Les motivations des entrepreneurs : une étude empirique de 2278 fondateurs d'entreprises dans 14 pays - Érudit

 
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Revue internationale P.M.E.
Économie et gestion de la petite et moyenne entreprise

Les motivations des entrepreneurs : une étude empirique de
2278 fondateurs d'entreprises dans 14 pays
Roger A. Blais and Jean-Marie Toulouse

Volume 3, Number 3-4, 1990                                                        Article abstract
                                                                                  This research bears on the answers provided by 2278entrepreneurs in 14
URI: https://id.erudit.org/iderudit/1007982ar                                     countries about their motivation to establish a new enterprise. Preliminary
DOI: https://doi.org/10.7202/1007982ar                                            statistical analysis revealed important differences in the way entrepreneurs
                                                                                  answer motivation questions (38 of them) and, even more important, in the
See table of contents                                                             way certain nationalities gauge the relative importance of motivation factors.
                                                                                  To correct these answering modes, the original data were recoded and
                                                                                  reclassified according to the personal equation statistical method. Ascending
                                                                                  hierarchical classification of the recoded data reveals that motivations are
Publisher(s)
                                                                                  grouped according to three broad regional entities : the Anglo-Saxon Block, the
Presses de l’Université du Québec                                                 Scandinavian Block, and the Mixed Block which comprises developing
                                                                                  countries for the most part. Seven main motivation factors emerge from the
ISSN                                                                              rotated Varimax factor analysis of the recoded and reclassified data : need for
                                                                                  social recognition, need for selfdevelopment, need for money, needfor
0776-5436 (print)                                                                 independence and autonomy, communitarianism, need forescape, and
1918-9699 (digital)                                                               opportunism. The distribution of these factors and of the the underlying
                                                                                  variables suggests clearly that entrepreneurial motivations cut across national
Explore this journal                                                              boundaries and transcend cultural systems of countries. The results indicate
                                                                                  that the motivation to become an entrepreneur in a given country is primarily
                                                                                  determined by metacultural factors that transcend the immediate
                                                                                  socio-economic environment.
Cite this article
Blais, R. A. & Toulouse, J.-M. (1990). Les motivations des entrepreneurs : une
étude empirique de 2278 fondateurs d'entreprises dans 14 pays. Revue
internationale P.M.E., 3(3-4), 269–300. https://doi.org/10.7202/1007982ar

Tous droits réservés © Presses de l’Université du Québec, 1990                   This document is protected by copyright law. Use of the services of Érudit
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Les motivations des entrepreneurs :
                 une étude empirique de 2278 fondateurs
                             d’entreprises dans 14 pays*

                                                                           Roger A. BLAIS**
                                                             École Polytechnique de Montréal
                                                                   Jean-Marie TOULOUSE***
                                                                  École des H.E.C., Montréal

*   Une première version de cette étude a été présentée au 35e congrès mondial du Conseil
    international de la petite entreprise à Washington en juin 1990. Cette recherche a été
    rendue possible grâce à l’aide financière du CRSH du Canada, du fonds FCAR du
    gouvernement du Québec et du MICT du Canada, et à la collaboration des chercheurs
    dans 14 pays constituant le réseau SAR1E de recherche internationale en entrepreneurship
    dirigé par Sari Scheinberg et par le professeur Ian C. MacMillan du Wharton Business
    School aux États-Unis. Les auteurs désirent également remercier leurs assistants de
    recherche, Serge Trépanier, Marc Jarry et ShelinaTajdin, ainsi que le professeur Bernard
    Clément du Département de mathématiques appliquées de l’École Polytechnique.
** Roger A. Biais, Ph.D., est ingénieur et professeur titulaire à l’École Polytechnique de
    Montréal où il a été le premier directeur de larecherche, puis responsable des liaisons avec
    l’industrie. Il a fondé le Centre d’innovation industrielle de Montréal. Son enseignement
    et ses recherches portent sur l’innovation et l’entrepreneuriat technologique. Il est
    membre de l’Académie des sciences du Canada, de l’Académie canadienne du génie,
    Officier de l ’Ordre du Canada et auteur d’une centaine de publications, dont cinq livres
    sur divers sujets scientifiques, sur l ’entrepreneuriat et l’innovation technologique.
    Adresse : Département de génie industriel, Ecole Polytechnique, C.P. 6079, Montréal,
    Québec, H3C 3A7.
*** Jean-Marie Toulouse, Ph.D. (psychologie sociale), est titulaire de la Chaire
    d’entrepreneuriat Maclean Hunter de l’École des Hautes Études Commerciales de
    Montréal où il a été directeur de la recherche, directeur du doctorat et directeur du
    Département de l’administration des ressources humaines. Ses recherches et publications
    portent sur l’entrepreneuriat, la stratégie d’entreprise et le travail des gestionnaires.
    Adresse : Chaire d’entrepreneuriat Maclean Hunter, École des H.E.C., 5255 avenue
    Decelles, Montréal, Québec, H3T 1V6.
270                                                              Les motivations des entrepreneurs :

                                                RÉSUMÉ
Cette étude examine les réponses fournies par 2278 entrepreneurs de 14 pays sur les motifs qui les ont
incités à fonder une entreprise. Une première analyse statistique a révélé des divergences appréciables
dans la façon dont les entrepreneurs répondaient aux 38 questions sur la motivation et, beaucoup plus
important, dans la façon avec laquelle certaines nationalités appréciaient l’importance des motivations.
Pour corriger ces modes de réponse, les données originales furent recodées et reclassées en utilisant la
méthode statistique de l’équation personnelle. La classification hiérarchique ascendante des données
recodées a révélé que les motivations se regroupaient en trois grandes entités régionales : le bloc anglo­
saxon, le bloc Scandinave, et le bloc mixte qui se compose surtout de pays en voie de développement. Suite
à une analyse f actorielle Varimax par rotation des données recodées et reclassées, sept grands facteurs
de motivation se dégagent : besoin de reconnaissance sociale, besoin de développement personnel,
besoin d’argent, besoin d'indépendance et d’autonomie, altruisme communautaire, besoin d’évasion, et
opportunisme. La distribution de cesfacteurs et des variables qui les constituent montre que les motivations
entrepreneuriales transgressent les frontières nationales et transcendent les systèmes culturels des pays.
A la lumière de ces résultats, il apparaît assez clairement que la motivation à devenir entrepreneur dans
un pays donné est avant tout déterminée par des facteurs métaculturels qui transcendent l’environnement
socio-économique immédiat.

                                              ABSTRACT
This research bears on the answers provided by 2278entrepreneurs in 14 countries about their motivation
to establish a new enterprise. Preliminary statistical analysis revealed important differences in the way
entrepreneurs answer motivation questions (38 of them) and, even more important, in the way certain
nationalities gauge the relative importance of motivation factors. To correct these answering modes, the
original data were recoded and reclassified according to the personal equation statistical method.
Ascending hierarchical classification of the recoded data reveals that motivations are grouped according
to three broad regional entities :the Anglo-Saxon Block, the Scandinavian Block, and the Mixed Block which
comprises developing countries for the most part. Seven main motivation factors emerge from the rotated
Varimax factor analysis of the recoded and reclassified data : need for social recognition, need for self­
development, need for money, needfor independence and autonomy, communitarianism, need forescape,
and opportunism. The distribution of these factors and of the the underlying variables suggests clearly that
entrepreneurial motivations cut across national boundaries and transcend cultural systems of countries.
The results indicate that the motivation to become an entrepreneur in a given country is primarily
determined by metacultural factors that transcend the immediate socio-economic environment.

                                               RESUMEN
Este estudio esta fundado en las respuestas de 2278 empresarios en 14 países sobre su motivación para
establecer una nueva empresa. El analisis estadístico ha revelado apreciares divergencias en la forma
en la que los empresarios respondieron a las 38 preguntas de motivación y mucho mas importante, laforma
en la que ciertas nacionalidades mostraban la relativa importancia de las motiva- dones. Para corregir
estas formas de respuesta, los datos originales fueron codados y clasificados de nuevo, utilizando el
método estadístico de la ecuación personal. El ascendente analisis jerárquico de los datos recodados ha
revelado que las motivaciones se reagrupaban en tres grandes entidades regionales : el bloque anglo­
sajón, el bloque escandinavo, y el bloque mixto constituido esencialmente de paises en via de desarrollo.
Tras un analisis factorial Varimax por rotación de los datos recodados y redas'rficados se desprende :
necesidad de reconodmiento sodal, necesidad de desarrollo personal, necesidad de dinero, necesidad
de independencia y autonomía, altruismo comunitario, necesidad de evasion, y oportunismo. La distribución
de estos factores y de las variables que los constituyen muestra que las motivadones empresariales
traspasan las fronteras nadonales y transcienden los sistemas culturales de los paises. A la luz de estos
resultados, parece bastante claro que la motivación para ser emprendedor un pais es sobre todo
determinado por factores metaculturales que transdenden el medio sodo-economico proximo.
une étude de 2278 fondateurs d'entreprises dans 14 pays                           271

1        Introduction
         L’activité entrepreneuriale suscite de plus en plus d’intérêt dans diverses
régions du monde. En effet, les petites entreprises jouent un rôle important dans la
vie économique, tant au niveau de la valeur ajoutée et de la création des nouveaux
emplois que du développement régional. Par surcroît, elles interviennent beaucoup
dans l’invention et l’exploitation de technologies porteuses de progrès économique.
Sur le plan social proprement dit, elles procurent des formes alternatives de
développement et fournissent à la société davantage de flexibilité et de souplesse
devant les changements et bouleversements de toutes sortes qui agitent le système
productif, notamment en matière de nouvelles technologies. Bien plus, elles permet­
tent aux individus de mieux s’exprimer, de s’actualiser, de réaliser leurs ambitions.
Mais qui sont ces gens qui créent des entreprises ? Quelles sont leurs motivations ?
Les entrepreneurs de divers pays se ressemblent-ils ?

2        Cadre d’étude
         Cette recherche a été entreprise dans le cadre du projet international amorcé
en 1985 par Sari Scheinberg sous la direction du professeur Ian C. MacMillan, alors
directeur du Centre de développement de l’entreprise à l’Université de New York.
Le projet a été réalisé par un réseau international de chercheurs appelé SARIE
(«Schcinbcrg Network ofAffiliatedResearchers on International Entrepreneurship»),
dont la coordination pour le Canada fut assurée par R.A. Biais. Les travaux de
cueillette et d’analyse des données furent réalisés entre 1986 et 1988.
        Les publications résultant de ce projet sont, à ce jour, surtout axées sur la
question des motivations, quoique l’équipe canadienne se soit aussi penchée sur la
question des valeurs culturelles des entrepreneurs et des non-entrepreneurs.
          Au niveau des comparaisons internationales des facteurs de motivation,
citons les études de Scheinberg et MacMillan (1988), Alânge et Scheinberg (1988),
Biais et Toulouse (1990), Biais, Toulouse et Clément (1990). D’intéressantes études
nationales ont été publiées par Alânge et Scheinberg (1988) pour la Suède; par Dubini
(1989) pour l’Italie; par Fleming (1988) pour l’Australie; par Biais et al. (1988),
Blatt et al. (1989), Kyle et al. (1989), Biais et Toulouse (1989) pour le Canada ainsi
que pour le Québec. Toutes les études incitent à examiner de plus près les différences
de motivation entre les entrepreneurs de divers pays.
        L’originalité de la présente étude réside, d’une part dans la méthodologie de
traitement statistique utilisée et, d’autre part, dans la problématique comparative des
motivations des entrepreneurs dans autant de pays différents.
272                                                  Les motivations des entrepreneurs :

3          Cadre conceptuel
           Puisqu’il existe déjà une littérature volumineuse sur les motivations des
entrepreneurs, nous n’aborderons ici que les éléments qui nous paraissent essentiels.
De la même façon, l’espace réservé à cet article nous empêche de faire une analyse
de la littérature sur les comparaisons internationales déjà publiées, notamment sur les
dirigeants d’entreprises.
          Soulignons néanmoins que dès le début des recherches sur l’entrepreneuriat,
les auteurs se sont interrogés sur les différences entre les entrepreneurs de divers
pays.L’observationinitialesuggéraitdesdifférencesdecomportemententrepreneurial
d’un pays à l’autre, laissant ainsi croire que les entrepreneurs sont «nationalement»
différents. Dans le même sens, on s’est demandé si dans le cadre des sociétés
différentes, les personnes se destinant à l’entrepreneuriat seraient semblables. La
réponse à ces interrogations a amené les chercheurs à se regrouper sous deux modè­
les : le premier propose que les entrepreneurs sont semblables dans tous les pays et
le second propose le contraire.

3.1        Tous les entrepreneurs sont semblables
        Pour illustrer cette argumentation, nous nous limiterons à deux auteurs :
McClelland pour l’approche individuelle et Hagen pour l’approche collective. Dans
son fameux ouvrage «The Achieving Society», McClelland (1961) laisse penser que
la dynamique de l’entrepreneuriat est la même dans tous les pays. On peut résumer
son point de vue de la façon suivante :

      les valeurs         les pratiques de    le besoin d'ac­       le comportement
      et l'idéologie   —» socialisation    —> complissement      —> entrepreneurial
      d'une société       dans la famille     («need for
                                              achievement»)

         Pour McClelland (1971), les entrepreneurs auraient les mêmes caractéristi­
ques, les mêmes motivations d’un pays à l’autre.
         Cette conception centrée sur les besoins des individus ne permet pas de
comprendre la dimension collective et sociale des gestes entrepreneuriaux. Le
modèle proposé par Hagen (1962,1971) est ici plus utile. Après avoir étudié plusieurs
collectivités, tant en Asie qu’en Amérique du Sud, il constate que l’entrepreneuriat
se retrouve chez des gens qui ont été privés de statut par la société dans laquelle ils
vivent Cette privation crée de l’anxiété et de la colère qui se transmettent d’une
génération à l’autre. Ces frustrations mènent au désir de changer de situation en
devenant créateur, en fondant une nouvelle entreprise. On peut donc penser, en
s’inspirant de Hagen, que les entrepreneurs de divers pays auraient un profil différent,
mais que leurs motivations fondamentales seraient les mêmes.
une étude de 2278 fondateurs d'entreprises dans 14 pays                              273

3.2     Les entrepreneurs sont différents d’une culture à l’autre
          Cochran (1960,1971) offre une explication différente. D’emblée, il propose
que les entrepreneurs de l’Amérique latine sont différents des entrepreneurs améri­
cains. Il soutient que l’entrepreneur latino-américain aime la théorie, la discussion et
le débat; il recherche un statut mais un statut personnel et non résultant d’une activité
d’affaires. Ses gestes sont guidés par une quête de dignité personnelle en se référant
à ce qui est important pour lui. Dans son étude, Cochran (1971) reconnaît clairement
que des conditions culturelles différentes sont susceptibles de produire des entre­
preneurs différents parce que les motivations et les pratiques de socialisation des
enfants sont différentes au départ.

3.3     Différences culturelles, différences dans les motivations
         Ces perspectives ont trouvé leur écho dans des études plus récentes, dont
celle de Leff (1979) qui démontre que les intérêts, les motivations des entrepreneurs
dans les pays moins développés ne sont pas les mêmes que celles que l’on observe
dans les pays industrialisés. La différence provient de ce que les mécanismes de
fonctionnement des marchés ne sont pas les mêmes : dans les pays développés. Ces
mécanismes sont bien établis alors que dans les pays moins développés, ils sont
souvent informels et difficiles à anticiper.
        Les études sur la création d’entreprises par les immigrants accordent
beaucoup d’importance aux différences entre les entrepreneurs. Certains chercheurs
(Bonacich, 1973; Pyong Gap Min, 1984; Ward et Jenkins, 1984; Light, 1984;
Burgess, 1984) se sont demandés pourquoi les immigrants originaires de l’Inde, de
la Turquie ou d’Israël créaient souvent des entreprises alors que ceux originaires du
Sud Sahara en créaient plus rarement. Dans le même sens, les études sur la création
d’entreprises par les Coréens aux États-Unis ont suscité plusieurs interrogations en
référence aux autres groupes ethniques (Pyong Gap Min, 1984,1987).
         Pour d’autres chercheurs, dont Woodrun (1985) et Stewart (1987), les
motivations pour créer une entreprise sont fortement influencées par la culture, la
valeur et les idéologies de la société d’origine. Ce résultat suggère que dans les divers
pays, la motivation pour créer une entreprise n’est pas la même. Ces études n’ont
cependant pas encore réussi à démontrer la nature des différences; on se contente de
proposer le modèle.
         L’objet de la présente étude est justement d’explorer cette question : si l’on
admet que la culture influence la motivation des entrepreneurs, il faut donc s’attendre
à ce que dans les pays ayant une culture différente, les motivations des entrepreneurs
soient différentes.

3.4      La problématique des motivations entrepreneuriales
        Dans les innombrables études sur l’entrepreneuriat, la question des motiva­
tions occupe une place dominante. En effet, depuis longtemps les chercheurs
274                                                  Les motivations des entrepreneurs :

s’intéressent à ce qui peut pousser quelqu’un à créer une entreprise. Les études
peuvent être regroupées en deux catégories :
(1)   Celles qui s’appuient sur la théorie de la motivation, avec McClelland (1961)
      comme chef de file.
(2)   Celles qui explorent les diverses raisons invoquées par les entrepreneurs eux-
      mêmes, comme il en sera fait état ici.
         La théorie de la motivation fait appel à la psychologie, aux sciences du
management et même à l’anthropologie. Les travaux de McClelland (1961), un
psychologue, sont ceux qui ont le plus influencé cette approche. Selon cet auteur, les
individus fortement motivés par le désir de réussite («achievement») font preuve de
plus de débrouillardise et d’initiative que les autres; ils recherchent continuellement
dans leur milieu les occasions de relever des défis intéressants et de se prouver à eux-
mêmes qu’ils peuvent réussir.
         De là à transposer la théorie de McClelland au cas des entrepreneurs, il n’y
avait qu’un pas car ces derniers font très souvent preuve d’un N-ACH élevé. Les
travaux de Homady et Aboud (1971) et de Sexton et Bowman (1983) ont renforcé et
diffusé largement cette théorie.
          Pour McClelland et Winter (1969), les individus sont largement motivés par
le désir du pouvoir, de la réussite ou de l'affiliation, qui apparaissent comme autant
de variables indépendantes. Pour eux, les entrepreneurs peuvent être fortement
motivés par le désir de réaliser une idée ou de se prouver à eux-mêmes qu’ils sont
capables de créer une nouvelle entreprise et d’en faire un succès.
        Le thème de Vaccomplissement, fondé sur les théories de McClelland
(1961,1969) et de Maslow (1954), exprime un besoin de réalisation personnelle. Ce
thème a été repris par de nombreux auteurs, dont Gasse (1982).
        D’autres chercheurs, comme Herzberg, Mausner et Snyderman (1959) ainsi
que Collins, Moore et Unwalla (1955), se sont particulièrement intéressés aux
motivations mais sous l’angle des réponses fournies par les entrepreneurs eux-
mêmes. Les raisons invoquées par ces derniers se regroupent sous trois thèmes :
(1)   Indépendance : créer son entreprise pour être son propre patron, pour être
      indépendant, pour diriger plutôt que d’être dirigé, pour fixer son propre horaire
      de travail, pour engager qui nous plaît, et ainsi de suite.
(2)   Évasion : créer son entreprise pour se sortir du chômage ou pour éviter des
      conditions de travail non sécuritaires ou peu hygiéniques, ou pour se libérer
      d’un patron intransigeant. Il s’agit là de conditions de survie, car il n’y a pas
      d’autre choix.
(3)   Accomplissement : créer une entreprise pour réaliser une nouvelle idée, pour
      se prouver à soi-même qu’on peut faire un succès d’une nouvelle entreprise,
      pour mieux mettre à profit ses connaissances et ses talents, pour continuer
      d’apprendre et de se développer, pour réaliser une ambition, un rêve.
une étude de 2278 fondateurs d'entreprises dans 14 pays                              275

         A l’appui des thèses ci-dessus, Herzberg, Mausner et Snyderman (1959)
expliquent que la seule façon de motiver un employé est de lui procurer un travail
vraiment stimulant, de lui confier des responsabilités et de lui faire savoir l’estime
qu’a son patron pour elle ou pour lui. Une telle «hygiène» du travail s’avère très utile.
Son absence rendra le travailleur malheureux et sera souvent la cause du départ
d’employés de valeur. Par contre, son existence n’incitera pas nécessairement les
employés à travailler plus fort.
         De nombreux chercheurs ont développé la thèse du désir d ’indépendance,
d’autonomie. Par exemple, Collins, Moore et Unwalla (1955) ont amplement
montré que l’entrepreneur avait besoin d’avoir le plein contrôle de sa vie au travail,
d’être son propre patron. Rotter (1964) parle en termes de «internailocus ofcontrol»
alors que Hersch et Shiebe (1967) ont montré que les individus ainsi motivés sont des
gens qui s’actualisent plus que les autres, qui sont indépendants, efficaces et
industrieux. Kent (1982) est également d’avis que l’entrepreneur éprouve de forts
besoins d’accomplissement, d’autonomie, d’indépendance et de leadership. Richman
(1982) fait écho aux mêmes propos :pour lui, la motivation principale de l’entrepreneur
est d’avoir la chance d’exercer des choix libres sur son mode de vie et d’être
indépendant, autonome. D’après lui, les caractéristiques entrepreneuriales apparaissent
très souvent à l’âge de l’adolescence ou de jeune adulte. Enfin, Jacobowitz et Vilder
(1982) ont trouvé que leurs sujets entrepreneuriaux possédaient un fort désir
d’indépendance, une forte propension à vouloir contrôler leur vie et un sens
d’importante responsabilité personnelle dans la prise de décision.
         Le désir d’évasion a été suggéré par Shapero (1975) pour de nombreux
entrepreneurs. Ces derniers, dit-il, se trouvent expulsés d’une niche familière et
confortable et éprouvent la nécessité de prendre un nouveau tournant dans leur vie.
Ce thème a été repris par Knight (1983) au Canada qui identifie sept types de
«réfugiés entrepreneuriaux». Cette notion de déplacement s’appuie, entre autres, sur
les études de Collins, Moore et Unwalla (1955) et de Cooper et Komives (1970).
         Rappelons que la question des motivations a aussi été abordée à partir du
contexte. Ainsi, O’Reilly etRoberts (1973) et surtout Hofstede (1980) ont montré que
le cadre de référence des individus conditionne la nature et l’importance de leurs
besoins, de sorte que la culture qui prévaut dans un pays ou même dans une région
va affecter les comportements entrepreneuriaux et les modes de gestion des entrepri­
ses. Par exemple, les Basques en Espagne et les Canadiens-Français au Canada sont
des entités culturelles distinctes, avec des comportements entrepreneuriaux spécifiques
(Biais et Toulouse, 1989).
        Ces résultats suggèrent donc d’étudier, comme nous le faisons ici, les
motivations des entrepreneurs de divers pays. C’est ainsi que nous découvrirons
l’importance relative de motivations selon les cultures, par exemple le désir d’aider
ses proches ou son groupe ethnique, celui d’atteindre un certain statut social pour soi
ou pour sa famille, ou encore de devenir riche.
276                                                     Les motivations des entrepreneurs :

4        Devis de l’étude
         Le devis de recherche ayant déjà été défini par Scheinberg et MacMillan
(1988), de même que le fondement théorique du projet, il ne nous reste qu’à rappeler
le cadre général d’enquête.

4.1      Le questionnaire
        L’instrument principal de cueillette de données fut un questionnaire conçu
en 1985 par Sari Scheinberg et quelques collègues sur la foi des contributions
théoriques de Baumol (1985), Bruno et Tyebjee (1982), Friberg (1985), Hofstede
(1980), Lodge (1976), Maslow (1954), McClelland (1961), McClelland et Winters
(1969), Shapero et Sokol (1982), et autres chercheurs.
          Le questionnaire, traduit en dix langues, comprenait 598 éléments répartis
en cinq sections :
1) MOTIVATIONS : 38 éléments, cotés de 1 à 5
      (i.e. très importan* à pas important).
2) VALEURS CULTURELLES : 166 éléments, cotés de 1 à 5 (idem).
3) IDÉOLOGIES : 44 éléments, cotés «oui» ou «non».
4) ENVIRONNEMENT ENTREPRENEURIAL : 194 éléments.
5) DONNÉES PERSONNELLES ET CARACTÉRISTIQUES DE LA FIRME :
       156 éléments.

         Pour les non-entrepreneurs, les parties 2 et 3 étaient identiques alors que les
parties 1 et 5 étaient adaptées et la partie 4 retranchée, donnant lieu en tout à 378
variables1.

4.2       La population étudiée
         Tel qu’indiqué au tableau 1, la population étudiée comprend 2278 entrepre­
neurs répartis dans 14 pays, de même que 1733 non-entrepreneurs (surtout des gé­
rants de banque, des enseignants et des employés d’entreprises manufacturières) dans
neuf de ces mêmes pays. Pour les entrepreneurs, il s’agit de fondateurs d’entreprises
créées depuis 1980 et comptant au moins un employé à temps complet.
         Sauf pour Porto Rico et le Portugal, où l’enquête fut faite par entrevue
téléphonique, toutes les données ont été obtenues par questionnaire mis à la poste. A
l’exception de l’Angleterre, des États-Unis et del’Australie, où le taux de réponse fut
de 3%, 6 % et 11 % respectivement, le pourcentage de questionnaires remplis fut
relativement élevé, variant entre 20 % pour le Canada et 64 % pour la Finlande. Le
taux de réponse des non-entrepreneurs fut deux fois plus élevé, près de 50%. On

1     Les questionnaires en anglais ou en français sont disponibles sur demande.
une étude de 2278 fondateurs d'entreprises dans 14 pays                                             277

trouvera dans Scheinberg et MacMillan (1988) d’autres renseignements utiles sur
l’enquête et la façon dont les échantillons nationaux furent construits.

                                    Tab.1 Population étudiée

           Pays                   Acronyme            Nombre     Nombre de non­             TOTAL
                                                  d’entrepreneurs entrepreneurs

      A ngleterre                     ENG                   73                   -             73
      Au stralie                      AU S                 265                80              345
      C anada                         C AN                 173               398              571
      C hine (R .P.C .)               CHI                  100               100              200
      D anem ark                      DEN                   77                   -             77
      É tats-U nis                    U SA                 356               100              456
      Finlande                         FIN                 116               134              250
      Italie*                         ITA*                 163                   -            163
      K enya                          KEN                  114                   -            114
      N orvège                        NO R                 148                  -             148
      Q uébec**                      Q U E **              331               527              858
      P ortugal                       PO R                 122               122              244
      Porto R ico                     PUE                   81               174              255
      S uède                          SW E                 159                98              257

      TO TAL                                             2278              1733              4011

*     Cet échantillon provient à 39 % de régions pauvres de l’Italie. Voir Dubini (1988).
**    Le Québec est classé séparément du Canada car les répondants sont tous de langue française alors
       que les répondants des autres provinces canadiennes sont tous de langue anglaise. L’échantillon
       canadien (n=173) comprend 54 Québécois francophones (31%), soit une proportion un peu supérieure
       à la population du Québec (26%). Ces 54 Québécois ont été choisis au hasard et ont répondu au même
       questionnaire en anglais que les autres répondants canadiens.

5           Résultats

5.1         Analyse des données
         Les données2 entrées sur ordinateur ont été soigneusement vérifiées au
préalable et codifiées de la même façon quels que soient les pays. Elles ont ensuite
été entrées dans les fichiers informatiques selon un format identique pour tous les
individus.

2      Bien que cette étude ne couvre que 38 des 598 éléments d’information recueillis sur
       chaque entrepreneur, la banque de données qui en résulte est énorme et ne peut être traitée
       convenablement que par un puissant ordinateur, dans notre cas un IBM 3090-180, et à
       l’aide de logiciels éprouvés, dans notre cas le système SAS ainsi que le logiciel français
       ADDAD. Les analyses rapportées ici ont exigé plus d’un milliard d’opérations de calcul.
278                                                                 Les motivations des entrepreneurs :

5.2        Énoncés de motivation
        Le tableau 2 fournit la liste complète des énoncés qui ont servi à mesurer les
38 motivations des entrepreneurs. Les chiffres entre parenthèses indiquent l’ordre
dans lequel apparaissaient les énoncés dans tous les questionnaires.
         Pour des raisons pratiques, nous avons classé les énoncés suivant une
classification logique, qui n’est rien d’autre qu’un regroupement intuitifdes variables
selon les huit familles de motivations. Les acronymes utilisés facilitent le repérage
des variables. Cette classification a priori pourra être comparée à la classification
obtenue a posteriori par analyse factorielle (cf. lab.6).

             T a b .2 C la s s ific a tio n lo g iq u e d e s 3 8 é n o n c é s de m o tiv a tio n

      A c c o m p lis s e m e n t p e rs o n n e l
      ACC1            (M 28)         A tteind re une plus grande satisfaction personnelle.
      ACC2            (M 37)         P rouver que je peux faire un succès d ’une nouvelle
                                     entreprise.
      ACC3            (M 7)          T ire r m eilleur profit de m a form ation et de m es
                                     talents.
      ACC4            (M 27)         R elever le défi des problèm es et des opportunités
                                     q u ’o ccasio nne la m ise sur pied
                                     d ’une nouvelle entreprise.
      ACC5            (M 34)         Pour continuer d ’apprendre.
      AC C 6          (M1)           P rouver m a capacité de d é velopper une nouvelle
                                     idée.
      ACC7            (M 33)         Etre innovateur et m e te n ir à la fine pointe des
                                     technologies.
      ACC8           (M 31)          S uivre l’exem ple de qu elqu’un que j’adm ire.
      D é s ir d ’in d é p e n d a n c e
      IN D I         (M 6)           Etre m on propre patron ; tra va ille r pour m oi-m êm e.
      IN D 2         (M 38)          J o u ir d ’une pleine liberté vis-à-vis m on travail.
      IN D 3         (M 16)          P our établir m on propre horaire de travail.
      IN D 4         (M 21)          A voir l’o pportunité de diriger, au lieu d’être dirigé.
      IN D 5         (M 15)          P o uvoir tra vailler avec des gens que je choisis.
      O p p o rtu n is m e
      OPPI           (M 26)          À ce m om ent-là de m a vie, c ’était la seule chose à
                                     faire.
      OPP2           (M 3)           Pour avoir plus de variété et d ’aventure dans mon
                                     travail.
      OPP3           (M 8)           P rofiter d ’une o pportunité exceptionnelle.
      OPP4           (M 12)          P o ur m ’am user.
      B e s o in d ’a rg e n t
      ARG1           (M 23)          P o urvoir à m a subsista nce et celle de m a fam ille.
      ARG2           (M 32)          Faire plus d ’argent.
      ARG3           (M 2)           B esoin d ’argent po ur survivre.
une étude de 2278 fondateurs d'entreprises dans 14 pays                                                   279

      ARG4           (M 35)           O bte nir d e s avantages sociaux.
      A ffilia tio n
      AFF1           (M 36)            A vo ir plus de fle xibilité da ns m a vie personnelle et
                                       fam ilia le.
      AFF2            (M 25)           P o uvoir tra va ille r dans un m ilieu agréable po u r m oi et
                                       m a fam ille.
      A F F3          (M 22)           P o uvoir tra va ille r avec des gens que j’estim e.
      R e c o n n a is s a n c e   s o c ia le
      REC1            (M 14)           R éaliser que lq ue chose et me fa ire reconnaître en
                                       conséquence.
      R EC 2          (M 5)            A tteind re un niveau plus élevé dans la société.
      R EC3           (M 30)           Faire partie d ’un réseau d ’entrepreneurs.
      R EC 4          (M 29)           H ausser le statut et le prestige de m a fam ille.
      R EC 5          (M 13)           P our être respecté pa r m es am is.
      R EC 6          (M 11)           A voir plus d ’influence dans m on m ilieu.
      REC7            (M 9)            D ésir de co n tin u e r la trad ition fam ilia le.
      É v a s io n
      EVA1            (M 4)      À cau se de la frustration dans m on em ploi précédent.
      EV A2           (M 24)     P our ne plus avoir à tra va ille r po u r un patron d é ra i­
                                 sonnable.
      EV A3         (M 10)       J ’étais sans em ploi et c ’était la seule chose à faire.
      EV A 4        (M 17)       P our échapper à des co nditions de travail non
                                 sécuritaires.
      A ltru is m e c o m m u n a u ta ire
      ALT1          (M 18)       A ssu re r la sécurité et le b ien-être de m a fam ille.
      A LT2         (M 20)       A id e r la com m unauté dans laquelle je vis.
      ALT3          (M 19)       P our co n trib ue r au bien-être de m on groupe ethnique.

       (les chiffres entre parenthèses indiquent l’ordre original des énoncés dans le questionnaire où ils sont
       numérotés de façon aléatoire)

5.3          Analyse des fréquences
        Un aspect révélateur de l’importance relative des motivations, qui n’avait
pas encore été étudié par les autres collègues du réseau SARIE, est l’analyse des
fréquences des motivations selon les pays. Il s’agit tout simplement de calculer le
nombre d’individus d’un pays donné qui ont répondu «très important» ou «im­
portant» à chacun des énoncés.
         Cette analyse très simple révèle l’importance accordée à chacune des
motivations, à la fois selon les individus et selon les pays. Elle est d’autant plus
intéressante qu’elle exprime une réalité qui n’apparaît guère dans les analyses
factorielles classiques : elle met en relief les ressemblances plutôt que les différences.
        Avant le recodage, le pourcentage moyen des répondants ayant répondu
«très important» ou «important» aux 38 énoncés de motivation oscille autour de 36
% alors que pour la Suède il est de 23 % et pour Porto Rico de 58%. Des différences
280                                                                  Les motivations des entrepreneurs :

plus importantes sont observées lorsqu’on examine des éléments particuliers. Il
semble donc de prime abord que les répondants suédois étaient très réservés dans
leurs réponses, la majorité d’entre eux hésitant à déclarer comme importante ou très
importante telle ou telle motivation. Par contre, les répondants portoricains étaient
très enthousiastes et choisissaient les extrêmes de l’échelle.
          Ces différences et ressemblances deviennent plus évidentes lorsqu’on
examine des groupes particuliers de variables. Par exemple, les répondants italiens
et chinois se ressemblent passablement si on examine leurs fréquences de motiva­
tions. Mais si on considère l’autre extrême, à savoir le pourcentage de répondants qui
n’attachent «aucune importance» à telle ou telle motivation, la ressemblance entre
l’Italie et la Chine populaire devient encore plus évidente (cf. tab.3).

               T a b .3 S im ilitu d e s d e s m o tiv a tio n s e n tre l ’Ita lie e t la C h in e

                    É noncés de m otivation                              Italie     C hine     A u tres pays

      REC7          P our con tinu er la tradition fam iliale          5 9,7 %       62,6 %           8 1 ,7 %
      EV A 4        P o ur échapper à des conditions
                    de trava il non sécuritaires                       49,7 %        44,0 %           77,2 %
      A LT3         P our co ntribu er au bien-être de
                    m on gro up e ethnique                             39,9 %        38,5 %           77,8 %

      (pourcentage de répondants ayant répondu «nullement important»)

        Au niveau des individus, le même phénomène existe : certains sont très
prudents dans leur façon de répondre à un énoncé, d’autres tendent aux extrêmes.
Comment donc tenir compte de ces biais personnels et collectifs ?

5.4        Recodage selon la méthode de l’équation personnelle
         Pour atténuer l’effet des façons de répondre, nous avons appliqué la méthode
de Benzécri (1989), dite d’équation personnelle (Biais, Toulouse et Clément, 1990).
Cette méthode permet d’enlever les «irrégularités''» dans les réponses individuelles
et assure l’homogénéité des données qui s’avère si nécessaire dans les comparaisons
internationales de résultats d’enquête. La corrélation entre les réponses originales et
recodées est de 0,78.

5.5        Analyse des fréquences des données de motivation recodées
         Suite au recodage et à la reclassification des données par la méthode de
l’équation personnelle, nous avons recalculé les fréquences des motivations selon les
0

                                                                                                                                                     cr     1oS 4
                                                                                                                                                     45*
                                                                                                                                                            CD
                                                                                                                                                            s*
                  Aus    Can    Que     Eng    Usa    Asg*   Den     Fin    Nor   Swe    Scg*    Chi
                                                                                                                                                            K>
                                                                                                                                                     -O     S
                                                                                                                                                            OO
                                                                                                                                                     c
répondants        265    173     331     73    356    1198    77    116    148     159    500    100    163    164    122     81    580    2278
282                                                                  Les motivations des entrepreneurs :

pays, i.e. le pourcentage des répondants ayant répondu «très important» ou «im­
portant» à chacun des énoncés. Le tableau 4, p. 281, donne les fréquences moyennes
des motivations regroupées en familles (cf. tab.2) pour chaque groupe national de
répondants. L’emplacement des colonnes est justifié par les résultats de l’analyse
hiérarchique (cf. section 4.6). L’ordre des rangées est le même que celui qui apparaît
dans la «classification logique» des variables (tab.2).
            Les résultats du recodage des fréquences se résument comme suit :
•      en dépit de différences culturelles fondamentales, les répondants québécois (de
        langue française) expriment exactement les mêmes motivations que les
        répondants canadiens (de langue anglaise), ce qui donne déjà à penser que
        l’entrepreneuriat transcende les cultures et s’insère plutôt dans l’environne­
        ment économique et la reconnaissance sociale (cf. tab. 5);
•      d’autre part, les grandes différences entre les répondants suédois et portoricains
        s’atténuent : la différence passe de 34,8 % à 12,5 % pour les cotes 1 et 2, et de
        31,8 % à 19,0 % pour les cotes 4 et 5;
•      les motivations de développement personnel, d’indépendance et d’opportunité
        reçoivent des cotes élevées dans tous les pays mais à des degrés divers selon les
        régions;
•      les motivations d’argent et d’affiliation sont moyennement importantes, ex­
        cepté dans les pays en voie de développement où elles prévalent;
•      la reconnaissance sociale et l’altruisme communautaire sont peu cités comme
        motivations dans la plupart des pays sauf les pays en voie de développement et
        l’Italie, alors que l’évasion est faible partout

    Tab. 5 Effet du recodage, par équation personnelle, sur les fréquences
    m oyennes de l’ensem ble des m otivations des entrepreneurs canadiens,
                      québécois, suédois et portoricains

                           (1)             (2)                 (3)              (4)                (5)
        Pays        Très important Important Assez importantPeu im portant Pas important
                    Avant Après Avant Après Avant Après Avant Après Avant Après

    C ana da          14,6              19,8            24,4             14,4               26,8
    (N =173)                     18,6            21,0            20,2             13,0               27,2
    Q uébec           16,6              18,8            23,6             11,9               29,1
    (N =331)                     19,9            19,8            19,6             11,4               29,3
    Suède             11.6              12.4            19,3             11.6               45,1
    (N =159)                     17,8            18,8            11.0                 6,1            46,3
    P orto R ico      35,0              23,8            16,3             10,6               14,3
    (N =81)                      35,1            14,0            17,5             13,7               19,7

      (les chiffres indiqués dans les colonnes sont des pourcentages du total des réponses pour l’ensemble
      des 38 motivations pour chaque pays)
une étude de 2278 fondateurs d'entreprises dans 14 pays                            283

5.6      Analyse hiérarchique
        Afin de dégager la structure sous-jacente aux motivations dans les divers
pays, nous nous sommes servi du logiciel français ADDAD pour l’analyse hié­
rarchique. Cette méthode, dite des «voisins réciproques», fournit un degré d’agré­
gation de plus en plus élevé des variables.
         La classification hiérarchique ascendante (CHA) des 38 motivations dans
chaque pays donne les résultats illustrés à la figure 1, où l’abcisse indique le niveau
croissant d’agrégation. Plus le niveau est bas, plus le «profil de motivation» des pays
qui se situent à ce niveau est semblable. Par exemple, l’Australie, le Canada et les
États-Unis affichent le profil le plus semblable, et la Chine et le Kenya le plus
différent. Cette classification a été faite sur l’ensemble des données de fréquences
alors que le tableau 3 ne donne que les moyennes correspondant aux «familles» de
motivations (cf. tab.2).

                Fig.1 Analyse hiérarchique des profils nationaux
                       de m otivations entrepreneuriales

      NIVEAU CROISSANT D’AGRÉGATION

        L’analyse hiérarchique des données permet d’identifier clairement trois
groupes régionaux : le bloc anglo-saxon, le bloc Scandinave et le bloc mixte. Cette
analyse mène aux conclusions suivantes :
1. Les entrepreneurs des pays anglo-saxons ont essentiellement les mêmes
     motivations. Toutefois, les entrepreneurs francophones du Québec se classent
     entre les Anglo-saxons et les Scandinaves. Notons que la province de Québec
     affiche des tendances vers la social-démocratie et qu’avec la faillite de
     «Yaccord du lac Meech» en juin 1990 cette province montre plus que jamais
     un désir de souveraineté politique.
284                                                   Les motivations des entrepreneurs :

2.    Les Scandinaves forment un autre groupement naturel, i.e. les entrepreneurs de
      ces quatre pays invoquent les mêmes motivations.
3.    Le troisième groupement naturel est celui des entrepreneurs des pays en voie
      de développement (ou moins industrialisés). Les entrepreneurs italiens appar­
      tiennent à ce groupe, car plus du tiers de ces répondants oeuvrent dans les
      parties pauvres de l’Italie.

5.7       Analyse factorielle
         L’univers des motivations des 2278 entrepreneurs fut soumis à l’analyse
factorielle en composantes principales (ACP) afin de trouver les groupements de
variables fortement corrélées entre elles, ainsi que la distribution de ces groupements
selon les pays. Nous cherchions en quelque sorte à édifier, à l’aide des données
recodées, un modèle mondial des motivations entrepreneuriales.
          Après divers essais, incluant les méthodes Varimax, Quartimax, Promax et
autres, avant et après rotation oblique et orthogonale, nous avons finalement opté
pour la méthode Varimax après rotation orthogonale des axes. Puis, nous avons
essayé diverses techniques pour obtenir le meilleur nombre de facteurs, par exemple
en éliminant successivement les facteurs n’ayant pas plus d’une variable avec un
poids («factor loading») supérieur à 0,40. La technique intégrative que nous avons
utilisée consiste à se servir des 38 variables au lieu d’en éliminer 17, comme l’ont fait
Scheinberg et MacMillan (1988), de façon à mieux représenter la totalité du
phénomène à élucider. Il s’agissait ensuite de construire l’histogramme des valeurs
propres à la matrice, i.e. d’appliquer le «scree test», afin de déterminer le nombre de
facteurs à retenir.
         La meilleure solution s’est avérée être 7 facteurs. Pour fins de clarté de
présentation, nous n’avons indiqué que les pondérations supérieures à 0,40 (cf. tab.6).
Nous avons par la suite éliminé trois variables ne s’identifiant à aucun des facteurs,
à savoir :
OPP3 : Profiter dune opportunité exceptionnelle.
0PP4 :     Pour m'amuser.
REC3 : Faire partie d un réseau d entrepreneurs.

         Les sept facteurs retenus sont, en ordre décroissant d’importance : la re­
connaissance sociale (Fl), Vaccomplissement personnel (F2), Vargent (F3), le be­
soin de pouvoir, d'autonomie et la liberté de pouvoir choisir (F4), l'altruisme
communautaire (F5), l'évasion (F6) et l'opportunisme (F7) [cf. tab.6\. Ces facteurs
permettent d’expliquer 50,8 % de la variance totale ce qui, pour 2278 individus de
14 pays, se compare favorablement au 64 % obtenu par Scheinberg et MacMillan
(1988) pour 1400 entrepreneurs de onze pays seulement, et pour seulement 21
variables comparativement à 35 dans notre cas (compte tenu de la suppression des
trois variables susmentionnées).
une étude de 2278 fondateurs d’entreprises dans 14 pays                                                                            285

  T a b .6 A n a ly s e f a c to r ie lle d e s m o tiv a t io n s d e 2278 e n t r e p r e n e u r s d a n s 14
  p a y s , f o n d é e s u r d e s d o n n é e s r e c o d é e s e t r e c la s s é e s p a r la m é th o d e d e
                                          l’é q u a tio n p e r s o n n e lle

     Variables de motivation                               F1          F2         F3         F4                  F5       F6       F7

 Besoin de reconnaissance sociale
 REC5 Pour être respecté par mes amis                    0,74           -              -             -            -        -        -
 REC6 Avoir plus d’influence dans mon milieu             0,62           .          .         .           .            .        .
 ACC8 Suivre l’exemple de quelqu’un que j’admire         0,58           .          .         .           .            .        .
 REC4 Hausser le statut et le prestige de
    ma famille                                           0,56           .          .         .           .            .        .
 REC2 Atteindre un niveau plus élevé dans
    la société                                           0,52           .          .         .           .            .        .
 REC1 Atteindre une plus grande satisfaction
    personnelle                                          0,49           -              -             -            -        -        -
 Besoin d’accomplissement personnel
 ACC7 Etre innovateur et à la fine pointe des
    technologies                                            -     0,70                 .         .           .        .        .
 ACC5 Pour continuer d’apprendre                            -     0,70                 -             -            -        -        -
 ACC6 Prouver ma capacité de développer une
    nouvelle idée                                           -     0,56                 .         .           .        .        .
 ACC2 Prouver que je peux réussir dans
    une nouvelle entreprise                                 -     0,48                 .         .           .        .        .
 ACC3 Tirer meilleur profit de ma formation
    et de mes talents                                       -     0,40                 -             -            -        -        -
 Besoin d’argent
 ARG2 Faire plus d’argent                                                              --0,69 -                   -        -
 ARG1 Pourvoir à ma subsistance et celle
    de ma famille                                           -           -       -0,65                -            -        -
 ARG3 Besoin d’argent pour survivre                         -           -        -0,61               -            -        -
 Besoin de pouvoir
 IND1 Etre mon propre patron : travailler
    pour moi-même                                           -           -              -   0,57                   -        -        -
 OPP2 Avoir plus de variété et d’aventure
    dans mon travail                                        -           -              -   0,52                   -        -        -
 IND4 Avoir l’opportunité de diriger, au lieu
    d’être dirigé                                            .     .        .              o,52                   -       -         -
 ACC1 Atteindre une plus grande satisfaction
    personnelle                                             -           -              -   0,47                   -        -        -
 EVA3 J’étais sans emploi et c’était la seule
    chose à faire                                           -           -              -   -0,43                  -        -        -
 Besoin d’autonomie
 AFF1 Avoir plus de latitude dans ma vie
    personnelle et familiale                                 -          -              -   0,72                   -        -        -
 IND3 Pour établir mon propre horaire de travail             -          -              -   0,66                   -        -        -
 IND2 Jouir d’une pleine liberté vis-à-vis mon travail      -           -              -   0,61                   -        -        -
 ARG4 Obtenir des bénéfices marginaux                        -          -              -   0,41                   -        -        -
286                                                                                  Les motivations des entrepreneurs :

     Avoir la liberté de choisir
     AFF3 Pouvoir travailler avec des gens que j’estime       -                  -                -           0,79               -           -       -
     IND5 Pouvoir travailler avec des gens que je choisis     -                  -                -           0,75               -           -       -
     Altruisme communautaire
     ALT3 Pour contribuer au bien-être de
        mon groupe ethnique                                    .        .             .               .                       o,76           -       -
     ALT2 Aider la communauté dans laquelle je vis            -                  -                -               -           0,75           -       -
     ALT1 Assurer la sécurité et le bien-être
        de fa famille                                          .        .             .               .                       o,63           -       -
     Besoin d'évasion
     EVA2 Pour ne plus avoir à trav. pour un
        patron déraisonnable                                   .         .                .               .           .                   o,63       -
     EVA1 A cause de la frustration dans
        mon emploi précédent                                   .         .                .               .           .                   0,61       -
     EVA4 Pour échapper à des conditions
        de travail non sécuritaires                               .     .              .              .                       o,43          -
     Opportunisme
     OPP1 A ce moment-là de ma vie, c’était la seule
        chose à faire                                              .         .                .               .           .          .           o,64
     ACC4 Opportunité de mise sur pied
        d’une nouvelle entreprise                                  .         .                .               .           .          .            0,51
     AFF2 Pouvoir travailler dans un milieu
        agréable pour moi et                                       .         .                .               .           .          .            0,41
     ma famille

     Valeurs Eigen avant rotation                            4,66       2,88               2,53 1,48^ 1,48                                1,19    1,09
     Valeurs Eigen après rotation                            2,73       2,33               1,18 2,15^ 1,11                                1,05    1,01
     % d’explication de la variance cumulative              12,96      20,95              27,99 40,36** 44,47                            48,78   50,81

        (les points indiquent des pondérations inférieures à 0,4)
*       A eux-seuls, ces trois sous-facteurs (inclus sous F4) permettent d’expliquer 12,37 % de la variance
        totale.
**      Valeur Eigen moyenne des trois sous-facteurs (indépendance, autonomie et avoir la liberté de choisir).

5.8           Discussion des groupes factorieis de motivation
         L’image des motivations entrepreneuriales qui ressort du tableau 6 est très
instructive, car sept facteurs sont clairement identifiés. Ces facteurs confirment ce
que de nombreux chercheurs ont affirmé empiriquement ou intuitivement
         Cette image globale se rapproche de celle élaborée par le sociologue suédois
Friberg (1976). Selon ce chercheur, les entrepreneurs partagent l’une ou plusieurs des
quatre motivations suivantes :
• Nécessité de reconnaissance sociale et du désir d’identification et d’implication.
• Nécessité d’avoir de l’argent
• Nécessité d’accommodation personnelle et désir de défis technologiques ou commerciaux.
• Nécessité d’échappement causé par la coercition.
une étude de 2278 fondateurs d'entreprises dans 14 pays                                287

          Il manque cependant à cette liste le besoin très important d’indépendance,
d’autonomie, reconnu par presque tous les auteurs. Il faudrait aussi y ajouter l’esprit
communautaire et le collectivisme qui poussent certains individus à entrer en
affaires. Quant à notre septième et plus faible facteur — l’opportunisme — il n’est
pas très distinctif et ne correspond pas à une théorie particulière.
        Les groupes factoriels de motivation obtenus appellent les commentaires
suivants :

FACTEUR 1 - DÉSIR DE RECONNAISSANCE SOCIALE
Ce facteur regroupe des variables qui ont trait au statut, au prestige que l’entrepreneur
reçoit de la part des autres membres de la société. Il traduit également le désir d’être
respecté et admiré par les amis et les proches, parce que l’on est entrepreneur. En fait,
c’est un peu le désir d’être remarqué par les autres. Ce facteur traduit un mélange de
besoins d’affiliation et de pouvoir tels que formulés par McClelland (1961). Il épouse
aussi la théorie de Maslow (1954) sur le besoin d’estime qu’éprouvent les gens.

FACTEUR 2 - DÉSIR D'ACCOMPLISSEMENT PERSONNEL
Cette motivation exprime la volonté de relever des défis, de prouver qu’on est capable
de faire un succès d’une entreprise. Elle traduit aussi le désir d’être innovateur, de
développer de nouvelles idées, de créer de nouveaux produits. Ce facteur correspond
au besoin d’accomplissement dans la théorie de McClelland (1961) et à celui de
réalisation dans la théorie de Maslow (1954).

FACTEUR 3 - NÉCESSITÉ D9AVOIR DE VARGENT
Le désir de faire de l’argent est une motivation significative chez certains entrepre­
neurs, surtout ceux et celles qui ont perdu leur emploi ou qui cherchent à mieux
subvenir à leurs besoins et à ceux de leur famille. L’argent est également une
préoccupation importante pour les entrepreneurs jeunes, les immigrants et les
opportunistes. Cependant, tel que souligné par Gasse (1982) et Toulouse (1979), très
souvent la motivation pécuniaire ne compte pas beaucoup dans la décision de fonder
une entreprise. Dans le même sens, Biais et Toulouse (1989) ont trouvé que les
entrepreneurs québécois (N=331) sont peu motivés par le motif intrinsèque de
l’argent alors que c’est le contraire pour les non-entrepreneurs (N=526).

FACTEUR 4 - BESOIN DE POUVOIR, D’AUTONOMIE ET DÉSIR DE LI­
BERTÉ
Ce facteur souligne le besoin d’autonomie des individus qui désirent le pouvoir, qui
veulent diriger, être leur propre patron, choisir ce qu’il faut faire, maîtriser leur temps,
régler eux-mêmes leur travail, choisir ceux qu’ils préfèrent, en un mot mieux
contrôler leur destinée, être aux commandes et influencer ce qui leur arrive. On
retrouve souvent cette motivation chez les entrepreneurs artisans : ils veulent agir
selon leurs désirs, en suivant leurs aspirations et leurs goûts. Cette notion très forte
rejoint le concept d’individualisme de Hofstede (1980) selon lequel le contrôle de sa
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