Les syndromes de fatigue d'origine cérébrale - Swiss Archives ...
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Revue générale Les syndromes de fatigue d’origine cérébrale ■ F. Staub, J. Bogousslavsky Ser vice de neurologie, CHUV, Lausanne Summary en tant que phénomène physiologique objectiva- ble, en général lié à une activité excessive et cédant Staub F, Bogousslavsky J. Fatigue syndromes of au repos, et la sensation subjective de fatigue, carac- cerebral origin. Schweiz Arch Neurol Psychiatr térisée par un sentiment d’incapacité et exempte de 2000;151:229–35. cause clairement identifiable. C’est ce sentiment subjectif de fatigue qui est au centre du propos des In the general population fatigue is an extremely auteurs qui abordent plus particulièrement les widespread and generally benign symptom. In différentes caractéristiques cliniques, l’étiologie, la pathology it constitutes the central feature of the physiopathologie et les traitements de la fatigue chronic fatigue syndrome and is associated with dans le cas du syndrome de fatigue chronique, de many physical and psychiatric conditions. The la sclérose en plaques et des accidents vasculaires clinician who is confronted with a patient who cérébraux. complains about fatigue must imperatively dis- Mots clés: fatigue; syndrome de fatigue chro- tinguish between fatigue as a physiological and nique; sclérose en plaques; accident vasculaire objective phenomenon, in general related to exer- cérébral tion and yielding at rest, and fatigue as a subjective inner state, characterised by a feeling of incapa- city and with no clear cause. The authors empha- Introduction sise the concept of subjective fatigue and discuss in particular the various clinical characteristics, «Je suis fatigué, je suis épuisé, je suis vidé ...»: qui aetiology, pathophysiology and treatment of fati- n’a pas mainte fois entendu ou formulé lui-même gue in chronic fatigue syndrome, multiple sclerosis une de ces petites phrases? La connaissance du and stroke. phénomène de fatigue est populaire et universelle Keywords: fatigue; chronic fatigue syndrome; si bien que chacun sait de quoi il retourne et que multiple sclerosis; stroke personne ne prend le soin de définir le concept. Pourtant, à l’image d’autres termes issus de la psy- chologie populaire (amour, intelligence), le terme Résumé de fatigue couvre un champ sémantique vaste et mal délimité. Les référents du mot sont multiples Dans la population générale, la fatigue est un de même que les mécanismes psychologiques et symptôme extrêmement répandu et généralement physiologiques sous-jacents. C’est un problème banal. En pathologie, elle constitue le trait central auquel se heurte celui qui entreprend une étude du syndrome de fatigue chronique et un trait secon- sur la fatigue et c’est à lui qu’il revient d’établir une daire souvent invalident de nombreuses affections sémiologie de ce phénomène et des symptômes systémiques, psychiatriques et des systèmes ner- voisins en utilisant un vocabulaire rigoureux. veux central et périphérique. Le praticien qui se L’asthénie, l’épuisement, le manque d’énergie, la trouve confronté à un patient qui se plaint de lassitude, l’ennui, l’apathie, l’aboulie, la faiblesse, fatigue doit impérativement distinguer la fatigue l’anhédonie, la dépression, le manque de motiva- tion, la répulsion à l’effort sont autant de termes Correspondance: qui peuvent être utilisé, parfois à tort, pour décrire Pr Julien Bogousslavsky un état de fatigue. Réciproquement, le terme de Ser vice de neurologie fatigue est parfois utilisé par les patients pour qua- Centre Hospitalier Universitaire Vaudois (CHUV) lifier des phénomènes voisins tels que la dépres- Rue du Bugnon 27 CH-1011 Lausanne sion, ou d’autres états corporels anormaux (ver- e-mail: Julien.Bogousslavsky@chuv.hospvd.ch tiges, dyspnée, somnolence, etc.) qu’ils n’arrivent 229 SCHWEIZER ARCHIV FÜR NEUROLOGIE UND PSYCHIATRIE 151 ■ 6/2000
pas à verbaliser spontanément. S’il est indéniable somatiques, seuls les maux de tête sont dans la règle qu’il existe un recouvrement entre fatigue et plus fréquemment cités. Les chiffres se rapportant dépression et que la première constitue un symp- à la prévalence de la fatigue dans la communauté tôme fréquent de la seconde, la fatigue peut aussi varient d’une étude à l’autre mais se situent dans se développer de façon indépendante, phénomène une fourchette de 10 à 30% avec une surrepré- qui a notamment été montré dans la sclérose en sentation constante des femmes [8–10]. plaque, la maladie de Parkinson et les accidents Dans les consultations de médecine générale, vasculaires cérébraux [1–3]. Après avoir pris cons- la fatigue constitue un symptôme significatif dans cience des différences et des recouvrements entre 10 à 30% des cas mais elle ne se présente isolément les phénomènes de fatigue, de dépression, d’abou- que dans 1 à 3% des situations [11]. Elle constitue lie, et autres, il peut être utile de distinguer la le trait diagnostique central du syndrome de fatigue fatigabilité de la «fatigue primaire». La première chronique et se trouve fréquemment associée à des s’installe en cours ou suite à des activités nécessi- affections d’origine inflammatoire, autoimmune, tant un effort soutenu (éventuellement de façon infectieuse ou néoplasique ainsi qu’à certains prématurée) alors que la seconde, proche d’un désordres neurologiques et psychiatriques, essen- manque d’initiative (avec un déséquilibre entre tiellement dépressifs, somatoformes et anxieux. motivation préservée et efficacité diminuée), L’origine de la fatigue peut parfois être attri- existe d’emblée. Une autre distinction importante buée à des facteurs généraux et aspécifiques qui concerne les concepts de fatigue objective et de sont caractéristiques de la plupart des maladies fatigue subjective. Dans le premier cas, il s’agit comme la douleur, les troubles du sommeil, la d’un phénomène concret que l’on peut mesurer dépression, l’anxiété ou encore l’inactivité, ou à à travers une modification des performances des facteurs spécifiques liés à la physiopathologie physiques ou mentales du sujet (ralentissement, de la maladie elle-même, ou à son traitement. Ces augmentation du nombre d’erreurs, etc.), dans le mécanismes physiopathologiques peuvent globa- second, il s’agit d’un sentiment intérieur subjectif lement être divisés en causes centrales et en causes composé d’un large éventail de perceptions sen- périphériques, ces dernières étant les plus claires et sorielles, émotionnelles et mentales. En outre, ce les mieux connues. La fatigue musculaire périphé- sentiment, qui peut être lié à un grand nombre rique, définie comme une réduction d’efficacité de d’états physiques et psychiques se trouve être très la force maximale, est classiquement associée à une mal corrélé avec les aspects comportementaux ou altération du contrôle moteur, incluant l’atteinte objectifs de la fatigue. de l’excitation, de la contraction et du métabolisme Cette absence de concordance tout comme la musculaires. Des maladies telles que la myasthénie subjectivité et la multidimensionnalité du concept et les myopathies métaboliques entraînent typi- de fatigue rendent son évaluation difficile. Toute quement une fatigue de type périphérique. Toute- une variété d’instruments d’auto-évaluation ont fois, il faut savoir que la distinction entre fatigue néanmoins été mis au point pour tenter de cerner centrale et périphérique n’est pas si claire. A titre le sentiment de fatigue. Certaines échelles ont été d’exemple, 2 des 5 principales causes métaboliques construites dans le cadre de désordres spécifiques de la fatigue (à savoir diminution de phosphocréa- comme la sclérose en plaque ou le syndrome de tine ou de glucogène au niveau du muscle, accu- fatigue chronique [4, 5]. D’autres, en principe in- mulation de protons dans le muscle, diminution clues dans des questionnaires généraux de santé, de la concentration en glucose dans le sang, aug- sont largement applicables. Certaines échelles mentation du taux de tryptophane/acides aminés testent des aspects spécifiques de la fatigue tels ramifiés dans la circulation sanguine), impliquent que ses dimensions mentales ou physiques alors une participation cérébrale. (Ainsi, l’augmentation que d’autres se penchent sur la fatigue en général plasmatique du taux de tryptophane/acides aminés [6, 7]. Les instruments les plus fins et les plus inté- ramifiés induite par un exercice est associée à une ressants sont certainement ceux qui explorent les augmentation de la 5-HT cérébrale [5-hydroxy- multiples dimensions du phénomène (sensorielles, tryptamine = précurseur de la sérotonine] et à la cognitives et émotionnelles). Il est bien sûr égale- survenue d’une fatigue [12]. Certains auteurs [13] ment possible de mesurer la fatigue en tant que ont également montré une amélioration des per- comportement en soumettant le sujet à une tâche formances mentales et une réduction de l’effort contrôlée (mentale ou physique) et en mesurant ses physique et mental subjectivement perçu chez des performances. sportifs ayant absorbés des acides aminés ramifiés La fatigue constitue un symptôme extrêmement [par rapport à un placebo].) répandu et souvent bénin dans la population Nous ne nous étendrons pas ici sur les maladies générale. Si l’on considère l’ensemble des plaintes associées à une fatigue «périphérique», ni sur le 230 SCHWEIZER ARCHIV FÜR NEUROLOGIE UND PSYCHIATRIE 151 ■ 6/2000
phénomène de fatigue objective, mais nous nous phique lente et irrégulière chez 85% de ses patients intéresserons essentiellement au sentiment de [17]. Quoiqu’il en soit, le manque de consensus fatigue (fatigue subjective) et aux origines cen- entre les différentes études tout comme la diversité trales de ce phénomène. Nous parlerons du syn- des étiologies avancées incitent à penser que le drome de fatigue chronique et de la sclérose en pla- SFC n’est pas une entité pathologique distincte ques, maladies où la fatigue a été très largement mais un syndrome multifactoriel qui doit être étudiée, puis nous évoquerons le cas des accidents abordé sur les plans somatique, psychologique, vasculaires cérébraux, où la fatigue, bien que et même social. En ce qui concerne les traitements, fréquente, n’a été que très insuffisamment inves- il semble que certains antidépresseurs (fluoxétine, tiguée. phenelzine [inhibiteur de la monoamine oxydase]) puissent avoir une action bénéfique lorsque des symptômes tels que dépression, insomnie ou Le syndrome de fatigue chronique myalgies sont présents [18, 19]. Le recouvrement qui existe entre le SFC et la dépression ne permet Dans le syndrome de fatigue chronique (SFC), la toutefois pas d’apprécier l’action précise des anti- fatigue constitue la manifestation la plus consis- dépresseurs. L’administration de corticosteroids et tante et le critère diagnostique majeur. A cette d’immunoglobulines G (ou autres immunothéra- fatigue qui doit être persistante et sans cause pies) n’a montré qu’une efficacité limitée et tran- médicale identifiée, s’ajoutent des critères mineurs sitoire avec d’importants effets secondaires [20]. et subjectifs tels qu’un état subfébril, des maux de Pour finir, l’exercice physique et le suivi psycho- gorge, des myalgies, des céphalées, des symptômes thérapeutique (notamment thérapies cognitivo- neuropsychologiques et des troubles du sommeil comportementales) peuvent produire des amélio- [14]. rations substantielles chez certains patients [21]. Une étiologie infectieuse ne peut assurément pas être seule incriminée dans la survenue du SFC. Néanmoins, parmi les agents viraux potentielle- Fatigue et sclérose en plaques ment impliqués, les entérovirus sont les plus fré- quemment et les plus solidement mis en cause. La fatigue est extrêmement commune dans la Il est également vraisemblable qu’une activation sclérose en plaques (SEP). Jusqu’à 87% des pa- immunitaire se traduisant par l’augmentation de tients la considère comme une gêne ou un symp- certaines cytokines soit associée au SFC, de même tôme invalident qui peut même constituer le que de subtiles anomalies neuro-endocriniennes. symptôme d’entrée dans la maladie [22]. Selon Les facteurs psychopathologiques (essentiellement Vercoulen et al. 85% des sujets expérimentent sous forme de dépression) fréquents mais non cette fatigue de façon quotidienne, ce qui les incite constants joueraient un double rôle de prédispo- à réduire leur niveau d’activité [23]. La fatigue de sition et de maintien-entretien des symptômes. La la SEP possède des caractéristiques particulières: fréquence importante des désordres neuropsycho- elle apparaît tôt dans l’évolution lorsque le handi- logiques (essentiellement sous forme d’un ralen- cap neurologique est minime ou absent, elle fait tissement, de difficultés mnésiques, attentionnelles généralement suite à un effort (bien qu’elle puisse et exécutives) et psychiatriques ont également rapi- aussi survenir indépendamment surtout lors d’une dement conduit à la recherche d’anomalies du poussée) et elle est considérablement influencée système nerveux central. Dans cette optique, les par la température [20]. Par ailleurs, elle semble répercutions cérébrales des dysfonctions immunes largement indépendante des affects dépressifs et endocriniennes tout comme celle d’agressions souvent ressentis par les patients [23–25] bien que virales ont été recherchées, sans résultats constants des résultats inverses aient également été trouvés et consistants [15]. Des études d’imagerie céré- [26, 27]. Il y a également une absence de consensus brales structurelles et fonctionnelles ont également quant à l’impact du handicap neurologique sur le donné lieu à des données peu concluantes. Des développement de la fatigue même si une majorité anomalies cérébrales, notamment sous forme de d’études ne montre pas d’association significative lésions punctiformes de la substance blanche sous- entre atteinte neurologique et fatigue [23, 25, 27]. corticale, principalement frontale, ont par exemple L’extension totale des lésions, leurs localisations été décrites [16]. Au niveau fonctionnel, une hypo- ou encore le degré d’atrophie cérébrale mesurée perfusion du tronc cérébral et des régions frontales par imagerie cérébrale (IRM) ne semble pas liés et temporales ou inversement une hyperperfusion à la présence ou à la sévérité de la fatigue [28, 29]. frontale ont été rapportées. Jamal a pour sa part Il est toutefois intéressant de relever que Colombo constaté la présence d’une activité encéphalogra- et al., en sélectionnant des patients peu atteints 231 SCHWEIZER ARCHIV FÜR NEUROLOGIE UND PSYCHIATRIE 151 ■ 6/2000
sur le plan neurologique, ont trouvé une forte Fatigue et accidents vasculaires cérébraux association entre présence de fatigue et localisation lésionnelle avec une fréquence élevée de lésions Bien que la fatigue constitue une séquelle fréquente dans le lobe pariétal, la capsule interne et les ré- et potentiellement invalidante des accidents vascu- gions de la substance blanche périventriculaire laires cérébraux (AVC), il n’existe que de rares [30]. investigations de ce phénomène, qui a souvent été Pour tenter de mieux cerner l’hétérogénéité considéré comme l’une des manifestations de la du phénomène de fatigue dans la SEP, Iriarte et al. dépression post-AVC. Il semble que plus de la moi- [31] ont récemment subdivisé le symptôme de tié des patients sont susceptibles de développer un fatigue en trois entités cliniques distinctes, à savoir syndrome de fatigue au décours de leur maladie. l’asthénie (fatigue au repos), la fatigabilité (fatigue Pour certains d’entre eux, chez lesquels la récupé- à l’exercice) et l’aggravation des symptômes ration neurologique est bonne ou excellente, la avec l’effort. Sur un collectif de 150 patients, 118 fatigue peut même constituer la seule manifestation (76,13%) sujets se sont plaints d’un problème de séquellaire de l’ictus et représenter un handicap fatigue, le plus souvent décrit comme une fatiga- majeur, interférant avec le maintien ou la reprise bilité (72%), parfois comme une asthénie (22%) et des activités socio-professionnelles. Jusqu’ici, les rarement comme une aggravation des symptômes quelques études entreprises n’ont montré aucune préexistants (6%). Les auteurs ont par ailleurs association significative entre la fatigue d’une part trouvé une corrélation positive significative entre et le délai post-AVC, l’importance de l’atteinte la fatigabilité et la sévérité de l’atteinte pyrami- neurologique, le degré d’atteinte neuropsycholo- dale d’une part et entre l’asthénie et certains para- gique et la présence de troubles dépressifs d’autre mètres d’immunoactivation d’autre part. Sheean et part [3, 35]. Ces mêmes études n’ont pas relevé al. [32] ont quant à eux montré, en se basant sur des de relations entre la présence de fatigue et des techniques électrophysiologiques, que la fatigue localisations ou une latéralisation cérébrales par- excessive développée par les patients souffrant ticulières. En revanche, une étude neurocomporte- de SEP au cours d’un effort musculaire soutenu mentale récente, a montré une fréquence significa- était en fait une fatigue «physiologique» exagérée tivement plus élevée de lésions au niveau du tronc d’origine centrale, alors que cette même fatigue cérébral et, dans une moindre mesure au niveau du provoquée était d’origine périphérique chez des thalamus et de la substance blanche hémisphérique sujets contrôles sains. Il est important de souligner sous-corticale, chez des patients se plaignant d’une qu’il n’existait pas de relation entre le degré de fatigue importante. Les auteurs de cette étude sug- fatigue inductible et le degré de fatigue subjective gèrent l’existence d’une fatigue post-AVC qu’ils quotidiennement ressenti par les patients. Malgré qualifient de «primaire», (ne s’expliquant pas par la ces études et d’autres incriminant une augmenta- présence d’une dépression, de troubles neuropsy- tion des temps de conduction dans le SNC, une chologiques et neurologiques), qui serait liée à l’in- altération du fonctionnement de neurotransmet- terruption de réseaux de neurones impliqués dans teurs monoaminergiques, ou encore une libération le contrôle de l’attention, tel que le système réticulé anormale de cytokines par les cellules inflamma- activateur [36]. Le lien entre fatigue et déficits at- toires durant la phase aiguë de la maladie, la patho- tentionnels a également été souligné dans une autre physiologie de la fatigue dans la SEP demeure à ce étude portant sur l’examen de la fatigue «mentale» jour inconnue. Cette ignorance se reflète dans la chez des patients victimes d’infarctus lacunaires carence de traitement efficace. Plusieurs substan- supratentoriels profonds [37]. Les auteurs ont pu ces ont cependant été testées. L’amantadine (qui montrer que, lors de tâches cognitives demandantes, possède des effets antiviraux et antiparkinsoniens) leurs patients développaient une fatigue «mentale» semble induire une réduction modeste mais signi- liée à des troubles attentionnels subtils, et que leurs ficative de la fatigue, contrairement à la pemoline performances, bien que normales, étaient diminuées (stimulant du SNC) qui se révèle inefficace avec par comparaison aux sujets contrôles. de fréquents effets secondaires [33]. Les résultats Le fait que le symptôme de fatigue post-AVC avec la 3,4-diaminopyridine (bloque les canaux soit une entité hétérogène ne fait pas de doute. potassiques, prolongeant ainsi la durée du poten- Le but des études futures dans le domaine sera tiel d’action et améliorant le facteur de sécurité donc d’identifier les différents sous-types de fati- de la transmission nerveuse) sont hétérogènes [34]. gue en déterminant les liens qui existent entre la fatigue, les séquelles cognitives et neurologiques, les troubles du sommeil (fréquemment aggravés ou déclenchés par les AVC) et les facteurs psycho- logiques (dépression, difficultés de «coping»). 232 SCHWEIZER ARCHIV FÜR NEUROLOGIE UND PSYCHIATRIE 151 ■ 6/2000
Fatigue et autres maladies neurologiques férente de celle expérimentée avant le début de l’affection. Elle ne semble pas dépendre de la Fatigue et syndrome post-polio sévérité de la maladie et elle est fréquemment dissociée de la symptomatologie dépressive et des Le syndrome post-polio constitue une séquelle à troubles du sommeil habituels chez le parkinson- long terme de la poliomyélite aiguë qui touche nien [2]. Des altérations des efférences dopamin- 25 à 40% des patients et qui se caractérise prin- ergiques vers le striatum connues pour induire une cipalement par une fatigue sévère, une baisse de baisse de l’activation corticale et une difficulté à l’endurance, ainsi que par une augmentation des maintenir une attention ciblée ont été incriminées déformations osseuses et des douleurs articulaires dans la genèse de cette fatigue [41]. déjà présentes. Il est intéressant de relever que les patients souffrant de ce syndrome distinguent une fatigue «physique» qu’ils associent à une faiblesse Autres musculaire et une fatigue «mentale» fortement liée à des problèmes cognitifs (en particulier atten- La fatigue est également une manifestation tionnels) [38]. Bien que la fatigue constitue le communément associée aux polyneuropathies à symptôme le plus fréquent et le plus invalident médiation immunitaires (syndrome de Guillain- de ce tableau, son origine et sa physiopathologie Barré, polyradiculoneuropathies chroniques in- demeurent mal comprises. Les hypothèses causales flammatoires démyélinisantes) [41], à la maladie font état de la persistance de l’entérovirus avec de Lyme lorsque celle-ci s’accompagne d’une induction de dommages d’origine immune, d’une atteinte neurologique [42] et au Lupus érythé- dégénérescence prématurée des motoneurones mateux disséminé [43]. Pour finir, mentionnons due à une sollicitation excessive des unités motrices le cas des traumatismes crâniens et des hémor- résiduelles, ou d’une dysfonction neurale consécu- ragies sous-arachnoidiennes sur rupture d’ané- tive à l’affection aiguë mais ne devenant manifeste vrisme. Dans un cas comme dans l’autre, les qu’à posteriori, lorsque le processus de réinner- patients qui récupèrent souvent remarquable- vation n’est plus à même de compenser la perte des ment sur le plan neurologique se plaignent motoneurones. Des études anatomopathologiques néanmoins d’une fatigue invalidante ainsi que menées il y a une cinquantaine d’années ont mon- de divers symptômes tels qu’un ralentissement tré la présence de lésions induites par le virus dans psychomoteur, une irritabilité, des difficultés des régions cérébrales particulières: la formation mnésiques et de concentration qui interfèrent avec réticulaire mésencéphalique de façon sévère et la reprise de leurs activités socio-professionnelles presque constante, l’hypothalamus, le thalamus, le [44, 45]. putamen, le globus pallidus, la substance noire et le locus ceruleus, de façon moins systématique. Des études plus récentes d’imagerie cérébrale Conclusion par résonance magnétique (IRM) ont confirmé la présence de lésions au niveau des structures res- Le concept de fatigue recouvre toute une série ponsables de l’activation corticale chez 55% des de phénomènes qui sont souvent mais non obli- patients présentant une fatigue post-polio sévère gatoirement associés à l’effort. Bien que l’expé- [39]. En outre, ces anomalies cérébrales se sont rience et la signification du mot soit évidente pour révélées être fortement corrélée avec des troubles tout un chacun, l’établissement d’une définition de l’attention, de la concentration, de la mémoire objective et opérationnelle reste un problème non récente et du maintien de l’éveil, étayant ainsi résolu, de même que la construction d’instruments l’hypothèse d’une dysfonction de circuits neuraux de mesure efficaces. Dans cette entreprise, il faut impliqués dans le contrôle de l’attention (i.e. tenir compte de la polysémie du mot fatigue et des système réticulé activateur) à l’origine du senti- dimensions multiples du phénomène. La meilleure ment de fatigue. alternative consiste probablement à fragmenter ce vaste concept en isolant ses différentes significa- tions. La distinction entre fatigue «objective» et Fatigue et maladie de Parkinson fatigue «subjective» est particulièrement perti- nente. Rappelons que la première possède une Plus de la moitié des patients parkinsonniens cause claire et se traduit par des conséquences au rapporte un problème de fatigue. Cette fatigue, qui niveau des performances et du comportement alors peut même constituer le symptôme d’entrée dans que la seconde correspond à un sentiment intérieur la maladie, est décrite comme qualitativement dif- subjectif. Le manque d’énergie, l’épuisement, la 233 SCHWEIZER ARCHIV FÜR NEUROLOGIE UND PSYCHIATRIE 151 ■ 6/2000
lassitude, l’ennui, ou encore la faiblesse sont des sans doute pourquoi des «stress» divers (physiques, termes souvent utilisés pour décrire ce sentiment chimiques, émotionnels, infectieux, etc.) et opérant qui constitue une sorte de mal de notre époque à différents niveaux, sont capables de rompre et de nos sociétés modernes et représente une l’homéostase fragile de ce système et d’engendrer plainte extrêmement répandue mais souvent bé- une fatigue. nigne dans la population dite «normale». Lorsque ce sentiment devient trop sévère et invalidant ou lorsqu’il se trouve associé à d’autres facteurs Références (par exemple une maladie physique ou psychia- 1 Krupp LB, LaRocca NC, Muir-Nash J, Steinberg AD. trique, des problèmes personnels, une surcharge The fatigue severity scale: application to patients with professionnelle, etc.), il peut motiver une consul- multiple sclerosis and systemic lupus er ythematosus. Arch Neurol 1989;46:1121–3. tation médicale. En clinique, le praticien est donc confronté non pas à la fatigue proprement 2 Friedman J, Friedman H. Fatigue in Parkinson’s disease. Neurology 1993;43:2016–9. dite, mais à un patient qui se plaint de fatigue. Dès lors, il est impératif d’adopter une approche 3 Ingles JL, Eskes GA, Phillips SJ. Fatigue after stroke. Arch Phys Med Rehabil 1999;80:173–8. tenant compte des symptômes, de l’étiologie et de la physiopathologie, mais aussi de l’état in- 4 Fisk JD, Ritvo PG, Ross L, Haase DA, Marrie TJ, Schlech WF, et al. Measuring the functional impact terne (cognition, humeur), du contexte et des of fatigue: initial validation of the fatigue impact scale. circonstances associés au développement de la Clin Infect Dis 1994;18(Suppl 1):79–83. fatigue. 5 Schwar tz JE, Jandor f L, Krupp LB. The measurement La physiopathologie de la fatigue est elle aussi of fatigue: a new instrument. un sujet débattu et non résolu. L’origine de la J Psychos Res 1993;37:753–62. fatigue peut être imputée à des facteurs généraux 6 Bentall RP, Wood GC, Marrinan T, Deans C, Edwards RHT. et aspécifiques qui sont le propre de la plupart des A brief mental fatigue questionnaire. Br J Clin Psychol 1993;32:375–9. maladies ou à des facteurs spécifiques liés à la physiopathologie de la maladie elle-même ou à 7 Lee KA, Hicks G, Nino-Murcia G. Validity and reliability of a scale to assess fatigue. son traitement. Ces causes spécifiques sont multi- Psychiatr y Res 1991;36:291–8. ples, mais on peut notamment citer les modifica- 8 Cathébras P, Bouchou K, Car tr y O, Rousset H. Epidé- tions endocriniennes, inflammatoires, immunolo- miologie de la fatigue. Conséquence sur la définition du giques, les affections virales et bactériennes. Les syndrome de fatigue chronique. répercussions de ces dysrégulations peuvent se Sem Hôp Paris 1995;71:111–8. faire sentir à un niveau périphérique, mais elles 9 Cox B, Blaxter M, Buckle A. The Health and Lifestyle peuvent aussi impliquer de façon indirecte le Sur vey. London: Health Promotion Research Trust; 1987. système nerveux central, justifiant les termes 10 Kroenke K, Price R. Symptoms in the community: respectifs de fatigue «périphérique» et de fatigue prevalence, classification and psychiatric comorbidity. «centrale». Des lésions neurologiques directes, en Arch Intern Med 1993;153:2474–80. particulier au niveau du système réticulé activateur 11 Fuhrer R, Wessely S. Fatigue in French primar y care. et d’autres structures sous-corticales impliquées Psychol Med 1995;25:895–905. dans le contrôle attentionnel semblent également 12 Davis JM. Central and peripheral factors in fatigue. à même d’engendrer une fatigue, par exemple J Spor ts Sci 1995;13:49–53. lors d’accidents vasculaires cérébraux. D’autres 13 Newsholme EA, Blomstrand E. Tr yptophan, 5-hydroxy- maladies (syndrome de fatigue chronique) asso- tr yptamine and a possible explanation for central fatigue. Adv Exp Med Biol 1995;384:315–20. cient vraisemblablement des facteurs centraux directs et indirects, à des facteurs périphériques. 14 Holmes GP, Kaplan JE, Ganz NM, Komaroff AL, Schon- berger L, Strauss SE, et al. Chronic fatigue syndrome: Dans la sclérose en plaques, la fatigue pourrait a working case definition. découler du processus inflammatoire, de lésions Ann Intern Med 1988;108:387–9. siégeant dans des régions stratégiques ou encore 15 Johnson SK, Deluca J, Natelson BH. Chronic fatigue syn- être secondaire à des atteintes neurologiques et drome: reviewing the research findings. Ann Behav Med neuropsychologiques. Finalement, dans certains 1999;21:258–71. cas, par exemple les myopathies primaires, la fati- 16 Lange G, Wang S, Deluca J, Natelson BJ. Neuroimaging gue s’explique clairement par une atteinte mus- in chronic fatigue syndrome. Am J Med 1998;105(Suppl 1):50–3. culaire périphérique. En résumé, c’est un circuit complexe et multi- 17 Jamal GA. 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