Les Français et les politiques climatiques - Les notes du conseil d'analyse économique, n 73, Juillet 2022 - CAE
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Antoine Dechezleprêtrea, Adrien Fabreb et Stefanie Stantchevac Les Français et les politiques climatiques Les notes du conseil d’analyse économique, n° 73, Juillet 2022 P our réussir la transition écologique, il est essentiel Notre enquête nous conduit à proposer plusieurs pistes de de mieux comprendre les attitudes des citoyens mesures, à la fois efficaces et soutenues par les citoyens. vis-à-vis des politiques climatiques – leurs attentes, Tout d’abord, nous recommandons d’établir un système leurs préoccupations, et les déterminants de leur soutien. d’enquêtes en continu pour mieux comprendre et suivre les Cette Note s’appuie sur les résultats pour la France d’une considérations des citoyens. Nous suggérons également enquête internationale menée dans vingt pays. Adminis- de leur fournir plus d’informations sur le fonctionnement trée en ligne en juin 2021 sur échantillon représentatif de et les effets des politiques climatiques et que cette mis- 2006 Français, cette enquête permet de dresser un pano- sion soit portée par une institution indépendante. Ensuite, rama détaillé des attitudes vis-à-vis du changement clima- la priorité à court terme (en amont de toute future hausse tique et des politiques climatiques. de la tarification carbone et pour protéger les ménages Le premier constat est que les Français sont préoccupés contre les flambées actuelles de prix de l’énergie) doit être par le changement climatique et soutiennent des mesures le renforcement des programmes permettant d’offrir à ambitieuses pour y mettre un terme, aussi bien au niveau chacun des alternatives aux énergies fossiles. Cela passe national qu’international. Certaines mesures sont très par l’augmentation des aides à destination des ménages populaires : les investissements publics dans des infras- vulnérables (rénovation énergétique des bâtiments, inves- tructures décarbonées, l’obligation de rénovation ther- tissements en équipements, véhicules électriques) et par mique assortie de subventions, ou l’interdiction des véhi- l’accélération des investissements publics dans les infras- cules polluants dans les centres-villes. D’autres suscitent tructures bas carbone (transports en commun, réseau des avis partagés : la taxe carbone, l’interdiction des voi- ferroviaire…). À l’avenir, quand la tarification carbone aura tures thermiques ou une taxe sur la viande rouge. augmenté, il faudrait s’engager à utiliser intégralement les Le soutien des répondants à une mesure particulière s’ex- nouvelles recettes liées à cette tarification pour financer plique par trois perceptions cruciales : l’effectivité des des infrastructures et équipements bas carbone ainsi que réductions d’émissions, les effets distributifs et les effets pour compenser les ménages vulnérables via des trans- sur son ménage. L’enquête démontre qu’informer les ferts monétaires. citoyens sur les effets des politiques climatiques, notam- ment distributifs, augmente le soutien à celles-ci. Le design Le soutien à des politiques climatiques efficaces est des politiques est aussi déterminant : ainsi, la tarification possible, mais il est impératif de prendre en compte les carbone est majoritairement acceptée lorsque ses recettes attentes des citoyens en termes d’équité et leur demande servent à financer des investissements verts et/ou des légitime d’alternatives bas carbone en amont de hausses compensations financières pour les ménages vulnérables. de prix et tarifications. Cette note est publiée sous la responsabilité des auteurs et n’engage que ceux-ci. a OCDE et London School of Economics (LSE) ; b ETH Zurich ; c Université de Harvard, CEPR et NBER, Membre du CAE.
2 Les Français et les politiques climatiques Cette Note présente les principaux enseignements pour la d’alternatives au transport individuel carboné apparaît comme France des résultats d’une enquête internationale sur les un frein important : seuls 46 % des répondants déclarent béné- attitudes concernant le changement climatique et les poli- ficier d’une « bonne » disponibilité de transports publics là où tiques climatiques. Les données concernant l’ensemble des ils vivent, alors que 9 sur 10 indiquent utiliser la voiture ou la pays couverts sont exposées en détail dans un document de moto dans leur vie quotidienne. La disposition à limiter l’usage travail de l’OCDE1. de la voiture, la consommation de bœuf, ou le chauffage et la climatisation du logement est modérée. Dit autrement, seule une minorité de répondants semble disposée à modi- fier en profondeur son mode de vie, du moins de son propre Attitudes face au climat chef. Comparées aux pays à hauts revenus, les dispositions des Français à changer leurs modes de vie sont proches de la Une large préoccupation moyenne, même si les Français sont les plus réticents à l’adop- tion d’un véhicule moins polluant. Parmi notre échantillon de 2006 résidents français, le chan- gement climatique est un problème important pour quatre L’adoption d’un mode de vie décarboné dépend de certains répondants sur cinq. Ceux-ci ont une vision sombre des facteurs. Ainsi, six répondants sur dix considèrent comme conséquences du changement climatique d’ici la fin du siècle « très important » que les plus riches changent aussi leur si rien n’est fait pour le limiter. Une majorité considère « très comportement pour qu’eux-mêmes soient disposés à chan- probable » qu’il y ait davantage de canicules et de séche- ger le leur. Il importe aussi que leur entourage change égale- resses, une hausse des flux migratoires, ou une hausse du ment de comportement, d’obtenir un soutien financier suffi- niveau de la mer. Même si la majorité pense que le change- sant, ou de voir mettre en œuvre des politiques climatiques ment climatique ne les affectera personnellement que modé- ambitieuses. rément, trois répondants sur quatre estiment que la France doit prendre des mesures pour lutter contre le changement climatique. Perceptions des politiques climatiques Dans l’ensemble, les résultats pour la France sont similaires à ceux des autres pays à hauts revenus (le consensus sur le Des politiques souvent perçues fait que le changement climatique est un problème important comme régressives et coûteuses contre lequel des mesures doivent être prises est encore plus élevé dans les pays à revenus moyens), même si les répon- Notre enquête explore en détail les perceptions relatives dants français sont plus nombreux à se considérer person- à trois politiques climatiques majeures2 qui s’apparentent nellement affectés. chacune à des mesures prévues dans les plans de décarbo- nation de la Commission européenne (le Green Deal) ou du gouvernement français (la Stratégie nationale bas carbone). Constat 1. Les Français interrogés sont Nous décrivons précisément chaque mesure avant d’inter- conscients des conséquences potentiellement roger les répondants sur leurs propriétés. Le programme désastreuses du changement climatique et d’infrastructures vertes consiste en des investissements reconnaissent la nécessité de lutter contre sa d’ampleur dans des technologies bas carbone (électricité progression, au niveau individuel et collectif. à partir d’énergies renouvelables, transports en commun, rénovation thermique, agriculture raisonnée) financés par de la dette publique. La taxe carbone avec transferts consiste Des dispositions modérées à changer de mode de vie en une hausse de 45 euros/tCO₂ du prix du carbone, appli- quée à tous les secteurs (il est expliqué aux répondants que Les répondants se disent prêts à adopter certains compor- le prix de l’essence augmentera de 10 centimes par litre), tements décarbonés, à partir du moment où ceux-ci repré- et dont les recettes seraient redistribuées aux ménages de sentent un substitut valable pour leurs modes de vie habituels. sorte que chaque adulte reçoive 160 euros par an. Enfin, Par exemple, 45 % se disent largement prêts à adopter un véhi- l’interdiction des véhicules thermiques consiste en un abais- cule électrique ou économe en énergie. Ainsi, plutôt qu’une sement progressif des normes d’émission de CO₂ des véhi- limitation de leurs déplacements en voiture, les Français inter- cules neufs jusqu’à zéro en 2030, date à laquelle tous les rogés privilégient un changement d’équipement. L’absence véhicules neufs devraient être électriques ou à hydrogène. Les auteurs tiennent à exprimer leur reconnaissance toute particulière à Bluebery Planterose, dont la contribution a été déterminante. Ils remercient également Tobias Kruse et Ana Sanchez Chico pour les analyses réalisées dans le cadre de l’étude ayant servi de fondement à cette Note, ainsi que Claudine Desrieux et Madeleine Péron, qui ont suivi ce travail pour le CAE, pour leurs relectures attentives et leurs précieux avis. 1 Dechezleprêtre A., A. Fabre, T. Kruse, B. Planterose, A. Sanchez Chico et S. Stantcheva (2022) : « Fighting Climate Change: International Attitudes Toward Climate Policies », OECD Working Paper, juillet. 2 De nombreuses autres politiques sont également explorées moins en profondeur, voir plus bas. Les notes du conseil d’analyse économique, n° 73
Juillet 2022 3 Ces mesures sont perçues par les répondants comme ayant des effets économiques de ces mesures, les Français inter- de forts effets incitatifs (voir tableau). Seul un quart des rogés se situent dans la moyenne des pays à hauts revenus. répondants n’est pas d’accord pour dire qu’une taxe carbone En revanche, ils sont moins nombreux – de 5 à 15 points de découragerait l’usage de la voiture, et seul un huitième n’est pourcentage (p.p.) en moins – à percevoir l’efficacité environ- pas d’accord pour affirmer qu’un programme d’infrastruc- nementale des mesures climatiques. tures vertes encouragerait l’usage des transports en com- mun. Pour chacune des mesures, une majorité s’accorde Une majorité perçoit chacune des trois mesures comme ainsi sur le fait qu’elle réduirait les émissions de CO₂ ou la neutre ou régressive d’un point de vue redistributif. Pour la pollution, mais une majorité pense également qu’elle serait taxe carbone avec transferts et l’interdiction des voitures un moyen coûteux de lutter contre le changement clima- thermiques, les personnes à bas revenus et les classes tique. Les avis sont plus partagés quant aux conséquences moyennes sont perçues comme perdantes par une majorité sur l’économie et l’emploi dans le pays : à peu près autant de de répondants. Pour chacune des mesures, il y a systémati- Français prévoient des effets positifs que des effets négatifs quement plus de répondants qui pensent que les personnes pour le programme d’infrastructures vertes, ils sont davan- à hauts revenus seraient gagnantes que de répondants qui tage à entrevoir des effets positifs pour l’interdiction des voi- pensent qu’elles seraient perdantes. La France se situe dans tures thermiques et davantage à voir des effets négatifs pour la moyenne des pays à hauts revenus s’agissant des effets la taxe carbone avec transferts3. Concernant la perception redistributifs perçus. Perception des principales mesures climatiques Programme d’infra- Taxe carbone Interdiction des voi- structures vertes avec transferts tures thermiques France Pays à France Pays à France Pays à hauts hauts hauts revenus revenus revenus Effets de la mesure – Réduirait la pollution de l'air 67 76 61 68 65 79 – Réduirait les émissions de CO₂ des voitures — — 56 64 59 73 – Rendrait la production d'électricité plus verte 58 70 — — — — – Encouragerait l'isolation des bâtiments — — 65 64 — — – Modifierait les habitudes de mobilité 54 60 43 51 — — – Effet négatif sur l'économie et l'emploi 27 37 31 31 38 35 – Moyen coûteux de lutter contre le changement climatique 51 30 50 27 58 29 Impacts redistributifs (« Estime que serait gagnant... ») – Son propre ménage 26 23 18 20 25 15 – Les ruraux ou péri-urbains 30 25 23 21 21 16 – Les personnes à hauts revenus 40 39 31 33 40 40 – La classe moyenne 21 22 19 21 11 15 – Les personnes à bas revenus 25 21 20 22 15 12 Justice perçue et soutien – La mesure serait juste 49 51 22 35 27 39 – Favorable à la mesure 57 57 29 37 28 43 Part des réponses positives (en %) ]5-15] ]15-25] ]25-35] ]35-45] ]45-55] ]55-65] ]65-75] ]75-85] Lecture : Les chiffres affichés correspondent aux pourcentages des deux réponses positives : « Plutôt d’accord » et « Tout à fait d’accord ». Source : Enquête présentée dans Dechezleprêtre A., A. Fabre, T. Kruse, B. Planterose, A. Sanchez Chico et S. Stantcheva (2022) : « Fighting Climate Change: international Attitudes Toward Climate Policy », OCDE Working Paper, juillet. 3 Le tableau ne présente que la proportion d’effets positifs, pas la proportion de négatifs (qui ne peut pas se déduire directement en raison des réponses « ni d’accord ni pas d’accord ». www.cae-eco.fr
4 Les Français et les politiques climatiques Constat 2. Une part significative de Français miques et la taxe carbone avec transferts, qui ont un sou- pense que les politiques climatiques sont tien relativement faible à la base, les effets sont importants, régressives et anticipent des conséquences en particulier la vidéo sur les Politiques. Ainsi, le soutien à négatives sur leur ménage. ces mesures s’accroît respectivement de 12 et 15 points de pourcentage (p.p.) lorsque les deux vidéos sont visionnées, devenant alors majoritaire. Le visionnage d’une seule des Trois perceptions déterminent le soutien : deux vidéos suffit à obtenir une majorité relative6 pour la taxe efficacité, effets redistributifs, carbone avec transferts. Pour le programme d’infrastruc- effets sur son ménage tures vertes, qui part d’un soutien bien plus élevé, les vidéos ont un effet plus faible en valeur absolue, mais un effet com- Pour comprendre les déterminants du soutien aux mesures parable quand on le rapporte à la proportion des répondants climatiques, nous étudions les caractéristiques sociales, qui ne soutiennent pas la mesure (+ 14 % contre + 16 à 21 %). énergétiques et politiques des répondants, ainsi que les per- L’information sur les effets redistributifs des politiques conte- ceptions concernant l’efficacité de ces mesures sur le chan- nues dans ces vidéos semble jouer un rôle important. Par gement climatique. exemple, l’opinion que les personnes à bas revenus gagne- raient suite à une taxe carbone avec transferts est de 14 p.p. La variation du soutien aux politiques climatiques s’explique plus élevée pour ceux qui ont vu la vidéo Politiques, qui avant tout par les perceptions concernant leurs effets redis- explique pédagogiquement que c’est le cas. tributifs, leurs effets sur son propre ménage, ainsi que leur efficacité en matière environnementale. L’indice de soutien aux trois mesures principales et un indice qu’elles sont per- 1. Effets de traitements informatifs sur le soutien çues comme justes sont corrélés à 85 %. L’efficacité perçue aux principales mesures climatiques étudiées des politiques à réduire les émissions et la pollution de l’air expliquent 27 % des différences de soutien parmi les répon- a. Programme b. Taxe carbone c. Interdiction d’infrastructures avec transferts des voitures dants. Les effets anticipés des mesures sur son propre vertes thermiques ménage en expliquent 12 % et les effets sur les personnes à 80 bas revenus, 7 %. Ainsi, les perceptions concernant l’efficaci- 63 63 té et les effets redistributifs des mesures expliquent environ 61 60 57 la moitié des différences en termes de soutien aux politiques. % Favorable 44 40 Par rapport aux autres pays étudiés, les Français interrogés 40 35 37 36 sont plus sensibles à l’efficacité des politiques à réduire les 29 32 26 émissions et aux effets sur les personnes à bas revenus, mais 20 moins sensibles aux effets sur leur propre ménage. 0 1 2 3 4 1 2 3 4 1 2 3 4 Informer les citoyens sur les effets des mesures Lecture : 1 : Contrôle ; 2 : Impacts ; 3 : Politiques ; 4 : Les deux. augmente significativement le soutien 28 % des sondés sont favorables à l’interdiction des voitures thermiques. Le pourcentage monte à 32 % s’ils voient la vidéo « Impacts », 36 % s’ils voient la vidéo « Politiques climatiques » et 40 % s’ils voient Pour mesurer l’effet de l’information sur le soutien aux les deux. mesures climatiques, nous présentons à certains répondants Source : Dechezleprêtre A., A. Fabre, T. Kruse, B. Planterose, choisis aléatoirement une vidéo Impacts portant sur les effets A. Sanchez Chico et S. Stantcheva (2022) : « Fighting Climate Change: international Attitudes Toward Climate Policy », OCDE Working Paper, du changement climatique dans le pays4 et/ou une vidéo juillet. Politiques expliquant le fonctionnement et les effets des trois principales politiques climatiques. Les vidéos consistent en des animations graphiques accompagnées par une voix qui présente pédagogiquement des informations nuancées et Constat 3. Le soutien s’explique par les impartiales. perceptions sur l’efficacité environnementale des politiques, sur leurs effets redistributifs et Le visionnage des vidéos Impacts et Politiques a des effets leur impact financier sur le ménage. Informer significatifs sur le soutien à chacune des trois mesures prin- sur les propriétés des mesures peut contribuer cipales (graphique 1)5. Pour l’interdiction des voitures ther- à augmenter leur soutien. 4 Les vidéos sont disponibles sur demande. 5 Ces effets causaux se lisent en faisant la différence entre les valeurs des groupes traités et du groupe de contrôle. Ils correspondent aux coefficients d’une régression qui inclut aussi les indicateurs sociaux et politiques. 6 C’est-à-dire que le nombre de personnes opposées à ces mesures est supérieur au nombre de personnes favorables, même si aucune majorité absolue n’émerge étant donné le taux de personnes indifférentes, qui est autour de 25-30 % pour toutes les mesures). Les notes du conseil d’analyse économique, n° 73
Juillet 2022 5 Soutien aux différentes mesures sur les fruits et légumes issus d’une agriculture biologique et locale et certaines variantes de la taxe carbone (nous traitons Un niveau de soutien varié suivant les mesures celles-ci séparément). Deux autres mesures obtiennent une majorité relative : une contribution à un fonds mondial pour Le graphique 2 présente le soutien ou l’opposition aux financer l’énergie propre dans les pays à bas revenus, et une mesures climatiques considérées dans l’enquête. taxe sur les billets d’avion (augmentant leur prix de 20 %). Deux mesures visant à réduire la consommation des produits issus Comme on l’a vu, une majorité relative s’oppose à l’interdiction de l’élevage bovin suscitent l’opposition d’une majorité rela- des véhicules thermiques. Mais cette mesure obtient une majo- tive : une taxe qui doublerait le prix du bœuf et la suppres- rité relative dans une variante où il est précisé que des alterna- sion des subventions à l’élevage bovin. Enfin, une mesure est tives telles que des transports en commun sont rendues acces- rejetée par une majorité absolue de répondants : une hausse sibles. Le fait que le soutien augmente de 16 p.p. dans cette pure et simple de la taxe sur les énergies fossiles qui augmen- variante confirme que l’absence d’alternatives aux énergies terait le prix de l’essence de 10 centimes par litre – c’est-à- fossiles est déterminante dans le rejet de certaines mesures. dire à peu de choses près la taxe carbone sans affectation des Ce besoin d’alternatives permet de comprendre l’engouement recettes telle qu’initialement mise en œuvre et contestée par pour le programme d’infrastructures vertes, qui s’explique pro- les Gilets jaunes. bablement aussi par l’ambiguïté sur ceux qui en paieront le coût. D’autres mesures obtiennent une majorité absolue de soutien : l’obligation de rénovation thermique des bâtiments Constat 4. Les subventions à l’adoption et au d’ici 2040 associée à des subventions publiques prenant en déploiement de technologies bas carbone, les charge la moitié des coûts est la plus populaire, avec 64 % investissements publics dans des infrastructures de soutien (et 15 % d’opposition), les autres étant l’interdic- décarbonées, l’obligation de rénovation thermique tion des véhicules polluants dans les zones denses comme les assortie de subventions et l’interdiction des centres-villes, des subventions aux technologies bas carbone, véhicules polluants des centres-villes sont l’interdiction de l’élevage intensif de bovins, des subventions soutenues par une majorité de Français. 2. Soutien des Français à différentes mesures climatiques nationales Principales politiques étudiées Programme d’infrastructures vertes4 413 13 25 25 39 39 18 18 Taxe carbone avec transferts 14 14 21 21 36 36 23 23 6 6 Interdiction des voitures thermiques 17 17 27 27 29 29 19 19 8 8 Politiques relatives aux transports Interdiction des véhicules polluants dans les zones denses comme les grandes villes 9 9 16 16 18 18 37 37 19 19 Taxe sur les billets d’avion (+ 20 %) 15 15 20 20 19 19 30 30 15 15 Interdiction des voitures thermiques, avec alternatives 11 11 18 18 28 28 29 29 14 14 Politiques relatives à l’énergie Isolation obligatoire et subventionnée des bâtiments5 510 10 21 21 46 46 18 18 Subventions aux technologies bas carbone 6 6 11 11 26 26 40 40 16 16 Contrib. à un fonds climatique mondial pour financer l’énergie propre dans les pays à bas revenus 10 10 13 13 29 29 36 36 12 12 Taxe sur les énergies fossiles (40 euros/tCO2) 23 23 27 27 19 19 24 24 7 7 Politiques relatives à l’alimentation Interdiction de l’élevage intensif de bovins 9 9 16 16 20 20 28 28 27 27 Subventions sur les légumes, fruits, et fruits secs issus d’agriculture biologique et locale 29 29 31 31 21 21 9 9 11 11 Taxe élevée sur les produits bovins, de sorte que le prix du bœuf double 8 8 24 24 25 25 22 22 21 21 Suppression des subventions à l’élevage bovin 15 15 27 27 30 30 20 20 8 8 Taxe carbone finançant Projets d’infrastructures vertes2 62 6 27 27 41 41 24 24 Baisse de l’impôt sur le revenu 6 69 9 23 23 44 44 18 18 Subventions aux technologies bas carbone 3 9 3 9 32 32 39 39 18 18 Versement pour les Français les plus modestes 10 10 12 12 22 22 36 36 19 19 Compensation pour les ménages dépendants aux énergies fossiles 9 9 11 11 25 25 40 40 14 14 Crédits d’impôts pour les entreprises les plus touchées 7 7 15 15 26 26 41 41 12 12 Réduction du déficit public 4 9 4 9 38 38 34 34 15 15 Versement à tous les Français 11 11 19 19 25 25 32 32 12 12 Baisse de l’impôt sur les sociétés 13 13 16 16 34 34 28 28 9 9 0 % 0 %10 %10 % 20 %20 30 % %30 % 40 %40 %50 %50 % 60 %60 % 70 %70 % 80 %80 % 90 %90100 % 100 % % Très opposé(e) Plutôt opposé(e) Indifférent(e) Plutôt favorable Très favorable Source : Annexe France, note 5 de Dechezleprêtre A., A. Fabre, T. Kruse, B. Planterose, A. Sanchez Chico et S. Stantcheva (2022) : « Fighting Climate Change: international Attitudes Toward Climate Policy », OCDE Working Paper, juillet. www.cae-eco.fr
6 Les Français et les politiques climatiques Le soutien à une mesure dépend de ses modalités est expliquée par les facteurs socio-économiques et énergé- tiques, mais la part expliquée de cette variation monte à 62 % Le soutien à une mesure varie substantiellement suivant ses lorsque l’on inclut les perceptions. sources de financements, ses modalités, ou l’usage de ses recettes (dans le cas d’une taxe). Néanmoins, la plupart des variables socio-démographiques sont significativement corrélées au soutien. C’est en particu- Les répondants français soutiennent très nettement la lier le cas du positionnement sur les questions de politique taxe carbone lorsque ses recettes sont utilisées pour finan- économique : le soutien est le plus faible chez les personnes cer des projets d’infrastructures vertes. D’autres variantes qui se considèrent le plus à droite, et d’autant plus élevé que obtiennent une majorité absolue, notamment l’utilisation de les personnes se placent à gauche du spectre politique. recettes pour une baisse de l’impôt sur le revenu, des sub- ventions aux technologies bas carbone, un transfert aux plus Une particularité française (avec l’Australie et les États-Unis) modestes, une compensation pour les ménages dépendants est que les plus jeunes soutiennent davantage les mesures des énergies fossiles, ou des crédits d’impôt pour les entre- climatiques. Dans la plupart des autres pays, les plus âgés prises les plus touchées. Toutes ces variantes obtiennent ne soutiennent pas moins les mesures ; ils les soutiennent plus de soutien que l’utilisation des recettes pour un verse- même davantage dans les pays asiatiques et dans certains ment à tous les Français (c’est-à-dire la modalité qui corres- pays à revenus moyens. pond à la mesure principale de hausse de la taxe carbone que nous présentons). Concernant les indicateurs énergétiques, deux variables se démarquent comme prédicteurs du soutien : la disponibilité des transports en commun, et l’usage de la voiture dans la Constat 5. Le soutien aux mesures de vie quotidienne. Si ces facteurs sont importants dans tous tarification carbone est nettement plus élevé les pays, c’est en France que l’usage de la voiture a le plus lorsque les recettes financent des transferts fort effet sur le soutien. La France est aussi un des pays où pour compenser les ménages vulnérables ou le fait de manger du bœuf régulièrement ou de travailler dans des investissements verts. un secteur polluant a le plus fort effet. Conditionnellement à ces facteurs, on ne trouve pas d’effet significatif des autres variables : taille de l’agglomération, dépenses de gaz Lorsqu’on leur demande de cocher quelles sources de finan- ou d’essence, fréquence des vols en avion, ou le fait d’être cement ils trouveraient appropriées pour un programme d’in- propriétaire. frastructures vertes, 69 % des Français choisissent une aug- mentation des taxes sur les plus riches, tandis que les autres options ne sont choisies que par 15 à 33 % des répondants. Constat 6. La France est le pays où la Ces options comprennent une réduction des dépenses mili- différence de soutien entre ceux qui utilisent taires, une réduction des dépenses sociales, une augmenta- et qui n’utilisent pas de voiture est la plus tion de la TVA, et de la dette publique additionnelle. importante. La qualité des services et des équipements disponibles importe plus que la taille de l’agglomération du lieu d’habitation. Quelques spécificités françaises Par rapport aux autres pays à hauts revenus, la France, l’Alle- Un fort soutien aux mesures climatiques globales magne et le Danemark sont les seuls pays sans majorité rela- tive en faveur d’une interdiction des véhicules thermiques ou Lorsqu’on leur demande de cocher les niveaux auxquels des d’une taxe carbone avec transferts. Notons toutefois que ce politiques climatiques doivent être mises en place, 85 % rejet ne s’étend pas aux variantes de la taxe carbone (avec des répondants français choisissent l’échelle mondiale, différents usages des recettes), pour lesquelles la France 37 % l’échelle européenne, 27 % l’échelle nationale et 26 % se situe dans la moyenne des pays à hauts revenus. Autre l’échelle locale. Cette préférence pour l’échelle mondiale spécificité : avec l’Italie, la France est le seul pays où l’inter- ne doit cependant pas être comprise comme une attitude diction de l’élevage intensif de bovins recueille une majorité attentiste par laquelle les Français ne voudraient agir pour absolue d’avis favorables. Sur les autres mesures, la France le climat que si le monde entier agit également. En effet, se situe dans la moyenne des pays à hauts revenus. une forte majorité relative considère que si les autres pays en font moins pour le climat, la France devrait en faire plus. Ainsi le soutien à des mesures mondiales est-il un Un soutien peu expliqué par les caractéristiques prolongement – plutôt qu’un substitut – du soutien à des socio-démographiques mesures nationales. Le soutien aux mesures s’explique largement par les percep- Concernant la répartition des efforts de réduction d’émis- tions de leurs effets : seule 14 % de la variation du soutien sions, quand on leur demande en proportion de quoi les pays Les notes du conseil d’analyse économique, n° 73
Juillet 2022 7 devraient payer les investissements nécessaires, 71 % des peuvent servir d’instruments pour la conception des poli- répondants sont d’accord pour que ce soit proportionnelle- tiques publiques, et sur les attitudes envers celles-ci. Notre ment aux émissions des pays, 66 % proportionnellement à enquête est une illustration de cette méthode8. Le principe leurs revenus, et 51 % proportionnellement à leurs émissions sous-jacent de cette approche est que la réussite des poli- cumulées depuis 1990. En outre, une majorité de répondants tiques publiques passe par une écoute des citoyens selon une estime que les pays à bas revenus ne devraient pas avoir à méthode rigoureuse et inclusive, c’est-à-dire qui permette payer pour les réductions de leurs émissions et devraient d’entendre les citoyens qui sont souvent invisibilisés (du fait même recevoir de l’aide des pays riches. Ces réponses de leurs revenus, de leur catégorie socio-économique ou de témoignent d’une conscience du besoin de juste répartition leur lieu d’habitation). Les enquêtes peuvent être un baro- des efforts au niveau mondial. mètre essentiel pour recenser les points de vue en amont de la mise en œuvre des politiques environnementales, pour s’enquérir de leur réception et évaluer leur impact immédiate- Constat 7. En complément de mesures ment après leur mise en œuvre. Les enquêtes viennent donc climatiques nationales, la plupart des Français compléter de manière essentielle d’autres outils d’évaluation interrogés soutiennent un accord mondial mobilisables longtemps après l’application d’une mesure, pour réduire les émissions selon une clé de une fois les données d’impact collectées. Elles permettent répartition équitable des efforts. de constater rapidement les effets de l’introduction d’une politique et les obstacles rencontrés. Elles renseignent aussi sur les perceptions en fonction de la situation socio-écono- mique, des considérations en matière d’équité et des déficits Élaborer des politiques climatiques de connaissances ou de perceptions erronées qui pourraient efficaces et bien acceptées être modifiées grâce à de meilleures informations. Mieux comprendre les perceptions des citoyens Des propositions récentes se sont cristallisées autour de nouvelles formes de gouvernance, telles que la mise en place La réponse au défi climatique invite à réfléchir à de nou- d’un plan quinquennal ou d’un « continuum délibératif »9 ou velles façons de concevoir les politiques climatiques. Il est bien la nécessité de développer une « écologie du contrat » qui notamment essentiel de comprendre les considérations, ne reposerait pas seulement sur la nécessité de légiférer et inquiétudes et contraintes des citoyens ; les mesures écolo- d’émettre de nouvelles normes, mais aussi sur une capacité giques pouvant conduire à changer profondément les modes d’entraînement de la société et des entreprises basée sur la de vie. Ainsi, les hausses des prix des carburants, qui sont coopération et la négociation, à l’exemple de la Convention immédiatement perceptibles et affectent les déplacements citoyenne pour le climat10. Nous estimons que les enquêtes quotidiens d’une majeure partie de la population, suscitent de grande envergure constituent un instrument complémen- régulièrement des mouvements de contestation sociale, en taire de ces nouvelles formes de gouvernance, et qu’elles France comme à l’étranger. D’après la théorie économique, peuvent aider à améliorer à la fois l’efficacité et la légitimité une taxe sur les carburants ne peut réduire la consommation des politiques publiques, et la confiance des citoyens envers de carburants que si les payeurs peuvent renoncer à cette le système politique. consommation, par exemple en prenant le bus plutôt que leur voiture7. Or, les données issues de notre enquête montrent que l’absence d’alternatives à la voiture est une contrainte Recommandation 1. Conduire régulièrement importante, qui devrait être levée avant qu’une hausse de des enquêtes sur les contraintes pesant sur les la taxe sur les carburants puisse être mise en œuvre effica ménages, sur la compréhension et l’acceptation cement. des mesures climatiques, et mieux intégrer les attentes et préoccupations des citoyens dans Il est donc important de collecter régulièrement des don- la définition des politiques. nées sur la compréhension des différentes mesures qui 7 Cet exemple est pris de du rapport de Blanchard O. et J. Tirole (2021) : Les grands défis économiques, Rapport France Stratégie, juin. 8 L’ADEME (Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie) conduit actuellement des enquêtes annuelles « Représentations sociales du changement climatique » qui sont un bon exemple. Notre enquête complète ces travaux avec des mesures plus détaillées et une structure qui permet d’appréhender des aspects différents des perceptions des citoyens. 9 Barasz J. et H. Garner (coord.) (2022) : Soutenabilités ! Orchestrer et planifier l’action publique, Rapport France Stratégie, mai. 10 Canfin P. et T. Pech (2021) : « Gouverner la transition écologique », Note Terra Nova, novembre. www.cae-eco.fr
8 Les Français et les politiques climatiques Mieux informer sur les politiques climatiques mations nouvelles sur le fonctionnement et les effets des politiques climatiques. Le Haut conseil pour le climat, créé Notre étude montre que l’effet des informations portant sur en 2019, a rapidement fait la preuve de son expertise et de le changement climatique lui-même est limité, car la grande son indépendance par rapport au gouvernement. À ce titre, il majorité des citoyens est déjà consciente du problème et de serait un bon candidat pour remplir cette mission, qui néces- ses conséquences. En revanche, notre étude suggère qu’il siterait un élargissement de son mandat et ses compétences existe un clair déficit de connaissances sur l’effet des poli- et une augmentation conséquente de son budget. tiques publiques, notamment en termes de progressivité, et démontre que fournir de l’information sur ces éléments a un effet très fort sur les perceptions des mesures. Recommandation 2. Mieux informer les citoyens sur le fonctionnement et les effets des Notre deuxième recommandation est donc d’offrir aux citoyens politiques climatiques. Envisager de confier l’information nécessaire sur les trois aspects clés des poli- cette mission d’information au Haut Conseil tiques climatiques : efficacité à réduire les émissions, équité pour le climat en lui allouant des moyens à la et intérêt personnel. D’autres études confirment la nécessité hauteur de cette nouvelle compétence. d’une information ciblée et centrée autour des effets distribu- tifs et d’efficacité. Par exemple, Maestre-Andrés et al. (2021)11 montrent que fournir de l’information sur l’impact environ- Développer des alternatives aux énergies fossiles nemental et distributif d’une taxe carbone en Espagne a un effet positif sur l’acceptation. En Colombie-Britannique, Notre enquête le montre : la présence d’alternatives décar- Rhodes et al. (2014)12 montrent à l’aide d’expériences d’in- bonées constitue un levier puissant à la mise en œuvre de formation que le soutien pour la taxe carbone augmente politiques climatiques bien acceptées. Offrir des alternatives avec son efficacité perçue. Pour la France, Douenne et Fabre à la voiture thermique est par exemple un enjeu essentiel, car (2022)13 montrent que le soutien à la taxe carbone s’explique elles sont pour l’instant limitées voire inexistantes pour une entièrement par les trois croyances mises en évidence dans grande partie des déplacements. notre enquête : efficacité, progressivité et intérêt personnel. Au vu des résultats de notre étude, le séquençage des poli- Cette information pourrait être intégrée aux programmes tiques publiques doit donc être le suivant : d’abord favo scolaires, prendre la forme de campagnes de communication riser l’adoption à grande échelle d’alternatives décarbonées non partisane et s’accompagner de ressources publiques en (via des infrastructures publiques et des subventions à l’équi- ligne. Nos vidéos pédagogiques sont un exemple d’information pement des ménages), puis, dans un second temps seulement, facile à comprendre, objective et efficace. L’importance envisager une hausse de la tarification du carbone. d’information visuelle et tangible a été soulignée dans de nombreuses d’études (pour un résumé, voir Metze, 2020)14. Cette recommandation paraît d’autant plus indispensable au regard de la hausse récente des prix de l’énergie exacerbée par Cette information peut également être fournie par le biais la situation géopolitique. Une tarification carbone ne peut pas de simulateurs en ligne permettant aux citoyens de prédire être envisagée dans un contexte de forte hausse des prix de facilement combien leur coûtera ou leur rapportera ces poli- l’énergie. Aider aujourd’hui les ménages (notamment ceux aux tiques. Notre étude souligne aussi que de nombreux citoyens revenus modestes) à s’équiper est nécessaire pour les prémunir ont des perceptions pessimistes sur l’impact des politiques contre la hausse actuelle et future des prix de l’énergie et environnementales sur leur propre ménage. Il est donc néces- contre d’éventuelles nouvelles tarifications du carbone à venir. saire de leur offrir des simulateurs simples et interactifs En particulier, le nouveau marché du carbone européen qui afin qu’ils puissent estimer l’effet des réformes proposées concernerait à la fois les transports et les bâtiments ne devrait sur leur propre ménage (c’est-à-dire sur des ménages qui ont pas voir le jour avant 2026 au plus tôt. Il reste donc quatre ans le même niveau de revenu et situation)15. pour développer des alternatives aux énergies fossiles, afin de protéger les ménages des augmentations de prix futures. Au vu de la défiance vis-à-vis du gouvernement et de l’État, une question importante est celle des institutions les mieux L’exemple de la nouvelle taxe carbone introduite aux Pays- à même de fournir de manière objective et crédible ces infor- Bas en 2021 (le Carbon Levy) est à ce titre instructive, même 11 Maestre-Andrés S., S. Drews, I. Savin et J. van den Bergh (2021) : « Carbon Tax Acceptability with Information Provision and Mixed Revenue Uses », Nature Communications, vol. 12, art. 7017. 12 Rhodes E., J. Axsen et M. Jaccard (2014) : « Does Effective Climate Policy Require Well-Informed Citizen Support? », Global Environmental Change, n° 29. 13 Douenne T. et A. Fabre (2022) : « Yellow Vests, Pessimistic Beliefs, and Carbon Tax Aversion », American Economic Journal: Economic Policy, vol. 14, n° 1. 14 Metze T. (2020) : « Visualization in Environmental Policy and Planning: A Systematic Review and Research Agenda », Journal of Environmental Policy and Planning, vol. 22, n° 5. 15 Pour un exemple, voir le site de simulation de Réseau action climat : https://reseauactionclimat.org/calculer-sa-taxe-carbone-juste/ ou celui de Citizens’ Climate Lobby UK : https://test.citizensclimatelobby.uk/climate-income-calculator/ Les notes du conseil d’analyse économique, n° 73
Juillet 2022 9 si elle concerne essentiellement les entreprises. La taxe a En France, de nombreux instruments d’aide publique à la réno- été introduite avec un taux initialement bas et une trajectoire vation énergétique des logements existent, le plus important croissante déterminée à l’avance jusqu’en 2030. Mais elle a étant le dispositif « MaPrimeRénov’ » lancé en 2020 et qui été complétée par un instrument de subvention à l’adoption fournit une aide plus ou moins élevée selon les revenus du de technologies bas carbone doté de 500 millions d’euros ménage. Le dispositif a connu un essor important en termes par an (le SDE++) dont le déploiement en amont avait pour de souscription, avec 644 000 demandes accordées en 2021, objectif d’éviter aux entreprises de payer les futures taxes dans l’immense majorité pour des rénovations partielles plu- liées au Carbon Levy (Anderson et al., 2021)16, en renforçant tôt que globales, ce qui s’explique par des plafonds d’aide peu encore les incitations à investir suscitées par les augmenta- élevés au regard des coûts typiques (le cumul des primes par tions futures et prévisibles de la taxe. De la même manière, logement et ménage sur 5 ans est plafonné à 20 000 euros)17. toute hausse future de la tarification carbone devrait être pré- cédée d’un renforcement significatif des dispositifs publics Les évaluations existantes du dispositif soulignent l’atteinte d’aide à l’adoption d’équipements bas carbone. Ces disposi- des objectifs quantitatifs et sociaux du programme, mais ques- tifs sont d’autant plus urgents dans le contexte de hausse de tionnent les gains d’efficacité énergétique réalisés et insistent prix de l’énergie. sur la nécessité de favoriser les rénovations globales à l’ave- nir afin d’augmenter l’efficacité environnementale du disposi- tif (Goldberg et Guillou, 2022, Dolques, 2022, Rüdinger, 2022, Recommandation 3. Séquencer la mise en Haut Conseil pour le climat, 2020, et Descoeur et Meynier- place des politiques climatiques : favoriser Millefert, 2021)18. Notons que le choix du ciblage des aides à d’abord la diffusion d’alternatives bas carbone la rénovation est compliqué : les coûts non monétaires (durée pour protéger les ménages des hausses des des travaux et inconfort qui leur est lié) ont tendance à être prix, avant des hausses éventuelles du prix du sous-estimés et les économies d’énergie observées sont carbone. souvent inférieures à celles initialement espérées (Fowlie et al., 2018 ; Blaise et Glachant, 2019)19. Les alternatives décarbonées dépendent en partie d’investis- Du côté des aides à l’acquisition de véhicules basses émissions sements privés qu’il convient d’encourager et de subvention- (électriques, hybrides rechargeables ou hydrogène), on note le ner, notamment pour les ménages les plus vulnérables qui font dispositif du bonus écologique20. Les véhicules électriques ont face à des contraintes de financement importantes. En effet, atteint 10 % des ventes de voitures neuves en France en 2021 dans notre enquête, 54 % des ménages dans le premier quar- après 1,9 % en 2019 et 6,7 % en 2020, mais l’impact direct tile de revenus donnent les contraintes financières comme rai- du bonus écologique sur cette hausse n’a pas été analysé à son principale de ne pas pouvoir s’équiper mieux, contre 35 % notre connaissance. La prime ayant été similaire en 2019 et des ménages dans le quartile supérieur. Mais la vulnérabilité 2020, il nous semble que d’autres facteurs comme les normes ne dépend pas uniquement du niveau de revenu : entrent éga- d’émissions européennes, l’augmentation des prix de l’éner- lement en compte la localisation géographique (et notamment gie (et sa hausse prévisible sur le long terme), l’amélioration de la disponibilité ou non de moyens de transport en commun), de la capacité des batteries et la baisse du prix des modèles la qualité du logement, la composition du ménage et la dépen- expliquent ce succès récent. Par comparaison, en Norvège, la dance vis-à-vis de la consommation d’énergie fossile. part de marché des véhicules électriques a atteint 65 % en 16 Anderson B., E. Cammeraat, A. Dechezleprêtre, L. Dressler, N. Gonne, G. Lalanne, J. Martins Guilhoto et K. Theodoropoulos (2021) : « Policies for a Climate- Neutral Industry: Lessons from the Netherlands », OECD Science, Technology and Industry Policy Papers, n° 108, Éditions OCDE Paris. 17 Le programme est complété par les Certificats d’économies d’énergie (CEE), le programme « Habiter mieux sérénité » (réservé aux ménages modestes pour les rénovations globales), et l’éco-prêt à taux zéro. Ce dernier, d’un montant maximal de 50 000 euros, permet de financer des travaux de rénovation énergétique dans un logement pour les propriétaires occupants ou les bailleurs de logements. Il couvre aussi bien les travaux de rénovation ponctuelle que les travaux de rénovation globale. 18 Cf. Goldberg N. et A. Guillou (2022) : Un plan de bataille pour le climat qui soit socialement désirable : le temps du consensus et de l’action, Rapport Terra Nova ; Dolques G. (2022) : Quelles aides publiques pour la rénovation énergétique des logements ?, Rapport I4CE ; Rüdinger A. (2022) : « La rénovation énergétique, levier essentiel pour se prémunir durablement contre la hausse des prix de l’énergie », Billet de Blog de l’IDDRI ; Haut Conseil pour le Climat (2020) : Rénover mieux : leçons d’Europe, Réponse à la saisine du gouvernement, novembre ; Descoeur V. et M. Meynier-Millefert (2021) : Rapport d’information sur la rénovation thermique des bâtiments, Assemblée nationale, n° 3871, février. 19 Fowlie M., M. Greenstone et C. Wolfram (2018) : « Do Energy Efficiency Investments Deliver? Evidence from the Weatherization Assistance Program », The Quarterly Journal of Economics, vol. 133, n° 3. ; Blaise M. et M. Glachant (2019) : « Quel est l’impact des travaux de rénovation énergétique des logements sur la consommation d’énergie ? », La Revue de l’Énergie, n° 646, septembre-octobre. 20 Celui-ci prévoit une aide maximale de 6 000 euros par véhicule (plafonnée à 27 % du coût d’acquisition TTC) pour les véhicules dont le prix ne dépasse pas 45 000 euros. Une aide de 2 000 euros est prévue si le prix se situe entre 45 000 et 60 000 euros. Cette aide est cumulable avec la prime à la conversion destinée à retirer de la circulation les véhicules les plus anciens, qui s’applique également pour l’achat de véhicules thermiques mais avec un barème plus avantageux pour les véhicules électriques (jusqu’à 5 000 euros pour un véhicule électrique, contre 3 000 euros pour un véhicule thermique) et des aides plus élevées pour les ménages les plus modestes (moins de 13 489 euros de revenu fiscal de référence par part). Du côté des véhicules thermiques, un malus calculé sur les émissions des véhicules thermiques s’applique, avec un malus maximal de 40 000 euros (plafonné à 50 % du prix d’achat TTC de la voiture) à partir de 224 g/km. www.cae-eco.fr
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