Messiaen / Catalogue d'oiseaux Pierre-Laurent Aimard - Dimanche 18 mars 2018 - de 6h à 22h
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Messiaen / Catalogue d’oiseaux Pierre-Laurent Aimard Dimanche 18 mars 2018 – de 6h à 22h
WEEK-END LES OISEAUX Pour certains scientifiques et certains historiens, la musique pourrait être née du désir des hommes d’imiter la voix des oiseaux, ressentie comme un véritable langage musical, au-delà de la simple émission de sons. Force est de constater que, si l’on ne peut trancher cette question, ceux que Messiaen, reprenant une image déjà utilisée au xviie siècle par le moine Paul de Montaigu notamment, appelait « les premiers musiciens du monde » ont constitué une inspiration de choix pour les compositeurs, qui se sont volon- tiers adonnés à l’évocation ou à l’imitation. De cette fréquentation plus ou moins intime, c’est effectivement Messiaen qui donna le témoignage le plus riche : « La nature, les chants d’oiseaux ! Ce sont mes passions. Ce sont aussi mes refuges. […] C’est là que réside pour moi la musique », écrivait-il en préface à son Catalogue d’oiseaux, qui réunit presque trois heures de musique évoquant rousserolle effarvatte, cho- card des Alpes ou traquet rieur – la journée du dimanche, en compagnie de Pierre-Laurent Aimard, y sera consacrée. Celui qui se définissait autant comme ornithologue que comme compositeur remplit au cours de sa vie des centaines de carnets de chants d’oiseaux notés aussi précisément que possible, un ardent enthousiasme dont ses pièces musicales sont très nom- breuses à porter la trace. Mais les petites bêtes à plumes n’ont bien sûr pas attendu le xxe siècle pour investir le champ musical. La musique baroque regorge déjà de leurs trilles et de leurs envolées, chez Vivaldi (notamment dans le Concerto pour flûte « Le Chardonneret ») ou chez Couperin, qui avaient eux-mêmes été précédés par des compositeurs comme Jacob van Eyck. Moins fréquents chez les clas- siques – mais pas absents, loin s’en faut –, ils prennent ensuite une place de choix chez les romantiques. Musique vocale, musique de chambre, musique symphonique, tous les genres les intègrent, et tous les pays les chantent. Respighi, Vaughan Williams, Saint-Saëns ou Debussy donneront tous à entendre leurs oiseaux réels ou rêvés, leurs sons de nature ou leurs histoires et fables animalières : la riche programmation de ce week-end est l’occasion de coups de projecteurs divers sur cette tendance forte de la musique savante.
WEEK-END LES OISEAUX 15H00 CONCERT SYMPHONIQUE Vendredi 16 mars OISEAUX DE FEU 20H30 CONCERT ORCHESTRE PASDELOUP ELENA SCHWARZ, DIRECTION DES CANYONS AUX ÉTOILES DAVID BISMUTH, PIANO ENSEMBLE INTERCONTEMPORAIN GUILHEM LESAFFRE, RÉCITANT ENSEMBLE OF THE LUCERNE FESTIVAL ALUMNI FERNAND DEROUSSEN, SON MATTHIAS PINTSCHER, DIRECTION Œuvres de Ralph Vaughan Williams, HIDÉKI NAGANO, PIANO Olivier Messiaen, Johannes Brahms, JEAN-CHRISTOPHE VERVOITTE, COR Einojuhani Rautavaara… SAMUEL FAVRE, XYLORIMBA GILLES DUROT, GLOCKENSPIEL 17H00 RÉCITAL ANN VERONICA JANSSENS, CRÉATION VISUELLE Œuvre d’ Olivier Messiaen NATURE ENCHANTERESSE ORCHESTRE DE CHAMBRE DE PARIS SASCHA GOETZEL, DIRECTION KARINE DESHAYES, MEZZO-SOPRANO Samedi 17 mars JULIAN PRÉGARDIEN, TÉNOR Œuvres d’ Ottorino Respighi, Robert 11H CONCERT EN FAMILLE Schumann, Claude Debussy, Charles CARNAVAL DES ANIMAUX Gounod, Ernest Chausson, Gustav Mahler, Hugo Wolf, Richard Wagner, SOLISTES DE L’ORCHESTRE NATIONAL Franz Schubert, Johannes Brahms, D’ÎLE-DE-FRANCE Edvard Grieg… CÉLINE GROUSSARD, COMÉDIENNE NICOLAS GAUDART, COMÉDIEN ÉDOUARD SIGNOLET, TEXTE ET MISE EN ESPACE Œuvres de Luciano Berio Samedi 17 mars et Camille Saint-Saëns Dimanche 18 mars 11H ET 15H SPECTACLE JEUNE PUBLIC 15H00 MUSIQUE DE CHAMBRE LE PRINTEMPS LE NID THEATER DE SPIEGEL CLAUDE LE JEUNE HELENE BRACKE, CHANT, JEU DOULCE MÉMOIRE ASTRID BOSSUYT, VIOLON, JEU DENIS RAISIN DADRE, DIRECTION, FLÛTE À BEC, HANNE DENEIRE, COMPOSITION FLÛTES COLONNES KAREL VAN RANSBEECK, STEF VETTERS, WIM VAN DE VYVER, DÉCORS 4
Dimanche 18 mars DIMANCHE DE 06H À 22H MESSIAEN / CATALOGUE DE 14H30 À 17H CONCERT-PROMENADE D’OISEAUX DANS LA FORÊT LOINTAINE PIERRE-LAURENT AIMARD, PIANO CLAUDINE ET PAUL-HENRI FLORÈS, PIANO ENSEMBLE BAROQUE ATLANTIQUE 06H CONCERT DU LEVER DE SOLEIL ÉLÈVES DU PÔLE SUPÉRIEUR PARIS BOULOGNE-BILLANCOURT 10H PROJECTION Œuvres de Couperin, Dvořák et Martinaitis DAWN CHORUS : THE SOUNDS OF SPRING 16H00 RÉCITAL ORGUE Film de Nigel Paterson HOMMAGE À OLIVIER MESSIAEN 11H30 LEÇON DE MUSIQUE VINCENT WARNIER, ORGUE PIERRE-LAURENT AIMARD, PAUL MEYER, CLARINETTE PRÉSENTATION, PIANO DAISHIN KASHIMOTO, VIOLON HENRI DEMARQUETTE, VIOLONCELLE 14H30 DÉBAT ÉRIC LE SAGE, PIANO MESSIAEN ET LES OISEAUX animé par Thomas Lacôte Œuvres d’ Olivier Messiaen avec Julian Anderson, compositeur et Peter Hill, musicologue, Jean 16H30 CONCERT SUR INSTRUMENTS DU MUSÉE Boucault et Johnny Rasse, siffleurs OISEAUX BAROQUES HUGO REYNE, FLÛTE À BEC, FLAGEOLET 16H CONCERT D’APRÈS-MIDI D’OISEAU, SERINETTE SASKIA SALEMBIER, VIOLON, CHANT 18H30 CONCERT DU COUCHER DE SOLEIL MARINA PAGLIERI, VIOLON JÉRÔME VIDALLER, VIOLONCELLE YANNICK VARLET, CLAVECIN 21H CONCERT DE LA NUIT Œuvres d’ Antonio Vivaldi, François Couperin, Jacob van Eyck… AC T IVIT É S C E W E E K- E N D SAMEDI DIMANCHE Le Lab à 11h Un dimanche en orchestre à 14h BESTIAIRE MUSICAL À PLUMES IGOR STRAVINSKI Visite-atelier du Musée à 15h LE CONCERT DES ANIMAUX E T AUS S I Enfants et familles Adultes Concerts, ateliers, activités au Musée… Ateliers, visites du Musée… 5
PROGRAMME 6H00 – LE STUDIO – PHILHARMONIE Concert du lever de soleil Olivier Messiaen Le Traquet stapazin La Bouscarle Le Traquet rieur Pierre-Laurent Aimard, piano FIN DU CONCERT (SANS ENTR ACTE) VERS 6H45. 10H00 – LE STUDIO – PHILHARMONIE Dawn Chorus – The Sounds of Spring Film de Nigel Paterson (Grande-Bretagne, 2015) FIN DE LA PROJECTION VERS 11H. 11H30 – LE STUDIO – PHILHARMONIE Pierre-Laurent Aimard, piano, présentation FIN DE LA LEÇON DE MUSIQUE VERS 12H30. 14H30 – AMPHITHÉÂTRE – CITÉ DE LA MUSIQUE Messiaen et les oiseaux Julian Anderson, compositeur Johnny Rasse, siffleur Jean Boucault, siffleur Peter Hill, musicologue LE DÉBAT EST ANIMÉ PAR THOMAS LACÔTE. FIN DU DÉBAT VERS 15H30.
16H00 – SALLE DES CONCERTS – CITÉ DE LA MUSIQUE Concert d’après-midi Olivier Messiaen La Buse variable Le Loriot L’Alouette calandrelle Le Merle bleu Pierre-Laurent Aimard, piano FIN DU CONCERT (SANS ENTR ACTE) VERS 16H50. 18H30 – ESPACE DU 3E ÉTAGE (FACE AU BAR 3 OUEST) – PHILHARMONIE Concert du coucher de soleil Olivier Messiaen Le Chocard des Alpes Le Merle de roche Le Courlis cendré Pierre-Laurent Aimard, piano FIN DU CONCERT (SANS ENTR ACTE) VERS 19H25. 21H00 – SALLE DES CONCERTS – CITÉ DE LA MUSIQUE Concert de la nuit Olivier Messiaen La Chouette hulotte L’Alouette lulu La Rousserolle effarvatte Pierre-Laurent Aimard, piano FIN DU CONCERT (SANS ENTR ACTE) VERS 21H55.
LES ŒUVRES Olivier Messiaen (1908-1992) Catalogue d’oiseaux Sept Livres. Composition : octobre 1956-1er septembre 1958. Dédicace : « À mes modèles ailés, à la pianiste Yvonne Loriod ». Création : fragmentaire, le 30 mars 1957, puis le 25 janvier 1958, Salle Gaveau, à Paris, dans le cadre des concerts du Domaine musical ; intégrale, le 15 avril 1959, toujours par Yvonne Loriod. Édition : Alphonse Leduc. Durée du recueil intégral : environ 2h30 minutes. Ce serait une erreur que de faire des chants d’oiseaux dans la musique d’Olivier Messiaen un simple prolongement de la régulière présence des volatiles dans l’histoire de la musique. Car les oiseaux ne sont pour Messiaen ni un modèle ni un matériau qu’il faudrait soumettre au déve- loppement pour peindre le tableau de la nature. Ils ne sont pas le point de départ de l’expression musicale car c’est la musique elle-même qui prétend alors se faire chant d’oiseau, « musique libre, anonyme, impro- visée pour le plaisir, pour saluer le soleil levant, pour séduire la bien- aimée, pour crier à tous que la branche et le pré sont à vous, pour arrêter toute dispute, dissension, rivalité, pour dépenser le trop-plein d’énergie qui bouillonne avec l’amour et la joie de vivre, pour trouer le temps et l’espace et faire avec ses voisins d’habitat de généreux et providentiels contrepoints, pour bercer sa fatigue et dire adieu à telle portion de vie quand descend le soir ». (« La Nature des chants d’oiseaux », Guide du Concert, 1959) N’y aurait-il donc pas dans cette musique l’idée de prêter des ailes au compositeur lui-même ? N’est-il pas oiseau celui qui, à force d’avoir noté les mélodies, capable de les reconnaître à la seule oreille, parvient à parler à ses pairs ? Loin de la métaphore ou de l’imitation, la musique revient à ses origines : « Seuls les oiseaux sont de grands artistes. Les véritables auteurs de mes pièces, ce sont eux. » Et l’écriture de la partition prend un sens nouveau lorsqu’il précise : « Ce sont mes passions. Ce sont aussi mes refuges. Dans les heures sombres, quand mon inutilité m’est brutalement révélée, quand toutes les langues musicales : 8
classiques, exotiques, antiques, modernes et ultramodernes – me sem- blent réduites au résultat admirable de patientes recherches, sans que rien derrière les notes justifie tant de travail – que faire, sinon retrouver son visage véritable, oublié quelque part dans la forêt, dans les champs, dans la montagne, au fond de la mer, au milieu des oiseaux ? » L’importance que prennent les chants d’oiseaux dans la musique de Messiaen au début des années 1950 n’est pas un hasard : elle est le fruit du profond amour pour la nature ressenti par le musicien depuis son enfance, à Grenoble, bien sûr, ou dans l’Aube, où des tantes possédaient une ferme et l’envoyaient, alors qu’il avait 14 ou 15 ans, garder un petit troupeau de vaches. C’est là d’ailleurs, selon ses propres souvenirs, qu’il a commencé ses premières notations de chants d’oiseaux. Nous pourrions aussi citer la poésie de Cécile Sauvage, sa mère : En ce silence de rêve Une voix d’oiseau Seule et divine s’élève Des bouleaux. (Fumées, 1910) Puis a eu lieu la rencontre avec l’ornithologue charentais Jacques Delamain ; elle s’est ensuivie de longues heures passées à recueillir les précieuses mélodies dans le jardin de Gardépée, puis de promenades dans la forêt de Saint-Germain-en-Laye, de passages aux marchés aux oiseaux, de voyages aussi, jusqu’au Japon, l’Amérique ou l’Australie. Partout, Messiaen note scrupuleusement, sans oublier le contexte sonore à chaque fois différent. Ainsi est-il noté, sur la partition du Catalogue : « Chants d’oiseaux des provinces de France. Chaque soliste est présenté dans son habitat, entouré de son paysage et des chants des autres oiseaux qui affectionnent la même région. » 9
Concert du lever de soleil (6h) : oiseaux-couleurs I. Le Traquet stapazin (2e Livre, IV, côte du Roussillon) II. La Bouscarle (5e Livre, IX, rivières de Charente) III. Le Traquet rieur (7e Livre, XII, côte du Roussillon) La présence des oiseaux dans l’œuvre de Messiaen est antérieure à la rencontre du compositeur et de l’ornithologue. Notamment parce que leur chant s’invite dans les Visions de l’Amen de 1943, et, dès l’année suivante, dans les Vingt Regards sur l’Enfant Jésus, bien que ce ne soient là encore que des évocations anonymes. En 1949, un morceau pour le concours de flûte du Conservatoire introduit un merle noir, source d’inspir ation logique si l’on tient compte du cadre instrumental. Et dans la Messe de la Pentecôte comme dans le Livre d’orgue, d’autres oiseaux précèdent les Oiseaux exotiques et Le Réveil des oiseaux, le Catalogue et le Vitrail. Mais il y a aussi tous ces ouvrages qui les convoquent plus ou moins discrète- ment, jusqu’à l’opéra Saint François d’Assise, qui ne peut évidemment manquer de faire entendre ceux auprès desquels le moine aimait tant prêcher. Progressivement, les oiseaux changent de place. Dans le Catalogue, le relevé d’après nature complète plus que jamais le travail sur enregistrement. De la Camargue à Ouessant ou dans l’Hérault avec l’ornithologue Lhomond, Yvonne Loriod et Olivier Messiaen écou- tent, écrivent et enregistrent tous les pépiements. Sur les portées, les dessins thématiques s’enrichissent, deviennent un matériau plus mal- léable. Surtout, les tableaux se complexifient, superposent les animaux, associent les batraciens aux volatiles, sont balayés par le souffle du vent ou par les vagues de la mer. Les oiseaux n’ayant pas exclu du langage les principes jusqu’alors déve- loppés par le compositeur, on retrouve encore l’intérêt de Messiaen pour les couleurs. Le traquet stapazin prêt à se rendre au carnaval : « beau costume de soie orange et de velours noir », non sans blanc sur la queue, dans un paysage où les vignes vertes se détachent du fond de mer. Tandis que la bouscarle se met à chanter, voici un martin-pêcheur aux « belles couleurs de myosotis, de saphir et d’émeraude », ou une bergeronnette à la tête « bleu cendré » et à la poitrine « jaune comme un bouton d’or ». 10
Les couleurs sont du ramage comme du paysage, et tandis que le traquet stapazin étage ses accords en terrasse, le traquet rieur s’agite insoucieux dans « la joie de la mer bleue ». Concert d’après-midi (16h) : oiseaux polyglottes I. La Buse variable (7e Livre, XI, Alpes du Dauphiné) II. Le Loriot (1er Livre, II, campagne de Charente) III. L’Alouette calandrelle (5e Livre, VIII, garrigues de Provence) IV. Le Merle bleu (1er Livre, III, côte du Roussillon) Trois couplets, refrains, strophes ainsi qu’introduction et coda pour La Buse variable. Forme complexe, à la mesure de ses multiples cris, trem- blements ou miaulements, alors qu’on entend déjà le croassement des corneilles qui attaquent. Les oiseaux proposent un nombre quasi infini de dessins mélodiques et rythmiques, et Messiaen lui-même confie avoir noté des centaines de solos de fauvette du jardin. Selon son vaste traité, les oiseaux utilisent aussi bien « le roulement, le trille, les batteries sur deux sons disjoints, l’arpège, le glissando, les sons liés et piqués, les neumes du plain-chant, les différents modes européens et exotiques, la tierce majeure, le quart de ton et d’autres intervalles plus petits, les permuta- tions de sons, le mouvement rétrograde, les rythmes grecs et hindous, la Klangfarbenmelodie ou la mélodie de timbres, la musique langage, la musique pure, l’imitation des bruits, et même l’improvisation collective ». Le chant du loriot : « coulé, doré, comme un rire de prince étranger évoque l’Afrique et l’Asie, ou quelque planète inconnue, remplie de lumière et d’arcs-en-ciel, remplie de sourires à la Léonard de Vinci. » À ses côtés, le rouge-queue emprunte à la métrique grecque son amphimacre, égale- ment employé par la caille dans la pièce dédiée à l’alouette calandrelle. Quant au merle bleu, on lui reconnaît un mode pentatonique, « presque exotique, rappelant les îles balinaises ». Dès les premières mesures de L’Alouette calandrelle, l’arpège majeur devient accord de septième, mais la juxtaposition des deux mains timbre cela de façon si dissonante que l’effet n’a plus rien de tonal. Idem pour la 11
grive aux côtés de la buse variable, avec ses superpositions d’accords à la limite de la bitonalité. Le Merle bleu et La Buse variable s’essaient à l’écri- ture sérielle, la seconde reprenant même la série du Chocard des Alpes. Pourquoi tant de langages ? Sans doute parce que les oiseaux ne res- pectent pas plus notre théorie et notre solfège que le tempérament égal. Concert du coucher de soleil (18h30) : histoires d’oiseaux I. Le Chocard des Alpes (1er Livre, I, Alpes du Dauphiné) II. Le Merle de roche (6e Livre, X, Hérault, chaos de rochers) III. Le Courlis cendré (7e Livre, XIII, côte du Finistère) Ordonnés en miroir autour du morceau central, les treize pièces et sept livres du Catalogue d’oiseau formeraient une grande architecture symé- trique. Mais la temporalité de la musique suivrait plutôt, selon Messiaen, « le déroulement du jour et de la nuit, le déroulement des heures […], cadre formel excellent ». Pour Le Chocard des Alpes cependant, une sorte d’alternance couplets-refrains inscrite dans la tripartition de l’ode, avec strophe, antistrophe et épode. Dans l’ordre, le majestueux décor de l’Oisans et à la montée vers les glaciers de la Meije, l’arrivée au lac et le spectacle des chocards, d’un aigle et d’un grand corbeau, puis la poursuite de la randonnée entre chaos de pierres, rochers dantesques « accumulés par les géants de la montagne », et pour finir le cirque de Bonne-Pierre, avec ses tours dignes d’une « forteresse surnaturelle ». Chaque pièce raconte une histoire ; celle du merle de roche commence au clair de lune, montre l’aube et se poursuit tout le long du jour jusqu’au crépuscule et la tombée d’une nouvelle nuit. Vingt-quatre heures concen- trées en une dizaine de minutes, qui font entendre non seulement l’oiseau principal dans toute la diversité de ses occupations, mais aussi ses congé- nères : l’ululement du grand-duc, le réveil des choucas et du rouge-queue Tithys… Messiaen compose comme il observe ; Le Merle de roche raconte la chaleur du soleil au mois de mai. Il sait pertinemment que le moment favorable est le « printemps, saison des amours », et que les heures les plus propices correspondent « au lever et ou coucher du soleil ». 12
Chaque pièce est une sorte de poème pour piano, auquel le compositeur a pris le soin de confier le programme, comme pour toutes ses autres œuvres. Toutes sont à la fois sonores et visuelles, traversent le temps et l’espace, et nous conduisent finalement jusqu’à la terre la plus occidentale de France, île d’Ouessant perdue dans l’océan, dans le prolongement de la pointe du Finistère. Là, le courlis cendré lance son chant, à l’image de la « désolation des paysages marins ». Bruits de vagues, mugissements de la sirène dans l’assourdissant vacarme du ressac sur la pointe du phare du Créac’h. Les autres oiseaux de mer répondent à l’appel : sternes, mouet- tes et goélands, sans oublier le chevalier gambette, le tournepierre ou l’huitrier-pie. Le finale du recueil est un catalogue à lui tout seul. Concert de la nuit (21h) : un monde-musique I. La Chouette hulotte (3e Livre, V, Île-de-France) II. L’Alouette lulu (3e Livre, VI, Forez, moyenne montagne) III. La Rousserolle effarvatte (4e Livre, VII, Sologne, marais) « Des vols ou plutôt des essaims d’oiseaux babillards passent en bruissant sur votre tête », écrivait Berlioz à propos de la Symphonie « Pastorale » de Beethoven, dont le deuxième mouvement faisait entendre le rossignol à la flûte, la caille au hautbois et le coucou à la clarinette. Mais l’Allemand se défendait de décrire, préférant l’expression du sentiment à la peinture, et considérant tout titre superflu pour ne s’adonner qu’à la subjectivation de la forme classique. Aussi ambigu que puisse paraître son positionne- ment, au moins ce dernier laisse-t-il le compositeur et l’auditeur maîtres de leur interprétation. La chouette hulotte aurait inspiré à Messiaen la pièce la plus marquée par cette idée de sentiment, tant il est vrai que « la voix de cet oiseau nocturne provoque la terreur […], tantôt lugubre et douloureux, tantôt vague et inquiétant (avec un tremblement étrange), tantôt vociféré dans l’épouvante comme un cri d’enfant assassiné ». Pour traduire cette étran- geté qui s’achève sur un « ululement plus lointain, semblant une cloche de l’autre monde », le sérialisme intégral : les douze sons du total chro- matique sont chacun associés à une nuance et à une durée, comme dans 13
le précédent Mode de valeur et d’intensité qui avait tant fasciné la plus jeune génération de compositeurs, mais avait effrayé Messiaen lui-même de sa propre audace et de l’extrême abstraction structurale vers laquelle il allait désormais se diriger. Comme la chouette hulotte, l’alouette lulu chante surtout la nuit, droite sur les plus fortes branches des arbres, tandis que le rossignol se met à répéter ses accords, « comme un clavecin mêlé de gong ». Le piano s’autorisant toutes sortes d’expériences timbriques – « comme des clochettes, timbre de glockenspiel » pour le chardonneret, à côté de la buse variable –, il s’essaie à toutes sortes de bruits dans la pièce centrale, la plus fascinante du cycle peut-être. Pour La Rousserolle effarvatte, un « long solo de timbre gratté, évoquant à la fois le xylophone, le bouchon qui grince, les pizzi des cordes et le glissando de la harpe, avec quelque chose de sauvage et obstiné dans le rythme qui n’existe que les oiseaux de roseaux ». La nuit encore, mais cette fois « solennelle comme une résonance de tam-tam ». Vingt-quatre heures de nouveau, comme pour Le Merle de roche. Mais ici avec tous les crisse- ments, raclements, frottements et souffles de la nature : « grillottement d’insecte » par la locustelle tachetée (trilles très serrés à distance de demi- tons dans les extrêmes aigus du piano) ; cris d’un râle d’eau (« cris de pourceau qu’on égorge ») ; « une foulque semble choquer des pierres et souffler dans une petite trompette pointée […], une grenouille agite des ossements ». On en oublierait presque l’oiseau principal, afin de capter le moindre bruit de ce monde devenu musique. Les chants d’oiseaux : « C’est là, déclarait Messiaen, que réside pour moi la musique. » François-Gildas Tual 14
LE SAVIEZ-VOUS ? Musiques d’oiseaux Du Moyen Âge à nos jours, on ne compte plus les œuvres inspirées par la gent ailée. Mais lorsqu’un compositeur s’ingénie à l’imiter, il reste toujours un écart entre la réalité et le résultat musical : il est en effet impossible de reproduire la mélodie d’un oiseau avec un instrument ou une voix, parce que son registre très aigu et son tempo très rapide outrepassent les possibilités humaines (à notre époque, il est possible de combiner des oiseaux enregistrés à des instruments, comme le fait par exemple François-Bernard Mâche dans Sopiana et Alcyone). Mais la nécessité de styliser l’oiseau stimule l’imagination du compositeur. En témoignent l’étonnant canon de Sumer is icumen in (anonyme du xiiie siècle), les joyeuses onomatopées du Chant des oiseaux de Janequin (première moitié du xvie siècle), les gazouillis virtuoses du Concerto pour flûte « Le Chardonneret » de Vivaldi, les harmonies mystérieuses de L’Oiseau prophète de Schumann, la stupéfiante polyphonie qui ouvre le Sacre du printemps de Stravinski. C’est en étudiant scientifiquement les chants d’oiseaux que Messiaen découvre un moyen de renouveler son langage au début des années 1950. Les motivations des compositeurs sont également symboliques et spi- rituelles car l’oiseau permet de renouer avec les origines et d’entrer en relation avec le divin. Chez les romantiques allemands, cette voix de la nature incarne la liberté et suscite un processus d’identification : il s’agit non d’imiter son chant mais d’exprimer les émotions liées à son évocation. Prophète chez Schumann et Wagner (Siegfried), l’oiseau sur- git parfois d’un conte (L’Oiseau de feu et Le Rossignol de Stravinski, La Conférence des oiseaux de Lévinas) ou d’un rêve (A Flock Descends into the Pentagonal Garden de Takemitsu). L’enjeu, ici, est moins de styliser son chant que de créer un univers onirique. Hélène Cao 15
LE COMPOSITEUR Olivier Messiaen dédiés. Messiaen esquisse Technique Fils de la poétesse Cécile Sauvage et de de mon langage musical, qui présente Pierre Messiaen, Olivier Messiaen crut ses modes à transposition limitée, les toujours en la bonne étoile du parrai- rythmes hindous… Ce traité sera édité nage artistique de sa mère. Dès l’âge en 1944. Au lendemain de la guerre, on de 11 ans, il entre au Conservatoire de reproche au compositeur ses commen- Paris, où il suit une formation complète taires mêlant théologie et analyse, ainsi qui durera plus de dix ans, comprenant que la nature même de sa musique. piano, accompagnement, harmonie, Roland-Manuel et Poulenc prennent sa orgue et composition. Les Préludes défense. Trois œuvres liées au thème pour piano datent de la fin de cette de l’amour voient le jour : Harawi (1945), période. En 1931, il est nommé titulaire Turangalîla-Symphonie (1948) et les Cinq de l’orgue de l’église de la Trinité à Rechants (1949). Au début des années Paris, mais échoue au prix de Rome. En 1950, Messiaen fréquente l’avant-garde 1935, il s’associe aux compositeurs de musicale, dont certains membres sont la Spirale puis fonde le groupe Jeune ses étudiants au Conservatoire : Boulez, France avec Baudrier, Daniel-Lesur Stockhausen, Xenakis. En témoignent et Jolivet. Les Poèmes pour Mi (1937) les Quatre Études de rythme pour piano chantent son amour pour la violo- (1949), mais aussi le Livre d’orgue (1952). niste Claire Delbos épousée en 1932. Son style s’infléc hit avec un travail Mobilisé au début de la Seconde Guerre approfondi sur les chants d’oiseaux, qu’il mondiale, Messiaen est fait prisonnier recueille et note après avoir rencontré et détenu au camp VIIIa de Görlitz, en l’ornithologue Jacques Delamain, Silésie. C’est là, dans des conditions établissant un gigantesque réservoir proches du dénuement, qu’il écrit le mélodique. Le Réveil des oiseaux Quatuor pour la fin du temps, qui y est (1953), Oiseaux exotiques (1956), créé le 15 janvier 1941. Libéré début Catalogue d’oiseaux (1958) illustrent mars 1941, le compositeur rejoint Vichy cette nouvelle manière. La nature au puis Paris, où il est nommé professeur sens large, découverte au cours de ses d’harmonie au Conservatoire. Parmi nombreux voyages, inspire la musique ses premiers élèves figure la jeune de Messiaen : Sept Haïkaï (1963), Des pianiste Yvonne Loriod, qui sera son canyons aux étoiles… (1974). En 1975, interprète privilégiée avant de devenir Rolf Liebermann passe commande à sa seconde épouse ; les Vingt Regards Messiaen d’un opéra : ce sera Saint pour l’Enfant Jésus (1944) lui sont François d’Assise. Messiaen en écrit 16
livret et musique, et passe plus de cinq Sa dernière œuvre achevée, Éclairs sur ans à réaliser l’orchestration de l’œuvre l’au-delà, pour grand orchestre, est créée au Palais Garnier le 28 novembre habitée de la foi profonde qui traverse 1983 sous la direction de Seiji Ozawa. tout l’œuvre du compositeur : « J’y parle Épuisé, le compositeur met un an à naturellement du Christ, qui sera la se lancer dans un nouveau projet : Le Lumière des Ressuscités : ils seront lumi- Livre du Saint-Sacrement, pour orgue. neux parce que le Christ est lumineux. » L’INTERPRÈTE Pierre-Laurent Aimard il jouera Mes siaen avec l’Aurora Figure centrale de la musique contem- Orchestra, Mozart avec l’Orchestre poraine et interprète majeur du réper- de Chambre Australien, Ravel avec le toire pianistique de toutes les époques, Philharmonia Orchestra. Il consacrera Pierre-Laurent Aimard jouit d’une bril- également un week-end entier à Ligeti. lante carrière internationale. Il a été On peut l’entendre également cette récompensé en 2017 par le prix inter- saison en récital à Tokyo, Pékin, Moscou, national Ernst von Siemens. Il se produit Saint-Pétersbourg, Paris, Vienne, régulièrement dans le monde entier Berlin et New York. Il se produit avec avec les meilleurs orchestres, sous la l’Orchestre Symphonique de Boston, direction d’Esa-Pekka Salonen, Péter l’Orchestre Symphonique Allemand Eötvös, Sir Simon Rattle ou Vladimir de Berlin, et effectue une tournée Jurowski. Que ce soit comme créateur, de concerts avec l’Orchestre Gustav directeur ou interprète, il a été accueilli Mahler des Jeunes (avec un projet lors de nombreuses résidences dans des spécial Stockhausen à Hambourg). Né cadres aussi prestigieux que Carnegie à Lyon en 1957, Pierre-Laurent Aimard Hall et le Lincoln Center de New York, le se forme au Conservatoire de Paris Konzerthaus de Vienne, la Philharmonie (CNSMDP) auprès d’Yvonne Loriod, puis E.S. 1-1083294, 1-1041550, 2-1041546, 3-1041547 - Imprimeur : BAF de Berlin, l’Opéra de Francfort, le à Londres avec Maria Curcio. Son début Festival de Lucerne, le Mozarteum de de carrière est marqué par son succès au Salzbourg, la Philharmonie de Paris, le Concours Messiaen en 1973, à l’âge de Festival de Tanglewood. Il a été direc- 16 ans, suivi de son engagement trois teur artistique du Festival d’Aldeburgh ans plus tard par Pierre Boulez comme de 2009 à 2016. Cette saison voit pour premier pianiste solo de l’Ensemble lui le début de trois années de résidence intercontemporain. Étroitement lié à au Southbank Centre de Londres : de nombreux compositeurs tels que 17
Győrgy Kurtág, Karlheinz Stockhausen, et en tête des téléchargements sur Elliott Carter, Pierre Boulez et George iTunes. Au cours des dernières années, Benjamin, sans oublier son association Pierre-Laurent Aimard se voit remettre de longue date avec Győrgy Ligeti, dont diverses récompenses – ECHO Klassik il a enregistré l’intégrale des œuvres à plusieurs reprises, Grammy Award pour piano, il a récemment donné en pour Concord Sonata and Songs d’Ives première mondiale Responses – Sweet (2005), prix d’honneur de la Critique Disorder and the Carefully Careless de discographique allemande (2009). Son Harrison Birtwistle ainsi que la dernière récent enregistrement d’œuvres de composition d’Elliott Carter, Epigrams, Murail et Benjamin avec l’Orchestre écrite pour lui et créée au Festival de la Radio Bavaroise a remporté en d’Aldeburgh en juin 2013. Que ce soit 2017 un Gramophone Award dans la comme enseignant à la Hochschule de catégorie Musique contemporaine. Il Cologne ou par les conférences et les est désormais artiste exclusif du label ateliers qu’il anime dans le monde entier, Pentatone Records. Son premier disque Pierre-Laurent Aimard appor te un sous ce label, consacré au Catalogue regard très personnel sur la musique de d’oiseaux de Messiaen, paraît ce prin- toute époque. Ancien professeur asso- temps 2018. cié au Collège de France (2008-2009), il est membre de l’Académie des beaux- arts de Bavière. Il est nommé instru- mentiste de l’année 2005 par la Royal Philharmonic Society puis par Musical America en 2007. En lien avec le Festival de piano de la Ruhr, il lance, en 2015, un projet fondateur de ressources en ligne autour de l’interprétation et de l’ensei- gnement du répertoire pianistique de Ligeti, avec la vidéo de master-classes ou de concerts de ses Études et d’autres pièces du compositeur. Pierre-Laurent Aimard fait paraître avec succès une vaste discographie. Son premier disque chez Deutsche Grammophon, L’Art de la fugue de Bach, reçoit le Diapason d’or et le Choc du Monde de la musique, classé premier au palmarès classique Billboard 18
P H I L H A R M O N I E D E PA R I S GRANDES CONFÉRENCES Lamia Ziadé Voix et visages du monde arabe Mercredi 11 avril 2018 – 18h30 SALLE DE CONFÉRENCE – PHILHARMONIE Dans ses romans graphiques, Lamia Ziadé a mis en récit les destinées audacieuses des plus belles voix du Proche-Orient arabe (Ô nuit Ô mes yeux, P.O.L., 2015). À l’occasion de l’exposition Al musiqa, une traversée en images de l’univers de la création arabe féminine des xxe et xxie siècles, en dialogue avec l’illustratrice. Retrouvez toutes les Grandes conférences dans la rubrique Culture musicale sur philharmoniedeparis.fr Photo : © JOHN FOLEY P.O.L. Entrée libre sur réservation 01 44 84 44 84 PHILHARMONIEDEPARIS.FR 19
P H I L H A R M O N I E D E PA R I S SAISON 2017-18 Piano à la Philharmonie. PIERRE-LAURENT AIMARD BRAD MEHLDAU NICHOLAS ANGELICH MURRAY PERAHIA MARTHA ARGERICH MARIA JOÃO PIRES DANIEL BARENBOIM MIKHAÏL PLETNEV RAFAŁ BLECHACZ MAURIZIO POLLINI KHATIA BUNIATISHVILI ALEXANDRE THARAUD NELSON FREIRE DANIIL TRIFONOV Photo : © W. Beaucardet - Licences ES : 1-1041550, 2-041546, 3-1041547. HÉLÈNE GRIMAUD ALEXEI VOLODIN RADU LUPU YUJA WANG… Réservez dès maintenant 01 44 84 44 84 - PHILHARMONIEDEPARIS.FR 20
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