MÉMOIRE PRÉSENTÉ AU COMITÉ PERMANENT DE LA JUSTICE ET DES
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45 Sheppard Ave. East, Suite 106A, Toronto, ON M2N 5W9 T 416-487-6371 F 416-487-6456 www.salc.on.ca Le 6 mai 2022 MÉMOIRE PRÉSENTÉ AU COMITÉ PERMANENT DE LA JUSTICE ET DES DROITS DE LA PERSONNE – Projet de loi C-5, Loi modifiant le Code criminel et la Loi réglementant certaines drogues et autres substances A. Introduction L’organisme à but non lucratif South Asian Legal Clinic of Ontario (SALCO) est un centre spécialisé d’aide juridique qui a pour mandat de rendre le système judiciaire plus facilement accessible aux personnes à faible revenu des communautés sud-asiatiques de l’Ontario et de l’ensemble du Canada. Les services que nous offrons (services juridiques directs, formation juridique, réforme du droit, développement communautaire, etc.) s’inscrivent dans différents domaines du droit relatif à la pauvreté : emploi, immigration, droits de la personne, droit familial, sécurité du revenu et violence fondée sur le sexe (p. ex. les mariages forcés, la traite des personnes, la violence conjugale et la maltraitance des personnes âgées). De plus, nous nous occupons de nombreux dossiers liés au racisme systémique, à la discrimination religieuse, à la discrimination fondée sur le sexe et à la discrimination fondée sur d’autres identités qui se recoupent dans les communautés sud-asiatiques et les autres communautés racialisées. Notre travail avec les communautés racialisées et les études en sciences sociales nous indiquent clairement que les membres des communautés racialisées ne sont pas les seuls à commettre des crimes. Ils font pourtant plus souvent l’objet d’interventions policières et d’accusations et ils sont plus
susceptibles de se voir imposer des peines plus lourdes que les membres des autres communautés, et ce, en raison des préjugés raciaux qui subsistent au sein des diverses branches du système judiciaire. Tout cela nuit à l’intégration des personnes racialisées au sein de la société et favorise au bout du compte leur surreprésentation dans le système carcéral du Canada 1. En fait, ces interventions policières plus nombreuses et cette surreprésentation dans les prisons se répercutent négativement sur tous les aspects de leur vie. Les condamnations au criminel peuvent leur faire perdre le statut d’immigrant, réduire encore plus leurs perspectives d’emploi, accentuer leur difficulté à trouver un logement stable et entraîner de la discrimination au moment de recourir à des services. Il s’agit d’un cercle vicieux qui risque de les enfoncer encore plus dans le système judiciaire. C’est pourquoi nous saisissons toutes les occasions qui s’offrent à nous de dénoncer la surreprésentation des Noirs, des Autochtones et des personnes racialisées au sein du système judiciaire et de rappeler son incidence négative sur ces communautés. Nous nous sommes donc beaucoup penchés sur la réforme du droit, ainsi que sur la discrimination raciale, l’équité et la justice. Nous nous intéressons notamment à l’effet discriminatoire du fichage et des contrôles policiers, à la nécessité d’instaurer un meilleur cadre de détermination des peines qui tienne compte du racisme structurel, à la collecte de données non regroupées axées sur la race dans tous les aspects du système judiciaire, et aux effets des condamnations au criminel sur le statut d’immigrant des personnes racialisées. 1 David M. Tanovich, The Colour of Justice : Policing Race in Canada (Toronto, Irwin Law, 2006) (résumé des principales données statistiques du rapport de la Commission on Systemic Racism in the Ontario Criminal Justice System, p. 67); Scot Wortley, « Hidden Intersections : Research on Race, Crime, and Criminal Justice in Canada » (2003), 35:3, Études ethniques au Canada/Canadian Ethnic Studies 99, p. 105; Bureau de l’enquêteur correctionnel du Canada, Rapport annuel 2016-2017 (Ottawa, Sa Majesté la Reine du Canada, 2017), p. 55; Commission ontarienne des droits de la personne, Pris à partie : Rapport de recherche et de consultation sur le profilage racial en Ontario (Toronto, CODP, 2017).
Au fil des ans, nous avons eu plusieurs fois l’occasion rencontrer des collègues du ministère de la Justice pour réclamer un recours plus fréquent à d’autres solutions que l’incarcération dans le cas des Autochtones, des Noirs et des autres personnes racialisées. Nous sommes ravis que le gouvernement tienne compte des effets du racisme systémique dans son étude du projet de loi C-5, Loi modifiant le Code criminel et la Loi réglementant certaines drogues et autres substances. Nous sommes aussi ravis que le gouvernement ait l’intention de supprimer toutes les peines minimales obligatoires du Code criminel et de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, de permettre un usage plus répandu des ordonnances de sursis et de créer un programme de déjudiciarisation des cas de possession de drogue. Il ne fait aucun doute qu’une bonne partie des modifications prévues dans le projet de loi C-5 contribueront à réduire l’incidence particulièrement marquée des peines minimales obligatoires sur les Autochtones, les Noirs et les autres personnes racialisées, ainsi que la surreprésentation de ces communautés dans le système carcéral. À notre avis, toutefois, le projet de loi C-5 ne va pas assez loin. Nous invitons donc fortement le Comité à tenir compte des recommandations suivantes afin que les principes d’équité et de lutte contre le racisme, sur lesquels reposent ce projet de loi et la stratégie canadienne de lutte contre le racisme, se reflètent vraiment dans le projet de loi. 1. Supprimer TOUTES les peines minimales obligatoires du Code criminel; 2. Abroger les alinéas 742.1b), c) et d) du Code criminel; 3. Décriminaliser la possession de drogue au lieu de créer un programme de déjudiciarisation;
4. Réduire les inégalités et renforcer les capacités par les moyens suivants, afin que les articles de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances puissent être appliqués de façon efficace et rigoureuse : a. Supprimer le paragraphe 10.2(2); b. Supprimer l’article 10.4; c. Consacrer des ressources à la formation; d. Consacrer des ressources à toute la gamme des services sociaux et de santé communautaire fondés sur des données probantes. Recommandation 1 : Supprimer TOUTES les peines minimales obligatoires du Code criminel Les peines minimales obligatoires sont présentées comme un moyen de protéger les Canadiens contre la criminalité, mais les études tendent à démontrer qu’elles ne sont pas un moyen de dissuasion efficace contre la criminalité et qu’elles ne favorisent pas la réadaptation des personnes en vue de leur réinsertion sociale 2. Au contraire, on sait que les peines minimales obligatoires contribuent à l’enracinement du racisme systémique et de la discrimination à l’égard des Noirs, des Autochtones et des personnes racialisées en limitant le pouvoir des juges leur permettant de tenir compte des divers facteurs de discrimination systémique et des circonstances qui peuvent entraîner un accusé devant les tribunaux. De plus, les peines minimales obligatoires sont un obstacle au pouvoir discrétionnaire des juges; elles forcent ces derniers à imposer des peines trop lourdes qui ne tiennent pas compte des principes de base de la détermination des peines et qui faussent l’équilibre que le système 2 Ministère de la Justice, Les peines minimales obligatoires au Canada : analyse et bibliographie annotée (Canada, Ministère de la Justice, 2018), section 2.2.2.
judiciaire doit maintenir entre l’accusé et la victime. C’est la raison pour laquelle les tribunaux, jugeant les peines minimales obligatoires discriminatoires, exagérées et équivalant à un traitement cruel et inusité, les ont déclarées inconstitutionnelles. Le 30 mars 2022, le ministère de la Justice recensait 245 contestations fondées sur la Charte de peines minimales obligatoires. Il faut toutefois reconnaître que la plupart des personnes vulnérables, dont les ressources financières ou autres sont limitées, ne sont pas nécessairement en mesure de contester les peines pourtant exagérées et inconstitutionnelles qui leur sont imposées. Et c’est sans parler du fait que ces contestations constituent un fardeau et qu’elles entraînent des retards qui nuisent à l’ensemble du système judiciaire. Un certain nombre de contestations non essentielles pourraient donc être évitées si l’on permettait aux juges de tenir compte des principes de proportionnalité et d’individualisation pour déterminer la peine à imposer. Malgré ce que prétendent les détracteurs de cette proposition, la suppression des peines minimales obligatoires n’équivaut pas à de l’indulgence envers les criminels parce que les juges sont habilités à imposer une peine qui concilie tous ces principes, y compris le principe du châtiment. La refonte du projet de loi C-5 permettra de réparer le tort considérable que peuvent causer les peines minimales obligatoires aux membres des communautés racialisées, et d’enrayer le déséquilibre qui existent la Couronne et un accusé dont les conditions socioéconomiques, l’état de personne racialisée et les autres facteurs croisés de marginalisation sont désavantageux. Les tribunaux ont admis la discrimination systémique dont font l’objet les Autochtones, les Noirs et les personnes racialisées dans plusieurs décisions. Dans R. c. Morris et R. c. Gladue, par exemple, ils ont élargi les principes qui sous-tendent la détermination de la peine de manière à tenir compte de la discrimination systémique qui nuit tout particulièrement à ces populations dans le système judiciaire. Or, les peines minimales obligatoires rendent inutiles la
reconnaissance de ce fait judiciaire et l’analyse présentée dans la décision Gladue parce que les juges ne peuvent plus établir de peine qui cadre avec cette analyse. La suppression de toutes les peines minimales obligatoires permettrait de consolider les principes établis, par exemple, dans les décisions Gladue et Morris et de donner corps à l’esprit de l’article 718.2 du Code criminel. Par ailleurs, la Commission de vérité et réconciliation a formulé 94 appels à l’action visant à réparer les torts causés par les pensionnats et à faire progresser le processus de réconciliation, qui est fondé sur le respect mutuel. L’appel à l’action numéro 32 consiste à permettre aux juges de première instance de déroger à l’imposition des peines minimales obligatoires. Le projet de loi C-5 est donc l’occasion idéale de donner suite à cet appel à l’action et de se rapprocher ainsi de l’objectif de réconciliation. D’autres organismes qui œuvrent pour l’égalité, comme l’Association des femmes autochtones du Canada, recommandent aussi de supprimer toutes les peines minimales obligatoires. Il faut comprendre que la suppression de toutes les peines minimales obligatoires du Code criminel ne permettra pas nécessairement de régler le problème des interventions policières en surnombre dont font l’objet les Autochtones, les Noirs et les autres personnes racialisées, ainsi que leur surreprésentation dans les prisons. Elle ne fera pas automatiquement disparaître, non plus, les préjugés inhérents au système pénal ni les préjugés raciaux inconscients que les juges peuvent avoir. Elle sera toutefois très utile à ces communautés et permettra d’atténuer les difficultés qu’elles connaissent en permettant aux juges d’établir une peine qui met en balance les conséquences de l’acte criminel et les circonstances personnelles de l’auteur. Les avocats pourront aussi plus facilement faire valoir certains arguments, comme ceux de la décision R. c. Morris, qui tiennent compte de la situation particulière de la personne coupable qui se trouve devant le tribunal. L’élimination des peines minimales obligatoires et la possibilité accrue de
prononcer des ordonnances de sursis permettront aux délinquants de purger leur peine dans la collectivité. De cette façon, les familles peuvent rester ensemble, le statut d’immigration peut être maintenu et l’expulsion du Canada évitée, l’emploi peut être conservé, et les interventions de santé peuvent avoir lieu. La décision de supprimer, au moyen du projet de loi C-5, 14 des 67 peines minimales obligatoires du Code criminel constitue un petit pas dans la bonne direction. S’il est vrai que ces 14 infractions sont souvent associées aux crimes où les Autochtones, les Noirs et les personnes racisées sont surreprésentés, les interventions policières excessives et l’aggravation injustifiée des accusations ne se limitent pas à ces 14 infractions. Entre 2007 et 2017, 39 % des délinquants noirs, 20 % des délinquants autochtones et 48 % des autres délinquants appartenant à une « minorité visible » (racisée) ont été admis dans un établissement de détention pour une infraction passible d’une peine minimale obligatoire 3. L’élimination de toutes les peines minimales obligatoires est la seule façon de garantir que les juges puissent tenir compte des nuances de l’affaire dont ils sont saisis et rendre une justice équitable en déterminant une peine proportionnelle à la gravité du crime, adaptée en fonction des circonstances du délinquant. À mesure que la jurisprudence évolue, les tribunaux continuent d’adapter la détermination de la peine aux impératifs de la sécurité publique et aux droits de la personne coupable. C’est la raison pour laquelle nous devons les soutenir et accroître leur pouvoir d’imposer une peine adaptée et proportionnelle. Nous restons cependant conscients que les préjugés raciaux sont répandus et souvent inconscients. Par prudence, nous préconisons donc fortement la formation continue des juges pour les aider à mieux comprendre le racisme systémique et la discrimination qui font partie intégrante de notre système, en plus de notre recommandation concernant l’abrogation de toutes les peines minimales obligatoires du Code criminel. 3 Ministère de la Justice du Canada, Les conséquences des peines minimales obligatoires sur les Autochtones, les Noirs et les autres minorités visibles, 2017.
Recommandation 1. Supprimer toutes les peines minimales obligatoires du Code criminel Recommandation 2 : Abroger les alinéas 742.1b), c) et d) du Code criminel SALCO appuie sans réserve les dispositions du projet de loi C-5 visant à abroger les alinéas 742.1e) et f) du Code criminel. Nous recommandons toutefois d’abroger aussi, dans le même esprit, les alinéas 742.1b), c) et d) (il ne s’agit pas d’une infraction pour laquelle une peine minimale d’emprisonnement est prévue, d’une infraction poursuivie par mise en accusation et passible d’une peine maximale d’emprisonnement de 14 ans ou d’emprisonnement à perpétuité, d’une infraction de terrorisme ni d’une infraction d’organisation criminelle poursuivies par mise en accusation et passibles d’une peine maximale d’emprisonnement de 10 ans ou plus), plutôt que la proposition du projet de loi C-5 de remplacer l’alinéa 742.1c) par des infractions relevant des dispositions suivantes : 1) l’article 239 (tentative de meurtre), pour laquelle une peine au titre de l’alinéa 239(1)b) est infligée; 2) l’article 269.1 (torture); 3) l’article 318 (encouragement au génocide). Les ordonnances de sursis ont été créées pour offrir aux juges une autre possibilité que l’emprisonnement en leur permettant d’imposer une peine à purger dans la collectivité, lorsqu’il y a lieu. Les ordonnances de sursis n’étaient une option que pour les délinquants non dangereux qui devaient purger une peine de deux ans ou moins. On espérait que les ordonnances de sursis régleraient le problème du recours trop fréquent à l’incarcération dans le cas des personnes racisées et qu’elles permettraient aux juges d’atténuer certaines des
conséquences négatives des peines traditionnelles pour les accusés. Une ordonnance de sursis permettrait à une personne de garder son emploi, par exemple, d’éviter de séparer la famille et de bénéficier d’interventions en santé appropriées pour favoriser sa véritable réadaptation et des résultats globalement améliorés pour elle et sa famille. Or, au fil du temps, les gouvernements ont restreint les cas où un juge peut rendre une ordonnance de sursis, en particulier au moyen des alinéas 742.1b), c), d), e) et f). Dans l’absolu, ces restrictions peuvent paraître justifiées parce que certaines des infractions visées par ces dispositions sont des crimes qui nous semblent menacer fortement la sécurité publique. En réalité, même ces infractions « graves » peuvent résulter de circonstances moins graves où une peine d’emprisonnement n’est pas nécessaire pour réaliser les objectifs de l’imposition de la peine. Il en résulte une situation sans issue pour le juge qui doit choisir entre une peine trop indulgente ou trop sévère, sans égard au contexte des facteurs croisés de marginalisation que peut vivre la personne. On en voit des exemples dans les affaires R. v. Hillier, R. v. Foreman, R. c. Sharma et R. v. Chen. En abrogeant les alinéas 742.1e) et f), le projet de loi C-5 réduit certaines des restrictions inutiles qui limitent le recours aux ordonnances de sursis. Il témoigne de la compréhension du fait que toute infraction s’insère dans un vaste contexte. Le juge peut ainsi procéder à une analyse complète des faits et tenir compte, pour un nombre accru d’infractions, des objectifs de la détermination de la peine (proportionnalité, retenue et réadaptation). Toutefois, le maintien des alinéas 742.1b), c) et d) limite quand même la discrétion du juge dans diverses situations. Un juge n’a pas besoin des restrictions prévues par les alinéas 742.1b), c) et d) pour pouvoir imposer une peine d’emprisonnement lorsque les circonstances le justifient. En revanche, la codification de ces restrictions laisse subsister la possibilité d’une peine inadaptée ou d’une portée excessive. En outre, l’abrogation des alinéas 742.1b), c) et d) ne change rien au fait que les ordonnances de sursis ne peuvent s’appliquer qu’aux délinquants
non dangereux dont la peine est de deux ans ou moins. La recommandation de SALCO est conforme à l’intention du législateur derrière les ordonnances de sursis et donne suite à l’appel à l’action 32 de la CVR. Recommandation 2. Abroger les alinéas 742.1b), c) et d) du Code criminel Recommandation 3 : Décriminaliser entièrement la possession de drogue pour consommation personnelle et le partage ou la vente de drogue à des fins de subsistance SALCO encourage la conception de l’usage de substances comme un problème social et de santé qui appelle des solutions ne relevant pas du système de justice pénale. À notre avis, le programme de déjudiciarisation que propose le projet de loi C-5 n’a pas pour effet d’éliminer ni de régler les conséquences négatives et les préjudices qui résultent de la criminalisation de la consommation de drogue. Des études montrent non seulement que la criminalisation de la possession de drogue n’est pas un moyen efficace de réduire la consommation et la disponibilité de drogues, mais aussi que l’interdiction des drogues nuit directement aux communautés autochtones, noires et racisées, qui sont visées dans une proportion démesurée par le profilage, les arrestations et l’incarcération pour des infractions liées à la drogue. Nous savons que ces communautés subissent de lourds préjudices à cause de casiers judiciaires, notamment des perspectives moins favorables sur le marché du travail (qui viennent aggraver la discrimination dans l’emploi), des possibilités de logement réduites, et des conséquences sur le plan de l’immigration, y compris la perte du statut d’immigration. La criminalisation de la drogue engendre aussi une stigmatisation qui sert à assujettir les communautés racisées, dans une
proportion démesurée, à des ordonnances de prise en charge des enfants et qui entrave l’accès aux services sociaux et de santé. De plus, on craint que l’abstinence obligatoire, la désintoxication involontaire et le traitement accentuent le risque de surdose. Par conséquent, SALCO souscrit à la recommandation de la Coalition canadienne des politiques sur les drogues (CCPD) visant à décriminaliser la possession de drogue pour consommation personnelle, de même que le partage ou la vente de drogue à des fins de subsistance, et à subventionner les frais de consommation personnelle ou à fournir un approvisionnement sécuritaire. Pour ce faire, le législateur peut supprimer toutes les sanctions, pénales, administratives et autres, comme suit 4 : Recommandations 1. Abrogation complète de l’article 4 de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances et de l’article 8 de la Loi sur le cannabis. 2. Modification de l’article 5 de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, qui criminalise le trafic de substances et la possession en vue du trafic, de manière à autoriser le partage et la vente de drogue à des fins de subsistance, pour financer la consommation personnelle de drogue et pour fournir un approvisionnement sécuritaire (c.-à-d. le « trafic de nécessité »), en plus de l’élimination proposée des peines minimales obligatoires à l’alinéa 5(3)a). 3. Élimination de toutes les sanctions et interventions associées à la simple possession de drogue, ou au trafic de nécessité, y compris : o les sanctions administratives, entre autres les amendes, les évaluations de la santé ou les commissions de dissuasion; o la confiscation de substances, d’accessoires ou de fournitures 4 Coalition canadienne des politiques sur les drogues, Réussir la décriminalisation : une voie vers des politiques sur les drogues basées sur les droits de la personne, 2021.
médicales; o les restrictions ou couvre-feu géographiques, ou touchant la consommation de drogue ou les contacts personnels; o les tribunaux de traitement de la toxicomanie en tant que mesure de rechange coercitive aux sanctions pénales; o d’autres traitements ou autres interventions de santé contraints ou involontaires. 4. Radiation automatique des condamnations antérieures pour simple possession de drogue (de cannabis notamment) et processus de demande de radiation pour trafic de nécessité, de condamnations antérieures pour violation d’engagement, de conditions de liberté sous caution, de probation ou de libération conditionnelle associées à des accusations connexes. 5. Règles précises et limites strictes encadrant les interceptions, fouilles et enquêtes policières pour possession de drogue. 6. Remplacement de policiers ou d’autres agents de la paix en tant que contrôleurs ou agents de liaison entre les personnes qui consomment de la drogue et les services sociaux ou de santé par des organismes dirigés par des personnes qui consomment ou consommaient de la drogue ou des intervenants spécialisés. Recommandation 4 : Renforcer l’article 10.1, supprimer le paragraphe 10.2(2), supprimer l’article 10.4, et affecter des ressources à la formation et à un continuum intégré de services sociaux et de santé opportuns et fondés sur des données probantes afin de garantir la réalisation des objectifs du projet de loi C-5. SALCO reste profondément inquiète du fait que les modifications proposées de l’article 10 de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances ne réduisent pas comme il se doit les inégalités qui défavorisent les communautés autochtones, noires et racisées dans l’application des lois canadiennes réglementant les drogues.
L’article 10 de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances décrit les différents aspects de la détermination de la peine pour un certain nombre d’infractions liées à la drogue au Canada. À l’heure actuelle, il énonce l’objectif de la détermination de la peine, les circonstances à prendre en considération et la possibilité de participer à un programme de traitement de la toxicomanie. Les modifications que propose le projet de loi C-5 visent à recadrer la consommation de substances en tant que problème social et de santé (article 10.1) et à officialiser la voie de la déjudiciarisation (articles 10.2 à 10.5) avant le dépôt d’accusations. Des études ont montré que les membres des communautés noires, autochtones et racisées sont plus susceptibles d’être interceptés par la police et d’être inculpés de possession de drogue, en dépit du fait que la consommation est la même dans les différents groupes raciaux. Étant arrêtés et incarcérés plus souvent que les autres pour des infractions liées à la drogue, ils sont également plus susceptibles d’avoir un casier judiciaire, ce qui cause d’autres préjudices dans les domaines de la santé, des relations, de l’emploi, du logement et du statut d’immigration. Dès lors, l’article 10.1 proposé recadre à juste titre la consommation de substances comme un enjeu social et de santé, mais il importe de renforcer ces principes en énonçant expressément les préjudices et les facteurs croisés de la marginalisation. SALCO aimerait importer les amendements proposés par le Centre canadien sur les dépendances et l’usage de substances (CCDUS) pour renforcer l’article 10.1. Outre les suggestions formulées par le CCDUS, nous ajouterions nos propres amendements proposés, comme suit : • l’alinéa 10.1c) devrait mentionner l’effet négatif qu’ont les sanctions pénales sur la santé, les relations, l’emploi, le logement et le statut d’immigration; • l’alinéa 10.1d) devrait préciser que les causes profondes des effets néfastes de la consommation de substances sont les inégalités touchant
les déterminants sociaux de la santé, y compris les conséquences de la pauvreté et du racisme. Conformément aux principes qui font ressortir l’importance de traiter la consommation de substances comme un problème social et de santé avant de le traiter comme un problème de criminalité à cause des résultats négatifs qui en découlent, le projet de loi C-5 vise à codifier et à promouvoir la déjudiciarisation en offrant aux policiers la possibilité de ne prendre aucune mesure, de donner un avertissement à la personne ou, avec le consentement de celle-ci, de la renvoyer à un programme ou à un organisme ou à un autre fournisseur de services qui pourraient l’aider (paragraphe 10.2(1)). Le projet de loi C-5 vise à réduire ainsi le recours trop fréquent à l’incarcération dans le cas des Noirs, des Autochtones et des personnes racisées en offrant des mesures de rechange à l’arrestation. Force nous est de constater, toutefois, que la décision d’employer ces autres solutions appartient encore au policier. Des experts ont également fait valoir que la codification d’un régime de déjudiciarisation peut contribuer à un élargissement du filet et faire entrer un nombre accru de personnes dans le système de justice pénale par la voie de la déjudiciarisation. Avant la mise en œuvre du paragraphe 10.2(1), le policier pouvait choisir de donner un avertissement informel au délinquant, mais sous le régime de déjudiciarisation, il pourrait se sentir obligé de renvoyer la même personne à un service de traitement. C’est ainsi que la mise en place d’un régime de déjudiciarisation et l’élargissement du filet peuvent faire augmenter le nombre d’interactions avec la police, qui, nous le savons, sont traumatisantes pour les populations racisées. L’élargissement du filet est plus probable quand les mesures de déjudiciarisation sont faciles à administrer, que le recours au régime de déjudiciarisation est encouragé (au moyen d’objectifs de rendement, par exemple) et quand il existe des sanctions pénales pour la désobéissance (des amendes ou la prison). Cet élargissement de la déjudiciarisation permet de faire entrer un nombre accru de personnes racisées dans les rets de la police et du système de justice en général.
La loi ne dissipe pas la crainte selon laquelle les tendances en matière d’inculpation dénotent l’application de préjugés raciaux et de discrimination raciale par les policiers à l’endroit des membres de communautés racisées. L’intention derrière le paragraphe 10.2(1) proposé serait vaine si les policiers appliquaient leur discrétion à l’avantage de délinquants blancs seulement. D’autre part, l’article 10.2 oblige les policiers à porter un jugement sur les besoins d’une personne en matière de services sociaux et de santé, alors que la décision erronée de la renvoyer pour traitement est coûteuse pour le système de santé, mais en plus, elle peut contribuer à la stigmatisation et avoir des conséquences négatives sur son emploi et ses relations. Par conséquent, afin de garantir une application équitable et uniforme du paragraphe 10.2(1) dans tout le pays, il faudra mettre l’accent sur une formation antiracisme et anti- oppression à l’intention des policiers. Cette formation devrait être axée sur les préjugés raciaux conscients et inconscients et sur les interventions policières excessives qui en résultent à l’endroit des personnes racisées. Par ailleurs, il faudrait élaborer des programmes de formation, des protocoles et des politiques pour aider les policiers à déterminer les circonstances qui justifient les différentes mesures que propose le paragraphe 10.2(1) et à y recourir d’une manière équitable et sensible aux particularités culturelles. Bien que cette formation doive s’adresser principalement aux policiers, elle sera tout aussi importante et bénéfique pour tous les acteurs du système de justice pénale (ministère public et juges), dans l’intérêt de la cohérence à l’échelle du système. Il existe de grandes disparités entre les régions en ce qui concerne les options accessibles aux policiers. Il est souvent difficile d’obtenir des services communautaires fondés sur des données probantes, surtout à l’extérieur des centres urbains. Pour cette raison, la mise en œuvre efficace du paragraphe 10.2(1) dépendra beaucoup d’investissements considérables dans toute la gamme des services sociaux et de santé communautaires fondés sur des données probantes qui remédient aux lacunes sur le plan de l’accès à des soutiens adaptés à la culture dans les collectivités urbaines, rurales et éloignées.
D’autre part, le paragraphe 10.2(2) vient diluer l’intention derrière le paragraphe 10.2(1) en ce sens qu’il permet qu’un individu soit passible de sanctions pénales sans recours, même si une mesure de rechange serait préférable dans les circonstances. Le projet de loi C-5 justifie l’affaiblissement du paragraphe 10.2(1) par le paragraphe 10.2(2) parce qu’il confère sa raison d’être à l’article 10.3, aux termes duquel les procureurs exerceront un rôle de contrepoids en évaluant si, à la lumière des principes énoncés à l’article 10.1, les mesures de rechange prévues au paragraphe 10.2(1) ou à l’article 716 du Code criminel conviennent mieux avant d’engager les poursuites. SALCO appuie l’ajout de l’article 10.3, car des contrepoids sont importants pour éviter que des personnes passent entre les mailles du filet. Par contre, les modifications doivent accentuer les objectifs visés par le projet de loi C-5. Par conséquent, nous recommandons de supprimer le paragraphe 10.2(2) du projet de loi C-5 afin qu’il soit bien clair que les mesures de rechange aux sanctions pénales sont non seulement importantes mais prioritaires. Nous jugeons particulièrement préoccupant l’ajout de l’article 10.4, qui permet au corps de police de tenir un dossier sur les avertissements. Le ministère de la Justice affirme que cet article est conçu pour éviter la confusion et pour garantir une application uniforme de la disposition. Il indique également que ces dossiers ne seraient pas admissibles à titre de preuve d’un comportement délictueux dans le cadre d’une procédure judiciaire. Bien que l’article 10.5 précise que tout dossier tenu par la police n’est pas admissible dans des poursuites devant un tribunal, cela n’empêche pas la police d’utiliser ces dossiers de manière discriminatoire ou de perpétuer les problèmes de fichage qui ont été constatés à Toronto. Pour ces raisons, nous recommandons de supprimer l’article 10.4 du projet de loi C-5. De plus, SALCO recommande fortement d’effectuer un suivi et de recueillir des données ventilées en vue de garantir l’application du programme de déjudiciarisation d’une manière équitable sur le plan racial et d’enquêter sur toute disparité constatée afin de rectifier le tir sans tarder.
Recommandations 1. Renforcer l’article 10.1 de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances de manière à raffermir les principes déjà énumérés en énonçant expressément les préjudices et les facteurs croisés de la marginalisation. a) l’alinéa 10.1c) devrait mentionner l’effet négatif qu’ont les sanctions pénales sur la santé, les relations, l’emploi, le logement et le statut d’immigration; b) l’alinéa 10.1d) devrait préciser que les causes profondes des effets néfastes de la consommation de substances sont les inégalités touchant les déterminants sociaux de la santé, y compris les conséquences de la pauvreté et du racisme. 2. Supprimer le paragraphe 10.2(2) de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances. 3. Supprimer l’article 10.4 de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances. 4. Consacrer des ressources à une formation antiracisme et anti-oppression sur l’application des articles 10.1 et 10.2 de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances et sur les préjugés raciaux qui mènent à des interventions excessives par tous les acteurs du système de justice pénale. 5. Consacrer des ressources à toute la gamme des services sociaux et de santé communautaires fondés sur des données probantes qui remédient aux lacunes sur le plan de l’accès à des soutiens adaptés à la culture dans les collectivités urbaines, rurales et éloignées. 6. Assurer un suivi et recueillir des données ventilées afin de garantir que l’application du programme est équitable sur le plan racial.
CONCLUSION Les amendements que propose SALCO mettent en relief les droits des délinquants racisés devant l’échec persistant du système judiciaire pour ce qui est de contrer le racisme systémique qui l’imprègne, et l’approche mal équilibrée avec laquelle doit composer l’accusé. En s’attachant à comprendre en priorité comment le racisme systémique intervient dans le système de justice, le Comité peut garantir un résultat équitable à toutes les parties en présence. Nous sommes convaincus que les amendements que nous proposons favoriseront l’objectif de l’équité raciale et de la justice dans le respect de la Stratégie canadienne de lutte contre le racisme et de l’engagement envers l’équité raciale. Nous remercions le Comité de nous avoir donné l’occasion de présenter ces observations.
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