ÉNONCÉ DE POSITION réduction des méfaits - Pour une régulation saine et responsable - AQCID

La page est créée Carole Huet
 
CONTINUER À LIRE
ÉNONCÉ DE POSITION réduction des méfaits - Pour une régulation saine et responsable - AQCID
ÉNONCÉ DE POSITION
                         réduction des méfaits
                        Pour une régulation saine et responsable
                             des substances psychoactives

                                                                   1
Énoncé de position en réduction des méfaits
AQCID - février 2020
ÉNONCÉ DE POSITION réduction des méfaits - Pour une régulation saine et responsable - AQCID
Association québécoise des centres d’intervention en dépendance (AQCID)
Énoncé de position : Pour une régulation saine et responsable
des substances psychoactives

Rédigés par :
Christina Blier, Coordonnatrice aux services cliniques, AQCID
Julien Montreuil, Président du comité permanent en réduction des méfaits

Supportés par :
Les membres du comité permanent en réduction des méfaits de l’AQCID

Révision :
Vincent Marcoux, Directeur général, AQCID
Alexandre Ratté, Directeur adjoint, AQCID

Révision linguistique épicène :
Marion Brodeur-Laperrière

Correction :
Emmanuelle Durand, Adjointe de direction, AQCID

Conception graphique :
Caren Leblanc, Coordonnatrice des communications, AQCID
Coralie Lemay, Agente à la vie associative, AQCID
TABLE DES MATIÈRES

2    INTRODUCTION

     ANGLE 1
     REVOIR LES POLITIQUES
5    SUR LES SUBSTANCES
     PSYCHOACTIVES

     ANGLE 2
     DÉPLOYER
12   L’APPROCHE DE RÉDUCTION
     DES MÉFAITS

20   RÉSUMÉ DES
     RECOMMANDATIONS

     INDEX
INTRODUCTION
Ce document est le fruit d’une réflexion              l’énoncé, contribuent à amplifier la stigmati-
concertée entre l’Association Québécoise des          sation, sont basés sur des principes moraux
centres d’intervention en dépendance ainsi            et non scientifiques et représentent une
que de groupes concernés issus du réseau              embûche majeure dans la reconnaissance
de la dépendance et de l’usage de subs-               de l’approche de réduction des méfaits.
tance. Lors de l’année 2018-2019, l’AQCID a           Dans un deuxième temps, le déploiement de
mis en place un nouveau comité permanent              l’approche de réduction des méfaits comme
en réduction des méfaits et a pu sonder ce            approche à considérer pour toute situation
dernier sur leurs préoccupations et enjeux            en lien avec l’usage de substances (dans la
vécus. De plus, le 18 avril 2019, un grand rallie-    couverture médiatique, dans le système
ment national sur la réduction des méfaits            judiciaire, ou encore en santé et en services
s’est tenu à Nicolet, à l’initiative de l’AQCID,      sociaux) constitue le deuxième enjeu phare
afin d’échanger et se mobiliser sur les grands        à prioriser. Pour chaque enjeu, une mise
enjeux développés dans cet énoncé de posi-            en contexte est proposée afin d’étaler le
tion. Des organisations communautaires et             portrait actuel de cette réalité, suivie d’une
du réseau de la santé de partout au Québec            liste de recommandations.
se sont mobilisées et leurs commentaires ont
pu alimenter le présent énoncé de position.           QU’EST-CE QUE L’AQCID?
                                                      L’AQCID est un regroupement national
                                                      représentant plus de 100 organismes
S       OBJECTIFS DE L’ÉNONCÉ                         communautaires, œuvrant au sein du réseau
             DE POSITION                              en dépendance et usage de substance.
                                                      L’AQCID constitue ainsi l’organisation la plus
    •    Consolider    les   grands   prin-           représentative du milieu des dépendances
         cipes et la philosophie de l’ap-             regroupant des organismes de réduction
         proche de réduction des méfaits;             des méfaits, des centres de prévention et
    •    Développer un langage commun,                des centres de traitement. Au cœur de ses
         rassembleur et une pensée                    valeurs et de celles de ses membres, le parte-
         commune de la réduction des                  nariat permet de fonder l’action de l’AQCID
         méfaits au sein du réseau en dépe            sur des alliés qui partagent son désir de
         dance et usage de substance.                 travailler en collaboration et en concertation
                                                      dans un souci de cohésion et de cohérence

Le présent énoncé de position s’organise              Mission
autour de deux grands enjeux centraux,                Regrouper, soutenir, mobiliser et repré-
desquels découlent selon nous les défis               senter les organismes communautaires et
en lien avec la réduction des méfaits. Dans           les organismes à but non lucratif offrant des
un premier temps, les politiques actuelles            services de prévention, de réduction des
sur les substances psychoactives (prohibi-            méfaits et de traitement de la dépendance
tion versus libre-marché), enjeu phare de             et de l’usage de substance au Québec.

                                                     Énoncé de position en réduction des méfaits

2                                                                           AQCID - février 2020
COMITÉ PERMANENT                                 personnes puissent profiter des bienfaits
EN RÉDUCTION DES MÉFAITS                         et réduire les méfaits potentiels de l’usage
Protagonistes, rôles, objectifs                  de substances, qu’elles soient légales ou
En 2018, l’AQCID a mis en place un comité        non.

                                                                                                INTRODUCTION
                                                                                                INTRO ET DÉFI-
permanent en réduction des méfaits. Ce
comité a pour mandat de réfléchir et d’agir      Au cours de la dernière décennie, la ré-
sur les enjeux rattachés à la réduction          duction des méfaits a reçu une recon-
des méfaits en lien avec le continuum de         naissance grandissante à l’échelle inter-
l’usage de substances.                           nationale. De nombreuses organisations
                                                 recommandent de placer cette approche
Le comité permanent en réduction des             au cœur des réponses nationales au VIH,
méfaits regroupe des organismes à but            à l’hépatite C et à la consommation de
non lucratif de partout au Québec adop-          substances psychoactives1. La réduction
tant dans leurs services une approche            des méfaits, ou réduction des risques,
de réduction des méfaits auprès de               c’est se positionner d’humain à humain
différentes personnes (jeunes, adultes,          en faisant preuve d’écoute, d’un regard
personnes âgées), dans différentes situa-        positif et empathique. C’est travailler à
tions de vie (marginalisation, itinérance,       mettre en valeur l’action collective, et vi-
judiciarisation, parentalité, VIH/Sida, ITSS,    ser le développement d’environnements
entre autres) et réalités d’intervention         favorables (individus, familles, réseaux
(défense de droits, travail de rue, travail du   de pairs, communautés, quartiers, col-
sexe, milieux festifs, dépannage alimen-         lectivités), équitables et renforçant le
taire, distribution de matériel, intervention    pouvoir d’agir. Adopter l’approche de ré-
de crise, hébergement transitoire, etc.).        duction des méfaits, c’est enfin travailler
                                                 à développer des conditions favorables
LA RÉDUCTION DES MÉFAITS                         à l’exercice de ses choix et au respect de
Définition                                       ses droits, en dépit d’un contexte sociétal
La réduction des méfaits est une approche        parfois peu facilitant. Adopter l’approche
basée sur une attitude bienveillante et          de réduction des méfaits, c’est rejeter
humaniste, ayant comme principe que l’hu-        tout rapport de force ou d’autorité dans
main est en mesure de faire des choix plus       l’intervention et respecter le rythme et
positifs pour sa santé lorsqu’il a accès à du    les besoins de la personne. C’est de tra-
support, de l’éducation et que son pouvoir       vailler à identifier ses propres préjugés et
d’agir est favorisé. La réduction des méfaits    défis personnels dans l’intervention afin
est une approche par et pour, c’est-à-dire       que ces derniers n’influencent pas notre
que les personnes et les communautés             travail. Enfin, c’est s’engager à défendre
concernées sont impliquées dans la défi-         les droits fondamentaux des personnes
nition de leurs besoins, moyens et objec-        avec qui nous collaborons et viser à ne
tifs de réduction des méfaits. La réduction      pas amplifier les inégalités sociales.
des méfaits, c’est travailler à ce que les

                                                                                        3
Énoncé de position en réduction des méfaits
AQCID - février 2020
GRANDS PRINCIPES DE L’APPROCHE2

    01
                    Pragmatisme
                    L’usage de substances est un phénomène universel qu’il est
                    impossible d’éliminer. L’abstinence n’est pas nécessairement
                    un indicateur de fonctionnement social et ne doit pas être visée
                    à tout prix. Il est impératif de travailler à en limiter les risques
                    plutôt que de condamner ou ignorer cette réalité.

    02
                    Humanisme
                    Les humains ont une tendance innée à vouloir se réaliser. Dans
                    l’intervention, on mise sur des stratégies comme rejoindre les
                    personnes dans leur milieu, agir dans le respect des droits et le
                    renforcement du pouvoir d’agir.

ÉVENTAIL DES INTERVENTIONS

 Travailler avec et aller
vers les personnes pour                                          Faire de la sensibilisation,
 prendre leurs besoins                                          éducation sur les pratiques
   en considération                                                  à moindre risque
                                   Réduction
                                  des méfaits

                                                              Aborder les situations et les
 Distribuer du matériel                                      personnes dans leur globalité
de consommation et de                                       et ne pas aborder seulement la
  prévention des ITSS                                               consommation

                            Faire l’analyse de substances

                                             Énoncé de position en réduction des méfaits

4                                                                   AQCID - février 2020
ANGLE 1
    REVOIR LES POLITIQUES SUR LES
    SUBSTANCES PSYCHOACTIVES
Au Canada, la Loi réglementant certaines                     De surcroît, l’avancement de la recherche
drogues et autres substances pénalise la                     scientifique dans le domaine de l’usage de
possession de certaines substances psychoac-                 substances mettant en lumière les effets délé-
tives. Le régime de répression des substances,               tères de telles mesures ne s’est pas accom-
en place depuis les années 60 (voir histo-                   pagné d’un allègement des régimes répres-
rique), nous illustre que les intentions initiales           sifs3. Ce régime de répression des substances
d’éradiquer les substances psychoactives et                  psychoactives tire son origine de mouvements
de protéger la population ont malheureuse-                   moraux et idéologiques et non de données
ment non seulement raté leur cible, mais ont                 scientifiques, tel qu’illustré dans la ligne du

                                                                                                                                  ANGLE 1
également eu d’importants effets délétères.                  temps ci-dessous.

1.1 HISTORIQUE

    Canada           Canada -1908         Canada -1911         International          Canada -1920         Canada -1923
   Avant 1908           Loi sur l’Opium  Sont ajoutées la         1920          Prohibition de             Y sont ajoutées
     Aucune loi       (animosité envers   morphine et la Convention interna- l’alcool (à partir de             l’héroïne,
 n’interdit l’usage les personnes issues    cocaïne        tionale de l’opium  1900 au Canada              la codéine et le
    de drogues         de l’immigration                     (Allemagne, USA,     Île du prince                 cannabis
                           chinoise)                        Chine, France, UK    Édouard/par
                                                          (encadre l’usage de      province)
                                                           certaines drogues)

           Canada -1969                            International -1961                                International
   La Commission d’enquête sur      Convention unique sur les stupéfiants à l’ONU.                     Années 60
   l’usage des drogues à des fins    Cette convention vise à limiter la production          Les substances psychédéliques
  non médicales conclut en 1973       et le commerce de substances interdites en               (LSD) sont utilisées pour la
      qu’il faudrait décriminaliser  établissant une liste de ces substances (quali-         recherche en santé mentale.
     la possession de marijuana.      fiées de stupéfiants). On limite alors exclusi-        Dès que les substances sont
  Marie-Andrée Bertrand, profes-    vement « aux fins médicales et scientifiques la           utilisées en consommation
  seure en Criminologie à l’Univer- production, la fabrication, l’exportation, l’impor-        récréative, elles sont inter-
   sité de Montréal se positionne tation, la distribution, le commerce, l’emploi et la       dites progressivement par les
   dès lors pour la décriminalisa-          détention des [dits] stupéfiants. »                     gouvernements.
      tion de toutes les drogues.

 International 1971             États-Unis                       Grandes conventions                     États-Unis -1988
Convention sur les subs-       Années 70-80                 internationales 1961, 1971, 1988             Convention contre
 tances psychotropes           « Guerre à la              Les États-Unis sont le maître d’œuvre          le trafic illicite des
                           drogue » aux États-Unis       (le tabac et l’alcool, dont les États-Unis        stupéfiants et
                             (Nixon et Reagan)                 sont de grands producteurs,                des substances
                                                                 résistent à la prohibition).              psychotropes

                                                                                                                    5
Énoncé de position en réduction des méfaits
AQCID - février 2020
L’ensemble des substances disponibles,                                  de la substance, en fidélisant sa clientèle
qu’elles soient légales ou non, sont régies                             (programme SAQ Inspire), et en permettant
par différents niveaux de régulation, allant                            une accessibilité accrue, la publicité et le
de la prohibition au libre-marché en passant                            marketing de la substance. Ci-dessous sont
par la régulation légale et responsable. La                             énumérés les différents modèles de poli-
révision des politiques sur les substances                              tiques pour les substances psychoactives.
est primordiale, autant pour les substances                             C’est le système de régulation légale et respon-
illégales que légales, car nous assistons pré-                          sable, juste équilibre de l’éventail des modèles,
sentement à des politiques polarisées de                                qui engendrait le moins de conséquences so-
prohibition (substances illégales), en pas-                             ciales et de santé.
sant par la régulation légale mais répressive
(cannabis), puis une régulation laxiste (ta-                            1.2 IMPACTS DES POLITIQUES
bac), voire même un libre-marché (alcool).                              ACTUELLES SUR LES DROITS
L’exemple de l’alcool est particulier en ce                             DE LA POPULATION
sens que l’État s’est calqué sur les principes                          Dès 1969, le rapport Ouimet5 stipulait que
du libre-marché pour légiférer, en bénéfi-                              « le recours au droit criminel devrait n’être
ciant financièrement de la consommation                                 utilisé que lorsque des impératifs sociaux

Tableau de l’éventail des modèles de politique sur les substances psychoactives

                                 à    interdit pour les 18 à 20 ans.

                             .

                                                                                 Fumeurs étiquettes

                                                                       Énoncé de position en réduction des méfaits

6                                                                                             AQCID - février 2020
ne peuvent en limiter l’incidence ». Dans un           des substances. Le souhait de rendre les subs-
rapport de 2014, l’ACSP6 s’est positionnée             tances moins traçables, plus faciles à exporter,
clairement en déclarant que les politiques             plus puissantes et plus rentables est indénia-
de santé publique doivent être basées sur              blement alimenté par le système de prohibi-
les principes de justice sociale, tenir compte         tion. Les substances disponibles sur le mar-
des droits de la personne et de l’équité et            ché illicite sont imprévisibles, et le régime de
être basées sur les données probantes et les           criminalisation entraîne la création constante
déterminants de la santé. Ainsi, les politiques        de nouvelles substances, ajoutant aux risques
publiques doivent en principe donner une               auxquels s’exposent les personnes qui choi-
chance égale à tous d’être en bonne santé.             sissent de consommer des substances. Selon
Utiliser le régime de prohibition et la judiciarisa-   le même rapport, 70% des nouvelles subs-
tion creuse les inégalités sociales en matière de      tances identifiées l’ont été au cours des cinq
santé et ne permet pas d’adresser, voire même          dernières années. Ces substances sont créées
amplifie les enjeux de santé publique pouvant          afin de contourner la réglementation liée aux
être associés à la consommation de substances.         substances placées sous contrôle, laissant la

                                                                                                             ANGLE 1
                                                       personne qui consomme devant des subs-
1.3 IMPACTS DU RÉGIME                                  tances de nature et de puissance inconnues,
DE PROHIBITIONS                                        donc imprévisibles. Une partie de la probléma-
SUR LES PRODUITS                                       tique de la crise des surdoses actuelle réside jus-
La Commission globale de politique en ma-              tement dans le fait que les substances retrouvées
tière de drogues, dans son rapport de 20187,           dans la rue sont non régulées8. Les personnes
déclare que la prohibition en soi tend à être          n’ont donc aucun moyen de savoir exactement
responsable de l’augmentation de la puissance          ce qu’elles consomment.

La loi d’airain de la prohibition9

           Plus la répression est forte, plus les substances deviennent puissantes.

                                                                                   (+)

                                                                                                     7
Énoncé de position en réduction des méfaits
AQCID - février 2020
1.4 IMPACTS SUR LE DROIT                              tendent à appliquer les approches les plus puni-
À LA SANTÉ                                            tives »13. L’Office des Nations unies contre la
Au cœur de la crise des surdoses, nous soute-         drogue et le crime a reconnu que la « Guerre
nons que le régime de prohibition actuel a            aux drogues » a généré des conséquences
ralenti de façon notable l’intervention. Au           négatives, notamment la « création d’un
Canada, 3200 personnes sont mortes suite              marché criminel, l’attribution des ressources,
à une surdose apparente d’opioïdes entre              pouvant être allouées en santé, au système
janvier et septembre 2018. Depuis janvier             juridique, la multiplication de nouvelles
2016, ce sont plus de 14 000 personnes10              drogues et enfin la stigmatisation et la margi-
qui ont perdu la vie suite à une surdose              nalisation des personnes qui consomment
d’opioïde au Canada. Au Québec, ce sont 543           des substances14 ». Rappelons enfin que les
personnes qui sont décédées d’une intoxica-           politiques de « Guerre aux drogues » contre-
tion suspectée aux opioïdes ou d’autres subs-         viennent aux piliers de la mission des Nations
tances entre janvier 2018 et mars 2019. L’accès       Unies : la paix, la sécurité, le développement et
à la naloxone, antidote aux opioïdes, n’est           les droits humains.
toujours pas optimal malgré un programme
de naloxone communautaire au Québec.
Pour les personnes incarcérées, il est actuelle-
ment impossible de se procurer la naloxone.                    Impacts de la prohibition
Le nombre d’organismes communautaires                        sur la personne qui consomme
autorisés à distribuer la naloxone de façon                          des substances
anonyme et confidentielle est toujours insuf-
fisant, et il nous est difficile de s’expliquer la       •    Devoir s’en remettre au marché
lenteur de ce déploiement. Enfin, malgré la Loi               illégal pour se procurer la subs-
du bon samaritain11, des craintes subsistent                  tance et donc à une substance non
quant au recours aux services d’urgence lors                  contrôlée et imprévisible;
d’une surdose par peur de la judiciarisation             •    Consommer dans des conditions
                                                              parfois à haut risque par peur
Le présent régime de prohibition des drogues,                 des représailles (consommer en
ayant comme but ultime d’engendrer un                         solitaire, dans des conditions non
« monde sans drogues », coûterait plus de                     hygiéniques, avec du matériel non
100G$ chaque année, alors que le nombre                       stérile);
de personnes consommant des drogues est                  •    Vivre des préjugés et de la stigma-
toujours estimé à 246 millions de personnes à                 tisation (se voir attribuer l’étiquette
travers le monde. Le marché illicite des drogues              de personne qui consomme des
est enfin estimé à 320G$12. Les conséquences                  substances psychoactives) et donc
de la prohibition sont largement documen-                     avoir moins recours aux services
tées et l’intérêt d’une révision des politiques               de santé et sociaux. De plus, ces
sur les substances psychoactives est avancé                   services sont, dans plusieurs cas,
par plusieurs instances de santé publique                     insuffisants, inégaux et incohérents
du pays, mais également par certaines                         avec les données scientifiques;
organisations internationales. Il s’avère que            •    Subir les conséquences de la judi-
« les pays présentant les taux les plus élevés de             ciarisation.
décès liés à l’usage de [substances] sont ceux qui

                                                     Énoncé de position en réduction des méfaits

8                                                                           AQCID - février 2020
1.5 IMPACTS SUR LE DROIT                         pour possession simple de drogues, compa-
À LA SÛRETÉ, À L’INTÉGRITÉ,                      rativement à une sous-représentativité des
À LA LIBERTÉ, À L’ÉGALITÉ                        arrestations pour trafic. Par exemple, les
En 2018, un rapport publié par la chercheure     taux d’arrestation pour possession simple ont
Susan Boyd15 a permis un éclairage complet       doublé depuis 1991, alors que les arrestations
sur le portrait de la population carcérale au    pour trafic, importation, exportation et produc-
Canada. Entre autres, ce rapport illustrait      tion ont diminué de 10% entre 2012 et 2013 et
une sur-représentativité des arrestations        de 35% de 2003 à 2013.

Quelques statistiques

                                                2017

                                                72%

                                                                                                    ANGLE 1
            90,625                          de toutes ces                     42%
          arrestations liées             arrestations étaient           de ces arrestations
            aux drogues                 liées à la possession            étaient liées à la
            ont eu lieu au                                             possession simple de
                                       simple de substances
               Canada                                                        cannabis
                                            psychoactives

Ce même rapport a permis d’illustrer une forte augmentation des arrestations pour
possession simple :

                               2 219                         8 996
                            arrestations                    arrestations
                          pour possession             pour possession simple
                        d’héroïne au Canada           de méthamphétamine
                        (contre 464 en 2010)           (contre 1 523 en 2010)

Selon Statistiques Canada, en 2013, 67% des infractions relatives aux drogues déclarées
par la police concernaient le cannabis. De ces déclarations, 80% étaient relatives à des affaires
de possession simple.

                                                                                            9
Énoncé de position en réduction des méfaits
AQCID - février 2020
RECOMMANDATIONS                                           Tel qu’exposé dans la première partie
  Une révision en profondeur des politiques                 de cet énoncé de position, le système de
  sur les substances psychoactives doit                     politiques actuel criminalisant l’usage de
  avoir lieu sans plus attendre. La mise en                 substances engendre une problématique
  place d’un système de régulation légale                   systémique de l’approvisionnement en
  et responsable des substances psychoac-                   substances, aux pratiques de consom-
  tives impliquerait la définition et l’éta-                mation, à la recherche d’aide lorsqu’une
  blissement de règles claires et de para-                  personne présente une problématique de
  mètres dans l’intérêt de la santé publique                consommation. En attendant une révision
  et selon des appuis scientifiques. Ainsi,                 des politiques permettant l’accès à des subs-
  nous considérons que le juste équilibre                   tances régulées, le soutien d’un système
  entre le marché criminel non régulé et le                 d’approvisionnement sécuritaire ainsi que
  libre-marché légal s’impose. Des règles                   des services d’analyse de substances s’im-
  comme la vente dans des lieux dési-                       posent. Nous en profitons pour rappeler
  gnés, l’interdiction de vente aux moins de                que les politiques de guerre aux drogues
  18 ans ou encore des emballages neutres                   font la guerre aux personnes qui consom-
  et sécurisés sont nécessaires et impor-                   ment des substances, et que plusieurs stra-
  tants. Le schéma ci-dessous illustre que                  tégies de réduction des méfaits ne font que
  la projection des impacts au niveau sani-                 pallier à un système qui devrait être révisé
  taire et social est la plus faible lorsque l’on           en profondeur. Les services ci-dessous
  assiste à un marché légal régulé, alors que               devraient être rendus disponibles systé-
  les dommages sont les plus importants                     matiquement par l’entremise des Centres
  lorsque les marchés ne sont pas régulés                   d’accès au matériel d’injection.
  (expliquant notamment pourquoi l’alcool
  engendre de nombreuses conséquences                                Système d’approvisionnement sécuritaire
  malgré que la substance soit légale).                              L’approche d’approvisionnement sécuri-
                                                                     taire pourrait permettre de garantir l’accès
  La régulation réduit les dommages                                  à une substance régulée et de qualité, sans
  sanitaires et sociaux               16
                                                                     égard à la classe sociale de la personne
                                                                                    qui en fait l’usage. En 2017,
                Marché                                           Marché             60% des personnes décédées
                criminel                                             légal
                non régulé                                     non régulé           d’une surdose n’étaient pas
                                                                                    des personnes consommant
                                                                                    des opioïdes, mais plutôt
(sanitaires et sociaux)

                                                                                    des stimulants contaminés
     Dommages

                                                                                    par le fentanyl17. Un système
                                                                                    d’approvisionnement sécuri-
                                                                                    taire devrait donc, toujours
                                                                                    en l’attente d’un système
                                                                                    légal et régulé de substances
                                                                                    psychoactives, inclure une
                                                                                    panoplie de substances,
                       Dépénalisation     Régulation
       Prohibition       et réduction       légale   Régulation        Accès   sans dont la cocaïne, la MDMA, la
                                                       laxiste          restriction
                         des risques     responsable                                psilocybine, entre autres.

                                                         Énoncé de position en réduction des méfaits

10                                                                              AQCID - février 2020
Services d’analyse de substances
Pour faire un choix éclairé lié à sa               OBJECTIFS DE LA MISE EN
consommation, la personne désirant                 PLACE D’UN SYSTÈME DE
faire l’usage de substances psychoactives          SUBSTANCES LÉGALES ET
peut recueillir une panoplie d’informa-            RÉGULÉ DE FAÇON SAINE
tions et mettre en place de nombreuses                ET RESPONSABLE
stratégies de réduction des méfaits. Or,
cette dernière se heurte au problème que       •   Mieux connaître et contrôler la
dans plusieurs cas, les concentrations             composition et la qualité des subs-
et compositions des substances sont                tances;
inconnues et donc imprévisibles. Il est        •   Enrayer la stigmatisation des
donc primordial, en l’attente d’un système         personnes qui consomment des
légal et régulé de façon responsable de            substances;
substances psychoactives, de permettre         •   Encourager l’accès aux services de
l’analyse des substances. Lorsque les              réduction des méfaits et d’aide psycho-
personnes procèdent à l’analyse de leur            sociale pour les gens dans le besoin ;

                                                                                             ANGLE 1
substance, elles ont ensuite la réelle         •   Traiter les substances psychoactives
possibilité de faire un choix éclairé sur          et donc leur consommation avec un
leur consommation, en choisissant, dans            langage neutre et ouvrir le dialogue
les cas où la composition ne correspond        •   Mettre fin à la judiciarisation des
pas au produit attendu, ou lorsque le              personnes qui consomment des
produit contient du fentanyl ou ses                drogues;
dérivés, de réduire leur dose, ou de ne        •   Respecter les droits humains fonda-
pas consommer en solitaire, par exemple.           mentaux;
                                               •   En cessant la répression associée à
Il est impératif que notre système politique       la criminalisation des drogues, dimi-
soit en mesure, d’une part, de donner              nuer le financement des structures
les moyens à la population de prendre              juridiques pour le rediriger vers des
soin de sa propre santé, et, d’autre part,         services et soins de santé physique
d’orienter efficacement les personnes qui          et psychosociale de qualité pour les
pourraient désirer recevoir des services           personnes qui consomment des
de santé. Il va sans dire que les personnes        substances18 ;
qui utilisent des substances psychoac-         •   Rediriger les fonds recueillis par la
tives doivent être impliquées dans le              vente des substances pour mettre
processus de révision des politiques.              en place des politiques publiques
Il est impératif que les personnes qui             en santé et services sociaux et éviter
vivront les effets des politiques mises            que cet argent alimente les marchés
en place soient incluses dans la planifi-          criminels;
cation et les processus réflexifs liés aux     •   Mettre en place un processus d’am-
politiques sur les substances psychoac-            nistie pour les personnes qui ont un
tives. Tel que mis de l’avant par l’Asso-          dossier criminel lié à la possession
ciation Québécoise pour la promotion de            simple de substances psychoactives.
la santé des personnes qui utilisent des
drogues, « Rien à notre sujet sans nous! ».
le

                                                                                        11
Énoncé de position en réduction des méfaits
AQCID - février 2020
ANGLE 2
    DÉPLOYER L’APPROCHE
    DE RÉDUCTION DES MÉFAITS
Devant les preuves de son efficacité19, nous         preuves de l’efficacité de l’approche de réduc-
statuons que l’approche de réduction des             tion des méfaits et son implantation de façon
méfaits doit être prise en considération pour        large et universelle dans le domaine de l’usage
toute intervention en lien avec l’usage de subs-     de substances.
tances. Son implantation devrait être incon-
tournable dans les programmes de formation
initiale en intervention psychosociale, dans le          EFFICACITÉ DE L’APPROCHE
réseau communautaire, le réseau de la santé             DE RÉDUCTION DES MÉFAITS21
et des services sociaux, les milieux juridiques
et correctionnels et dans le milieu médiatique.         •   Une réduction des pratiques à
Considérant que l’approche de réduction des                 risque (réduction de la fréquence
méfaits englobe des attitudes en plus des                   des injections de substances
connaissances, nous croyons que ces dernières               psychoactives) et de la transmis-
notamment la compassion, le pragmatisme,                    sion des ITSS (en particulier du VIH
l’humanisme, la bienveillance, le respect et                et de l’hépatite C) (INSPQ, 2007) ;
la protection des droits humains devraient              •   Diminution du risque de surdoses
faire partie inhérente de ces programmes de                 et du nombre de décès par
formation. Le Rapport sur le suivi mondial de               surdose, badtrip ou mauvaise
la lutte contre le sida (2018)20 met en évidence            expérience;
de nombreux exemples des bienfaits de                   •   Amélioration de l’état de santé
l’approche de réduction des méfaits. Il y est               général et de la qualité de vie
exposé que la combinaison des interventions                 des personnes faisant l’usage de
de distribution de matériel stérile et la dispo-            substances (baisse de la morbi-
nibilité des traitements par agonistes opioïdes             dité et de la mortalité associées à
contribuent à diminuer la prévalence du VIH                 la consommation de substances
sans augmenter les taux de consommation.                    psychoactives, retour facilité à
                                                            l’emploi, amélioration des rela-
Pour assurer une cohérence entre les preuves                tions sociales);
scientifiques de l’efficacité de l’approche et          •   Amélioration de l’observance du
son implantation de façon systématique, nous                traitement antirétroviral pour les
soutenons que la consommation de subs-                      personnes infectées par le VIH ;
tances doit sortir d’un cadre moral et prohi-           •   Diminution de la criminalité asso-
bitif, tel que décrit dans la première section de           ciée à l’usage de substances
cet énoncé de position. En outre, notre hypo-               psychoactives et de ses consé-
thèse est que, en partie, la stigmatisation dont            quences (frais de justice, coût des
sont la cible les personnes qui font l’usage de             incarcérations, etc.).
substances entraîne cette dissonance entre les

                                                    Énoncé de position en réduction des méfaits

12                                                                         AQCID - février 2020
2.1 LA STIGMATISATION                                   retrouvent parfois en rapport de pouvoir et
EN TRAME DE FOND                                        d’autorité et leurs interventions ont un impact
La stigmatisation se définit comme : « les              important sur les personnes.
croyances et attitudes négatives à propos d’un
groupe de personnes du fait de leur situation           Exemples de langage26
personnelle. Elle inclut la discrimination, les pré-     abus de drogues         consommation de substances
                                                                                       psychoactives
jugés, les jugements, l’exclusion et l’application
de stéréotypes ainsi que d’étiquettes négatives22                                  personne qui consomme/
                                                              drogué                 utilise des substances
». Les personnes qui vivent de la stigmatisation                                          psychoactives
en viennent parfois à s’auto stigmatiser, c’est-à-         toxicomane/            personne qui présente une
                                                                                  problématique liée à l’usage
dire à internaliser les perceptions sociales à leur        addict/accro                 de substances
égard et croire que ces étiquettes et opinions          drogue/stupéfiant/          substance psychoactive
négatives sont méritées et justifiées23).                  narcotique
                                                          ex-toxicomane           personne en rétablissement
La guerre aux «drogues» (voire la guerre aux per-
sonnes qui font l’usage de drogues) engendre et         L’utilisation d’un langage stigmatisant dans
exacerbe plusieurs des conséquences associées           la couverture médiatique à l’endroit des per-
à l’usage de substances (notons la judiciarisa-         sonnes qui utilisent des substances contribue
tion, l’exclusion sociale, l’accès inégal à des soins   à limiter la recherche d’aide et à l’internalisation
de santé et services sociaux), est en soi discrimi-     des préjugés. Suite à la tenue d’une journée
natoire et va à l’encontre des droits humains.          organisée par l’AQCID pour discuter de l’im-

                                                                                                                 ANGLE 2
Or, la Charte des droits et libertés devrait avoir      portance des enjeux discutés dans ce présent
préséance sur tous les autres traités24. L’usage        énoncé de position, la couverture médiatique
de substances est souvent perçu à tort et unila-        reçue pour l’événement regroupait les titres
téralement inacceptable, voire même criminel,           « Les drogues dures font des ravages28», et « Pré-
encourageant la généralisation envers les per-          venir les ravages de la drogue29», entre autres,
sonnes qui consomment des substances.                   alors que la journée discutait justement de l’im-
                                                        pact de ce genre de propos. Nous estimons que
Or, l’usage de substance est un comportement,           la perception sociale empreinte de généralisation
une stratégie pour répondre à différents besoins        et de préjugés des personnes qui consomment
et est donc lié à la santé et aux choix individuels     des substances est un frein principal au déploie-
et non à la criminalité en soi. Pourtant, les per-      ment de services efficaces, universels et de qua-
sonnes qui consomment des substances psy-               lité, que ce soit dans le domaine de la santé et
choactives sont souvent perçues de façon néga-          services sociaux, en éducation, ou encore dans
tive et se font attribuer une panoplie d’étiquettes.    les milieux festifs. De plus, la stigmatisation est
Les personnes œuvrant dans ce milieu ne sont            un frein à la recherche d’aide et au rétablisse-
pas à l’abri de tels préjugés et toutes devraient       ment30. La prohibition et les mesures de répression
procéder à une réflexion quant aux attentes et          tendent enfin à affecter davantage les personnes
croyances à l’égard de la consommation et des           combinant plus d’un facteur de vulnérabilité dans le
personnes qui consomment des substances.                contexte social actuel (par exemple être une femme,
De plus, le langage utilisé et les préjugés chez        appartenir à la communauté LGBTQ2+, s’identifier
les professionnels de la santé ont un impact            comme une personne racisée, vivre sous le seuil
sur la qualité des soins offerts25. N’oublions pas      de revenu viable, l’incarcération, entre autres31 qui
que les spécialistes du domaine de la santé se          vivent souvent déjà de la stigmatisation.

                                                                                                           13
Énoncé de position en réduction des méfaits
AQCID - février 2020
Recommandations                                   des grands centres (plusieurs médecins
• Les institutions doivent se doter de            refusent de le prescrire, pour de multiples
  politiques claires dans le but de pros-         raisons33), les services disponibles sont
  crire les comportements et propos stig-         parfois cadrés dans une structure oppres-
  matisants à l’interne;                          sante et restrictive. Les personnes ne sont
• Le langage à la première personne (ne           parfois reçues qu’à partir d’une demande
  pas réduire quelqu’un à un comporte-            pour cesser l’usage. Dans certains cas,
  ment) doit être adopté en tout temps;           les personnes sont maintenues dans un
• Les efforts doivent être multipliés pour        système de “privilèges” ou sont exclues
  sensibiliser les médias, les spécialistes       des programmes de traitement pour
  et la population générale à l’impact            avoir consommé. Nous croyons que les
  du langage utilisé pour désigner les            préjugés dont font l’objet les personnes
  personnes qui utilisent des substances          qui consomment des substances affectent
  psychoactives;                                  négativement la qualité des soins et
• Les services en réduction des méfaits           services auxquels elles ont accès. Encore
  doivent être identifiés de façon systé-         aujourd’hui, les personnes qui consom-
  matique dans les campagnes de sensi-            ment des substances sont souvent perçues
  bilisation grand public.                        comme responsables de leurs probléma-
                                                  tiques de santé34.
2.2 UN ACCÈS RESTREINT
À DES SERVICES DE SANTÉ                           Recommandations
DE QUALITÉ                                        • Mettre un terme au système de « privi-
Tel que reconnu en 2017 par 12 agences des          lèges », non appuyés de façon suffi-
Nations Unies, les personnes qui utilisent des      sante35 par des études scientifiques et
substances psychoactives font l’objet d’un          permettre aux personnes d’accéder à
niveau élevé de stigmatisation et de discri-        leur prescription de façon modulable
mination dans leur accès aux services de            et adaptée à leurs besoins;
santé32. Concrètement, les personnes qui          • Revoir le concept de « salle d’attente »
utilisent des substances font toujours face         pour salle « d’accueil »;
à des critères restrictifs dans leur accès        • Mettre un terme à l’utilisation des tests
aux soins, notamment le traitement par              urinaires comme mesure de contrôle,
agoniste opioïdes*. En plus d’être diffi-           tel que spécifié dans les recommanda-
cilement accessible surtout en dehors               tions du CRISM;

   * Le traitement par agonistes opioïdes (TAO) est une thérapie efficace contre la dépen-
   dance aux opioïdes comme l’héroïne, l’oxycodone, l’hydromorphone (Dilaudid), le
   fentanyl et le Percocet. Les personnes qui reçoivent un TAO prennent de la méthadone
   (Methadose) ou de la buprénorphine (Suboxone), des agonistes des opioïdes. Ces médi-
   caments empêchent le sevrage et réduisent les états de manque d’opioïdes. Le TAO
   aide les personnes qui ont une dépendance aux opioïdes à se stabiliser et à réduire les
   méfaits liés à leur usage de drogue. (Camh)

                                                 Énoncé de position en réduction des méfaits

14                                                                      AQCID - février 2020
•   Offrir des services à haut seuil d’adap-      et au VHC (45%) sont élevés chez les déte-
    tabilité et bas seuil d’exigences, c’est-à-   nues autochtones. De façon générale, les
    dire des services flexibles, centrés sur      taux de VIH seraient 10 fois plus élevés chez
    les besoins des personnes, dépourvus          les personnes incarcérées et les taux de VHC
    de jugements moraux, par et pour les          30 fois plus élevés que pour la population
    personnes qui utiliseront ces services;       générale38. Or, malgré les preuves liées à
•   Que le personnel infirmier praticien          l’effet positif des programmes d’échanges
    spécialisé en soins de première ligne         de seringues en prison rapportées par de
    (IPSPL) puisse prescrire les traitements      nombreuses organisations (ASPC, OMS,
    par agonistes des opioïdes;                   ONUSIDA, ONUDC, AMC, Commission
•   Impliquer les personnes ayant un vécu         canadienne des droits de la personne),
    en lien avec la consommation de subs-         ces programmes ne sont pas disponibles
    tances psychoactives dans le dévelop-         dans les prisons provinciales au Québec.
    pement, la mise en place et le déploie-       Nous savons pourtant que l’incarcération
    ment des programmes liés à l’usage            est un important facteur de risque pour le
    de substances;                                partage de matériel, mettant la personne
•   Offrir des services en lien avec l’usage      à risque pour le VIH, le virus de l’hépatite C
    de substances permettant de main-             et plusieurs types d’infections, les femmes
    tenir une consommation selon les              et les personnes autochtones étant encore
    désirs de la personne;                        plus à risque39. En Ontario plus spécifique-
                                                  ment, entre 2006 et 2013, une surdose sur
2.3 DES SERVICES INSUFFISANTS

                                                                                                   ANGLE 2
                                                  10 a touché les personnes incarcérées dans
AU SEIN DU SYSTÈME JURIDIQUE                      l’année suivant leur libération40.
ET DES MILIEUX CARCÉRAUX
Aborder la consommation de substances en          Recommandations
judiciarisant les personnes qui consomment        • Éviter l’incarcération pour des com-
contribue à amplifier les conséquences de           portements liés à la possession ou la
la consommation. En milieu carcéral, les            consommation de substances psy-
services en réduction des méfaits sont              choactives;
clairement insuffisants et des mesures            • Mettre en œuvre des programmes de
doivent être prises immédiatement, car              réduction des méfaits en milieu car-
la population carcérale est un groupe               céral en collaboration avec les orga-
particulièrement à risque pendant l’incar-          nismes communautaires;
cération, mais aussi post-incarcération.          • Rendre disponibles des outils liés à la
Dans une étude de Service correctionnel             réduction des méfaits en prévision de
Canada (2007), il a été estimé que 17%              la sortie du milieu carcéral (libération
des hommes et 14% des femmes s’étaient              conditionnelle/libération);
injecté des substances pendant leur incar-        • Établir et maintenir des modes de com-
cération36. La moitié de ces personnes              munication continue entre les pro-
ont également déclaré avoir « partagé du            grammes de réduction des méfaits et
matériel d’injection, y compris avec des            les autorités policières.
personnes atteintes du VIH ou du VHC37
». Des données alarmantes rapportent de
plus que les taux d’infection au VIH (6,03%)

                                                                                          15
Énoncé de position en réduction des méfaits
AQCID - février 2020
2.4 UN RÉSEAU COMMUNAUTAIRE                             formation initiale (travail social, sexo-
INSUFFISAMMENT SOUTENU                                  logie, psychologie, éducation spécia-
L’action communautaire au Québec, tout                  lisée, psychoéducation, droit, services
comme l’approche de réduction des méfaits,              correctionnels, police, soins infirmiers,
tire son origine de mouvements sociaux. Le              médecine, administration publique,
milieu communautaire vise à engager les                 journalisme, etc.)).
personnes concernées, à favoriser leur pou-
voir d’agir et à les impliquer dans la réflexion    2.5 DÉPLOIEMENT
et les actions. Il est également important de       DES ACTIONS LIÉES À LA
prendre en considération que les individus          RÉDUCTION DES MÉFAITS
ont parfois un vécu traumatique et négatif en
lien avec le réseau de la santé et les institu-     2.5.1 DAVANTAGE DE SITES DE
tions en général. Le milieu communautaire           CONSOMMATION SUPERVISÉE
doit par conséquent être considéré comme            Au Canada, on compte actuellement 46
un partenaire ayant une approche complé-            sites de consommation supervisée, situés
mentaire à celle du réseau de la santé. Dans        exclusivement en Alberta, au Québec,
le domaine de l’usage de substances, les mi-        en Colombie-Britannique et en Ontario.
lieux communautaires travaillent en étroite         Depuis 2017, quatre sites sont disponibles
collaboration avec les équipes de recherche         au Québec, pour l’instant centralisés à
dans le domaine, emploient un personnel             Montréal. La région de Québec, en dépit
formé et habileté, et sont donc spécialistes        d’un travail de longue haleine ces dernières
de leur secteur d’intervention au même              années, peine encore à obtenir son site
titre que le réseau public. Le milieu com-          de consommation supervisée, devant des
munautaire utilise des approches différentes,       nombreux défis, notamment d’accepta-
novatrices, flexibles et davantage basées sur       bilité publique. Les instances gouverne-
l’implication des personnes ayant recours aux       mentales et du réseau de la santé doivent
services. Cette diversité permet de varier l’ap-    donc procéder à une analyse des obstacles
proche de services pour les individus.              rencontrés et travailler à y remédier. Disso-
                                                    cier ces démarches du cadre politique et d’ac-
Recommandations                                     ceptabilité publique : c’est une question de
• Bonifier le financement à la mission              santé.
  des organisations communautaires qui              En 2017 seulement, il est estimé que 3,996
  travaillent directement dans les milieux          surdoses mortelles auraient pu être évitées
  de vie des personnes concernées;                  si des changements majeurs au niveau des
• Inclure le milieu communautaire en tant           politiques avaient eu lieu. Parmi ces décès.
  qu’acteur à part entière dans les plans           93% étaient accidentels. Depuis 2016, au
  d’action gouvernementaux;                         Canada, près de 14 000 personnes sont
• Respecter l’autonomie des groupes                 décédées d’une surdose d’opioïdes (acci-
  communautaires;                                   dentelle dans 94% des cas), le fentanyl
• Mettre en place des collaborations                étant identifié dans 73% des cas.
  systématiques entre les milieux commu-
  nautaires et les milieux d’enseignement           En plus de sites de consommation super-
  et de recherche pour faciliter le trans-          visée, qui sont en soi également de sites
  fert des connaissances (programmes de             de prévention des surdoses, de nombreux

                                                   Énoncé de position en réduction des méfaits

16                                                                        AQCID - février 2020
sites de prévention des surdoses ont été         •   Permettre aux organismes de déposer
mis sur pied partout au Canada. Ces sites,           des demandes conjointes et d’ouvrir des
souvent de style « pop-up », sont mis en             sites satellites sans avoir à déposer de
place de façon temporaire pour donner                nouvelles demandes d’exemption;
accès plus facilement à une supervision, du      •   Permettre la mise en place sans restric-
matériel de consommation et un soutien               tion de sites de prévention des surdoses
psychologique. Le processus d’approbation            dans les milieux communautaires faisant
de ces sites est en théorie facilité, justifié       de la réduction des méfaits;
par le caractère urgent du service. Or, les      •   Faciliter l’analyse de substances pour
embûches se multiplient pour les orga-               toute initiative de prévention et réduc-
nismes communautaires souhaitant mettre              tion des méfaits liée à l’usage de subs-
sur pied un site de consommation super-              tances.
visée41 et la lourdeur du processus empêche
d’agir de façon autonome, et ce, le plus rapi-   2.5.2 DES SERVICES INTERVENTION
dement possible en réponse aux besoins           EN MILIEU FESTIF
criants des communautés. Les bienfaits           Les milieux festifs de tous horizons au
de ces centres sont pourtant documentés          Québec n’ont aucune obligation de mettre
: en Colombie-Britannique seulement, les         en place des stratégies de réduction des
sites de prévention des surdoses, en combi-      méfaits dans l’organisation et le déploie-
naison avec d’autres stratégies comme la         ment des initiatives festives (bars, clubs,
distribution de naloxone, ont permis de          afterhours, événements récurrents tels

                                                                                                     ANGLE 2
sauver environ 4700 vies42.                      que les festivals, entre autres). Or, la colla-
                                                 boration entre les responsables de l’orga-
Recommandations                                  nisation,propriétaires et les organismes
• Faciliter le processus d’ouverture des         de réduction des méfaits est primordiale43.
   sites de consommation supervisée;             D’autre part, des pratiques de sensibilisation
• Mettre en place des initiatives gouver-        doivent être menées auprès des municipa-
   nementales pour faciliter l’acceptabilité     lités, corps policiers et services de sécurité
   sociale de ces initiatives;                   concernant les pratiques de saisie et d’inter-
• Permettre aux personnes ayant un vécu          diction de consommation sur les lieux festifs.
   en lien avec l’usage de substances et au      Si les gens ne peuvent recourir à la subs-
   personnel des sites de consommation           tance qu’ils se sont procurée d’une source
   supervisée d’assister l’injection ;           qu’ils connaissent, ils se la procureront sur
• Revoir la typologie utilisée pour              place de sources à plus haut risque. Fermer
   remplacer Site de consommation super-         les yeux sur cette réalité met les personnes
   visée par un terme plus neutre tel que        fréquentant les festivals et autres milieux
   Site de prévention pour l’usage de subs-      festifs à risque, alors qu’il est en leur pouvoir
   tances;                                       de mettre en place des pratiques de réduc-
• Encourager le développement d’une              tion des méfaits qui peuvent être réalisées
   variété de modèles de SCS adaptés             pour l’ensemble de ces milieux (affichage,
   aux communautés (SCS mobiles, pour            publicité, aires sécuritaires, fournitures de
   femmes seulement, autonomie complète          toilettes, ombre, eau potable, distribution
   des organismes communautaires, éven-          de matériel de consommation, analyse de
   tail plus large de substances autorisées);    substances, entre autres).

                                                                                            17
Énoncé de position en réduction des méfaits
AQCID - février 2020
Vous pouvez aussi lire