Note relative au budget 2020 du ministère de la Culture
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Note relative au budget 2020 du ministère de la Culture Contribution USEP-SV pour audition à la Commission des Affaires culturelles et de l’Éducation de l’Assemblée Nationale L’annonce d’un budget du ministère de la Culture faussement en hausse est un signal qui n’échappe à personne d’un peu attentif. Nul ne saurait se satisfaire par ailleurs de l’argument tendant à faire croire que l’effort budgétaire est d’abord supporté par l’audiovisuel public. Son affaiblissement nous inquiète, car au-delà de la simple solidarité, ce secteur est également essentiel à l’épanouissement de la création artistique sous toutes ses formes. De plus l’audiovisuel public est et doit rester un formidable outil au service de la démocratisation culturelle et de l’émancipation du citoyen. Sa fragilisation ne peut que retenir notre attention et vous le comprendrez aisément. Nous l’avions indiqué dès l’an dernier à l’issue de l’adoption des crédits du ministère de la Culture ; 2020 était la dernière année utile pour marquer une ambition politique nouvelle en faveur de l’art et de la création au service des citoyens de notre pays. Au mitan du quinquennat, et alors que 2019 a été une année de secousses politiques et sociales majeures, où le constat du sentiment d’injustice territoriale a été dénoncé par tous - et dont la culture n’est pas absente - le budget ne marque aucun tournant lisible. L’argutie budgétaire de la contrainte de la dette a sauté devant les revendications des gilets jaunes. Face aux 10 milliards de dépenses sociales nouvelles, puis aux 9 milliards annoncés de baisse fiscale, il a été impossible au ministre de la Culture d’obtenir seulement 200 millions d’euros dès cette année, pour redonner le souffle et la base dont les acteurs culturels ont besoin pour servir l’ambition d’émancipation largement présente dans le discours politique du Président de la République. La mission récemment confiée par le Premier ministre à la députée Aurore Bergé ne peut plus faire illusion. L’USEP-SV s’adresse solennellement à la représentation nationale. Il est en effet urgent, avant qu’il ne soit trop tard, que les députés et les sénateurs interpellent l’exécutif sur l’ambition culturelle de notre pays et sur les moyens qu’il y consacre, après 10 années d’atonie budgétaire qui ont des conséquences visibles pour nos concitoyens : des saisons qui se rétrécissent, des festivals qui se meurent, des équipes artistiques et des créateurs qui se précarisent davantage chaque jour, des collectivités territoriales qui se désinvestissent des politiques culturelles ou parfois, hélas, les instrumentalisent. La politique culturelle de l’État doit rester un phare qui guide dans le lointain mais aussi être le garant d’une affirmation politique en faveur des arts et des artistes au quotidien. La démission budgétaire constitue un affaiblissement durable des structures culturelles publiques. L’USEP-SV rappelle également que la politique culturelle ne se juge pas seulement à l’aune du budget du ministère de la Culture, mais également d’autres ministères : ministère de la Cohésion des territoires (politique de la ville), ministère de l’Intérieur, ministère de l’Éducation nationale, ministère de l’Europe et des Affaires étrangères, ministère de la Justice, ministère de la Santé, etc. Cet éclatement des politiques et leur manque de coopération nuit à l’ambition culturelle et diffuse des pratiques administratives pesantes, parfois absurdes, qu’il est urgent de corriger en redonnant au ministère de la Culture toute sa place dans la coordination des politiques publiques de la culture. 1
L’USEP-SV s’inquiète par ailleurs des réformes structurelles annoncées par le ministre et qui n’ont fait l’objet d’aucune concertation sérieuse préalable avec les organisations représentatives que nous sommes. Le Conseil National des Professions du Spectacle n’a, à ce jour, été saisi d’aucun débat sur les réformes présentées par Monsieur Riester : le renforcement de la déconcentration, la création annoncée d’une nouvelle direction centrale, l’affaiblissement à craindre de la DGCA, sont autant de points d’inquiétude dès lors qu’un travail sérieux et approfondi, n’est pas engagé. Nous avions déjà largement relayé nos inquiétudes au moment de la fuite du document de travail relatif à la réforme de l’action publique à horizon 2022, inquiétudes aujourd’hui confirmées par ce qui est à l’œuvre. L’affirmation d’un ministère de la Culture renforcé dans les territoires, objectif que nous comprenons et partageons, ne doit pas signifier de façon simultanée, l’affaiblissement de l’impulsion politique nationale dont les directions centrales sont par définition en charge. Nous nous inquiétons solennellement de l’échéance annoncée de ces réformes au 1er janvier 2020, alors qu’à ce jour, aucun échange n’a été organisé ni par le cabinet, ni par l’administration centrale. Lors de son audition à l’Assemblée nationale par la rapporteure Madame Valérie Bazin-Malgras, l’USEP-SV a plus particulièrement attiré l’attention des député.e.s sur plusieurs aspects du projet de loi de finances, présenté par le ministre de la Culture, le 27 septembre dernier : - Nous avons rappelé avec insistance que les collectivités territoriales restent en France, les premiers financeurs de la culture, de la création, de la diffusion et de la transmission. La perte de plus en plus grande de l’autonomie financière des collectivités – et notamment des communes avec la suppression de la taxe d’habitation – impactera lourdement l’avenir de la culture. Le réseau des scènes publiques soutenues par les collectivités, les scènes conventionnées, les opéras, comme nombre de festivals, de compagnies, d’ensembles musicaux, de centres de création, reposent d’abord sur l’engagement des villes, des agglomérations, des départements et des régions. Les labels nationaux sont également, et de façon majoritaire, soutenus par ces mêmes collectivités. Notre inquiétude est réelle de voir se déliter, au fil des ans et des majorités nationales successives, les budgets des collectivités qui ont beau jeu, dans un second temps, de réduire leurs dépenses culturelles puisque soumises à des contraintes réelles imposées par l’État. Nous attirons donc l’attention des parlementaires sur l’enjeu que représente la partie recette de la loi de finances et des garanties fondamentales à apporter pour les budgets des collectivités territoriales. Les élections municipales de 2020 constitueront un moment décisif pour réarmer l’argumentaire de la culture à l’échelle locale. Il n’est pas de politique culturelle sans le soutien décisif des collectivités. Il n’est donc pas de service public en général et culturel en particulier, avec une remise en cause permanente de la légitimité de l’impôt. L’USEP-SV réaffirme par ailleurs la nécessaire concertation et co-construction de la politique publique culturelle entre l’État, les collectivités et les professionnels. - Les moyens dédiés à la création (programme 131) sont annoncés pour le spectacle vivant en baisse de 1,2 millions d’euros, même après transferts (704,5 millions d’euros en 2019 vs. 703,3 millions d’euros en 2020), alors que l’on attendait une reprise en main de ce programme par le nouveau ministre. « Mettre les artistes au centre » implique de soutenir la création « d’abord », agir pour la transmission, l’éducation artistique et l’action culturelle aussi ! Cet engagement n’est pas tenu et génère inévitablement de la méfiance. C’est le modèle culturel français qui est attaqué par cette décision, tandis que des millions d’euros sont affectés à des actions que nous contestons (cf. Infra). o Les labels nationaux sont exsangues et revendiquent à tout le moins, au regard de la multiplicité de leurs missions et engagements, un rattrapage du coût de la vie. 2
o Les équipes artistiques, quelles qu’elles soient (compagnies de théâtres, de cirque, de danse, de marionnettes, ensemble musicaux, orchestres), doivent faire l’objet d’une politique beaucoup plus offensive et moins malthusienne. Elles sont les seules à pouvoir résoudre l’équation culturelle territoriale. Cette ambition est absente alors qu’on espérait une politique d’expérimentation telle qu’annoncée par le ministre lors du CNPS plénier de juin dernier. o Les scènes publiques locales, hors label, en particulier les scènes conventionnées d’intérêt national sont encore les oubliées de la politique culturelle alors qu’elles sont le premier niveau de la proximité, sur l’ensemble du territoire, et qu’elles agissent au cœur du projet décentralisé national : le soutien aux artistes, la création des œuvres, l’émergence et la rencontre avec la population. o Nous ne comprenons pas, dès lors, que le ministre puisse revendiquer dans ses déclarations une hausse des budgets consacrés aux résidences, dans un budget dédié à la création en baisse. o Les festivals, pour lesquels une mission permanente était lancée il y a moins de deux ans ne font l’objet d’aucune politique dédiée, alors même qu’ils jouent un rôle structurant pour les territoires et la création artistique. o Nous déplorons également la non-reconnaissance du label « Marionnette » qui devait être accordé et nous nous inquiétons de la contradiction de ce budget avec les annonces récentes du ministre à Charleville-Mézières (parlant d’un abondement des moyens en sa faveur). o Nous dénonçons, enfin, une nouvelle fois, le déploiement de moyens excessifs sur le projet de la cité du théâtre : alors que l’enjeu majeur devrait être de redéployer des moyens vers les actions en région, cet équipement culturel parisien supplémentaire contribuera à creuser encore davantage l’écart entre les moyens consacrés aux grands équipements culturels en Île-de-France et en région, que l’ancienne ministre de la Culture, Madame Nyssen, avait eu le courage de chiffrer et de dénoncer. o Le transfert des crédits du FONPEPS du programme 224 au programme 131 peut apparaître comme une mesure technique. Pour autant, cette ligne dotée de 12 millions d’euros en 2019 en Crédits de Paiement, seulement augmentée de 5 millions d’euros en 2020 (alors que le nouveau décret a amplifié à juste titre certains dispositifs), dans un programme en baisse, constitue d’évidence un affaiblissement supplémentaire du programme 131. Nous nous inquiétons réellement de cette mesure, de cette ligne insuffisamment dotée et de ses conséquences sur l’emploi dans notre secteur. - Les crédits dédiés à la transmission (programme 224) sont, eux aussi annoncés à la baisse dans les tableaux budgétaires pour certains programmes emblématiques comme l’action culturelle à l’internationale ou le soutien aux établissements d’enseignement supérieur. Nous notons, par contre, l’augmentation de l’action 2 - Soutien à la démocratisation et à l’éducation artistique et culturelle, passant de 192,3 millions d’euros en 2019 à 198,4 millions d’euros en 2020, soit +3% dont nous espérons qu’elle ne concerne pas que le Pass Culture. Cette baisse de crédits du programme 224 est un deuxième mauvais signal, en totale contradiction avec les annonces politiques du ministre de la Culture. On ne peut pas se réjouir d’un niveau de financement en valeur absolue quand celui-ci est en baisse relative ! Nous considérons cependant que la réforme évoquée de transférer la gestion de ce programme à une direction ad hoc, plutôt qu’au Secrétariat Général, répond à une préoccupation largement étayée. Nous souhaitons être associés et consultés sur cette réforme, notamment pour que les modalités d’utilisation de ces crédits liés à la transmission prennent en considération les contraintes des opérateurs culturels que nous représentons. 3
o Le Pass culture : Le financement public de ce projet présidentiel largement contesté dans sa philosophie par les professionnels du secteur subventionné, reste un problème sérieux. Dans le cadre d’un budget général en baisse, l’augmentation annoncée de 10 millions d’euros de cette action au détriment de tous les projets structurels du ministère, inquiète. L’inscription d’un budget de 39 millions d’euros (contre 36 millions d’euros en 2019) ne correspond pas à la hausse annoncée ; pour autant, le Président de la SAS Pass Culture que nous avons rencontré la semaine dernière, nous a indiqué qu’à peine 1 million d’euros avait été consommé en dépenses culturelles, ce qui interroge sur la réalité de la consommation budgétaire du différentiel. Il nous a également précisé, en contradiction avec tout ce qui avait été annoncé, que le financement serait exclusivement public, jusqu’à la fin de la phase expérimentale, dont l’échéance n’est pas connue. Nous vous demandons, sur ce projet, de rendre public les évaluations de la phase expérimentale que le gouvernement doit vous adresser sous peu. Le parlement est légitime pour débattre de ce projet, voire d’organiser la concertation pour entendre l’ensemble des professionnels. o Les Micro-folies : L’affirmation politique de réaliser 1000 Micro-folies d’ici deux ans constitue une nouvelle fois, un projet à contre sens de son objet même. La lutte contre l’exclusion culturelle ne peut consister à éloigner les publics des œuvres elles-mêmes, ce à quoi, de fait, opèrent les micro folies. L’augmentation budgétaire de 3 millions d’euros, la pression politique exercée sur les collectivités territoriales, et l’absence de budgets dédiés pour le fonctionnement, affaiblira l’action des collectivités locales. Nous alertons les parlementaires sur les risques réels d’affaiblissement des moyens des collectivités du fait de ce programme. Nous alertons sur le contre sens qu’il y a à mettre des crédits nouveaux sur ce projet et à réduire, en même temps, les crédits dédiés à la création. o Le Centre National de la Musique : La montée en puissance progressive du CNM constitue une approche réaliste au regard du calendrier de travail et de mise en œuvre opérationnelle. Au-delà des réserves maintes fois exprimées par l’USEP-SV sur le CNM, sa gouvernance et ses futurs dispositifs d’aides, son rôle dans le maintien de la diversité musicale et la régulation des phénomènes de concentration, nous nous inquiétons d’un budget qui ne bénéficie pas d’abondements externes au ministère de la Culture (donc ampute encore un peu les marges structurelles de l’action culturelle publique) ni de ressources extra budgétaires comme cela avait été initialement envisagé. Cette situation place le futur établissement public dans une situation de contrainte dès sa constitution. Les 7,5 millions d’euros pour 2020, sans une annonce pluriannuelle garantie, donnent le sentiment d’un engagement public a minima, alors que le chiffrage de la mission Bois-Cariou, estimait les besoins à 20 millions d’euros. Par ailleurs, l’appel à nouveau formulé par le ministre à l’augmentation des contributions des organismes de gestion collective (OGC) révèle la faiblesse de l’engagement de l’État. o La réforme du mécénat : qui ne relève pas des crédits de la mission culture - constitue une autre menace qui pourrait affaiblir encore un peu plus l’édifice artistique et culturel de notre pays. Il est tout de même singulier d’observer qu’alors que l’État ne cesse de pousser les opérateurs culturels à la diversification de leurs ressources, le Gouvernement envisage de remettre en cause les logiques qui ont fondé le mécénat. Nous, représentants du spectacle vivant subventionné pour lesquels l’intérêt général doit être assuré par un financement public prédominant, nous inquiétons cependant d’une fragilisation de ces dispositifs utiles à certains de nos adhérents. 4
Pour conclure, l’USEP-SV remercie la rapporteure d’avoir bien voulu les auditionner (ce qui n’avait pas été possible en 2018). Le budget du ministère de la Culture, pour les parties qui nous concernent, opère des choix inquiétants, tous à la baisse ! Nous revendiquons, depuis plusieurs années, d’être acteurs de la refondation de la politique culturelle. Nous pensons que celle-ci ne peut émerger que des opérateurs culturels et des artistes eux-mêmes. Nous pensons que la crise des gilets jaunes avait rendu évidente la nécessité d’investir les territoires délaissés et de repenser les équilibres territoriaux. Au lieu de cela, le tabou budgétaire demeure. Les projets verticaux sont tous à la hausse, et les actions mises en œuvre par les acteurs de la décentralisation culturelle, sont tous à la baisse. Nous exprimons une vive déception sur ce projet de budget pour 2020, alors même que le ministre de la Culture nous avait laissé quelques espoirs. Budget malthusien par excellence, il reste en dessous de toute ambition réelle. Nous regrettons que le Président de la République, depuis son élection, n’ait jamais consenti ni à exprimer sa vision de la politique culturelle, ni à prendre le temps d’une concertation avec nos organisations. Nous espérons que vous saurez entendre nos réflexions constructives et profondément réformistes, et œuvrer pour que la majorité parlementaire prenne conscience que l’appel à l’émancipation par la culture ne peut pas se concevoir dans une approche centralisée fondée sur des projets hors territoire. Nous continuons de demander une hausse minimum réelle du budget de la culture de 200 millions d’euros, soit 600 millions d’euros d’ici la fin du quinquennat. Ces crédits devraient servir à renforcer le soutien des opérateurs de la décentralisation, à développer la présence des artistes sur tout le territoire, et à soutenir les formes effectives d’innovation dont nous sommes les porteurs. Ces objectifs seront exclusivement au service de nos concitoyens. Comme l’air que l’on respire, quand la culture s’éloigne, on finit par s’étouffer. 5
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