Les modifications de rédaction et de motivation des décisions du Conseil constitutionnel

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SDER, BDP, « Les modifications de rédaction et de motivation des décisions du Conseil
                         constitutionnel », décembre 2016

      SERVICE DE DOCUMENTATION, DES ETUDES
      ET DU RAPPORT DE LA COUR DE CASSATION

     Bureau du droit public et du droit constitutionnel

    Les modifications de rédaction et de
    motivation des décisions du Conseil
              constitutionnel

                           Version actualisée au : 27/04/2017
Le travail préalable à la réforme

Le Conseil constitutionnel n'a pas communiqué sur le processus décisionnel retenu afin d’aboutir à
la réforme du mode de rédaction des décisions. Ainsi, contrairement au Conseil d’État, aucun
groupe de travail n'a été constitué publiquement afin d’élaborer des propositions. Cela peut
conduire à penser qu'un processus moins formalisé de type discussion ouverte, propositions ou
négociations a été engagé. De par les objectifs similaires retenus par le nouveau président du
Conseil constitutionnel pour aboutir à de telles modifications, certains auteurs estiment que le
Conseil constitutionnel aurait pu s'inspirer du rapport du groupe de travail sur la rédaction des
décisions de la juridiction administrative publié en avril 20121.
Dès le mois d'avril 2016, Laurent Fabius évoquait ses projets de modification de la rédaction des
décisions du Conseil constitutionnel dans un entretien au journal Le Monde2. Celui-ci expliquait
avoir pour volonté de simplifier les décisions par un allégement rédactionnel ainsi que d'en
améliorer la compréhension par un approfondissement de la motivation : « La juridictionnalisation
implique aussi d’améliorer encore la motivation de nos décisions : sans dériver vers des rédactions
fleuves, nous devons éviter les affirmations qui seraient insuffisamment argumentées » et « Tout en
conservant l’ossature et la précision indispensables au raisonnement juridique, nous allons nous
efforcer de rendre plus accessibles nos décisions, notre vocabulaire, notre style », assure M. Fabius,
pour qui « on doit pouvoir lire et comprendre [les] décisions [du Conseil constitutionnel] sans le
concours d’un dictionnaire "franco-juridique" ».

                             La mise en œuvre de la réforme

C'est par un communiqué de presse très succin du 10 mai 2016 que le Conseil constitutionnel a
annoncé la mise en œuvre de la modification rédactionnelle de ses décisions. Consécutivement à la
publication de deux décisions adoptant le nouveau mode de rédaction3, le Conseil constitutionnel a
indiqué notamment que celui-ci « a pour objectifs de simplifier la lecture des décisions du Conseil
constitutionnel et d'en approfondir la motivation. Ce mode de rédaction s'appliquera désormais à
l'ensemble des décisions rendues par le Conseil constitutionnel4 ».
Les changements opérés dans la rédaction et la motivation des décisions du Conseil constitutionnel
peuvent être détaillés de la manière suivante :

       Les visas sont abandonnés. En effet, le traditionnel visa « Vu la Constitution » est remplacé
        par la mention « Au vu des textes suivants... ».

       La rédaction des motifs a été simplifiée, notamment afin de faire disparaître des décisions le

1   Serge Surin, La rédaction des décisions du Conseil constitutionnel, Site personnel de Monsieur Surin.
2   Le Monde, 18 avril 2016, Laurent Fabius présente ses projets pour le Conseil constitutionnel.
3   Décisions n° 2016-539 QPC et 2016-540 QPC du 10 mai 2016
4   Communiqué du Président du Conseil constitutionnel, 10 mai 2016, Site internet du Conseil constitutionnel.
terme « grief » considéré comme difficile d’accès pour le grand public. Ainsi, les titres
        traditionnel comme « sur les griefs tirés de la méconnaissance…. » ou « sur les autres
        griefs », sont remplacées par la mention « le Conseil constitutionnel s'est fondé sur ce qui
        suit ».

       Les considérants sont abandonnés et les phrases sont maintenant ponctuées d'un point au
        lieu d'un point virgule. Par souci de pédagogie, la numérotation des paragraphes demeure.

       En toute fin de dispositif, la mention « délibéré par le Conseil constitutionnel » est
        remplacée par « jugé par le Conseil constitutionnel ».
Le commentaire rédigé par le service juridique du Conseil constitutionnel concernant la décision n°
2016-540 QPC du 10 mai 2016 indique, en introduction, que le Conseil a mis en œuvre un objectif
de « modernisation du mode de rédaction de ses décisions » en renforçant « l'intelligibilité et la
lisibilité de ses décisions afin de permettre une motivation plus approfondie de celles-ci ».

                            Les commentaires de la doctrine

Récente, la modification de la rédaction des décisions du Conseil constitutionnel n'a fait l'objet que
de quelques commentaires en doctrine.
Certains auteurs soulignent, pour l'expliquer, la volonté du nouveau Président5. Comme évoqué
supra, la doctrine rappelle également que cette réforme s'inscrit dans la continuité de celles déjà
engagées par le Conseil d’État et la Cour de cassation6.
Certains articles évoquent une véritable « révolution » induite par la fin de la phrase unique et par
l'abandon de la structure en considérant, soulignant également les améliorations dues à la rédaction
de phrases plus courtes et à l’effort pédagogique fourni par le Conseil7.
Néanmoins, il ressort de la plupart des commentaires le caractère limité de la réforme opérée par le
Conseil constitutionnel. En effet, même si le caractère récent de la réforme limite le recul nécessaire
à l'appréciation des incidences sur le grand public, certains auteurs relèvent une modernisation « à
un niveau superficiel 8» en ce que la structure des décisions demeure inchangée. Ainsi, pour certains
auteurs, l'amélioration éventuelle de la lisibilité susceptible de résulter de ces modifications « ne
changera probablement rien aux effets des décisions ni aux méthodes permettant de les
interpréter9 ».
Pour les commentateurs, il n'est pas évident que les décisions, même modernisées, y gagnent en
clarté et en lisibilité tant les reformulations, très limitées, n'impactent pas le style rédactionnel

5   T. Piazzon, « Chronique de droit privé », Les nouveaux cahiers du conseil constitutionnel, octobre 2016, n° 53 p.
    141.
6   D. Rousseau, Contentieux constitutionnel, 2016, § 246. Voir également P. Y. Gahdoun, « Chronique de droit
    public », Les nouveaux cahiers du Conseil constitutionnel, octobre 2016, n° 53 p. 157
7   F. Malhière, « Le considérant est mort ! Vive les décisions du Conseil constitutionnel », Gazette du Palais, 24 mai
    2016, n° 19, p. 11
8   M. Troper et F. Hamon, Droit constitutionnel, LGDJ, 2016. § 780
9   Ibid.
général qui demeure, selon eux, inchangé10. Ces mêmes commentateurs relèvent leur difficulté à
« cerner la simplification qui résulterait de cette manœuvre, tout comme le gain de clarté qu'en soi
elle engendrerait ».
D'autres estiment que la réforme n'a pas pas pleinement été réalisée, regrettant que le Conseil
constitutionnel n'ait pas entrepris de systématiser le rappel des décisions de principe sur le modèle
du juge européen, des références explicites aux décisions des autres juridictions, des éléments de
droit comparé, voire même la publication des opinions dissidentes11.
Enfin, plus particulièrement concernant la décision n° 2016-540 QPC appliquant les nouvelles
normes rédactionnelles, la doctrine évoque une motivation qui n'est « ni meilleure, ni moins bonne
que dans la moyenne habituelle», déplorant une innovation paraissant « moins radicale que celle
récemment menée par la Cour de cassation12 ».

10 P. Y. Gahdoun, « Chronique de droit public », Les nouveaux cahiers du Conseil constitutionnel, octobre 2016, n° 53
   p. 157 et T. Piazzon, « Chronique de droit privé », Les nouveaux cahiers du conseil constitutionnel, octobre 2016,
   n° 53 p. 141.
11 P. Y. Gahdoun, « Chronique de droit public », Les nouveaux cahiers du Conseil constitutionnel, octobre 2016, n° 53
   p. 157
12 T. Piazzon, « Chronique de droit privé », Les nouveaux cahiers du conseil constitutionnel, octobre 2016, n° 53 p.
   141.
Exemples des modifications induites par la réforme

Les exemples présentés infra ont pour objectif de comparer deux décisions QPC portant sur une
mesure de servitude au regard du droit de propriété. La première adopte le style rédactionnel
classique tandis que la seconde adopte le style rédactionnel modifié.

                                          Exemple n° 1 :

                 Décision rédigée selon les modalités antérieures à la réforme

→ Décision n° 2015-518 QPC du 2 février 2016

Le Conseil constitutionnel a été saisi le 2 novembre 2015 par le Conseil d'État (décision n° 386319
du 2 novembre 2015), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question
prioritaire de constitutionnalité posée pour l'association Avenir Haute Durance, les communes de
Puy-Sainte-Eusèbe, Réallon, Châteauroux-les-Alpes, Puy Sanières, La Bâtie-Neuve, les
associations Société alpine de protection de la nature, France Nature Environnement Provence-
Alpes-Côte-d'Azur, Hautes-Alpes Nature Environnement, Les Hauts des Granes, Curl'air
Parapente, la société Jennif'Air SARL, Mme Anne-Marie A., MM. Maurice A. et Jean P., Mme
Patricia P., M. Gilles G., Mme Lucie B. et M. Jean-Baptiste M., par Me Etienne Tête, avocat au
barreau de Lyon, relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit des
articles L. 323-3 à L. 323-9 du code de l'énergie, enregistrée au secrétariat général du Conseil
constitutionnel sous le n° 2015-518 QPC.

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL,
Vu la Constitution ;
Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur le Conseil
constitutionnel ;
Vu le code de l'énergie ;
Vu le code de l'environnement ;
Vu l'ordonnance n° 2011-504 du 9 mai 2011 portant codification de la partie législative du code de
l'énergie ;
Vu la loi n° 2013-619 du 16 juillet 2013 portant diverses dispositions d'adaptation au droit de
l'Union européenne dans le domaine du développement durable, notamment son article 38 ;
Vu la loi n° 2015-992 du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte ;
Vu le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour
les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Vu les observations produites pour les requérants par Me Tête, enregistrées les 22 novembre et 8
décembre 2015 ;
Vu les observations produites pour la société Réseau de Transport d'Électricité, partie en défense,
par la SCP Anne Sevaux et Paul Mathonnet, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation,
enregistrées les 25 novembre et 10 décembre 2015 ;
Vu les observations produites par le Premier ministre, enregistrées le 25 novembre 2015 ;
Vu les pièces produites et jointes au dossier ;
Me Tête pour les requérants, Me Paul Mathonnet pour la partie en défense et M. Xavier Pottier,
désigné par le Premier ministre, ayant été entendus à l'audience publique du 26 janvier 2016 ;
Le rapporteur ayant été entendu ;

1. Considérant qu'aux termes de l'article L. 323-3 du code de l'énergie, dans sa rédaction résultant
de la loi du 17 août 2015 susvisée : « Les travaux nécessaires à l'établissement et à l'entretien des
ouvrages de la concession de transport ou de distribution d'électricité peuvent être, sur demande du
concédant ou du concessionnaire, déclarés d'utilité publique par l'autorité administrative.
« La déclaration d'utilité publique est précédée d'une étude d'impact et d'une enquête publique dans
les cas prévus au chapitre II ou au chapitre III du titre II du livre Ier du code de l'environnement. Si
le projet de travaux n'est pas soumis à enquête publique en application du même code, une
consultation du public sur le dossier de déclaration d'utilité publique est organisée dans les mairies
des communes traversées par l'ouvrage, pendant une durée qui ne peut être inférieure à quinze
jours, afin d'évaluer les atteintes que le projet pourrait porter à la propriété privée. La consultation
est annoncée par voie de publication dans au moins un journal de la presse locale et par affichage
en mairie, l'information précisant les jours, heures et lieux de consultation. Un registre est mis à la
disposition du public afin de recueillir ses observations. Le maître d'ouvrage adresse une synthèse
appropriée de ces observations et de celles reçues, par ailleurs, au service instructeur avant la
décision de déclaration d'utilité publique.
« S'il y a lieu à expropriation, il y est procédé conformément aux dispositions du code de
l'expropriation pour cause d'utilité publique » ;

2. Considérant qu'aux termes de l'article L. 323-4 du code de l'énergie, dans sa rédaction issue de
l'ordonnance du 9 mai 2011 susvisée : « La déclaration d'utilité publique investit le
concessionnaire, pour l'exécution des travaux déclarés d'utilité publique, de tous les droits que les
lois et règlements confèrent à l'administration en matière de travaux publics. Le concessionnaire
demeure, dans le même temps, soumis à toutes les obligations qui dérivent, pour l'administration,
de ces lois et règlements.
« La déclaration d'utilité publique confère, en outre, au concessionnaire le droit :
« 1° D'établir à demeure des supports et ancrages pour conducteurs aériens d'électricité, soit à
l'extérieur des murs ou façades donnant sur la voie publique, soit sur les toits et terrasses des
bâtiments, à la condition qu'on y puisse accéder par l'extérieur, étant spécifié que ce droit ne pourra
être exercé que sous les conditions prescrites, tant au point de vue de la sécurité qu'au point de vue
de la commodité des habitants, par les décrets en Conseil d'État prévus à l'article L. 323-11. Ces
décrets doivent limiter l'exercice de ce droit au cas de courants électriques tels que la présence de
ces conducteurs d'électricité à proximité des bâtiments ne soient pas de nature à présenter,
nonobstant les précautions prises conformément aux décrets des dangers graves pour les personnes
ou les bâtiments ;
« 2° De faire passer les conducteurs d'électricité au-dessus des propriétés privées, sous les mêmes
conditions et réserves que celles spécifiques au 1° ci-dessus ;
« 3° D'établir à demeure des canalisations souterraines, ou des supports pour conducteurs aériens,
sur des terrains privés non bâtis, qui ne sont pas fermés de murs ou autres clôtures équivalentes ;
« 4° De couper les arbres et branches d'arbres qui, se trouvant à proximité des conducteurs aériens
d'électricité, gênent leur pose ou pourraient, par leur mouvement ou leur chute, occasionner des
courts-circuits ou des avaries aux ouvrages » ;

3. Considérant qu'aux termes de l'article L. 323-5 du code de l'énergie, dans sa rédaction issue de
l'ordonnance du 9 mai 2011 : « Les servitudes d'ancrage, d'appui, de passage, d'abattage d'arbres et
d'occupation temporaire s'appliquent dès la déclaration d'utilité publique des travaux » ;

4. Considérant qu'aux termes de l'article L. 323-6 du code de l'énergie, dans sa rédaction issue de
l'ordonnance du 9 mai 2011 : « La servitude établie n'entraîne aucune dépossession.
« La pose d'appuis sur les murs ou façades ou sur les toits ou terrasses des bâtiments ne peut faire
obstacle au droit du propriétaire de démolir, réparer ou surélever. La pose des canalisations ou
supports dans un terrain ouvert et non bâti ne fait pas non plus obstacle au droit du propriétaire de
se clore ou de bâtir » ;

5. Considérant qu'aux termes de l'article L. 323-7 du code de l'énergie, dans sa rédaction issue de
l'ordonnance du 9 mai 2011 : « Lorsque l'institution des servitudes prévues à l'article L. 323-4
entraîne un préjudice direct, matériel et certain, elle ouvre droit à une indemnité au profit des
propriétaires, des titulaires de droits réels ou de leurs ayants droit.
« L'indemnité qui peut être due à raison des servitudes est fixée, à défaut d'accord amiable, par le
juge judiciaire » ;

6. Considérant qu'aux termes de l'article L. 323-8 du code de l'énergie, dans sa rédaction issue de
l'ordonnance du 9 mai 2011 : « Les actions en indemnité sont prescrites dans un délai de deux ans
à compter du jour de la déclaration de mise en service de l'ouvrage lorsque le paiement de
l'indemnité incombe à une collectivité publique » ;

7. Considérant qu'aux termes de l'article L. 323-9 du code de l'énergie, dans sa rédaction issue de
l'ordonnance du 9 mai 2011 : « Un décret en Conseil d'État précise les conditions et modalités
d'application de la présente section. Il détermine notamment les formes de la déclaration d'utilité
publique prévue à l'article L. 323-3. Il fixe également :
« 1° Les conditions d'établissement des servitudes auxquelles donnent lieu les travaux déclarés
d'utilité publique et qui n'impliquent pas le recours à l'expropriation ;
« 2° Les conditions dans lesquelles le propriétaire peut exécuter les travaux mentionnés à l'article
L. 323-6 » ;

8. Considérant que les requérants soutiennent que les dispositions contestées méconnaissent
l'article 7 de la Charte de l'environnement dès lors que les terrains concernés par le tracé de détail
d'une ligne électrique et les servitudes d'implantation de pylônes supportant une ligne électrique
aérienne qui en résultent ne sont pas déterminés à la date à laquelle est organisée, selon les cas,
l'enquête publique ou la consultation du public qui précède la déclaration d'utilité publique
nécessaire à l'établissement et à l'entretien des ouvrages de la concession de transport ou de
distribution d'électricité ; que l'implantation d'un pylône sur une propriété privée aurait des
conséquences d'une ampleur telle qu'il en résulterait une méconnaissance du droit de propriété,
garanti par les articles 2 et 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 ; que
serait enfin méconnu le droit à un recours juridictionnel effectif dès lors que le propriétaire dont le
terrain accueille un pylône ne peut, à aucun moment, contester le bien-fondé de la création de la
ligne électrique, son tracé et l'implantation de ce pylône ;
9. Considérant que la question prioritaire de constitutionnalité porte sur le 3° de l'article L. 323-4
du code de l'énergie ;

10. Considérant, en premier lieu, qu'aux termes de l'article 7 de la Charte de l'environnement : «
Toute personne a le droit, dans les conditions et les limites définies par la loi, d'accéder aux
informations relatives à l'environnement détenues par les autorités publiques et de participer à
l'élaboration des décisions publiques ayant une incidence sur l'environnement » ; que ces
dispositions figurent au nombre des droits et libertés que la Constitution garantit ; qu'il incombe au
législateur et, dans le cadre défini par la loi, aux autorités administratives de déterminer, dans le
respect des principes ainsi énoncés, les modalités de la mise en œuvre de ces dispositions ;
11. Considérant que les décisions établissant les servitudes instituées par les dispositions
contestées sont des décisions publiques ayant une incidence sur l'environnement au sens de l'article
7 de la Charte de l'environnement ;
12. Considérant que, dans les cas prévus au chapitre II ou au chapitre III du titre II du livre Ier du
code de l'environnement, l'article L. 323-3 du code de l'énergie prévoit que la déclaration d'utilité
publique des travaux nécessaires à l'établissement et à l'entretien des ouvrages de la concession de
transport ou de distribution d'électricité est précédée d'une étude d'impact et d'une enquête
publique ; que, si le projet de travaux n'est pas soumis à enquête publique en application du code
de l'environnement, l'article L. 323-3 prévoit l'organisation d'une consultation du public sur le
dossier de déclaration d'utilité publique et en fixe les modalités ; que cette consultation est
organisée dans les mairies des communes traversées par l'ouvrage ; que la durée de cette
consultation ne peut être inférieure à quinze jours ; que cette consultation est annoncée par voie de
publication dans au moins un journal de la presse locale et par affichage en mairie, l'information
précisant les jours, heures et lieux de consultation ; qu'un registre est mis à la disposition du public
afin de recueillir ses observations ; que le maître de l'ouvrage adresse une synthèse de ces
observations et de celles reçues, par ailleurs, au service instructeur avant la décision de déclaration
d'utilité publique ; que, par suite, le grief tiré de la méconnaissance de l'article 7 de la Charte de
l'environnement doit être écarté ;

13. Considérant, en deuxième lieu, que la propriété figure au nombre des droits de l'homme
consacrés par les articles 2 et 17 de la Déclaration de 1789 ; qu'aux termes de son article 17 : « La
propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n'est lorsque la nécessité
publique, légalement constatée, l'exige évidemment, et sous la condition d'une juste et préalable
indemnité » ; qu'en l'absence de privation du droit de propriété, il résulte néanmoins de l'article 2
de la Déclaration de 1789 que les limites apportées à son exercice doivent être justifiées par un
motif d'intérêt général et proportionnées à l'objectif poursuivi ;
14. Considérant, d'une part, que les servitudes instituées par les dispositions contestées n'entraînent
pas une privation de propriété au sens de l'article 17 de la Déclaration de 1789 mais une limitation
apportée à l'exercice du droit de propriété ; qu'il en serait toutefois autrement si la sujétion ainsi
imposée devait aboutir, compte tenu de l'ampleur de ses conséquences sur une jouissance normale
de la propriété grevée de servitude, à vider le droit de propriété de son contenu ; que, sous cette
réserve, les dispositions contestées ne méconnaissent pas les dispositions de l'article 17 de la
Déclaration de 1789 ;

15. Considérant, d'autre part, qu'en instituant ces servitudes le législateur a entendu faciliter la
réalisation des infrastructures de transport et de distribution de l'électricité ; qu'il a ainsi poursuivi
un but d'intérêt général ; que l'établissement de la servitude est subordonné à la déclaration d'utilité
publique susmentionnée ; que cette servitude ne peut grever que des terrains non bâtis qui ne sont
pas fermés de murs ou autres clôtures équivalentes ; qu'en vertu de l'article L. 323-6 du code de
l'énergie, elle ne fait pas obstacle au droit du propriétaire de se clore ou de bâtir ; que l'exercice de
ce droit suppose qu'il conserve la possibilité d'opérer toutes modifications de sa propriété
conformes à son utilisation normale ; que lorsque l'établissement de cette servitude entraîne un
préjudice direct, matériel et certain, il ouvre droit, en vertu de l'article L. 323-7 du même code, à
une indemnité au profit des propriétaires, des titulaires de droits réels ou de leurs ayants droit ;
qu'il s'ensuit que l'atteinte portée au droit de propriété par les dispositions contestées est
proportionnée à l'objectif poursuivi ; que, par suite, le grief tiré de la méconnaissance de l'article 2
de la Déclaration de 1789 doit être écarté ;
16. Considérant, en troisième lieu, qu'aux termes de l'article 16 de la Déclaration de 1789 : « Toute
société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs
déterminée, n'a point de Constitution » ; qu'est garanti par cette disposition le droit des personnes à
exercer un recours juridictionnel effectif ;

17. Considérant que le propriétaire dont le terrain est grevé de l'une des servitudes instituées par
les dispositions contestées n'est privé de l'exercice d'aucune des voies de recours prévues à
l'encontre de la déclaration d'utilité publique susmentionnée et des actes subséquents, notamment
de la décision établissant la servitude ; que, par suite, le grief tiré de la méconnaissance du droit à
un recours juridictionnel effectif doit être écarté ;
18. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que, sous la réserve énoncée au considérant 14,
les dispositions du 3° de l'article L. 323-4 du code de l'énergie, qui ne méconnaissent aucun autre
droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarées conformes à la Constitution,

DÉCIDE:

Article 1er.- Sous la réserve énoncée au considérant 14, les dispositions du 3° de l'article L. 323-4
du code de l'énergie sont conformes à la Constitution.

Article 2.- La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française et
notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.

Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 2 février 2016, où siégeaient : M. Jean-
Louis DEBRÉ, Président, Mmes Claire BAZY MALAURIE, Nicole BELLOUBET, MM. Guy
CANIVET, Renaud DENOIX de SAINT MARC, Jean-Jacques HYEST, Lionel JOSPIN et Mme
Nicole MAESTRACCI.

                                           Exemple n° 2 :

                  Décision rédigée selon les modalités postérieure à la réforme

→ Décision n° 2016-540 QPC du 10 mai 2016

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL a été saisi le 12 février 2016 par le Conseil d'État (décision
n° 394839 du 10 février 2016), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une
question prioritaire de constitutionnalité posée pour la société civile Groupement foncier rural
Namin et Co, par la SELARL Redlink, avocat au barreau de Paris. Cette question est relative à la
conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit du second alinéa du paragraphe I de
l'article L. 145-3 du code de l'urbanisme, enregistrée au secrétariat général du Conseil
constitutionnel sous le n° 2016-540 QPC.

Au vu des textes suivants :
la Constitution ;
l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur le Conseil
constitutionnel ;
le code de l'urbanisme ;
la loi n° 2003-590 du 2 juillet 2003 urbanisme et habitat ;
le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les
questions prioritaires de constitutionnalité ;

Au vu des pièces suivantes :
les observations présentées pour la société requérante par la SELARL Redlink, enregistrées les 7 et
22 mars 2016 ;
les observations présentées pour la commune des Fourgs, partie en défense, par Me Gregory
Mollion, avocat au barreau de Grenoble, enregistrées le 7 mars 2016 ;
les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 7 mars 2016 ;
les observations en intervention présentées par l'association nationale des élus de la montagne,
enregistrées le 29 février 2016 ;
les observations en intervention présentées par l'association France nature environnement,
enregistrées le 7 mars 2016 ;
les pièces produites et jointes au dossier ;

Après avoir entendu Me Alexandre Le Mière, avocat au barreau de Paris, pour la société
requérante, Me Mollion, pour la partie en défense et M. Xavier Pottier, désigné par le Premier
ministre, à l'audience publique du 19 avril 2016 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL s'est fondé sur ce qui suit :

1. La société requérante a saisi le tribunal administratif d'un recours. Ce recours tend, d'une part, à
l'annulation pour excès de pouvoir de la décision du 6 mars 2015 par laquelle le maire de la
commune des Fourgs a rejeté sa demande tendant à l'abrogation de l'arrêté du 5 mars 2004
instituant, sur la parcelle cadastrée ZE 27 dont elle est propriétaire dans cette commune, la
servitude prévue au paragraphe I de l'article L. 145-3 du code de l'urbanisme. Ce recours tend,
d'autre part, à l'abrogation de cet arrêté du 5 mars 2004. La question prioritaire de
constitutionnalité devant être considérée comme portant sur les dispositions applicables au litige à
l'occasion duquel elle a été posée, le Conseil constitutionnel est saisi du second alinéa du
paragraphe I de l'article L. 145-3 du code de l'urbanisme dans sa rédaction résultant de la loi du 2
juillet 2003 mentionnée ci-dessus.

2. Le second alinéa du paragraphe I de l'article L. 145-3 du code de l'urbanisme dans sa rédaction
résultant de la loi du 2 juillet 2003 dispose : « Lorsque des chalets d'alpage ou des bâtiments
d'estive, existants ou anciens, ne sont pas desservis par les voies et réseaux, ou lorsqu'ils sont
desservis par des voies qui ne sont pas utilisables en période hivernale, l'autorité compétente peut
subordonner la réalisation des travaux faisant l'objet d'un permis de construire ou d'une déclaration
de travaux à l'institution d'une servitude administrative, publiée au bureau des hypothèques,
interdisant l'utilisation du bâtiment en période hivernale ou limitant son usage pour tenir compte de
l'absence de réseaux. Lorsque le terrain n'est pas desservi par une voie carrossable, la servitude
rappelle l'interdiction de circulation des véhicules à moteur édictée par l'article L. 362-1 du code
de l'environnement ».

3. La société requérante soutient qu'en permettant à l'autorité administrative d'instituer une
servitude interdisant l'usage des chalets d'alpage et des bâtiments d'estive en période hivernale sans
prévoir une indemnisation du propriétaire, les dispositions contestées méconnaissent les exigences
de l'article 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789. Cette servitude, qui
ne serait ni justifiée par un motif d'intérêt général ni proportionnée à l'objectif poursuivi et dont
l'institution ne serait entourée d'aucune garantie procédurale, méconnaîtrait également les
exigences de l'article 2 de la Déclaration de 1789. Il en résulterait enfin une atteinte au principe
d'égalité devant les charges publiques et à la liberté d'aller et de venir.

- SUR L'ATTEINTE AU DROIT DE PROPRIÉTÉ :

4. La propriété figure au nombre des droits de l'homme consacrés par les articles 2 et 17 de la
Déclaration de 1789. Selon son article 17 : « La propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne
peut en être privé, si ce n'est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l'exige
évidemment, et sous la condition d'une juste et préalable indemnité ». En l'absence de privation du
droit de propriété au sens de cet article, il résulte néanmoins de l'article 2 de la Déclaration de 1789
que les atteintes portées à ce droit doivent être justifiées par un motif d'intérêt général et
proportionnées à l'objectif poursuivi.

5. Les dispositions contestées permettent à l'autorité administrative de subordonner la délivrance
d'un permis de construire ou l'absence d'opposition à une déclaration de travaux à l'institution
d'une servitude interdisant ou limitant l'usage, en période hivernale, des chalets d'alpage ou des
bâtiments d'estive non desservis par des voies et réseaux.
6. D'une part, la servitude instituée en vertu des dispositions contestées n'entraîne pas une privation
de propriété au sens de l'article 17 de la Déclaration de 1789 mais une limitation à l'exercice du
droit de propriété.

7. D'autre part, en permettant d'instituer une telle servitude, le législateur a voulu éviter que
l'autorisation de réaliser des travaux sur des chalets d'alpage ou des bâtiments d'estive ait pour
conséquence de faire peser de nouvelles obligations de desserte de ces bâtiments par les voies et
réseaux. Il a également voulu garantir la sécurité des personnes en période hivernale. Ainsi le
législateur a poursuivi un motif d'intérêt général.

8. Le champ d'application des dispositions contestées est circonscrit aux seuls chalets d'alpage et
bâtiments d'estive conçus à usage saisonnier et qui, soit ne sont pas desservis par des voies et
réseaux, soit sont desservis par des voies et réseaux non utilisables en période hivernale. La
servitude qu'elles prévoient ne peut être instituée qu'à l'occasion de la réalisation de travaux
exigeant un permis de construire ou une déclaration de travaux. Elle s'applique uniquement
pendant la période hivernale et ne peut excéder ce qui est nécessaire compte tenu de l'absence de
voie ou de réseau.

9. La décision d'établissement de la servitude, qui est subordonnée à la réalisation, par le
propriétaire, de travaux exigeant un permis de construire ou une déclaration de travaux, est placée
sous le contrôle du juge administratif. Le propriétaire du bien objet de la servitude dispose de la
faculté, au regard des changements de circonstances, d'en demander l'abrogation à l'autorité
administrative à tout moment.

10. Il résulte des motifs exposés aux paragraphes 7 à 9 que les dispositions contestées ne portent
pas au droit de propriété une atteinte disproportionnée à l'objectif poursuivi. Le grief tiré de la
méconnaissance de l'article 2 de la Déclaration de 1789 doit donc être écarté.

- SUR LES AUTRES GRIEFS :

11. Le seul fait de permettre dans ces conditions l'institution d'une servitude ne crée aucune rupture
caractérisée de l'égalité devant les charges publiques. Les dispositions contestées, qui se bornent à
apporter des restrictions à l'usage d'un chalet d'alpage ou d'un bâtiment d'estive, ne portent aucune
atteinte à la liberté d'aller et de venir.

12. De l'ensemble de ces motifs, il résulte que les dispositions du second alinéa du paragraphe I de
l'article L. 145-3 du code de l'urbanisme dans sa rédaction issue de la loi n° 2003-590 du 2 juillet
2003 urbanisme et habitat, qui ne méconnaissent aucun autre droit ou liberté que la Constitution
garantit, doivent être déclarées conformes à la Constitution.

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :

Article 1er.- Le second alinéa du paragraphe I de l'article L. 145-3 du code de l'urbanisme dans sa
rédaction résultant de la loi n° 2003-590 du 2 juillet 2003 urbanisme et habitat est conforme à la
Constitution.

Article 2.- Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée
dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958.

Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 10 mai 2016 où siégeaient : M. Laurent
FABIUS, Président, Mmes Claire BAZY MALAURIE, Nicole BELLOUBET, MM. Michel
CHARASSE, Jean-Jacques HYEST, Lionel JOSPIN, Mmes Corinne LUQUIENS, Nicole
MAESTRACCI et M. Michel PINAULT.
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