tant que
 minorité au sens de la Convention-cadre pour la protection des minorités nationales (2), ainsi que
 les obligations de garantie légale qui en découlent pour la Suisse, sont particulièrement
 intéressantes.

 Pour finir, la partie IV se penche sur la protection constitutionnelle et juridique des langues nationales
 (1) et langues officielles (2), et décrit également les conditions préalables à la reconnaissance et à la
 signification juridique. Les formes originales possibles de la reconnaissance constitutionnelle des
 langues des signes et leur protection en tant que langues de promotion (3) sont également traitées
 dans ce chapitre.

 En se basant sur les résultats obtenus, la partie V a pour but de répondre aux questions posées
 dans cette expertise.

II) Protection juridique individuelle de l’utilisation de la langue des signes
et de la pratique de la culture des sourds

1 Liberté de la langue
 La langue remplit de nombreuses fonctions de base dans la société et dans l’État. Sans langue, il
 n’y a pas de citoyens et citoyennes émancipés, pas de discours public, pas de libre formation de
 l’opinion et de la volonté, pas de démocratie. Outre la protection de la langue dans l’intérêt de la
 société, la langue est également reconnue en tant que droit humain et droit fondamental de la
 formation individuelle de l’opinion. En ce sens, le droit fondamental de la liberté de la langue ancré
 dans l’article 18 de la Constitution fédérale protège la liberté de pouvoir s’exprimer dans n’importe
 quelle langue, tant dans la langue maternelle que dans des autres langues apprises, ainsi que dans
 des langues techniques et artificielles8.

8 ACHERMANN/KÜNZLI, Welcome to Switzerland, p. 72. Expressément nommée comme faisant partie de la

liberté de la langue, la langue des signes est uniquement mentionnée dans l’article 12 de la constitution du
canton de Zurich.
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Est considéré comme « langue » au sens de l’article 18 de la Constitution fédérale tout « ordre plus
    ou moins systématique et complet de signes, de sons et de symboles qui sert à l’interaction entre
    les personnes », c’est-à-dire, outre les langues dites parlées, également les langues visuelles-
    gestuelles comme la langue des signes et les systèmes d’écriture tactile comme le braille9. Le
    Comité de suivi du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels de l’ONU
    a également reconnu la langue des signes comme une langue indépendante. En particulier « dans
    le cas des enfants malentendants (...), la langue des signes doit être reconnue comme une langue
    spéciale à laquelle les enfants doivent avoir accès et dont l’importance doit être reconnue dans leur
    environnement social »10. Avec la CDPH de l’ONU, la langue des signes en tant qu’identité
    linguistique des personnes sourdes s’est concrétisée davantage, comme le montrent les explications
    mentionnées plus bas (sous-chapitre II.3. Droit d’apprendre et de cultiver la langue des signes et la
    culture des sourds)11.

    La liberté de la langue n’est pas illimitée. Elle peut être limitée du moment que l’intérêt public et la
    proportionnalité sont préservés ou elle peut se voir refuser des prestations. Ainsi, la liberté de la
    langue n’accorde pas le droit d’être reconnu comme langue nationale et de communiquer avec les
    autorités dans la langue maternelle et donc pas non plus dans une langue des signes. Dans ce
    domaine, s’appliquent plutôt la réglementation linguistique (cf. IV.1. Langues nationales selon
    l’article 4 de la Constitution fédérale) ou la réglementation des langues officielles (cf. IV.2. Langues
    officielles selon l’art. 70 de la Constitution fédérale) de la liberté de la langue12. En ce qui concerne
    la langue des signes, l’interdiction de la discrimination est donc importante (cf. explications au sous-
    chapitre II.2).

    Par ailleurs, le principe de territorialité implique que la liberté de la langue ne donne pas droit à un
    enseignement gratuit dans une langue scolaire autre que la ou les langues scolaires locales13.
    Toutefois, cela n’a pas d’incidence sur le droit à une traduction appropriée de l’enseignement en
    langue des signes, qui repose directement sur l’interdiction constitutionnelle de la discrimination,
    article 19 de la Constitution fédérale et de la CDPH (cf. explications au sous-chapitre II.4. Interdiction
    de la discrimination fondée sur la langue et le handicap).
    La politique d’intégration, qui sert à protéger les langues minoritaires, constitue un intérêt public
    central dans la restriction de la liberté de la langue, Par exemple, le Tribunal fédéral autorise les
    particuliers à exiger que les enseignes publicitaires se trouvant dans une région de langue rhéto-
    romane soient également rédigées en rhéto-roman afin de préserver les langues nationales en
    danger14. Une autre atteinte admissible à la liberté de la langue (et à d’autres droits fondamentaux)
    dans l’intérêt public de la protection des langues en danger serait l’obligation pour les particuliers de
    traduire en langue des signes, à condition que le principe de proportionnalité soit respecté (cf.
    explications au sous-chapitre II.2. Interdiction de la discrimination fondée sur la langue et le handicap).
    En outre, l’ampleur dans laquelle le contenu juridique objectif de la liberté de la langue exige que l’État
    demande aux particuliers qu’ils garantissent l’interprétation en langue des signes pour les services
    destinés au grand public devrait être examinée plus en détail15.

9 RICHTER, Sprachenordnung, p. 227 ; FLEINER, Sprachenfreiheit, p. 409.
10 CESC, Allgemeiner Kommentar n° 5, chif. 35.
11 CERA, art. 21, commentaire CRPD, p. 397.
12 KÄGI-DIENER, art. 18, St. Galler Kommentar, chif. marg. 21.
13 KÄGI-DIENER, art. 18, St. Galler Kommentar, chif. marg. 22.
14 ATF 116a 345 E. 6.
15 Cf. BS, Vortrag Behindertenrechtegesetz, p. 13.

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2 Interdiction de la discrimination fondée sur la langue et le handicap
 Pour les personnes sourdes, il est important que les informations soient transmises dans la langue
 des signes, car elles remplissent de la même façon des fonctions informatives, émotionnelles et
 sociales. Par conséquent, les personnes sourdes sont exclues d’une participation égale aux activités
 sociales du fait que la communication est en fait basée significativement sur la langue parlée et
 écrite – et qu’elle est donc orientée vers la société majoritaire des entendants. Cela suggère la
 présence d’une discrimination inadmissible au sens de l’art. 8, al. 2 de la Constitution fédérale et
 des fondements pertinents du droit international16. Une discrimination est présumée lorsqu’une
 personne ou un groupe est traité moins favorablement,17 par exemple sur la base de la langue ou
 d’un handicap18, ou lorsqu’un acte ou un règlement formulé de manière neutre conduit à
 désavantager une personne ou un groupe de personnes en raison de la langue ou du handicap19.
 La suspicion de discrimination peut être réfutée si des motifs qualifiés justifient une telle inégalité de
 traitement, c’est-à-dire si les mesures défavorables sont proportionnées et poursuivent donc des
 objectifs admissibles et si le désavantage apparaît approprié, nécessaire et raisonnable par rapport
 à l’objectif poursuivi20.

 En vertu de l’article 5 alinéa 1 et de l’article 2 de la CDPH, une discrimination est supposée quand
 l’accès requis dans un cas particulier, comme des informations en langue des signes, n’est pas mis
 (gratuitement) à la disposition des personnes sourdes. Le refus de fournir une aide ne peut être
 justifié que si les intérêts publics ou privés l’emportent sur les intérêts de l’égalité effective des
 personnes sourdes21. L’État et les entreprises officiellement agréées ne peuvent refuser de fournir
 un service en langue des signes que s’il constitue une charge disproportionnée22. Cela découle de
 l’article 8, alinéa 1 de la Constitution fédérale et de l’article 8 en liaison avec l’article 11 de la Loi sur
 l’égalité pour les handicapés ainsi que directement de l’article 5, alinéa 1 en liaison avec l’article 2
 de la CDPH. En conséquence, un refus n’est justifié que si l’État ou l’entreprise officiellement agréée
 peut démontrer que toutes les mesures ont été prises pour offrir à une personne sourde l’assistance
 nécessaire dans le cas concret en question et équivalente à celle qui aurait été donnée à des
 personnes entendantes. Dans le cas des services publics de base dans les domaines de la santé,
 de l’éducation, de la sécurité sociale ainsi que des droits de procédure, il est pratiquement exclu de
 refuser de fournir un interprète en langue des signes à moins que la communication puisse se faire
 avec d’autres moyens comme par écrit sans entrave23. Dans le cas de services moins importants, il
 peut suffire de garantir une autre forme de communication.

 Les exigences posées aux organisations privées et non officiellement agréées sont moins strictes.
 Toutefois, sur la base de l’article 9 alinéas 1 et 2, lettres e-h24 en liaison avec l’article 30 de la
 CDPH25, la Suisse doit prendre toutes les mesures appropriées pour que les personnes handicapées
 aient accès à la communication et à l’information, au matériel culturel, aux programmes télévisés,
 films, pièces de théâtre et autres activités culturelles en formats accessibles, y compris dans le cadre

16 P. ex art. 2 al. 1 et art. 26 pacte II ONU, art. 2 al. 2 pacte I ONU, art. 14 CEDH, art. 2 al. 1 Convention
relative aux droits de l’enfant et art. 5 Convention relative aux droits des personnes handicapées.
17 BALL, Sign Language, p. 788.
18 KIENER/KÄLIN, Grundrechte, p. 360.
19 ATF 126 II 393.
20 Détails à ce sujet MÜLLER/SCHEFER, Grundrechte, p. 693 s. et 696ss.
21 NAGUIB/ROHNER-KOBI/GISLER, UNO-Behindertenrechtskonvention, p. 18.
22 Grundsätzlich zur Verhältnismässigkeit SCHEFER/HESS-KLEIN, Behindertengleichstellungsrecht, p. 292f.
23 Cf. détails sur la pratique des droits humains, BALL, Sign Language, p. 787ss. a. a. i.
24 Cf. détails SEATZU, art. 9, commentaire CRPD, p. 229ss.
25 Cf. détails MANCA, art. 30, commentaire CRPD, p. 546.

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des services privés offerts au public26. Cela inclut également l’obligation de garantir un droit légal à
 un interprète en langue des signes, ainsi que le sous-titrage et d’autres formes de communication
 qui garantissent un accès non discriminatoire à la participation culturelle. Une action législative
 s’impose en Suisse, car la situation juridique actuelle n’exige pas que les services privés soient
 adaptés aux besoins des personnes handicapées27.

 Le canton de Bâle-Ville étudie actuellement une solution juridique pouvant satisfaire à ces exigences
 fixées dans la CDPH, sur la base d’une proposition du gouvernement du canton de Bâle-Ville
 concernant une loi sur les droits des handicapés. Le paragraphe 6 alinéa 3 prévoit qu’« à la demande
 des personnes handicapées [...], le canton, les communes, les autorités publiques et les prestataires
 de services accessibles au public [garantissent] que l’assistance requise dans un cas concret,
 comme des interprètes en langue des signes [sic], des documents dans une langue compréhensible
 ou des explications orales, soit disponible »28. Cela ne signifie pas que toute organisation privée est
 obligée de proposer dans tous les cas un ou une interprète en langue des signes. La taille de
 l’entreprise joue un rôle dans l’évaluation de la proportionnalité, de même que le type de prestation
 proposée, les possibilités de disposer d’autres prestations comparables ainsi que le nombre de
 personnes sourdes qui utiliseraient ces prestations si elles étaient disponibles.

 Outre l’obligation de créer une interdiction de la discrimination légale, les États Parties de la CDPH
 sont tenus, en se basant sur l’article 21 lettre e en relation avec l’article 30 alinéa 4 de la CDPH,
 d’accorder aux langues des signes pertinentes dans leur propre pays un statut juridique avec des
 obligations de protection et de promotion correspondantes29. Le chapitre IV) La protection
 constitutionnelle des langues nationales et officielles traite de la question de savoir s’il est
 nécessaire, du point de vue de la CDPH, de reconnaître les langues des signes en tant que langues
 nationales ou langues officielles. En cas de reconnaissance d’une langue des signes ayant un rang
 constitutionnel spécifique ou un statut de minorité au regard du droit international, il conviendrait
 également d’examiner dans quelle mesure l’interdiction de la discrimination fondée sur la langue et
 l’origine obligerait la Suisse à prendre des mesures vis-à-vis des personnes sourdes qui ne parlent
 pas l’une des principales langues des signes principales en raison de leur appartenance à une
 famille immigrée.

 En cas de discrimination, des voies de recours doivent être mises à disposition afin de permettre
 aux différentes personnes handicapées et aux associations de se défendre. Il faut ensuite veiller à
 ce que les actes de discrimination et les violations fassent l’objet de réelles enquêtes. Si une violation
 est constatée, les personnes sourdes concernées doivent être dédommagées et/ou réhabilitées sur
 la base de l’obligation de réparation. Il s’agit après, pour les autorités compétentes, d’empêcher
 efficacement les infractions futures, c.-à-d. au moyen de mesures nécessaires et appropriées. Si la
 protection contre la discrimination n’est pas mise en œuvre correctement, il existe envers l’État un
 droit à une indemnisation pour discrimination passive30.

 L’omission, l’élimination et la réparation d’une discrimination ne suffisent pas à éliminer les
 discriminations réelles à l’égard des personnes sourdes. Il est plutôt recommandé de promouvoir de
 façon ciblée spécifiquement les personnes désavantagées ou même de les privilégier par rapport à
 la population majoritaire jusqu’à ce qu’une situation défavorable profondément ancrée dans la

26 BALL, Sign Language, p. 783 a. a. i.
27 Cf. NAGUIB, Diskriminierungsrecht, chif. marg. 642s. et 467s.
28 BS, Vortrag Behindertenrechtegesetz, p. 52.
29 Cf. détails CERA, art. 21, commentaire CRPD, p. 396s.
30 Avec références à la littérature pertinente, cf. NAGUIB/JOHNER-KOBI/GISLER, UNO-

Behindertenrechtskonvention, p. 21.
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société ait été éliminée31. En ce qui concerne les personnes sourdes, il est essentiel de promouvoir
 leur droit à pouvoir prendre soin de leur propre culture et de leur langue au moyen de mesures
 positives.

 3 Droit d’apprendre et de cultiver la langue des signes et la culture des sourds
 L’article 24 de la CDPH de l’ONU oblige les États Parties à veiller à ce que les personnes sourdes
 puissent acquérir des aptitudes pratiques de la vie quotidienne ainsi que des compétences sociales
 afin de faciliter une participation pleine et égale à l’éducation et comme membres de la communauté.
 À cette fin, les États Parties prennent des mesures appropriées pour faciliter l’apprentissage de la
 langue des signes et la promotion de l’identité linguistique des personnes sourdes en se basant sur
 l’article 24, alinéa 3, lettre b. Ils doivent ensuite garantir que les personnes sourdes, en particulier
 les enfants, reçoivent une éducation dans les langues et formes de communication ainsi qu’avec les
 moyens de communication les mieux adaptés à chaque individu, et ce dans un environnement
 permettant le développement social et éducatif le meilleur possible. Conformément à l’alinéa 4, cela
 inclut également l’embauche de main-d’œuvre formée en langue des signes et connaissant bien la
 culture des personnes sourdes32.

 Un coup d’œil à la situation juridique suisse montre que les bases importantes pour la mise en œuvre
 de l’article 24 de la CDPH ont déjà été créées. Sur la base de l’article 19 en liaison avec l’article 8
 alinéa 2 de la Constitution fédérale, les enfants et adolescents sourds ont droit à un enseignement
 inclusif33. Ensuite, conformément à l’article 20 alinéa 3 de la Loi sur l’égalité pour les handicapés,
 les cantons doivent veiller à ce que les enfants et les adolescents qui ont des difficultés de perception
 ou d’articulation ainsi que leur proche entourage puissent apprendre une technique de
 communication adaptée à ces difficultés. Le problème est qu’il n’existe pas de réglementation
 contraignante garantissant que les enfants puissent apprendre les langues des signes le plus tôt
 possible. Cela présuppose également de former suffisamment d’enseignants disposant des
 compétences correspondantes. Par ailleurs, l’obligation de l’article 20 de la Loi sur l’égalité pour les
 handicapés se limite aux enfants et aux adolescents alors que les personnes qui deviennent sourdes
 à l’âge adulte ou qui n’ont pas appris de langue des signes pendant leur enfance ne sont pas prises
 en considération.

 En plus de l’obligation de développer la langue des signes et la culture des sourds, les conventions
 ayant trait aux droits de l’homme contiennent également un droit portant sur la protection de celles-
 ci. Conformément à l’article 27 du Pacte relatif aux droits civils et politiques de l’ONU, les personnes
 appartenant à des minorités ethniques, religieuses ou linguistiques « ne peuvent être privées du
 droit d’avoir, en commun avec les autres membres de leur groupe, leur propre vie culturelle, de
 professer et de pratiquer leur propre religion, ou d’employer leur propre langue. » On parle de
 minorités linguistiques quand des groupes de la population se servent d’une langue différente de
 celle de la majorité et de celle de l’État tant entre eux qu’en public. Il ne s’agit pas obligatoirement
 d’une langue écrite ou orale34. Pour pouvoir répondre à la question de savoir si les langues des
 signes ou les sourds font partie des minorités linguistiques, les États Parties disposent d’une certaine
 marge d’appréciation mais les critères doivent toutefois être objectifs. Tant sur les plans national
 qu’international, il est prouvé que les personnes sourdes se considèrent elles-mêmes comme un

31 ACHERMANN/KÜNZLI, Welcome to Switzerland, p. 77-83.
32 Cf. détails DELLA FINA, art. 24, commentaire CRPD, p. 441ss.
33 SCHEFER/HESS-KLEIN, Behindertengleichstellungsrecht, p. ss.
34 Détails à ce sujet NOWAK, commentaire CCPR, p. chif. marg. 11 -15, 22.

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groupe linguistique et culturel35 et qu’elles remplissent la condition préalable mentionnée à l’article
 27 du Pacte II de l’ONU de vouloir préserver leur propre culture et leur tradition36. De ce fait, selon
 la présente interprétation, les personnes sourdes font également partie d’une minorité linguistique
 et culturelle au sens de l’article 27 du Pacte II de l’ONU37.

 Outre l’obligation de tolérer et de garantir pleinement l’utilisation de la langue des signes et la
 promotion de la culture des sourds, l’article 27 du Pacte II de l’ONU contient également l’obligation
 de protéger les droits des personnes sourdes quant à la promotion et à la préservation de leur culture
 et de leur langue contre les menaces exercées par d’autres groupes de la population38. La condition
 préalable est que, dans les conditions actuelles, les personnes sourdes dépendent d’un soutien actif
 au niveau de leur identité culturelle et linguistique. Dans le cas présent, il n’est pas possible d’évaluer
 de manière concluante dans quelle mesure c’est le cas pour les personnes sourdes en Suisse. Des
 obligations de garantie positives directes sans menace concrète ne peuvent être tirées de l’article
 27 du Pacte II de l’ONU. Cependant, si la Suisse protège activement les minorités, par exemple en
 reconnaissant la langue des signes comme langue minoritaire et les sourds comme minorité
 nationale (cf. III) (Protection de l’identité linguistique et de la culture des sourds en droit des
 minorités), l’article 27 en liaison avec l’interdiction de la discrimination à l’article 2 du Pacte II de
 l’ONU peut donner lieu à des demandes de prestations envers l’État39.

Contrairement à ce qui est écrit à l’article 27 du Pacte II de l’ONU, l’article 30 de la CDPH peut
donner droit à des mesures de promotion de la culture et de la langue des sourds. Conformément à
l’alinéa 4, les personnes handicapées ont droit, « sur la base de l’égalité avec les autres, à la
reconnaissance et au soutien de leur identité culturelle et linguistique spécifique, y compris les
langues des signes et la culture des sourds. » Contrairement à la protection de l’identité linguistique
et de la culture des sourds en droit des minorités (cf. les explications sous 11-13), cette revendication
est moins concrète, c’est-à-dire que la Suisse dispose d’une grande marge de manœuvre dans sa
mise en œuvre40.

 III) Protection de l’identité linguistique et de la culture des sourds en
        droit des minorités
 Les explications précédentes faisaient référence à la protection juridique individuelle de l’utilisation
 de la langue des signes et de la pratique de la culture des sourds comme l’exigent les droits de
 l’homme. En même temps, les références, dans l’article 27 du Pacte II de l’ONU, à l’« entretien

35 Cf. détails à ce sujet p. ex. W ORLD FEDERATION OF THE DEAF, Deaf Communities.
36 Détails à ce sujet NOWAK, commentaire CCPR, chif. marg. 11-15 ; cf. aussi BALL, Sign Language, p. 771f. a.
a. i., qui constate toutefois une certaine insécurité juridique concernant les différents sous-groupes de langues
des signes : « Applying the HRC’s criteira, it cannot acutely be ascertained if all sign languages within a state
will be protected if a state recognizes the Deaf as linguistic community. An argument can certainly be made that
the various language communites formed by the Deaf would benefit more from specific state recognition as
linguistic minority, especially in states with a national sign language. »
37 OCHSE, Deaf Communication, p. 83s. ; Ball, Sign Language, p. 771 donne aussi un argument contre une

reconnaissance : « One list oft he possible objective factors which work best to define a minorty group include
shared communal traits, such as skin lolor or area of residence. Whereas the only common trait, shared by
every single Deaf person is deafness, this trait may place the group outside the classification as linguistic
minority – unless a shared disability is at some point considered an objectiv criterion. ».
38 TOMUSCHAT dans FS-Mosler, p. 974 a.a.i.
39 ERMACORA, Rdc 1983, p. 324.
40 MANCA, art. 30, commentaire CRPD, p. 546 ; d’une manière générale sur la marge d’appréciation lors de la

mise en œuvre des obligations de garantie qui découlent des interdictions de la discrimination en vertu des
droits de l’homme, cf. NAGUIB, Diskriminierungsschutz, p. 919, 922ss.
                                                                                                               9
commun » de sa propre culture et de sa propre langue, et dans l’article 30, alinéa 4 de la CDPH, à
 l’identité culturelle et linguistique des langues des signes et de la culture sourde renvoient à la
 dimension collective de la protection des droits de l’homme. Par conséquent, en plus de ces droits
 auxquels toute personne sourde peut se référer en tant qu’individu, il existe des conventions relatives
 aux droits de l’homme, qui protègent l’identité linguistique et la culture des sourds en tant que droits
 collectifs et qui contiennent un certain nombre d’obligations concrètes de protection et de promotion.
 En font partie :

     •   la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires41 ;

     •   la Convention-cadre européenne pour la protection des minorités nationales42 ;

     •   les recommandations d’Oslo concernant les droits linguistiques des minorités nationales43.

 1 Charte européenne des langues régionales ou minoritaires
 En ratifiant la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires, la Suisse s’est engagée à
 respecter l’utilisation des langues minoritaires dans la vie publique et privée et à la soutenir
 activement par le biais de programmes dans les domaines de l’éducation, de la justice, de
 l’administration et de la presse44. Une langue régionale ou minoritaire est une langue
 traditionnellement utilisée par les citoyens et les citoyennes suisses, mais qui diffère des langues
 officielles et de leurs dialectes. Les langues minoritaires de Suisse couvertes et protégées par la
 Charte sont l’allemand à Bosco-Gurin (Walser), l’allemand à Ederswiler dans le canton du Jura,
 l’italien dans les Grisons et le Tessin, ainsi que et le romanche45. La Charte des langues protège
 aussi les langues dites « dépourvues de territoire », soit des langues indigènes qui ne peuvent pas
 être attribuées à un territoire spécifique. En Suisse, il s’agit du yiddish et du yéniche46.

 Jusqu’à présent, aucun pays n’a reconnu la langue des signes comme langue minoritaire47.
 Néanmoins, la reconnaissance de la Deutschschweizer Gebärdensprache, de la Langue des Signes
 Française et de la Lingua Italiana dei Segni est possible en vertu des articles 1 et 3 de la Charte des
 langues. Ainsi, les débuts de l’enseignement des sourds en Suisse remontent à la fin du 18e siècle.
 Par ailleurs, les sourds suisses forment un groupe ayant sa propre culture et sa propre identité, dont
 le nombre de membres estimé à 10 000 personnes complètement sourdes est inférieur à celui du
 reste de la population suisse, répondant ainsi aux conditions préalables posées à une langue
 minoritaire48. Ensuite, les langues des signes ne sont pas expressément reconnues comme langue
 officielle ni même comme langue nationale. La mesure dans laquelle une telle reconnaissance serait
 implicite, juridiquement fondée ou judicieuse politiquement est expliquée dans IV) La protection
 constitutionnelle des langues nationales et officielles.

 Le rejet d’une demande de reconnaissance par les sourds et leurs organisations d’intérêt violerait,
 selon la présente interprétation, l’interdiction constitutionnelle de la discrimination fondée sur le

41 RS 0.441.2.
42 RS 0.441.1.
43 Consultable sous https ://www.osce.org/hcnm/oslo-recommendations(accès le : 08.08.2018).
44 Détails sur le champ d’application et sur les obligations de la Charte, cf. BOYSEN ET AL. (éd.), commentaire

Charte des langues.
45 Cf. 2. Rapport de la Suisse sur la Charte des langues, p. 12s.
46 Cf. 2. Rapport de la Suisse sur la Charte des langues, p. 12s.
47 Pour un aperçu https ://www.coe.int/en/web/conventions/full-list/-

/conventions/treaty/148/declarations ?p_auth=0B4KnhAe (accès : 03.08.2018).
48 Détails sur l’histoire HESS/LENGWILER, Gebärdensprache, en particulier p. 20ss.

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handicap. Ainsi, en ce qui concerne les trois langues des signes, le besoin de protection est au
 moins aussi important que celui des langues orales et écrites déjà reconnues comme langues
 minoritaires. Par ailleurs, l’enracinement des trois langues des signes mentionnées et de leurs
 dialectes en Suisse est comparable à celui des langues orales et écrites allemande, française et
 italienne ainsi qu’à celui du yéniche et du yiddish. En outre, il convient aussi de prendre en compte
 les langues des signes qui sont utilisées par les communautés de sourds, qui n’appartiennent pas à
 la majorité des trois groupes suisses de langues49.

 Avec une reconnaissance, la Suisse s’engagerait, dans les domaines où la langue des signes suisse
 alémanique, française et italienne est utilisée, à poursuivre, en matière de politique, de législation et
 de pratique, les objectifs et les principes ci-dessous énoncés à l’article 7 en tenant compte de la
 situation de chaque langue des signes :

        •   Reconnaissance des langues des signes comme expression de la richesse culturelle (lettre
            a) ;

        •   Garantie que les différentes autorités n’entravent pas la promotion des langues des signes
            (lettre b) ;

        •   Action résolue de promotion des langues des signes (lettre c) ;
        •   Facilitation de l’utilisation de la langue des signes dans la vie publique et dans le domaine
            privé (lettre d) ;

        •   Maintien et développement de relations entre les personnes sourdes et les personnes
            entendantes, établissement de relations culturelles entre elles (lettre e) et promotion du
            respect, de la compréhension et de la tolérance (al. 3) ;

        •   Mise à disposition de moyens permettant aux personnes sourdes d’apprendre les langues
            des signes si elles le souhaitent (lettre g) ;

        •   Promotion des études et de la recherche sur les langues des signes dans les universités ou
            les établissements équivalents (lettre h) ;

        •   Promotion des formes appropriées d’échanges entre les personnes sourdes ayant des
            langues des signes différentes (lettre i).

 Outre les obligations décrites, la Suisse doit appliquer au moins 35 autres alinéas ou lettres, dont :
 au moins trois alinéas ou lettres de l’article 8 Enseignement ; au moins un alinéa ou lettre de l’article
 9 Justice ; au moins un alinéa ou lettre de l’article 10 Autorités administratives et services publics ;
 au moins un alinéa ou lettre de l’article 11 Médias ; au moins trois alinéas ou lettres de l’article 12
 Activités et équipements culturels ; au moins un alinéa ou lettre de l’article 13 Vie économique et
 sociale. Lors de la détermination de leur politique, les autorités prennent en considération les besoins
 et souhaits exprimés par les personnes sourdes à cet égard (al. 4). Le problème de cette « pick and
 choose approach » est que la libre appréciation de l’État permet de laisser de côté des domaines
 importants de la protection de la Charte50.

49   Pour les questions de nature juridique et les défis, cf. BALL, Sign Languages, p. 760ss.
50   BALL, Sign Language, p. 776-778 a. a. i.
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2 Convention-cadre européenne pour la protection des minorités nationales
 En tant que membre de la Convention-cadre européenne pour la protection des minorités nationales,
 la Suisse est tenue de permettre aux membres d’une minorité nationale reconnue par elle de jouir
 d’une égalité complète et effective dans tous les domaines de la vie économique, sociale, politique
 et culturelle au moyen des mesures nécessaires appropriées51. Ainsi, toute personne appartenant à
 une minorité nationale peut décider librement si elle souhaite être traitée ainsi ou pas52.

 Dans l’ébauche de procès-verbal complémentaire de la CEDH relatif à la protection des minorités
 nationales53 qui n’a pas abouti, est considéré comme minorité nationale un groupe de personnes
 qui :

     •   résident sur le territoire d’un État et sont citoyens ou citoyennes de cet État,

     •   ont un lien de longue date, durable et solide avec cet État,

     •   présentent des caractéristiques ethniques, culturelles, religieuses ou linguistiques
         particulières

     •   sont suffisamment représentatives bien que leur nombre soit inférieur à celui du reste de la
         population de cet État ou d’une région de cet État, et qui

     •   ont la volonté de préserver ensemble les caractéristiques de leur identité.

 La Suisse s’appuie sur cette définition dans la déclaration qu’elle a faite à l’occasion de la ratification
 de la convention-cadre pour la protection des minorités nationales. Par conséquent, elle désigne
 comme minorités nationales dans le sens de la convention-cadre les groupes qui « sont
 numériquement inférieurs au reste de la population du pays ou d’un canton, sont de nationalité
 suisse, entretiennent des liens anciens, solides et durables avec la Suisse et sont animés de la
 volonté de préserver ensemble ce qui fait leur identité commune, notamment leur culture, leurs
 traditions, leur religion ou leur langue. »

 En Suisse, les groupes de population parlant le français, l’italien et le romanche ont jusqu’à présent
 été placés sous la protection de la convention. En outre, les communautés juives ainsi que celle des
 Yéniches et des Sinti ont été reconnues comme minorités nationales. En revanche, le Conseil fédéral
 a rejeté le 1er juin 2018 la demande de deux organisations roms suisses qui souhaitaient que la
 langue rom soit reconnue comme langues minoritaires ( ?) nationales. Il justifie sa décision par le
 fait que, selon lui, la citoyenneté suisse et la volonté de préserver l’identité collective ne sont pas
 suffisamment documentées. Le problème avec l’interprétation du Conseil fédéral est que le critère
 « qu’une minorité nationale doit entretenir des relations anciennes, solides et durables avec la
 Suisse » tient trop peu compte de la réalité d’une Suisse dynamique et est donc arbitraire et inadapté
 pour l’avenir.

 Malgré une compréhension étroite de plus en plus critiquée dans la littérature juridique, une
 proposition des sourds suisses et de leurs organisations d’intérêt pour la reconnaissance des sourds

51 Art. 4.
52 Art. 3 al. 1.
53 Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, rés.1201 (1993) : Proposal for an Additional Protocol to the

EHCR concerning belonging to National Minorities, 01.02.1993 ; détails ANGST, Minderheiten, en particulier p.
9.
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suisses en tant que minorité nationale a de bonnes chances de succès54. Comme déjà évoqué, les
 sourds suisses constituent un « groupe numériquement inférieur » avec « la nationalité suisse », qui
 a depuis longtemps une relation avérée solide et durable avec la Suisse. Par ailleurs, les sourds
 suisses ont un fort sentiment d’appartenance fondé sur une volonté et une tradition renforcées de
 « préserver ce qui constitue leur identité commune », à savoir la culture des langues des signes en
 tant que langues indépendantes, y compris leurs dialectes et l’échange culturel étroit avec des
 traditions communes55.

 Les conséquences d’une reconnaissance en tant que minorités nationales signifieraient que la
 Deutschschweizer Gebärdensprache, la Langue des Signes Française et la Lingua Italiana dei Segni
 ne seraient plus considérées comme des langues territorialement liées auxquelles on attribuerait
 des mesures de promotion spécifiques. Par ailleurs, la reconnaissance obligerait la Suisse, d’une
 manière générale, à promouvoir les conditions pour la préservation et le développement de l’identité
 linguistique et de la culture des sourds. Ensuite, des mesures de sensibilisation à l’histoire, à la
 culture et par rapport à l’injustice que subissent les personnes sourdes devraient être prises dans le
 domaine de l’éducation. Par rapport à la Charte des langues, les mesures nommées dans la
 convention-cadre sont toutefois beaucoup moins définies56. De ce fait, les obligations que la Suisse
 devrait suivre seraient plutôt de nature générale, à savoir :

     •   Lutte contre la discrimination des sourds, leur identité linguistique et leur culture ;

     •   Encouragement de l’égalité complète et effective entre la majorité entendante et les
         minorités sourdes ;

     •   Préservation et promotion de la culture et de l’identité culturelle des sourds ;

     •   Garantie de la liberté d’expression des personnes sourdes.

 Les dispositions de la convention-cadre qui règlent l’utilisation de la langue entre les personnes et
 les autorités administratives s’appliquent sans préjudice des principes définis par la Confédération
 et les cantons lors de la détermination des langues officielles (cf. IV.2) Langues officielles selon l’art.
 70 de la Constitution fédérale).

 3 Recommandations d’Oslo concernant les droits linguistiques des minorités
 nationales
 Par ailleurs, les recommandations d’Oslo de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en
 Europe (OSCE) concernant les droits linguistiques des minorités nationales présentent un intérêt
 potentiel pour les sourds57. Elles comprennent, entre autres, le droit de communiquer avec les
 autorités dans la langue minoritaire et incitent les États Parties à proposer les services publics
 également dans cette langue58. Toutefois, selon le libellé, ces dispositions ne sont valables que dans
 des régions comportant un nombre significatif de membres d’une langue minoritaire59. Par rapport à
 la Charte des langues et à la convention-cadre sur les minorités et malgré toute une série de
 mesures préventives de protection contre la discrimination dans le domaine d’application de la liberté

54 Cf. argumentation détaillée et justification des raisons pour lesquelles les sourds doivent être reconnus
comme des minorités chez LANE, Deaf-World, p. 291ss. ; et SKUTNABB-KANGAS, Deaf.
55 Cf. HESSE/LENGWILER, Gebärdensprache in der Schweiz, p. 20-22, p. 30ss.
56 Détails sur les obligations, cf. HOFMANN, Rahmenübereinkommen, p. 68ss.
57 Cf. https ://www.osce.org/hcnm/oslo-recommendations ?download=true(accès : 03.08.2018).
58 Chif. 14 Recommandations d’Oslo.
59 ACHERMANN/KÜNZLI, Welcome to Switzerland, p. 66.

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d’organisation et de réunion, de la liberté des médias et de la vie économique, les recommandations
 d’Oslo sont d’une importance secondaire pour les personnes sourdes de Suisse compte tenu de
 l’absence de caractère contraignant.

 IV) Protection constitutionnelle et juridique des langues nationales,
       officielles et langues de promotion
 Contrairement à la liberté linguistique et à l’interdiction de la discrimination, les réglementations en
 matière de langues nationales et officielles ne contiennent en premier lieu pas de droits individuels
 mais servent à garantir la cohésion politique de la Suisse en tant que nation issue d’une volonté et
 de la communication officielle. Il s’agit de donner délibérément la priorité aux langues de la société
 dite majoritaire qualitative et non, comme dans les traités internationaux décrits, de protéger les
 langues minoritaires.

 Les langues des signes suisses n’ont pas de statut explicite de langues nationales ou officielles.
 Dans la Constitution, elles ne sont pas non plus mentionnées comme des langues ayant un statut
 original, comme c’est le cas dans d’autres pays60. Les explications suivantes examinent les
 capacités offertes par la protection des langues des signes en tant que langues nationales et langues
 officielles ou langues ayant un statut de promotion propre.

 1 Langues nationales selon l’article 4 de la Constitution fédérale
 En désignant le romanche, l’italien, le français et l’allemand comme langues nationales, la
 Constitution souligne le fait que la Suisse est un État composé de quatre groupes linguistiques et
 culturels61. Le fait que les différentes langues nationales soient réparties différemment selon le
 territoire et que les groupes linguistiques soient de taille diverse au sein de la population est d’une
 importance secondaire. Ce qui est plus décisif, c’est le fait que le quadrilinguisme ait une signification
 constitutive et identitaire pour l’État fédéral suisse en tant qu’unité politico-juridique. À la différence
 d’autres nations, il n’est pas le produit de la communion de la langue mais est issu de la volonté
 commune de peuples parlant différentes langues de préserver et de défendre ensemble la liberté et
 l’appartenance acquises au cours de leur destinée.

 Dans l’enseignement juridique, il est unanimement admis que la notion de langue nationale doit être
 comprise de manière générale et globale62. Sont considérées comme langues nationales au sens
 de l’article 4 de la Constitution fédérale les langues allemande, française, italienne et romanche
 parlées dans leur région linguistique respective sous toutes leurs formes, en langue de haut niveau
 ou standard, tant dans une forme écrite ou orale, de même que dans les dialectes correspondants.
 Cette approche globale permet de conclure que la Deutschschweizer Gebärdensprache, la Langue
 des Signes Française et la Lingua Italiana dei Segni doivent également être regroupées sous le
 terme de langue nationale au sens large, y compris les dialectes qui se sont aussi développés dans
 le cadre des langues des signes63.

60 Cf. détails au sous-chapitre IV.3. Formes originales de la protection constitutionnelle des langues des signes.
61 Cf. détails GUCKELBERGER, Sprachenrecht, p. 615ss.
62 KÄGI-DIENER, art. 4, St. Galler Kommentar, chif. marg. 1ss.
63 Globalement sur la question de la reconnaissance de plusieurs langues des signes en tant que langues

nationales, cf. Ball, Sign Languages, p. 760ss. a. a. i.
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