Marie-Antoinette Mélières, Chloé Maréchal

 
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Courrier de l’environnement de l’INRA n° 60, mars
                                             mai 2011
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Marie-Antoinette Mélières, Chloé Maréchal
Climat et société
CRDP Grenoble, 2010, 368 p.

Le problème du changement climatique, et de sa perturbation par les émissions de gaz à effet de
serre, a fait l’objet de nombreux débats, dans les médias comme dans beaucoup de secteurs de la
société. Il s’agit d’un problème complexe – mais qui réclame des décisions rapides, souvent diffici-
les – car diminuer les gaz à effet de serre c’est en grande partie s’attaquer aux usages de l’énergie.
Il ne s’agit d’ailleurs plus seulement d’essayer d’empêcher toute évolution, mais aussi de s’adapter
à la composante désormais inéluctable des changements à venir. Proposer une éducation à la com-
plexité de ces problèmes est donc devenu un enjeu d’une très grande importance.
Le livre de Marie-Antoinette Mélières et Chloé Maréchal mérite à cet égard une attention très par-
ticulière. Beaucoup des livres actuellement disponibles s’adressent soit à des spécialistes soit au
contraire à un grand public ayant un bon niveau d’éducation générale (mais pas nécessairement en
sciences). Marie-Antoinette Mélières et Chloé Maréchal ont fait le pari, difficile mais très réussi, de
proposer un ouvrage qui constitue le chaînon manquant entre ces deux approches, en abordant les
enjeux scientifiques dans toute leur complexité, tout en faisant un effort pédagogique considérable
pour les rendre accessibles à tout lecteur disposant déjà d’une formation scientifique minimale. La
qualité de cet ouvrage, abondamment illustré, solidement construit, est telle, qu’elle devrait aussi
permettre à un lectorat plus large de s’y risquer, mettant ainsi de côté les idées simplistes auxquelles
on réduit souvent ces problèmes.
Marie-Antoinette Mélières a longtemps animé la « Lettre » d’un programme international impor-
tant de notre discipline (le programme Géosphère-Biosphère) et l’on retrouve dans ce livre (dont la
rédaction a dû prendre un temps et un effort considérables) une réflexion pédagogique approfondie
qui traduit une longue expérience d’enseignant. Une partie du livre s’appuie sur des supports issus
du monde de la recherche (et par exemple du dernier rapport du GIEC) et il offre de ce point de vue
un accès très riche à des résultats scientifiques récents. Mais il le fait de manière construite, origi-
nale et progressive, en proposant d’abord une réflexion sur les principes physiques de base, et en
couvrant tout le chemin qui conduit à déterminer la responsabilité de l’homme dans les évolutions
à venir.
Ce livre original, dense et soigné, mérite un grand succès.
                                                                                          Hervé Le Treut
                                           Climatologue, Professeur à l’université Pierre et Marie Curie,
                                                            directeur de l’Institut Pierre-Simon Laplace
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Bertrand Hervieu, Nonna Mayer, Pierre Muller, François Purseigle, Jacques Rémy (dir.)
Les mondes agricoles en politique. De la fin des paysans
au retour de la question agricole
Paris, Presses de Sciences Po, 2010, 450 p.

Cet ouvrage est le quatrième d’une série – chacun faisant suite à un colloque de l’Association
française de sciences politiques – qui a débuté en 1958 avec Les Paysans et la politique dans la
France contemporaine (dirigé par J. Fauvet et H. Mendras), suivi en 1972 par L’Univers politique
des paysans (dirigé par Y. Tavernier, M. Gervais et C. Servolin), puis par Les Agriculteurs et la
politique paru en 1990 (sous la direction de P. Coulomb, H. Delorme, B. Hervieu, M. Jollivet et
P. Lacombe).
En introduction de ce dernier ouvrage, Les mondes agricoles en politique, Bertrand Hervieu rap-
pelle les principaux apports des précédents, ce qui permet de prendre la mesure des évolutions du
secteur. Il insiste sur ce paradoxe : la population agricole de moins en moins nombreuse, loin de
s’homogénéiser, se diversifie, se cloisonne, se fragmente tant dans ses productions et ses pratiques,
que dans son identité professionnelle et donc dans sa représentation et ses revendications : « Il y
a cinquante ans, les agriculteurs étaient majoritaires et divers mais ils formaient un monde unifié
face aux sociétés urbaines, alors qu’aujourd’hui, ils sont minoritaires, segmentés et constituent
définitivement des mondes pluriels. Assurément, il ne s’agit plus d’un monde mais bien de mondes
agricoles. »
Cela ressort tellement bien à la lecture des différentes contributions que l’on peut considérer comme
tout un ensemble de signaux plus ou moins faibles, donc plus ou moins porteurs d’avenir, allant
parfois dans des sens opposés, les évolutions décrites ou esquissées dans les trois parties de cet
ouvrage : « un métier en transformation », « l’éclatement des représentations et des modes d’ac-
tion » et « les changements d’échelle des politiques agricoles ».
La première partie de ce livre décrit l’émergence d’un certain nombre de transformations de prati-
ques agricoles (non-labour, semences paysannes) qui constituent de véritables remises en cause de
pratiques antérieures ou d’itinéraires techniques et qui se construisent sur la base de réseaux profes-
sionnels extérieurs aux instituts techniques ou à la recherche. Apparaissent également de nouveaux
réseaux sociaux – comme celui de la commercialisation en circuit court – bâtis sur un lien direct
entre l’agriculteur et le citoyen et qui sont autant de moyens de renouer le lien entre la société et
les agriculteurs. Ces démarches sont certes minoritaires et parfois contradictoires mais témoignent
de la vitalité de certains groupes d’agriculteurs pour inventer de nouvelles voies. Les contributions
de cette première partie, comme l’indique Jacques Rémy dans son introduction, « s’attachent à
analyser des pratiques émergentes ou des mouvements mal cernés. Leur mérite consiste à exposer
des pratiques, à démonter des mécanismes qui témoignent par leur existence même des profon-
des insatisfactions que suscite la pauvreté des modèles de production de l’agriculture française
contemporaine ».
Cette tendance à la diversification des pratiques et des réseaux va de pair, et cela n’a rien d’étonnant,
avec un éclatement de la représentation des agriculteurs comme le montre, bien sûr, l’analyse des
résultats des élections aux chambres d’agriculture mais aussi les contributions consacrées aux deux
organisations syndicales concurrentes de la FNSEA, la Confédération paysanne et la Coordination
rurale. Les analyses concernant cette dernière organisation sont d’ailleurs suffisamment rares pour
que l’on souligne tout l’intérêt de cette étude de François Purseigle. Fruit de cette diversification
syndicale, mais aussi de la baisse du nombre des agriculteurs, les formes d’action du syndicalisme
se sont aussi modifiées, comme l’indique F. Purseigle dans son introduction à la deuxième partie :
« L’action syndicale et professionnelle a pris progressivement un double visage : opération ‘com-
mando’ (contre la grande distribution, les transporteurs, les essais transgéniques, les préfectures,
etc.), d’un côté, et opération ‘séduction’, de l’autre (distribution de produits, visites à la ferme et
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animations urbaines, concerts, etc.). Le monde agricole semble ainsi prendre acte de son infériorité
numérique mais aussi d’une capacité de mobilisation réduite qu’il doit compenser par la détermina-
tion des militants et l’impact médiatique des opérations entreprises ».
Un bel exemple de ces nouveaux types d’actions nous est donné par l’une des contributions, celle
d’Antoine Bernard de Raymond sur l’histoire des « mobilisations autour des OGM en France » qui,
grâce à un logiciel d’analyse textuelle et statistique, présente une périodisation non seulement des
événements liés aux OGM, mais aussi des configurations d’acteurs et de leurs arguments.
La troisième partie, consacrée aux politiques agricoles, ou plus exactement aux « changements
d’échelles des politiques agricoles », s’intéresse aux transformations susceptibles d’induire des
changements dans les rapports agriculture / action publique. Ainsi, Eve Fouilleux analyse l’émer-
gence d’initiatives d’internationalisation et de privatisation des politiques agricoles, sous la forme
des « standards volontaires » ou normes. Après une description de ces standards (le Label Rouge,
les AOC, les standards de commerce équitable ou d’agriculture biologique, mais aussi ceux qui
sont développés directement à l’initiative des distributeurs ou ceux créés en partenariat entre des
industriels et des ONG – notamment le WWF), elle s’interroge : « l’ampleur prise par les standards
volontaires dans la régulation transnationale et la nature de leurs exigences, qui visent toutes à des
degrés divers à un réencastrement social, environnemental et / ou territorial du marché et de la pro-
duction, permettront-elles, à terme, de poser différemment la question du commerce et des échanges
internationaux et de leur place dans l’économie et la société ? ». Autre tendance en cours dans les
politiques agricoles, celle de leur territorialisation, là encore sous la pression d’une nécessaire adap-
tation aux conditions environnementales et sociales locales. C’est dans ce contexte et à un moment
où se repose au niveau mondial, avec la crise financière, la question de la régulation et de la démo-
cratie économique que va se renégocier la politique agricole commune européenne.
« Les indices d’un changement des cadres cognitifs et normatifs globaux sont nombreux », comme
le dit Pierre Muller en introduction de la quatrième partie. « Le plus évident concerne, et ce n’est
pas une surprise, la question environnementale. Même si les aléas et les retours en arrière sont inévi-
tables et réels (…), on peut affirmer sans trop de risques que la question du développement durable
va occuper une place grandissante sur l’agenda des politiques publiques et peser de plus en plus sur
les processus de leur élaboration ».
Toutes ces tendances émergentes se confirmeront-elles ? Certaines d’entre elles dessinent-elles le
monde agricole de demain ? Ces vingt articles signés par vingt-six auteurs (spécialistes de sciences
politiques, de sociologie, d’économie, d’économie politique, d’ethnologie) permettent, non pas de
répondre à ces questions, mais de mieux voir à l’œuvre certaines tendances qui n’apparaissent pas
toujours en pleine lumière.
                                                                                   Danielle Barrès

Étienne Klein
Le small bang des nanotechnologies
« Penser la société », éditions Odile Jacob, 158 p, 2010.

Etienne Klein, physicien, dirige le Laboratoire de recherche sur les sciences de la matière (LARSIM)
du Commissariat à l’énergie atomique (CEA), laboratoire de physique dont les activités concernent
l’énergie noire, le temps et l’état actuel des relations entre la science et la société (voir le site :
http://iramis.cea.fr/en/Phocea/Vie_des_labos/Ast/ast_groupe.php?id_groupe=748).
Ce petit livre se décompose en trois parties, à peu près égales.
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La première partie, « Qu’est-ce que les nanosciences ? », retrace l’émergence de ce champ, en
pointant l’évolution de ses contours. Les nanosciences explorent un domaine intermédiaire entre la
physique classique et la physique quantique. C’est un domaine de design d’objets, de recensement
de propriétés émergentes, voire surprenantes, mais il n’est pas pour autant à l’origine de théories
nouvelles : le cadre conceptuel est bien maîtrisé. On se retrouve ainsi rapidement dans l’exposé de
technologies, d’objets, de propriétés, bref d’éléments d’une ingénierie nouvelle. Mais surtout, on
comprend que tout un chacun est confronté à une prolifération des discours autour de ces champs…
et progressivement, l’ouvrage intègre les éléments de promesses d’innovations et d’objets toujours
plus (in ?)utiles. Prudent, page 64, l’auteur réfute ce catalogue à la Prévert, dont il connaît les effets
contre-productifs, pour se consacrer à quelques perspectives d’applications : le développement
durable, les textiles, la santé. Ensuite, la haute connaissance en science physique de l’auteur et son
sens de la pédagogie lui permettent d’inviter le lecteur à envisager les applications purement quan-
tiques : cryptographie absolue, ordinateur quantique, téléportation d’information, etc. Embarqué
dans un univers de promesses scientifiques, finalement assez classiques, bien qu’ici expliquées de
façon particulièrement pédagogique et érudite, le lecteur rencontre brusquement, dans la partie sur
le « déplacement des frontières » (humain/non humain, vivant/inerte, etc.), le fond du problème tel
que le voit l’auteur : la prolifération des prophéties associées aux nanotechnologies les partage entre
outil de « salut » ou de « catastrophe », et les réactions sont bien humaines quand, percevant les
révolutions potentielles apportées par ces technologies, on s’inquiète de leur inéluctabilité ou de la
persistance ou pas de la possibilité d’un « agir démocratique » dans les sociétés.
La troisième partie arrive donc tout naturellement : « Nanotechnologies et démocratie »… où il ne
sera plus guère question des nanotechnologies (le préfixe nano- est dorénavant largement absent
pendant de nombreuses pages). C’est en fait toute la question des interactions de la science, du pro-
grès technologique, des scientifiques et des sociétés qui est explorée. L’auteur s’étonne par exemple
de voir comment le chercheur « qui a longtemps fait figure de rebelle, de créateur libre et insoumis,
incarne désormais aux yeux d’une partie du public l’asservissement au ‘système’ de la techno-
science couplée au marché ». On retrouvera des thèmes chers aux lecteurs du Courrier comme,
page 130, celui des pesticides. Dans un renversement analysé par l’auteur, les pesticides, qui furent
inventés pour « réduire le risque » de ne pas avoir accès à la nourriture, sont devenus le symbole
« d’une agriculture qui produit du risque ». Et voilà, pour faire vite, où le mot progrès a perdu sa
majuscule. En passant par le décryptage du mouvement des luddites, briseurs de machines moins
par opposition aux machines que par lutte contre l’évolution des modèles sociaux et politiques qui
les accompagnaient, après une quarantaine de pages, Etienne Klein finit par retrouver les nanoscien-
ces pour placer la réflexion sur le plan de l’éthique : il faut « évaluer continûment les changements
effectifs induits dans nos modes de vie et dans nos valeurs » par les nanotechnologies. Voilà qui
dépasse effectivement la seule approche des risques.
Ce livre est bien l’illustration de ce qui s’est passé dans le débat sur les nanotechnologies : l’irrup-
tion permanente d’un questionnement plus large de la société sur sa propre évolution liée aux tech-
nologies et sur le sens profond et éthique du progrès technologique, et l’incapacité des débatteurs à
accepter et gérer cet élargissement. Mais comme le débat, le livre n’y répond pas. Que ce soit dans
le débat public ou dans ce livre, on peut en outre simplement changer les deux premiers chapitres
en biffant « nano » pour remplacer au choix par OGM, pesticide, biologie synthétique, etc.
                                                                                    Jean-Luc Pujol
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Frédéric Prat, avec la collaboration de Christophe Noisette
et de Robert Ali Brac de la Perrière
OGM : la bataille de l’information. Des veilles citoyennes pour des choix
technologiques éclairés
Éditions Charles Léopold Mayer, 2010, 308 pages.

Ce livre porte bien son titre. L’information est, en effet, un élément-clé de la démocratie, et ce ne
sont pas les Tunisiens ou les Égyptiens qui le démentiront. Même dans les pays démocratiques de
longue date, elle reste encore et toujours un enjeu. Et dans le domaine des innovations technolo-
giques, il s’agit d’un enjeu crucial si l’on veut que les choix ne soient pas faits en catimini, mais
le soient au contraire en toute connaissance de cause, sur la base de processus démocratiques. Or,
en la matière, on ne peut pas dire que règne la transparence : sans même évoquer le nucléaire – et
pourtant il y aurait à dire avec ce qui se passe au Japon – les sujets technologiques ne manquent
pas sur lesquels on peut s’interroger quant aux informations fournies au « grand public » ou tout
simplement au citoyen : médicaments, nanotechnologies, OGM, etc. Car il « existe » toujours de
bonnes raisons pour ne pas informer. On connaît le fameux « secret défense », mais il y a aussi le
secret bancaire, le secret médical, le secret de fabrication, etc. On connaît également la désinforma-
tion, qu’il s’agisse de nier un fait (le désormais célèbre « nuage de Tchernobyl »), ou de ne donner
qu’une partie de l’information.
À l’heure où toutes les institutions, qu’elles soient publiques ou privées, dans tous les secteurs –
y compris celui de la recherche – communiquent plus qu’elles n’informent, ce livre bienvenu raconte
l’histoire d’une « veille citoyenne d’information » associative dédiée aux OGM. Inf’OGM est né en
juin 1999, au moment où la controverse sur les OGM battait son plein (autorisations d’importations
et de culture, multinationales et chercheurs promettant le meilleur à attendre de ces plantes, d’un
côté, destruction de semences et premiers arrachages, agriculteurs et chercheurs questionnant sur
les impacts sanitaires et environnementaux, de l’autre). Dès lors, « Qui croire ? Et, surtout, com-
ment le citoyen lambda, face à des avis aussi divergents, peut-il se faire une idée ? Doit-il se rac-
crocher à la Science et aux scientifiques qui, même entre eux, n’arrivent pas à se mettre d’accord ?
Ceux qui en étaient encore convaincus commencent à découvrir que la Science n’est pas la Vérité
et que les chercheurs défendent aussi des thèses… » C’est à partir de ce constat qu’est née l’idée,
au sein « d’un petit groupe de personnes impliquées dans ces questions de choix de politiques agri-
coles » de créer Inf’OGM pour diffuser des « informations vérifiées, contextualisées, traduites en
français ».
Trois parties d’inégale longueur mais d’égal intérêt constituent ce livre très documenté, véritable
mine d’informations concrètes, factuelles et sourcées.
La première partie, « Société civile et choix technologiques : le grand écart ? », à partir de l’exemple
des OGM, traite de la régulation et des acteurs de ces choix. Des grandes institutions internationales
(OCDE, FAO, etc.) aux lobbies et experts (y compris les lobbies et experts associatifs), en passant
par les chercheurs, tous les acteurs majeurs sont décrits en détail. Il ne faut d’ailleurs pas rater les
deux pages dans lesquelles l’auteur dresse une liste « non exhaustive » de personnes ayant tra-
vaillé pour les différentes administrations présidentielles américaines et qui ont eu des postes dans
des entreprises privées de biotechnologie, avant ou après leur emploi public : les passerelles entre
administration, recherche et entreprise privée du modèle anglo-saxon ne sont pas qu’une simple
facilité de carrière. Cette partie se termine par un chapitre intitulé « Comment impliquer les citoyens
dans ces choix ? » qui fait une analyse critique de toutes les tentatives de débat (ou non-débat) sur
les OGM, à commencer par la Conférence de citoyens de juin 1998. Mais ceci en ayant pris soin
d’affirmer au préalable : « Soyons clairs : nul ne sait ce que serait exactement une ‘implication
citoyenne idéale’ dans un choix technologique » et en indiquant trois grands principes « pour un
débat fécond » : l’implication des parties prenantes « bien en amont des prises de décision » ; une
définition collective des modalités du débat et des questions traitées ; enfin, la prise en compte de
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toutes les conclusions par le politique « qui doit s’engager à expliquer clairement pourquoi il garde,
rejette ou modifie les propositions issues du débat ».
Dans la deuxième partie, « Les étapes d’une veille citoyenne d’information », l’auteur rappelle
l’une des principales raisons d’être d’une telle veille : ne pas laisser le monopole de l’information
et du débat aux entreprises, aux scientifiques et aux décideurs politiques. C’est l’occasion pour le
lecteur de voir à l’œuvre, toujours à partir d’exemples concrets, comment l’équipe d’Inf’OGM s’est
posé toutes les questions concernant cette notion d’« information » (et comment elle y a répondu) :
qu’est-ce qu’une bonne information, comment on la trouve au milieu de toutes celles qui existent,
comment on la recoupe, comment on la vérifie, sans oublier la question classique, mais qu’il faut
aussi résoudre, de l’objectivité (jamais totale, le simple fait de trier l’information est subjectif…
mais qu’on rejoint par l’honnêteté, via l’expression des diverses opinions). Sans compter que mul-
tiplicité des informations ne signifie pas que tout est sur la table : l’auteur rappelle « les combats
pour la transparence ». Appliquant ces principes à son association (dont il est un des fondateurs et,
actuellement, le secrétaire de rédaction et le responsable des financements), F. Prat retrace l’histoire
de la constitution et de la structuration d’Inf’OGM, sans éluder les questions de financement.
Des veilles d’information citoyennes existent dans d’autres domaines que les OGM (nucléaire,
nanotechnologies, ondes électromagnétiques, semences, etc.). Une intéressante typologie nous en
est présentée dans la troisième partie, « Quel avenir pour les veilles citoyennes d’information ? ».
En octobre 2009, Inf’OGM a d’ailleurs pris l’initiative d’en réunir une quinzaine lors d’un sémi-
naire intitulé « Veilles citoyennes d’information : des outils au service du droit d’ingérence dans les
choix technologiques ». Inf’OGM plaide clairement en faveur « d’une mutualisation d’outils, de
moyens, d’expériences ».
Au total, un livre passionnant que l’on peut aborder par plusieurs entrées : la mémoire des faits, l’ap-
profondissement des questions, le dessin d’un certain futur possible.                             DB.

Robert Barbault, Jacques Weber
La vie, quelle entreprise ! Pour une révolution écologique de l’économie
Seuil, « Science ouverte », 208 p., 2010

L’objectif du livre : s’adresser à tout un chacun, dans l’entreprise avant tout, scientifique ou pas, qui
veut comprendre pourquoi et comment on peut parler de nature en plein crise économique sans être
« ringard ». Le début est assez classique, dans un style qui alterne concepts et illustrations factuel-
les. À ceux qui sépareraient la nature des activités humaines, il est redémontré comment l’homme,
étendant son emprise sur la planète, s’est mis dans une position de suprématie et d’appropriation de
toutes les richesses naturelles, avec l’illusion de ne pas dépendre de la pérennité du capital naturel
qu’il exploite : or sur le plan écologique, une telle domination en contexte insulaire est peu durable.
Cette puissance, issue des trois derniers siècles de révolution thermo industrielle, est une nouvelle
ère que certains identifient comme « l’anthropocène ». Selon la thèse du titre, le vivant est décrit
comme une entreprise qui a commencé sa mondialisation il y a 4 milliards d’années : autant dire
une entreprise durable, dont les humains sont partie prenante ! Du dialogue entre l’économiste et
le biologiste émerge une relecture de cette « entreprise planétaire », gérant ses matières premières,
ses inputs et ses outputs, maîtrisant les énergies solaires et biochimiques, recyclant ses déchets,
s’adaptant sans cesse en contexte d’instabilité, de variabilité et de changement. De ce point de vue,
les espèces ne sont que des formes adaptatives locales de la vie, instables par nécessité de survie,
à durée de vie limitée (200 millions d’années ?), de vraies « espèces-temps ». La vie est donc une
bibliothèque d’inventions adaptatives au milieu desquelles les brevets inventés par l’homme n’oc-
cuperaient que bien peu de rayonnages. La question de l’appropriation des ressources est centrale
dans le livre et la réflexion sur la propriété, illustrée par des exemples à travers le monde, y est
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poussée. Retenons au passage le sort qui est fait à la « tragédie des communaux ». Cette thèse de
Hardin (1968) considérait soit un Etat coercitif, soit la privatisation comme solution pour la gestion
durable des ressources (le propriétaire agirait en bon père de famille…). Les auteurs y voient une
confusion entre propriété commune et accès libre, à l’origine d’un véritable « drame de la pensée »
ayant durablement aveuglé les analystes. D’où, page 104, par exemple un plaidoyer pour la pro-
priété commune (pêcheries, prairies), la gestion des accès. Il me semble que la littérature économi-
que actuelle sur la gestion des ressources commence à illustrer cette critique ! L’économiste et le
biologiste proposent, exemple de l’agriculture à l’appui, de « renouer avec la nature » en substituant
la stratégie du judoka1 à celle du bazooka et des armes de destruction massive. Au passage (p. 124),
l’agro-écologie, objet d’un vif regain d’intérêt très « actuel », est replacée dans une vision histori-
que de l’agriculture. Proposant des solutions pour l’économie, les auteurs suggèrent de « basculer
les régulations ». Il s’agit en fait essentiellement de jouer sur les droits et les assiettes de taxes :
placer les prélèvements sur les consommations de nature et pas sur les salaires devrait pérenniser
les systèmes sociaux, enclencher des mécanismes vertueux par rapport à la nature et générer des
mécanismes distributifs mondiaux. Prudents, ils affirment (p. 173) qu’on peut changer les choses
sans nécessairement changer le système économique, « sans que l’on cesse d’être dans un système
capitaliste ». L’un des auteurs m’a dit avoir animé récemment avec succès un exercice de simulation
avec près de 200 chefs d’entreprises du Centre des jeunes dirigeants avec des hypothèse fortes de
coût des ressources naturelles et pas de charges sur le travail : relocalisation, allègement des pres-
sions sur les ressources et rentabilité étaient paraît-il au rendez-vous. On attend peut être un livre
là-dessus ?                                                                                        JLP.

1. Les auteurs n’étant pas spécialistes sportifs, ils font une confusion fréquente : c’est l’aïkido et pas le judo qui utilise la
force de l’autre. L’aïkido joue sur la concordance des énergies, le judo sur la souplesse, le déséquilibre et la projection.
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