Les origines du concept de secteur informel et la récente définition de l'emploi informel.

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Les origines du concept de secteur informel et la récente définition de
                             l’emploi informel.

                                                                              Jacques Charmes
                                                                         Directeur de recherche
                                                                                              à
                                   l'Institut de Recherche pour le Développement (IRD, Paris)
                              Professeur à l'Université de Versailles Saint Quentin en Yvelines

Dès sa découverte par Keith Hart [1972] au Ghana et par le Bureau International au Kenya au
début des années 1970, le concept d’emploi informel portait en lui-même les germes des
débats ultérieurs qui n’ont cessé de se poursuivre depuis lors. Keith Hart faisait allusion aux
opportunités de revenus informels alors que le Bureau International se référait dès l’origine
aux entreprises informelles. C’est cette dernière conception qui devait l’emporter avec
l’adoption d’une définition internationale du « secteur informel » en 1993. Mais le débat a
rebondi aujourd’hui avec les discussions actuelles sur les concepts d’emploi informel et
d’économie informelle qui ont été des thèmes centraux de la Conférence Internationale du
Travail de Juin 2002 et ont fait l'objet de nouvelles définitions et recommandations lors de la
dernière Conférence Internationale des Statisticiens du Travail en 2003.

Après avoir rappelé les débats qui ont accompagné l’évolution des concepts de population
active et d’emploi informel au cours des trois dernières décennies, nous rappellerons les
méthodes d’enquêtes et de mesure du secteur informel, puis nous présenterons les principales
estimations macro-économiques aujourd’hui disponibles de ces phénomènes.

1) L’invention du concept de « secteur informel ».

Les concepts et définitions statistiques se forgent et se stabilisent généralement après que des
débats théoriques aient ouvert la voie à des changements dans la perception des phénomènes
socio-économiques. Depuis 1923, c’est la Conférence Internationale des Statisticiens du
Travail qui, tous les 5 ans, et sous les auspices de l’Organisation Internationale du Travail, est
en charge de la définition des concepts de population active et de leur révision [Mehran,
1985]. Tout comme l’Organisation Internationale du Travail, la Conférence Internationale des
Statisticiens du Travail présente la caractéristique originale d’être tripartite et de rassembler
des représentants des Etats, des organisations représentatives des travailleurs et des
organisations représentatives des employeurs, ce qui permet, à travers les positions
respectives de chacun de ces trois acteurs, de comprendre les enjeux qui se cachent derrière
les concepts adoptés, amendés ou rejetés .

1.1) Origines du concept de « secteur informel ».

L’expansion du salariat a caractérisé la révolution industrielle en Europe, bien que pendant
longtemps encore, les employeurs aient continué à utiliser cette forme dépassée que
constituait le travail à domicile. L’ « invention » du chômage [Salais et al., 1986] date de
cette période où les travailleurs salariés permanents perdaient leur emploi, connaissant de
longues périodes de non emploi en alternance avec des périodes d’emploi, en raison des crises
cycliques. Ces situations de chômage furent progressivement reconnues et étendues aux
travailleurs à domicile. Après la seconde guerre mondiale, les systèmes de protection sociale
acquirent un caractère universel et polyvalent (santé, famille, retraite, chômage) dans la
plupart des pays européens et des pays industrialisés, et peu à peu, ces avantages furent
étendus aux travailleurs à domicile [Conseil Economique et Social, 1999], une évolution des
lois du travail qui peut permettre de comprendre que l’utilisation d’une telle forme de travail
soit devenue moins profitable pour les employeurs et qu’elle se soit progressivement éteinte.

L’irrésistible accroissement des taux de chômage (jusqu’à plus de 10% de la population
active) du milieu des années 1970 jusqu'à nos jours a provoqué la remise en question du
modèle européen de protection sociale universelle. Quel que soit l’avenir, les deux décennies
passées ont vu stagner et même diminuer la part du salariat dans la population active,
parallèlement à des taux de chômage de plus en plus élevés. Un nouvel intérêt s’est alors
manifesté en faveur de l’emploi indépendant et de l’auto-emploi [BIT, 1990 et OCDE, 1992
et 2000], comme moyen de prévenir les taux de chômage d’atteindre des sommets encore plus
élevés.

Ce nouvel intérêt pour l’auto-emploi dans les pays industrialisés constituait une sorte d’écho
à l’accroissement rapide de l’emploi dans le secteur informel dans les pays en
développement.

Le modèle fondateur de l’économie du développement, «le développement économique avec
offre illimitée de main d’œuvre » de A. W. Lewis [1954], ancra dans la théorie économique
l’idée que le salariat était destiné à s’étendre et se généraliser avec l’industrialisation et la
modernisation, parce que les migrations rurales-urbaines qui interviennent à large échelle en
raison de la faible productivité de l’agriculture dans les campagnes fournissent une main
d’œuvre à bon marché pour le démarrage de l’industrialisation.

Cependant, dès avant le premier choc pétrolier, il était devenu clair que le modèle de Lewis
ne fonctionnait pas comme prévu et il devait revenir à Todaro [1969], puis plus tard à Fields
[1975], de le remettre en cause. Dès la fin des années 1960 et le début des années 1970, le
Programme Mondial de l’Emploi était lancé par le Bureau International du Travail : la
confiance dans le modèle de Lewis avait disparu et la crainte de taux de chômage et de sous
emploi toujours plus forts était désormais présente, principalement due aux taux de croissance
démographique élevés et à l’importance de l’exode rural. Etudes et enquêtes furent lancées
dans diverses régions du monde dans le cadre du Programme Mondial de l’Emploi. Il
devenait revenir au fameux rapport du BIT sur le Kenya [ILO, 1972], le premier d’une longue
série, d’expliquer pourquoi et comment l’absence de création d’emploi dans le secteur
moderne n’avait pas provoqué une augmentation insoutenable du chômage, et d’inventer ou
plutôt d’enraciner le concept de secteur informel en tant que catégorie majeure pour l’analyse
des marchés du travail dans les pays en développement.

Définissant le secteur informel à partir des 7 critères bien connus, parmi lesquels la facilité
d’entrée était au premier rang (avec des marchés de concurrence non réglementés, la propriété
familiale des entreprises, la petite échelle des opérations, l'utilisation de ressources locales,
des technologies adaptées et à forte intensité de travail, des formations acquises en dehors du
système scolaire), le rapport sur le Kenya marque une étape en ce sens qu’il lança et entretînt
les débats parmi les chercheurs sur le concept lui-même et surtout la qualification d’un
secteur dont la notion semblait reconnaître un dualisme structurel des économies en
développement. Mais ce modèle des définitions multi-critères collait de moins en moins bien
avec une réalité où les deux types d’activités sont étroitement imbriquées et inter-reliées : tout

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d’abord parce que ces activités jouent un rôle de réserve de main d’œuvre pour le secteur
formel dont les travailleurs peuvent se procurer des biens et des services bon marché assurant
ainsi une reproduction de la force de travail au moindre coût (définitions fonctionnelles); et
ensuite parce de nombreux travailleurs du secteur formel exercent des activités dans le secteur
informel afin de mieux gagner leur vie, notamment après que les deux chocs pétroliers et la
crise de l’endettement se soient traduits par une diminution importante des salaires réels. Ces
débats théoriques, pas toujours éclairés par des évidences empiriques (bien que les
statisticiens aient mis en œuvre des mesures à partir de critères tels que le statut dans la
profession et la mesure de l'emploi non salarié, le statut juridique, la taille des entreprises, le
non enregistrement, le type de comptabilité, le niveau de revenus), ouvrirent la voie à
l’adoption d’une définition internationale du secteur informel : s’il n’y avait pas d’évidences
empiriques, c’était parce l’absence d’une définition internationale largement acceptée avait
empêché la collecte de données comparables.

1.2) L’adoption d’une définition internationale du « secteur informel » en 1993.

Le premier objectif de la 15ème Conférence Internationale des Statisticiens du Travail (CIST)
de 1993 fût de désenchâsser le concept de secteur informel de son image d’illégalité et de
secteur souterrain à travers laquelle il s’était frayé un chemin (pour une distinction claire
entre illégal, souterrain et informel, voir [OECD, 2002]. Il peut être utile de rappeler ici les
discussions préliminaires intervenues dès la 14ème Conférence en 1987, lorsque le
représentant du Kenya, pays où était né le concept, demanda la parole pour expliquer que
dans son pays ces activités auxquelles on se référait ne pouvaient être qualifiées d’activités
souterraines : le terme « moonlighting » signifiant « au clair de lune » que les pays
industrialisés avaient discuté jusque là de façon unilatérale et univoque lui semblait
inapproprié puisque dans son pays, ces activités étaient menées « en plein soleil » et non « au
clair de lune » : le terme Swahili « Jua Kali » servant à désigner ces activités se traduit
d’ailleurs par « sous le soleil brûlant » : une façon de dire que les activités du secteur
informel, loin de se cacher, s’exercent en plein jour et qu’il n’y a pas, de la part de ces
opérateurs, une volonté délibérée d’éviter de se soumettre aux obligations légales et au
paiement des taxes. Il s’agit bien plutôt d’une certaine incapacité ou d’un manque de volonté
de la part de l’Etat, à faire appliquer ses propres réglementations, peut-être parce que, dans
bien des cas, celles-ci se révèlent inadaptées et inapplicables.

Une seconde préoccupation de la Conférence fût, non pas d’exclure l’agriculture et les
activités primaires du champ du secteur informel (beaucoup de pays étant attachés à
l’inclusion de ces activités dans le champ du concept), mais de traiter ces activités séparément
et de produire des statistiques du secteur informel hors agriculture. La raison en est que ces
deux composantes (agricole et non agricole) évoluent généralement en sens opposé de telle
sorte que la tendance générale est difficile à interpréter ou peut être trompeuse en raison de la
taille du secteur agricole dans lequel le secteur informel serait ainsi noyé.

Une troisième préoccupation fût d’exclure les activités hors marché, c'est-à-dire la production
exclusivement pour usage final propre et a fortiori la production de services non marchands
pour usage final propre: l'économie de soins ("care economy") reste encore en dehors du
champ de la production telle que mesurée par le PIB. Cependant cette question prend un relief
particulier avec l’extension du champ de l’activité économique dans le Système de
Comptabilité Nationale [SCN, 1993]. Si l’emploi (et par conséquent le secteur informel)
devait se rapprocher de la notion de travail au sens large (c’est-à-dire de toute activité qui
peut être confiée à une tierce personne pour satisfaire les besoins d’une autre personne), alors

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les notions d’emploi et de chômage perdraient une partie de leur sens et de leur caractère
    analytique.

    Un quatrième objectif fut au contraire d’inclure les activités secondaires et multiples (la pluri-
    activité) dans le secteur informel, une question que les enquêtes de population active ont failli
    à prendre en compte jusqu’à récemment, mais dont l’extension est d’importance primordiale
    en vue de comprendre les marchés du travail contemporains, pas seulement dans les pays en
    développement.

    Après avoir rappelé que le secteur informel se caractérisait d’une façon générale « comme un
    ensemble d’unités produisant des biens et des services en vue principalement de créer des
    emplois et des revenus pour les personnes concernées. Ces unités, ayant un faible niveau
    d’organisation, opèrent à petite échelle et de manière spécifique, avec peu ou pas de division
    entre le travail et le capital en tant que facteurs de production. Les relations de travail,
    lorsqu’elles existent, sont surtout fondées sur l’emploi occasionnel, les relations de parenté ou
    les relations personnelles et sociales plutôt que sur des accords contractuels comportant des
    garanties en bonne et due forme» [BIT, 1993b], la Conférence propose une définition
    statistique – opérationnelle : le secteur informel est considéré comme un ensemble d’unités de
    production qui constituent un élément, au sein du Système de Comptabilité Nationale (SCN),
    du secteur institutionnel des ménages en tant qu’entreprises individuelles.

    Les entreprises individuelles se distinguent des sociétés et quasi-sociétés sur la base de leur
    statut légal et du type de comptabilité qu’elles tiennent : ainsi les entreprises individuelles ne
    constituent pas des entités séparées indépendantes du ménage ou du membre du ménage qui
    en est propriétaire, et elles ne tiennent pas une comptabilité complète qui permettrait une
    claire distinction entre les activités de production de l’entreprise et les autres activités du
    propriétaire.

    Le secteur informel est ainsi défini, quels que soient le lieu de travail, l’importance des
    immobilisations, la durée de l’activité et son exercice à titre principal ou secondaire, comme
    comprenant :

-   d’une part les entreprises informelles de travailleurs à compte propre qui peuvent employer
    des travailleurs familiaux non rémunérés et des salariés occasionnels : pour des raisons
    opérationnelles et selon les circonstances nationales, ce segment comprend soit toutes les
    entreprises à compte propre, soit seulement celles qui ne sont pas enregistrées selon les
    formes spécifiques de la législation nationale (lois fiscales ou de la sécurité sociale, ordres
    professionnels, ou autres lois ou règlements),

-   d’autre part les entreprises d’employeurs informels qui peuvent employer un ou plusieurs
    salariés sur une base permanente et qui satisfont à un ou plusieurs des critères suivants : une
    taille de l’établissement inférieure à un certain nombre d’emplois (défini sur la base des
    seuils minimaux incorporés dans les législations nationales ou les pratiques statistiques), le
    non enregistrement de l’entreprise ou de ses salariés.

    Des premiers éléments de la définition (et en particulier la référence aux caractéristiques de
    l’unité économique et non à celles de l’individu), émerge la raison pour laquelle la définition
    porte sur le « secteur » informel et non l’emploi informel : la définition internationale a pour
    objectif d’enchâsser le secteur informel dans le Système de Comptabilité Nationale, dans le
    secteur institutionnel des « ménages », et non en référence à un quelconque « dualisme ».

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Du point de vue des statisticiens d’enquête, il est clair que les critères retenus ne sont pas
seulement les plus opérationnels, ils sont aussi en cohérence avec les caractéristiques
structurelles et fonctionnelles du secteur informel et ils aident à identifier les tendances d’un
segment spécifique de la population active en relation avec la capacité (ou l’incapacité) de
l’Etat à faire appliquer les lois et règlements qu’il édicte. Ils permettent également de
distinguer diverses composantes du secteur informel, qui se caractérisent par des
comportements différenciés, répondant ainsi à la critique de « dualisme » et susceptibles de
conduire à des analyses plus fines, moins dichotomiques, se rapprochant de l’idée de
« continuum ». On distingue ainsi le travail indépendant (constitué par les personnes qui
travaillent à leur propre compte sans employer de salariés permanents, mais en employant
éventuellement des aides familiaux et des salariés occasionnels), l’auto-emploi (qui est
constitué de la catégorie précédente mais en y incluant les aides familiaux), et les micro-
entreprises (constituées par les entreprises informelles employant des salariés permanents en
dessous d’un certain seuil de taille que le groupe de Delhi de la Commission statistique des
Nations Unies a fixé récemment à 5 salariés).

Débarrassés des activités agricoles (qui suivent une tendance historique décroissante), les
changements dans la part de l’emploi du secteur informel par rapport à l’emploi total ou à
l’emploi non agricole, ainsi que les changements de l’importance relative des deux éléments
distingués par la définition (le travail indépendant ou l’auto-emploi et les micro-entreprises
employant des salariés), permettent des interprétations plus pertinentes du rôle respectif du
secteur et de ses éléments constitutifs : l’auto-emploi par exemple se caractérise par un
comportement plutôt contra-cyclique (augmentant lorsque le cycle économique est à la baisse
ou en fort ralentissement), alors que le segment des micro-entreprises est habituellement pro-
cyclique (variant en phase avec le cycle).

La définition de 1993 a donné un grand élan à la mesure d’un phénomène qui, loin de
disparaître, s’est au contraire développé et a touché des catégories de population toujours plus
nombreuses : même les jeunes diplômés et les sortants du système éducatif sont désormais
concernés, ne pouvant plus trouver d’emploi dans le secteur moderne après que les
restrictions budgétaires et les déflations d’effectifs dans le secteur public et l’administration
aient été rendues inévitables dans le cadre de programmes d’ajustement structurel. Cependant,
les termes de la nouvelle définition aident aussi à comprendre pourquoi le secteur informel ne
peut être assimilé au sous emploi : il dépasse les situations individuelles et permet la
compréhension d’un autre phénomène, différent.

2) Le concept d’emploi informel dans le contexte du travail « décent » et des concepts
associés.

La Conférence de 1993 s’était également préoccupé de la définition d’une autre catégorie de
la population active nouvellement en émergence – quoique très ancienne - : celle des
travailleurs à domicile ou « externalisés ». Le besoin s’était en effet fait sentir de réviser la
Classification Internationale des Statuts dans l’Emploi (CISE) et une proposition en ce sens
avait été présentée à la conférence de 1993. La classification comprend 5 groupes : les
travailleurs indépendants (à compte propre), les employeurs, les aides familiaux non
rémunérés, les salariés et les travailleurs des coopératives. Pris ensemble, les trois premiers
groupes (auxquels on peut joindre les travailleurs des coopératives) constituent ce qu’il est
convenu d’appeler l’auto-emploi. La catégorie des travailleurs à domicile (« home-based
workers ») - qui inclue les travailleurs externalisés (« outworkers »), les deux termes pouvant

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apparaître comme synonymes, selon le point de vue que l’on adopte pour l’analyse : celui du
travailleur ou celui de l’entreprise) – peut recouper en fait tous les groupes de la classification
des statuts dans l’emploi, et en particulier deux d’entre eux : les salariés et les travailleurs
indépendants.

Cette catégorie renvoie à l’ancien « putting out system » qui avait progressivement disparu ou
s’était du moins fortement réduit en se fondant dans l’emploi salarié au fur et à mesure que
les bénéfices des conquêtes des salariés permanents leur avaient été étendues. Dans la période
actuelle qui se caractérise par l’extension du processus de mondialisation et de concurrence à
l’échelle internationale, la mesure de ce phénomène est de toute première importance puisque
l’on a de bonnes raisons de penser que les travailleurs à domicile ont vu leur nombre
fortement progresser étant donné qu’ils constituent un moyen d’abaisser le coût du travail en
contournant les systèmes de protection sociale. Ils représentent ainsi les plus vulnérables des
travailleurs et dès la conférence de 1993, et surtout en 1996 lorsque fut adoptée une
convention sur le travail à domicile [BIT, 1996], les organisations de base (avec à leur tête, la
Self-Employed Women Association, SEWA) tentèrent d’étendre à ces travailleurs (en
majorité des femmes) le droit à la protection sociale.

Mais le travail à domicile n’a jusqu’à présent pas été mesuré de façon suffisamment fiable et
la définition du secteur informel n’y contribue pas réellement étant donné que les travailleurs
externalisés sont classés dans l’un ou l’autre secteur (formel ou informel) en fonction des
caractéristiques de l’entreprise contractante ou sous-traitante. La plupart des travailleurs
externalisés sont cependant des sous-traitants d’entreprises formelles à travers le lien
d’entreprises intermédiaires. C’est pourquoi la mesure en est aujourd’hui approchée par la
question du « lieu de travail », incorporée dans les enquêtes régulières de population active
[Charmes, 2002], plutôt que par des enquêtes d’entreprises ou encore une extension de la
classification des statuts dans l’emploi, une solution qui fut rejetée lors de la conférence de
1993, car la complexification de la classification se serait traduite par une moindre fiabilité
des données collectées.

Si la question des travailleurs à domicile peut être de première importance à l’échelle
mondiale, ce n’est pas la seule : l’emploi précaire a atteint des sommets dans beaucoup de
pays et de régions. De sorte que la révision des concepts de sous emploi et de revenu du
travail a été examinée lors de la 16ème CIST en 1998. On a déjà noté que le secteur informel
n’était pas une mesure du sous emploi, même si nombreux sont ceux qui sont tentés par une
telle assimilation. Certes les deux phénomènes se recouvrent partiellement, mais ils ne
peuvent être confondus. De plus, la mesure des deux formes de sous emploi (visible et
invisible) telles que définies par la CIST de 1982 était insatisfaisante et n’a pas donné lieu à
de nombreuses séries temporelles. A côté du sous emploi lié à la durée du travail
(anciennement appelé sous emploi visible) et concernant les travailleurs à temps partiel
involontaires et des travailleurs temporaires à contrats à durée déterminée, la Conférence de
1998 a ainsi défini diverses formes d’emploi inadéquat, en relation avec les qualifications, les
revenus, la durée excessive du travail. Elle a aussi fourni des orientations pour la définition et
la mesure du revenu du travail.

D'une façon générale, la multiplication des conventions internationales sur le travail, non
ratifiées ou ratifiées sans être suivies d'effet, a conduit le BIT à faire adopter une déclaration
sur les normes fondamentales du travail [BIT, 1998a] mettant l'accent sur l'interdiction du
travail forcé et du travail des enfants, la non discrimination et le droit d'association,
rapidement suivie par la définition d'une notion de travail "décent" [BIT, 1999 et 2002].

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Toutes ces réflexions ont inspiré des travaux sur la conception et l'élaboration d'un indicateur
synthétique du travail décent et de la sécurité socioéconomique [ILO, 2004a et b].

En fin de compte, les discussions à venir pour les prochaines conférences devraient porter sur
le « lieu de travail » et sur la ligne de démarcation entre le secteur informel et l’emploi
informel [Unni, 2000 et Charmes et Unni, 2001] : c’est sur ce dernier point que les
discussions ont été les plus vives et les plus approfondies au niveau international au cours de
la récente période, et la Conférence Internationale du Travail de Juin 2002 dont l'un des
principaux thèmes a été l’économie informelle devrait déboucher sur la nécessité d’une re-
conceptualisation du travail et marquer une étape décisive dans l’évolution des conceptions
du travail que les conférences des statisticiens du travail ultérieures ont déjà commencé à
traduire en concepts opérationnels pour la collecte et la mesure.

A l’heure actuelle, l’emploi informel se définit par les caractéristiques de l’emploi occupé, en
l’occurrence le non enregistrement ou l’absence de protection sociale (emplois non protégés),
le secteur informel (défini par les caractéristiques de l’unité économique dans laquelle
travaille la personne) étant considéré comme une de ses composantes. Le tableau suivant
résume de façon simplifiée la situation (pour une présentation plus complète et complexe,
voir Hussmanns [2001] et [BIT, 2003a et b]. La catégorie (2) des emplois formels dans les
entreprises du secteur informel (certains salariés peuvent y être protégés de même que
certains travailleurs indépendants lorsque les systèmes de protection sociale leur ont été
étendus) est une exception, alors que la catégorie (3) des emplois informels dans le secteur
formel constitue tout l'enjeu du débat, puisqu’il s’agit de l’externalisation des emplois dans le
secteur formel.

Schéma 1 : Composantes du secteur informel et de l’emploi informel.

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                                                          Formel                     Informel
                                 Formelle              Secteur formel                   (3)
       Entreprise
                                Informelle                  (2)                  Secteur informel

Economistes et chercheurs en sciences sociales doivent ainsi se garder d’ignorer ou de sous
estimer l’importance et le rôle des concepts statistiques de population active. Et il devrait en
être de même des organisations représentatives des travailleurs. Celles-ci se sont jusqu’à
présent montrées très réservées à l’égard de concepts qui aboutissent à montrer que le salariat
traditionnel - à la défense des intérêts desquels les syndicats se sont consacrés - n’est en fait
qu’une catégorie minoritaire et privilégiée, car « protégée », de la main d’œuvre. En
revanche, on ne s’étonnera pas que les représentants des employeurs soient opposés à la
reconnaissance d’un emploi informel lié aux entreprises du secteur formel, c’est-à-dire d’un
retour du « putting out system ».

Le contournement des systèmes de protection sociale est devenu si général, de la part des
employeurs comme de la part des travailleurs qu'on ne peut s'empêcher de penser que dans
beaucoup de pays le système est perçu comme une taxe plutôt que comme une assurance, la
prime d'assurance que représentent les charges sociales n'ayant guère de contrepartie dans un
système de sécurité sociale peu performant: parmi les bénéficiaires des diverses formes de
protection sociale, un certain nombre d'assurés verront leurs revenus baisser
considérablement en cas de maladie ou de maternité dans la mesure où les indemnités de
traitement versées seront calculées sur le salaire de base déclaré pour le paiement des

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cotisations, c’est-à-dire le salaire minimum. La question n’est plus alors simplement de savoir
si la personne bénéficie d’une ou de plusieurs formes de protection sociale, mais si la qualité
de ces formes de protection sociale est acceptable : l’indemnisation des congés maladie ou
maternité peut être purement fictive si le salaire minimum sert de base de calcul, et les
services médicaux gratuits peuvent être aussi purement fictifs si la médecine hospitalière doit
faire l’objet de rémunérations occultes sous peine d’être inexistante.

Il peut bien se faire alors que les charges sociales soient envisagées tant par les salariés que
par les employeurs comme une forme d’impôt dont on ne perçoit pas concrètement le retour
ou le bénéfice, plutôt que comme une forme d’assurance. Dès lors on peut comprendre que
l’accord intervenant sur le marché du travail s’opère sur un salaire nominal en espèces
minimisant le prélèvement en écartant toute contribution ou en basant la contribution sur le
minimum que constitue le salaire minimum.

On peut finalement considérer que ces concepts d'emploi informel et de secteur informel
simplifient nécessairement – et de façon excessivement dichotomique (dualiste) – une réalité
qui est par nature multiforme et constitue un continuum, mais c’est le prix d’une collecte
comparative et fiable à grande échelle. De réels progrès ont été faits dans le champ de la
mesure de la population active qui est traditionnellement – et pour des raisons faciles à
comprendre – la moins bien connue des variables démographiques.

3) Les méthodes de mesure et d’estimation du secteur informel et de l’emploi informel

L’adoption de la nouvelle définition internationale du secteur informel a donné un grand élan
aux méthodes d'estimation et d'enquête sur ce secteur dans les diverses régions du monde. Les
chiffres globaux sur la taille du secteur (en termes de nombre d'emplois et de part de
population active) et sa contribution (en termes de production, de valeur ajoutée, de revenus
et de part du PIB) ont maintenant été rendus disponibles pour de nombreux pays, parfois pour
des séries temporelles et au moins sur plusieurs années au cours des deux décennies
antérieures. Ainsi l’intérêt suscité et les progrès récents font espérer que de plus en plus de
données pourront être désagrégées par sous-secteur, par industrie, par statut dans l'emploi et
par-dessus tout par sexe.

En pratique, les critères de la définition du secteur informel et de l’emploi informel sont très
opérationnels dans la mesure où les recensements de population et les enquêtes Emploi
collectent habituellement des informations sur le statut dans l’emploi et la branche d'activité
et permettent ainsi l’identification des travailleurs à compte propre et plus largement des
travailleurs indépendants, ce qui représente une bonne approximation de la première sous-
catégorie du secteur informel (i.e. les travailleurs à compte propre et les travailleurs
familiaux). Cependant, ce type d'estimation n’intègre pas le second élément (les salariés
permanents du secteur informel). Les estimations globales du secteur informel doivent, pour
être réalisées, disposer d’au moins un des critères mentionnés pour l'identification des salariés
informels. Pourtant, les critères de statut juridique ou légal, de comptabilité, de nombre de
personnes employées et d'enregistrement sont communément utilisés pour définir le champ
des enquêtes qui ont pour objectif de couvrir le secteur formel et sont habituellement
disponibles dans ces enquêtes et ces sources. Ces critères sont d’ailleurs généralement
enregistrés dans les enquêtes sur les entreprises formelles, puisque les estimations indirectes
du secteur informel s'appuient sur la comparaison de différentes sources.

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De plus, ces critères sont faciles à obtenir de la part des employeurs et des travailleurs à
compte propre dans les enquêtes auprès des ménages et sont actuellement de plus en plus
souvent collectés dans ces enquêtes. Mais cela est moins certain en ce qui concerne les autres
membres de la population active (salariés, travailleurs familiaux qui sont des travailleurs
dépendants et, en tant que tels, peuvent ne pas être parfaitement au courant des
caractéristiques de l'entreprise dans laquelle ils travaillent).

Malgré leurs défauts et leurs faiblesses, les estimations indirectes restent ainsi un moyen
courant, largement utilisé et utile pour obtenir des indicateurs macro et sectoriels sur le
secteur informel et l'emploi informel. La disponibilité des enquêtes sur le secteur informel,
particulièrement du type "enquêtes mixtes", est toutefois la meilleure source pour mesurer le
secteur informel. Les avantages et les inconvénients de ces deux approches, qui sont plus
complémentaires que concurrentes, seront présentés.

3.1) Méthodes d'enquête sur le secteur informel

3.1.1) Enquêtes auprès des ménages

A la suite de l'adoption de la définition de 1993, les enquêtes auprès des ménages, et
particulièrement les enquêtes mixtes (ménages x entreprises), ont été recommandées
comme meilleur moyen pour appréhender le secteur informel. L'utilisation des enquêtes
mixtes a certes débuté avant l'entrée en vigueur de la nouvelle définition et certains pays
africains (Mali 1989) ou d'Amérique Latine (Mexico 1989) y ont eu recours avant 1993: elles
constituent le moyen actuellement utilisé par les procédures d'échantillonnage pour étendre à
un troisième degré (et à une troisième unité d'observation) la méthode classique
d'échantillonnage à deux degrés: les aires d'énumération sont sélectionnées au premier degré,
puis les ménages au second degré, et finalement les entreprises au troisième degré.

Le principe de ces enquêtes repose sur la sélection d'un échantillon représentatif de ménages
et, parmi ces ménages sélectionnés, sur l'identification des travailleurs indépendants et des
employeurs qui, en fonction des critères de la nouvelle définition, appartiennent au secteur
informel. À ce stade, deux méthodes différentes ont été expérimentées : la première
administre le questionnaire d'entreprise immédiatement après l'identification des membres du
ménage impliqués dans les activités du secteur informel; la seconde administre ce
questionnaire à un second stade, après avoir enregistré avec soin l’adresse de l’entreprise à
moins que celle-ci ne s’exerce dans le ménage lui-même (travail à domicile) ou puisse être
difficile à localiser après quelque temps (vendeurs ambulants, activités mobiles, travail sur
des chantiers de construction, transport). L'écart entre les deux approches n'est en réalité pas
si grand, puisque de nombreux retours sont nécessaires quand, lors du premier et
théoriquement unique entretien, le répondant concerné est absent, se trouvant sans doute au
travail. Il peut alors apparaître que la manière la plus simple de remplir le questionnaire est de
joindre l'opérateur du secteur informel sur son lieu de travail.

Les enquêtes mixtes peuvent revêtir trois formes différentes, suivant le type d’enquête auprès
des ménages auxquelles le questionnaire d'entreprise sera rattaché :

- L’enquête Emploi (ou un équivalent plus court) est la procédure la plus commune et la plus
logique qui a été la plus largement utilisée jusqu'à maintenant (Mexique, 1989; Mali, 1989 et
1996; Niger 1994; Tanzanie, 1994; Kenya, 1999, Maroc, 2000, Inde, 2000) en raison de sa

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commodité et de son adéquation avec les questions devant être étudiées. Lorsqu'ils
s'intéressent à la mesure de la population active et des activités économiques, les statisticiens
recherchent l’exhaustivité de leur approche et doivent vérifier et prendre pour acquis que
toutes les entreprises informelles sont correctement et exhaustivement enregistrées, qu'elles
soient à domicile ou ambulantes, principales ou secondaires, permanentes, occasionnelles ou
saisonnières, exercées par des travailleurs indépendants ou dépendants (comme deuxième
emploi). Il s’agit là d’un objectif typique des enquêtes Emploi et une enquête mixte qui ne
s'intéresserait pas à ces questions pourrait passer à coté de la finalité de cette approche.

- Les enquêtes sur les revenus et les dépenses des ménages (ou les enquêtes budget-
consommation, ou de niveau de vie) peuvent constituer une alternative dans la mesure où
elles satisfont à la question précédente d’exhaustivité. De plus, les données sur les revenus et
les dépenses des ménages sont grandement améliorées par la collecte de données sur les
revenus provenant des entreprises tandis que la connaissance des niveaux de vie des ménages
rend plus facilement compréhensible le comportement socio-économique des entreprises. Ce
type d'enquête mixte a été réalisé au Tchad en 1995, et les enquêtes de la Banque mondiale
(conduites et répétées dans un grand nombre de pays) sur la dimension sociale de l'ajustement
(DSA) de même que des études sur la mesure des niveaux de vie (LSMS) peuvent être
classées parmi ce type d'approche bien qu’elles n’aient collecté de données que sur les deux
principales activités informelles non agricoles des ménages.

- La première étape des enquêtes mixtes a parfois été réduite à une simple liste des membres
des ménages engagés dans une activité indépendante, comme dans l'enquête de base des
micro et petites entreprises du Kenya (1993 et 1995). Cette approche évolue logiquement vers
l'approche par l'enquête Emploi (Kenya, 1999).

Le choix entre ces trois types d'approche a souvent été une question d'opportunité, dépendant
des priorités nationales de collecte des données et de la prise de conscience et de la volonté
des autorités statistiques et politiques de mener de telles enquêtes.

Une mention spéciale doit être faite pour une enquête mixte en trois phases combinant
l'approche de la population active (première phase), l'approche du secteur informel (seconde
phase) et l'approche de la consommation et des dépenses des ménages (troisième phase)
conduite au niveau de la capitale à Yaoundé (1993, l994), et à Antananarivo (1995,1996) puis
des principales villes malgaches (2000) et enfin des capitales des pays d'Afrique de l'Ouest
(2002-2004) par Afristat.

Parmi les avantages des enquêtes mixtes deux méritent d’être soulignés : l'objectif
d’exhaustivité dans le dénombrement des entreprises informelles, et l’importance accordée
dans l'enquête, à la collecte des données sur la production, la valeur ajoutée et les revenus
générés par les entreprises.

Lorsque des enquêtes emploi (non mixtes) sont utilisées pour la collecte et la fourniture de
données sur le secteur informel, elles ne peuvent remplir que le premier de ces deux objectifs.
Et l’une de leurs faiblesses principales est que les caractéristiques de l'entreprise ne sont
habituellement pas très bien connues des travailleurs dépendants, de sorte que la classification
de cette partie de la population active (les salariés) est en quelque sorte biaisée par la fiabilité
incertaine des réponses ou par un taux élevé de non réponses aux questions portant sur les
caractéristiques des entreprises. Cependant plusieurs années d'expérience ont montré que la
plupart des pays d'Amérique Latine arrivent à fournir avec succès des chiffres annuels sur la

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taille et la structure du secteur informel, de même que sur les tendances des deux décennies
écoulées. La Thaïlande a adopté la même approche depuis 1994.

3.1.2) Enquêtes d'entreprise ou d'établissement

Les recensements d'établissement (et les enquêtes par sondage qui leur sont consécutives)
sont habituellement perçues comme une approche dépassée pour des enquêtes sur le secteur
informel. Et le fait est qu'elles n’arrivent pas à appréhender la diversité des activités du
secteur informel, l'approche ne se faisant pas par les ménages, ce qui explique pourquoi les
enquêtes mixtes sont maintenant préférées et recommandées.

Cependant, l’expérience de plusieurs pays dans l’utilisation de l'approche par les
établissements devraient nous convaincre de ne pas rejeter systématiquement cette
méthodologie, même lorsqu'elle est insuffisante pour une couverture complète. L'Egypte
conduit régulièrement des recensements d'établissements tous les dix ans, en parallèle avec
les recensements de population, et cette simultanéité est en elle-même très instructive pour la
connaissance et la compréhension du secteur informel. La Tunisie a aussi réalisé un tel
recensement au niveau national (1975 et 1982) mais préfère maintenant mettre en place et
mettre à jour un répertoire national d'établissements. Jusqu'à récemment, l'Inde réalisait
régulièrement des sondages aréolaires sur les établissements pour couvrir le secteur dit “ non
organisé ”: elle conduit maintenant une enquête mixte et teste la définition internationale du
secteur informel. À un niveau moins large (les capitales), de nombreux pays ont eu recours
aux recensements d'établissements pour construire une base de sondage pour conduire des
enquêtes sur les établissements et les entreprises.

Malgré ses faiblesses, cette approche ne devrait pas être trop rapidement vouée aux gémonies,
pour au moins trois raisons qui peuvent justifier son utilisation lors de la poursuite de certains
objectifs: tout d’abord c’est la méthode qui a permis de tester les améliorations dans
l’enregistrement des revenus d'entreprise (durée et adaptation de la période de référence,
variations saisonnières, questions indirectes pour la détermination des niveaux de revenus,
etc.) mais de tels progrès peuvent être aisément intégrés aux enquêtes mixtes, bien que cela ne
soit pas toujours observé. C'est aussi la seule méthode qui permette d'éclairer ce qu'il est
convenu d'appeler le “ missing middle” ou secteur intermédiaire manquant, défi récurrent
posé à la théorie économique du secteur informel: si l’on s’en tient à une hypothèse
couramment admise, il n'y aurait aucune possibilité de transition du secteur informel au
secteur formel, puisque aucun secteur intermédiaire n’est actuellement observé dans les
enquêtes. Le recensement d’établissements tunisien de 1982 a prouvé que ce chaînon
manquant était une illusion statistique: le secteur intermédiaire est composé de petits
établissements qui se déclarent habituellement et sont en fait enregistrés comme
indépendants. Enfin ce sont les seules sources qui, jusqu'à maintenant, ont collecté et fourni
les données détaillées sur une catégorie très spécifique du secteur informel, celle des vendeurs
ambulants: en réalité, plusieurs recensements d'établissements ont étendu leur champ aux
vendeurs ambulants (Bénin, 1992, parmi d'autres) et se sont révélés être une source majeure
de données pour ce segment qui mérite l'intérêt des pouvoirs publics.

C'est pourquoi, en fonction des circonstances nationales (par exemple l'existence d'une large
catégorie d'employeurs informels) et des besoins statistiques exprimés par les utilisateurs (la
volonté de soutenir cette sous-catégorie du secteur informel), les recensements
d’établissement ont encore un important rôle à jouer dans les stratégies mises en œuvre pour

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mesurer le secteur informel. Le Maroc qui vient de réaliser une enquête mixte (2000) est
d’ailleurs en train de réaliser un recensement général des établissements.

3.2) Méthodes de mesure indirecte.

A l'exception des pays d'Amérique Latine et de quelques pays asiatiques (comme la
Thaïlande) qui ont été en mesure de générer des estimations annuelles du secteur informel à
partir de leurs enquêtes permanentes sur l'emploi, la plupart des pays ont toujours recours à
des estimations indirectes pour mesurer la taille et surtout la contribution du secteur informel
à l'économie, bien que pour certains d'entre eux des chiffres directs soient occasionnellement
disponibles, pour peu qu'il existe une enquête sur le secteur informel.

Les méthodes d'estimation indirecte sont basées sur la technique du solde qui consiste à
choisir une définition spécifique du secteur informel (par exemple l'enregistrement ou le
nombre de personnes employées) à partir de laquelle sera déduite la taille du secteur en
comparant une source exhaustive de l'emploi (recensement ou enquête par sondage) avec une
source de l'enregistrement du secteur formel (répertoire, enquête d'entreprises). En ce qui
concerne la population active, l'objectif principal est de segmenter la population des salariés
dénombrés dans les recensements ou les enquêtes Emploi, de manière à déterminer ceux qui
appartiennent au secteur informel (entreprises d’employeurs informels) et ceux qui
appartiennent au secteur moderne. Il est en fait pratiquement impossible d'appliquer
strictement le concept de secteur informel, dans la mesure où les enquêtes n'incluent pas
généralement des questions portant sur l'unité économique dans laquelle travaille la personne
occupée. Il faut alors faire des comparaisons avec les sources sur les établissements ou
entreprises (enquêtes ou enregistrements administratifs). Des hypothèses sont en conséquence
nécessaires pour formuler des estimations.

La source exhaustive (recensement de population ou enquête Emploi) peut faire une
distinction entre les employés occasionnels et permanents, alors que la source de
l'enregistrement ne révèle quasiment jamais cette distinction, ou ne peut pas compter les
travailleurs occasionnels. C'est pourquoi, dans le secteur formel, l'emploi est limité aux
emplois permanents. D'où le risque d’attribuer au secteur informel des employés temporaires
ou occasionnels, des apprentis et des travailleurs familiaux qui peuvent appartenir au secteur
formel. Mais de plus, le nombre d’entreprises du secteur moderne sera confondu avec le
nombre d'employeurs du secteur informel car il est encore plus difficile de segmenter cette
catégorie.

Quel que soit le niveau de détail apparaissant dans la source exhaustive, le choix de la source
d'enregistrement sera en général limité, dans un pays donné, à l’un des cas suivants :

- les chiffres portant sur les employés permanents vont provenir soit d'un questionnaire
complémentaire distribué aux entreprises qui ont rempli la déclaration statistique et fiscale
(DSF) - dont les résultats ne sont pas toujours utilisés ni disponibles (par exemple dans le cas
du Niger) - soit du registre des entreprises (Tunisie, 1997),

- les chiffres des employés permanents seront tirés d'un recensement ou plutôt d'une
enquête visant à l’exhaustivité pour le secteur formel (par exemple au Burkina Faso, ou au
Bénin),

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