Les systèmes analytiques post freudiens - Benoît Virole
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Les systèmes analytiques post freudiens Mélanie Klein, Wilfred R. Bion, Donald Winnicott, Heinz Hartmann, Jacques Lacan, Heinz Kohut, Paul Federn, Jean laplanche, Pierre Marty Benoît Virole 2022 Résumé Ce texte est une présentation synthétique des principales propositions psychanalytiques post freudiennes. Ces propositions ne résument pas l’ensemble du développement de la psychanalyse. Bien des apports ont été proposés par d’autres psychanalystes (Sullivan, Fairbairn, Kernberg, Guntrip et d’autres... pour les anglo- saxons, Anzieu, Green, et de nombreux autres pour la France). La sélection ici opérée est surtout guidée par l’intérêt épistémique du système conceptuel proposé. L’accent est mis sur la structure logique de la théorie et sa cohésion interne, à l’exclusion de toute discussion sur son opérativité clinique et les conditions historiques de sa naissance. Ce texte est destiné à suivre la lecture du texte Le système conceptuel de Sigmund Freud et précéde celle du texte Sciences cognitives et psychanalyse, disponibles sur le site www.benoitvirole.com. Mots-clefs Psychanalyse Épistémologie Système conceptuel Introduction une nouvelle stratification des stades en subdivisant la phase orale et la phase anale (cf. Tableau 1.). Les états maniaques et dépressifs sont alors interprétés Il en est des systèmes de pensée comme de tout sys- par les points de fixation à ces sous-stades. On re- tème vivant. Ils ne peuvent survivre qu’en se déve- tiendra de l’œuvre de Ferenczi (1873-1933) sa thèse loppant. Une théorie statique meurt car elle se voit du développement de la libido inspirée par les spécu- supplantée par une autre. Il est donc fondé de consi- lations phylogénétiques de Freud. Pour Ferenczi, les dérer métaphoriquement le développement de la psy- phases de développement de la libido récapitulent une chanalyse post-freudienne comme un front d’onde catastrophe généralisée subie par l’espèce humaine à issu des concepts génériques de l’œuvre de Freud. ses commencements. Dans sa Thalassa il conçoit le Nourri de la pratique clinique, le mouvement psy- coït sexuel, amphimixie des pulsions, comme la réca- chanalytique apporte pierre après pierre au déploie- pitulation de la phylogenèse : ment de ce front. Des nouveaux travaux permettent un affinement des notions freudiennes, leurs réévalua- « Chaque acte sexuel répète brièvement toute l’évo- lution sexuelle. C’est comme si les différentes zones tions relatives dans la clinique, voire l’apport de nou- érogènes étaient des foyers d’incendie reliés entre eux veaux concepts venant compléter l’apport initial freu- par un mèche, qui déclenche finalement l’explosion dien. Les œuvres des premiers analystes, Karl Abra- des énergies pulsionnelles accumulées dans l’appareil ham, Sandor Ferenczi, Paul Federn, Ernest Jones (et génital. L’acte du coït et celui de fécondation étroi- d’autres) peuvent être rangées dans cette catégorie. tement lié au premier, représentent la fusion en une Par exemple, Karl Abraham (1877-1925) prolonge la unité non seulement de la catastrophe individuelle théorie du développement de la libido en proposant (naissance) et de la dernière catastrophe subie par 1
Les systèmes analytiques post freudiens Benoît Virole l’espèce (assèchement) mais aussi de toutes les ca- donc une fonction paternelle bien différenciée, il ne tastrophes survenues depuis l’apparition de la vie »1 . devrait donc pas exister dans une société fondée sur la matrilinéarité. Malinowski est allé alors étudier la Ce ne sont là que quelques exemples de l’inspiration société de l’île de Trobriand dans l’archipel mélané- freudienne sur les premiers psychanalystes. Les thèses sien où existe un régime matrilinéaire. Il en a conclu initiales de Freud sont ainsi enrichies, prolongées, in- qu’il existe bien un complexe inconscient chez les en- fléchies, voire dérivées de leur sens initial entraînant fants de la société trobriandaise, mais il ne consiste en retour d’autres travaux de nature plus épistémique pas dans le désir de tuer le père pour épouser la mère, déstinés à redresser des inflexions inappropriées. mais celui d’épouser la sœur et de tuer l’oncle ma- Plusieurs analystes se sont ainsi penchés sur les obs- ternel. Ernest Jones a discuté ce point en arguant tacles internes à la théorie analytique. Un des prin- que que le véritable père a subi un dédoublement. Il cipaux obstacles est l’anthropologie freudienne ex- est représenté d’une part en ce qui concerne les quali- posée principalement dans Totem et Tabou. Elle est tés de douceur et d’indulgence, par le mari de la mère construite sur un ensemble de propositions probléma- et d’autre part, en ce qui concerne la sévérité et la di- tiques que nous résumerons ci-dessous2 : rection morale par l’oncle maternel3 . Les conclusions 1. Il existe une analogie entre l’animal totémique, objet de Malinowski ont aussi été critiquées par le psycha- et source de prohibition, et le symptôme névrotique nalyste Géza Róheim, ancien analysant de Ferenczi et de zoophobie chez l’enfant. auteur d’une œuvre étonnante reprenant les scénarios 2. La psychanalyse d’enfants démontre que l’animal phylogénétiques des catastrophes primitives : phobique représente le père. « Il faut qu’il y ait eu, dans les premières cellules 3. L’animal totémique et l’animal phobique ont la douées de vie, une tendance à reproduire la catas- même origine. trophe originelle à laquelle la vie doit son existence 4. Ce qui correspond à la genèse ontogénétique de la [. . . ] Telle est l’angoisse de castration que nous avons phobie a existé historiquement dans la phylogenèse héritée de nos lointains ancêtres, ce complexe qui de l’humanité. Car l’ontogenèse récapitule la phylo- joue un rôle central à la fois dans la névrose et dans genèse (loi de Haeckel). les formes primitives de magie et de religion. La 5. Il a existé une horde originaire dominée par un père grande terreur du “ sauvage ” est liée à l’idée de se violent s’accaparant les femmes. Les fils l’ont tué, couper les cheveux, les ongles, bref, à la perte d’une puis dévoré, instaurant ensuite une alliance frater- partie du corps. Ces parties symbolisent le pénis et nelle, prémisse du lien social, basé sur la culpabilité. on croît qu’elles contiennent l’âme. »4 6. Le complexe d’Œdipe récapitule cet événement réel Sur l’indication de Freud lui-même, Géza Róheim à l’échelle individuelle au travers d’une transmission est parti en Somalie, en Australie, en Mélanésie et lamarckienne par héritage d’un caractère acquis. Le complexe est donc universel. Il spécifie le fait humain en Amérique de 1928 à 1931. Il a effectué des études et est à la source de la sublimation culturelle et du détaillées sur les aborigènes australiens. Pour lui, il processus de civilisation. existe bien une relation particulière au père même dans les sociétés matrilinéaires. L’apport de Géza Ró- L’universalité du complexe d’Œdipe a été mise en heim concerne surtout le rêve. Pour lui, le rêve résulte critique, dès les années 1920, et donc du vivant de de deux forces antagonistes. La première est régres- Freud, par l’anthropologue Bronislaw Malinowski. sive et vise le retour à la matrice et donc au renonce- Partant de l’hypothèse que le complexe d’Œdipe ment au monde terrestre. La seconde est phallique et n’existe que dans les sociétés patrilinéaires, où existe tend à reconstruire le monde en le peuplant de sym- boles génitaux. Le rêve est le plus petit dénomina- 1. Ferenczi S., Thalassa, essai sur le théorie de la géni- teur commun psychique de l’humanité. Il existe dans talité, 1924, tome III, 1919-1926, Payot, 1982 p. 262 et 297. 2. Cf. aussi Lévi-Strauss Cl. dans Le totemisme aujour- 3. Jones E., cité par Malinowski B., La sexualité et sa d’hui, cf. Clément C.B. Bruno P., Sève L., Pour une répression dans les sociétés primitives, Payot, 1969, critique marxiste de la théorie psychanalytique, Édi- p. 119. tions sociales, 1977. 4. Róheim G., L’animisme, la magie et le roi divin, 1930, Payot, 1988. p. 401. www.benoitvirole.com 2 2022
Les systèmes analytiques post freudiens Benoît Virole toutes les cultures et permet de rendre compte des environnementale augmente l’aspect persécuteur fan- théories de l’âme et de la structure des contes et des tasmatique du sein et l’intensité de l’angoisse. À l’in- mythes. Dans le rêve réside le germe de l’ensemble verse, la gratification par le sein, diminue l’angoisse de la structure imaginaire de toutes les cultures hu- de persécution et augmente la confiance dans un bon maines. Ce n’est donc pas le complexe d’Œdipe, en sein en diminuant la croyance en l’efficacité des at- tant que relation de l’enfant aux parents, qui spécifie taques sadiques. Il en résulte la génération dans le le fait humain, mais cette tension entre le retour à la fantasme d’un bon sein idéalisé auquel l’enfant s’iden- matrice maternelle et la projection phallique antici- tifie par introjection. Ce bon sein exerce une action patrice. de protection contre les attaques du mauvais sein. Il s’en suit un clivage entre bon et mauvais sein dont la fonction défensive est de maintenir la distance entre Le système conceptuel de Mélanie Klein les deux afin d’éviter les attaques du mauvais sein contre le sein idéalisé et le moi qui le contient. En psy- Une voie d’un déploiement conceptuel renouvellé de chopathologie, on retrouve dans les psychoses schi- la psychanalyse a ainsi été ouverte par Mélanie Klein zophréniques ces mêmes éléments : relation d’objet (1982-1960). Le système kleinien peut être considéré partiel, angoisse persécutrice, clivage, projection, in- comme une contraction du système freudien sur un trojection. Sous l’effet d’une part des expériences fa- petit nombre de macro-concepts agencés par paires vorables de gratification par le bon sein, et d’autre constrastées. Le système conceptuel de Mélanie Klein part de la maturation neurophysiologique, l’enfant est construit sur l’opposition entre deux positions commence à comprendre qu’il n’existe pas un bon psychiques fondamentales. Elles sont acquises dans la et un mauvais sein séparé, mais un seul objet total. toute petite enfance et constituent un doublet dyna- Il intègre donc les deux objets en un objet unique. Il mique tout au long de la vie. Le système kleinien est intègre aussi son moi et développe son sens de la réa- donc à la fois ontogénétique de par son déploiement lité en différenciant le monde extérieur de son monde dans les premiers mois de la vie, et structural par le intérieur (intrapsychique). jeu différentiel permanent entre les deux positions. La position dépressive D - Vers l’âge de 6 mois, s’ins- La position paranoïde schizoïde SP - Elle caractérise talle alors la position dépressive. Or, au même mo- le fonctionnement précoce du moi (Ego) au tout dé- ment l’enfant est encore sous l’effet des attaques sa- but de l’existence. Pour Klein, le moi est est capable diques qu’il émet à l’encontre du corps de sa mère d’établir des relations avec des objets partiels et si- (mauvais sein). L’angoisse de l’enfant est alors d’avoir multanément de mettre en place des mécanismes de détruit le bon sein idéalisé et avec lui toute la source défense contre l’angoisse primitive. Celle-ci est l’ef- d’amour et de bonté. Toute séparation avec la mère fet de la pulsion de mort, conçue en accord avec la renforce cette angoisse dépressive. L’absence de la seconde théorie freudienne des pulsions, comme une mère prive l’enfant de la possibilité d’infirmer la des- force de déliaison. Le premier objet partiel rencontré truction de l’objet interne et renforce la croyance dans par l’enfant est le sein de sa mère. Il projette dans l’efficacité de ses fantasmes sadiques. En psychopa- ce sein des parties internes à sa réalité psychique et thologie, l’angoisse dépressive se retrouve à son acmé associées à la pulsion de mort (agressivité). Le sein dans la mélancolie. L’élaboration de la position dé- devient alors en retour un persécuteur. L’enfant se pressive D par la réparation, la créativité et la géni- défend contre ces persécutions en attaquant le sein talité permet l’intégration de l’ambivalence et de la par des attaques sadiques orales (le déchirer avec les culpabilité qui entraîne la réduction du clivage dé- dents), anales (projeter des fèces), uréthrales (proje- pressif des objets totaux en bons ou mauvais objets. ter des jets liquides d’urines). Les attaques redoutées Clivage qui fait suite au clivage des objets partiels en de la part du sein persécuteur s’effectuent en symé- bons et mauvais objets. Les fantasmes de scène primi- trie des attaques portées par l’enfant contre lui. La tive perdent leurs aspects effrayants et l’envie laisse frustration ressentie réellement par l’enfant du fait place à la gratitude. Le refoulement se substitue à de l’écart entre le besoin physiologique et la réponse la projection et l’isolation au clivage. L’angoisse ne www.benoitvirole.com 3 2022
Les systèmes analytiques post freudiens Benoît Virole Étapes de l’organisation de la libido Étapes du développement de l’amour objectal VI. Étape génitale définitive Amour objectal (post-ambivalent) V. Étape génitale précoce (phallique) Amour partiel (ambivalent) IV. Étape sadique-anale tardive Amour objectal excluant les organes génitaux (ambivalent) III. Étape sadique-anale précoce Amour partiel et incorporation (ambivalent) II. Étape orale tardive (cannibalique) Narcissisme. Incorporation totale de l’objet (pré ambivalent) I. Étape orale précoce (usscion) Auto-érotisme (sans objet) (préambivalent) Tableau 1 – Ètapes du développement de la libido d’après Karl Abraham (1877-1925), Développement de la libido, Œuvres complètes, II, Payot, 1966, p. 309. www.benoitvirole.com 4 2022
Les systèmes analytiques post freudiens Benoît Virole porte plus sur l’être (anéantissement et destruction) des défenses précoces par clivage contre le risque de mais sur l’avoir (castration). Les relations d’objets dissociation principalement liée à la position schizo- sont différenciées selon leur sexe et non plus selon leur paranoïde. qualité. Bien que la position schizo-paranoïde précède Le complexe d’Œdipe commence à apparaître avec la position dépressive, la notion de position est un la position dépressive. Lorsque les parents sont per- concept structural plus que chronologique. Il existe çus comme des personnes totales. L’enfant perçoit ainsi des fluctuations constantes entre les deux po- la relation qu’ils ont entre eux. À l’ambivalence vis- sitions. Le terme de position renvoie à une modalité à-vis du sein s’ajoute la rivalité oedipienne. L’en- d’organisation du moi. Cette organisation comprend fant attaque donc ses parents dans ses fantasmes. l’état du moi, la nature des relations internes, la na- Mais comme il a également conscience de sa dépen- ture de l’angoisse ressentie et les défenses spécifiques. dance vis-à-vis d’eux, il se sent coupable et ressent Trois évolutions sont possibles à partir de la position une angoisse dépressive. Il s’en suit un clivage. L’un dépressive (D) : des parents est alors idéalisé et l’autre rejeté comme tout mauvais. Une autre modalité défensive consiste 1. La régression vers la position SP afin d’éviter à cliver le couple parental en un couple asexué idéa- une angoisse dépressive trop intense. lisé et un couple sexué et haïssable. Les projections 2. La défense maniaque : moyen de lutter contre construisent alors l’image terrifiante des parents com- l’angoisse d’avoir détruit l’objet par un déni de binés. Puis les attaques contre les parents sexués in- sa valeur et de l’amour qui lui est porté. ternes sont suivies d’un sentiment de culpabilité qui 3. La réparation, qui fait intervenir l’ensemble du conduit au désir de réparer de manière interne et ex- développement psychique : développement du terne un bon couple sexuel. Cette réparation fournit sens de la réalité, activité imaginaire, création le modèle d’une génitalité créatrice et procréatrice. de symboles, etc. Un bel exemple clinique de phantasme des parents combinés dans un rêve de patient : Deux animaux Pour Klein, la névrose constitue une organisation dé- protoplasmiques unis dans un coît à l’intérieur d’une fensive contre le noyau psychotique de la position dé- gangue transparente. Le mâle par dessus. Accro- pressive. Elle signe donc l’insuffisance de l’introjec- chage par une pièce de métal à l’arrière (le pénis). tion du bon objet. Pour Mélanie Klein, la « bonne La femelle est en dessous et perd progressivement du mère » secourable est dès le début de la vie infiltrée volume. L’ensemble flotte à hauteur d’homme devant par la pulsion de mort, par la destructivité. Le cli- la porte d’un garage. vage est le principe organisateur du psychisme, alors que Freud en a fait, tardivement, une défense du moi Pour Mélanie Klein, le moi est donc une donné d’em- face au risque d’anéantissement dans la perversion blée et constitue la toile de fond sur laquelle se jouent et la psychose. Le clivage est associé au processus les scénarios fantasmatiques des relations archaïques d’identification projective. Par ce processus, quelque d’objets, des clivages entre bon et mauvais enfants et chose de soi, bon ou mauvais, est projeté puis contenu des positions fondamentales, schizo-paranoïdes et dé- dans l’autre humaine. Le modèle kleinien subvertit pressives. Ainsi, les questions de la genèse du moi et ainsi clairement la distinction sujet-objet. Le modèle plus largement de l’évolution de l’appareil psychique permet ensuite l’établissement d’une psychopatholo- sont largement évacuées par cette notion de Self ori- gie ordonnée. La névrose phobique est une régression ginaire. Il est remarquable de lire sous la plume de partielle à la position SP à l’intérieur même de la po- Mélanie Klein et en particulier dans son dernier ou- sition dépressive, d’où l’aspect persécuteur des symp- vrage Envie et Gratitude de nombreuses références à tômes phobiques. La névrose est, chez Mélanie Klein, l’aspect constitutionnel des forces pulsionnelles dont le négatif de la psychose alors qu’elle est le négatif de hérite le petit enfant. L’hérédité des composantes la perversion chez Freud. Pour Mélanie Klein, les per- constitutionnelles explique les différences interindivi- versions ne sont pas des conduites régressives à des duelles existantes entre les enfants en dehors de toute points de fixation du développement libidinal, mais autre détermination événementielle. Le modèle du www.benoitvirole.com 5 2022
Les systèmes analytiques post freudiens Benoît Virole Position paranoïde (persécution) Position dépressive Position schizoïde (clivage) après 6 mois avant 6 mois Unification entre pulsions agressives et libidinales Relation aux objets partiels clivés en sein idéal Perception de la mère comme une personne totale (objet de désir) et en sein persécuteur (objet Désir d’introjection de sa mère de haine et de peur) Mais ambivalence car la mère est source de frus- Coexistence de l’agressivité et de l’amour trations et de gratification Clivage de l’objet. Synthèse de l’objet. Point de fixation de la paranoïa et de la schi- Point de fixation de la mélancolie pas objet in- zophrénie terne stable Identification projective Culpabilité et nostalgie désirs de réparation fan- tasme de restauration Angoisse persécutrice d’être détruit par le Angoisse dépressive de détruire l’objet (mère) du mauvais objet. Angoisse primitive d’être an- fait du sadisme (prototype de la culpabilité). nihilé. Défenses contre l’angoisse : Défenses contre l’angoisse : 1. Défense maniaque (manie ⇒ hyperacti- 1. Déni : l’objet persécuteur n’existe pas vité,) surtout chez l’enfant et chez la ma- niaque, états transitoires dans les phases de 2. Envie : Idéalisation du bon objet (sein : deuil. figuration de l’instinct de vie) 2. Défenses adéquates : répartition, inhibition 3. Dévalorisation de soi de l’agressivité et réparation de l’objet (am- 4. Clivage des objets soumis à la projection bition et échec quand il subsiste une envie et l’introjection destructrice) 5. Contrôle omnipotent sur l’objet 3. Introjection de l’objet aimé de façon stable 6. Confusion entre bon et mauvais objet et sécurisante. Désir de se comprendre soi- 7. Acting out : évitement de l’intégration même. 4. Trans élaboration de la position dépres- sive. Protection contre les pulsions destruc- trices mais crainte en même temps que l’in- tégration retourne l’agressivité contre les bons objets intériorisés donnant naissance au sentiment douloureux de solitude. 5. Préparation au refoulement secondaire Tableau 2 – Tableau synthétique du système kleinien. www.benoitvirole.com 6 2022
Les systèmes analytiques post freudiens Benoît Virole déterminisme psychopathologique est essentiellement la mère doit transformer en éléments α assimilables différent entre de celui de Freud. Pour Freud, c’est la psychiquement. La liaison entre les éléments α per- fixation (d’origine indéterminée ou constitutionnelle) met de constituer une membrane délimitant les pro- qui détermine le choix de névrose. Au contraire, pour cessus conscients et inconscients. L’enfant intériorise Klein, c’est le processus pathologique qui génère la non seulement les éléments α mais aussi la fonction fixation. α elle-même lui permettant alors de métaboliser les En conclusion, le jeu dynamique entre les deux po- éléments de son vécu. Bion décrit deux mécanismes sitions (SP et D) permet une remarquable écono- dans ce processus de transformation : mie conceptuelle applicable à la clinique, comme aux 1. Le mécanisme contenant / contenu. Des parties états mentaux communs tels la tristesse dépressive, du self, d’origine sensorielle, inassimilables psy- l’envie et la gratitude. Il a permis une description des chiquement, sont projetées dans un objet conte- phases les plus précoces du développement psychique nant. Le setting analytique constitue alors l’équi- et a inité un nouvel élan en psychanalyse. Sur le plan valent du self maternel. épistémique, le système est basé sur un déploiement 2. La relation entre les positions kleiniennes SP −D successif de ces deux positions qui sont ensuite insé- est conçue comme un processus d’interaction dy- rées dans une relation de progression ou de régression. namique permanent SP ⇔ D qui permet la La sortie de la position initiale schizoparanoïde passe transformation des éléments dispersés, sans lien par la position dépressive mais l’échec de l’élabora- entre eux, en des éléments liés, à travers la sortie tion de la position dépressive renvoie en retour à la de la position dépressive. Cette transformation position initiale. est due à l’abandon de certaines qualités senso- rielles des objets. C’est par ce processus que se Le modèle dynamique de Bion créent les symboles. Si une partie de la personnalité ne subit pas ses À partir de la clinique de patients psychotiques, Wil- transformations, elle demeure dans un mode de fonc- fred Bion (1897-1979) a montré que le patient pro- tionnement psychotique. C’est cette partie du self qui jette une partie de son self dans l’analyste (ou dans contient l’envie, telle qu’elle a été décrite par Klein. le setting analytique) à travers un organe sensoriel C’est l’expression destructrice liée à la pulsion de qui fonctionne fantasmatiquement comme un organe mort qui vise à détruire le bon objet ou la bonté de d’expulsion. Les parties expulsées deviennent alors l’objet et à le dépouiller de toute vie et d’abord de des « objets bizarres ». La partie du self projeté en- toute signification. Bion a développé à partir de ces capsule un objet externe qui prend alors les caracté- notions une description ordonnée des états mentaux à ristiques de la partie projetée et devient un objet bi- partir de la transformation progressive des éléments zarre. Ces objets bizarres sont utilisés comme des pro- α et β. Il s’agit là d’une tentative d’établissement totypes d’idées, puis de mots, qui seront eux-mêmes d’une véritable psychologie psychanalytique. Les élé- ressentis comme des choses. Ainsi l’identification pro- ments observables dans l’analyse sont comparables à jective empêche l’introjection. Le patient ne peut ni des états différents d’un processus psychique passant introjecter les objets, ni les synthétiser. Il ne peut par des transformations, comparables à des transi- que les agglomérer entre eux. Cet agglomérat est à la tions de phase en physique (Cf. Tableau 2.). Le travail source du délire. de la pensée dans la cure analytique effectue ainsi des La relation du nourrisson à sa mère se fait par le transformations entre les différents régimes du fonc- mécanisme de l’identification projective. Bion dis- tionnement psychique qui peut être dominé soit par tingue une identification projective normale (réaliste) la dynamique d’oscillation entre les élements β et α, et une identification projective pathologique (exces- soit par des transformations en K (insight de prise sive). L’enfant projette dans le sein ou dans la mère de connaissance) pouvant aller vers des transforma- les parties de sa personnalité qui sont pour lui inassi- tions en O, position de l’inconnu inconnaissable, seule milables psychiquement. Ce sont les éléments β que position possible également pour l’analyste qui doit www.benoitvirole.com 7 2022
Les systèmes analytiques post freudiens Benoît Virole tendre dans son écoute vers ce point limite, cet infini hésif. Dès la naissance, un écart se constitue entre informe à partir du quel il est possible de se rappro- la préconception et la réalisation. Cet écart est dû cher de la réalité du patient. au fait que l’état d’activation du programme moteur est entretenu par la pulsion qui présente un carac- tère continu quoique pouvant avoir des fluctuations Construction de la pensée d’intensité. Cependant l’objet visé par le programme Le modèle de Bion a inspiré plusieurs psychanalystes moteur est lui discontinu. Il peut être absent ou pré- pour rendre compte de l’émergence de la pensée. Nous sent. De plus, la réalisation du programme moteur est relatons ci-desous le modèle élaboré par le psycha- toujours défectueuse par rapport au projet. Entre la nalyste Jacques Hochmann5 . Il s’agit d’un modèle à préconception et sa réalisation s’interposent des sen- deux paramètres. Le premier paramètre est la tolé- sations d’efforts liées à la résistance musculaire (la rance à la frustration et correspond à l’attente de l’ob- kinesthésie) et à la résistance des objets extérieurs jet désiré. Le deuxième paramètre est la conscience de qui exercent une résistance du fait de leurs propriétés l’absence de l’objet. Les deux paramètres contrôlent physiques (poids, masse, impénétrabilité). la génération des processus de pensée au travers d’une Cet écart génère alors un sentiment d’existence par rétroaction fondamentale entre la tolérance à la frus- la différenciation entre le soi et le non soi. Cet écart tration et l’élaboration de la pensée. est source de déplaisir. En vertu du principe fonda- Si la tolérance à la frustration décroît alors l’absence mental de plaisir, l’enfant va alors chercher à réduire de l’objet devient le mauvais objet interne et est res- cet éprouvé de déplaisir en développant d’abord une sentie comme une persécution interne qui doit être hallucination de l’expérience de satisfaction, puis sur évacuée à l’extérieur. Cette évacuation prend la forme cette base, une activité de pensée. Cependant l’hal- de l’identification projective pathologique qui est à la lucination de la satisfaction reste décevante. Elle ne base des processus délirants. La distinction entre le permet pas de contrecarrer le déplaisir. Elle doit donc soi et l’objet externe devient confuse en raison de la être inhibée par l’enfant qui doit découvrir d’autres violence des projections. Il en résulte une incapacité moyens pour réduire l’écart. Il s’en suit une orien- à abstraire les attributs de l’objet. tation vers l’action et la transformation du monde extérieur. Cependant la satisfaction obtenue par l’ac- Si la tolérance à la frustration est insuffisante alors tion n’est jamais non plus totale. L’objet trouvé n’est un mécanisme de rétroaction négative entre en jeu qui jamais l’équivalent de l’objet préconçu et son appro- tend à maximiser l’intolérance par l’expulsion des es- priation est toujours source d’efforts et de déplaisirs. quisses de pensée et les attaques destructives contre Il faut alors inhiber la sensation de désir et donc re- les organes perceptifs. Ce processus aboutit aux pro- fouler la pulsion. Ce processus aboutit alors aux mul- cessus de dissociation observables dans les psychoses tiples déplacement de la pulsion. Il peut s’en suivre dissociatives. une inhibition de la motricité et une recherche fan- Si la tolérance à la frustration est insuffisante pour tasmatique de satisfaction. L’anorexie du nourrisson, l’acceptation de la réalité du manque de l’objet (prin- refus de l’acte de téter et refuge dans l’hallucination, cipe de réalité) mais qu’elle permet l’élaboration et peut se comprendre par ce processus (d’après Hoch- la manipulation de pensées, il s’en suit la construc- mann). Il peut s’en suivre aussi l’investissement de tion d’un fantasme d’omniscience se substituant à pensée comme source spécifique de plaisir. L’enfant l’épreuve de réalité. Ce processus correspond aux dys- découvre que dans l’écart entre préconception et réa- harmonies dévolution. lisation, il existe d’une part une activité de représen- tation du but à atteindre et d’autre part, la construc- L’enfant vient au monde avec une préconception, tion de cette représentation donne du plaisir. Hoch- sous la forme de programmes moteurs préformés, co- mann propose d’appeler cette activité à la source de dés génétiquement mais non intégrés dans un moi co- la pensée, l’auto-érotisme mental. 5. Cf. Hochmann J., Jeannerod M. (1991), Esprit, où es-tu ? Psychanalyse et neurosciences, Paris, Éditions Odile Jacob www.benoitvirole.com 8 2022
Les systèmes analytiques post freudiens Benoît Virole Définition 1 Ψ2 Notation 3 Attention 4 Investigation 5 Action 6 ...n A Éléments β A1 A2 A6 B Éléments α B1 B2 B3 B4 B5 B6 . . . Bn C Pensées du rêve, rêves, mythes C1 C2 C3 C4 C5 C6 . . . Cn D Pré-conception D1 D2 D3 D4 D5 D6 . . . Dn E Conception E1 E2 E3 E4 E5 E6 . . . En F Concept F1 F2 F3 F4 F5 F6 . . . Fn G Système scientifique déductif G2 H Calcul algébrique Tableau 3 – Table des éléments de la psychanalyse selon W.R. Bion. Dans ce cadre théorique, il devient nécessaire d’ex- lisation de l’acte est éprouvé néanmoins. Cette éco- pliquer comment un écart source de déplaisir peut de- nomie est source de plaisir et facilite ainsi l’appren- venir une activité de penser source de plaisir. Cette tissage de notions cognitives par le développement transformation se réalise au travers d’un processus d’un espace interne où ces notions peuvent être ex- d’échange entre l’enfant et sa mère. L’enfant soumis périmentées sans déplaisir. Ici réside l’intérêt scienti- fique profond des médiations par les jeux vidéo. Elle à la frustration de l’écart rejette les sensations de dé- réduisent l’écart entre préconception et réalisation et plaisir à l’extérieur par sa motricité, des cris, sa défé- sont ainsi source d’un plaisir immédiat de pensée. cations, ses régurgitations. Ces décharges sont alors métaphorisées par la mère (par la rêverie maternelle) et retraduits par elle sous la forme d’éléments assimi- Le moi autonome de Heinz Hartmann lables par l’enfant. L’œuvre de Heinz Hartmann (1894-1970) a été uti- À titre d’illustration, ce modèle de Hochmann est en lisée comme repoussoir idéologique absolu pour de phase avec les données venant de l’observation des nombreux psychanalystes à la suite des attaques de enfants jouant aux jeux vidéo. Considérons un jeu Lacan à son égard. L’attaque portait essentiellement vidéo comportant un actant mobile dans un monde sur la notion d’un moi centré sur l’adaptation et dis- muni d’objets. L’enfant se projette sur l’actant mo- posant d’une autonomie afin de réaliser ses propres bile par identification projective. En effet, tout ac- tant mobile devient un attracteur pour la personnifi- buts. Cette conception paraissait insupportable en re- cation que celui-ci soit anthropomorphe ou pas. En- gard de la thèse lacanienne d’un moi réduit à être une suite les objets placés dans le monde virtuel évoquent illusion spéculaire. Pourtant les conceptions d’Hart- des activations de représentations de mouvements. mann, toujours avancées avec prudence sont loin de Elles sont en grande partie déclenchées du fait du valoir une telle diatribe. Pour Hartmann, le dévelop- caractère topologique de ces objets (un trou évoque pement du moi est le résultat de trois ensembles de la pénétration d’un actant, une forme longue évoque facteurs : les caractéristiques héréditaires du moi, les la saisie possible etc.). En effet, la perception de sin- influences des pulsions instinctuelles et les influences gularités déclenche des programmes de planification de la réalité extérieure. Le développement des carac- d’action. Par exemple, la perception d’une forme est téristiques autonomes du moi survient comme un ré- couplée avec l’extraction du contour apparent per- sultat de l’expérience de vie et de la maturation. Pour mettant la prise manuelle de l’objet. en quelque sorte percevoir, c’est anticiper virtuellement l’action de Hartmann, le moi dispose d’une énergie psychique in- préhension. Or dans les jeux vidéo, la réalisation de dépendante. Proposition qui ne fait que décrire, en ces actes virtuels s’effectuent par une action motrice d’autres termes, le caractère du moi en tant qu’ins- limitée sur le plan moteur, sans aucun rapport qua- tance particulière. Si le moi est une instance, il doit litatif et quantitatif avec les actions réelles. Le feed- disposer d’une énergie interne pour se démarquer du back neuromoteur est faible mais le plaisir à la réa- ça originaire. C’est là une donnée basique de systé- www.benoitvirole.com 9 2022
Les systèmes analytiques post freudiens Benoît Virole mique. Cependant le moi doit aussi se défendre contre France, nombre de pratiques cliniques en particulier l’irruption des motions pulsionnelles. Il consomme dans le champ de la psychopathologie infantile. Une ainsi de l’énergie dans ses défenses et se fragilise. Pour des raisons tient à l’élégance et à la simplicité de son décrire ce fait, Hartmann utilise une métaphore mili- apport théorique. Il a proposé des concepts originaux taire : la défense aux frontières épuisent les ressources issus de l’expérience clinique et reliés en même temps de l’arrière-pays. La force du moi est liée à sa capa- à la pensée psychanalytique, en particulier kleinienne, cité à supporter un affaiblissement par les processus même si son élaboration s’en démarque progressive- de défense. ment. Sur un plan théorique, le système conceptuel de Le moi dispose d’intérêts qui lui sont propres, indé- Winnicott est un modèle développemental de la psy- pendants de ceux du ça – la satisfaction pulsionnelle – ché centré sur la description de la dynamique de sépa- et du surmoi - le guidage du refoulement. Ces intérêts ration entre la mère et l’enfant. Ses concepts fonda- du moi sont centrés autour de la propre personne, et mentaux de mère suffisamment bonne et d’objet tran- c’est ainsi qu’est introduite la notion de self. La no- sitionnel décrivent cette dynamique. L’enfant devient tion de self recoupe en fait deux sens différents. Soit psychiquement capable de se séparer de sa mère si le self est la personne totale, une sorte d’hypostase deux conditions sont remplies. La première condition du sujet, incluant son rapport phénoménologique au est que la mère puisse répondre efficacement, mais monde et l’ensemble des instances de sa personna- sans excès, aux besoins de son enfant. Elle apaise ses lité (Guntrip H., Fairbairn W.R.), soit le self est le tensions et son angoisse mais laisse en même temps un pôle de l’investissement narcissique. Cette ambiguïté espace où l’enfant peut s’acclimater progressivement du terme de self sera fréquente dans la psychanalyse à la séparation et à la solitude. La seconde condition anglosaxonne post freudienne6 . L’analyse, en rendant est la possibilité pour l’enfant d’investir un espace de les défenses moins nécessaires grâce à la perlaboration transition, pouvant prendre la forme d’un objet dit progressive des conflits opposant le moi au ça et au transitionnel, représentant à la fois sa mère absente surmoi, contribue à renforcer le moi qui est mainte- et la possibilité d’une création par la pensée. Il allège nant plus libre pour investir dans ses propres intérêts, sa dépendance à la mère réelle, tout en soulageant la d’où une meilleure adaptation à la réalité. Lacan n’a mère réelle de la nécessité d’être une mère parfaite. La sans doute pas eu tord de pointer l’étonnante syner- conduite spontanée observable des mères qui mettent gie entre cette conception et l’idéologie qui préside à à la disposition de l’enfant une peluche ou chante l’American Way of Life mais il est dommage de la une berceuse s’explique par l’universalité de la com- dénigrer a priori. La conception de Hartmann tente préhension maternelle de la nécessité de l’installation de résoudre une aporie inhérente à la notion métapsy- d’une aire intermédiaire. chologique d’instances émergentes du ça et devant se Winnicott a proposé le concept du trouvé-créé qui maintenir au sein d’un environnement conflictuel. La amène l’enfant à penser qu’il a créé l’objet disposé notion d’un moi détenteur d’une énergie propre qu’il pour lui par sa mère, alors qu’il l’a trouvé. L’enfant tente de maintenir malgré l’affaiblissement des dé- doit rester dans l’illusion qu’il a créé l’objet et le sen- fenses est issue tout autant d’un souci de cohérence timent corrélatif de toute-puissance doit être provi- logique que du constat clinique de l’épuisement du soirement préservé. Cet espace interne, transitionnel, moi par les défenses névrotiques. est à la base de la créativité de l’enfant et est fon- damental pour sa maturation psychique. L’aire d’ex- périence transitionnel permet le passage entre l’auto L’espace transitionnel de Donald Winnicott érotisme pulsionnel oral – le doudou suçoté – et le L’œuvre du pédiatre et psychanalyste anglais Do- début des relations objectales, et entre ce qui a été nald Winnicott (1896-1971) inspire aujourd’hui, en projeté et ce qui a été introjecté psychiquement. Les concepts de vrai self et de faux self proposés 6. Cf. sur la notion de self dans la psychanalyse anglo- par Winnicott sont dépendants de cette notion d’aire saxonne, Pontalis J.-B., « Naissance et reconnaissance transitionnelle. L’origine du faux self se situe au du self », Psychologie de la reconnaissance de soi, Puf, 1975,p.271-312. www.benoitvirole.com 10 2022
Les systèmes analytiques post freudiens Benoît Virole moment où le tout petit ne différencie pas encore même où l’enfant l’attend. Ce moment est celui de moi et non-moi du fait de sa non intégration. Ce- la dépendance absolue du nourrisson et le noyau de pendant l’enfant va exprimer des mouvements indivi- l’omnipotence. duels, idiosyncrasiques, qui relèvent l’existence de son propre self potentiel. Si la mère – ou plus précisément 2. Deuxième temps : l’intégration progressive au moi de l’enfant est corrélative de la constitution d’un ob- la mère environnement – répond à ces mouvements de jet extérieur. C’est le noyau de la relation d’objet. façon adaptée, elle contribue à renforcer ce vrai self. Mais la relation garde l’empreinte du premier temps. Si par contre elle répond de façon automatique, tech- L’objet est, au niveau de ses relations d’objets, es- nique, opératoire, ou de façon désadaptée dans les sé- sentiellement défini comme faisceau de projections. quences temporelles, l’enfant risque de se développer Le sujet investit l’objet qui peut toujours redevenir avec un faux self sans possibilité de créativité. partie du moi, comme objet narcissique. La mère suffisamment bonne doit permettre à son 3. Troisième temps : c’est le temps de la constitution de enfant de faire l’expérience de l’illusion. Cette expé- l’objet transitionnel qui est à la fois moi et non moi, rience de l’illusion est le préalable à l’expérience des la mère et un objet bien réel. Le champ du transi- phénomènes transitionnels, où prend source la créa- tionnel est le champ de l’illusion. Il se déploie entre le tivité. Dans la cure analytique des adultes, cette dy- subjectif et l’objectif. Il est paradoxal. Il est le lieu de namique se retrouve dans la relation transférentielle. l’expérience. L’objet et le phénomène transitionnels Pour Winnicott, la régression se produit lorsque le pa- apportent dès le départ à tout être humain quelque tient cherche à se réapproprier des expériences tran- chose qui restera toujours important pour lui, à sa- sitionnelles précoces. voir un champ neutre d’expérience qui ne sera pas contesté. C’est le temps du playing, activité et ca- pacité de jouer, que Winnicott oppose au Game, jeu aux règles préétablies et au terrain défini. C’est le temps de la créativité. La non reconnaissance de ce temps entraîne une organisation défensive, nommée faux self, qui refuse la nécessité du paradoxe (per- sonnalité as if ). Enfin, c’est cet espace transitionnel qui est utilisé dans le transfert, et qui devient espace potentiel pour le changement. 4. Quatrième temps : l’objet est utilisé. Cette utilisa- tion trouve son prototype dans l’objet transitionnel et sa capacité à modifier le donné en un créé. Cette utilisation nécessite que le sujet détruise fantasma- tiquement l’objet et que l’objet survive pour acqué- rir son autonomie. Cette capacité d’utiliser l’objet est corrélative du self alors que la relation d’objet Figure 1 – Modèle de la fronce appliquée à la (deuxième temps) est corrélative du moi. conception de Winnicott. En résumé, le éveloppement de la relation d’objet La conception de Winnicott a eu des prolongements chez Winnicott suit les étapes suivantes7 : théoriques nombreux chez des auteurs tels que Daniel 1. Premier temps : l’objet est créé par l’enfant. C’est Stern (1934-2012) avec sa notion d’accordage affec- la créativité primaire. L’objet n’a pas d’existence in- tif entre la mère et l’enfant et John Bowlby (1907- dépendante. Le sein est créé par l’enfant à l’endroit 1990) sur la notion d’attachement, inspirée de l’étho- logie. Winnicott a initié ainsi une attention sur les 7. D’après la synthèse de J.-B. Pontalis, dans « Naissance relations mère enfant et sur leur dynamique incons- et reconnaissance du Self », Psychologie de la connais- ciente. Elle est également inséparable de la notion de sance de soi, Symposium de l’association de psycho- logie scientifique de langue française, Puf, 1975. Self qui s’est imposée dans la littérature analytique www.benoitvirole.com 11 2022
Les systèmes analytiques post freudiens Benoît Virole anglo-saxonne8. Le succès considérable de la pensée qu’à un jeu externe de séductions épistémologiques. de Winnicott auprès des professionnels de la petite Cette décadence rend non crédible l’acte analytique enfance est certainement issu de son applicabilité im- lui-même dans la mesure où elle subordonne son ef- médiate dans la clinique. Sur un plan analytique, elle ficience (incontestable et qui n’a pas être remise en propose une théorie de la sublimation par la notion cause) à une mystagogie. »10 de créativité. Elle remanie la notion d’illusion, non Sur le plan institutionnel, le mouvement lacanien plus comme un réalisation déformée d’un désir, mais s’est fragmenté en une multitude d’écoles et la cri- comme une matrice génératrice de nouveaux objets. tique de leurs dérives dogmatiques a déjà été faite Sur un plan épistémologique, elle est remarquable par maintes fois11 . Le temps a ainsi exercé une dure le- la proposition de cette aire médiane, transitionnelle, çon sur ce mouvement analytique qui semblait, à entre deux entités psychiques. Sur un plan topolo- l’époque, prendre son envol sous les ailes de la mo- gique, cette aire s’apparente à une nappe intermé- dernité. Pour autant, avec le recul, l’œuvre de La- diaire entre deux attracteurs en coexistant et risquant can reste d’un apport majeur à la pensée psychana- de se fusionner. La figuration la plus explicite de cette lytique. Dès sa thèse de psychiatrie en 1932, Lacan dynamique est la catastrophe de la fronce9 . La figure réévalue les concepts freudiens : 1 montre le modèle de la fronce appliquée à la sépa- ration entre la mère et l’enfant. En contournant le « [...] dans la doctrine de Freud, la notion de li- point O, la mère est soit dans un excès de soins ma- bido se révèle comme une entité théorique extrê- mement large, qui déborde largement le désir sexuel ternant soit dans leurs défaillances et ne permet pas spécialisé de l’adulte. Elle tend à s’identifier bien plu- à l’enfant de vivre une expérience de séparation avec tôt avec le désir, l’érôs antique pries dans un sens un espace transitionnel lui permettant de développer très étendu, à savoir l’ensemble des appétits de l’être un vrai self, issu de la nappe intermédiaire. Remar- humain qui dépassent ses stricts besoins de conser- quons enfin que dans la conception de Winnicott la vation. »12 séparation psychique de la mère et de l’enfant ne re- lève que de leurs compétences psychiques et des aléas Mais il les précise également de manière très claire. des l’expériences de vie et non pas de l’introduction Ainsi, en ce qui concerne la critique faite au concept d’un élément tiers. de libido, il fait une référence à l’épistémologie des sciences : L’interprétation structuraliste de Jacques Lacan « Pour l’imprécision relative du concept de la li- bido, elle nous semble faire sa valeur. Il a en effet Lire Lacan (1901-1981) est devenu aujourd’hui chose la même portée générale que les concepts d’énergie ou de matière en physique, et à ce titre représente la difficile, à l’exception notoire de ses premiers textes première notion qui permette d’entrevoir l’introduc- et quelques grands textes des Écrits. Ce qui était, en tion en psychologie des lois de constance énergétique, son temps (1966) perçu comme un style d’écriture gé- bases de toute science. »13 nial, propre à saisir la radicalité de l’inconscient, est devenu illisible, opaque, proche de la préciosité et de Il articule également la notion freudienne de libido l’obscurantisme d’un jargon mystagogique. Jean Pe- avec un dimension existentielle qui sera constamment titot, avait ainsi dès 1980 jugé très sévèrement l’état présente chez lui, même après sa conception « signi- de la psychanalyse lacanienne : fiante » de l’inconscient et du désir : « Sa pratique sociale se réduit désormais à une ges- 10. La mystagogie désigne l’initiation aux mystères de la tion d’intérêts, à un jeu interne d’émargements et de foi, notamment la participation à l’eucharistie. Cf. Pe- marginalisations, de dissidence et d’abjuration, ainsi titot J., « Psychanalyse et logique, plaidoyer pour l’im- possible » Confrontation, René Major, journées de mai, 1980, p.172 8. Sur la notion de Self, cf. Pontalis J.-B., « Naissance et 11. Cf. François Roustang, mais aussi Cornelius Castoria- reconnaissance du self », Psychologie de la reconnais- dis. sance de soi, Puf, 1975, p.271-312. 12. Lacan J., De la psychose paranoïaque dans ses rap- 9. Pour une introduction à la théorie des catastrophes, ports avec la personnalité, 1932, Seuil, 1980, p. 256. cf. Thom R., Apologie du Logos, Hachette, 1990. 13. Ibid. p.256 www.benoitvirole.com 12 2022
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