Médiacritique(s) Magazine trimestriel d'ACRIMED
←
→
Transcription du contenu de la page
Si votre navigateur ne rend pas la page correctement, lisez s'il vous plaît le contenu de la page ci-dessous
Édito En mars prochain, Acrimed fêtera Plus qu’un site internet ou un ses vingt ans. Nous organiserons, magazine papier, Acrimed est SOMMAIRE à cette occasion, notre deuxième avant tout une association, Journée de la critique des médias, rassemblant des adhérent-e-s qui 4. Michel Drucker et France 2 : dont le programme est en cours la font vivre, prennent en charge nous sommes tous des policiers d’élaboration. En attendant, son fonctionnement, et décident Acrimed fait sa rentrée avec de son orientation. Pour nous, 8. Causeur et la terreur féministe notamment un tout nouveau site la critique des médias n’est pas 12. USA : Médias et sports féminins internet, conçu pour mettre en un travail réservé à des experts, valeur ce qui constitue l’essentiel et chacun-e doit pouvoir, à la 14. Revues de SHS (partie II) de notre production, les articles, mesure de ses envies et de ses et faciliter leur lecture sur disponibilités, y contribuer. Ainsi, les « nouveaux supports » nos adhérent-e-s et nos sympa- Médias et économie (smartphones, tablettes, etc.). thisant-e-s nous « signalent » 17. Introduction régulièrement des séquences ou Un nouveau site pour la rentrée, des pratiques médiatiques qui 20. Le vrai CV des économistes mais aussi une volonté de faire mériteraient d’être analysées et à gages franchir un cap à l’association, critiquées, d’autres opèrent un 22. Romaric Godin : « Je considère Pour se donner les moyens de ses précieux travail de retranscription l’économie comme une ambitions, le Collectif d’animation (par exemple lors de débats télé- d’Acrimed a en effet décidé de visés), d’autres nous proposent science humaine » lancer, en cette rentrée, une des idées d’articles, etc. 23. Aurélie Trouvé : économistes grande campagne d’adhésion. alternatifs et médias Car contrairement à ce que Acrimed n’est donc pas seule- dominants certain-e-s s’imaginent peut-être, ment un groupe de rédacteurs nous sommes actuellement, en et de rédactrices produisant de 25. L’Ifrap à l’assaut des médias termes d’adhérent-e-s, à peine un façon plus ou moins régulière des 28. Les banques experts ont groupuscule – même pas armé – articles. C’est un collectif, dans la parole et tout renfort serait le bienvenu ! lequel chacun-e participe à faire vivre la critique des médias, qu’il Serions-nous (osons rêver !) s’agisse de participer à l’élabora- ne serait-ce que deux fois plus tion des articles ou de contribuer d’adhérent-e-s, de nouveaux à l’animation de l’association, horizons s’offriraient à nous : une notamment dans ses apparitions extension de notre surface et de publiques, qu’il s’agisse des notre audience, une amélioration manifestations de solidarité avec Médiacritique(s) de notre production critique grâce le peuple grec, des « jeudis d’Acri- Le magazine trimestriel d’Acrimed à une plus forte mutualisation med » ou de la tenue d’un stand Directeur de la publication des expériences et des ressources, lors de la Fête de l’Humanité. Mathias Reymond mais aussi, disons-le, des garan- ties financières qui nous permet- Alors que la presse dominante est Ont collaboré à ce numéro traient d’envisager l’avenir avec largement gavée d’aides publiques, Vincent Bollenot, Caroline Brun, Martin Coutellier, Frédéric Lemaire, plus de sérénité. distribuées arbitrairement et en Denis Perais, Jean Pérès, Olivier Poche, dépit du bon sens, nous ne pou- Mathias Reymond, Cyrille Rivallan, Une augmentation significative vons compter que sur les dons de Julien Salingue, Denis Souchon du nombre d’adhérent-e-s nous celles et ceux qui nous soutiennent Illustrations permettrait en effet de payer nos et sur les cotisations de nos Colloghan, Mabic deux salariés sans avoir à recourir adhérent-e-s. Nous ne recevons Secrétaires de rédaction régulièrement à des campagnes quasiment aucune subvention, et Olivier Poche, Julien Salingue de souscription. Certes, celle du les mécènes se font malheureuse- Imprimé par printemps dernier a été un franc ment trop rares… Nous refusons Espace Imprim succès, puisque nous avons récolté toute forme de publicité, et la 46, rue de Paradis – 75010 Paris 80 000 euros, soit le double de consultation de notre site demeure Commission paritaire : 1213 G 91177 l’objectif que nous nous étions entièrement gratuite. ISSN : 2256-8271 fixé, mais pour envisager un réel développement, il faut que l’asso- Alors, n’hésitez plus : pour soute- Tous les articles publiés sont le produit d’un travail collectif et engagent collectivement ciation puisse fonctionner sans nir la critique des médias, et pour l’association Acrimed. C’est pourquoi, passer par ce mode de finance- contribuer à son développement, sauf exception, ils ne sont pas signés. ment, qui doit rester exceptionnel. rejoignez-nous ! Médiacritique(s) – no 17 – octobre-décembre 2015 3
France 2 et Michel Drucker : nous sommes tous des policiers ! Le 12 juillet 2015, France 2 diffusait une émission, enregistrée le 30 juin et intitulée « Une nuit avec la police et la gendarmerie », présentant différents aspects du travail des policiers et des gendarmes, avec à la manœuvre, Michel Drucker. Une complaisante opération de mélange des genres virant à la propagande qui n’est pas la première de la part de la chaîne et de son animateur emblématique. Après les assassinats perpétrés d’abord à Charlie Hebdo le 7 janvier 2015, puis le lendemain à Montrouge et enfin le 9 janvier dans le magasin Hyper Casher de la Porte de Vincennes, les médias dominants sont unanimes : les Français aiment leur police et leur gendarmerie. De nombreuses images reprises en boucle montrent alors des manifestants leur déclarer leur « flamme », notamment lors de la manifestation parisienne du 11 janvier. C’est ce qu’entend « rappeler » le colonel de réserve de l’armée de l’air Michel Drucker1 le 12 juillet à l’antenne : « Depuis le mois de janvier, on ne verra jamais des Français qui ont jamais été aussi proches de leurs policiers et de leurs gendarmes, de leur gendarmerie ». Comment s’étonner alors qu’en plateau, le directeur général de la police nationale, Jean-Marc Falcone reprenne la même polyphonie : « Les Français ont montré qu’ils aimaient leur police Un tournage sous l’étroit contrôle du « premier flic de nationale et leur gendarmerie nationale. » France », ce qu’il confirme sans le moindre scrupule au micro de Jean-Marc Morandini le 8 juillet sur Europe 1 : « On a tourné pendant six mois, on a tourné ça depuis France 2 et le ministre le ministère de l’Intérieur, sous le patronage, sous le de l’Intérieur à l’unisson parrainage de Monsieur Cazeneuve. » Le ministère confirme Le contraire aurait été étonnant puisque la chaîne et la Place de son côté qu’il « a collaboré à la réalisation d’une émission Beauvau ont travaillé de concert. exceptionnelle sur la Police et la Gendarmerie en partenariat avec France 2, TV5 Monde et la société Froggies Media ». Si, comme le relève Michel Drucker dans le supplément Histoire que tout le monde se rappelle bien cet apport télévision de différents médias, TV Magazine du 12 au « inestimable », à la fin de l’émission, Michel Drucker en 18 juillet, le sujet – dont il était à l’origine – ne devait profite pour saluer « Cyril Guichard [porte-parole de direction porter que sur la seule gendarmerie (« En janvier dernier, générale de la gendarmerie nationale] et le Sicop [service nous avions proposé un sujet sur la gendarmerie à Thierry d’information et de communication de la police] et son chef Thuillier, alors directeur des programmes de France 2. Il avait Jérôme Bonet, toutes les équipes du ministère de l’Intérieur accepté le projet »), un événement est venu perturber la et tout spécialement Didier Gurnot et Dominique Octavie ». situation : « Cinq jours plus tard avait lieu le massacre à Charlie Hebdo… » Et « comme Bernard Cazeneuve souhaitait Mais comment refuser l’aide d’un ministre, qui avec Manuel lier police et gendarmerie, nous avons donc respecté la parité Valls et François Hollande a su « tenir la barre » après avec cinq reportages chacun. » Ce que, lors du démarrage de les terribles événements de janvier 2015, comme le très l’émission en présence du ministre, Michel Drucker confirme déférent Michel Drucker le proclame en début d’émission : implicitement : « Ce soir, la police et la gendarmerie ne vont « Vous formez avec lui [le Premier ministre] et le président faire qu’un, c’est important de le signaler ». À vos ordres, de la République un trio de choc qui a fait preuve de monsieur le ministre ! beaucoup de sang-froid » ? Le ton est ainsi donné pour… Médiacritique(s) – no 17 – octobre-décembre 2015 4
Tous policiers ! ... une intense séance de « calinothérapie » Les presque 2 heures 50 d’émission se résument en effet 2002-2015 : la liste des délits à cet exercice, le journalisme étant rangé aux vestiaires, aucune fausse note ne devant ternir ce grand moment de En plus de la célébration annuelle du défilé communion nationale derrière « nos » forces de l’ordre. militaire du 14 juillet à la gloire de « nos » forces armées, France 2 et le colonel Drucker Dès le lancement, Michel Drucker, devant les grilles de l’hôtel nous ont offert : de Beauvau qui s’ouvrent au même moment en présence de – « Une nuit sur le Charles de Gaulle » Bernard Cazeneuve, donne le ton obséquieux dont l’émission (26 déc. 2002) ne se départit jamais : « Bonsoir, décor exceptionnel pour – « Les 50 ans de la Patrouille de France » une émission exceptionnelle », avec un public tout aussi (17 mai 2003) « exceptionnel » et « trié sur le volet » – des policiers et des – « Une nuit sous les mers », à l’occasion gendarmes habillés sur leur « 31 » par « le groupe Marck qui du 45e anniversaire de la force océanique a fabriqué une partie des uniformes des forces de l’ordre ». stratégique, la composante sous-marine des Plus tard, l’animateur évoque même « cette cour magique du forces nucléaires (23 déc. 2004) ministère de l’Intérieur ». – « Au cœur de l’armée de terre » Dans un cadre évoquant un conte de fées, il se livre à une (14 juill. 2009) ritournelle de flagorneries à l’endroit des forces de l’ordre, – « En vol avec l’armée de l’air » (23 mars 2010) faisant tout d’abord « applaudir […] le ministre de l’Intérieur, – « Au cœur de la gendarmerie » (4 mai 2010) M. Bernard Cazeneuve, qui nous accueille chez lui ». Avant de – « Les stars fêtent les 15 ans du Charles le remercier… chaleureusement : « Alors merci de nous avoir de Gaulle » (1er janv. 2015) reçu chez vous, c’est une grande première […] Le ministère de l’Intérieur n’est pas un ministère comme les autres À chaque fois, le dispositif est quasiment […] Manuel Valls en a gardé un souvenir ému » ; puis les identique à celui du 12 juillet : reportages chefs administratifs de services que sont le préfet de police amoureux avec des artistes en « immersion » Bernard Boucault, les directeurs généraux de la police et de (« embedded »), qui viennent ensuite avec la gendarmerie nationales, Jean-Marc Falcone et le général des fonctionnaires converser avec l’animateur d’armée, Denis Favier, la directrice centrale de la police devant un public de collègues acquis à leur judiciaire aussi présidente d’Interpol, Mireille Balestrazzi ; cause, le tout entrecoupé de quelques chansons sans oublier, naturellement, les différents « héros » des et d’échanges avec les ministres concernés. services objets des [publi]reportages, dont certains viennent « discuter le bout du gras » avec lui, en présence des artistes N.B. : Ne sont énumérées ici que les émissions consacrées ayant partagé un peu de leur expérience. à la police, à la gendarmerie ou à l’armée, France 2 et Michel Drucker ayant aussi commis dans le même registre « A 380 : l’envol d’un géant » (le 12 juin 2005), « Les Pour qu’aucune « ligne jaune » ne puisse être franchie, pompiers. Ces hommes ces héros » (2 juillet 2005) et Michel Drucker rassure : la plupart des artistes « ont été « Une nuit dans l’espace » (le 27 mars 2012). choisis par les policiers et les gendarmes ». Leur allégeance est totale, deux s’illustrant particulièrement : la chanteuse Shy’m, qui après avoir poussé la – Daniel Auteuil (au quai des Orfèvres, également interrogé « chansonnette », exécute le salut militaro-policier en par… Michel Drucker) direction du colonel de réserve de l’armée de l’air Michel – Lætitia Milot (Garde républicaine) Drucker ; puis le gardien de la paix Gérard « Pinot simple – Laury Thilleman (brigade fluviale de Conflans flic » Jugnot, qui menace d’arrestation les téléspectateurs Sainte-Honorine) qui refuseraient de communier : « À l’époque, on n’aimait – Philippe Lellouche (brigade motocycliste de la préfecture de pas la police, aujourd’hui, il faut l’aimer. » Gar[d]e à vous ! police de Paris) Se succèdent des reportages, dans lesquels prennent place Ou parfois sans eux : les « accompagnateurs » : – sur « la sécurité lors d’une grande compétition sportive – Michel Drucker à quatre reprises (quai des Orfèvres, […] le soir d’un match de ligue des champions, le PSG […] escadron motocycliste départemental de gendarmerie de rencontrait le Barça » sécurité routière dans les Yvelines, crash du Germanwings – sur une intervention policière dans le quartier de la et peloton de gendarmerie de haute montagne de Briançon) Castellane contre « les trafiquants de drogue » – Dany Boon (RAID) – sur Police-secours (« le 17 ») avec la brigade territoriale – Richard Berry (GIGN) autonome de gendarmerie de Carry-le-Rouet – Shy’m (École de police de Sens) – Patrick Pelloux (pôle judiciaire de la gendarmerie nationale) Le point commun entre tous ces sujets ? Ils sont, évidemment, – Antoine Duléry (commissariat de police de Villeurbanne) tous aussi louangeurs. Médiacritique(s) – no 17 – octobre-décembre 2015 5
En outre, les artistes étant aussi en promotion, les numéros de VRP effectués en plateau par les comédiens Dany Boon pour Raid dingue, Alban Lenoir, Caterina Murino, Thierry Neuvic et Jean Reno pour L’Antigang rappellent une nouvelle fois que le cinéma demeure lui aussi un puissant vecteur pour façonner une bonne image de la police et de la gendarmerie auprès du grand public. Pris par son élan, Michel Drucker n’hésitera pas à réécrire l’histoire lors du lancement du « chant des partisans » que s’apprêtent à entonner « Les Stentors » : l’animateur déguise ainsi rétroactivement les policiers de des droits de l’homme de l’ONU ou France 2 et Michel Drucker : la préfecture de police de Paris en le défenseur des droits, qu’on ne les multi-récidivistes avant-garde de l’insurrection contre peut soupçonner de phobie envers l’occupant allemand (reprenant ainsi la les forces de l’ordre, les nouveaux Nous n’avons trouvé aucune trace d’une version développée sur le site de la… pouvoirs exorbitants donnés aux campagne médiatique exigeant des préfecture de police de Paris) : « Une policiers et gendarmes par la loi sanctions exemplaires pour la violation chanson de colère, c’est la chanson du sur le renseignement mettant en par la chaîne publique et son animateur film de René Clément, Paris brûle-t-il ? danger la protection des sources des vedette des dispositions de la « Charte […] Ce film relate ce qui s’est passé en journalistes, mais aussi la dégradation des antennes de France Télévisions10 », août 44, c’était la libération de Paris, des conditions de travail des policiers qui précise notamment ceci : les policiers de la préfecture se sont et gendarmes dénoncée par toutes insurgés, cette chanson méritait d’être les organisations syndicales, avec, « Les professionnels de France Télévi- chantée ce soir. » Ou comment passer comme face la plus dramatique, un sions évitent toute situation qui pour- aux oubliettes de l’histoire le rôle nombre très important de suicides 2 . rait jeter un doute sur l’impartialité de central de l’institution policière comme l’entreprise et sur son indépendance rouage essentiel de la collaboration de Il est temps alors de conclure ces par rapport aux groupes de pression, l’État français avec le régime nazi. 3 heures de communion nationale idéologiques, politiques, économiques, derrière « nos » forces de l’ordre. sociaux ou culturels […] Les profession- Devant une telle débauche d’énergie À l’approche du défilé du 14 juillet nels liés aux antennes doivent veiller militante, Bernard Cazeneuve ne où l’omniprésent Michel Drucker est à éviter toute publicité clandestine. pouvait faire autre chose que de encore une fois à la manœuvre en 2015 Les critères de la publicité clandes- remercier France 2 et son animateur. avec « une caméra sur [lui] à bord tine sont : la complaisance affichée Dans un entretien accordé au du Tigre, qui est l’hélicoptère franco- envers un produit, un service ou une supplément TV Magazine du 12 au allemand de combat », l’animateur marque ; l’absence de pluralité dans 18 juillet : « Les forces de l’ordre sont invite alors Vincent Niclo à entonner la présentation des biens, services ou très sensibles à cet hommage ». C’est l’hymne national, accompagné, cela marques ; […] l’absence de regard cri- bien le moins… va de soi, par… des policiers et des tique. Ces critères ne sont pas cumu- gendarmes. Rompez ! latifs. Il n’est pas nécessaire que tous soient réunis pour emporter la quali- Critique interdite Sans se démonter, dans l’entretien fication de « publicité clandestine », Aucune fausse note n’étant admise, accordé à Jean-Marc Morandini le un seul d’entre eux pouvant suffire […] aucune allusion n’intervient sur des 8 juillet sur Europe 1, Michel Drucker L’indépendance du journaliste est une sujets susceptibles de briser l’idylle pérore : « C’est pas une émission de condition essentielle d’une information entre les Français, leur police et leur divertissement, c’est une émission honnête et pluraliste. La crédibilité de gendarmerie : par exemple le viol profonde, avec du fond. » Pourtant, France Télévisions, et celle des profes- présumé d’une touriste canadienne et ce sans ambiguïté, le visionnage de sionnels qui travaillent pour elles, sont dans les locaux de « l’antigang » l’émission le contredit. Aucun véritable indissociables et tributaires l’une de qui vaut à deux de ses membres travail journalistique de la part de l’autre. Elles dépendent non seulement une mise en examen pour « viol en Michel Drucker, ni a fortiori de ses de la rigueur et de l’équilibre des émis- réunion », les violences policières invités, lui qui s’était pourtant promis de sions mais également du refus, par pourtant régulièrement dénoncées, y « transformer [les] artistes [prêtant leur l’entreprise et son personnel, de ce qui compris par des organisations comme notoriété à l’opération] en journalistes » pourrait donner prise à des soupçons Amnesty international, le comité (Le Parisien, 1er janvier 2015). de partialité. » Médiacritique(s) – no 17 – octobre-décembre 2015 6
Tous policiers ! Michel Drucker, servile public Lors de son entretien accordé à Jean-Marc Morandini le 8 juillet sur Europe 1, l’animateur ne tarit pas d’éloges sur ses ancien et nouveau patrons, Rémi Pflimlin et Delphine Ernotte-Cunci. Sur le premier : « Je voudrais lui rendre hommage […] Jamais les feux n’ont autant été au vert dans le service public […] Il part sur un très très bon bilan. » Sur la seconde : « Elle a un vrai charisme […], jeune, brillante, rapide […] On a beaucoup de points communs, c’est une fille de médecin, sœur de brillants diplômés, il y a beaucoup de choses que nous avons en commun ». Vous savez maintenant pourquoi Michel Drucker affiche 45 ans dans le service public de la télévision (période en cours). La servilité, c’est sa légion d’honneur à lui ; celle que lui ont épinglée les ministres de la Culture Jacques Toubon et Jean-Jacques Aillagon comme chevalier en 1994 puis officier en 2004, respectivement 10 et 20 après l’agrafage par le plus connu d’entre eux, Jack Lang, de sa première breloque de chevalier des arts et des lettres. Notons au passage que le sémillant animateur n’assure pas Promotion militaro-policière : que la promotion du ministère, mais aussi celle d’entreprises le choc des titans travaillant avec lui : « Je voudrais remercier tous ceux sans qui cette émission n’aurait pas pu voir le jour : le groupe Marck qui Il est vrai que France 2 n’est pas la seule à faire une promotion a fabriqué une partie des uniformes des forces de l’ordre, le appuyée de la police, de la gendarmerie, ou de l’armée. Lors groupe Gruau […] qui transforme une partie des véhicules de de chaque défilé du 14 juillet, TF1, mais aussi BFM TV et I télé la police et de la gendarmerie, le groupe Thalès, qui assure le notamment livrent une lutte sans merci à la chaîne financée système de commandement et d’information de la gendarmerie par la redevance pour savoir qui décrochera la médaille d’or nationale. » Bref, de la « publicité clandestine » de la plus belle du plus militairement servile. eau, contrairement aux prescriptions de la charte. Ce combat est tout aussi acharné depuis plus de vingt ans à Mais l’animateur et la chaîne n’en ont cure, cet exercice faisant travers des reportages et autres séries à la gloire de la police partie du « cahier des charges ». Ainsi, le 1er janvier 2015, comme le montre par exemple l’ouvrage de Jérome Thorel, Drucker Michel étale, à la fin de l’émission-célébration des Attentifs ensemble. L’injonction au bonheur sécuritaire 15 ans du Charles de Gaulle, une longue liste « d’industriels (La Découverte, 2013), dont nous avions publié un extrait [dont nombre de l’armement] sans qui l’émission n’aurait sur notre site. Sa conclusion conserve toute son acuité : pas pu se faire : La DCNS […], Aréva TA […], ce sont toutes des « Reportages et séries participent à une même entreprise, sociétés françaises de pointe ; Airbus […], MBDA […] Thalès la fabrique du consentement à l’ordre policier. Les séries se bien sûr […], Safran, Sagem […] et puis Dassault aviation vendent comme des reportages, et vice versa. La question évidemment, le Rafale marine est une des gloires du groupe; n’est plus de savoir si la fiction dépasse la réalité, mais si le et puis la SNCF et le groupe TGV qui étaient très présents cinéma remplace l’information. » également ». Dans son livre Les 500 émissions mythiques de la télévision Cette promotion des industriels, Michel Drucker la revendique. française, co-écrit avec Gilles Verlant, Michel Drucker se À l’occasion de son émission « A 380. L’envol d’un géant » souvient de la période, avant même la création de l’ORTF diffusée sur la chaîne publique le 12 juin 2005, on apprenait en 1964, où « l’information de l’époque, et ce, même après ainsi dans Le Parisien que « l’animateur était manifestement les événements de mai 68, [était] contrôlée et censurée très ému, en arrivant devant les caméras, en pensant à Jean- directement par le ministre de l’information Peyrefitte ». Luc Lagardère, aujourd’hui disparu. Il s’était engagé auprès Aujourd’hui, nul besoin d’un tel arsenal, l’autocensure et la de l’industriel, grand artisan de la construction de cet avion, complaisance se révélant largement aussi efficaces… de consacrer toute une émission à l’A 380 ». [1] Le 11 juillet 2013, en duplex de la base de Salon-de-Provence, La liste des émissions de Michel Drucker faisant la promotion l’animateur, parrain de la Patrouille de France depuis 1990, fait des forces de l’ordre est longue (voir encadré). Le 5 mai 2010, part aux téléspectateurs du 20 h de Pujadas de son bonheur dans un document titré « Drucker – Gendarmerie : Encore d’avoir ce statut : « Je suis colonel de réserve de l’armée de l’air, c’est mon seul diplôme, j’en suis très fier. » une coproduction », le site Arrêt sur images pointait déjà, en renvoyant à la consultation d’articles publiés par Libération, [2] 55 pour les seuls policiers selon le recensement du ministère de l’Intérieur des conditions de travail de réseau police nationale l’Obs Média ou Marianne, les liaisons dangereuses entre du 24 juin, le syndicat UNSA relève que la situation ne s’est pas l’animateur et les différentes autorités publiques pour la améliorée puisque l’on recense « le même nombre de suicides confection de différentes émissions. (22) à ce jour qu’en 2014 ». Médiacritique(s) – no 17 – octobre-décembre 2015 7
Causeur et la « terreur féministe » : un attentat contre le journalisme Qu’un journal affirme ses opinions réactionnaires, c’est bien là son droit et il n’y a pas de quoi s’en étonner ou s’en émouvoir, surtout quand il se trouve être dirigé par Élisabeth Lévy. Mais lorsqu’un « magazine » – fût-il polémique et très à droite – propose un « dossier » de trente pages sur un sujet aussi complexe et important que le féminisme, et qu’il utilise les pires procédés pour ridiculiser ce combat, la critique s’impose. Au-delà de l’idéologie qu’il véhicule, le dossier de Causeur (été 2015) consacré à la « terreur féministe » (sic) concentre, à de rares exceptions près, les pires pratiques journalistiques : caricatures, clichés, raccourcis, amalgames, refus de donner la parole à celles dont on parle, etc. Un modèle du genre donc, qui permet au magazine dirigé par Élisabeth Lévy de propager un discours empreint d’idéologie réactionnaire sous couvert d’« enquête » journalistique. Le féminisme, ce totalitarisme Malgré les précautions oratoires d’Élisabeth Lévy (« Il ne m’a pas échappé qu’il n’y avait en France ni goulag, ni KGB, ni chef suprême »), la comparaison entre féminisme et totalitarisme est effectuée dès la première page du dossier, par une certaine Lévy Élisabeth : Bien sûr, ce n’est pas le fascisme. Peut-on décréter pour autant que ça n’a rien à voir ? Rien à voir, vraiment ? Timothy Hunt, 71 ans, prix Nobel de médecine, a été obligé de démissionner de son université londonienne sous la pression hurlante des réseaux sociaux, non sans avoir fait son autocritique : un trait d’esprit – interrogé sur la présence des femmes dans les labos, il avait fait cette réponse : « Vous tombez amoureux d’elles, elles tombent amoureuses de vous, et quand vous les critiquez, elles pleurent. » Mais rien à voir, évidemment, avec le Ludvik de La Plaisanterie de Kundera, exclu du Parti, renvoyé de l’université et enrôlé de force dans l’armée pour avoir cru séduire une demoiselle avec une blague sur le régime – « L’optimisme est l’opium du genre humain ! L’esprit sain pue la connerie ! Vive Trotski ! ». Passons sur le fait qu’Élisabeth Lévy confond stalinisme1 trice de Causeur. Chacun appréciera, au sens strict du et fascisme, deux types de régimes qui, s’ils peuvent être terme, la finesse de ce qu’Élisabeth Lévy nomme un « trait rangés ensemble dans la catégorie des totalitarismes, d’esprit ». Mais pour l’apprécier à sa juste valeur, il est ne se confondent pas. Passons aussi sur la « plaisan- utile de connaître son contexte, que la journaliste oublie terie » consistant à imaginer Élisabeth Lévy défendant soigneusement de rappeler : cette subtile déclaration a en les trostkystes (réels ou imaginaires) contre l’oppression effet été prononcée au cours d’une intervention lors de stalinienne. Et venons-en à l’anecdote relatée par la direc- la Conférence mondiale des journalistes scientifiques, et Médiacritique(s) – no 17 – octobre-décembre 2015 8
Terreur féministe elle venait à l’appui d’une « proposi- dans « l’art de la délation », et tion » de Timothy Hunt : la non-mixité qui aurait recours à « tous les des laboratoires de recherche, tant moyens de l’ingénierie sociale, les femmes, qu’il considère comme et surtout […] le plus vieux : la des « pièges émotionnels », « distrai- peur ». Olivier Malnuit évoque raient » les hommes. Voilà qui va plus pour sa part un « féminisme loin, on l’avouera, qu’un simple « trait de guillotine » et même d’un d’esprit »… « féminisme d’entreprise [qui n’a] pas attendu les barbares Donc effectivement, « rien à voir » de Benghazi pour pratiquer une avec le personnage du roman de autre forme de révolution : la Kundera, puisqu’il ne s’agit pas d’une terreur ». Relevons enfin (mais « plaisanterie » adressée à une amie notre sélection est loin d’être sur une carte postale, mais d’une exhaustive) les saillies de Kevin proposition sérieuse dans le cadre Erkeletyan contre la « machine d’un colloque tout à fait sérieux. à dénoncer » et les « gardes Et surtout, puisqu’il semble néces- roses », dans un article où, saire de le préciser, « rien à voir » après l’évocation du cas d’un entre cet épisode et la redoutable communicant reconnaissant les mécanique décrite par Kundera, qui vertus des groupes dénonçant conduit Ludvik, l’auteur de la « plai- les publicités sexistes, Orwell santerie », en prison, dans un pays est de nouveau convoqué : « La où les opposants politiques n’ont pas lutte était terminée. Il avait rem- voix au chapitre. La comparaison faite porté la victoire sur lui-même. Il avec le stalinisme est non seulement aimait Big Brother. » déporté, tué ou massacré. Et, en ubuesque mais tout simplement scan- pensant aux femmes victimes des daleuse : à notre connaissance, les Mention spéciale à Benoît Raisky, multiples formes de violences qui les « féministes » n’organisent pas des qui s’adresse aux féministes en ces touchent spécifiquement, nous nous parodies de procès politiques avec termes : « Vous êtes de gauche, et, permettrons de rappeler cette formule l’appui de l’ensemble de l’appareil bien naturellement, vous vous inté- féministe pleine de bon sens : « Ce d’État, et n’ont pas ouvert de camps ressez aux deux révolutions qui ont n’est pas le féminisme qui tue, c’est le de travail dans lesquels des millions changé la face du monde. De 1789 patriarcat. » de personnes périssent de fatigue, de et 1917, vous avez pris ce qui vous a faim ou de froid. paru le meilleur. Le rasoir national, la Les dominantes guillotine des enragés hébertistes. La et les dominés Le cadre du dossier est ainsi posé, balle dans la nuque des tchékistes, et la métaphore sera filée dans l’en- vos amants virtuels. Vous détestez Le dossier de Causeur, au-delà semble des articles, avec quelques le catholicisme, et vous lui avez pris (et au moyen) de ses raccourcis variations, toujours très subtiles et ce qu’il avait de pire : l’Inquisition et et amalgames, propose en fait de jamais répétitives. Ainsi Élisabeth ses bûchers. Les Torquemada et les renverser la perspective féministe : Lévy évoque « une mécanique de Savonarole en jupon sont chez vous les rapports de domination, s’ils terreur », estimant que les fémi- légion. » Sic. existent, ne sont pas ceux qu’on nistes « menacent nos libertés », pra- croit. Le titre ainsi que l’iconographie tiquent la « délation numérique » et Quant à l’iconographie du dossier, choisie pour l’illustrer en « Une » sont des « Big Brothers en jupons ». elle accompagne avec légèreté les (une jeune femme tout sourire Eugénie Bastié s’insurge contre un envolées de ses contributeurs : on en maniant une tronçonneuse) sont « féminisme orwellien », passé maître jugera avec les deux exemples que typiques de ce discours selon lequel nous reprenons pour illustrer ce sont celles et ceux qui luttent cette page. contre les dominations sociales qui en réalité exerceraient non seulement Le terrorisme et le totalitarisme une domination mais, qui plus est, sont des sujets trop sérieux une « terreur ». pour que nous ironisions davantage sur les pitoyables En d’autres termes, les dominé-e-s amalgames de Causeur. Nous seraient en fait les dominant-e-s. nous contenterons donc de Cette théorie qui, sous couvert de signaler que contrairement « subversion » ou de « lutte contre aux régimes totalitaires et la pensée unique », a aujourd’hui au terrorisme, le féminisme le vent très en poupe, comme en n’a jamais affamé, enfermé, témoigne la place occupée par certains Médiacritique(s) – no 17 – octobre-décembre 2015 9
« spécialistes » de cette « pensée », qui s’expriment régulièrement dans les grands médias, d’Éric Zemmour à Franz-Olivier Giesbert en passant par Alain Finkielkrault, Ivan Rioufol ou Philippe Tesson, traverse le dossier de long en large. En témoignent les angles d’attaque et les thèmes des différents articles du dossier : le premier (« 30 millions d’ennemis »), fait passer les féministes pour d’horribles misandres fascistoïdes qui cherchent à dresser les hommes : « Les ligues de vertu reviennent ! Nos article). Le début de l’article suivant outre, d’évoquer les discours et les néoféministes ne rigolent pas : un (« Discret comme un réac au Québec ») actions féministes contre le viol, les homme, ça doit domestiquer son désir, emploie la même rhétorique : il s’agit violences conjugales, les discrimina- filer doux et marcher droit. Rompez ! », de faire passer pour des victimes tions salariales, ou encore le harcè- indique le chapô. Même son de cloche celles et ceux qui profitent de leur lement, alors même que ces formes dans l’en-tête du deuxième article, institutionnalisation médiatique pour de domination sont statistiquement « Cartographie du néoféminisme » : diffuser des discours réactionnaires, et documentées. « Osez le féminisme !, Les Indivisibles, de se lamenter du fait que les opinions les Femen… Une infinité de chapelles les plus nauséabondes d’Éric Zemmour Un procès sans témoin incarnent le féminisme radical du rencontrent des oppositions. Bien xxi e siècle. Si leurs dirigeantes par- évidemment, le courageux journaliste De manière plus générale, la troisième tagent en bloc la détestation du mâle dénonce la « police [féministe] caractéristique du dossier de Causeur blanc réactionnaire, elles se crêpent le des arrière-pensées ». Plus loin, est que la parole n’est jamais donnée chignon sur à peu près tout le reste… » « Allemagne, années zéro héros » fait aux associations et personnes De même l’introduction du troisième l’éloge du livre d’un essayiste selon incriminées. Un long procès à charge chapitre dénonce des femmes qui lequel la société se « féminise » et donc, sans que les accusées puissent « pratiqu[ent] le féminisme à la ser- qui regrette la « domestication de se défendre, ce qui ne manque pas pette ». L’article suivant reprend cette l’homme ». Nous ne savons pas si Alain de faire sourire (ou grincer des dents) ritournelle en dénonçant des militant- Soral a porté plainte pour plagiat. lorsque lesdites accusées sont par e-s qui veulent « éradiquer le second ailleurs taxées d’avoir des méthodes degré et la sophistication ». Le dossier, Mais pour faire des hommes les vic- dignes du totalitarisme. Il s’agit, plus interminable, continue sur le même times des femmes, les violences faites prosaïquement, de ridiculiser des registre dans « Elles voient des machos aux femmes doivent être niées. Alors militantes et des groupes sans leur partout » : « Malheur à qui s’y oppo- que le problème de l’invisibilisation donner la possibilité de répliquer, en serait. La chasse à l’homme des fémi- des viols et des violences faites aux tirant des propos de leur contexte, nistes, on n’y résiste pas. » femmes est bien connu2 , Causeur ne en raccourcissant des citations ou en trouve rien de mieux à faire que de caricaturant leur pensée. Dans un contexte où il est souvent dénoncer (sans chiffres à l’appui, bien question de terrorisme et de la sûr) le fait qu’on ne plaigne pas suffi- Ainsi, le féminisme intersectionnel, lutte qui lui est opposée, parler de samment « Pierre, Paul ou Jacques qui consistant à lutter contre les « chasse à l’homme » et de « terreur » se retrouvent en garde à vue, et parfois dominations de genre, mais aussi féministe est pour le moins « navrant » en prison, parce qu’une dame mécon- contre les dominations racistes et (pour reprendre un mot du même tente les a abusivement accusés de l’exploitation capitaliste, qui a fait viols, et qui auront perdu l’objet d’importantes élaborations leur boulot le jour où ils théoriques (politiques, philosophiques seront blanchis. » ou sociologiques), est résumé en un demi-paragraphe comme un « gloubi- Il va de soi qu’aucune boulga sociologique ». C’est tout ? C’est victime de violences tout. On a bien évidemment le droit de sexistes n’est interrogée, critiquer le féminisme intersectionnel, dans un dossier qui les mais la moindre des choses serait, pour minimise voire les nie, ce faire, d’en exposer les principaux tout en ayant recours à tenants et aboutissants… des procédés rhétoriques affirmant le contraire. Il Représentante de ce courant, Rokhaya ne sera pas question, en Diallo est, à l’image de militantes Médiacritique(s) – no 17 – octobre-décembre 2015 10
Terreur féministe d’autres courants féministes évoqués jouant sur la double acception dans ce dossier, particulièrement du terme « symbolique », des « Chantage sexuel ? Ne s’agissait-il pas, décriée, et sa pensée résumée en une violences mineures ou secon- plus simplement, de ce que l’on appelait phrase mise en exergue dans l’article : daires. Rappelons ici que le pouvoir de violence symbo- dans un passé pas si lointain la “promotion lique est, selon Pierre Bour- canapé”, échange de services entre deux dieu et Jean-Claude Passeron, parties consentantes à ce négoce ? » qui ont largement contribué à la définition et à la diffusion de cette notion, « tout pouvoir qui par- de se construire des adversaires à sa vient à imposer des significations et à mesure. Technique malheureusement les imposer comme légitimes en dissi- très répandue chez les journalistes mulant les rapports de forces qui sont aimant se transformer en petits pro- Plutôt que de faire dire à Rokhaya au fondement de sa force ». Les vio- cureurs, qui permet de fabriquer soi- Diallo ce qu’elle n’a jamais dit, Causeur lences symboliques ne sont pas moins même l’argumentation de l’adversaire aurait mieux fait de la contacter, ce discriminatoires que les violences phy- pour mieux la critiquer et, en défini- que nous avons fait tant les propos siques, avec lesquelles elles forment tive, propager un discours dégoulinant d’Eugénie Bastié, auteure de l’article un continuum. d’idéologie sous couvert d’« enquête ». sur le « néoféminisme », nous semblaient réducteurs. Rokhaya Diallo Mais il y a un autre problème : Causeur Du journalisme, ça ? nous a confirmé ne jamais avoir dit ou ment. Un mensonge par omission peut- écrit que « la femme voilée incarne le être, mais un mensonge. Il suffit de féminisme », tout simplement car… elle consulter le site d’OLF pour constater [1] La Plaisanterie de Milan Kundera ne le pense pas. que si la lutte contre les violences sym- (1967) relate l’histoire de Ludvik, un jeune boliques est l’une des facettes de l’ac- étudiant tchécoslovaque, membre du Parti communiste, qui, suite à une plaisanterie Autre exemple, l’association Osez le tivité du groupe, elle est loin d’être la (« Vive Trostky ! ») sur une carte postale féminisme ! (OLF), dont les activités se seule. En parcourant les quatre derniers adressée à une jeune femme qu’il tente réduiraient, selon Causeur, à la dénon- numéros du magazine d’OLF, nous avons de séduire, subit les foudres du régime ciation des « violences symboliques ». ainsi pu lire des articles sur la situation stalinien. Extrait : « Le féminisme médiatique des des femmes migrantes, la place des [2] Sur 75 000 viols par an en France, seuls dames d’OLF entend donc désormais femmes dans les professions hospi- 10 000 sont déclarés. Pour s’en tenir à des sources officielles, on pourra lire le Rapport lutter contre les “violences symbo- talières, les violences intra-familiales, 2012 de l’Observatoire national de la liques”. Cela va du regard d’un homme l’excision, le droit à l’IVG, la lutte contre délinquance et des réponses pénales. dans le métro à “madame la présidente” le viol3, etc. Eugénie Bastié considère-t- [3] Notons ici qu’OLF fut l’une des à l’Assemblée, en passant bien sûr par elle sérieusement que nous sommes ici associations à l’initiative de la campagne les stéréotypes dans les manuels sco- dans le domaine de la « violence sym- « Viol : la honte doit changer de camp ». laires et les jouets. » Ou encore : bolique » ? Pourquoi oublie- t-elle soigneusement de mentionner une part essen- tielle des activités d’OLF ? Parce que cela ne correspon- drait pas à son propos ? Une drôle de manièrede pratiquer le métier de journaliste… *** Loin de nous l’idée de porter un juge- Le reste du « dossier » est ment – positif ou négatif – sur l’orien- à l’avenant : raccourcis, cari- tation et les activités d’OLF. Mais catures, « oublis », petits et quelques remarques s’imposent ici, gros mensonges, etc. Une tant les propos d’Eugénie Bastié qui « enquête » qui n’en est pas prétend, rappelons-le, faire un travail une, et au cours de laquelle de journaliste, sont – à nouveau – réduc- un seul point de vue (carica- teurs. OLF lutte contre les « violences tural) s’exprime : voilà qui est symboliques » ? C’est effectivement d’autant plus gênant lorsque le cas, et il n’y a rien de déshono- l’on pose en pourfendeur de rant à cela ! Car les « violences sym- la « pensée unique ». Mais boliques » ne sont pas, contrairement de toute évidence, Causeur à ce que laisse entendre Causeur en a décidé, par ces procédés, Médiacritique(s) – no 17 – octobre-décembre 2015 11
USA : les sports féminins moins médiatisés qu’il y a vingt ans Nous publions ci-dessous un article de Cheryl Cooky, professeure associée d’études féminines, de genre et de sexualité à l’université Purdue, publié par FAIR, observatoire des médias états-uniens, le 19 juin dernier. Consacré au traitement médiatique des sports féminins, il a été traduit par nos soins. Si on vous disait que la couverture médiatique des sports féminins aux informations télévisées était moins élevée aujourd’hui qu’en 1989, le croiriez-vous ? Il ne vous viendrait pas à l’idée de répondre autrement que par la négative. 2 à 3 % de temps d’antenne Assurément, la participation des femmes et des filles dans le domaine du sport s’est accrue au cours des 25 dernières années, et nombre de ligues professionnelles féminines sont apparues depuis 1989. Il y a également eu une formidable croissance de l’intérêt et du nombre de supporters des sports féminins au cours du dernier Pourcentage des sports féminins dans la couverture médiatique des sports, 1989-2014 (Communication & Sport) quart de siècle. Malheureusement, d’après une enquête publiée récemment on s’attendrait à voir une augmentation des sujets qui les dans Communication & Sport, menée par mes collègues traitent. Et tandis que beaucoup pourraient en conclure que de l’université de Californie du Sud Mike Messner, Michela les médias d’information se contentent d’offrir au public « ce Musto et moi-même, les informations télévisées n’ont consa- dont ils ont envie », nos données suggèrent que les médias cré que 2 à 3 misérables pour cent de leur temps d’antenne d’information, via leurs commentaires et leur traitement, aux sports féminins en 2014. Et, de fait, on est en dessous contribuent à construire et entretenir des publics et des sup- des 5 % consacrés aux sports féminins en 1989. D’après nos porters de sports masculins tout en refrénant tout intérêt données sur l’année 2014, sur les 934 sujets diffusés sur pour les sports féminins. les antennes locales des chaînes de télé de Los Angeles de notre échantillon (soit plus de 12 h d’antenne), 880 étaient Les sports masculins, particulièrement les « Trois Grands » consacrés aux sports masculins (approximativement 11 h 30) (le football américain, le basket-ball et le baseball masculins et seulement 32 sujets, soit à peu près 23 minutes, aux professionnels et universitaires), continuent de monopoliser sports féminins. (Le temps restant était consacré à des le temps d’antenne, avec 75 % du total de notre échantil- sports « non genrés » tels que le marathon ou les sports lon de 2014, et ont droit de cité y compris hors saison. Par de loisirs). Les chiffres pour l’émission « SportsCenter » de exemple, les antennes locales de Los Angeles, qui travaillent la chaîne ESPN étaient du même ordre. Sur le total des 405 avec des contraintes de temps considérables (la plupart sujets de « SportsCenter » de notre échantillon (presque des sujets consacrés au sport dans les infos ne durent que 14 h), 376 traitaient les sports masculins (juste au-dessus de quelques minutes), vont souvent inclure de longues histoires 13 h) tandis que seuls 13 reportages, soit approximativement à « dimension humaine » à propos de sports masculins, tels 17 mn, parlaient de sports féminins. ce sujet de 55 secondes au sujet d’un chien errant égaré dans le Brewer’s Stadium de Milwaukee ou les 40 secondes Si l’on s’en tient aux dires d’ESPN, la diffusion de sujets consacrées à un joueur de la NBA, récemment transféré, en consacrés aux sports féminins est passée de 1 500 heures quête d’un bon burrito dans sa nouvelle ville. Notez bien que à 7 500 au cours des cinq dernières années. Pourtant, ces histoires ont été diffusées des jours où on ne traitait d’après notre étude, la couverture des sports féminins dans aucun sport féminin au cours de l’émission. l’émission « SportsCenter » est restée stable à 2 % depuis que cette émission a été ajoutée à notre enquête en 1999. Tandis que la couverture est restée faible en termes En effet, vu la formidable croissance des sports féminins, quantitatifs sur les 25 ans de la durée de l’étude, nous et de leur diffusion si l’on s’en tient aux chiffres d’ESPN, avons observé une évolution positive, une tendance qui Médiacritique(s) – no 17 – octobre-décembre 2015 12
Vous pouvez aussi lire