NUIT, UN MUR, DEUX HOMMES - FICHE PEDAGOGIQUE - au Théâtre d'Auxerre
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FICHE PEDAGOGIQUE NUIT, UN MUR, DEUX HOMMES De Daniel Keene / par la compagnie Roquetta Fiche réalisée par Marion Diederich, professeure missionnée au service éducatif du Théâtre d’Auxerre - scène conventionnée d’intérêt national Le Théâtre d’Auxerre – scène conventionnée d’intérêt national 54 rue Joubert – 89000 Auxerre téléphone 03 86 72 24 24 accueil@auxerreletheatre.com / www.auxerreletheatre.com / janvier 2020 1/ 11
Texte Daniel Keene Éditions Théâtrales, in Pièces courtes 2 Traduction Séverine Magois Mise en scène Fanny Malterre et Rainer Sievert Collaboration artistique Laurent Caillon Avec Jean-Christophe Allais, Jean-Yves Duparc et Manuel Langevin Costumes Delphine Capossela Scénographie et lumière Wilfried Schick Musique Manuel Langevin Photographie Valérie Moinet durée 1h 15 production Compagnie Roquetta Coproduction Le Théâtre d’Auxerre, scène conventionnée partenaire Conservatoire Nadia et Lili Boulanger - Est Ensemble, Noisy-le-Sec Créé le mardi 4 février 2020 au Théâtre d’Auxerre – scène conventionnée d’intérêt national. Production Cie Roquetta avec le soutien du Théâtre d’Auxerre – scène conventionnée d’intérêt national SOMMAIRE Le spectacle page 3 La pièce page 3 Texte et langue - Scène 1 page 4 Mise en scène et musique page 5 Daniel Keene page 5 La Compagnie Roquetta page 5 Préparer la venue au spectacle page 6 À partir des photographies de Valérie Moinet page 6 Écriture théâtrale page 6 À partir des répliques page 7 Après le spectacle page 8 Se remémorer… page 8 Faire des liens page 9 au théâtre avec d’autres arts 2/ 11
LE SPECTACLE La pièce « Deux hommes se rencontrent, proche d'un mur, la nuit. Pas toutes les nuits, mais souvent. Ils partagent de la nourriture, de l'alcool, des histoires et des souvenirs. »1 nuit, un mur, deux hommes est une pièce écrite par Daniel Keene publiée en 2007 dans le recueil Pièces courtes 2 aux éditions Théâtrales. En dix-sept scènes, elle raconte les rencontres régulières de Syd et Moe, deux clochards, la nuit, au pied du même mur. Des dialogues hachés, dans une langue lapidaire, évoquent le quotidien et le passé des deux hommes, de façon à la fois crue et poétique, ancrés dans le réel mais empreints d’universel. La pièce peut s’inscrire, pour des collégiens de 3e et des lycéens, dans l’étude du théâtre contemporain, en lien avec l’écriture de Beckett ou Nathalie Sarraute, ou dans l’étude de la représentation du monde contemporain dans les arts. 1 Notes de Rainer Sievert 3/ 11
Texte et langue - Scène 1 1 nuit un mur deux hommes MOE.- T'as eu droit à quelque chose? SYD.- Pas grand-chose MOE.- T'as essayé les Sœurs de la Miséricorde? SYD.- J'ai essayé là-bas j'ai eu droit à une pomme MOE.- J'en ai eu deux-trois de leurs pommes SYD.- Je préfère les pommes rouges MOE.- C'est quoi qu'elles t'ont donné ? La lecture de la première scène SYD.- Une pomme verte une pomme à cuire peut permettre de mettre en avant MOE.- J'aime les pommes un peu acides plusieurs éléments SYD.- Je l'ai déjà mangée caractéristiques de la pièce et de pause l'écriture de Keene : MOE.- J'ai vu Frank là-bas à la gare SYD.- Comment il est? - l'absence de ponctuation, MOE.- Il est remal hormis les points d'interrogation, SYD.- Il était bien la semaine dernière - le rythme haché, les MOE.- Il avait l'air bien mais il était mal enchaînements brusques, pause ellipses, sous-entendus SYD.- T'as quel âge ? - la langue dépouillée, familière, MOE.- Je sais plus cinquante pourquoi ? - l'ironie SYD. C'est mon anniversaire aujourd'hui MOE.- Mes vœux les plus sincères SYD.- Enfin je crois c'est par là un de ces jours en novembre MOE.- T'as quel âge ? SYD.- Je sais plus cinquante MOE.- T'en fais soixante-dix SYD.- Toi pareil pause MOE.- J'en ai vu des choses SYD.- Sans blague pause MOE.- Tu as eu droit à autre chose? SYD.- J'ai eu droit à de la soupe à la Fraternité pause MOE.- J'en ai vu des choses SYD.- Moi pareil 4/ 11
Mise en scène et musique La mise en scène de Fanny Malterre et Rainer Sievert s’appuie sur la lecture présentée en octobre 2018 au théâtre d’Auxerre lors d’un Midi au Théâtre, déjà accompagnée par le musicien Manuel Langevin. Elle s'appuie sur le travail déjà effectué par les comédiens Jean-Christophe Allais et Jean-Yves Duparc à cette occasion. La pièce de Daniel Keene est constituée de plusieurs rencontres entre Syd et Moe, étalées sur plusieurs nuits. Ce temps sera condensé dans le spectacle en une seule nuit, la musique de Manuel Langevin accompagnant et reliant les scènes entre elles. La scène sera divisée en trois espaces : l'espace des personnages, au pied du mur, celui du musicien, et un troisième « espace-temps imaginaire » qui « évoquera la vie derrière ce mur, concrète ou rêvée. »2 Daniel Keene Né en 1955 à Melbourne (Australie), il écrit pour le théâtre, le cinéma et la radio depuis 1979, après avoir été brièvement comédien puis metteur en scène. Cofondateur et rédacteur de la revue littéraire Masthead, il a également traduit l’œuvre poétique de Giuseppe Ungaretti. De 1997 à 2002, Daniel Keene a travaillé en étroite collaboration avec la metteuse en scène Ariette Taylor. Ensemble ils ont fondé le Keene/Taylor Theatre Project qui a créé trois de ses pièces longues et une trentaine de ses pièces courtes (dont six ont été reprises au Festival de Sydney 2000). Il a par ailleurs noué une fidèle relation de travail avec le réalisateur australien Alkinos Tsilimidos qui a porté à l’écran Silent Partner (2000), Tom White (scénario original – Festival international du film de Melbourne, 2004) et Low (sous le titre EM 4 Jay, 2006). Au-delà de l’Australie, ses pièces ont été jouées à New York, Pékin, Berlin, Tokyo, Lisbonne… Nombre d’entre elles ont été distinguées par d’importants prix dramatiques et littéraires. https://www.editionstheatrales.fr/auteurs/daniel-keene-69.html La Compagnie Roquetta « Il n’est que de passer la tête, un jour d’hiver, par la grosse porte de bois qui ferme la cour du festival d’Avignon, pour saisir qu’au théâtre aussi les hommes sont seuls et qu’ils peuvent tout.» Roland Barthes « Depuis sa création en 2003, notre compagnie travaille avec tous les textes d’hier et d’aujourd’hui qui disent notre monde, mais aussi avec des formes théâtrales dénuées de paroles qui le signifient tout autant. Nos spectacles visent tous les publics et portent la même marque de fabrique : la recherche de formes d’expression propres à donner vie sur scène et à trifouiller l’imaginaire sous toutes ses latitudes... Nos comptons avec les auteurs vivants. L’audace de leurs écritures nous jette sur la brèche du monde ; elle nous encourage à réévaluer sans cesse notre travail devant le public. Natacha de Pontcharra – Les Ratés, Israël Horovitz – Á bout de couple et maintenant Daniel Keene, sont le gage de notre capacité à nous renouveler. Leurs risques sont aussi les nôtres. Enfin, la compagnie Roquetta pousse les murs de lieux insolites, tels que les Archives Départementales, les musées, les chapelles... Rencontres imprévues, autres regards, captation aventureuse, façons du masque défient l’émotion, la déplacent et la mettent en parenthèses là où elle n’était pas attendue.3 » 2 Notes de Rainer Sievert 3 roquetta.com 5/ 11
PREPARER LA VENUE AU SPECTACLE À partir des photographies de Valérie Moinet Hypothèses de lecture Quel mur ? Quels hommes ? Écriture : intégrer la scène représentée dans un récit. Comment sont-ils arrivés là ? Chaque élève travaillera sur une des trois photographies. Relever à la lecture des textes écrits les points communs entre les récits. Écriture théâtrale Exercice de réduction proposé par Florence Monvailler dans le dossier sur « La Petite trilogie Keene », disponible sur le site du Théâtre d'Auxerre : Adapter l'exercice pour nuit, un mur, deux hommes, à partir de la didascalie initiale : Faire le portrait de deux personnages (âge, métier / activité, caractère, niveau de langue ? …) et imaginer le dialogue qui suivra la didascalie « nuit, un mur, deux hommes ». Après la première phase d'écriture, réduire chaque réplique au minimum, à quelques mots essentiels. Les autres élèves doivent essayer de reconstituer le portrait initial des personnages à partir du dialogue. 6/ 11
À partir des répliques Dans un travail de mise en voix d'extraits courts, rechercher différents rythmes dans le dialogue, faire des propositions pour combler les pauses. Les extraits peuvent être le support d’exercices de mise en voix, en variant intentions, rythme ou hauteur de voix. 9 7 MOE.- C'est très banal MOE.- C'est quand la dernière fois que t'as fait un repas ? SYD.- Quoi donc ? SYD.- Un repas ? MOE.- Ce genre de chose MOE.- Un vrai repas SYD.- T'es docteur ? pause MOE.- Non SYD.- Noël à l'Armée du Salut de la soupe et puis du poulet SYD.- Je te dis je suis malade je suis malade du cœur en sauce avec patates MOE.- Ça va putain j'ai entendu potiron et petits pois du pain beurré pour accompagner suivi SYD.- Des docteurs mon petit j'en ai vu ils m'ont regardé de par des œufs au lait et haut en bas ils me sont une espèce de gâteau mousseux et puis de la crème si on rentrés par tous les bouts voulait une tasse de thé ou MOE.- Ne m'appelle pas mon petit de cordial saveur des tropiques je crois bien que c'était SYD.- Comment t'aimerais que je t'appelle? MOE.-T'es pas obligé de m'appeler du tout si? pourquoi tu devrais m'appeler quelque chose ? SYD.- Sois pas con MOE.- Sois pas con toi-même 3 5 MOE.- Je pouvais sentir l'odeur il est en train de pourrir tu MOE.- Je devrais être mort à l'heure qu'il est je te dis dirais un truc sorti de SYD.- Peut-être que t'es mort ça se pourrait que ça soit la vie l'Âge des Ténèbres putain d'après SYD.- L'âge des quoi ? MOE- Je suis au ciel ou de l'autre côté ? MOE.- L'histoire une période de l'histoire SYD.- C'est dur à dire c'est les deux pareils SYD.- Ne me parle pas d'histoire l'histoire ça me connaît MOE.- J'ai tourné le coin de la rue l'autre jour et je me suis MOE.- Mon cul que ça te connaît t'es jamais allé à l'école vu dans une vitrine j'ai vu SYD.- Pas besoin d'aller à l'école pour apprendre l'histoire de quoi j'ai l'air quand est-ce que je vais me réveiller? je me suis dit je dois rêver là je connais mon visage c'était pas mon visage regarde c'est pas mon visage ça pause 4 Moe, seul MOE.- Y a plus rien maintenant nulle part où trouver de l'aide y a pas d'aide il reste plus de miséricorde y a rien sur quoi compter y a plus rien y a de la charité y a un peu de charité un peu de pitié juste assez pour qu'ils se sentent quittes ceux qui la donnent ceux qui la ressentent j'ai pas de charité j'ai pas de pitié pas d'espoirs l'espoir est tout parti de moi j'en avais dans le temps j'avais de l'espoir de la charité de la pitié j'avais des rêves j'ai plus rien maintenant je suis comme tous les autres pause Au bord de la rivière au bout de la route au bout des quais à la gare à l'aide sociale au fond du putain de trou 8 Éteins les lumières mon trésor tout est fini tout ce qu'on pensait ne jamais prendre fin tout ce qu'on a appris tout ce qu'on savait tout ce qu'on souhaitait tout ce qu'on demandait dans nos prières et nos suppliques c'est parti y a pas d'os à tomber de la table pas une miette pas une pelure pas un pépin ils nous cracheront même pas dessus maintenant ceux-là qui sont en train de manger ils nous cracheront même pas dessus pause Vieux je suis pas vieux je suis pas en train de mourir pas en train de mourir vite je m’accroche et je sais pas pourquoi je sais comment mais je sais pas pourquoi À partir des propositions faites, faire des hypothèses sur les deux hommes. Prolonger ce travail de projection par l'écriture de dialogues qui intègrent ces répliques. 7/ 11
APRES LE SPECTACLE Se remémorer... Daniel Keene recrée un univers derrière le mur, plante un décor à la fois réaliste et flou par l’évocation plus ou moins précise d’anecdotes, de souvenirs racontés par les deux personnages. Associer les différents personnages évoqués dans les dialogues entre Syd et Moe aux répliques qui les concernent. Les allers retours entre souvenirs du passé et présent sont incessants : retrouver à quel temps correspond chaque personnage. Quels aspects, quelles souffrances de leurs vies sont évoquées ? • « il m'a dit tu vois donc pas mec que j'ai pas de lait dans mon biberon j'ai faim Frank • et je suis claqué mec » La femme de l’Armée du salut • « Elle a avalé un poison de la mort-aux-rats ou une • saloperie de ce genre qu'est-ce qu'un connard est allé donner un putain de poison à un petit chien comme l’enfant ça ? » • Les sœurs de la Miséricorde • « Il est remal » • • « C’était y a des années elle m’écoutait jamais » ‘Tite Noire • • « J’ai essayé là-bas j’ai eu droit à une pomme » La femme de Syd • « ce vieux tas d’os elle en pinçait pour moi » • Retrouver les différents registres de la pièce mis en avant par le texte ou le jeu des comédiens. Travail sur la mise en scène Retrouver la fonction des différents espaces, réfléchir au rôle du mur en l’associant aux autres éléments de décor. 8/ 11
Faire des liens Au théâtre – tragédies du langage [...]Hamm bouge. Il bâille sous le mouchoir. Il ôte le mouchoir de son visage. H.1 - Écoute,je voulais te demander... C'est un peu pour ça Teint très rouge. Lunettes noires. que je suis venu... je voudrais savoir... que s'est-il passé? Qu'est-ce que tu as HAMM. — À — (bâillements) — à moi. (Un temps.) De jouer. (Il contre moi? tient à bout de bras le mouchoir ouvert devant lui.) Vieux linge ! (Il ôte ses H.2 - Mais rien... Pourquoi ? lunettes, s'essuie les yeux, le visage, essuie les lunettes, les remet, plie H.1 - Oh,je ne sais pas... Il me semble que tu t'éloignes... tu soigneusement le mouchoir et le met délicatement dans la poche du haut de sa ne fais plus robe de chambre. Il s'éclaircit la gorge, joint les bouts des doigts.) Peut-il y a jamais signe... il faut toujours que ce soit moi... — (bâillements) — y avoir misère plus... plus haute que la H.2 - Tu sais bien : je prends rarement l'initiative, j'ai peur de mienne ? Sans doute. Autrefois. Mais aujourd'hui ? (Un temps.) déranger. Mon père ? (Un temps.) Ma mère ? (Un temps.) Mon... chien ? H. 1. - Mais pas avec moi? Tu sais que je te le dirais... Nous (Un temps.) Oh je veux bien qu'ils souffrent autant que de tels n'en sommes tout êtres peuvent souffrir. Mais est-ce dire que nos souffrances se de même pas là... Non, je sens qu'il y a quelque chose... valent ? Sans doute. (Un temps.) Non, tout est a — (bâillements) H.2.- Mais que veux-tu qu'il y ait ? — bsolu, (fier) plus on est grand et plus on est plein. (Un temps. H.1.- C'est justement ce que je me demande. J'ai beau Morne.) Et plus on est vide. (Il renifle.) Clov ! (Un temps.) Non, je chercher... jamais... suis seul. (Un temps.) Quels rêves — avec un s ! Ces forêts ! (Un depuis tant d'années... il n'y a jamais rien eu entre nous... temps.) Assez, il est temps que cela finisse, dans le refuge aussi. rien dont je me souvienne... (Un temps.) Et cependant j'hésite, j'hésite à... à finir. Oui, c'est H.2.- Moi, par contre, il y a des choses que je n'oublie pas. bien ça, il est temps que cela finisse et cependant j'hésite Tu as toujours été encore à — (bâillements) — à finir. (Bâillements.) Oh là là, qu'est- très chic... il y a eu des circonstances... ce que je tiens, je ferais mieux d'aller me coucher. (Il donne un H.1.- 0h qu'est-ce que c'est? Toi aussi, tu as toujours été coup de sifflet. Entre Clov aussitôt. Il s'arrête à côté du fauteuil.) Tu parfait... un ami sûr... Tu te souviens comme on attendrissait empestes l'air ! (Un temps.) Prépare-moi, je vais me coucher. ta mère?... H.2.- 0ui, pauvre maman... Elle t'aimait bien... elle me disait: Fin de partie, Samuel Beckett, 1957, extrait de la scène « Ah lui, au moins, c'est un vrai copain, tu pourras toujours d'exposition compter sur lui. » C'est ce que j'ai fait, d'ailleurs. H.1.- Alors? H.2, hausse les épaules. -...Alors... que veux-tu que je te dise! Pour un oui ou pour un non, Nathalie Sarraute, 1982 Les élèves pourront comparer dans ces pièces le travail sur la langue, l’utilisation des silences et non-dits ainsi que les relations qui se créent entre les personnages. 9/ 11
Avec d’autres arts La comparaison avec des supports artistiques variés autour du thème de l’exclusion sociale peut s'avérer fructueuse pour dégager les spécificités de l'écriture de Daniel Keene et réfléchir aux rapports entre l'art et le réel. Par la volonté de faire naître la poésie d’un langage dépouillé et sobre, par l’ancrage éminemment réaliste de la pièce, les rapprochements qui suivent pourront conduire les élèves à une réflexion approfondie sur différents langages artistiques. « La Grasse matinée », Jacques Prévert Il est terrible ces pâtés ces bouteilles ces conserves le petit bruit de l’œuf dur cassé sur un comptoir poissons morts protégés par les boîtes d'étain boîtes protégées par les vitres il est terrible ce bruit vitres protégées par les flics quand il remue dans la mémoire de l'homme qui a flics protégés par la crainte faim que de barricades pour six malheureuses sardines... elle est terrible aussi la tête de l'homme Un peu plus loin le bistro la tête de l'homme qui a faim café-crème et croissants chauds quand il se regarde à six heures du matin l'homme titube dans la glace du grand magasin et dans l'intérieur de sa tête une tête couleur de poussière un brouillard de mots ce n'est pas sa tête pourtant qu'il regarde un brouillard de mots dans la vitrine de chez Potin sardines à manger il s'en fout de sa tête l'homme œuf dur café-crème il n'y pense pas café arrosé rhum il songe café-crème il imagine une autre tête café-crème une tête de veau par exemple café-crime arrosé sang !... avec une sauce de vinaigre Un homme très estimé dans son quartier ou une tête de n'importe quoi qui se mange a été égorgé en plein jour et il remue doucement la mâchoire l'assassin le vagabond lui a volé doucement deux francs et il grince des dents doucement soit un café arrosé car le monde se paye sa tête zéro franc soixante-dix et il ne peut rien contre ce monde deux tartines beurrées et il compte sur ses doigts un deux trois et vingt-cinq centimes pour le pourboire du garçon. un deux trois cela fait trois jours qu'il n'a pas mangé Il est terrible et il a beau se répéter depuis trois jours le petit bruit de l’œuf dur cassé sur un Ça ne peut pas durer comptoir d'étain ça dure il est terrible ce bruit trois jours quand il remue dans la mémoire de trois nuits l'homme qui a faim. sans manger et derrière ces vitres Paroles, 1946 10/ 11
Au bord du monde, film documentaire de Claus Drexel, Les expulsés, Ernest Pignon Ernest, 1977 2013 Ce documentaire dresse le portrait de plusieurs sans-abris, à travers des interviews et de très belles images de Paris, de nuit et désert. Site du film : www.auborddumonde.fr (bande-annonce, extrait, note d'intention du réalisateur) No et moi, Delphine de Vigan, 2007 « J'ai revu la pâleur de son teint, ses yeux agrandis par la maigreur, la couleur de ses cheveux, son écharpe rose, sous l'empilement de ses trois blousons j'ai imaginé un secret, un secret planté dans son cœur comme une épine, un secret qu'elle n'avait jamais dit à personne. J'ai eu envie d'être près d'elle. Avec elle. Dans mon lit j'ai regretté de ne pas lui avoir demandé son âge, ça me tracassait. Elle avait l'air si jeune. En même temps il m'avait semblé qu'elle connaissait vraiment la vie, ou plutôt qu'elle connaissait de la vie quelque chose qui Deux vues de cette sérigraphie in situ, collée sur un faisait peur. » immeuble en cours de démolition à Paris « Alors je découvre ses mains noires, ses ongles rongés jusqu'au sang, et les traces de griffures sur ses poignets. Ça me fait mal au ventre. (...) elle a l'air si fatiguée, pas seulement à cause des cernes sous ses yeux, ni de ses cheveux emmêlés, retenus par un vieux chouchou, ni de ses vêtements défraîchis, il y a ce mot qui me vient à l'esprit, abîmée, ce mot qui fait mal, je ne sais plus si elle était déjà comme ça, la première fois, peut-être n'avais-je pas remarqué, il me semble plutôt qu'en l'espace de quelques jours elle a changé, elle est plus pâle ou plus sale, et son regard plus difficile à attraper. » Comparer les différents aspects de l'exclusion mis en avant dans chaque œuvre. Lesquels sont communs ? Quelles œuvres portent un regard particulier sur le sujet ? Comparer les différents langages. Que permet le langage artistique (la littérature en particulier) pour rendre compte du réel ? 11/ 11
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