Les Français et les politiques climatiques - Les notes du conseil d'analyse économique, n 73, Juillet 2022 - CAE

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Antoine Dechezleprêtrea, Adrien Fabreb
                                                                et Stefanie Stantchevac

Les Français
et les politiques climatiques
Les notes du conseil d’analyse économique, n° 73, Juillet 2022

P
       our réussir la transition écologique, il est essentiel   Notre enquête nous conduit à proposer plusieurs pistes de
       de mieux comprendre les attitudes des citoyens           mesures, à la fois efficaces et soutenues par les citoyens.
       vis-à-vis des politiques climatiques – leurs attentes,   Tout d’abord, nous recommandons d’établir un système
leurs préoccupations, et les déterminants de leur soutien.      d’enquêtes en continu pour mieux comprendre et suivre les
Cette Note s’appuie sur les résultats pour la France d’une      considérations des citoyens. Nous suggérons également
enquête internationale menée dans vingt pays. Adminis-          de leur fournir plus d’informations sur le fonctionnement
trée en ligne en juin 2021 sur échantillon représentatif de     et les effets des politiques climatiques et que cette mis-
2006 Français, cette enquête permet de dresser un pano-         sion soit portée par une institution indépendante. Ensuite,
rama détaillé des attitudes vis-à-vis du changement clima-      la priorité à court terme (en amont de toute future hausse
tique et des politiques climatiques.                            de la tarification carbone et pour protéger les ménages
Le premier constat est que les Français sont préoccupés         contre les flambées actuelles de prix de l’énergie) doit être
par le changement climatique et soutiennent des mesures         le renforcement des programmes permettant d’offrir à
ambitieuses pour y mettre un terme, aussi bien au niveau        chacun des alternatives aux énergies fossiles. Cela passe
national qu’international. Certaines mesures sont très          par l’augmentation des aides à destination des ménages
populaires : les investissements publics dans des infras-       vulnérables (rénovation énergétique des bâtiments, inves-
tructures décarbonées, l’obligation de rénovation ther-         tissements en équipements, véhicules électriques) et par
mique assortie de subventions, ou l’interdiction des véhi-      l’accélération des investissements publics dans les infras-
cules polluants dans les centres-villes. D’autres suscitent     tructures bas carbone (transports en commun, réseau
des avis partagés : la taxe carbone, l’interdiction des voi-    ferro­viaire…). À l’avenir, quand la tarification carbone aura
tures thermiques ou une taxe sur la viande rouge.               augmenté, il faudrait s’engager à utiliser intégralement les
Le soutien des répondants à une mesure particulière s’ex-       nouvelles recettes liées à cette tarification pour financer
plique par trois perceptions cruciales : l’effectivité des      des infrastructures et équipements bas carbone ainsi que
réductions d’émissions, les effets distributifs et les effets   pour compenser les ménages vulnérables via des trans-
sur son ménage. L’enquête démontre qu’informer les              ferts monétaires.
citoyens sur les effets des politiques climatiques, notam-
ment distributifs, augmente le soutien à celles-ci. Le design   Le soutien à des politiques climatiques efficaces est
des politiques est aussi déterminant : ainsi, la tarification   possible, mais il est impératif de prendre en compte les
carbone est majoritairement acceptée lorsque ses recettes       attentes des citoyens en termes d’équité et leur demande
servent à financer des investissements verts et/ou des          légitime d’alternatives bas carbone en amont de hausses
compensations financières pour les ménages vulnérables.         de prix et tarifications.

                      Cette note est publiée sous la responsabilité des auteurs et n’engage que ceux-ci.

a
    OCDE et London School of Economics (LSE) ; b ETH Zurich ; c Université de Harvard, CEPR et NBER, Membre du CAE.
2                                           Les Français et les politiques climatiques

Cette Note présente les principaux enseignements pour la                       d’alternatives au transport individuel carboné apparaît comme
France des résultats d’une enquête internationale sur les                      un frein important : seuls 46 % des répondants déclarent béné-
attitudes concernant le changement climatique et les poli-                     ficier d’une « bonne » disponibilité de transports publics là où
tiques climatiques. Les données concernant l’ensemble des                      ils vivent, alors que 9 sur 10 indiquent utiliser la voiture ou la
pays couverts sont exposées en détail dans un document de                      moto dans leur vie quotidienne. La disposition à limiter l’usage
travail de l’OCDE1.                                                            de la voiture, la consommation de bœuf, ou le chauffage et
                                                                               la climatisation du logement est modérée. Dit autrement,
                                                                               seule une minorité de répondants semble disposée à modi-
                                                                               fier en profondeur son mode de vie, du moins de son propre
Attitudes face au climat                                                       chef. Comparées aux pays à hauts revenus, les dispositions
                                                                               des Français à changer leurs modes de vie sont proches de la
Une large préoccupation                                                        moyenne, même si les Français sont les plus réticents à l’adop-
                                                                               tion d’un véhicule moins polluant.
Parmi notre échantillon de 2006 résidents français, le chan-
gement climatique est un problème important pour quatre                        L’adoption d’un mode de vie décarboné dépend de certains
répondants sur cinq. Ceux-ci ont une vision sombre des                         facteurs. Ainsi, six répondants sur dix considèrent comme
conséquences du changement climatique d’ici la fin du siècle                   « très important » que les plus riches changent aussi leur
si rien n’est fait pour le limiter. Une majorité considère « très              comportement pour qu’eux-mêmes soient disposés à chan-
probable » qu’il y ait davantage de canicules et de séche-                     ger le leur. Il importe aussi que leur entourage change égale-
resses, une hausse des flux migratoires, ou une hausse du                      ment de comportement, d’obtenir un soutien financier suffi-
niveau de la mer. Même si la majorité pense que le change-                     sant, ou de voir mettre en œuvre des politiques climatiques
ment climatique ne les affectera personnellement que modé-                     ambitieuses.
rément, trois répondants sur quatre estiment que la France
doit prendre des mesures pour lutter contre le changement
climatique.
                                                                               Perceptions des politiques climatiques
Dans l’ensemble, les résultats pour la France sont similaires
à ceux des autres pays à hauts revenus (le consensus sur le                    Des politiques souvent perçues
fait que le changement climatique est un problème important                    comme régressives et coûteuses
contre lequel des mesures doivent être prises est encore plus
élevé dans les pays à revenus moyens), même si les répon-                      Notre enquête explore en détail les perceptions relatives
dants français sont plus nombreux à se considérer person-                      à trois politiques climatiques majeures2 qui s’apparentent
nellement affectés.                                                            chacune à des mesures prévues dans les plans de décarbo-
                                                                               nation de la Commission européenne (le Green Deal) ou du
                                                                               gouvernement français (la Stratégie nationale bas carbone).
    Constat 1. Les Français interrogés sont                                    Nous décrivons précisément chaque mesure avant d’inter-
    conscients des conséquences potentiellement                                roger les répondants sur leurs propriétés. Le programme
    désastreuses du changement climatique et                                   d’infrastructures vertes consiste en des investissements
    reconnaissent la nécessité de lutter contre sa                             d’ampleur dans des technologies bas carbone (électricité
    progression, au niveau individuel et collectif.                            à partir d’énergies renouvelables, transports en commun,
                                                                               rénovation thermique, agriculture raisonnée) financés par
                                                                               de la dette publique. La taxe carbone avec transferts consiste
Des dispositions modérées à changer de mode de vie                             en une hausse de 45 euros/tCO₂ du prix du carbone, appli-
                                                                               quée à tous les secteurs (il est expliqué aux répondants que
Les répondants se disent prêts à adopter certains compor-                      le prix de l’essence augmentera de 10 centimes par litre),
tements décarbonés, à partir du moment où ceux-ci repré-                       et dont les recettes seraient redistribuées aux ménages de
sentent un substitut valable pour leurs modes de vie habituels.                sorte que chaque adulte reçoive 160 euros par an. Enfin,
Par exemple, 45 % se disent largement prêts à adopter un véhi-                 l’interdiction des véhicules thermiques consiste en un abais-
cule électrique ou économe en énergie. Ainsi, plutôt qu’une                    sement progressif des normes d’émission de CO₂ des véhi-
limitation de leurs déplacements en voiture, les Français inter-               cules neufs jusqu’à zéro en 2030, date à laquelle tous les
rogés privilégient un changement d’équipement. L’absence                       véhicules neufs devraient être électriques ou à hydrogène.

Les auteurs tiennent à exprimer leur reconnaissance toute particulière à Bluebery Planterose, dont la contribution a été déterminante. Ils remercient
également Tobias Kruse et Ana Sanchez Chico pour les analyses réalisées dans le cadre de l’étude ayant servi de fondement à cette Note, ainsi que
Claudine Desrieux et Madeleine Péron, qui ont suivi ce travail pour le CAE, pour leurs relectures attentives et leurs précieux avis.
1
  Dechezleprêtre A., A. Fabre, T. Kruse, B. Planterose, A. Sanchez Chico et S. Stantcheva (2022) : « Fighting Climate Change: International Attitudes Toward
Climate Policies », OECD Working Paper, juillet.
2
  De nombreuses autres politiques sont également explorées moins en profondeur, voir plus bas.

Les notes du conseil d’analyse économique, n° 73
Juillet 2022                                                               3

Ces mesures sont perçues par les répondants comme ayant                        des effets économiques de ces mesures, les Français inter-
de forts effets incitatifs (voir tableau). Seul un quart des                   rogés se situent dans la moyenne des pays à hauts revenus.
répondants n’est pas d’accord pour dire qu’une taxe carbone                    En revanche, ils sont moins nombreux – de 5 à 15 points de
découragerait l’usage de la voiture, et seul un huitième n’est                 pourcentage (p.p.) en moins – à percevoir l’efficacité environ-
pas d’accord pour affirmer qu’un programme d’infrastruc-                       nementale des mesures climatiques.
tures vertes encouragerait l’usage des transports en com-
mun. Pour chacune des mesures, une majorité s’accorde                          Une majorité perçoit chacune des trois mesures comme
ainsi sur le fait qu’elle réduirait les émissions de CO₂ ou la                 neutre ou régressive d’un point de vue redistributif. Pour la
pollution, mais une majorité pense également qu’elle serait                    taxe carbone avec transferts et l’interdiction des voitures
un moyen coûteux de lutter contre le changement clima-                         thermiques, les personnes à bas revenus et les classes
tique. Les avis sont plus partagés quant aux conséquences                      moyennes sont perçues comme perdantes par une majorité
sur l’économie et l’emploi dans le pays : à peu près autant de                 de répondants. Pour chacune des mesures, il y a systémati-
Français prévoient des effets positifs que des effets négatifs                 quement plus de répondants qui pensent que les personnes
pour le programme d’infrastructures vertes, ils sont davan-                    à hauts revenus seraient gagnantes que de répondants qui
tage à entrevoir des effets positifs pour l’interdiction des voi-              pensent qu’elles seraient perdantes. La France se situe dans
tures thermiques et davantage à voir des effets négatifs pour                  la moyenne des pays à hauts revenus s’agissant des effets
la taxe carbone avec transferts3. Concernant la perception                     redistributifs perçus.

                                             Perception des principales mesures climatiques

                                                                            Programme d’infra-          Taxe carbone            Interdiction des voi-
                                                                             structures vertes         avec transferts           tures thermiques
                                                                            France      Pays à        France     Pays à          France      Pays à
                                                                                        hauts                    hauts                       hauts
                                                                                       revenus                  revenus                     revenus
    Effets de la mesure
      – Réduirait la pollution de l'air                                         67           76           61           68           65           79
      – Réduirait les émissions de CO₂ des voitures                           —             —             56           64           59           73
      – Rendrait la production d'électricité plus verte                        58           70             —            —            —            —
      – Encouragerait l'isolation des bâtiments                                 —             —           65           64            —            —
      – Modifierait les habitudes de mobilité                                   54           60           43           51            —            —
      – Effet négatif sur l'économie et l'emploi                                27           37           31           31           38           35
      – Moyen coûteux de lutter contre le changement climatique                 51           30           50           27           58           29
    Impacts redistributifs (« Estime que serait gagnant... »)
      – Son propre ménage                                                       26           23           18           20           25           15
      – Les ruraux ou péri-urbains                                              30           25           23           21           21           16
      – Les personnes à hauts revenus                                           40           39           31           33           40           40
      – La classe moyenne                                                       21           22           19           21           11           15
      – Les personnes à bas revenus                                             25           21           20           22           15           12
    Justice perçue et soutien
      – La mesure serait juste                                                  49           51           22           35           27           39
      – Favorable à la mesure                                                   57           57           29           37           28           43

                                                      Part des réponses positives (en %)
                  ]5-15]         ]15-25]        ]25-35]     ]35-45]     ]45-55]      ]55-65]                   ]65-75]       ]75-85]

    Lecture : Les chiffres affichés correspondent aux pourcentages des deux réponses positives : « Plutôt d’accord » et « Tout à fait d’accord ».
    Source : Enquête présentée dans Dechezleprêtre A., A. Fabre, T. Kruse, B. Planterose, A. Sanchez Chico et S. Stantcheva (2022) : « Fighting Climate
    Change: international Attitudes Toward Climate Policy », OCDE Working Paper, juillet.

3
  Le tableau ne présente que la proportion d’effets positifs, pas la proportion de négatifs (qui ne peut pas se déduire directement en raison des réponses
« ni d’accord ni pas d’accord ».

                                                  www.cae-eco.fr
4                                            Les Français et les politiques climatiques

    Constat 2. Une part significative de Français                                 miques et la taxe carbone avec transferts, qui ont un sou-
    pense que les politiques climatiques sont                                     tien relativement faible à la base, les effets sont importants,
    régressives et anticipent des conséquences                                    en particulier la vidéo sur les Politiques. Ainsi, le soutien à
    négatives sur leur ménage.                                                    ces mesures s’accroît respectivement de 12 et 15 points de
                                                                                  pourcentage (p.p.) lorsque les deux vidéos sont visionnées,
                                                                                  devenant alors majoritaire. Le visionnage d’une seule des
Trois perceptions déterminent le soutien :                                        deux vidéos suffit à obtenir une majorité relative6 pour la taxe
efficacité, effets redistributifs,                                                carbone avec transferts. Pour le programme d’infrastruc-
effets sur son ménage                                                             tures vertes, qui part d’un soutien bien plus élevé, les vidéos
                                                                                  ont un effet plus faible en valeur absolue, mais un effet com-
Pour comprendre les déterminants du soutien aux mesures                           parable quand on le rapporte à la proportion des répondants
climatiques, nous étudions les caractéristiques sociales,                         qui ne soutiennent pas la mesure (+ 14 % contre + 16 à 21 %).
énergétiques et politiques des répondants, ainsi que les per-                     L’information sur les effets redistributifs des politiques conte-
ceptions concernant l’efficacité de ces mesures sur le chan-                      nues dans ces vidéos semble jouer un rôle important. Par
gement climatique.                                                                exemple, l’opinion que les personnes à bas revenus gagne-
                                                                                  raient suite à une taxe carbone avec transferts est de 14 p.p.
La variation du soutien aux politiques climatiques s’explique                     plus élevée pour ceux qui ont vu la vidéo Politiques, qui
avant tout par les perceptions concernant leurs effets redis-                     explique pédagogiquement que c’est le cas.
tributifs, leurs effets sur son propre ménage, ainsi que leur
efficacité en matière environnementale. L’indice de soutien
aux trois mesures principales et un indice qu’elles sont per-                                  1. Effets de traitements informatifs sur le soutien
çues comme justes sont corrélés à 85 %. L’efficacité perçue                                      aux principales mesures climatiques étudiées
des politiques à réduire les émissions et la pollution de l’air
expliquent 27 % des différences de soutien parmi les répon-                                         a. Programme          b. Taxe carbone         c. Interdiction
                                                                                                    d’infrastructures     avec transferts         des voitures
dants. Les effets anticipés des mesures sur son propre                                              vertes                                        thermiques
ménage en expliquent 12 % et les effets sur les personnes à                                    80
bas revenus, 7 %. Ainsi, les perceptions concernant l’efficaci-
                                                                                                        63        63
té et les effets redistributifs des mesures expliquent environ                                               61
                                                                                               60 57
la moitié des différences en termes de soutien aux politiques.
                                                                                 % Favorable

                                                                                                                                          44
                                                                                                                                                                  40
Par rapport aux autres pays étudiés, les Français interrogés                                   40                               35 37                        36
sont plus sensibles à l’efficacité des politiques à réduire les                                                           29                            32
                                                                                                                                                  26
émissions et aux effets sur les personnes à bas revenus, mais                                  20
moins sensibles aux effets sur leur propre ménage.

                                                                                               0
                                                                                                    1    2    3    4       1     2    3    4       1     2    3     4
Informer les citoyens sur les effets des mesures
                                                                                           Lecture : 1 : Contrôle ; 2 : Impacts ; 3 : Politiques ; 4 : Les deux.
augmente significativement le soutien                                                      28 % des sondés sont favorables à l’interdiction des voitures thermiques.
                                                                                           Le pourcentage monte à 32 % s’ils voient la vidéo « Impacts »,
                                                                                           36 % s’ils voient la vidéo « Politiques climatiques » et 40 % s’ils voient
Pour mesurer l’effet de l’information sur le soutien aux                                   les deux.
mesures climatiques, nous présentons à certains répondants                                 Source : Dechezleprêtre A., A. Fabre, T. Kruse, B. Planterose,
choisis aléatoirement une vidéo Impacts portant sur les effets                             A. Sanchez Chico et S. Stantcheva (2022) : « Fighting Climate Change:
                                                                                           international Attitudes Toward Climate Policy », OCDE Working Paper,
du changement climatique dans le pays4 et/ou une vidéo                                     juillet.
Politiques expliquant le fonctionnement et les effets des trois
principales politiques climatiques. Les vidéos consistent en
des animations graphiques accompagnées par une voix qui
présente pédagogiquement des informations nuancées et                                          Constat 3. Le soutien s’explique par les
impartiales.                                                                                   perceptions sur l’efficacité environnementale
                                                                                               des politiques, sur leurs effets redistributifs et
Le visionnage des vidéos Impacts et Politiques a des effets                                    leur impact financier sur le ménage. Informer
significatifs sur le soutien à chacune des trois mesures prin-                                 sur les propriétés des mesures peut contribuer
cipales (graphique 1)5. Pour l’interdiction des voitures ther-                                 à augmenter leur soutien.

4
  Les vidéos sont disponibles sur demande.
5
  Ces effets causaux se lisent en faisant la différence entre les valeurs des groupes traités et du groupe de contrôle. Ils correspondent aux coefficients d’une
régression qui inclut aussi les indicateurs sociaux et politiques.
6
  C’est-à-dire que le nombre de personnes opposées à ces mesures est supérieur au nombre de personnes favorables, même si aucune majorité absolue
n’émerge étant donné le taux de personnes indifférentes, qui est autour de 25-30 % pour toutes les mesures).

Les notes du conseil d’analyse économique, n° 73
Juillet 2022                                                                     5

Soutien aux différentes mesures                                                       sur les fruits et légumes issus d’une agriculture biologique et
                                                                                      locale et certaines variantes de la taxe carbone (nous traitons
Un niveau de soutien varié suivant les mesures                                        celles-ci séparément). Deux autres mesures obtiennent une
                                                                                      majorité relative : une contribution à un fonds mondial pour
Le graphique 2 présente le soutien ou l’opposition aux                                financer l’énergie propre dans les pays à bas revenus, et une
mesures climatiques considérées dans l’enquête.                                       taxe sur les billets d’avion (augmentant leur prix de 20 %). Deux
                                                                                      mesures visant à réduire la consommation des produits issus
Comme on l’a vu, une majorité relative s’oppose à l’interdiction                      de l’élevage bovin suscitent l’opposition d’une majorité rela-
des véhicules thermiques. Mais cette mesure obtient une majo-                         tive : une taxe qui doublerait le prix du bœuf et la suppres-
rité relative dans une variante où il est précisé que des alterna-                    sion des subventions à l’élevage bovin. Enfin, une mesure est
tives telles que des transports en commun sont rendues acces-                         rejetée par une majorité absolue de répondants : une hausse
sibles. Le fait que le soutien augmente de 16 p.p. dans cette                         pure et simple de la taxe sur les énergies fossiles qui augmen-
variante confirme que l’absence d’alternatives aux énergies                           terait le prix de l’essence de 10 centimes par litre – c’est-à-
fossiles est déterminante dans le rejet de certaines mesures.                         dire à peu de choses près la taxe carbone sans affectation des
Ce besoin d’alternatives permet de comprendre l’engouement                            recettes telle qu’initialement mise en œuvre et contestée par
pour le programme d’infrastructures vertes, qui s’explique pro-                       les Gilets jaunes.
bablement aussi par l’ambiguïté sur ceux qui en paieront le
coût. D’autres mesures obtiennent une majorité absolue de
soutien : l’obligation de rénovation thermique des bâtiments                             Constat 4. Les subventions à l’adoption et au
d’ici 2040 associée à des subventions publiques prenant en                               déploiement de technologies bas carbone, les
charge la moitié des coûts est la plus populaire, avec 64 %                              investissements publics dans des infrastructures
de soutien (et 15 % d’opposition), les autres étant l’interdic-                          décarbonées, l’obligation de rénovation thermique
tion des véhicules polluants dans les zones denses comme les                             assortie de subventions et l’interdiction des
centres-villes, des subventions aux technologies bas carbone,                            véhicules polluants des centres-villes sont
l’interdiction de l’élevage intensif de bovins, des subventions                          soutenues par une majorité de Français.

                                  2. Soutien des Français à différentes mesures climatiques nationales

                                                                   Principales politiques étudiées
                                                              Programme d’infrastructures vertes4 413 13             25 25                39 39             18 18
                                                                     Taxe carbone avec transferts 14 14           21 21             36 36              23 23     6 6
                                                             Interdiction des voitures thermiques 17 17              27 27             29 29          19 19      8 8
                                                               Politiques relatives aux transports
         Interdiction des véhicules polluants dans les zones denses comme les grandes villes 9 9 16 16                  18 18             37 37             19 19
                                                               Taxe sur les billets d’avion (+ 20 %) 15 15        20 20        19 19           30 30          15 15
                                         Interdiction des voitures thermiques, avec alternatives 11 11         18 18          28 28             29 29         14 14
                                                                    Politiques relatives à l’énergie
                                           Isolation obligatoire et subventionnée des bâtiments5 510 10           21 21                 46 46               18 18
                                                      Subventions aux technologies bas carbone 6 6 11 11             26 26                 40 40             16 16
Contrib. à un fonds climatique mondial pour financer l’énergie propre dans les pays à bas revenus
                                                                                                     10 10 13 13           29 29               36 36           12 12
                                                   Taxe sur les énergies fossiles (40 euros/tCO2)
                                                                                                         23 23            27 27          19 19        24 24      7 7
                                                              Politiques relatives à l’alimentation
                                                       Interdiction de l’élevage intensif de bovins 9 9      16 16       20 20          28 28            27 27
    Subventions sur les légumes, fruits, et fruits secs issus d’agriculture biologique et locale                       29 29               31 31           21 21
                                                                                                     9 9 11 11
                       Taxe élevée sur les produits bovins, de sorte que le prix du bœuf double                                                                 8 8
                                                                                                          24 24           25 25          22 22        21 21
                                                  Suppression des subventions à l’élevage bovin
                                                                                                       15 15        27 27             30 30           20 20     8 8
                                                                            Taxe carbone finançant
                                                                   Projets d’infrastructures vertes2 62 6       27 27                 41 41               24 24
                                                                    Baisse de l’impôt sur le revenu
                                                                                                    6 69 9         23 23                 44 44              18 18
                                                      Subventions aux technologies bas carbone 3 9
                                                                                                   3 9             32 32                  39 39             18 18
                                                Versement pour les Français les plus modestes
                                                                                                     10 10 12 12        22 22              36 36            19 19
                           Compensation pour les ménages dépendants aux énergies fossiles
                                                                                                      9 9 11 11        25 25                40 40             14 14
                                        Crédits d’impôts pour les entreprises les plus touchées
                                                                                                     7 7 15 15          26 26                 41 41            12 12
                                                                        Réduction du déficit public 4 9
                                                                                                    4 9               38 38                  34 34            15 15
                                                                    Versement à tous les Français 11 11        19 19          25 25             32 32         12 12
                                                                 Baisse de l’impôt sur les sociétés 13 13      16 16            34 34              28 28        9 9
                                                                                  0 % 0 %10 %10 %
                                                                                                20 %20 30
                                                                                                       % %30 %
                                                                                                             40 %40 %50 %50 %
                                                                                                                            60 %60 %
                                                                                                                                   70 %70 %
                                                                                                                                          80 %80 %
                                                                                                                                                 90 %90100
                                                                                                                                                       % 100
                                                                                                                                                           % %

                                     Très opposé(e)        Plutôt opposé(e)        Indifférent(e)       Plutôt favorable       Très favorable

   Source : Annexe France, note 5 de Dechezleprêtre A., A. Fabre, T. Kruse, B. Planterose, A. Sanchez Chico et S. Stantcheva (2022) : « Fighting Climate
   Change: international Attitudes Toward Climate Policy », OCDE Working Paper, juillet.

                                                      www.cae-eco.fr
6                                     Les Français et les politiques climatiques

Le soutien à une mesure dépend de ses modalités                       est expliquée par les facteurs socio-économiques et énergé-
                                                                      tiques, mais la part expliquée de cette variation monte à 62 %
Le soutien à une mesure varie substantiellement suivant ses           lorsque l’on inclut les perceptions.
sources de financements, ses modalités, ou l’usage de ses
recettes (dans le cas d’une taxe).                                    Néanmoins, la plupart des variables socio-démographiques
                                                                      sont significativement corrélées au soutien. C’est en particu-
Les répondants français soutiennent très nettement la                 lier le cas du positionnement sur les questions de politique
taxe carbone lorsque ses recettes sont utilisées pour finan-          économique : le soutien est le plus faible chez les personnes
cer des projets d’infrastructures vertes. D’autres variantes          qui se considèrent le plus à droite, et d’autant plus élevé que
obtiennent une majorité absolue, notamment l’utilisation de           les personnes se placent à gauche du spectre politique.
recettes pour une baisse de l’impôt sur le revenu, des sub-
ventions aux technologies bas carbone, un transfert aux plus          Une particularité française (avec l’Australie et les États-Unis)
modestes, une compensation pour les ménages dépendants                est que les plus jeunes soutiennent davantage les mesures
des énergies fossiles, ou des crédits d’impôt pour les entre-         climatiques. Dans la plupart des autres pays, les plus âgés
prises les plus touchées. Toutes ces variantes obtiennent             ne soutiennent pas moins les mesures ; ils les soutiennent
plus de soutien que l’utilisation des recettes pour un verse-         même davantage dans les pays asiatiques et dans certains
ment à tous les Français (c’est-à-dire la modalité qui corres-        pays à revenus moyens.
pond à la mesure principale de hausse de la taxe carbone que
nous présentons).                                                     Concernant les indicateurs énergétiques, deux variables se
                                                                      démarquent comme prédicteurs du soutien : la disponibilité
                                                                      des transports en commun, et l’usage de la voiture dans la
    Constat 5. Le soutien aux mesures de                              vie quotidienne. Si ces facteurs sont importants dans tous
    tarification carbone est nettement plus élevé                     les pays, c’est en France que l’usage de la voiture a le plus
    lorsque les recettes financent des transferts                     fort effet sur le soutien. La France est aussi un des pays où
    pour compenser les ménages vulnérables ou                         le fait de manger du bœuf régulièrement ou de travailler dans
    des investissements verts.                                        un secteur polluant a le plus fort effet. Conditionnellement
                                                                      à ces facteurs, on ne trouve pas d’effet significatif des
                                                                      autres variables : taille de l’agglomération, dépenses de gaz
Lorsqu’on leur demande de cocher quelles sources de finan-            ou d’essence, fréquence des vols en avion, ou le fait d’être
cement ils trouveraient appropriées pour un programme d’in-           propriétaire.
frastructures vertes, 69 % des Français choisissent une aug-
mentation des taxes sur les plus riches, tandis que les autres
options ne sont choisies que par 15 à 33 % des répondants.               Constat 6. La France est le pays où la
Ces options comprennent une réduction des dépenses mili-                 différence de soutien entre ceux qui utilisent
taires, une réduction des dépenses sociales, une augmenta-               et qui n’utilisent pas de voiture est la plus
tion de la TVA, et de la dette publique additionnelle.                   importante. La qualité des services et des
                                                                         équipements disponibles importe plus que la
                                                                         taille de l’agglomération du lieu d’habitation.
Quelques spécificités françaises

Par rapport aux autres pays à hauts revenus, la France, l’Alle-       Un fort soutien aux mesures climatiques globales
magne et le Danemark sont les seuls pays sans majorité rela-
tive en faveur d’une interdiction des véhicules thermiques ou         Lorsqu’on leur demande de cocher les niveaux auxquels des
d’une taxe carbone avec transferts. Notons toutefois que ce           politiques climatiques doivent être mises en place, 85 %
rejet ne s’étend pas aux variantes de la taxe carbone (avec           des répondants français choisissent l’échelle mondiale,
différents usages des recettes), pour lesquelles la France            37 % l’échelle européenne, 27 % l’échelle nationale et 26 %
se situe dans la moyenne des pays à hauts revenus. Autre              l’échelle locale. Cette préférence pour l’échelle mondiale
spécificité : avec l’Italie, la France est le seul pays où l’inter-   ne doit cependant pas être comprise comme une attitude
diction de l’élevage intensif de bovins recueille une majorité        attentiste par laquelle les Français ne voudraient agir pour
absolue d’avis favorables. Sur les autres mesures, la France          le climat que si le monde entier agit également. En effet,
se situe dans la moyenne des pays à hauts revenus.                    une forte majorité relative considère que si les autres pays
                                                                      en font moins pour le climat, la France devrait en faire
                                                                      plus. Ainsi le soutien à des mesures mondiales est-il un
Un soutien peu expliqué par les caractéristiques                      prolongement – plutôt qu’un substitut – du soutien à des
socio-démographiques                                                  mesures nationales.

Le soutien aux mesures s’explique largement par les percep-           Concernant la répartition des efforts de réduction d’émis-
tions de leurs effets : seule 14 % de la variation du soutien         sions, quand on leur demande en proportion de quoi les pays

Les notes du conseil d’analyse économique, n° 73
Juillet 2022                                                            7

devraient payer les investissements nécessaires, 71 % des                     peuvent servir d’instruments pour la conception des poli-
répondants sont d’accord pour que ce soit proportionnelle-                    tiques publiques, et sur les attitudes envers celles-ci. Notre
ment aux émissions des pays, 66 % proportionnellement à                       enquête est une illustration de cette méthode8. Le principe
leurs revenus, et 51 % proportionnellement à leurs émissions                  sous-jacent de cette approche est que la réussite des poli-
cumulées depuis 1990. En outre, une majorité de répondants                    tiques publiques passe par une écoute des citoyens selon une
estime que les pays à bas revenus ne devraient pas avoir à                    méthode rigoureuse et inclusive, c’est-à-dire qui permette
payer pour les réductions de leurs émissions et devraient                     d’entendre les citoyens qui sont souvent invisibilisés (du fait
même recevoir de l’aide des pays riches. Ces réponses                         de leurs revenus, de leur catégorie socio-économique ou de
témoignent d’une conscience du besoin de juste répartition                    leur lieu d’habitation). Les enquêtes peuvent être un baro-
des efforts au niveau mondial.                                                mètre essentiel pour recenser les points de vue en amont
                                                                              de la mise en œuvre des politiques environnementales, pour
                                                                              s’enquérir de leur réception et évaluer leur impact immédiate-
    Constat 7. En complément de mesures                                       ment après leur mise en œuvre. Les enquêtes viennent donc
    climatiques nationales, la plupart des Français                           compléter de manière essentielle d’autres outils d’évaluation
    interrogés soutiennent un accord mondial                                  mobilisables longtemps après l’application d’une mesure,
    pour réduire les émissions selon une clé de                               une fois les données d’impact collectées. Elles permettent
    répartition équitable des efforts.                                        de constater rapidement les effets de l’introduction d’une
                                                                              politique et les obstacles rencontrés. Elles renseignent aussi
                                                                              sur les perceptions en fonction de la situation socio-écono-
                                                                              mique, des considérations en matière d’équité et des déficits
Élaborer des politiques climatiques                                           de connaissances ou de perceptions erronées qui pourraient
efficaces et bien acceptées                                                   être modifiées grâce à de meilleures informations.

Mieux comprendre les perceptions des citoyens                                 Des propositions récentes se sont cristallisées autour de
                                                                              nouvelles formes de gouvernance, telles que la mise en place
La réponse au défi climatique invite à réfléchir à de nou-                    d’un plan quinquennal ou d’un « continuum délibératif »9 ou
velles façons de concevoir les politiques climatiques. Il est                 bien la nécessité de développer une « écologie du contrat » qui
notamment essentiel de comprendre les considérations,                         ne reposerait pas seulement sur la nécessité de légiférer et
inquiétudes et contraintes des citoyens ; les mesures écolo-                  d’émettre de nouvelles normes, mais aussi sur une capacité
giques pouvant conduire à changer profondément les modes                      d’entraînement de la société et des entreprises basée sur la
de vie. Ainsi, les hausses des prix des carburants, qui sont                  coopération et la négociation, à l’exemple de la Convention
immédiatement perceptibles et affectent les déplacements                      citoyenne pour le climat10. Nous estimons que les enquêtes
quotidiens d’une majeure partie de la population, suscitent                   de grande envergure constituent un instrument complémen-
régulièrement des mouvements de contestation sociale, en                      taire de ces nouvelles formes de gouvernance, et qu’elles
France comme à l’étranger. D’après la théorie économique,                     peuvent aider à améliorer à la fois l’efficacité et la légitimité
une taxe sur les carburants ne peut réduire la consommation                   des politiques publiques, et la confiance des citoyens envers
de carburants que si les payeurs peuvent renoncer à cette                     le système politique.
consommation, par exemple en prenant le bus plutôt que leur
voiture7. Or, les données issues de notre enquête montrent
que l’absence d’alternatives à la voiture est une contrainte                      Recommandation 1. Conduire régulièrement
importante, qui devrait être levée avant qu’une hausse de                         des enquêtes sur les contraintes pesant sur les
la taxe sur les carburants puisse être mise en œuvre effica­                      ménages, sur la compréhension et l’acceptation
cement.                                                                           des mesures climatiques, et mieux intégrer les
                                                                                  attentes et préoccupations des citoyens dans
Il est donc important de collecter régulièrement des don-                         la définition des politiques.
nées sur la compréhension des différentes mesures qui

7
  Cet exemple est pris de du rapport de Blanchard O. et J. Tirole (2021) : Les grands défis économiques, Rapport France Stratégie, juin.
8
  L’ADEME (Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie) conduit actuellement des enquêtes annuelles « Représentations sociales du changement
climatique » qui sont un bon exemple. Notre enquête complète ces travaux avec des mesures plus détaillées et une structure qui permet d’appréhender des
aspects différents des perceptions des citoyens.
9
  Barasz J. et H. Garner (coord.) (2022) : Soutenabilités ! Orchestrer et planifier l’action publique, Rapport France Stratégie, mai.
10
   Canfin P. et T. Pech (2021) : « Gouverner la transition écologique », Note Terra Nova, novembre.

                                                 www.cae-eco.fr
8                                           Les Français et les politiques climatiques

Mieux informer sur les politiques climatiques                                   mations nouvelles sur le fonctionnement et les effets des
                                                                                politiques climatiques. Le Haut conseil pour le climat, créé
Notre étude montre que l’effet des informations portant sur                     en 2019, a rapidement fait la preuve de son expertise et de
le changement climatique lui-même est limité, car la grande                     son indépendance par rapport au gouvernement. À ce titre, il
majorité des citoyens est déjà consciente du problème et de                     serait un bon candidat pour remplir cette mission, qui néces-
ses conséquences. En revanche, notre étude suggère qu’il                        siterait un élargissement de son mandat et ses compétences
existe un clair déficit de connaissances sur l’effet des poli-                  et une augmentation conséquente de son budget.
tiques publiques, notamment en termes de progressivité, et
démontre que fournir de l’information sur ces éléments a un
effet très fort sur les perceptions des mesures.                                      Recommandation 2. Mieux informer les
                                                                                      citoyens sur le fonctionnement et les effets des
Notre deuxième recommandation est donc d’offrir aux citoyens                          politiques climatiques. Envisager de confier
l’information nécessaire sur les trois aspects clés des poli-                         cette mission d’information au Haut Conseil
tiques climatiques : efficacité à réduire les émissions, équité                       pour le climat en lui allouant des moyens à la
et intérêt personnel. D’autres études confirment la nécessité                         hauteur de cette nouvelle compétence.
d’une information ciblée et centrée autour des effets distribu-
tifs et d’efficacité. Par exemple, Maestre-Andrés et al. (2021)11
montrent que fournir de l’information sur l’impact environ-                     Développer des alternatives aux énergies fossiles
nemental et distributif d’une taxe carbone en Espagne a
un effet positif sur l’acceptation. En Colombie-Britannique,                    Notre enquête le montre : la présence d’alternatives décar-
Rhodes et al. (2014)12 montrent à l’aide d’expériences d’in-                    bonées constitue un levier puissant à la mise en œuvre de
formation que le soutien pour la taxe carbone augmente                          politiques climatiques bien acceptées. Offrir des alternatives
avec son efficacité perçue. Pour la France, Douenne et Fabre                    à la voiture thermique est par exemple un enjeu essentiel, car
(2022)13 montrent que le soutien à la taxe carbone s’explique                   elles sont pour l’instant limitées voire inexistantes pour une
entièrement par les trois croyances mises en évidence dans                      grande partie des déplacements.
notre enquête : efficacité, progressivité et intérêt personnel.
                                                                                Au vu des résultats de notre étude, le séquençage des poli-
Cette information pourrait être intégrée aux programmes                         tiques publiques doit donc être le suivant : d’abord favo­
scolaires, prendre la forme de campagnes de communication                       riser l’adoption à grande échelle d’alternatives décarbonées
non partisane et s’accompagner de ressources publiques en                       (via des infrastructures publiques et des subventions à l’équi-
ligne. Nos vidéos pédagogiques sont un exemple d’information                    pement des ménages), puis, dans un second temps seulement,
facile à comprendre, objective et efficace. L’importance                        envisager une hausse de la tarification du carbone.
d’information visuelle et tangible a été soulignée dans de
nombreuses d’études (pour un résumé, voir Metze, 2020)14.                       Cette recommandation paraît d’autant plus indispensable au
                                                                                regard de la hausse récente des prix de l’énergie exacerbée par
Cette information peut également être fournie par le biais                      la situation géopolitique. Une tarification carbone ne peut pas
de simulateurs en ligne permettant aux citoyens de prédire                      être envisagée dans un contexte de forte hausse des prix de
facilement combien leur coûtera ou leur rapportera ces poli-                    l’énergie. Aider aujourd’hui les ménages (notamment ceux aux
tiques. Notre étude souligne aussi que de nombreux citoyens                     revenus modestes) à s’équiper est nécessaire pour les prémunir
ont des perceptions pessimistes sur l’impact des politiques                     contre la hausse actuelle et future des prix de l’énergie et
environnementales sur leur propre ménage. Il est donc néces-                    contre d’éventuelles nouvelles tarifications du carbone à venir.
saire de leur offrir des simulateurs simples et interactifs                     En particulier, le nouveau marché du carbone européen qui
afin qu’ils puissent estimer l’effet des réformes proposées                     concernerait à la fois les transports et les bâtiments ne devrait
sur leur propre ménage (c’est-à-dire sur des ménages qui ont                    pas voir le jour avant 2026 au plus tôt. Il reste donc quatre ans
le même niveau de revenu et situation)15.                                       pour développer des alternatives aux énergies fossiles, afin de
                                                                                protéger les ménages des augmentations de prix futures.
Au vu de la défiance vis-à-vis du gouvernement et de l’État,
une question importante est celle des institutions les mieux                    L’exemple de la nouvelle taxe carbone introduite aux Pays-
à même de fournir de manière objective et crédible ces infor-                   Bas en 2021 (le Carbon Levy) est à ce titre instructive, même

11
   Maestre-Andrés S., S. Drews, I. Savin et J. van den Bergh (2021) : « Carbon Tax Acceptability with Information Provision and Mixed Revenue Uses », Nature
Communications, vol. 12, art. 7017.
12
   Rhodes E., J. Axsen et M. Jaccard (2014) : « Does Effective Climate Policy Require Well-Informed Citizen Support? », Global Environmental Change, n° 29.
13
   Douenne T. et A. Fabre (2022) : « Yellow Vests, Pessimistic Beliefs, and Carbon Tax Aversion », American Economic Journal: Economic Policy, vol. 14, n° 1.
14
   Metze T. (2020) : « Visualization in Environmental Policy and Planning: A Systematic Review and Research Agenda », Journal of Environmental Policy and
Planning, vol. 22, n° 5.
15
   Pour un exemple, voir le site de simulation de Réseau action climat : https://reseauactionclimat.org/calculer-sa-taxe-carbone-juste/ ou celui de Citizens’
Climate Lobby UK : https://test.citizensclimatelobby.uk/climate-income-calculator/

Les notes du conseil d’analyse économique, n° 73
Juillet 2022                                                                9

si elle concerne essentiellement les entreprises. La taxe a                       En France, de nombreux instruments d’aide publique à la réno-
été introduite avec un taux initialement bas et une trajectoire                   vation énergétique des logements existent, le plus important
croissante déterminée à l’avance jusqu’en 2030. Mais elle a                       étant le dispositif « MaPrimeRénov’ » lancé en 2020 et qui
été complétée par un instrument de subvention à l’adoption                        fournit une aide plus ou moins élevée selon les revenus du
de technologies bas carbone doté de 500 millions d’euros                          ménage. Le dispositif a connu un essor important en termes
par an (le SDE++) dont le déploiement en amont avait pour                         de souscription, avec 644 000 demandes accordées en 2021,
objectif d’éviter aux entreprises de payer les futures taxes                      dans l’immense majorité pour des rénovations partielles plu-
liées au Carbon Levy (Anderson et al., 2021)16, en renforçant                     tôt que globales, ce qui s’explique par des plafonds d’aide peu
encore les incitations à investir suscitées par les augmenta-                     élevés au regard des coûts typiques (le cumul des primes par
tions futures et prévisibles de la taxe. De la même manière,                      logement et ménage sur 5 ans est plafonné à 20 000 euros)17.
toute hausse future de la tarification carbone devrait être pré-
cédée d’un renforcement significatif des dispositifs publics                      Les évaluations existantes du dispositif soulignent l’atteinte
d’aide à l’adoption d’équipements bas carbone. Ces disposi-                       des objectifs quantitatifs et sociaux du programme, mais ques-
tifs sont d’autant plus urgents dans le contexte de hausse de                     tionnent les gains d’efficacité énergétique réalisés et insistent
prix de l’énergie.                                                                sur la nécessité de favoriser les rénovations globales à l’ave-
                                                                                  nir afin d’augmenter l’efficacité environ­nementale du disposi-
                                                                                  tif (Goldberg et Guillou, 2022, Dolques, 2022, Rüdinger, 2022,
     Recommandation 3. Séquencer la mise en                                       Haut Conseil pour le climat, 2020, et Descoeur et Meynier-
     place des politiques climatiques : favoriser                                 Millefert, 2021)18. Notons que le choix du ciblage des aides à
     d’abord la diffusion d’alternatives bas carbone                              la rénovation est compliqué : les coûts non monétaires (durée
     pour protéger les ménages des hausses des                                    des travaux et inconfort qui leur est lié) ont tendance à être
     prix, avant des hausses éventuelles du prix du                               sous-estimés et les économies d’énergie observées sont
     carbone.                                                                     souvent inférieures à celles initialement espérées (Fowlie et
                                                                                  al., 2018 ; Blaise et Glachant, 2019)19.

Les alternatives décarbonées dépendent en partie d’investis-                      Du côté des aides à l’acquisition de véhicules basses émissions
sements privés qu’il convient d’encourager et de subvention-                      (électriques, hybrides rechargeables ou hydrogène), on note le
ner, notamment pour les ménages les plus vulnérables qui font                     dispositif du bonus écologique20. Les véhicules électriques ont
face à des contraintes de financement importantes. En effet,                      atteint 10 % des ventes de voitures neuves en France en 2021
dans notre enquête, 54 % des ménages dans le premier quar-                        après 1,9 % en 2019 et 6,7 % en 2020, mais l’impact direct
tile de revenus donnent les contraintes financières comme rai-                    du bonus écologique sur cette hausse n’a pas été analysé à
son principale de ne pas pouvoir s’équiper mieux, contre 35 %                     notre connaissance. La prime ayant été similaire en 2019 et
des ménages dans le quartile supérieur. Mais la vulnérabilité                     2020, il nous semble que d’autres facteurs comme les normes
ne dépend pas uniquement du niveau de revenu : entrent éga-                       d’émissions européennes, l’augmentation des prix de l’éner-
lement en compte la localisation géographique (et notamment                       gie (et sa hausse prévisible sur le long terme), l’amélioration
de la disponibilité ou non de moyens de transport en commun),                     de la capacité des batteries et la baisse du prix des modèles
la qualité du logement, la composition du ménage et la dépen-                     expliquent ce succès récent. Par comparaison, en Norvège, la
dance vis-à-vis de la consommation d’énergie fossile.                             part de marché des véhicules électriques a atteint 65 % en

16
   Anderson B., E. Cammeraat, A. Dechezleprêtre, L. Dressler, N. Gonne, G. Lalanne, J. Martins Guilhoto et K. Theodoropoulos (2021) : « Policies for a Climate-
Neutral Industry: Lessons from the Netherlands », OECD Science, Technology and Industry Policy Papers, n° 108, Éditions OCDE Paris.
17
   Le programme est complété par les Certificats d’économies d’énergie (CEE), le programme « Habiter mieux sérénité » (réservé aux ménages modestes
pour les rénovations globales), et l’éco-prêt à taux zéro. Ce dernier, d’un montant maximal de 50 000 euros, permet de financer des travaux de rénovation
énergétique dans un logement pour les propriétaires occupants ou les bailleurs de logements. Il couvre aussi bien les travaux de rénovation ponctuelle que
les travaux de rénovation globale.
18
   Cf. Goldberg N. et A. Guillou (2022) : Un plan de bataille pour le climat qui soit socialement désirable : le temps du consensus et de l’action, Rapport Terra
Nova ; Dolques G. (2022) : Quelles aides publiques pour la rénovation énergétique des logements ?, Rapport I4CE ; Rüdinger A. (2022) : « La rénovation
énergétique, levier essentiel pour se prémunir durablement contre la hausse des prix de l’énergie », Billet de Blog de l’IDDRI ; Haut Conseil pour le Climat
(2020) : Rénover mieux : leçons d’Europe, Réponse à la saisine du gouvernement, novembre ; Descoeur V. et M. Meynier-Millefert (2021) : Rapport d’information
sur la rénovation thermique des bâtiments, Assemblée nationale, n° 3871, février.
19
   Fowlie M., M. Greenstone et C. Wolfram (2018) : « Do Energy Efficiency Investments Deliver? Evidence from the Weatherization Assistance Program »,
The Quarterly Journal of Economics, vol. 133, n° 3. ; Blaise M. et M. Glachant (2019) : « Quel est l’impact des travaux de rénovation énergétique des logements
sur la consommation d’énergie ? », La Revue de l’Énergie, n° 646, septembre-octobre.
20
   Celui-ci prévoit une aide maximale de 6 000 euros par véhicule (plafonnée à 27 % du coût d’acquisition TTC) pour les véhicules dont le prix ne dépasse pas
45 000 euros. Une aide de 2 000 euros est prévue si le prix se situe entre 45 000 et 60 000 euros. Cette aide est cumulable avec la prime à la conversion
destinée à retirer de la circulation les véhicules les plus anciens, qui s’applique également pour l’achat de véhicules thermiques mais avec un barème plus
avantageux pour les véhicules électriques (jusqu’à 5 000 euros pour un véhicule électrique, contre 3 000 euros pour un véhicule thermique) et des aides plus
élevées pour les ménages les plus modestes (moins de 13 489 euros de revenu fiscal de référence par part). Du côté des véhicules thermiques, un malus
calculé sur les émissions des véhicules thermiques s’applique, avec un malus maximal de 40 000 euros (plafonné à 50 % du prix d’achat TTC de la voiture)
à partir de 224 g/km.

                                                    www.cae-eco.fr
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