LES ENJEUX SOCIAUX ET POLITIQUES DE LA PROPAGATION DU SIDA ET DES ÉPIZOOTIES EN AFRIQUE
←
→
Transcription du contenu de la page
Si votre navigateur ne rend pas la page correctement, lisez s'il vous plaît le contenu de la page ci-dessous
LES ENJEUX SOCIAUX ET POLITIQUES DE LA PROPAGATION DU SIDA ET DES ÉPIZOOTIES EN AFRIQUE SYNTHESE Observatoire Européen de Géopolitique (OEG) Auteurs : J.P. Raison, B. Perry, J. Marie, D. Blanchon Décembre 2001 Le contenu de cette synthèse n'engage que son auteur
NOTE DE SYNTHÈSE Une situation dramatique Il convient de situer très clairement ce tragique problème dans une optique économique, sociale et politique, bref dans une perspective de “ développement ” ou, si l’on préfère, de “ développement du sous-développement ”. Chacun sait le fossé qui existe, en matière de propagation et de traitement du SIDA, entre le monde “ riche ” et le monde “ pauvre ”. Dans le premier cas, on peut évoquer une endémie somme toute cantonnée, suivie de près, et qui, compte tenu des ressources disponibles, mais aussi des structures sociales, peut être soignée et prévenue. On en est fort loin dans le Tiers Monde, et tout particulièrement en Afrique, qui peut être, là encore, présentée comme un “ continent maudit ”. À l’échelle du continent africain, les pays semblent très inégalement frappés, comme en témoigne la carte de la prévalence du VIH. Au nord du Sahara comme au Sahel (avec l’exception du Burkina), les taux sont faibles ; ils resteraient modérés dans une partie de l’Afrique centrale, selon une diagonale allant du Soudan à l’Angola. Par contre, on note des taux plus élevés dans les pays du golfe de Guinée et dans l’ancienne AEF, Tchad mis à part. Mais l’Afrique du VIH/SIDA serait fondamentalement un grand ensemble couvrant la totalité de l’Afrique orientale (la première atteinte) et de l’Afrique australe. Cette carte ne manque pas de poser un certain nombre de questions au géographe, voire au géopoliticien. Si l’on fait confiance aux données, les interrogations se pressent. Aucun rapport, en particulier, n’apparaît, voire au contraire, avec la géographie des guerres civiles ou internationalisées : de forts taux de prévalence au Rwanda, au Congo-Brazzaville et au Mozambique (mais dans ces deux derniers cas, d’autres explications peuvent être proposées), des taux faibles dans l’ex-Zaïre et en Sierra Leone, ou très faibles en Angola, au Liberia, au Soudan, au Tchad… Cela paraît contredire les témoignages qualitatifs (discutables d’ailleurs eux aussi) et, nous y reviendrons, cela semblerait mettre en cause la relation classique entre guerres et épidémies. On pourrait objecter que la maladie n’intervient qu’avec un temps, parfois considérable, de retard : l’objection n’est guère valable, s’agissant de la prévalence du VIH et non du SIDA lui-même. Il n’apparaît pas plus de relation claire entre degré d’urbanisation et niveau de prévalence : fortement atteinte, l’Afrique australe est une Afrique largement urbaine, tout comme le Congo-Brazza ou la RCA, fortement touchés aussi, mais ce n’est pas le cas du Kenya, ni a fortiori du Rwanda et du Burundi tout aussi frappés. Malgré son taux d’urbanisation assez élevé, le Sénégal est peu concerné.
2 Qu’en est-il des relations entre VIH et densités ? Les taux élevés concernent des pays très denses (le Rwanda) comme des pays peu peuplés (Botswana). Une partie des interrogations pourrait sans doute disparaître si l’on combinait les facteurs, et si l’on pouvait raisonner à une échelle plus grande que celle des États. La densité moyenne du Botswana est dérisoire, mais la population est très concentrée sur les marges orientales ; il en va de même pour la Zambie, où la population, fortement urbanisée, se concentre sur le Copper Belt et l’axe du chemin de fer ; le Kenya est médiocrement peuplé en moyenne, mais il comporte des poches de densité rurale extrêmement élevées. On tendrait alors à mettre en rapport fort niveau de prévalence et forts niveaux locaux de concentration de la population, qu’il s’agisse de campagnes “ surpeuplées ” ou de cités entourées de périphéries sous-peuplées. Mais que penser, entre autres, de la relative immunité du Sénégal, malgré l’importance de l’agglomération dakaroise ? On peut s’interroger encore sur les relations entre le niveau d’infection et des caractères plus globaux de civilisation, aux divers sens du terme. Que penser, ainsi, des relations avec les religions dominantes ? faut-il opposer une Afrique musulmane, peu atteinte, et une Afrique plus christianisée, beaucoup plus frappée ? La foi n’est pas en cause, mais les structures sociales liées à une civilisation “ marquée ” par une religion peuvent intervenir : qu’en est-il par exemple de la partielle remise en cause des structures “ traditionnelles ” par le christianisme ? On a souvent évoqué les relations entre propagation de la maladie et mobilité. À l’évidence, toute mobilité n’est pas favorable à l’expansion du VIH/SIDA : le cas des zones pastorales sahéliennes, peu atteintes, est de ce point de vue probant. Ce qui entrerait en jeu serait bien davantage les formes “ modernes ” de la migration : exode rural, travail temporaire dans les mines ou sur les chantiers, voire départs vers des fronts pionniers agricoles ou déplacements de réfugiés. La liaison entre ces mobilités et l’expansion de l’endémie conduit à présenter, d’une certaine manière le VIH/SIDA comme une maladie, voire une malédiction, de la modernité. Mais, au fur et à mesure que le mal se répand, l’explication devient plus complexe. Dans les premiers temps, le SIDA a été vu comme la maladie de la frange, réduite, de population active qualifiée, souvent employée dans le secteur “ formel ”, à niveau de vie relativement élevé (d’où l’entretien de deuxième, troisième ou quatrième “ bureaux ”, “ femmes faciles ”, “ réservoirs ” de virus) et en relation avec le monde extérieur. On évoquait déjà, en conséquence, le coût économique du mal, par la perte de générations formées à haut prix ; mais on minimisait l’importance démographique du phénomène et l’on raisonnait comme si le VIH/SIDA était un mal frappant, à l’instar du monde “ industriel ” un isolat social (ici les cadres ; ailleurs les communautés d’homosexuels ou les drogués). Dans un deuxième temps, se “ popularisant ” en quelque sorte, la maladie a été vue comme celle de l’Afrique qui bouge, le long des routes : commerçants, trafiquants, conducteurs de poids lourds sur les grands axes routiers. L’image de l’Ouganda, où les taux de prévalence atteignaient leur
3 maximum sur le grand axe routier du Kenya au Rwanda, tandis que les campagnes plus éloignées paraissaient indemnes, a certainement marqué les esprits. Il s’agit au fond d’une variante de l’opposition classique entre villes et campagnes, de la “ diabolisation ” des villes telle qu’elle pouvait exister aux temps coloniaux. C’est aussi une référence à la croyance, ancrée dans tant de sociétés et pas seulement africaines, que le mal vient d’ailleurs, de l’étranger, qui est toujours peu ou prou un ennemi, un sorcier potentiel. L’expansion foudroyante de la maladie en Afrique australe, son caractère de “ maladie de masse ” ne s’inscrit pas nécessairement en faux contre ce type d’explication. L’Afrique australe, Afrique des mines, voire de l’industrie, est la partie du continent où les migrations temporaires, souvent internationales, ont pris le plus d’importance, ont le plus déstructuré les sociétés, à tel point que, en Afrique du Sud en tout cas, on peut se demander s’il existe encore des ruraux, si le terme d’exode rural a un sens, si, sous des formes très diverses, les migrations ne sont pas toujours, en définitive, des migrations urbaines. La ville n’est pourtant pas seule en cause : les migrations rurales pourraient avoir le même effet, si l’on en juge par les niveaux de prévalence élevés, pour l’Afrique de l’Ouest, de la Côte d’Ivoire et de son traditionnel pourvoyeur de main-d’œuvre, le Burkina : les fronts pionniers en zone forestière ne paraissent guère moins touchés que les villes. C’est l’Afrique des migrations de jeunes célibataires, ou d’hommes (parfois de femmes seules), des ménages éclatés, une femme à la ville une autre à la campagne. L’Afrique de l’aventure, et d’un relatif éloignement des structures “ traditionnelles ”, des usages qu’on pensait bien ancrés. La mobilité à soi seule ne saurait être toutefois une explication satisfaisante : elle opère parce qu’elle s’assortit d’une remise en cause de structures d’encadrement qui pouvaient instaurer des règles de conduite protectrices, notamment contre les maladies sexuellement transmissibles. Ces règles n’existaient pas toujours, ou n’étaient pas partout efficaces, et sans doute serait-il intéressant de reprendre les études, il est vrai déjà anciennes, sur les variations “ ethniques ” dans la transmission des MST, pour les confronter avec les données sur les disparités géographiques dans l’expansion du VIH/SIDA. On peut, somme toute, émettre au moins l’hypothèse qu’il existe des “ systèmes migratoires ”, avec des rythmes différents, des ampleurs diverses, des relations variées au pays d’accueil et au territoire d’origine et qu’une bonne connaissance de ces systèmes pourrait éclairer sur l’ampleur et la vitesse d’expansion de la prévalence au VIH. Mais force est de reconnaître qu’on est, en ce domaine, assez peu avancé. Quoi qu’il en soit la dimension sociale est à l’évidence cruciale avec ce point majeur : si l’on ne peut dire qu’elle soit la cause majeure d’expansion de la maladie, la position “ entre deux mondes ”, “ un pied en ville, un pied à la campagne ” d’une très large partie, voire de la majorité des victimes impose, pour une action sanitaire efficace, de mobiliser une grande variété d’acteurs sociaux, d’“ encadrements ” de la société en des lieux très divers.
4 Des conséquences économiques et sociales destructurantes Les conséquences de l’expansion du VIH/SIDA sont plus faciles à cerner et elles sont extrêmement inquiétantes. Le travail de David Blanchon sur l’Afrique du Sud montre vers quel effondrement de l’espérance de vie (de 63 ans à 41 ans) conduisent à quinze ans de délai les tendances actuelles, combien serait modifiée la pyramide des âges, où les catégories les plus actives et les jeunes verraient leur proportion brutalement diminuer. La structure par âges de l’Afrique du Sud retrouverait ainsi des aspects assez proches de ceux des temps coloniaux, avant le démarrage de la transition démographique. Le risque de pénurie est particulièrement grand pour la main-d’œuvre qualifiée, qui reste rare, ce qui pourrait provoquer de nouveaux flux de migrations. On considère que cela devrait concerner particulièrement l’Afrique du Sud où, de fait, l’immigration internationale (notamment des pays francophones) s’est largement développée. On assisterait, en situation de manque, à une polarisation de la population active sur les régions les mieux dotées. Les contrastes de peuplement dans le sub- continent pourraient ainsi s’accentuer. Les faits sont en réalité plus complexes. L’immigration internationale (hors du cas l’Afrique australe) vers l’Afrique du Sud, quoique récente, ne paraît que lâchement corrélée aux effets de l’UHV/SIDA ; elle traduit plus simplement l’attraction d’un pays qui, aux normes africaines, paraît riche et bien équipé pour les citoyens d’États en crise profonde. Il est peu probable que de tels mouvements se produisent à grande échelle, faute tout simplement de réservoirs pour les alimenter. Il est sûr que la main-d’œuvre, surtout la main-d’œuvre qualifiée et jeune va se raréfier, mais il faut considérer qu’elle est déjà rare, proportionnellement, depuis plusieurs lustres, conséquence de la forte croissance démographique, par augmentation de la proportion des personnes âgées et des jeunes non actifs. HIV/SIDA va, de ce point de vue, aggraver sensiblement une situation qui, en l’absence de progrès sensibles de productivité, est une dramatique entrave au développement. Il abaissera les densités certes, à terme, mais, dans le futur prévisible, il ne ramènera pas à la case départ, notamment dans le monde rural. Les densités ont plus que quadruplé dans la quasi-totalité des pays africains et, malgré l’exode rural, l’espace s’est rempli, a été approprié (fût-ce sous des formes floues). Les paysanneries ont acquis de nouveaux savoir-faire. Dans ces conditions, il n’est plus concevable de retourner à des pratiques agricoles extensives, qui pourtant assurent mieux la rémunération d’un travail rare. Les effets de cette situation démographique sur la production sont évidents. Sensibles dans le secteur « moderne », ils le sont également dans un certain nombre de campagnes, en Afrique australe, dans le secteur de l’agriculture vivrière, mais aussi déjà en Côte d’Ivoire. Les données chiffrées qui sont citées sont si impressionnantes qu’elles étonnent quelque peu, mais la tendance n’est pas niable, particulièrement pour l’Afrique australe (dont l’agriculture familiale est essentiellement le fait des femmes, moins largement “ urbanisées ”, mais particulièrement touchées par la maladie), et ce fait peut avoir des conséquences très graves pour l’approvisionnement des villes, élément essentiel
5 du dynamisme des agricultures. On peut voir là une conséquence fâcheuse de ce va-et-vient, de cette étroite symbiose entre villes et campagnes, par ailleurs très positive en ce qu’elle a favorisé la modernisation agricole, assuré aux agriculteurs des marchés et aux citadins une nourriture à prix raisonnable. Les effets de l’endémo-épidémie sur les sociétés sont sans doute plus considérables encore. Le plus directement lié à la démographie est l’augmentation foudroyante du nombre des orphelins pratiquement coupés de toute famille, déscolarisés et sans avenir. Ces jeunes contribuent à la multiplication des gangs juvéniles qui caractérisent de plus en plus les grandes métropoles et ils sont un élément important de l’insécurité urbaine. À coup sûr aussi, les orphelins grossissent aussi les effectifs des “ enfants soldats ” des guerres civiles actuelles. Leur nombre grandissant est aussi un indice du degré de dégradation des solidarités familiales qui sont, aujourd’hui, très gravement mises à mal. Un faisceau de causes va dans le sens d’un affaiblissement de solidarités qui ont longtemps efficacement contribué à tamponner les crises et donc accroît l’insécurité individuelle et collective. Au mieux (socialement parlant, car ce faisant il tente de maintenir sa cohésion), le groupe nie le problème sanitaire, ce qui nuit à la prévention ; au pire, il procède à la ségrégation, à la mise en ghetto des éléments atteints et de leurs proches. La fragmentation sociale analysée dans l’étude parallèle concernant les villes trouve là aussi sans doute l’une de ses causes. On ne saurait pour autant voir dans l’endémo-épidémie HIV/SIDA un facteur d’atomisation systématique de la société. Il reste plus que des traces des structures de solidarité anciennes, mais d’autre part le malheur suscite la recherche d’autres relations, d’autres solidarités. Ce sont bien sûr celles des groupes de réprouvés, avec leurs formes nihilistes, illégales ou criminelles. Mais ce sont aussi, anciennes (plus ou moins rénovées) ou nouvelles, toutes les formes de structures du religieux. Il faudrait sans doute ici, pour pousser l’analyse, procéder à une réflexion psycho-sociologique qui dépasse mes compétences. Du moins peut-on faire quelques remarques. Les caractères particuliers de l’épidémiologie du HIV/SIDA ne peuvent manquer d’avoir des effets sur les attitudes psychologiques et les comportements sociaux. À supposer même que soient admises par la population les origines objectives de la séropositivité, comment comprendre ce qui est aléatoire, la très inégale durée d’infection sans maladie, puis l’apparition du mal sous forme de maladies variées (même si certaines dominent) et déjà connues ? L’interprétation “ logique ” en quelque sorte, est construite en termes de malheur, malédiction, sorcellerie, et les remèdes, en l’absence très générale de médications trop coûteuses, ressortissent du même registre : recours à la “ magie blanche ” dans le registre dit “ traditionnel ” d’une part, recours à des formes nouvelles du religieux dans les multiples sectes d’inspiration plus ou moins chrétienne de l’autre. Ici encore HIV/SIDA n’est qu’un facteur d’une tendance générale qui trouve racine globalement dans le malheur des temps.
6 D’une certaine manière, ce développement de nouvelles structures sociales peut être considéré comme un facteur de sécurisation. Nombre de ces structures sont toutefois susceptibles de 1 développer, ou au moins d’encourager des réactions d’hostilité à l’étranger, même au “ Blanc ” : HIV/SIDA est assez souvent considéré comme une maladie d’importation, diffusée par les Blancs (qui eux, ont les moyens de se soigner), certains allant jusqu’à penser qu’ils ont trouvé là une manière de réduire la population africaine, voire de reconquérir le continent. Sans doute ne faut-il pas accorder trop d’importance à cela, mais on peut par contre craindre que se développent, comme cela fut observé à la suite de certaines grandes épidémies, touchant notamment le troupeau bovin, des mouvements millénaristes, largement suicidaires, mais qui ne pourraient qu’accroître trouble et 2 insécurité . Luttes contre l’épidémie et mouvement social Une action efficace n’est concevable que si la société s’unit pour lutter contre la maladie. Rappelons quelques constatations de l’auteur. Les conditions nécessaires à une prévention efficace sont : - une volonté et un leadership politiques, ce qui suppose, cas pas toujours réalisé loin de là, l’existence d’un État qui ne soit pas une simple façade. - une “ ouverture ” sociale et la volonté de lutter contre la stigmatisation des malades. On en est généralement fort loin : la solidarité est loin d’être de règle et trop souvent les personnes atteintes sont mises au ban de la société. Le consensus social n’est pas réalisé sur les comportements à moindre risque. - une réponse stratégique. Il y a nécessité d’un plan national de lutte contre le SIDA, impliquant tout un éventail d’acteurs, gouvernement, société civile, ONG, médias, secteur privé et (s’il y a lieu), donateurs. Bref, le préalable est un dialogue entre État et société civile, au sens strict du terme une “ gouvernance ” dans laquelle l’état intervient comme médiateur, coordinateur. Mais la “ bonne gouvernance ” dépasse rarement le stade des slogans à la mode… - des actions à assise communautaire : c’est au sein de la communauté que se décide l’issue de l’épidémie de SIDA et c’est pourquoi les actions contre le VIH sont en premier lieu locales: elles supposent la participation des individus là où ils vivent, dans leurs foyers, leurs quartiers et leurs lieux de travail. Encore faudrait-il pouvoir définir le “ local ” dans un contexte de mouvement (notamment ville-campagne), de remise en question des structures, de redéfinition des solidarités. - la réforme des politiques sociales pour réduire la vulnérabilité. Pour être efficaces, les programmes de réduction des risques doivent être conçus et mis en œuvre en synergie avec d’autres programmes dont le but, à court et à long termes, est d’améliorer la capacité et l’autonomie des personnes particulièrement vulnérables à l’infection par le VIH. C’est poser, en fait, le problème d’une
7 action ciblant “ les plus pauvres des pauvres ”, comme élément essentiel d’une politique de développement. Au-delà des proclamations de principe, on peut avoir des doutes sur les réalités. -une action soutenue et à long terme : donc une stabilité politique et une continuité des politiques. Elle est loin d’être de règle. On a donc, hélas, de bons motifs d’être pessimiste et de craindre que les plus mauvais scénarios soient ceux qui ont le plus de chances de se réaliser. On doit toutefois aussi tirer des leçons de quelques réussites : qui eût cru, il y a une quinzaine d’années, que l’Ouganda parviendrait à redresser sensiblement une situation politique, économique et sanitaire dramatique ? Le pire n’est pas toujours sûr. Disons que, globalement, le “ scénario sombre ” paraît le plus vraisemblable. SIDA, conflits et forces armées. Il est peu probable que HIV/SIDA soit par lui-même facteur de guerre. En première approximation, on tendrait plutôt à croire, à l’inverse, que les guerres sont un facteur de propagation de l’infection. À court terme, il n’y a pas de raison sérieuse de penser que l’infection peut provoquer des guerres. L’infection pour l’heure, qu’un carburant du moteur des guerres qu’elle alimente en fournissant aux groupes guerriers d’amples contingents de désespérés. On peut, au demeurant, se demander plus largement si beaucoup des guerres actuelles ne sont pas moins des formes de lutte pour le pouvoir que des formes extrêmes de désespérance, des “ évasions dans l’imaginaire ”, dont les acteurs oublient, dans les vapeurs de l’alcool et de la drogue, les effets tragiquement réels. Elles sont sans projet, fonctionnent sur une économie de rapine dont les fruits sont dilapidés instantanément… ou récupérés par d’autres. Peut-on raisonner à plus longue échéance et imaginer une géographie des territoires telle que de vastes espaces, vidés par l’épidémie, soient ouverts pour de nouvelles conquêtes ? Rien de sérieux ne permet de penser que l’expansion du HIV/SIDA conduise à une structure des densités opposant des noyaux de fort peuplement à de grands espaces ouverts à l’expansion de groupes survivants. On peut penser, au contraire, que les espaces de forte densité, et notamment les zones urbaines, étant plus fortement et rapidement atteints, l’effet final devrait plutôt être une atténuation des contrastes de population. Si les liens entre prévalence de HIV/SIDA et guerres ne sont pas d’une grande clarté et sont souvent de type indirect, il n’en va pas de même de la corrélation entre statut militaire et taux de prévalence. De ce point de vue, on peut juger la situation franchement catastrophique. On a souligné plus haut combien toute politique de prévention de la maladie devait impliquer le pays tout entier, l’ensemble de ses “ encadrements ”. Il semble donc paradoxal que le corps à qui ce terme est le plus couramment appliqué, l’armée, soit le moins apte à lutter contre le mal, le plus apte à le répandre. Assurément, il y a des raisons objectives : les militaires sont par définition un groupe cible pour le mal :
8 hommes actifs jeunes, souvent éloignés de chez eux pour de longues périodes, sur des terrains “ exotiques ”. Les armées européennes, sur des théâtres extérieurs, sont loin d’être indemnes, mais dans des proportions qui n’ont rien à voir avec les armées africaines. Pour celles-ci, le bilan est catastrophique : en 1999 un niveau d'infection atteignait 10% en Érythrée, 10 à 20% au Nigeria, 40 à 60% en Angola et en République Démocratique du Congo. On atteint des sommets avec la Zambie (70%), le Malawi (75%) et le Zimbabwe (80%), et l’armée sud-africaine ne serait guère en dessous. Ces chiffres montrent que la corrélation est incertaine entre campagnes militaires et taux de prévalence. Les guerres (cas de l’Angola par exemple) ne paraissent guère jouer que pour provoquer une situation beaucoup plus grave dans l’armée que dans l’ensemble de la population ; en règle plus générale, les taux de prévalence dans l’armée sont plus forts qu’ailleurs, mais dans des proportions plus réduites et ils suivent en gros les tendances générales du pays. Cette situation sanitaire, et ce qu’elle traduit des rapports armée-population devrait conduire à une grande prudence dans la constitution de forces d’intervention africaines (si souhaitable soit-elle par ailleurs). Il y faudrait des corps d’élite, triés sur le volet, nantis d’un encadrement irréprochable, bien rémunérés et équipés de façon adéquate. Mais cette nécessité s’applique en fait à l’ensemble des forces armées : moins d’hommes, plus efficaces, mieux équipés, correctement formés, honorablement payés ; mais surtout des hommes sachant ce qu’ils ont à faire, ayant à tous égards des missions d’intérêt national. Les armées sont, au bout du compte, ce que les politiques en font et les responsabilités sont d’abord politiques. De ce point de vue, les armées ne sont d’ailleurs qu’une image de la nation : sans prendre cette affirmation comme une manière de fuir le “ jour le jour ” des problèmes, il convient de souligner combien en tous domaines l’extension de la maladie est, bien au-delà de la question sanitaire, un problème de développement, donc un problème politique au sens large. Il est vain de se demander si le développement conduira à la régression de la maladie ou si le recul de celle-ci est un préalable au développement. De tels débats oiseux n’ont été que trop couramment de mise dans le domaine général des relations population-développement avec un tour aussi idéologique que creux : les deux domaines sont en relation dialectique et tout progrès dans l’un retentit sur l’autre, tout recul est un recul général. Les épizooties actuelles Sur le deuxième thème de cette étude, il convient tout d’abord de “ revisiter ” un certain nombre d’idées reçues sur l’élevage africain, et cela est particulièrement nécessaire pour les Français qui ont par trop tendance à réduire l’Afrique à l’Afrique occidentale et celle-ci au Sahel. L’élevage (qui est pour l’essentiel un élevage bovin) est en Afrique d’une importance limitée tant en effectifs (cf. le ratio animaux/habitants) qu’en productivité. De ces deux points de vue, l’Afrique est par exemple en net retrait par rapport à l’Amérique latine, et l’écart ne fait que s’accentuer. Cela tient évidemment pour une part à ce qu’une large partie du continent (et particulièrement la forêt “ dense ” ou “ claire ”, mais
9 aussi beaucoup de savanes) est soustraite à l’élevage par l’extension de la trypanosomiase (inconnue dans les autres continents tropicaux). Dans l’état actuel de la situation sanitaire, on ne peut concevoir, comme au Brésil par exemple, une progression de l’élevage bovin dans les régions les plus humides, dont la productivité potentielle est la plus forte. Deuxième point : l’activité d’élevage a pour une bonne part changé de mains. L’élevage n’est plus l’apanage de groupes dominants à l’intérieur de peuples “ pasteurs ”. Les “ serviteurs ”, Rimaïbé et Bella, ont souvent pris le dessus sur les “ libres ” Touareg et Peul. Les anciens “ dominants ”, qui ont souvent cessé de participer à la mobilité des troupeaux, et s’adonnent à d’autres activités (agriculture, mais aussi largement commerce) sont de plus en plus souvent dépendants d’une main-d’œuvre devenue rare. D’autre part, de longue date déjà, si les pasteurs sont ceux qui ont le plus de têtes de bétail par habitant, ce sont des agriculteurs, infiniment plus nombreux, qui ont, globalement, le plus grand nombre de tête. Cela se traduit fort bien dans les cartes de répartition du bétail sur le continent. Troisième point : les localisations évoluent, le facteur majeur ayant été de ce point les sécheresses répétées qui ont frappé la zone sahélienne. Sahel pastoral et Sahel agricole se sont contractés ; de larges espaces ont été totalement ou partiellement abandonnés en raison de risques excessifs. Les éleveurs et leurs troupeaux ont glissé très sensiblement de la zone sahélienne à la zone soudanienne, atteignant parfois maintenant les marges de la forêt dense (ainsi des Peul en Côte d’Ivoire ou en RCA), dans des zones qui leur semblaient interdites par la trypanosomiase. Ce faisant, ils rencontrent des conditions sanitaires aggravées, et sont à la recherche de techniques de sécurisation (la plus importance étant l’adoption de races trypano-résistantes, ou le métissage des zébus avec elles). À plus grande échelle, on assiste à un glissement des groupes d’éleveurs vers les marchés et notamment les villes, pour pouvoir vendre leurs produits. Quatrième point : l’activité d’élevage est exercée dans un contexte de densités qui ont très sensiblement augmenté. Ceci pourrait avoir des conséquences positives : dans un contexte de faible technicité et de faible productivité, l’humanisation de l’espace par l’activité agricole peut être un facteur d’assainissement, notamment par la réduction du couvert boisé, qui sert classiquement d’abri aux glossines. Les techniciens britanniques avaient ainsi défini empiriquement un seuil de densité, proche de 50 au km2 à partir duquel les risques de trypanosomiase devenaient limités. On peut donc considérer que, dans ces conditions, ne peuvent plus se reproduire certains cataclysmes en chaîne, qui ont caractérisé la fin du XIXème, et qu’il convient de rappeler. Aujourd’hui, en raison de la pression humaine sur le milieu, les risques d’expansion de la trypanosomiase en cas de réduction drastique du cheptel sont limités dans les zones d’élevage actuelles : l’agriculture, en quelque sorte, assure le “ nettoyage ”… Cette remarque, qui s’applique aux régions relativement peu arrosées et à rythme soudanien (une saison de pluies, en “ été ”), n’est pas universellement valable. En effet, toute mise en valeur
10 agricole n’est pas facteur d’assainissement du milieu par réduction du couvert arboré. Le fait a été particulièrement étudié en Côte d’Ivoire forestière, où on a noté une très sensible reprise de la maladie du sommeil : les plantations caféières ou cacaoyères assurent un ombrage qui convient aux tsé-tsé comme à la faune sauvage, donc à l’expansion de la maladie. Une expansion de l’élevage serait actuellement impossible. Seule, probablement, une intensification de l’agriculture de plantation, substituant des plantations ordonnées, taillées, éclaircies au patchwork plantations sommaires - recrûs forestiers, permettrait sans doute une amélioration. La lutte contre les épizooties a largement relevé, on le sait, des “ encadrements ” étatiques ou internationaux. Elle demande méthode, suivi dans la longue durée, application systématique. D’où à la fois ses succès et ses échecs. De grandes campagnes ont rencontré de réels succès. Mais d’autre part, ces actions sanitaires ont toujours été perçues comme des interventions et des contrôles de l’État qui, dans le monde pastoral, reste souvent (avec des exceptions) perçu comme l’État des sédentaires. Vacciner c’est aussi connaître les effectifs des troupeaux, ce à quoi l’éleveur a toujours rechigné. Que peut-il advenir aujourd’hui dans une phase d’affaiblissement, voire de dépérissement des États et de privatisation ? Les risques épidémiques présents varient sans doute beaucoup selon les maladies et le type de traitement qu’on peut leur appliquer. On peut estimer que les risques sont relativement limités en ce qui concerne la peste bovine, pour deux motifs : la qualité des moyens de lutte et l’absence de rapport strict entre situation écologique et extension de la maladie (à la différence de la trypanosomiase). Des séries de programmes internationaux confirment l’efficacité des traitements, mais aussi la permanence de foyers locaux d’où l’épidémie repart. Reste que le politique (les troubles) intervient aussi : la pratique des programmes internationaux est rodée, mais les pays en guerre sont des foyers privilégiés ; d’où la nécessité de cordons sanitaires, aujourd’hui au point. La situation est beaucoup plus grave en matière de trypanosomiase. On peut dire d’elle ce qu’on dit du SIDA : maladie typiquement africaine, elle fait l’objet de peu de recherches, car le “ marché ” n’est pas “ porteur ”. L’effort est donc limité pour la recherche de solutions simples et économiques. La plus efficace, en définitive, est l’adoption de races trypanotolérantes, et les éleveurs y sont prêts ; mais le coût n’est pas négligeable. Le piégeage des glossines n’est pas extrêmement coûteux, mais il suppose constance politique et coopération entre États (les glossines sont “ sans frontières ”)…D’autre part, cette technique suppose une bonne connaissance de base sur les interactions glossines/écologie et l’entretien suivi de systèmes d’information géographique. Dans ces conditions, il n’est pas surprenant que le secteur le plus périlleux se situe aux confins du Sud Soudan et de la RDC : faibles densités, importants mouvements de bétail, écologie favorable aux tsé-tsé, absence de contrôle politique s’unissent pour créer une situation dangereuse. Elle l’est de surcroît doublement, puisqu’une des formes de la maladie, répandue ici, est transmissible à l’homme
11 sous forme de “ maladie du sommeil ”. Les ravages nouveaux de celle-ci seraient ici plus graves que ceux du SIDA (il est vrai que les taux de prévalence de HIV restent bas dans la région. On peut enfin s’inquiéter d’un autre risque en matière de trypanosomiase : la vogue (et la rentabilité) du “ ranching ” de faune sauvage, remarquable réservoir du parasite. Certes, on peut estimer que, dans un pays comme l’Afrique du Sud, où le phénomène est le plus développé, les infrastructures vétérinaires sont suffisantes pour protéger le cheptel bovin ; il n’en va pas de même dans beaucoup d’autres pays. La vogue écologique “ post-moderne ” n’est décidément pas sans danger ! Une troisième catégorie de maladies regroupe celles, variées, qui supposent suivi constant des bêtes, comme les théleirioses (liées aux tiques), ou qui, sans effet sensible sur la survie des animaux, affectent leur productivité et nécessitent un suivi régulier (la fièvre aphteuse notamment). Ici pas question (ou pas de pratique) des grandes opérations de vaccination et d’assainissement. Dans un contexte de privatisation, les éleveurs sont livrés à eux-mêmes. Le problème n’est pas strictement économique : les possesseurs de bétail ont un capital (bien plus que les stricts agriculteurs) et ne sont pas systématiquement hostiles aux dépenses. Le problème est d’intendance : assurer la présence des médicaments adéquats, au bon moment, dans les lieux les plus convenables et dans des conditionnements répondant aux besoins. La disparition des “ projets ” et particulièrement des projets intégrés, la privatisation des filières sont de ce point de vue discutables dans des pays où les systèmes coopératifs restent dans les limbes. Les effets économiques et sociaux seront inégaux. Dans les régions pastorales se produirait (comme lors des sécheresses) une “ prolétarisation ” de la fraction la plus faible des populations, avec comme conséquence l’exode, en ville, ou vers les périmètres agricoles les plus prospères. Ce phénomène est en quelque sorte “ traditionnel ” : toute calamité provoque au Sahel un “ délestage ” de populations pastorales en excédent. Mais il peut avoir des conséquences non négligeables sur la sécurité de zones fragiles. Dans les régions d’élevage intégré, en un temps où les produits d’exportation se vendent moins bien et où la production pour le marché local est plus “ porteuse ”, cela entraînerait la paupérisation d’une part importante de la population. Dans les deux cas, on verrait s’accentuer des disparités sociales, qui ne sont pas d’hier, mais que les discours “ unanimistes ” tendent à masquer. Ceux qui tireront leur épingle du jeu seront, une fois de plus, les plus liés aux villes (souvent les plus proches d’elles), aux “ encadrements ” modernes, au crédit…La péjoration des infrastructures n’est sans doute pas une stratégie concertée de la part des puissants, mais tout se passe comme si…
La lutte contre le sida en Afrique Prévalence du VIH en Afrique TUNISIE 0,04 % MAROC 0,03 % ALGÉRIE JAMAHIRIYA 0,07 % ARABE LIBYENNE ÉGYPTE SAHARA 0,05 % 0,02 % OCCIDENTAL (n.d.) CAP-VERT (n.d.) MAURITANIE 0,5 % MALI NIGER 2% 1,4 % ERYTHRÉE 1,8 % TCHAD 2,9 % GAMBIE SÉNÉGAL 2,7 % 2% SOUDAN BURKINA 1% DJIBOUTI GUINÉE- FASO (n.d.) BISSAU GUINÉE % 1,5 % 6,4 2,5 % 2,5 % NIGÉRIA BÉNIN GHANA TOGO 5,1 % 3,6 % SIERRA CÔTE ÉTHIOPIE LEONE D’IVOIRE RÉPUBLIQUE 10,6 % N CENTRAFRICAINE % U IE 3% 10,8 % 7,7 ERO AL 6% 13,9 % LIBÉRIA M M SO CA 2,8 % % A GUINÉE- RÉPUBLIQUE (n.d.) 8,3 ND ÉQUATORIALE DÉMOCRATIQUE ZAIRE DU ZAIRE GA 0,5 % KENYA CONGO OU GABON 6,4 % 13,9 % 4,2 % 5,1 % O SAO TOMÉ-ET-PRINCIPE NG (n.d.) RWANDA O 11,2 % C BURUNDI RÉPUBLIQUE-UNIE Pemba Cabinda DE 11,3 % Zanzibar SEYCHELLES TANZANIE (n.d.) 8,1 % COMORES 0,12 % ANGOLA MALAWI Prévalence du VIH 2,8 % 16 % en Afrique ZAMBIE 19,9 % (% de la population adulte) UE AR IQ 0,15 ASC MAURICE B ZIMBABWE AM 0 - 2,9 % 0,08 % % G 25,1 % MADA MOZ NAMIBIE 19,5 % BOTSWANA 3 - 5,9 % 35,8 % 13,2 % SWAZILAND 6 - 10,9 % 25,3 % LESOTHO 23,6 % 11 - 20,9 % AFRIQUE DU SUD supérieur ou égal à 19,9 % 21 % * Les îles figurant dans les encadrés ne sont pas à l’échelle n.d. = non disponible Les frontières et les noms indiqués sur la présente carte n’impliquent ni reconnaissance ni acceptation officielles de la part de l’ONU. Source : ONU Afrique Relance d’après ONUSIDA, Rapport sur l’épidémie mondiale de VIH/sida, Juin 2000. JUIN 2001 21
Vous pouvez aussi lire